Lettre à Tasca, fin du droit de prêt
Olivier Appollodorus 04/05/00 Je vous copie-colle ce texte, rédigé par Delphine Rieu, que m'a gentiment transmis Eric Derian à propos du prêt gratuit. Au passage, j'ai entendu sur France Inter une journaliste de Libé qui éclaircissait un peu mes idées sur le sujet. Vous trouverez aussi quelques arguments intéressants pour ou contre le prêt payant.
4/5/2000
Trace sur Usenet ici : https://groups.google.com/forum/#!search/droit$20de$20pr%C3%AAt$20livre/fr.rec.arts.bd/ciZrJn7As7I/g9GoE_mr9RIJ
Comme vous le savez sûrement, une pétition est en circulation par
l'entremise
des éditeurs (dont certains de Bande dessinée). Cette pétition demande
l'application du droit de prêt dans les bibliothèques, faute de quoi les
signataires interdiraient le prêt de leurs œuvres.
La situation est plus complexe qu'il n'y paraît. Une directive européenne de 1992 vise à uniformiser la question du droit de prêt dans les pays de l'union. La France, quant à elle, défend depuis longtemps le principe de droit d'auteur. Principe, qu'il n'est d'ailleurs pas question de remettre en cause. Or les droits d'auteur protégent toutes les utilisations des œuvres littéraires et artistiques, y compris celle du prêt. Jusqu'à présent, les bibliothèques échappent à cette obligation, par tradition probablement. Les bibliothèques achètent souvent les livres moins chers (jusqu'à 20%, soit avec une remise supérieure à celle autorisée par la loi Lang : 5%) et ne reversent aucune part de droits d'auteur liée au prêt.
Le problème repose sur l'application de ce droit de prêt. Les signataires de la pétition ont proposé l'instauration d'un droit de 5ff, payable à chaque emprunt de livre, par le lecteur. C'est précisément contre ce type de procédé que nous souhaitons nous élever. L'emprunt de livres en bibliothèque doit rester gratuit pour tous.
Pourquoi un droit de prêt ? (Argumentaire accompagnant la pétition en faveur du droit de prêt.)
1- Est il indécent qu'un auteur envisage d'interdire le prêt de ses livres en bibliothèque ?
Bien sûr que non. La directive européenne de 1992 est explicite : «Le droit exclusif d'autoriser ou d'interdire le prêt ou la location des livres appartient à l'auteur.» Personne ne conteste plus ce point, et notamment pas les bibliothécaires. Mais il va sans dire que ni les auteurs ni les éditeurs ne souhaitent en être réduits à cette extrémité.
2- Est-il indécent qu'un auteur, ou ses ayants droits, exige d'être rémunéré sur le prêt des livres en bibliothèque ?
Il y a cinquante ans, le nombre des emprunts par rapport aux ventes était négligeable. Encore en 1980, ils n'atteignaient pas 60 millions. En 1998, en progression constante, ils dépassent déjà 154 millions. Le chiffre annuel des ventes correspondantes reste stationnaire à 300 millions d'exemplaires. Le nombre de titres augmente, mais les tirages moyens passent de 14 200 à 8 400 exemplaires, entraînant une diminutions corrélative des droits de chaque auteur. C'est la raison pour laquelle auteurs et éditeurs demandent aujourd'hui que les lecteurs «gratuits», qu'il s'agisse de la photocopie, du prêt en bibliothèque ou d'Internet, participent, fût-ce de façon modeste, à l'économie générale du livre.
3- Qu'arrivera -t'il s'ils s'y refusent ?
Cela engendrera évidemment des restrictions au détriment des publications, à commencer par les œuvres des débutants. On en voit déjà les conséquences, désastreuses et probablement irréversibles, dans le domaine des sciences humaines, où une énorme part de la production est aujourd'hui gérée par des entreprises spécialisées, sans travail d'éditions, sans diffusion, et sans droits d'auteurs.
4- Ne risque-t-on pas, en instituant un droit de prêt payant d'écarter des bibliothèques une partie leurs abonnés ?
Au cours des dernières années, les trois quarts des bibliothèques publiques ont institué à leur profit un droit d'inscription payant. Cela n'a pas empêché l'augmentation du nombre des usagers. Rappelons que 40 % de ceux-ci déclarent disposer de «revenu élevé» (ce qui n'implique pas que tous les autres soient des indigents). Une enquête de la SOFRES montrait en 1997 que 67 % des sondés étaient disposés à payer un droit de prêt pour peu qu'augmente le nombre des titres à leur disposition - ce qui est précisément le cas. Après tout, on paie bien, dans les médiathèques, pour emprunter disques compacts et vidéo-cassettes.
5- Vous proposez un droit de prêt de 5 F ou d'un euro par emprunt. N'est-ce pas trop cher ?
On emprunte, en moyenne, 23 livres par an, ce qui établirait la dépense annuelle à 115F, le prix d'un seul livre acheté. Il va sans dire que les bibliothèques, ou les collectivités territoriales dont elles dépendent, devraient payer à la place de tous ceux pour qui une telle dépense serait hors de portée. Rappelons que la consultation des livres sur place resterait entièrement gratuite.
6- La perception et la répartition de ces sommes ne présenteront elles pas d'énormes difficultés pratique ?
Les sociétés d'auteurs existent depuis longtemps. Et, comme on le voit pour la librairie, L'informatique contribue à rendre aisée aujourd'hui, la solution de tels problèmes.
7- Une subvention forfaitaire payée par l'Etat ne constituerait-elle pas une solution plus simple ?
Cela ne résoudrait pas , en tout cas, la question de la répartition. Mais, surtout, ce genre d'aide, à la charge des contribuables, risque d'être en définitive très insuffisante par rapport aux pertes qu'engendre le système actuel.
8- A combien estimez-vous ces pertes ?
Difficile être précis. Mais on peut rappeler que l'édition verse chaque année plus de 1,5 milliard de droits d'auteur.. Si l'on sait que, dans les seules bibliothèques municipales, il y a un livre prêté pour deux livres vendus en tout par les éditeurs, on a une idée des sommes dont sont actuellement privés auteurs et éditeurs.
9- Vous devez toutefois admettre que, tel livre qu'on aurait volontiers emprunté, on ne l'achètera pas forcément s'il n'est plus disponible en bibliothèque.
Et d'autant plus que, comme l'a montré l'enquête officielle de 1994, les trois quart de ceux qui déclarent emprunter de plus en plus de livres reconnaissent qu'ils en achètent de moins en moins. Mais c'est précisément cela qui est un peu inquiétant.
10- Trouvez vous scandaleux que certains auteurs soient disposés à renoncer à un tel droit de prêt ?
Pas du tout. Remarquons toutefois que ce serait bien la première fois que les bénéficiaires d'une loi conçue à leur profit en refuseraient le principe. Mais on ne saurait empêcher un auteur de refuser des droits d'auteur, surtout s'il dispose, à côté, de revenus importants, grâce à la vente de ses livres ou à un emploi fixe. Cela lui donne-t-il pour autant le droit de prêcher la même renonciation à ceux de ses confrères moins bien lotis qui vivent de leur plume ?
Contre Argumentaire:
1-2-3- Est il indécent que l'un des derniers bastions de la gratuité disparaisse ? On pourra arguer que certaines bibliothèques demandent un droit d'inscription, et donc que le service proposé n'est pas gratuit. Cependant, il faut aussi préciser que bon nombre de bibliothèques restent totalement gratuites, cette cotisation étant décidée par l'organisme ou l'association de tutelle, sans en tirer profit. En effet, cette cotisation complète les fonds ou les subventions afin d'acquérir d'autres ouvrages, de les protéger, de les remplacer en cas de vol ou de détérioration, etc. En outre, ce droit d'inscription est souvent dégressif en fonction des revenus du lecteur.
2- Le déclin des tirages (moyenne chutant de 14 200 à 8 700, soit une baisse de 62 % environ) pourrait être mis uniquement en corrélation avec l' accroissement du nombre d'ouvrages : 1983 : 16 000 nouveautés ou rééditions 1995 : 23 436 nouveautés ou rééditions 1998 : 33 638 nouveautés ou rééditions soit une augmentation de 110 % environ ! (chiffres émanant du site du Ministère de la culture)
- Attention, il ne s'agit pas ici de critiquer le nombre d'ouvrages parus,
mais bien de montrer qu'il est peut-être hasardeux d'accuser les bibliothèques de cet état de fait. La photocopie d'ouvrage et la diffusion d'ouvres sur Internet pose en effet problème important qu'il ne faut pas négliger. Il est malheureux cependant d'y associer les bibliothèques, car leur mission est différente.
4- L'appellation «profit» pour une participation au maintien d'une structure est disproportionnée (cf remarque 1). Se référer à des sondages est toujours un peu fallacieux : en effet, affirmer que 40 % des personnes interrogées déclarent des revenus élevés implique aussi que 60 % ne sont pas dans ce cas. Merci de ne pas tomber dans ce piège grossier. L'exemple du paiement pour l'emprunt des CD et des vidéos n'est pas pertinent. D'une part, dans le cas des médiathèques municipales, le fait que le prêt de disques-compacts et vidéocassettes soit payant est arbitraire (le montant, si montant il y a, est décidé et fixé par le conseil municipal). Les médiathèques reversent quant à elle à la SACEM des droit pour la musique diffusée sur place (bornes d'écoute etc.) selon des tarifs décidés unilatéralement et qui ne semblent pas établis officiellement. D'autre part dans le cas des magasins de locations (vidéo ou autres), il y a profit du commerçant et il devient normal, alors, que des droits soient reversés aux auteurs.
5- Instaurer un système de paiement (que se soit 5 F ou autre montant) implique une notion de profit. Dès lors, qu'est-ce qui empêcherait la revendication de cette notion par les bibliothèques, transformant ainsi leur mission de service public en service mercantile (à l'instar des magasins de locations vidéo cités plus haut.) ? La dérive ici est rapide : achat et promotion de livre uniquement «commerciaux», concurrence etc. L'égalité des livres en bibliothèques disparaît aussi, au détriment des «petits» auteurs. En outre affirmer que les collectivités devraient payer à la place des personnes à faibles revenus revient à reconnaître leur existence après l'avoir dénié dans le paragraphe 4. C'est aussi exiger de l'Etat un dédommagement que ces personnes défavorisées n'auraient de toute façon pu honorer, que ce soit tant en achat de livres qu'en droit de prêt.
6- Beaucoup de bibliothèques sont associatives (bénévoles) et/ou ne disposent pas d'un budget et d'une structure suffisamment importante pour une installation informatisée. La mise en place d'un tel système serait très difficile et coûteuse (l'usager serait, encore une fois, le premier pénalisé).
7- La préoccupation de l'Etat étant actuellement de supprimer progressivement les abattements d'impôts sur les droits d'auteurs, il paraît difficile d'envisager qu'il les compense par des subventions (cf également remarque 5) !
8- L'affirmation selon laquelle un livre est prêté pour deux vendus repose sur l'idée que l'on peut comparer les 300 millions de livres vendus avec les 150 millions de livres prêtés en une année. En réalité, rien ne prouve que ces 150 millions de livres aurait été vendus.
9- Ceci est peut être vrai, mais il est probable que la bibliothèque permette aussi «d'essayer avant d'acheter», (ce qui est également un droit). Il est aussi fréquent qu'on offre des livres lus et aimés en bibliothèque.
10- La remarque est grossière et ressemble plus à une assertion d'auteurs ou d'éditeurs accomplis sur le plan financier, usant de propos démagogiques pour rallier les « petits » auteurs à leurs causes. Un rapide calcul permettrait de constater que les gains seraient essentiellement bénéfiques pour les éditeurs et les auteurs à gros tirages. Pour finir, on peut également constater que le mot «profit» est ici enfin lâché. A titre d'exemple, voici quelques chiffres (source canard enchaîné) concernant le fonctionnement de la SACEM (organisme de perception des droits d'auteurs de musique) : Le SACEM gère plus de trois milliards de francs., elle compte plus de 76000 adhérents, dont seul 12000 perçoivent des reversements réguliers, et moins de 2000 personnes de revenus supérieurs au SMIC. Pour assurer cette tache, la SACEM emploie 1490 salariés (soit 1 pour 8 ayant droits réguliers), avec des salaires de cadres avoisinant en moyenne 106000 FF par mois.
Note :Dans tous les cas, les bibliothèques n'ont pas, a priori pour mission
de remplacer la fonction de l'éditeur en ce qui concerne le versement des
droits d'auteur pour un livre épuisé. Un auteur récupère les droits d'une
œuvre dès lors que l'éditeur refuse de la republier.
Proposition (à débattre) d'un décalage d'un an entre la sortie de la première édition de l'œuvre et son prêt en bibliothèque, comme alternative au principe du droit de prêt.
- Le schéma est pris sur le décalage instauré entre le cinéma et la sortie en vidéo, ainsi qu'entre la sortie d'un livre au format d'édition original et le format poche. Personne ici ne vient s'offusquer d'un problème d'inégalité dans l'accès à la culture. Il est reconnu par les auteurs eux mêmes que le succès d'un livre se fait généralement dans les premiers mois de sa sortie. Au delà d'un an, la présence ou non du livre en bibliothèque ne changera plus rien à sa « destinée »
- La gratuité est maintenue dans les bibliothèques, ce qui est la priorité.
- Le livre bénéficierait alors de deux types de sortie (et donc de deux moyens différents d'en parler): la sortie en librairie, puis la sortie en bibliothèque. Cela ne peut qu'être que bénéfique aux intérêts de chacun.
- Le système est bien entendu beaucoup plus simple à mettre en œuvre que celui du prêt payant.
Problèmes possibles:
- livres ayant une durée de vie très limitée: Livres informatiques, annales d'examen. - Les ouvrages à petit tirages pourraient être pénalisés du fait de leur disparition rapide des rayons. Mais la gestion de ce problème revient aux éditeurs (ou aux diffuseurs). Certains règlements peuvent également être mis en place pour ce qui concerne les fins de stock et les livres soldés.
Veuillez trouver ci dessous une lettre type à signer après avoir ajouté vos
nom et prénom et à retourner à l'adresse suivante :
Prêt gratuit - 13 rue Sinard - 16000 Angoulême
A Madame Catherine Tasca, Ministre de la Culture et de la Communication
La question de l'application du droit de prêt en bibliothèque est importante dans la défense du droit d'auteur. Cependant, une récente prise de position de la part d'un certain nombre d' auteurs et du syndicat national de l'édition pourrait avoir comme conséquence l'instauration d'une loi visant à assortir chaque emprunt d'ouvrage en bibliothèques d'une taxe redevable par les lecteurs. Nous, auteurs, vous faisons part de notre désaccord quant à la mise en place d'un tel procédé. Nous sommes opposés à l'implication financière de l'usager des bibliothèques dans la résolution du problème du droit de prêt.