« Textes de référence sur l'informatique à l'École » : différence entre les versions

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* Pascal Guitton et Thierry Viéville : [[Inutile d’enseigner l’informatique au lycée !]]
* Pascal Guitton et Thierry Viéville : [[Inutile d’enseigner l’informatique au lycée !]]
* Jean-Pierre Demailly : [[Sur l'enseignement de l'informatique dans le Secondaire]]
* Jean-Pierre Demailly : [[Sur l'enseignement de l'informatique dans le Secondaire]]
 
* Jean-Pierre Archambault : [[L'informatique discipline scolaire Un long cheminement]]
 
* Pierre-Eric Mounier-Khun : [[L’Informatique en France, de la Seconde Guerre mondiale au Plan Calcul. L’Émergence d’une science]]
== Pierre-Eric Mounier-Khun : L’Informatique en France, de la Seconde Guerre mondiale au Plan Calcul. L’Émergence d’une science ==
* Jean-Pierre Archambault : [[Numérique et apprentissages]], 15èmes Rencontres d'Autrans, 12, 13 et 14 janvier 2011
<font color="#777777">Proposé par Philippe-Charles Nestel<cnestel@free.fr>, le 16 Novembre 2010, sur la liste educ@april.org</font>
 
Pierre-Eric Mounier-Khun est l'auteur est l’auteur de L’Informatique
en France, de la Seconde Guerre mondiale au Plan Calcul. L’Émergence
d’une science, préface de Jean-Jacques Duby, Presses de l’Université
Paris-Sorbonne, 2010, 700 p. 25€. Dans cette histoire il nous relate que si dans l'esneignement supérieur français les mathématiques appliquées se ont emparées de l'ordinateur, au cours des années 60-70, d'autres disciplines ont été attirées par l'ordinateur : 
 
<i>Les premiers calculateurs électroniques ont été mis en service au
cours des années 1950 dans la Recherche et l’Enseignement supérieur
français. Autour d’eux se sont développés des services de calcul, des
enseignements et des recherches, dans le cadre des mathématiques
appliquées, plus précisément de l’analyse numérique. Au cours des
années 1960-1970, des spécialistes d’autres disciplines – astronomes,
linguistes, logiciens, archéologues, etc. – ont été attirés par
l’ordinateur, par les possibilités qu’il offrait et les problèmes
inédits qu’il posait. On est ainsi passé progressivement du calcul
électronique, outil au service des ingénieurs et des mathématiques
appliquées, à la construction d’une discipline nouvelle,
l’informatique, qui recomposait le paysage scientifique. Cette
évolution ne s’est pas effectuée sans résistances ni controverses. Si
en 1965 l’informatique était considérée comme une « science encore
incertaine », son statut de discipline à part entière a été
officialisé au cours de la décennie suivante, à l’université comme au
CNRS.</i>
 
<b>Réf</b> : https://my.dimdim.com/emfccsti/
 
 
== Numérique et apprentissages==
<center>
<big><i>15èmes Rencontres d'Autrans<br />
12, 13 et 14 janvier 2011</i></big>
</center>
 
 
<center>
<font size="+1"><b>
Numérique et apprentissages
</b></font>
</center>
 
 
<center>
'''Jean-Pierre Archambault'''<br />
'''chargé de mission, CNDP-CRDP de Paris'''
</center>
 
 
 
&nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp;Le numérique, en général, et le Web 2.0, en particulier, proposent des outils et constituent un
contexte nouveau pour les apprentissages. L'intégration de l'informatique dans l'enseignement
remonte aux années 70. C'est un long et lent processus, ne serait-ce que parce que le temps de la
pédagogie est le temps long. Cela étant, le paysage éducatif s'est déjà significativement transformé.
 
 
&nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp;Où en est-on des usages éducatifs du numérique ? La situation actuelle amène à notamment
regarder du côté de '''la culture générale scientifique informatique,''' de '''la culture générale scolaire
au XXIè siècle''''. Le numérique entraîne des mutations dans la pédagogie et l'institution éducative.<br />
'''Quelles mutations de l'acte d'apprendre et de son organisation sociétale, à savoir l'institution
scolaire ?''''' Avec une question qui revient comme une antienne : quid de la place et du rôle de
l'enseignant ? Aujourd'hui et demain, même si l'on sait que la prospective est un art difficile et
périlleux. La (classique) dialectique potentialités et exigences issues du numérique/invariants de la
pédagogie irrigue cet immense dossier (il y a des invariants dans l'Histoire des sociétés, dans la
pédagogie aussi). Il faut d'abord poser le regard '''sur l'étroite relation qui existe entre l'utilisation
(maîtrisée et raisonnée) des TIC par les enseignants et les élèves et leur culture scientifique et
technique en informatique.'''
 
 
 
I) Une relation étroite entre utilisation des TIC et culture scientifique
informatique
Si beaucoup a été fait en matière d'utilisation des TIC dans le système éducatif, beaucoup
reste à faire. La France occupe le 24e rang en Europe pour l'utilisation des TIC dans le système
éducatif, mais au 8e rang pour l'équipement en ordinateurs et au 12e rang pour les connexions en haut
débit (1). Quand on interroge les enseignants sur les raisons de ce classement, ils mettent notamment
en avant la (non) disponibilité des matériels (« Cela ne marche pas toujours quand on en a
besoin ») ; les problèmes de maintenance des équipements, de la compétence de proximité à
disposition dans les établissement scolaires et les écoles et de la prise en compte insuffisante de la
quantité de travail que cela représente. Les enseignants mentionnent également l'insuffisante
formation des personnes ressources et de la leur, évidemment.
Dans son rapport remis à la ministre de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche en
2009, le groupe mathématiques-informatique du SNRI (Stratégie Nationale Recherche et
Innovation) faisait le constat d'un « niveau non optimal en informatique des ingénieurs et
chercheurs non informaticiens » (2). La situation est analogue pour les enseignants dans leur
ensemble, qui ne sont pas des spécialistes de l'informatique mais en sont des utilisateurs dans le
cadre de l'exercice de leur métier : outil pédagogique, évolution de leur discipline dans ses objets et
ses méthodes de par l'informatique, outil de travail personnel et collectif. On est donc face à un
problème de formation initiale et continue des enseignants.
On entend souvent dire que, l'informatique irriguant la vie quotidienne de tout un chacun, les
nouvelles générations, qui baignent dans Internet depuis leur plus jeune âge, n'auraient pas besoin
d'une formation spécifique de nature scientifique et technique. Leurs utilisations d'Internet, dans et
hors l'école, suffiraient. Qu'en est-il exactement ?
Dans le cadre de sa thèse de doctorat, Cédric Fluckiger a réalisé une étude dans un collège
de la région parisienne. Lucas, élève de troisième, pense qu'il est nécessaire d'avoir plusieurs
abonnements à Internet pour accéder à toutes les pages, car les moteurs de recherche proposés sur
les différents portails n'indiquent pas la même liste de sites : « Wanadoo ils ont pas les mêmes
pages. Si je cherche quelque chose, j'aurai pas les mêmes choses dans Wanadoo et dans quelque
part d'autre. (...) Ça change tout, c'est pour ça qu'on en a pris trois différents. » Cet exemple
d'utilisation approximative, qui n'est pas unique loin s'en faut, traduit manifestement une
représentation mentale erronée de l'environnement numérique dans lequel le collégien évolue. Des
pratiques spontanées et sans recul ne suffisent pas à devenir un utilisateur averti. Une bonne
appropriation de notions scientifiques fondamentales est indispensable car elle conditionne une
utilisation rationnelle de l'outil conceptuel qu'est l'ordinateur et la résolution des problèmes
rencontrés au fil du temps présent et à venir dans la société et l'économie numériques. Il faut
relativiser fortement les compétences acquises hors de l'École, qui restent limitées aux usages
quotidiens. Elles sont difficilement transférables dans un contexte scolaire plus exigeant. Les
pratiques ne donnent lieu qu'à une très faible verbalisation. Les usages reposent sur des savoir-faire
limités, peu explicitables et laissant peu de place à une conceptualisation. Pour les élèves, en elles-
mêmes des pratiques sont insuffisantes à permettre une utilisation « intelligente » des outils (3).
L'ambition culturelle de l'Ecole ne peut pas se contenter d'élèves en restant à une simple et
approximative « consommation », sans parler des objectifs de formation de futurs professionnels
avertis, « créateurs » d'informatique, et de citoyens éclairés.
II) Culture générale au XXIème siècle
Les constats précédents illustrent à leur façon la nécessité d'un enseignement de
l'informatique en tant que tel (4). Dans les années 80, les lycées d'enseignement général où existait
une option informatiques donnaient lieu à une plus grande utilisation de l'ordinateur que dans les
autres (cette option alors en voie de généralisation a été supprimée en 1992, rétablie en 1994 puis à
nouveau supprimée en 1998). L'informatique « objet d'enseignement » et l'informatique « outil
pédagogique » sont complémentaires et se renforcent mutuellement. Les statuts éducatifs de
l'informatique sont divers (5).
Si des connaissances scientifiques et techniques en informatique sont une condition de son
bon usage dans les apprentissages des autres disciplines (dont par ailleurs l' « essence », les objets et
les méthodes, évolue de par l'influence de l'informatique), elle doit elle-même faire l'objet d'un
apprentissage. On retrouve là un invariant de l'éducation, à savoir l'évolution de la culture
générale scolaire de par l'évolution de la société. Des disciplines apparaissent, d'autres voient leur
place diminuer, des recompositions s'opèrent au sein des disciplines elles-mêmes. Ainsi les sciences
physiques sont-elles devenues une matière scolaire parce qu'elles sous-tendaient les réalisations de
la société industrielle (or « le monde devient numérique », intitulé de la conférence inaugurale de
Gérard Berry au Collège de France).
Les raisons qui fondent la nécessité d'une discipline informatique sont diverses
(omniprésence du numérique dans la vie quotidienne et les entreprises ; l'informatique représente
30% de la R&D dans le monde (18% seulement en Europe) ect.). Elles correspondent aux trois
missions de l'Ecole : former l'homme, le travailleur et le citoyen. Lors des débats concernant le
nucléaire le citoyen peut s'appuyer sur ses connaissances acquises dans le cours de sciences
physiques ; les OGM sur le cours de SVT. Or le monde devient numérique venons-nous de
rappeler...
Et, concernant le Web 2,0 et les Webs à venir, dans un entretien accordé à Paris Match, le
patron de Free, Xavier Niel, ainsi que Jacques-Antoine Granjon (Vente-Privée) et Marc Simoncini
(Meetic), font état de leur projet d’ouvrir une école qui formerait les jeunes au web. Leur objectif ?
Donner toutes les connaissances liées aux nouveaux métiers de l'Internet, qui pourront mener à la
création du «Google de demain», nous indique le site Maxisciences (6). L'idée de cette nouvelle
école de l’Internet «n’est pas de former une élite, mais des jeunes qui sortent avec des
connaissances utiles pour prendre leur destin en main et trouver un travail dans l’industrie du
web ». En effet, le fondateur de Meetic explique avoir du mal à recruter aujourd’hui. Marc
Simoncini, pour qui « l'Ecole actuelle ne formerait pas assez bien aux nouvelles technologies », "à
tout ce qui vient d’être inventé sur le web», donne l’exemple d’énarques ou autres «gens très
brillants qui dirigent des entreprises» : «ils n’ont rien compris à l’Internet». C'est cela qu'il faut
changer, estiment les trois hommes.
L'on sait l'importance de la précocité des apprentissages. L'on sait également que le lycée est
l'espace et le moment où les élèves construisent leur autonomie intellectuelle et où naissent les
vocations. Les lycéens choisissent d'autant plus une voie par goût aux contenus qu'ils l'ont
effectivement rencontrée concrètement dans leur scolarité ! La pénurie concernant les métiers des
TIC est bien réelle et il y aura de plus en plus de ces professions : il faut absolument agrandir leur
vivier. Et pour cela tirer les enseignements de la période qui vient de s'écouler, à savoir que le choix
fait de la formation au numérique et à l'informatique par la simple utilisation des outils ne suffit pas,
loin de là, et ne permet pas de répondre aux enjeux et défis de notre époque. La teneur de cet
entretien illustre donc à sa manière une des missions fondamentales de l'enseignement scolaire
général qui est, non pas de former des spécialistes, mais d'installer les connaissances qui
permettront leur formation ultérieure. En leur donnant la culture générale de leur époque dont une
des composantes est l'informatique.
Un enseignement de spécialité optionnel « Informatique et sciences du numérique » a été
créé en Terminale S pour la rentrée 2012. C'est une mesure qui va dans le bon sens. Et, conséquence
importante dans la problématique qui nous intéresse, la formation des futurs professeurs pourra
s'appuyer sur un enseignement d'informatique quand ils auront pu en bénéficier au lycée (celle des
enseignants en poste relève de leur formation continue).
III) L'acte pédagogique et les TIC
Sans conteste, le numérique enrichit la panoplie des outils et des ressources à la disposition
des enseignants dans l'exercice de leur métier. Ils peuvent faire autrement ou mieux ce qu'ils
faisaient déjà. Ou faire des choses qu'ils ne pouvaient pas faire auparavant. L'acte pédagogique a
tout à gagner à une utilisation raisonnée, maîtrisée, circonstanciée du numérique. Les apports sont
évidents et bien connus, d'Internet aux applications spécifiques en passant par le traitement de texte
(« Ecrire c'est réécrire » est un exemple particulièrement éclairant (7)). Toutes les démarches s'y
retrouvent, le tableau numérique utilisé par l'enseignant aussi bien que le logiciel permettant une
individualisation de l'apprentissage, le travail personnel et le travail en groupe... dans le cadre de la
liberté pédagogique de l'enseignant. La classe évolue, le système éducatif aussi, à l'instar des
administrations et des entreprises qui intègrent l'informatique au service de leur propre
fonctionnement.
Tout cela est bien connu, et reconnu ! Mais, si beaucoup de choses changent et changeront,
qu'en est-il de la pédagogie et de ses fondamentaux ? De ses invariants qu'il faut avoir à l'esprit
quand on imagine des scénarios pour l'avenir ? Ainsi que l'existence de cycles dans l'histoire des
technologies. Par exemple, au début du XXe siècle, des firmes américaines soutenaient-elles déjà le
développement de l’éducation par correspondance avec des arguments quant à sa capacité à offrir
un apprentissage débarrassé de la contrainte du lieu et du temps, et plus individualisable. Le résultat
a été une énorme banqueroute. Les plates-formes d’enseignement à distance ont fait resurgir les
questionnements des débuts de l’enseignement assisté par ordinateur, autour de l’analyse
automatique des réponses des élèves et de parcours individualisés qui en résultent (8).
Où va-t-on ? Jusqu'où ira-t-on ? Quid de la pédagogie, le métier de l'Ecole, et de son cadre
institutionnel, le système éducatif, dans le contexte du développement et de l'intégration du
numérique ? Si assurément le numérique
modifie le paysage pédagogique et a, et aura, des
implications sur les institutions éducatives, pour autant peut-on conjecturer des changements
radicaux ressemblant à un changement de nature de l'acte éducatif (9) ? Ou plus simplement un
nouveau contexte enrichi ? Quid, avons-nous demandé, du rôle et de la place de l'enseignant ?
Dans les lignes qui suivent nous rappellerons quelques aspects des questions de la
complexité des apprentissages et de leur dimension « relation humaine », de l'autonomie des élèves,
du rôle de l'enseignant dans l'appropriation des savoirs. Parmi d'autres (l'efficacité pédagogique,
l'évaluation...), elles sont souvent présentes dans les réflexions sur la place des TIC dans l'éducation,
d'une manière explicite ou implicite. Où doit-on placer le « curseur homme-machine » ?
1) La complexité des apprentissages et leur dimension « relation humaine »
Les apprentissages ont des composantes cognitives, physiologiques, psychologiques,
affectives, sociales et bien sûr pédagogiques et didactiques (des contenus et connaissances
enseignés). Le plaisir d'apprendre pour apprendre est décisif (10). La dimension humaine est ô
combien importante. Les enfants ont besoin d'être rassurés. On a tous à l'esprit l'enseignant
remarquable à l'origine du choix d'une discipline et d'un métier. Il arrive même qu'un professeur soit
le sujet d'un amour, platonique mais bien réel ! L'Ecole est un endroit privilégié de la socialisation
des enfants et des adolescents. Le rôle du groupe est essentiel, le groupe classe en premier lieu. On
sait la place qu'occupent le sentiment d'appartenance et la vie de groupe, le plaisir de retrouver les
copains et les copines. De ce point de vue, les élèves ne sont pas des adultes en entreprise avec des
recompositions fréquentes en groupes-projets. Il faut veiller à la stabilité de l'entourage et de
l'environnement, à un bon équilibre dans le temps avec bien sûr des moments de « rupture » qui
aident à lutter contre une monotonie qui peut s'installer. Le numérique ne saurait signifier moins de
présence humaine adulte. Quant à l'enseignement à distance avec les outils modernes, il ne peut
avoir une place qu'exceptionnelle pour la maternelle, le primaire et le collège (enfants malades par
exemple). Le contraire serait irréaliste, et terrifiant. Il suffit de songer aux individus que cela
produirait. Au lycée, il ne peut être qu'un complément limité, concernant des publics particuliers
comme les sportifs de haut niveau.
2) L'autonomie des élèves
Si le Web 2,0 et les TIC sont une bonne propédeutique au travail coopératif que les élèves
rencontreront dans leur vie professionnelle, ils permettent aussi une individualisation des
apprentissages, des démarches fondées sur l'autonomie. L'élève a potentiellement à sa disposition
une multitudes de ressources. Supposé autonome, il peut être censé se fabriquer ses parcours.
L’enseignant perd-il pour autant sa raison d’être ? Non, bien sûr. Médiation et autonomie ne sont
nullement antinomiques. Développer l’autonomie chez les élèves requiert beaucoup de médiation
humaine. On ne peut, sauf à confondre l’objectif final (former une personne autonome) et les
moyens d’y parvenir, laisser l’élève seul avec ses outils, en se reposant sur une autonomie que
justement il n'a pas encore et qu'il est en train d’acquérir. Il est complètement illusoire de penser
s’en remettre à la seule machine. Les nouveaux outils permettent d’enrichir le rôle de l’enseignant
en le diversifiant, non de s’en passer (11). On sait aussi que l'enseignement à distance requiert des
publics autonomes, performants et motivés, qu’il convient mieux à des adultes en formation
continue qu’à des jeunes en formation initiale, à des acquisitions de savoirs et savoir-faire explicites
et directement opérationnels qu’à un enseignement de la philosophie.
3) L'appropriation des connaissances – le rôle du maître
Avec Internet, tous les savoirs et connaissances accumulés par l'humanité, son patrimoine
culturel sont à portée d'un clic. L'on sait les fabuleuses potentialités que cela recèle pour le travail
intellectuel en général, les enseignants et les élèves en particulier. Nous avons vu la nécessité d'une
culture informatique qui permet de procéder à des requêtes efficaces. Mais pour cela encore faut-il
connaître les domaines sur lesquels on recherche. Cette proximité d'informations accessibles,
beaucoup plus que dans le CDI de l'établissement ou dans le manuel scolaire, si elle offre des
possibilités nouvelles, riches et multiples en termes de démarches pédagogiques change-t-elle pour
autant fondamentalement l'acte d'apprendre et son environnement institutionnel ? Etant entendu
qu'il n'est pas question de penser que l'élève refasse lui-même le parcours que l'humanité a
emprunté sur des millénaires.
Le monde est complexe mais il l'a toujours été. Le savoir des autres n'est pas le sien propre.
En être « informé » ne suffit pas. Il faut se l'approprier. C'est la mission du système éducatif. Pour
cela l'élève doit être guidé, accompagné. C'est le rôle immémorial de l'enseignant qui met en place
(implicitement pour les élèves) des situations d'apprentissages fondées sur les didactiques des
disciplines, dans des démarches pédagogiques s'appuyant sur l'environnement et l'expérience des
élèves. Qui aide à mettre en évidence le simple dans le compliqué, dans des cadres disciplinaires
qu'il faut constituer chez les élèves. La réalité est toujours d’un abord assez impénétrable quand on
essaye de la comprendre un peu mieux. À chaque fois l’on se doit d’y mettre un peu d’ordre dans un
premier temps, en identifiant et en isolant des pans fondamentaux de la connaissance, Il faut se
garder d’une entrée précipitée dans le complexe qui négligerait de s’appuyer sur la simplicité de
fondamentaux éprouvés
ou d’une mise en relation prématurée des contenus. Cheminer avec
intelligence dans un réseau est plus difficile que parcourir une arborescence, se mouvoir dans une
structure en arbre moins aisé que d’emprunter un trajet linéaire. Dans les apprentissages,
l’hypertexte ne rend pas caduc le séquentiel, il en renforce au contraire la nécessité.
L’interdisciplinarité n’a de sens que dans un contexte disciplinaire, ce qui suppose l’existence d’au
moins deux disciplines de référence avec une action réciproque. Le temps de l'interdisciplinaire
survient donc quand les champs disciplinaires sont suffisamment installés, ont suffisamment de
substance pour permettre des mises en relation fructueuses. On peut alors mieux montrer dans une
tension créatrice et une approche interdisciplinaire alors féconde les insuffisances respectives des
disciplines et leurs complémentarités.
En mettant l'élève en contact avec une multitude de savoirs, en fait, Internet renforce la
mission traditionnelle de l'enseignant dans un contexte où l'élève est sollicité (« parasité » ?) par
une pléthore d'informations qu'il faut transformer en connaissances maîtrisées.
Autre continuité, permanence, le rôle de la mémoire dans les apprentissages et la
formation des capacités. HL. Dreyfus, observant la façon dont les adultes acquièrent de nouveaux
savoir-faire, propose cinq stades : de la situation de novice à celle d'expert en passant par l'état de
débutant avancé, de celui qui est compétent puis qui maîtrise (12). Si le maître voit ce qu’il faut
faire puis décide de la façon de faire, cela lui demande du temps. Mais, que l’on pense au joueur de
tennis, au pilote d’avion ou au joueur d’échecs pris par le temps, il existe de nombreux cas où celui
à qui l’on reconnaît le statut d’expert (de « grand maître») ne dispose que d’une très petite fraction
de seconde pour décider. Il sait réagir, faire ce qu’il faut faire. Comment procède-t-il exactement ?
Manifestement il n’applique pas de règles, « il ne réfléchit pas ». Il a mémorisé de nombreuses
classes de situations pouvant ne présenter entre elles que des différences imperceptibles. Chaque
classe est décomposée en sous-classes, chacune relevant d’une même décision. L’expert discrimine
parmi des dizaines de milliers de cas particuliers. Quand les événements prennent une tournure non
familière, il doit prendre son temps pour réfléchir : il « régresse» !
On a là un autre invariant dans les apprentissages. Qui ne se confond pas avec la nécessité
de savoir chercher (rapidement) avec efficacité sur Internet des informations dont on a besoin dans
des champs de la connaissance que l'on maîtrise. Les deux s'apprennent avec un indispensable
enseignant !
IV) Un nouveau contexte
En définitive, le numérique entraîne des mutations pour le système éducatif, comme il le fait
dans tous les secteurs de la société. Ces mutations ont un caractère de nécessité. Elles offrent des
possibilités, immenses et nouvelles, à l'institution pour son « métier », à savoir la pédagogie, et
pour son fonctionnement, les deux au service de ses missions fondamentales, former l'homme, le
travailleur et le citoyen, dans les conditions, de la société du XXIè siècle, avec ses potentialités et
ses exigences.
Le Web 2,0, les outils informatiques, les ressources numériques enrichissent la panoplie des
instruments dont l'enseignant dispose pour exercer son métier au service des élèves. Il peut faire des
choses nouvelles, mieux faire des choses qu'il faisait déjà, varier les approches et les démarches...
dans des utilisations maîtrisés et raisonnés de l'ordinateur. Des environnement numériques de travail
se mettent en place qui permettent une continuité des outils et des documents de l’établissement au
domicile, l’organisation de l’accès à des ressources électroniques distantes, la facilitation du travail
coopératif, la mutualisation, l'individualisation aussi. Ces environnements d’apprentissage (de la
maternelle au lycée) modifient le paysage pédagogique. Ils sont faits d'ordinateurs, de logiciels, de
plate-formes, de bureaux virtuels de l’enseignant et de l’élève, de cartables électroniques, de
ressources pédagogiques numérisées, de manuels numériques, d'espaces d'échanges pour des
communautés humaines. Cela étant, l’enseignement reste fondamentalement présentiel, même s’il «
s’hybride » quelque peu. Un nouveau contexte éducatif institutionnel s'installe, avec des élèves en
chair et en os qui viennent dans des classes et des établissement « en dur » pour retrouver leurs
compagnons d'apprentissage et leurs irremplaçables professeurs.
(1) Rapport Fourgous, Réussir l'école numérique, page 115 :
« Les statistiques européennes classent la France au 24e rang au niveau européen (sur 25 pays européens*),
pour ce qui est de l'accès à l'outil, sa maîtrise dans un contexte pédagogique et la motivation des enseignants
(soit un indicateur de 19 pour une moyenne européenne de 38).
Ainsi, les établissements scolaires français se situent au 8e rang européen pour l'équipement en ordinateurs,
au 12e rang pour les connexions en haut débit, mais au 21e rang pour l'utilisation de l'ordinateur en classe
et au 24e rang pour ce qui est de l'usage de l'outil dans un contexte pédagogique. »
* La Bulgarie et la Roumanie n'ont pas participé à cette enquête lancée avant leur entrée dans l'Union en
2007.
http://www.reussirlecolenumerique.fr/pdf/Rapport_mission_fourgous.pdf
(2) Stratégie Nationale de Recherche et d'Innovation (SNRI)
http://media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/SNRI/69/8/Rapport_general_de_la_SNRI_-
_version_finale_65698.pdf
Groupe de travail « Connaissance pluridisciplinaire 4 : numérique, calcul intensif et mathématiques » :
http://media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/Defi_de_connaissance_pluridisciplinaire/97/5/
SNRI2009_rapport_groupe_de_travail_Nummath_65975.pdf
Voir : « Nous avons lu » dans EpiNet n° 129 de septembre.
http://www.epi.asso.fr/revue/lu/l0909q.htm
(3)Voir « Internet et ses pratiques juvéniles », Édric Fluckiger, Médialog n° 69.
http://medialog.ac-creteil.fr/ARCHIVE69/juvenile69.pdf
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a0905d.htm
(4) L'informatique discipline scolaire. Un long cheminement
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1011b.htm
Sur les freins qui accompagnent ce long cheminement, voir les extraits du texte précédent en annexe 1.
L'approche qui consiste à vouloir donner une culture générale informatique par les utilisations dans les autres
disciplines, symbolisée par le B2i, ne fonctionne pas. Voir le rapport Fourgous :
Rapport Réussir l'école numérique, Partie III, II-5-3
http://www.reussirlecolenumerique.fr/pdf/Rapport_mission_fourgous.pdf.
On pourra consulter « Quelques notes de lecture sur le rapport Fourgous : Réussir l'école numérique »
http://www.epi.asso.fr/revue/docu/d1003a.htm.
(5) Outil pédagogique, l'ordinateur enrichit la panoplie des outils de l'enseignant. Il se prête à la création de
situations de communication « réelles » ayant du sens, notamment pour des élèves en difficulté. Il constitue
un outil pour la motivation. Il favorise l'activité, l'initiative, la créativité, etc. L'informatique s'immisce dans
les objets, les méthodes et les outils des savoirs constitués, transformant leur « essence », et leur
enseignement doit en tenir compte. C'est particulièrement vrai pour les enseignements techniques et
professionnels. Et pour les mathématiques, notamment de par l'impact des outils de calcul (dans le cadre de
la pérenne et intrinsèque dialectique démonstration/calcul). Mais, peu ou prou, toutes les disciplines sont
concernées. L'ordinateur est également outil de travail personnel et collectif des enseignants, des élèves et
de la communauté éducative, notamment dans le cadre des ENT.
Voir Ecole, éducation et multimédia, Les Cahiers dynamiques n° 26
http://lamaisondesenseignants.com/download/document/LCD26.pdf
(6) http://www.maxisciences.com/%E9cole/xavier-niel-veut-creer-une-ecole-de-l-internet_art11366.html
(7) Voir annexe 2 Ecrire c'est réécrire
(8) Institutions éducatives et e-formation
http://medialog.ac-creteil.fr/ARCHIVE44/eformation44.pdf
(9) Les appétits de marchandisation de certains secteurs de l’offre éducative produisent des discours en se
sens. Voir (7)
(10) Le plaisir d'apprendre pour apprendre
http://lamaisondesenseignants.com/download/document/plaisirappren.pdf
(11) L'éducation, grand marché du XXIème siècle
http://medialog.ac-creteil.fr/ARCHIVE39/jpa39.pdf
(12) article sur « La portée philosophique du connexionnisme », paru dans l’ouvrage « Les sciences
cognitives». Voir : Des banques de données , dans la tête aussi
http://medialog.ac-creteil.fr/ARCHIVE31/jpa31.pdf
Annexe 1
L'informatique discipline scolaire. Un long cheminement
(extraits)
Un grand classique !
I) Emergence dans la douleur
Contrairement à ce que l'on pourrait penser de prime abord, ce long, tortueux et chaotique
cheminement d'une discipline informatique au lycée ne saurait surprendre. C'est la loi du genre dans
tous les domaines, un grand classique : le nouveau émerge toujours dans la douleur. Et cela ne date
pas d'hier. Déjà, Confucius mettait en garde : « Lorsque tu fais quelque chose, sache que tu auras
contre toi ceux qui voulaient faire la même chose, ceux qui voulaient faire le contraire et l'immense
majorité de ceux qui ne voulaient rien faire. »
Ainsi, au début du XXe siècle, un lobby du courant continu s'évertuait-il à « prouver », force
arguments « scientifiques » à l'appui, que le courant alternatif constituait une impasse. Provocant
mais réaliste, Bernard Stiegler se plait à dire que « si vous demandez aux gens ce qu'ils attendent
des nouvelles technologies, leur première réponse sera : Rien, fichez-moi la paix ! ». Encore
aujourd'hui, il n'y a que sept informaticiens à l'Académie des Sciences, sur 243 membres, alors que,
répétons-le, l'informatique représente 30 % de la R&D dans le monde et qu'elle est une des trois
grandes familles de la science contemporaine avec les mathématiques et les sciences
expérimentales. Dans un mouvement de balancier, la discipline informatique revient (on peut penser
que ce retour est définitif) après la suppression de l'option d'enseignement générale des lycées des
années quatre-vingts. Il s'agit d'un phénomène international, que l'on retrouve dans beaucoup de
pays, développés notamment, aussi bien au niveau des mesures prises que des discours. Les raisons
de ce long cheminement sont donc profondes.
II) Les obstacles au changement sont multiples.
1) Remise en cause d'identités personnelles et professionnelles qui s'incarnent dans des
champs du savoir, des compétences et des savoir-faire. Difficultés objectives à s'approprier de
nouvelles connaissances, surtout quand les fondamentaux de culture générale correspondants ne
sont pas là, quand le contexte économique et social ne favorise pas les évolutions.
2) Plus prosaïquement aussi, la volonté délibérée de ne pas donner aux autres les clés de la
réussite. Parmi ceux qu'on appelle les « passeurs » des TIC, également du côté de certaines sociétés
de service, on peut très bien se satisfaire du manque de culture informatique des autres (ce handicap
les concernant également) et décréter d'une manière péremptoire qu'une telle culture n'est pas
nécessaire. Leurs situations de rentes en seront d'autant plus pérennes, que ce soit pour proposer des
formations à la version n+1 d'un logiciel bureautique ou des solutions d'informatisation dont les
coûts explosent et les délais s'allongent à n'en plus finir, avec des contrats qui en rejettent par
avance la responsabilité sur les clients !
III) Avec ses spécificités, le monde de l'éducation n'échappe pas à ces freins..
1) La massification de l'enseignement engendre des tensions fortes, posant avec acuité la
question des efforts que la nation est prête à consentir pour l'éducation, pourtant le premier des
investissements pour préparer l'avenir, qui plus est dans la société de la connaissance.
2) Il y a la difficulté récurrente à introduire une nouvelle discipline scolaire : à la place de
quoi, formation des enseignants à mettre en place, concours de recrutement à créer, intégration dans
les examens...
IV) L'informatique étant à la fois une science et une technique...
1) la problématique de l'outil est omniprésente, avec cet argument que son utilisation
suffirait à le maîtriser : on peut alors légitiment se demander à quoi servent les enseignements
techniques et professionnels, ainsi que le cours de mathématiques, outil conceptuel au service des
autres disciplines. Maurice Nivat nous invite opportunément à relire André Leroy Gourhan qui nous
a appris que l'outil n'est rien sans le geste qui l'accompagne et l'idée que se fait l'utilisateur de l'outil
de l'objet à façonner [20]. Et d'ajouter : « Ce qui était vrai de nos lointains ancêtres du
Neanderthal, quand ils fabriquaient des lames de rasoir en taillant des silex est toujours vrai :
l'apprentissage de l'outil ne peut se faire sans apprentissage du geste qui va avec ni sans
compréhension du mode de fonctionnement de l'outil, de son action sur la matière travaillée, ni
sans formation d'une idée précise de la puissance de l'outil et de ses limites. »
2) Le thème de l'outil est aussi celui de la technique, de sa place dans la société française, de
celle du travail manuel, du rapport de secteurs des élites de la nation à la science et à la
technique [21]. Combien de fois n'a-t-on pas entendu « Ce n'est qu'un outil » ? Un outil qui ne
devrait pas nous détourner d'objectifs culturels nobles ! Comme si l'outil n'était pas partie intégrante
de la culture humaine depuis la nuit des temps. La science aussi faut-il le rappeler. A ce sujet, si
dans un passé récent le fait que l'histoire-géographie devienne optionnelle en Terminale S (tout en
restant heureusement présente à l'école et dans le secondaire jusqu'à la classe de Première, ce qui
n'est pas encore le cas de l'informatique) a provoqué une légitime émotion, le fait que les
mathématiques deviennent optionnelles en Première L n'a pas fait la une des journaux, c'est le
moins que l'on puisse dire. Deux poids deux mesures.
3) L'informatique présente des aspects techniques. C'est indéniable. David Monniaux fait
justement remarquer qu'elle n'est pas la seule discipline dans ce cas [22]. Il prend le cas des
mathématiques, science de l'abstraction et du conceptuel formalisés qui, cependant, a une grande
part de technique. « Même si, de nos jours, des moyens de calcul informatiques existent, il faut tout
de même savoir faire à la main des résolutions d'équations, des calculs d'intégrales, des
majorations, etc. » Et le français, tel qu'enseigné dans le secondaire, est également largement une
activité technique. En effet, « l'enseignement et la notation portent en bonne partie sur la forme des
textes produits (orthographe, grammaire, et plus généralement expression) et non sur le fond ». La
forme a également beaucoup d'importance dans certaines filières de l'enseignement supérieur. « De
fait, il semble que les entreprises s'intéressent parfois aux étudiants en lettres pour leurs qualités
rédactionnelles... L'idée est ancienne : ne dit-on pas que Charles de Gaulle avait recruté Georges
Pompidou parce qu'il voulait "un normalien sachant écrire" ? ». Quant aux langues étrangères, si
Shakespeare est un « monument » de la culture universelle qu'il faut connaître, « on n'en attend pas
moins d'une personne ayant étudié sa langue une connaissance de l'anglais contemporain, tel que
parlé et écrit en pratique chez les partenaires économiques ». Idem pour le japonais avec « le
vocabulaire et les expressions de la robotique ou des centrales nucléaires et ceux du Dit du Genji.
Les universités ont donc ouvert des filières de langues étrangères appliquées. »
V)La pédagogie est un terrain de débats, voire d'affrontements quant au bien-fondé d'un
enseignement de l'informatique. Rien que de très normal.
1) Les boulangers se divisent sur la façon de faire le pain, les maçons sur celle de monter un
mur... les enseignants sur la façon de faire cours.
2) Au début des années quatre-vingt-dix, le réseau local fut mal accueilli dans certains
cercles de formateurs informatiques des MAFPEN. Au nom de la sacro-sainte pédagogie qui se
serait pleinement satisfaite des postes autonomes, la technique détournant du fondamental à savoir
les usages de l'ordinateur en classe. Étrange myopie qui ne voyait pas que le réseau était en train de
devenir le mode d'existence dominant de l'informatique, offrant qui plus est des potentialités
nouvelles justement sur le plan de la pédagogie (communication, travail collaboratif...). Attitude qui
s'explique en partie par la difficulté objective à former les enseignants sur des environnements plus
complexes. La pièce sera rejouée avec l'arrivée d'Internet : « Internet d'accord mais pour quoi
faire ? ». Alors que dix ans de télématique scolaire avait montré la voie des usages pédagogiques
que l'on pouvait avoir avec un réseau longue distance. On pourrait multiplier les exemples, ainsi le
rejet du LSE par ceux dont la position et le prestige dans l'établissement, de par les services qu'ils
rendaient avec le Basic, étaient menacés par la formation des collègues accompagnant l'arrivée des
ordinateurs dans l'établissement. Et qui pour cela disaient pis que pendre d'un langage structuré
pourtant conçu pour l'enseignement, avec des instructions en langue française.
3) Les débats sont souvent vifs et paradoxaux. La discipline informatique au XXIe siècle
s'inscrit dans les trois missions de l'École, former l'homme, le travailleur et le citoyen, avons-nous
dit d'emblée. Mais quand on parle pédagogie et informatique, il arrive que certains ne voient pas,
par exemple, les potentialités de la programmation, qui favorise l'activité intellectuelle,
l'appropriation de notions informatiques mais aussi des autres disciplines. On constate en effet avec
l'ordinateur une transposition des comportements classiques que l'on observe dans le domaine de la
fabrication des objets matériels. À la manière d'un artisan qui prolonge ses efforts tant que son
ouvrage n'est pas effectivement terminé, un lycéen, qui par ailleurs se contentera d'avoir résolu neuf
questions sur dix de son problème de mathématiques (ce qui n'est déjà pas si mal !), s'acharnera
jusqu'à ce que fonctionne le programme de résolution de l'équation du second degré que son
professeur lui a demandé d'écrire, pour qu'il cerne mieux les notions d'inconnue, de coefficient et de
paramètre. La programmation est un « outil » pédagogique à même de fournir d'autres voies pour la
compréhension des concepts, de proposer des projets coopératifs « vrais » préparant aux modalités
de travail dans l'entreprise. La programmation est également une bonne école de formation à la
rigueur (attention à la virgule mal placée ou à la parenthèse qui manque). Dommage de s'en passer.
Surtout pour de mauvaises raisons comme celle selon laquelle le lycée n'a pas vocation à former des
informaticiens professionnels. Ni des mathématiciens d'ailleurs. Pourtant les élèves font des
mathématiques du cours préparatoire à la classe de Terminale !
4) Certes, la machine et sa puissance peuvent entretenir les illusions. Une requête mal
formulée donne quand même des résultats (mais que valent-ils ?) alors que la feuille peut rester
blanche avec un crayon. On a vu ci-avant la confusion sur les statuts éducatifs de l'informatique,
pour une part conséquence d'identités professionnelles qui ont du mal à accepter les évolutions. Et
l'on a pu constater que l'absence de discipline scolaire, prônée par certains, de par la non
institutionnalisation qu'elle signifiait, facilitait la constitution de prés carrés, de sortes de chasses
gardées pédagogiques où les auto-proclamations sont légions. Comme si la méconnaissance des
algorithmes, de l'interopérabilité ou du modèle OSI était un avantage pour réfléchir sur les sérieuses
questions sociétales du monde du numérique. Mais les esprits évoluent, les choses changent, la
nécessité s'impose et, en définitive, le nouveau se fait sa place, toute sa place.
[20] « L'informatique, science de l'outil », Maurice Nivat
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1003a.htm
Voir aussi : « Machines, outils et informatique », Maurice Nivat
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1004f.htm
[21] Ces préjugés qui nous gouvernent, Gilles Dowek, éditions Le Pommier.
Voir également : « Un chemin initiatique vers l'abstraction », Gilles Dowek
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1009g.htm
[22] « L'informatique, discipline "technique" », David Monniaux, Chargé de recherche au CNRS à
VERIMAG, Grenoble, professeur chargé de cours à l'École Polytechnique
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a0911d.htm
Annexe 2
Ecrire c'est réécrire
Le traitement de texte est pour beaucoup d’enseignants l’outil pédagogique emblématique.
Écrire c’est réécrire : une banalité certes, mais une lourde tâche pour les pédagogues quand ils
veulent que les élèves « revoient leur copie ». Réécriture suppose relecture. Mais les élèves
rechignent à le faire. Quelques annotations de l’enseignant ne suffisent pas. Il obtient souvent au
mieux quelques corrections orthographiques et de ponctuation.
En effet, avec un stylo et sur une feuille de papier, déplacer un mot, une phrase, un
paragraphe, corriger quelques fautes, recopier une nouvelle version issue d’un brouillon vite devenu
illisible de par la multiplicité des modifications... devient vite fastidieux et rédhibitoire s’il n’y a
pas une forte motivation Or, il arrive que les élèves doivent se persuader qu’ils n’ont pas maintenu
le dialogue implicite avec un lecteur (ils ont tu des données...), qu’ils ont insuffisamment fait la
différence entre ce qu’ils voulaient dire et ce qu’ils ont réellement écrit, qu’ils ont mal perçu les
registres de langue...
Avec un traitement de texte, tout change. S’il faut repérer des répétitions ou mettre en
évidence ce qui relève du langage parlé, l’enseignant peut demander de mettre les mots en
caractères italiques. Erreurs, ratures, ajouts ne sont plus insupportables. La reprise est facile. On
échappe à la lourdeur de la réécriture à la main. Une mauvaise graphie ne s’oppose plus à la lecture
par les autres, une écriture illisible de par des troubles de motricité fine n’est plus un obstacle. En
complément d’autres outils (dictionnaire, stylo, grammaire...), l’apport de l’ordinateur est riche et
singulier.
L’ordinateur se révèle être une condition (nécessaire ?) d’existence d’opérations
intellectuelles, en ce sens qu’il en permet effectivement la réalisation en la rendant infiniment plus
aisée, en en supprimant les contraintes « bassement matérielles ». Comme si la portée de l’outil était
d’autant plus grande que son effet est anodin.
==
 
15èmes Rencontres d'Autrans
12, 13 et 14 janvier 2011
Numérique et apprentissages
Jean-Pierre Archambault
chargé de mission, CNDP-CRDP de Paris
Le numérique, en général, et le Web 2.0, en particulier, proposent des outils et constituent un
contexte nouveau pour les apprentissages. L'intégration de l'informatique dans l'enseignement
remonte aux années 70. C'est un long et lent processus, ne serait-ce que parce que le temps de la
pédagogie est le temps long. Cela étant, le paysage éducatif s'est déjà significativement transformé.
Où en est-on des usages éducatifs du numérique ? La situation actuelle amène à notamment
regarder du côté de la culture générale scientifique informatique, de la culture générale scolaire
au XXIè siècle. Le numérique entraîne des mutations dans la pédagogie et l'institution éducative.
Quelles mutations de l'acte d'apprendre et de son organisation sociétale, à savoir l'institution
scolaire ? Avec une question qui revient comme une antienne : quid de la place et du rôle de
l'enseignant ? Aujourd'hui et demain, même si l'on sait que la prospective est un art difficile et
périlleux. La (classique) dialectique potentialités et exigences issues du numérique/invariants de la
pédagogie irrigue cet immense dossier (il y a des invariants dans l'Histoire des sociétés, dans la
pédagogie aussi). Il faut d'abord poser le regard sur l'étroite relation qui existe entre l'utilisation
(maîtrisée et raisonnée) des TIC par les enseignants et les élèves et leur culture scientifique et
technique en informatique.
I) Une relation étroite entre utilisation des TIC et culture scientifique
informatique
Si beaucoup a été fait en matière d'utilisation des TIC dans le système éducatif, beaucoup
reste à faire. La France occupe le 24e rang en Europe pour l'utilisation des TIC dans le système
éducatif, mais au 8e rang pour l'équipement en ordinateurs et au 12e rang pour les connexions en haut
débit (1). Quand on interroge les enseignants sur les raisons de ce classement, ils mettent notamment
en avant la (non) disponibilité des matériels (« Cela ne marche pas toujours quand on en a
besoin ») ; les problèmes de maintenance des équipements, de la compétence de proximité à
disposition dans les établissement scolaires et les écoles et de la prise en compte insuffisante de la
quantité de travail que cela représente. Les enseignants mentionnent également l'insuffisante
formation des personnes ressources et de la leur, évidemment.
Dans son rapport remis à la ministre de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche en
2009, le groupe mathématiques-informatique du SNRI (Stratégie Nationale Recherche et
Innovation) faisait le constat d'un « niveau non optimal en informatique des ingénieurs et
chercheurs non informaticiens » (2). La situation est analogue pour les enseignants dans leur
ensemble, qui ne sont pas des spécialistes de l'informatique mais en sont des utilisateurs dans le
cadre de l'exercice de leur métier : outil pédagogique, évolution de leur discipline dans ses objets et
ses méthodes de par l'informatique, outil de travail personnel et collectif. On est donc face à un
problème de formation initiale et continue des enseignants.
On entend souvent dire que, l'informatique irriguant la vie quotidienne de tout un chacun, les
nouvelles générations, qui baignent dans Internet depuis leur plus jeune âge, n'auraient pas besoin
d'une formation spécifique de nature scientifique et technique. Leurs utilisations d'Internet, dans et
hors l'école, suffiraient. Qu'en est-il exactement ?
Dans le cadre de sa thèse de doctorat, Cédric Fluckiger a réalisé une étude dans un collège
de la région parisienne. Lucas, élève de troisième, pense qu'il est nécessaire d'avoir plusieurs
abonnements à Internet pour accéder à toutes les pages, car les moteurs de recherche proposés sur
les différents portails n'indiquent pas la même liste de sites : « Wanadoo ils ont pas les mêmes
pages. Si je cherche quelque chose, j'aurai pas les mêmes choses dans Wanadoo et dans quelque
part d'autre. (...) Ça change tout, c'est pour ça qu'on en a pris trois différents. » Cet exemple
d'utilisation approximative, qui n'est pas unique loin s'en faut, traduit manifestement une
représentation mentale erronée de l'environnement numérique dans lequel le collégien évolue. Des
pratiques spontanées et sans recul ne suffisent pas à devenir un utilisateur averti. Une bonne
appropriation de notions scientifiques fondamentales est indispensable car elle conditionne une
utilisation rationnelle de l'outil conceptuel qu'est l'ordinateur et la résolution des problèmes
rencontrés au fil du temps présent et à venir dans la société et l'économie numériques. Il faut
relativiser fortement les compétences acquises hors de l'École, qui restent limitées aux usages
quotidiens. Elles sont difficilement transférables dans un contexte scolaire plus exigeant. Les
pratiques ne donnent lieu qu'à une très faible verbalisation. Les usages reposent sur des savoir-faire
limités, peu explicitables et laissant peu de place à une conceptualisation. Pour les élèves, en elles-
mêmes des pratiques sont insuffisantes à permettre une utilisation « intelligente » des outils (3).
L'ambition culturelle de l'Ecole ne peut pas se contenter d'élèves en restant à une simple et
approximative « consommation », sans parler des objectifs de formation de futurs professionnels
avertis, « créateurs » d'informatique, et de citoyens éclairés.
II) Culture générale au XXIème siècle
Les constats précédents illustrent à leur façon la nécessité d'un enseignement de
l'informatique en tant que tel (4). Dans les années 80, les lycées d'enseignement général où existait
une option informatiques donnaient lieu à une plus grande utilisation de l'ordinateur que dans les
autres (cette option alors en voie de généralisation a été supprimée en 1992, rétablie en 1994 puis à
nouveau supprimée en 1998). L'informatique « objet d'enseignement » et l'informatique « outil
pédagogique » sont complémentaires et se renforcent mutuellement. Les statuts éducatifs de
l'informatique sont divers (5).
Si des connaissances scientifiques et techniques en informatique sont une condition de son
bon usage dans les apprentissages des autres disciplines (dont par ailleurs l' « essence », les objets et
les méthodes, évolue de par l'influence de l'informatique), elle doit elle-même faire l'objet d'un
apprentissage. On retrouve là un invariant de l'éducation, à savoir l'évolution de la culture
générale scolaire de par l'évolution de la société. Des disciplines apparaissent, d'autres voient leur
place diminuer, des recompositions s'opèrent au sein des disciplines elles-mêmes. Ainsi les sciences
physiques sont-elles devenues une matière scolaire parce qu'elles sous-tendaient les réalisations de
la société industrielle (or « le monde devient numérique », intitulé de la conférence inaugurale de
Gérard Berry au Collège de France).
Les raisons qui fondent la nécessité d'une discipline informatique sont diverses
(omniprésence du numérique dans la vie quotidienne et les entreprises ; l'informatique représente
30% de la R&D dans le monde (18% seulement en Europe) ect.). Elles correspondent aux trois
missions de l'Ecole : former l'homme, le travailleur et le citoyen. Lors des débats concernant le
nucléaire le citoyen peut s'appuyer sur ses connaissances acquises dans le cours de sciences
physiques ; les OGM sur le cours de SVT. Or le monde devient numérique venons-nous de
rappeler...
Et, concernant le Web 2,0 et les Webs à venir, dans un entretien accordé à Paris Match, le
patron de Free, Xavier Niel, ainsi que Jacques-Antoine Granjon (Vente-Privée) et Marc Simoncini
(Meetic), font état de leur projet d’ouvrir une école qui formerait les jeunes au web. Leur objectif ?
Donner toutes les connaissances liées aux nouveaux métiers de l'Internet, qui pourront mener à la
création du «Google de demain», nous indique le site Maxisciences (6). L'idée de cette nouvelle
école de l’Internet «n’est pas de former une élite, mais des jeunes qui sortent avec des
connaissances utiles pour prendre leur destin en main et trouver un travail dans l’industrie du
web ». En effet, le fondateur de Meetic explique avoir du mal à recruter aujourd’hui. Marc
Simoncini, pour qui « l'Ecole actuelle ne formerait pas assez bien aux nouvelles technologies », "à
tout ce qui vient d’être inventé sur le web», donne l’exemple d’énarques ou autres «gens très
brillants qui dirigent des entreprises» : «ils n’ont rien compris à l’Internet». C'est cela qu'il faut
changer, estiment les trois hommes.
L'on sait l'importance de la précocité des apprentissages. L'on sait également que le lycée est
l'espace et le moment où les élèves construisent leur autonomie intellectuelle et où naissent les
vocations. Les lycéens choisissent d'autant plus une voie par goût aux contenus qu'ils l'ont
effectivement rencontrée concrètement dans leur scolarité ! La pénurie concernant les métiers des
TIC est bien réelle et il y aura de plus en plus de ces professions : il faut absolument agrandir leur
vivier. Et pour cela tirer les enseignements de la période qui vient de s'écouler, à savoir que le choix
fait de la formation au numérique et à l'informatique par la simple utilisation des outils ne suffit pas,
loin de là, et ne permet pas de répondre aux enjeux et défis de notre époque. La teneur de cet
entretien illustre donc à sa manière une des missions fondamentales de l'enseignement scolaire
général qui est, non pas de former des spécialistes, mais d'installer les connaissances qui
permettront leur formation ultérieure. En leur donnant la culture générale de leur époque dont une
des composantes est l'informatique.
Un enseignement de spécialité optionnel « Informatique et sciences du numérique » a été
créé en Terminale S pour la rentrée 2012. C'est une mesure qui va dans le bon sens. Et, conséquence
importante dans la problématique qui nous intéresse, la formation des futurs professeurs pourra
s'appuyer sur un enseignement d'informatique quand ils auront pu en bénéficier au lycée (celle des
enseignants en poste relève de leur formation continue).
III) L'acte pédagogique et les TIC
Sans conteste, le numérique enrichit la panoplie des outils et des ressources à la disposition
des enseignants dans l'exercice de leur métier. Ils peuvent faire autrement ou mieux ce qu'ils
faisaient déjà. Ou faire des choses qu'ils ne pouvaient pas faire auparavant. L'acte pédagogique a
tout à gagner à une utilisation raisonnée, maîtrisée, circonstanciée du numérique. Les apports sont
évidents et bien connus, d'Internet aux applications spécifiques en passant par le traitement de texte
(« Ecrire c'est réécrire » est un exemple particulièrement éclairant (7)). Toutes les démarches s'y
retrouvent, le tableau numérique utilisé par l'enseignant aussi bien que le logiciel permettant une
individualisation de l'apprentissage, le travail personnel et le travail en groupe... dans le cadre de la
liberté pédagogique de l'enseignant. La classe évolue, le système éducatif aussi, à l'instar des
administrations et des entreprises qui intègrent l'informatique au service de leur propre
fonctionnement.
Tout cela est bien connu, et reconnu ! Mais, si beaucoup de choses changent et changeront,
qu'en est-il de la pédagogie et de ses fondamentaux ? De ses invariants qu'il faut avoir à l'esprit
quand on imagine des scénarios pour l'avenir ? Ainsi que l'existence de cycles dans l'histoire des
technologies. Par exemple, au début du XXe siècle, des firmes américaines soutenaient-elles déjà le
développement de l’éducation par correspondance avec des arguments quant à sa capacité à offrir
un apprentissage débarrassé de la contrainte du lieu et du temps, et plus individualisable. Le résultat
a été une énorme banqueroute. Les plates-formes d’enseignement à distance ont fait resurgir les
questionnements des débuts de l’enseignement assisté par ordinateur, autour de l’analyse
automatique des réponses des élèves et de parcours individualisés qui en résultent (8).
Où va-t-on ? Jusqu'où ira-t-on ? Quid de la pédagogie, le métier de l'Ecole, et de son cadre
institutionnel, le système éducatif, dans le contexte du développement et de l'intégration du
numérique ? Si assurément le numérique
modifie le paysage pédagogique et a, et aura, des
implications sur les institutions éducatives, pour autant peut-on conjecturer des changements
radicaux ressemblant à un changement de nature de l'acte éducatif (9) ? Ou plus simplement un
nouveau contexte enrichi ? Quid, avons-nous demandé, du rôle et de la place de l'enseignant ?
Dans les lignes qui suivent nous rappellerons quelques aspects des questions de la
complexité des apprentissages et de leur dimension « relation humaine », de l'autonomie des élèves,
du rôle de l'enseignant dans l'appropriation des savoirs. Parmi d'autres (l'efficacité pédagogique,
l'évaluation...), elles sont souvent présentes dans les réflexions sur la place des TIC dans l'éducation,
d'une manière explicite ou implicite. Où doit-on placer le « curseur homme-machine » ?
1) La complexité des apprentissages et leur dimension « relation humaine »
Les apprentissages ont des composantes cognitives, physiologiques, psychologiques,
affectives, sociales et bien sûr pédagogiques et didactiques (des contenus et connaissances
enseignés). Le plaisir d'apprendre pour apprendre est décisif (10). La dimension humaine est ô
combien importante. Les enfants ont besoin d'être rassurés. On a tous à l'esprit l'enseignant
remarquable à l'origine du choix d'une discipline et d'un métier. Il arrive même qu'un professeur soit
le sujet d'un amour, platonique mais bien réel ! L'Ecole est un endroit privilégié de la socialisation
des enfants et des adolescents. Le rôle du groupe est essentiel, le groupe classe en premier lieu. On
sait la place qu'occupent le sentiment d'appartenance et la vie de groupe, le plaisir de retrouver les
copains et les copines. De ce point de vue, les élèves ne sont pas des adultes en entreprise avec des
recompositions fréquentes en groupes-projets. Il faut veiller à la stabilité de l'entourage et de
l'environnement, à un bon équilibre dans le temps avec bien sûr des moments de « rupture » qui
aident à lutter contre une monotonie qui peut s'installer. Le numérique ne saurait signifier moins de
présence humaine adulte. Quant à l'enseignement à distance avec les outils modernes, il ne peut
avoir une place qu'exceptionnelle pour la maternelle, le primaire et le collège (enfants malades par
exemple). Le contraire serait irréaliste, et terrifiant. Il suffit de songer aux individus que cela
produirait. Au lycée, il ne peut être qu'un complément limité, concernant des publics particuliers
comme les sportifs de haut niveau.
2) L'autonomie des élèves
Si le Web 2,0 et les TIC sont une bonne propédeutique au travail coopératif que les élèves
rencontreront dans leur vie professionnelle, ils permettent aussi une individualisation des
apprentissages, des démarches fondées sur l'autonomie. L'élève a potentiellement à sa disposition
une multitudes de ressources. Supposé autonome, il peut être censé se fabriquer ses parcours.
L’enseignant perd-il pour autant sa raison d’être ? Non, bien sûr. Médiation et autonomie ne sont
nullement antinomiques. Développer l’autonomie chez les élèves requiert beaucoup de médiation
humaine. On ne peut, sauf à confondre l’objectif final (former une personne autonome) et les
moyens d’y parvenir, laisser l’élève seul avec ses outils, en se reposant sur une autonomie que
justement il n'a pas encore et qu'il est en train d’acquérir. Il est complètement illusoire de penser
s’en remettre à la seule machine. Les nouveaux outils permettent d’enrichir le rôle de l’enseignant
en le diversifiant, non de s’en passer (11). On sait aussi que l'enseignement à distance requiert des
publics autonomes, performants et motivés, qu’il convient mieux à des adultes en formation
continue qu’à des jeunes en formation initiale, à des acquisitions de savoirs et savoir-faire explicites
et directement opérationnels qu’à un enseignement de la philosophie.
3) L'appropriation des connaissances – le rôle du maître
Avec Internet, tous les savoirs et connaissances accumulés par l'humanité, son patrimoine
culturel sont à portée d'un clic. L'on sait les fabuleuses potentialités que cela recèle pour le travail
intellectuel en général, les enseignants et les élèves en particulier. Nous avons vu la nécessité d'une
culture informatique qui permet de procéder à des requêtes efficaces. Mais pour cela encore faut-il
connaître les domaines sur lesquels on recherche. Cette proximité d'informations accessibles,
beaucoup plus que dans le CDI de l'établissement ou dans le manuel scolaire, si elle offre des
possibilités nouvelles, riches et multiples en termes de démarches pédagogiques change-t-elle pour
autant fondamentalement l'acte d'apprendre et son environnement institutionnel ? Etant entendu
qu'il n'est pas question de penser que l'élève refasse lui-même le parcours que l'humanité a
emprunté sur des millénaires.
Le monde est complexe mais il l'a toujours été. Le savoir des autres n'est pas le sien propre.
En être « informé » ne suffit pas. Il faut se l'approprier. C'est la mission du système éducatif. Pour
cela l'élève doit être guidé, accompagné. C'est le rôle immémorial de l'enseignant qui met en place
(implicitement pour les élèves) des situations d'apprentissages fondées sur les didactiques des
disciplines, dans des démarches pédagogiques s'appuyant sur l'environnement et l'expérience des
élèves. Qui aide à mettre en évidence le simple dans le compliqué, dans des cadres disciplinaires
qu'il faut constituer chez les élèves. La réalité est toujours d’un abord assez impénétrable quand on
essaye de la comprendre un peu mieux. À chaque fois l’on se doit d’y mettre un peu d’ordre dans un
premier temps, en identifiant et en isolant des pans fondamentaux de la connaissance, Il faut se
garder d’une entrée précipitée dans le complexe qui négligerait de s’appuyer sur la simplicité de
fondamentaux éprouvés
ou d’une mise en relation prématurée des contenus. Cheminer avec
intelligence dans un réseau est plus difficile que parcourir une arborescence, se mouvoir dans une
structure en arbre moins aisé que d’emprunter un trajet linéaire. Dans les apprentissages,
l’hypertexte ne rend pas caduc le séquentiel, il en renforce au contraire la nécessité.
L’interdisciplinarité n’a de sens que dans un contexte disciplinaire, ce qui suppose l’existence d’au
moins deux disciplines de référence avec une action réciproque. Le temps de l'interdisciplinaire
survient donc quand les champs disciplinaires sont suffisamment installés, ont suffisamment de
substance pour permettre des mises en relation fructueuses. On peut alors mieux montrer dans une
tension créatrice et une approche interdisciplinaire alors féconde les insuffisances respectives des
disciplines et leurs complémentarités.
En mettant l'élève en contact avec une multitude de savoirs, en fait, Internet renforce la
mission traditionnelle de l'enseignant dans un contexte où l'élève est sollicité (« parasité » ?) par
une pléthore d'informations qu'il faut transformer en connaissances maîtrisées.
Autre continuité, permanence, le rôle de la mémoire dans les apprentissages et la
formation des capacités. HL. Dreyfus, observant la façon dont les adultes acquièrent de nouveaux
savoir-faire, propose cinq stades : de la situation de novice à celle d'expert en passant par l'état de
débutant avancé, de celui qui est compétent puis qui maîtrise (12). Si le maître voit ce qu’il faut
faire puis décide de la façon de faire, cela lui demande du temps. Mais, que l’on pense au joueur de
tennis, au pilote d’avion ou au joueur d’échecs pris par le temps, il existe de nombreux cas où celui
à qui l’on reconnaît le statut d’expert (de « grand maître») ne dispose que d’une très petite fraction
de seconde pour décider. Il sait réagir, faire ce qu’il faut faire. Comment procède-t-il exactement ?
Manifestement il n’applique pas de règles, « il ne réfléchit pas ». Il a mémorisé de nombreuses
classes de situations pouvant ne présenter entre elles que des différences imperceptibles. Chaque
classe est décomposée en sous-classes, chacune relevant d’une même décision. L’expert discrimine
parmi des dizaines de milliers de cas particuliers. Quand les événements prennent une tournure non
familière, il doit prendre son temps pour réfléchir : il « régresse» !
On a là un autre invariant dans les apprentissages. Qui ne se confond pas avec la nécessité
de savoir chercher (rapidement) avec efficacité sur Internet des informations dont on a besoin dans
des champs de la connaissance que l'on maîtrise. Les deux s'apprennent avec un indispensable
enseignant !
IV) Un nouveau contexte
En définitive, le numérique entraîne des mutations pour le système éducatif, comme il le fait
dans tous les secteurs de la société. Ces mutations ont un caractère de nécessité. Elles offrent des
possibilités, immenses et nouvelles, à l'institution pour son « métier », à savoir la pédagogie, et
pour son fonctionnement, les deux au service de ses missions fondamentales, former l'homme, le
travailleur et le citoyen, dans les conditions, de la société du XXIè siècle, avec ses potentialités et
ses exigences.
Le Web 2,0, les outils informatiques, les ressources numériques enrichissent la panoplie des
instruments dont l'enseignant dispose pour exercer son métier au service des élèves. Il peut faire des
choses nouvelles, mieux faire des choses qu'il faisait déjà, varier les approches et les démarches...
dans des utilisations maîtrisés et raisonnés de l'ordinateur. Des environnement numériques de travail
se mettent en place qui permettent une continuité des outils et des documents de l’établissement au
domicile, l’organisation de l’accès à des ressources électroniques distantes, la facilitation du travail
coopératif, la mutualisation, l'individualisation aussi. Ces environnements d’apprentissage (de la
maternelle au lycée) modifient le paysage pédagogique. Ils sont faits d'ordinateurs, de logiciels, de
plate-formes, de bureaux virtuels de l’enseignant et de l’élève, de cartables électroniques, de
ressources pédagogiques numérisées, de manuels numériques, d'espaces d'échanges pour des
communautés humaines. Cela étant, l’enseignement reste fondamentalement présentiel, même s’il «
s’hybride » quelque peu. Un nouveau contexte éducatif institutionnel s'installe, avec des élèves en
chair et en os qui viennent dans des classes et des établissement « en dur » pour retrouver leurs
compagnons d'apprentissage et leurs irremplaçables professeurs.
(1) Rapport Fourgous, Réussir l'école numérique, page 115 :
« Les statistiques européennes classent la France au 24e rang au niveau européen (sur 25 pays européens*),
pour ce qui est de l'accès à l'outil, sa maîtrise dans un contexte pédagogique et la motivation des enseignants
(soit un indicateur de 19 pour une moyenne européenne de 38).
Ainsi, les établissements scolaires français se situent au 8e rang européen pour l'équipement en ordinateurs,
au 12e rang pour les connexions en haut débit, mais au 21e rang pour l'utilisation de l'ordinateur en classe
et au 24e rang pour ce qui est de l'usage de l'outil dans un contexte pédagogique. »
* La Bulgarie et la Roumanie n'ont pas participé à cette enquête lancée avant leur entrée dans l'Union en
2007.
http://www.reussirlecolenumerique.fr/pdf/Rapport_mission_fourgous.pdf
(2) Stratégie Nationale de Recherche et d'Innovation (SNRI)
http://media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/SNRI/69/8/Rapport_general_de_la_SNRI_-
_version_finale_65698.pdf
Groupe de travail « Connaissance pluridisciplinaire 4 : numérique, calcul intensif et mathématiques » :
http://media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/Defi_de_connaissance_pluridisciplinaire/97/5/
SNRI2009_rapport_groupe_de_travail_Nummath_65975.pdf
Voir : « Nous avons lu » dans EpiNet n° 129 de septembre.
http://www.epi.asso.fr/revue/lu/l0909q.htm
(3)Voir « Internet et ses pratiques juvéniles », Édric Fluckiger, Médialog n° 69.
http://medialog.ac-creteil.fr/ARCHIVE69/juvenile69.pdf
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a0905d.htm
(4) L'informatique discipline scolaire. Un long cheminement
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1011b.htm
Sur les freins qui accompagnent ce long cheminement, voir les extraits du texte précédent en annexe 1.
L'approche qui consiste à vouloir donner une culture générale informatique par les utilisations dans les autres
disciplines, symbolisée par le B2i, ne fonctionne pas. Voir le rapport Fourgous :
Rapport Réussir l'école numérique, Partie III, II-5-3
http://www.reussirlecolenumerique.fr/pdf/Rapport_mission_fourgous.pdf.
On pourra consulter « Quelques notes de lecture sur le rapport Fourgous : Réussir l'école numérique »
http://www.epi.asso.fr/revue/docu/d1003a.htm.
(5) Outil pédagogique, l'ordinateur enrichit la panoplie des outils de l'enseignant. Il se prête à la création de
situations de communication « réelles » ayant du sens, notamment pour des élèves en difficulté. Il constitue
un outil pour la motivation. Il favorise l'activité, l'initiative, la créativité, etc. L'informatique s'immisce dans
les objets, les méthodes et les outils des savoirs constitués, transformant leur « essence », et leur
enseignement doit en tenir compte. C'est particulièrement vrai pour les enseignements techniques et
professionnels. Et pour les mathématiques, notamment de par l'impact des outils de calcul (dans le cadre de
la pérenne et intrinsèque dialectique démonstration/calcul). Mais, peu ou prou, toutes les disciplines sont
concernées. L'ordinateur est également outil de travail personnel et collectif des enseignants, des élèves et
de la communauté éducative, notamment dans le cadre des ENT.
Voir Ecole, éducation et multimédia, Les Cahiers dynamiques n° 26
http://lamaisondesenseignants.com/download/document/LCD26.pdf
(6) http://www.maxisciences.com/%E9cole/xavier-niel-veut-creer-une-ecole-de-l-internet_art11366.html
(7) Voir annexe 2 Ecrire c'est réécrire
(8) Institutions éducatives et e-formation
http://medialog.ac-creteil.fr/ARCHIVE44/eformation44.pdf
(9) Les appétits de marchandisation de certains secteurs de l’offre éducative produisent des discours en se
sens. Voir (7)
(10) Le plaisir d'apprendre pour apprendre
http://lamaisondesenseignants.com/download/document/plaisirappren.pdf
(11) L'éducation, grand marché du XXIème siècle
http://medialog.ac-creteil.fr/ARCHIVE39/jpa39.pdf
(12) article sur « La portée philosophique du connexionnisme », paru dans l’ouvrage « Les sciences
cognitives». Voir : Des banques de données , dans la tête aussi
http://medialog.ac-creteil.fr/ARCHIVE31/jpa31.pdf
Annexe 1
L'informatique discipline scolaire. Un long cheminement
(extraits)
Un grand classique !
I) Emergence dans la douleur
Contrairement à ce que l'on pourrait penser de prime abord, ce long, tortueux et chaotique
cheminement d'une discipline informatique au lycée ne saurait surprendre. C'est la loi du genre dans
tous les domaines, un grand classique : le nouveau émerge toujours dans la douleur. Et cela ne date
pas d'hier. Déjà, Confucius mettait en garde : « Lorsque tu fais quelque chose, sache que tu auras
contre toi ceux qui voulaient faire la même chose, ceux qui voulaient faire le contraire et l'immense
majorité de ceux qui ne voulaient rien faire. »
Ainsi, au début du XXe siècle, un lobby du courant continu s'évertuait-il à « prouver », force
arguments « scientifiques » à l'appui, que le courant alternatif constituait une impasse. Provocant
mais réaliste, Bernard Stiegler se plait à dire que « si vous demandez aux gens ce qu'ils attendent
des nouvelles technologies, leur première réponse sera : Rien, fichez-moi la paix ! ». Encore
aujourd'hui, il n'y a que sept informaticiens à l'Académie des Sciences, sur 243 membres, alors que,
répétons-le, l'informatique représente 30 % de la R&D dans le monde et qu'elle est une des trois
grandes familles de la science contemporaine avec les mathématiques et les sciences
expérimentales. Dans un mouvement de balancier, la discipline informatique revient (on peut penser
que ce retour est définitif) après la suppression de l'option d'enseignement générale des lycées des
années quatre-vingts. Il s'agit d'un phénomène international, que l'on retrouve dans beaucoup de
pays, développés notamment, aussi bien au niveau des mesures prises que des discours. Les raisons
de ce long cheminement sont donc profondes.
II) Les obstacles au changement sont multiples.
1) Remise en cause d'identités personnelles et professionnelles qui s'incarnent dans des
champs du savoir, des compétences et des savoir-faire. Difficultés objectives à s'approprier de
nouvelles connaissances, surtout quand les fondamentaux de culture générale correspondants ne
sont pas là, quand le contexte économique et social ne favorise pas les évolutions.
2) Plus prosaïquement aussi, la volonté délibérée de ne pas donner aux autres les clés de la
réussite. Parmi ceux qu'on appelle les « passeurs » des TIC, également du côté de certaines sociétés
de service, on peut très bien se satisfaire du manque de culture informatique des autres (ce handicap
les concernant également) et décréter d'une manière péremptoire qu'une telle culture n'est pas
nécessaire. Leurs situations de rentes en seront d'autant plus pérennes, que ce soit pour proposer des
formations à la version n+1 d'un logiciel bureautique ou des solutions d'informatisation dont les
coûts explosent et les délais s'allongent à n'en plus finir, avec des contrats qui en rejettent par
avance la responsabilité sur les clients !
III) Avec ses spécificités, le monde de l'éducation n'échappe pas à ces freins..
1) La massification de l'enseignement engendre des tensions fortes, posant avec acuité la
question des efforts que la nation est prête à consentir pour l'éducation, pourtant le premier des
investissements pour préparer l'avenir, qui plus est dans la société de la connaissance.
2) Il y a la difficulté récurrente à introduire une nouvelle discipline scolaire : à la place de
quoi, formation des enseignants à mettre en place, concours de recrutement à créer, intégration dans
les examens...
IV) L'informatique étant à la fois une science et une technique...
1) la problématique de l'outil est omniprésente, avec cet argument que son utilisation
suffirait à le maîtriser : on peut alors légitiment se demander à quoi servent les enseignements
techniques et professionnels, ainsi que le cours de mathématiques, outil conceptuel au service des
autres disciplines. Maurice Nivat nous invite opportunément à relire André Leroy Gourhan qui nous
a appris que l'outil n'est rien sans le geste qui l'accompagne et l'idée que se fait l'utilisateur de l'outil
de l'objet à façonner [20]. Et d'ajouter : « Ce qui était vrai de nos lointains ancêtres du
Neanderthal, quand ils fabriquaient des lames de rasoir en taillant des silex est toujours vrai :
l'apprentissage de l'outil ne peut se faire sans apprentissage du geste qui va avec ni sans
compréhension du mode de fonctionnement de l'outil, de son action sur la matière travaillée, ni
sans formation d'une idée précise de la puissance de l'outil et de ses limites. »
2) Le thème de l'outil est aussi celui de la technique, de sa place dans la société française, de
celle du travail manuel, du rapport de secteurs des élites de la nation à la science et à la
technique [21]. Combien de fois n'a-t-on pas entendu « Ce n'est qu'un outil » ? Un outil qui ne
devrait pas nous détourner d'objectifs culturels nobles ! Comme si l'outil n'était pas partie intégrante
de la culture humaine depuis la nuit des temps. La science aussi faut-il le rappeler. A ce sujet, si
dans un passé récent le fait que l'histoire-géographie devienne optionnelle en Terminale S (tout en
restant heureusement présente à l'école et dans le secondaire jusqu'à la classe de Première, ce qui
n'est pas encore le cas de l'informatique) a provoqué une légitime émotion, le fait que les
mathématiques deviennent optionnelles en Première L n'a pas fait la une des journaux, c'est le
moins que l'on puisse dire. Deux poids deux mesures.
3) L'informatique présente des aspects techniques. C'est indéniable. David Monniaux fait
justement remarquer qu'elle n'est pas la seule discipline dans ce cas [22]. Il prend le cas des
mathématiques, science de l'abstraction et du conceptuel formalisés qui, cependant, a une grande
part de technique. « Même si, de nos jours, des moyens de calcul informatiques existent, il faut tout
de même savoir faire à la main des résolutions d'équations, des calculs d'intégrales, des
majorations, etc. » Et le français, tel qu'enseigné dans le secondaire, est également largement une
activité technique. En effet, « l'enseignement et la notation portent en bonne partie sur la forme des
textes produits (orthographe, grammaire, et plus généralement expression) et non sur le fond ». La
forme a également beaucoup d'importance dans certaines filières de l'enseignement supérieur. « De
fait, il semble que les entreprises s'intéressent parfois aux étudiants en lettres pour leurs qualités
rédactionnelles... L'idée est ancienne : ne dit-on pas que Charles de Gaulle avait recruté Georges
Pompidou parce qu'il voulait "un normalien sachant écrire" ? ». Quant aux langues étrangères, si
Shakespeare est un « monument » de la culture universelle qu'il faut connaître, « on n'en attend pas
moins d'une personne ayant étudié sa langue une connaissance de l'anglais contemporain, tel que
parlé et écrit en pratique chez les partenaires économiques ». Idem pour le japonais avec « le
vocabulaire et les expressions de la robotique ou des centrales nucléaires et ceux du Dit du Genji.
Les universités ont donc ouvert des filières de langues étrangères appliquées. »
V)La pédagogie est un terrain de débats, voire d'affrontements quant au bien-fondé d'un
enseignement de l'informatique. Rien que de très normal.
1) Les boulangers se divisent sur la façon de faire le pain, les maçons sur celle de monter un
mur... les enseignants sur la façon de faire cours.
2) Au début des années quatre-vingt-dix, le réseau local fut mal accueilli dans certains
cercles de formateurs informatiques des MAFPEN. Au nom de la sacro-sainte pédagogie qui se
serait pleinement satisfaite des postes autonomes, la technique détournant du fondamental à savoir
les usages de l'ordinateur en classe. Étrange myopie qui ne voyait pas que le réseau était en train de
devenir le mode d'existence dominant de l'informatique, offrant qui plus est des potentialités
nouvelles justement sur le plan de la pédagogie (communication, travail collaboratif...). Attitude qui
s'explique en partie par la difficulté objective à former les enseignants sur des environnements plus
complexes. La pièce sera rejouée avec l'arrivée d'Internet : « Internet d'accord mais pour quoi
faire ? ». Alors que dix ans de télématique scolaire avait montré la voie des usages pédagogiques
que l'on pouvait avoir avec un réseau longue distance. On pourrait multiplier les exemples, ainsi le
rejet du LSE par ceux dont la position et le prestige dans l'établissement, de par les services qu'ils
rendaient avec le Basic, étaient menacés par la formation des collègues accompagnant l'arrivée des
ordinateurs dans l'établissement. Et qui pour cela disaient pis que pendre d'un langage structuré
pourtant conçu pour l'enseignement, avec des instructions en langue française.
3) Les débats sont souvent vifs et paradoxaux. La discipline informatique au XXIe siècle
s'inscrit dans les trois missions de l'École, former l'homme, le travailleur et le citoyen, avons-nous
dit d'emblée. Mais quand on parle pédagogie et informatique, il arrive que certains ne voient pas,
par exemple, les potentialités de la programmation, qui favorise l'activité intellectuelle,
l'appropriation de notions informatiques mais aussi des autres disciplines. On constate en effet avec
l'ordinateur une transposition des comportements classiques que l'on observe dans le domaine de la
fabrication des objets matériels. À la manière d'un artisan qui prolonge ses efforts tant que son
ouvrage n'est pas effectivement terminé, un lycéen, qui par ailleurs se contentera d'avoir résolu neuf
questions sur dix de son problème de mathématiques (ce qui n'est déjà pas si mal !), s'acharnera
jusqu'à ce que fonctionne le programme de résolution de l'équation du second degré que son
professeur lui a demandé d'écrire, pour qu'il cerne mieux les notions d'inconnue, de coefficient et de
paramètre. La programmation est un « outil » pédagogique à même de fournir d'autres voies pour la
compréhension des concepts, de proposer des projets coopératifs « vrais » préparant aux modalités
de travail dans l'entreprise. La programmation est également une bonne école de formation à la
rigueur (attention à la virgule mal placée ou à la parenthèse qui manque). Dommage de s'en passer.
Surtout pour de mauvaises raisons comme celle selon laquelle le lycée n'a pas vocation à former des
informaticiens professionnels. Ni des mathématiciens d'ailleurs. Pourtant les élèves font des
mathématiques du cours préparatoire à la classe de Terminale !
4) Certes, la machine et sa puissance peuvent entretenir les illusions. Une requête mal
formulée donne quand même des résultats (mais que valent-ils ?) alors que la feuille peut rester
blanche avec un crayon. On a vu ci-avant la confusion sur les statuts éducatifs de l'informatique,
pour une part conséquence d'identités professionnelles qui ont du mal à accepter les évolutions. Et
l'on a pu constater que l'absence de discipline scolaire, prônée par certains, de par la non
institutionnalisation qu'elle signifiait, facilitait la constitution de prés carrés, de sortes de chasses
gardées pédagogiques où les auto-proclamations sont légions. Comme si la méconnaissance des
algorithmes, de l'interopérabilité ou du modèle OSI était un avantage pour réfléchir sur les sérieuses
questions sociétales du monde du numérique. Mais les esprits évoluent, les choses changent, la
nécessité s'impose et, en définitive, le nouveau se fait sa place, toute sa place.
[20] « L'informatique, science de l'outil », Maurice Nivat
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1003a.htm
Voir aussi : « Machines, outils et informatique », Maurice Nivat
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1004f.htm
[21] Ces préjugés qui nous gouvernent, Gilles Dowek, éditions Le Pommier.
Voir également : « Un chemin initiatique vers l'abstraction », Gilles Dowek
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1009g.htm
[22] « L'informatique, discipline "technique" », David Monniaux, Chargé de recherche au CNRS à
VERIMAG, Grenoble, professeur chargé de cours à l'École Polytechnique
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a0911d.htm
Annexe 2
Ecrire c'est réécrire
Le traitement de texte est pour beaucoup d’enseignants l’outil pédagogique emblématique.
Écrire c’est réécrire : une banalité certes, mais une lourde tâche pour les pédagogues quand ils
veulent que les élèves « revoient leur copie ». Réécriture suppose relecture. Mais les élèves
rechignent à le faire. Quelques annotations de l’enseignant ne suffisent pas. Il obtient souvent au
mieux quelques corrections orthographiques et de ponctuation.
En effet, avec un stylo et sur une feuille de papier, déplacer un mot, une phrase, un
paragraphe, corriger quelques fautes, recopier une nouvelle version issue d’un brouillon vite devenu
illisible de par la multiplicité des modifications... devient vite fastidieux et rédhibitoire s’il n’y a
pas une forte motivation Or, il arrive que les élèves doivent se persuader qu’ils n’ont pas maintenu
le dialogue implicite avec un lecteur (ils ont tu des données...), qu’ils ont insuffisamment fait la
différence entre ce qu’ils voulaient dire et ce qu’ils ont réellement écrit, qu’ils ont mal perçu les
registres de langue...
Avec un traitement de texte, tout change. S’il faut repérer des répétitions ou mettre en
évidence ce qui relève du langage parlé, l’enseignant peut demander de mettre les mots en
caractères italiques. Erreurs, ratures, ajouts ne sont plus insupportables. La reprise est facile. On
échappe à la lourdeur de la réécriture à la main. Une mauvaise graphie ne s’oppose plus à la lecture
par les autres, une écriture illisible de par des troubles de motricité fine n’est plus un obstacle. En
complément d’autres outils (dictionnaire, stylo, grammaire...), l’apport de l’ordinateur est riche et
singulier.
L’ordinateur se révèle être une condition (nécessaire ?) d’existence d’opérations
intellectuelles, en ce sens qu’il en permet effectivement la réalisation en la rendant infiniment plus
aisée, en en supprimant les contraintes « bassement matérielles ». Comme si la portée de l’outil était
d’autant plus grande que son effet est anodin.

Dernière version du 10 février 2011 à 14:06

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Cette page est un recueil de textes de référence discutant de l'enseignement de l'informatique de la maternelle au lycée.