Émission Libre à vous ! du 8 avril 2025

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Titre : Émission Libre à vous ! diffusée sur Radio Cause Commune le mardi 1er avril 2025

Intervenant·es : Isabelle Carrère - Tristan Duval - Pablo Albandea - Florence Chabanois - Isabella Vanni - Julie Chaumard à la régie

Lieu : Radio Cause Commune

Date : 8 avril 2025

Durée : 1 h 30 min

Podcast PROVISOIRE

Page de présentation de l'émission

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : Déjà prévue.

NB : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·es mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription[modifier]

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Isabella Vanni : Bonjour à toutes, bonjour à tous dans Libre à vous !. C’est le moment que vous avez choisi pour vous offrir une heure trente d’informations et d’échanges sur les libertés informatiques et également de la musique libre.
Share Alike, série documentaire sur les licences libres et la création, c’est le sujet principal de l’émission du jour. Avec également au programme une nouvelle chronique d’Antanak et aussi la chronique de Florence Chabanois, « L’espace vacant ».

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Je suis Isabella Vanni, coordinatrice vie associative et responsable projets à l’April.

Le site web de l’émission est libreavous.org, vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou à nous poser toute question.

Nous sommes mardi 8 avril 2025. Nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

À la réalisation de l’émission aujourd’hui, Julie Chaumard. Bonjour Julie.

 Julie Chaumard : Bonjour.

Isabella Vanni : Nous vous souhaitons une excellente écoute.

[Jingle]

Chronique « Que libérer d’autre que du logiciel » d’Antanak[modifier]

Isabella Vanni : « Que libérer d’autre que du logiciel », la chronique d’Antanak. Isabelle Carrère et d’autres personnes actives de l’association Antanak se proposent de partager des situations très concrètes et/ou des pensées mises en acte et en pratique au sein du collectif, le reconditionnement, la baisse des déchets, l’entraide sur les logiciels libres, l’appropriation du numérique par tous et toutes. Je rappelle que le site d’Antanak est antanak.com avec un « k » et que ce sont nos voisines, leur adresse est le 18 rue Bernard Dimey.
Bonjour Isabelle.

Isabelle Carrère : Bonjour Isa. Merci

Isabella Vanni : De quoi vas-tu nous parler aujourd’hui ?

Isabelle Carrère : Aujourd’hui je voulais vous parler, nous voulions parce que j’en ai parlé avec plusieurs personnes, plusieurs membres, adhérents et adhérentes d’Antanak, on voulait vous parler de la liberté des personnes, notamment de la liberté de s’associer.
Je voulais donc faire un petit compte-rendu rapide d’un colloque qui a été organisé le 25 mars dernier par le Conseil Parisien des Associations, au théâtre de la Concorde, en présence d’Anouch Toranian, qui est une élue, adjointe au maire en charge de la vie associative.
C’était intéressant. Le titre de ce colloque était « Associations menacées, démocratie en danger ».
Il y a eu d’abord une description de beaucoup de freins à la vie associative, aux libertés des personnes de se réunir en association pour agir collectivement sur tel ou tel axe de la vie citoyenne. Antanak est une association, l’April est une association, il y en a quand même énormément, il y a 15 000 associations sur Paris, c’est gigantesque.
En tout cas, les associations qui touchent des subventions, sont obligées de signer un truc qui s’appelle le CER, le contrat d’engagement républicain. C’est une affaire qui a été mise en place en 2021, d’ailleurs malgré l’avis négatif du Défenseur du droit de l’époque. Cette obligation-là a mis une couche de contrôle supplémentaire, très conséquente, sur les actions et les activités des associations. Elle vise notamment à empêcher les expressions politiques.
Un deuxième frein, c’est la baisse des financements publics, la transformation des subventions de fonctionnement que nous connaissons depuis plusieurs années, voire décennies maintenant, qui sont donc passées de « subvention de fonctionnement » à « réponse à appels à projets », dans lesquels les associations doivent se tordre pour rentrer dans des cases qui forcent à une soumission aux politiques en cours et induisent de fait une concurrence entre les associations, concurrence qu’elles ne souhaitent pas en général.
Troisièmement la disqualification et le doute sur les actions, les volontés, les acteurices, ainsi que des personnes, d’ailleurs qu’elles soient salariées ou qu’elles agissent bénévolement.
Et puis la quasi mise sous tutelle, engendrée par la demande des institutions, de devenir comme des opératrices de service public en restreignant les choix et les initiatives et nous le voyons bien, notamment dans les toutes les actions que nous avons dans le cadre des permanences d’écrivain numérique public : beaucoup de gens nous envoient des tas de personnes alors que ça devrait, normalement, être un service public qui rende ce service-là.
Donc, des outils sont indispensables de manière à lutter contre la marchandisation des associations et leur mise en concurrence entre elles pour empêcher l’érosion des engagements des citoyens et citoyennes.
On constate, du coup, une peur des contre-pouvoirs que constituent de fait les associations. L’entraide, la solidarité, qui prévalent majoritairement chez les personnes que nous sommes, au sein des assos, ne sont pas très bien vues.
L’État de droit qui est remis en cause, notamment récemment par Retailleau.
La hiérarchie des normes qui est bousculée, la garantie des droits qui risquent ainsi de ne plus être là.
Une vision de plus en plus autoritaire des financements, avec un système redistributif de fonds publics qui montre des glissements, passez-moi le terme, fascisants.
Tous les secteurs sont en risque, féministes, LGBTQIA+, migrants/migrantes, logement, culture accès au droit, etc.
Le 21 mars, il y a eu là le vote d’un amendement qui visait à supprimer le terme même de ESS, Économie sociale et solidaire, qui a pourtant fêté ses dix ans en 2024.
Des préfets qu’on voit s’autoriser de plus en plus à se prononcer contre le droit de manifester, cf. la marche nocturne des femmes [marche nocturne féministe radicale], le 7 mars. Heureusement on a gagné, finalement on a pu mener cette marche nocturne, mais il était moins 2. Ou s’autoriser à demander aux collectivités territoriales de ne pas financer telle ou telle association, par exemple la mairie de Poitiers qui se voit demander, par le préfet, de supprimer une subvention à Alternatiba parce qu’elle dispensait une formation à la désobéissance civile non-violente.
Des attaques régulières contre des créations culturelles, artistiques ou autres, ainsi qu’à des actions militantes humanitaires, par exemple le navire de SOS Méditerranée qui est séquestré et qui doit se réfugier ailleurs.
Les suppressions de plusieurs missions locales qui mettent en danger les jeunes.
Etc.
En fait, malheureusement, la liste pourrait être un peu longue, mais tout ça induit un climat d’autocensure dans les associations, des résignations, des peurs, voire, parfois, une dépolitisation qui s’installe jusqu’au risque d’arrêter d’agir, voire de penser.
C’était donc très intéressant et c’était bien décrit dans cette première table ronde.

Ensuite, il y a eu une deuxième table ronde et là c’était intéressant parce que les personnes étaient censées travailler la question des leviers possibles pour garantir à nouveau la pérennité des libertés associatives. Et là, il y avait beaucoup moins d’idées, il n’y avait pas une grande liste de choses à faire, mais les personnes ont quand même réussi à sortir quelques éléments, tout en répétant à nouveau tous les dangers et les risques que court la démocratie, via ces attaques aux assos.
Par exemple, elles ont cité le fait de repenser les solidarités entre associations, que toutes les associations soient là quand une est menacée, quel que soit son projet, face à un préfet par exemple, et que toutes défendent le pluralisme. J’ai trouvé que c’était assez intéressant parce que, parfois, on voit se cantonner des assos sur des thématiques, par exemple les assos qui ont un lien sur la question de l’écologie, sur telle et telle chose, sur les migrants, sur le logement, mais c’est rare qu’on ait une vraie interdépendance associative, ça devrait pourtant être le cas.
Ensuite, un deuxième point qui a été cité, c’est la question du « management », entre guillemets, au sein des associations, revoir leur gouvernance de manière à ce qu’on évite de calquer dans les assos les choses qui sont faites dans les entreprises et sur le mode libéral et ça n’est pas gagné. Je crois qu’il y a quand même beaucoup d’associations qui fonctionnent avec un management vertical.

Isabella Vanni : Ça dépend aussi de la taille.

Isabelle Carrère : Oui, ça dépend de la taille, mais est-ce que parce qu’on est gros on a absolument besoin de verticalité, ce n’est pas sûr, je suis pas sûre. En tout cas, je trouve que c’est intéressant de se poser la question puis de réfléchir à comment bouger.
Une troisième chose était affirmer la contributivité des associations à l’intérêt général, vraiment l’affirmer fort et pas simplement être là avec « on essaye de donner des réponses à des commandes publiques qui font devenir, du coup, des auxiliaires ».
Exiger la coconstruction des politiques publiques pour changer les règles du jeu.
Supprimer tout ou partie du CER, donc le contrat d’engagement républicain, en tout cas les interprétations qui en sont faites trop souvent.
Demander que l’intérêt général prime sur l’ordre public, contrairement à ce que dit le droit actuellement, et soutenir les plaidoyers sur le politique de manière à ce que les associations qui manient et travaillent sur ces sujets-là soient libres là-dessus.
Et puis une idée forte : que soit remis en cause le principe de gestion des subsides. Et là, du coup, l’idée c’était de dire : plutôt que ça soit uniquement traité par des élus et élues, comment pourrait-on imaginer une cogestion, avec des acteurices variées, des personnes désignées par tirage au sort, que sais-je, ce qui pourrait ainsi faire en sorte que la vision de l’argent public soit repensée dans tous les territoires et que, du coup, ce ne soit pas simplement des élus qui disent « on va donner de l’argent à telle ou telle asso, tel montant », etc., mais plutôt des gens d’un horizon plus large. J’ai trouvé que cette proposition était bien intéressante, surtout quand on sait que la Commission européenne est en train de se préparer à rajouter encore une nouvelle strate de contrôle sur les subventions.
Dans ces tables rondes, et après ça sera la fin de mon de mon sujet, il y avait évidemment une thématique qui n’avait pas été abordée, j’étais très surprise, du coup j’ai posé une question bien sûr là-dessus : c’était celle du numérique, c’est-à-dire l’utilisation qui est faite des voies dites dématérialisées, mais on sait qu’elles ne le sont pas, pour tous les échanges désormais avec les pourvoyeurs/pourvoyeuse de fonds publics, toutes les plateformes sur lesquelles les assos doivent déposer des dossiers avec des documents joints, sans aucune transparence sur ce qui est fait de ces informations, de ces données, les comptes, les pièces d’identité des membres des bureaux, les rapports divers et variés, en fait on ne sait pas comment tout cela est traité. Et puis aussi l’obligation de participer à des réseaux, peu libres, et de s’intégrer de force, ou quasi, sous peine de n’être plus subventionnées, dans des écosystèmes qui ne correspondent pas toujours à l’action ou au principe des associations.
J’ai posé la question, mais je n’ai pas eu trop de réponse. On m’a dit « oui, en effet, la transparence des données, c’est un grand sujet », et puis rien ! Mais bon, peut-être n’avaient-ils pas eu le temps de réfléchir !
Parmi les gens qui étaient là, il y avait donc le Conseil Parisien des Associations, il y avait des membres du Collectif des associations citoyennes, du Mouvement associatif et il y avait la présidente de la LDH, la Ligue des droits de l’Homme.
Assez intéressant.

Isabella Vanni : Merci pour ce compte-rendu. Je t’en prie, Isabelle, continue à poser des questions et on se revoit le mois prochain.

Isabelle Carrère : Absolument, avec plaisir, merci beaucoup.

Isabella Vanni : Merci. Nous allons maintenant faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Isabella Vanni : Après la pause musicale nous parlerons de Share Alike, la série documentaire consacrée aux licences libres et à la création.
Pour l’instant, nous allons écouter Reflecting Pool par Mr Smith. On se retrouve dans environ deux minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Reflecting Pool par Mr Smith.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Isabella Vanni : Nous venons d’écouter Reflecting Pool par Mr Smith, disponible sous licence libre Creative Commons CC By 4.0.

[Jingle]

Isabella Vanni : Passons maintenant au sujet suivant.

[Virgule musicale]

Share Alike, la série documentaire sur les licences libres et la création[modifier]

Isabella Vanni : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui porte aujourd’hui sur Share Alike, une série documentaire qui porte sur les licences libres et la création, produite par le collectif Lent ciné. Nous avons le plaisir d’en parler avec nos personnes invitées, Tristan Duval qui est au studio avec moi. Bonjour Tristan.

Tristan Duval : Bonjour.

Isabella Vanni : Et avec Pablo Albandea, de Lent ciné lui aussi, qui nous rejoint à distance. Bonjour Pablo.

Pablo Albandea : Bonjour.

Isabella Vanni : Tout le monde est là.
N’hésitez pas à participer à notre conversation au 09 72 51 55 46 ou sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ».
Toutes références de l’émission seront rendues disponibles sur la page consacrée à l’émission du jour, libreavous.org/242.
On démarre traditionnellement notre sujet principal en demandant à nos personnes invitées de faire une courte présentation personnelle, environ une minute. Je te laisse commencer Tristan.

Tristan Duval : Je m’appelle Tristan. Je fais de l’art libre, un peu largement, c’est-à-dire beaucoup de vidéos mais aussi de photos, un petit peu de dessin, un petit peu de musique, depuis un petit moment maintenant. J’ai découvert les licences libres il y a une quinzaine d’années, je les utilise + + depuis 12 ans, peut-être, et j’en fais la promotion depuis 12 ans.

Isabella Vanni : Très bien. Pablo.

Pablo Albandea : Je m’appelle Pablo. Je suis vidéaste, je travaille pas mal dans les milieux du théâtre et du cinéma. J’ai aussi une pratique personnelle, je fais des films que je place sous licence libre aussi. Je fais aussi de la performance audiovisuelle. À part ça, je fais partie de Lent ciné pratiquement depuis les débuts.

Isabella Vanni : On va découvrir ensemble ce qu’est le collectif lent ciné.
Pablo, tu es à distance, je ne peux pas te voir, je ne peux pas te faire signe, du moins visuel, du coup, si tu veux prendre la parole, n’hésite pas à m’appeler, Isa, j’essaierai de distribuer la parole, mais tu prends la parole quand tu veux.
On va justement parler un petit peu de ce collectif Lent ciné, vous en faites partie tous les deux. De quoi s’agit-il ? Quand est-il né ? Pourquoi ? Qui veut commencer ? Qui veut se lancer ?

Tristan Duval : Je vais peut-être me lancer parce que j’étais là un tout petit peu avant Pablo.
En fait, avant ce collectif, il y avait un autre collectif qui s’appelait Les objecteurs de croissance de Lille, où on parlait et on mettait en avant la décroissance.

Isabella Vanni : Ce n’était pas sur l’art, c’était un tout autre sujet.

Tristan Duval : Voilà, ce n’était pas sur l’art. On organisait plein de choses, dont des évènements un peu culturels. À Lille, il y a un cinéma qui s’appelle l’Univers, un cinéma associatif où on faisait des projections depuis très longtemps, on a diffusé des films pendant quelques années et on s’est dit « on a diffusé tout ce qu’on trouve intéressant, si on commençait à faire ». On a donc acheté une caméra, on a acheté un micro et on a commencé à tourner un film sans savoir comment faire, juste comme ça, parce qu’on avait envie. Ce film est sur Les déboulonneurs de Lille. On les a suivis pendant un petit moment jusqu’à leur procès en 2015.

Isabella Vanni : Tu peux nous donner un peu de contexte.

Tristan Duval : Le film s’appelle Et vos rêves ?, ça suit les déboulonneurs. Les déboulonneurs, ce sont celles et ceux qui vont barbouiller les panneaux de publicité, taguer tout ça pour contester la surconsommation et la surabondance de publicité dans l’espace public. Le but de cette association, c’était d’avoir des procès pour en faire des tribunes politiques. On les a donc filmés, on les a suivis, on en a donc fait un film qui s’appelle Et vos rêves ?. Après ça on s’est dit « on aime bien, si on continuait ». On a créé une espèce de sous-collectif au sein de cette association qui est devenu Lent ciné. L’autre association est décédée, elle est morte, elle n’existe plus. En 2016, ou en 2018, je ne sais plus. Pablo, c’est en 2018 qu’on a créé l’association ?

Isabella Vanni : Il y a une dizaine d’années.

Tristan Duval : En 2018 et, depuis 2017, on a créé un festival qui s’appelle Nos Désirs sont Désordres. C’est à ce moment-là que Pablo nous a rejoints parce qu’on a diffusé un de ses films pendant ce festival. Je te laisse la suite Pablo.

Isabella Vanni : Juste une question. Ça veut dire que quand avec cette sous-association qui, après, est devenue Lent ciné, vous avez commencé à réaliser, en fait vous ne connaissiez rien, vous n’aviez pas forcément en tête de faire de ça une passion durable, c’était juste l’envie de le faire.

Tristan Duval : C’était une envie de le faire, oui. C’est très marrant parce que ça se voit. C’est-à-dire qu’il y a plein de choses super moches. Il y a de l’envie, ça existe, mais, d’un point de vue technique et tout ça, il y a plein de choses qui sont moches, le son n’est pas terrible, mais ça existe et c’est super.

Isabella Vanni : On peut encore le voir ?

Tristan Duval : Oui. Et vos rêves ? est notamment sur HorsCiné, on en parlera après peut être.

Isabella Vanni : Très bien. Pablo, tu veux continuer l’histoire ?

Pablo Albandea : Je vais continuer. En effet, je venais d’arriver à Lille à ce moment-là, donc en 2017, j’ai vu passer ce festival, Nos Désirs sont Désordres, c’était la première édition, organisée par un collectif qui s’appelle Lent ciné. Du coup, j’ai postulé, j’ai envoyé un mes films qui s’appelle Sur la terre et mon film a été retenu, donc j’ai participé à ce festival pour présenter mon film. Suite à ça, j’ai rencontré les membres de Lent ciné à cette époque-là, j’ai décidé d’aller à une AG du collectif et c’est comme ça que j’ai rejoint ensuite l’association parce que ce qu’ils faisaient me plaisait bien. Il y avait notamment cette question de projeter des films qui étaient plutôt politiques, puisque Nos Désirs sont Désordres est un festival sur le thème de la critique sociale de manière assez large. En plus de ça, quand je suis allé à la première réunion, la question du Libre a été abordée assez rapidement. Du coup, quand j’ai débarqué là-dedans, c’est vrai que je ne connaissais pas grand-chose au Libre, encore moins au Libre appliqué au domaine artistique. J’avais déjà entendu parler du Libre dans le monde du logiciel parce que j’utilisais ça régulièrement, j’utilisais GNU/Linux à cette époque-là, c’était quelque chose dont j’étais plutôt familier, mais je découvrais les licences libres appliquées au monde de l’art.
J’ai donc rejoint le collectif et on a continué comme ça. J’ai pris part à l’organisation des festivals et, petit à petit, on a continué à développer ces questions-là, ces questions du Libre, notamment du Libre dans les domaines artistiques, pas seulement les domaines du film et de l’audiovisuel, mais, plus largement, dans les domaines artistiques. On s’est retrouvé, petit à petit, à un moment, à porter l’association uniquement avec Tristan, tous les deux. Donc, pendant un moment on a porté l’association un peu tous les deux et on a eu un peu la liberté aussi, comme ça, de mener un peu les projets qu’on voulait.

Isabella Vanni : C’est toujours le cas ? Vous êtes toujours deux ?

Tristan Duval : C’est toujours le cas, il y a des gens qui gravitent, mais nous sommes deux.

Isabella Vanni : Disons que vous êtes un peu le noyau, mais vous êtes ouverts, éventuellement, à d’autres collaborations. Je demande parce que, peut-être que parmi les personnes qui nous écoutent, ça donne envie à d’autres personnes de faire des choses.

Tristan Duval : Ça fait longtemps qu’on se dit « il y a des gens qui partent mais personne n’arrive, c’est un peu dommage » mais on s’est rendu compte que le cinéma alternatif, on va dire, c’est une niche, le Libre c’est une niche, mais alors, le cinéma alternatif libre, c’est la niche de la niche !

Isabella Vanni : Je comprends.
Pablo disait qu’il a découvert les principes du Libre appliqués à l’art ou, plus spécifiquement au film, en participant aux réunions, aux assemblées générales de Lent ciné. Du coup, ça veut dire que ces principes étaient déjà dans le collectif et je suis curieuse de savoir comment ces principes sont arrivés, par quel biais. C’était toi, par exemple, Tristan ?

Tristan Duval : Oui, notamment. En fait, quand on a fait ce premier film, s’est posée la question de la musique. J’utilisais déjà depuis un moment GNU/Linux, j’avais déjà tout ça en tête, mais au moment de mettre de la musique dans le film, eh bien nous nous sommes tournés vers de la musique libre. Après on s’est dit « on met de la musique libre, ça fait donc sens qu’on mette aussi le film sous licence libre ». En réfléchissant à ça, notamment avec la question de ce lieu, le cinéma l’Univers où on projetait des films, on s’est dit « en fait, on va aussi projeter des films libres ». Donc, de fil en aiguille, c’est devenu de plus en plus large et c’est aussi comme ça qu’on en est venu à se dire qu’un des buts de l’association c’était aussi de faire la promotion du Libre, notamment dans les domaines artistiques, mais pas que. C’est comme ça que sont nés deux autres projets à partir de 2018, qui sont Share Alike, mais aussi HorsCiné qui est une plateforme de films libres. En fait, quand on discutait avec des personnes qui font des films sur le Libre, ça manquait d’incarnation, les gens ne comprenaient pas ce qu’était un film libre, ni ce que c’était le Libre en général et le Libre appliqué aux films. Est-ce que c’était une catégorie de films ? On s’est donc dit que ça pouvait être intéressant d’avoir un endroit où il y ait plein de films libres pour montrer la diversité du cinéma libre, pour montrer aussi qu’il y a des films auto-produits avec deux euros et des films avec des plus gros budgets, que c’était très large, qu’il y avait de la fiction, du documentaire, des films expérimentaux.

Isabella Vanni : Ces films que vous avez collectés sur la plateforme HorsCiné sont des films faits par vous, par d’autres personnes ? Comment les avez-vous trouvés ? Comme tu disais, c’est assez confidentiel comme monde, peut-être que c’est plus facile de se retrouver entre adeptes, mais je voudrais savoir comment vous trouvez ces films.

Tristan Duval : Comme on avait le festival, on a lancé des appels à films, des gens répondaient. Dans ce premier festival, on a invité quelqu’un qui a montré un film, qui s’appelle Yannick, qui fait partie d’un collectif qui s’appelle Synaps où ils font des films, et ils travaillent notamment cette question du Libre depuis longtemps. Synaps fait lui-même partie d’un réseau qui s’appelle le réseau d'ailleurs, un réseau de cinéma alternatif francophone, on va dire. Donc, de fil en aiguille, on a découvert plein de gens qui faisaient plein de choses et qui mettaient aussi leurs films sous licence libre. On a aussi beaucoup cherché sur Internet et, de fil en aiguille, on tombe sur quelque chose, on tire un fil et, au bout d’un moment, on a une connaissance large.

Isabella Vanni : Combien y en a-t-il maintenant, à peu près ?

Tristan Duval : Sur HorsCiné, il y a un petit compteur en bas, il y en a 311.

Isabella Vanni : C’est énorme !

Tristan Duval : C’est énorme et on en a beaucoup d’autres, il faut qu’on visionne tout ça. Sachant que sur HorsCiné il y a des films sous licence libre et des films du domaine public, donc en fait il pourrait y en avoir déjà des milliers.

Isabella Vanni : Vous avez dit tous les deux qu’avant de vous poser la question de quelle musique utiliser, les licences, etc., vous étiez déjà tous les deux sur des logiciels libres au niveau personnel. Pablo, comment es-tu tombé dans le logiciel libre ?

Pablo Albandea : Je pense que ce n’est pas très original. J’ai grandi dans un petit village, du coup, quand j’étais jeune, on n’avait pas énormément de choses à faire et, avec toute une bande de copains, à l’époque on utilisait beaucoup les ordinateurs, on jouait beaucoup aux jeux vidéo, donc je suis un peu tombé là-dedans. Et, de fil en aiguille, on s’est mis à découvrir ce qu’était le Libre, ce qui correspondait plutôt aux valeurs politiques qu’on aimait bien, qu’on aimait à l’époque. C’est un peu comme ça que nous nous sommes mis à chercher, à fouiller, à regarder comment fonctionne GNU/Linux, à apprendre à coder très vite fait.

Isabella Vanni : Un peu de développement aussi.

Pablo Albandea : Oui, vraiment des rudiments on va dire.

Isabella Vanni : Pour s’amuser, pour avoir la satisfaction de dire je peux le faire.
Du coup, c’était des recherches sur Internet ? Peut-être aviez-vous aussi des associations, des structures dans votre coin ou tout s’est fait un peu à distance ?

Pablo Albandea : Pas vraiment. Tout s’est fait plutôt entre nous. On se retrouvait et on pouvait passer plusieurs jours ensemble à chercher des choses, à jouer et à installer des choses et des logiciels libres. C’est vrai qu’on n’avait pas énormément de structures, mais c’est aussi le fait de grandir vraiment à la campagne, loin de tout. À cette époque-là, nous étions ados.

Isabella Vanni : Je demande, parce qu’en France on a la chance d’avoir énormément d’associations de promotion du logiciel libre. Vous pouvez d’ailleurs retrouver l’annuaire de ces associations, il n’est pas forcément exhaustif, sur agendaduibre.org.
Et toi, Tristan, comment est né cet amour pour le logiciel libre ?

Tristan Duval : C’est né du fait que j’aimais bien bidouiller, j’utilisais des logiciels pour faire du montage, Photoshop, tout ça, et en fait, à un moment, j’en avais marre de pirater, je me suis donc demandé « qu’est-ce qui existe ? », j’ai regardé et j’ai trouvé, j’ai trouvé ça super, je pense que j’ai d’abord utilisé ça sous Windows. J’avais des PC qui vieillissaient, qui ne marchaient plus sous Windows, donc je les ai passés sous GNU/Linux, j’ai vu que c’était super, que ça leur redonnait une deuxième jeunesse et, après, j’ai passé même mes PC pas vieux sous GNU/Linux et j’ai dit « waouh ! C’est formidable, on peut faire vraiment beaucoup de choses et beaucoup plus rapidement. »

Isabella Vanni : J’ai oublié de vous demander si le festival Nos Désirs sont Désordres existe toujours.

Tristan Duval : Là, il est un petit peu en pause. Nous sommes deux, nous faisons plein de choses et organiser un festival à deux, c’est moins marrant. Là on est sur Share Alike à fond, l’idée, après, c’est de lancer un appel à participation et, s’il y a des gens qui veulent participer, on organisera à nouveau une édition de ce festival.

Isabella Vanni : Si vous nous écoutez, ce festival se passe à Lille.

Tristan Duval : À Lille, oui. Après, il y a plein d’idées. Ce festival est un festival de films libres, il peut y avoir une édition à Lille et des éditions ailleurs, c’est ça qui est pratique. Il peut y avoir des éditions dans plusieurs villes la même année puisque, si la programmation est faite, il peut essaimer.

Isabella Vanni : Vous avez entendu. Si vous avez envie de faire quelque chose pour le cinéma indépendant et libre, vous pouvez toquer à la porte de Lent ciné.
Maintenant, on va passer au sujet principal de l’émission, le gros projet sur lequel vous travaillez en ce moment qui est cher Share Alike,. Donc présentation de Share Alike, je ne sais pas qui veut se lancer. Pablo peut-être et Tristan complètera.

Pablo Albandea : Oui. Je vais présenter Share Alike.
Share Alike est une série documentaire en neuf épisodes, qui est en train de sortir en ce moment même. Un épisode sort chaque lundi, donc, là on en est au troisième épisode de la série.
Le principe de ce projet c’est que nous sommes allés suivre des artistes et des travailleurs et travailleuses de l’art qui utilisent des licences libres pour créer, dans les domaines de la création, pour créer ou pour diffuser leurs œuvres. Et, plus largement, ça parle du système du droit d’auteur, comment il fonctionne et comment on pourrait le remettre en question. On va donc à la rencontre de personnes qui essayent de faire autrement, qui essayent de trouver des alternatives au système du droit d’auteur. Les épisodes durent environ un quart d’heure, entre 15 et 20 minutes et, dans chaque épisode, on suit un artiste ou un collectif différent.

Isabella Vanni : Tu dis « remettre en question le droit d’auteur ». Je ne suis pas juriste, je peux rappeler un petit peu ce que ça veut dire, surtout ce que ça veut dire en France.
En droit d’auteur, il y a la paternité de l’œuvre, on est lié à l’œuvre qu’on a créée et c’est inaliénable, c’est-à-dire qu’on est lié à l’œuvre pour toujours. Après, il y a aussi les droits patrimoniaux. Le droit d’auteur donne le droit, justement, de commercialiser son œuvre et si quelqu’un veut faire quelque chose avec cette œuvre il faut demander l’autorisation.
Donc, par principe, c’est quelque chose qui interdit de faire des choses avec une œuvre, sauf si l’auteur donne l’autorisation pour le faire. Les licences libres, à contrario, n’interdisent pas, mais elles donnent des libertés, elles donnent des autorisations, Du coup, quand tu dis « remettre en question le droit d’auteur », je me pose une question, parce que les licences libres s’appuient justement sur le droit d’auteur, pour, finalement, faire autre chose d’une œuvre.
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Vous avez posé cette question. J’ai visionné presque tous les épisodes et j’ai remarqué que la différence entre droit d’auteur, licences libres, le terme horrible, fourre-tout, de « propriété intellectuelle », on l’appelle fourre-tout parce qu’il met dedans le droit d’auteur, les brevets, les marques déposées, c’est n’importe quoi. D’après ce que j’ai vu, j’ai l’impression que tous les artistes que vous avez interviewés n’avaient pas forcément une vue bien claire de la différence. Des artistes disaient même « on publie sous licence libre, mais on ne sait pas ce que ça veut dire ! ». Tristan, qu’est-ce que tu tires de ça ?

Tristan Duval : Avec la série, l’idée n’était pas juste d’interroger des gens qui savent, mais aussi des gens qui ne savent pas, des gens qui s’interrogent, des gens qui essayent. En fait, tout ça est hyper-compliqué. On voulait aussi que cette série soit le reflet de ça : c’est hyper-compliqué.

Isabella Vanni : C’est compliqué de se renseigner.

Tristan Duval : C’est hyper-compliqué de comprendre, mais c’est aussi hyper-compliqué de se renseigner. Par exemple, dans un des épisodes, quelqu’un qui est prof de fac explique que dans les cursus de fac il n’y a pas d’explication poussée de ce qu’est le droit d’auteur. C’est-à-dire qu’on forme des artistes.

Isabella Vanni : Tu parles de facs plutôt orientées art.

Tristan Duval : Orientées art. On forme des artistes, on leur dit « vous allez gagner de l’argent grâce à vos créations », mais on ne leur explique pas le principe du droit d’auteur qui est pourtant le principe qui leur permet de gagner de l’argent. En fait, on ne leur explique pas les règles. On s’est rendu compte que c’est pareil dans la musique, que c’est pareil dans le cinéma. Même les gens qui sont censés savoir, par exemple les producteurs de cinéma, ne connaissent pas les règles. On s’est rendu compte que tout ça est un grand fantasme. Par exemple, sur la question du copyright, des gens mettent des « c » entourés, ©, pour protéger, alors que légalement, en France, ça n’existe pas.
L’idée c’était de montrer que c’est compliqué, mais aussi que c’est fait exprès que ce soit compliqué, parce que ça entretient le flou et ça permet de favoriser toujours les mêmes, les plus puissants qui mettent ces règles en place. On le voit bien en ce moment, par exemple avec la question de l’intelligence artificielle : pirater c’est mal, mais entraîner des IA en siphonnant tout l’art qu’il y a sur Internet, ça va !

Isabella Vanni : On peut piocher librement en se fichant complètement du droit d’auteur, comme par hasard.

Tristan Duval : Avant, pirater c’était voler, mais pour l’IA, ça va, utiliser le studio Ghibli alors que lui-même a dit qu’il trouve que l’intelligence artificielle c’est horrible, ce n’est pas grave.

Isabella Vanni : Le studio Ghibli c’est le studio du réalisateur de films d’animation japonais, mais je n’ai plus en tête le nom du réalisateur.

Tristan Duval : Miyazaki, Le Voyage de Chihiro.

Isabella Vanni : J’ai pu visionner les épisodes, j’ai vu que vous avez choisi un format assez spécifique. Déjà, on n’entend pas les questions. Il y a des cartes qui circulent sur des tables, ce sont des cartes avec les questions ?

Tristan Duval : Je commence, Pablo, et tu complètes.
Chaque épisode est découpé en plusieurs parties.
Il y a une première partie qui est un peu un entretien avec les personnes, artistes ou collectifs, des entretiens un peu classiques face caméra où on pose des questions et ils répondent, mais on n’a pas mis les questions. On voulait un peu s’effacer, on ne voulait pas intervenir.

Isabella Vanni : Je précise : on n’entend pas les questions de Tristan et de Pablo. On voit et on entend juste les personnes parler.

Tristan Duval : C’est ça. Après il y a une deuxième partie. Ce sont, en fait, des discussions entre ces personnes et artistes et quelqu’un d’autre, il y a des journalistes, il y a des personnes pas expertes mais qui ont réfléchi sur ces questions, il y a des universitaires. L’idée c’était que ce ne soit pas juste nous. On a des questions à poser, on les pose, mais aussi qu’on élargisse et qu’on fasse se rencontrer différents mondes. Et, dans cette deuxième partie, l’idée c’était qu’on ne pose pas de questions et qu’on intervienne quand même, qu’on puisse quand même intervenir avec des questions qu’on avait notées sur des petites cartes. Pour rassurer tout le monde, l’idée c’était qu’on laisse les gens discuter entre eux, mais, pour être sûrs qu’il n’y ait pas trop de gêne et que, au bout de dix minutes, les personnes n’aient plus rien à se dire, les personnes pouvaient retourner une carte où il y avait des questions, comme ça, ça relançait un peu la discussion.

Isabella Vanni : OK. C’est pour faire en sorte que l’échange soit le plus spontané possible, mais en ayant cette astuce pour, éventuellement, relancer la discussion. Pablo.

Pablo Albandea : C’était ça. C’est vrai que dans la série ce principe de cartes n’est pas particulièrement mis en avant, pour nous c’est un outil.

Isabella Vanni : C’est ma curiosité personnelle.

Pablo Albandea : En effet, comme on ne comprend pas forcément. Dans la série, pour nous, c’était juste un outil qui servait de support à la discussion.

Isabella Vanni : J’ai posé la question parce que j’aime beaucoup le cinéma, du coup je fais un peu attention à tout, donc les cadres fixes, cette astuce-là et il y a aussi des images intercalées de films du domaine public. Par exemple, j’ai vu des petits films de Alice Guy, la première femme et première personne même réalisatrice début du 20e siècle, ou alors des images de tableaux, des photographies et vous avez utilisé aussi de la musique sous licence libre. J’ai trouvé les associations entre images et musiques particulièrement touchantes. J’ai vu ce film des Frères Lumière, des femmes qui sortent d’une usine, à Lyon je crois, avec une musique moderne, contemporaine, ça matche super bien. Je voulais dire c’est qu’on parle de licences libres, mais on parle aussi d’art et de création. Je vous invite vraiment à regarder ces épisodes de Share Alike parce qu’ils sont aussi beaux à voir.

Tristan Duval : Pour compléter et un peu dire pourquoi on a fait ça, l’idée c’était aussi de montrer concrètement ce que permet l’art libre, les licences libres et tout ça. L’idée c’était de remixer plein de choses. Il y a donc des films, il y a des peintures, il y a des photos, il y a des films d’animation. On a pris tout ça et on a recréé des œuvres grâce à ça.
À côté de ça, on a aussi filmé les artistes et les collectifs au travail. On voulait aussi montrer ce qu’est, concrètement, la création en train de se faire, des choses qu’on ne voit pas forcément souvent, c’est-à-dire qu’on nous montre l’œuvre finie, on nous dit : « Regardez, ça c’est un auteur – Waouh ! », mais on ne voit jamais ce qui se passe concrètement. En fait, la création c’est plein de petits gestes et plein de plein de choses qu’on ne voit jamais et on voulait aussi mettre ça en avant.

Isabella Vanni : J’ai oublié de dire que toutes les musiques, photos, etc., que vous avez utilisées sont bien évidemment créditées. Si vous voyez des choses qui vous plaisent, vous pouvez les retrouver et les utiliser à votre tour pour créer autre chose, d’autant plus que, bien évidemment, toute la série est sous licence libre et je crois que vous avez choisi deux licences. C’est ça Pablo ?

Pablo Albandea : Oui, c’est ça. La série est sous licence Art Libre et elle est sous licence Creative Commons Attribution Share-alike, Partage dans les mêmes conditions. C’est d’ailleurs pour cela que cette série s’appelle Share Alike.

Isabella Vanni : Oui, ça aurait été bizarre sinon.
Il est déjà 16 heures 14. Je vous propose de faire maintenant une pause musicale et on reprendra notre discussion. On a aussi reçu une question sur le webchat de l’émission qui concerne à nouveau le droit d’auteur. On va l’approfondir, notamment ce qui concerne la rémunération des artistes, un sujet très important.
C’est Tristan qui m’a suggéré les pauses musicales d’aujourd’hui et ce sont des musiques que vous retrouvez aussi dans les épisodes de Share Alike.
La prochaine musique c’est Gone par Jules. On se retrouve dans moins de deux minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Gone par Jules.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Isabella Vanni : Nous venons d’écouter Gone par Jules, qui est disponible sous licence libre Creative Commons CC By 4.0.

[Jingle]

Deuxième partie 48‘42[modifier]

Isabella Vanni : Nous allons poursuivre notre discussion.
Je suis Isabella de l’April. L’émission Libre à vous ! de ce jour est consacrée à Share Alike, la série documentaire consacrée aux licences libres et à la création. Nous en parlons avec Tristan Duval et Pablo Albandea du collectif Lent ciné qui a produit cette série.
N’hésitez pas à participer à notre conversation au 09 72 51 55 46 ou sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ». Vous pourrez retrouver toutes les références de l’émission sur libreavous.org/242, donc très pratique.
Donc, oui, il y avait une question juste avant la pause musicale, une question que je vous relaie depuis le webchat : est-ce fait exprès que ce soit compliqué le droit d’auteur ?
Déjà, à quoi ça sert en principe et, dans la pratique, est-ce que ça correspond, est-ce que ça satisfait vraiment les objectifs pour lesquels ça a été créé d’après vous, d’après ce que vous connaissez ? Pablo.

Pablo Albandea : Le droit d’auteur est né au 18e siècle, il a été créé notamment au moment de l’invention de l’imprimerie, au moment où on a commencé à pouvoir copier les œuvres et à les reproduire de manière plus importante. Donc, au départ, le droit d’auteur a été créé pour, soi-disant, défendre les auteurs et leur permettre de pouvoir être rémunérés, même si leurs œuvres étaient copiées indéfiniment, et de pouvoir les protéger.
Ça a d’abord été créé plutôt dans le milieu du livre et, au final, c’est quelque chose qui a été créé plutôt par des personnes qui n’étaient pas uniquement auteurs ou autrices, mais par des personnes qui s’occupaient de la totalité de la chaîne de la création, qui allait de la création, de l’écriture du livre, en passant par l’impression puis par la vente.
Le principe du droit d’auteur qui nous parvient aujourd’hui n’a pas énormément changé depuis sa création à ce moment-là. Il n’a jamais été énormément modifié, alors que le milieu de la création a énormément évolué, il a notamment beaucoup évolué à partir de l’arrivée d’Internet. Là, on est passé encore à une autre période de l’art, en tout cas de la reproduction possible : on pouvait s’échanger facilement, reproduire et créer aussi beaucoup plus facilement avec les outils numériques.
On estime, à Lent ciné, que cette avancée technologique aurait pu permettre de repenser le système du droit d’auteur, en tout cas de repenser le système pour que ce soit bénéfique à tout le monde, c’est-à-dire que le public puisse facilement s’échanger et se partager les œuvres et les artistes auraient pu également se rémunérer correctement. Au final, ce n’est pas le choix qui a été fait. Le choix a plutôt été de conserver le droit d’auteur, donc de laisser les artistes, entre guillemets « maîtres de tous leurs droits », donc d’avoir la décision finale sur ce qu’on peut faire de l’œuvre, qui peut l’utiliser et comment. Je dis « entre guillemets » parce qu’aujourd’hui on voit que le système du droit d’auteur appartient assez rarement uniquement à l’auteur. L’auteur possède en effet toujours son droit moral, ce qu’on disait au début de l’émission, on doit attribuer l’œuvre à un auteur et personne ne peut lui enlever, c’est un droit inaliénable. Mais le droit de faire commerce avec son œuvre, donc les droits patrimoniaux, il y a énormément de cas où ce n’est plus l’auteur qui les possède, ce sont souvent les intermédiaires, dans le livre ça peut être les éditeurs, dans les films ce sont les personnes qui font la distribution ou les producteurs, dans la musique ça peut être les maisons de production. Donc les auteurs se trouvent privés de leurs droits patrimoniaux, en tout cas d’une partie de leurs droits et, à ces endroits-là, on voit que le droit d’auteur profite plutôt aux personnes qui font commerce des œuvres et les personnes qui font commerce de leurs œuvres sont très rarement les artistes eux-mêmes.

Isabella Vanni : Je crois me souvenir que, dans un épisode, il y a un cinéaste, Joseph Paris, qui dit, à un moment, « je préférerais mettre tout sous licence libre, mais, pour vivre, j’ai accepté de faire un documentaire qui est passé 40 fois sur une chaîne française et j’ai perçu 2 000 euros de droits d’auteur. J’aurais préféré avoir 2 000 euros en plus pour la rémunération de mon travail, plutôt que de les avoir comme une rente qui est pratiquement nulle et permettre à tout le monde de pouvoir l’utiliser. » C’est l’épisode qui est sorti hier.

Tristan Duval : C’est l’épisode qui est sorti hier. Il dit aussi dans cet épisode que les industriels viennent toujours défendre les auteurices au moment où ils veulent avoir plus d’argent. Par exemple, on a régulièrement des attaques contre le domaine public. Quelqu’un fait une œuvre, en France, 70 ans après la mort de cette personne, n’importe qui peut utiliser cette œuvre, en faire commerce, remixer et ainsi de suite, ce qu’on a notamment fait dans cette série. En fait, je ne sais plus comment il s’appelle celui qui fait de la musique électronique partout dans le monde, notamment en Chine.

Isabella Vanni : Je suis sûre que Pablo l’a sur la pointe de la langue.

Pablo Albandea : Jean-Michel Jarre.

Tristan Duval : Merci. En effet, Jean-Michel Jarre, un peu le big boss des Sacem mondiales, va régulièrement sur les plateaux radio, télé, dire « en fait, pour rémunérer les artistes, il faudrait qu’on supprime le domaine public, qu’on se fasse de l’argent grâce au domaine public, comme ça, ça permettra de financer la création, donc de financer les artistes. » Dans la série, plein de chiffres sont donnés au fur et à mesure. Par exemple, je crois que dans l’édition 3 % des personnes qui sont éditées vivent de leur création. En fait, dans chaque domaine, c’est un chiffre ridiculement minuscule de personnes qui vivent de leur création, mais les industries évoquent toujours la défense de ces personnes-là pour aller chercher encore plus et pour détruire encore plus de droits.

Isabella Vanni : Est-ce que vous vivez de votre œuvre, Tristan, Pablo ?

Tristan Duval : Pas du tout. Justement, c’est intéressant aussi. Dans cet épisode-là, Joseph fait de la street photo, il va prendre des choses en photo dans la rue et il parle du fait que c’est quelque chose d’amateur au sens d’aimer faire les choses.

Isabella Vanni : Oui, j’ai beaucoup aimé ce passage, la vraie origine du mot.

Tristan Duval : Moi je considère que les créations que je fais ne seraient pas pareilles si je gagnais de l’argent avec. Ce côté de n’avoir aucune obligation de faire les choses, c’est aussi ce qui me donne envie de les faire.

Isabella Vanni : Je crois qu’il y a aussi une chanteuse qui dit ça à un moment.

Tristan Duval : Oui. Claustinto dit ça. Elle a eu une intermittence pendant quelques années et, en fait, elle dit que ça ne l’intéresse pas parce que c’est trop compliqué, que ça casse un truc, elle préfère donc faire ça sans que ce soit son moyen de subsistance principal.

Isabella Vanni : Du coup, ça devient compliqué, parce qu’on a besoin de la création en tant qu’être humain, créer est un besoin, donc, en principe, on devrait tous et toutes avoir un peu de temps libre pour pouvoir faire ça. En même temps il faut manger. Vous avez aussi discuté de ça avec les artistes dans la série. Je crois que le collectif Polynôme parlait d’une possibilité, éventuellement, d’étendre l’intermittence, le contrat d’intermittent qui existe en France, à autre chose que la musique.
Pablo, pourrais-tu rappeler, s’il te plaît, ce qu’est le régime d’intermittent et puis on va d’enchaîner sur cette idée-là.

Pablo Albandea : Le régime d’intermittent c’est un régime qui concerne les métiers du spectacle vivant principalement, donc la musique mais aussi le théâtre, le cinéma et la danse, le spectacle vivant dans son ensemble. L’intermittence c’est un aménagement du système du chômage. C’est un principe qui fait que sur les périodes où les personnes ne travaillent pas, où elles ne sont pas sous contrat, elles touchent automatiquement du chômage. C’est un principe assez simple, l’autre nom de l’intermittence c’est l’assurance-chômage. Sur un an, on a la garantie d’être soit sous contrat quand on travaille, donc d’être payé normalement, soit d’avoir du chômage les mois ou les jours où on ne travaille pas. Ce principe-là a été gagné suite à des luttes sociales, mais uniquement dans ces domaines artistiques-là du spectacle vivant. Pas mal de personnes dans les milieux artistiques revendiquent, aujourd’hui le fait d’étendre ce régime de l’intermittence à tous les métiers artistiques, je pense notamment à des syndicats d’artistes qui sont très actifs là-dessus comme SNAPcgt ou des collectifs comme La Buse ou Art en grève. Ce serait, disons, un premier pas vers une meilleure rémunération des artistes, en tout cas aussi un déplacement, puisque aujourd’hui les artistes visuels, les artistes plasticiens, donc ceux qui n’ont pas droit à l’intermittence, sont principalement payés selon le droit d’auteur, donc uniquement sur la vente de leurs œuvres et c’est en effet une situation qui précarise énormément les artistes. Alors que l’intermittence permet de rémunérer plutôt le travail et non pas la vente des œuvres. On estime que le gros problème du droit d’auteur c’est que les gens sont rémunérés non pas sur leur travail, mais, en effet, sur une rente, en tout cas sur une propriété et non pas sur le travail concret que les personnes ont fourni. L’intermittence permettrait notamment de reconnaître ça. C’est un premier pas.

Isabella Vanni : Et surtout, si on n’est plus rémunéré sur la base de la rente, mais sur la base du travail fourni, ça donne la voie libre aux licences libres, c’est-à-dire une fois que le travail est rétribué, place justement à l’échange, au partage, aux remix, donc l’œuvre, finalement, vit dans la communauté.

Tristan Duval : Exactement. Peut-être pour donner un exemple sur les artistes plasticiens, plasticiennes, et sur le fait que le droit d’auteur ne les rémunère pas, donc ça ne marche pas, je crois que 70 % des auteurices de BD qui étaient au festival d’Angoulême, qui est quand même le plus gros festival de BD d’Europe, touchaient le RSA. En fait, on fait comme si ça marchait, mais ça ne marche pas, il y a toujours des exceptions mais tout le monde est précaire, c’est juste un système qui précarise les gens.

Isabella Vanni : D’ailleurs, dans l’un des épisodes, Gee aussi intervient, Gee qui est, entre autres, dessinateur, auteur de romans, de jeux vidéo aussi. Vous aviez parlé de ça, on l’a interviewé dans Libre à vous !, il a essayé, il essaye toujours d’être auteur à temps plein, mais c’est très compliqué.
Pour revenir à ce qu’on disait tout à l’heure, vous disiez « on parle de licence libre, mais, parfois les artistes qu’on a interviewés ne sont pas forcément au courant de ce que ça veut dire vraiment », à un moment, il y a même une personne qui fait partie d’une association qui fait de l’éducation aux médias, qui s’y connaît en licences libres. Comment faire pour combler ce manque de connaissance, parce que, finalement, tous les artistes que vous allez voir dans ces épisodes, à commencer par la toute première, une DJ, très jeune, marseillaise, hyper-enthousiaste de sonar, ont envie de partager avec le plus grand nombre ? Il y a même des artistes qui disent « on se fiche de la licence, de toute façon on joue, on performe dans des endroits où on ne fait pas de déclaration à la Sacem ». En fait ils se mettent en danger et, au bout d’un moment ils disent « si jamais on chope une amende, tant pis, on fera des concerts de soutien ». Eh bien, publiez sous licence libre !

Tristan Duval : C’est un cas particulier. Ce sont des personnes qui publient sous licence libre ce qu’elles font, mais, là, c’est un spectacle qui reprenait un spectacle qui existe déjà.

Isabella Vanni : Oui, c’est vrai. Mais il y a ce manque de connaissance. Angie Gaudion, de Framasoft, en parle aussi. Les licences libres les protégeraient, tout en en leur permettant ce qu’ils souhaitent, c’est-à-dire que ce soit diffusé au grand nombre, donc comment fait-on ?

Tristan Duval : C’est pour ça qu’on a fait cette série.

Isabella Vanni : C’est une première réponse.

Tristan Duval : Pour revenir rapidement sur d’où vient cette série. En 2018, au festival Nos Désirs sont Désordres, c’était la deuxième édition, on s’est dit qu’on allait organiser un temps justement pour expliquer, pour parler des licences libres dans le cinéma et dans les domaines artistiques plus largement. On avait demandé à Joseph Paris, ce cinéaste qui est présent dans le troisième épisode, d’intervenir. Il n’a pas pu être présent, c’était censé être en visio et puis, finalement, personne n’est venu à ce moment-là, les gens venaient pour voir les films, mais, dans la salle, il y avait deux personnes dont l’une était là par hasard. Là on s’est dit « il y a vraiment un problème ». Faire des temps pour en parler dans des festivals, au milieu de plein d’autres choses, ce n’est pas vraiment la bonne manière de faire.

Isabella Vanni : C’était une tentative.

Tristan Duval : On a essayé. Donc lançons-nous dans ce projet et c’est pour cela qu’on travaille sur ce projet-là depuis septembre 2018.

Isabella Vanni : C’est de longue haleine ! En fait, il y a une petite histoire pour chaque épisode et vous verrez, c’est marqué, ce sont des interviews de 2023/2024.

Tristan Duval : On a commencé à tourner, parce qu’on a essayé des choses, on s’est arrêté notamment à cause du Covid, on a écrit des dossiers. On a commencé à filmer des choses en 2018/2019, on s’est arrêté en 2020, on a écrit des dossiers, on est allé chercher de l’argent, on en a un petit peu trouvé, mais pas beaucoup et on a recommencé à tourner en avril-mai 2022. Les premières images, avril-mai 2022, les dernières, juillet 2024.

Isabella Vanni : Tu parlais de la façon dont la série a été produite et financée et tu disais que ce n’est pas de ça que vous vivez. Qu’avez-vous choisi comme système de rémunération ou de production parce que je ne pense pas que vous vous rémunérez vraiment.

Tristan Duval : En fait, le budget de la série c’est à peu près 25 000 euros, ce qui n’est vraiment pas beaucoup. On s’est donc bien rendu compte qu’on ne pourrait pas se payer pour la réalisation, donc Pablo et moi sommes bénévoles pour la réalisation et la production. Par contre, on a rémunéré les gens à qui on a demandé de faire leur métier, c’est-à-dire les gens qui sont venus filmer, prendre le son, les gens qui ont fait le montage, le mixage, l’étalonnage, le générique, l’affiche. Donc tous les gens à qui on a demandé de travailler avec nous, c’est leur métier, on les a payés, pas très bien, mais on les a payés. Par contre, nous, nous nous sommes juste défrayés.

Isabella Vanni : D’accord, et c’était une levée de fonds publics.

Tristan Duval : Il y a trois sources de financement. La première, on a fait deux crowdfunding et on a eu à peu près 5 000 euros comme ça. Ensuite on a donc eu cette aide de Pictanovo, en région Hauts-de-France, de 12 000 euros et après, il y a 8 000 euros d’apport de Lent ciné. Concrètement comment est arrivé cet argent ? Eh bien, on a travaillé, on a animé des ateliers, on a répondu à des appels à projets, on a fait des capsules vidéo, on a fait une capsule vidéo pour une association.

Isabella Vanni : Des prestations de services principalement.

Tristan Duval : On a fait des prestations et on a eu cet argent comme ça.

Isabella Vanni : Est-ce que vous avez encore besoin d’argent pour cette série, même si c’est fini.

Tristan Duval : Oui, un petit peu, même si c’est fini. Déjà on aimerait bien un peu d’argent pour la diffusion, pour accompagner des projections, pour se déplacer, histoire qu’on puisse se déplacer, pas en fonction du fait que les gens payent nos déplacements, mais qu’on puisse quand même y aller vers ceux qui n’ont pas les moyens. Et on n’a pas complètement tout bouclé parce que, notamment, on a fait des sous-titres en anglais et des sous-titres pour les personnes sourdes et malentendantes, on a donc aussi rémunéré des gens pour ça, pas très bien, mais on les a rémunérés, et on n’a pas complètement fini, on n’a pas complètement l’argent pour ça.

Isabella Vanni : On va mettre aussi la référence avec l’appel aux dons pour que vous puissiez vous déplacer, rémunérer les personnes que vous appelez pour ce type de prestations.
À propos de vous déplacer, vous avez choisi donc de publier un épisode chaque lundi, le dernier c’est à la mi-mai, le 19 mai, donc neuf épisodes d’une quinzaine de minutes, un peu plus de 15 minutes et en ce moment, Pablo, vous êtes en train de faire connaître partout en France. J’ai vu sur votre site que la prochaine projection c’est à Lille, mais il n’y a pas le lieu.

Pablo Albandea : Au cinéma L’Univers, justement.

Isabella Vanni : Que vous connaissez bien.

Tristan Duval : Qu’on connaît bien, on est un peu à la maison.

Pablo Albandea : Qu’on a beaucoup fréquenté.

Isabella Vanni : Est-ce que c’est facile de trouver des lieux pour accueillir les projections de Share Alike, Pablo ?

Pablo Albandea : Pour l’instant, on n’a pas eu trop de mal, c’est-à-dire que comme on vient de finir la série, qu’on avait un peu préparé les choses en avance, on avait quand même plusieurs contacts qui étaient déjà enthousiastes pour nous montrer, en tout cas pour organiser des projections. Mais c’est vrai que l’idée c’est qu’on puisse la diffuser le plus largement possible. On ne va pas passer par des canaux de diffusion conventionnels. C’est aussi un format un peu étrange, on peut difficilement demander aux festivals de nous diffuser et puis on a plutôt envie d’accompagner la série, donc d’être là aussi pour discuter avec les gens. Nous sommes donc toujours à la recherche de personnes qui seraient partantes pour organiser des projections.

Isabella Vanni : Un autre appel en cours, vous l’avez compris. Je crois que vous pouvez aussi aller, vous l’avez déjà fait, dans des événements libristes qui, à la base, sont un peu plus sur les logiciels libres, mais qui sont, plus largement, sur la culture libre et le 25 vous êtes à Lyon, je voulais m’assurer que c’est bien aux JDLL, les Journées du Logiciel Libre.

Tristan Duval : Tout à fait, c’est bien ça, à 16 heures, le dimanche 25 mai.

Isabella Vanni : Super, en plus je serai là le dimanche.
Le temps file, c’est normal, on n’a pas parlé de tout ce que j’avais noté, je vous avais prévenus que c’est comme ça à la radio. Vous avez moins d’une minute pour laisser un message aux personnes qui nous écoutent. Que devraient-elles retenir, d’après vous, de cet échange d’aujourd’hui ? Tristan.

Tristan Duval : Qu’est-ce qu’il faut retenir ? Que la création artistique, de manière rémunérée, en fait ce n’est pas aussi idyllique qu’on le pense, ce n’est pas aussi facile qu’on le pense, donc c’est hyper-important de s’interroger sur la question des licences libres parce que ça permet de simplifier plein de choses. Quelque chose qu’on n’a pas dit : plein de gens pensent que si on ne fait rien, eh bien il n’y a rien qui s’applique. Mais personne ne connaît le droit d’auteur : en fait, dès qu’on crée quelque chose, le droit d’auteur s’applique automatiquement. C’est donc hyper-nécessaire de s’interroger sur la diffusion et sur la façon dont on veut que les choses soient diffusables et sur le fait que des personnes puissent s’approprier ce qu’on a fait sans nous le demander.

Isabella Vanni : Très bien. Pablo.

Pablo Albandea : Je vais dire peut-être plus ou moins la même chose. Je pense en effet que la série sert principalement à ce que les gens s’interrogent, non seulement les personnes qui créent, donc les artistes, s’interroger sur la façon de diffuser leurs œuvres et comment créer, mais aussi le public : comment a-t-il accès à ces œuvres-là et pourquoi ? En tout cas essayer de questionner ce système dans lequel on est, le système du droit d’auteur, parce qu’on veut essayer de nous faire croire que c’est comme ça, que c’est immuable alors que, au final, ce sont des choses qui peuvent être complètement changées et il y a déjà plein de gens qui cherchent des alternatives à ça.

Isabella Vanni : Merci beaucoup et merci d’avoir produit Share Alike qui, j’espère, je suis confiante, fera bouger un peu les choses.
Merci encore à Tristan et Pablo du collectif Lent ciné et bonne continuation pour votre tour avec Share Alike.

Tristan Duval : Merci de nous avoir invités.

Pablo Albandea : Merci beaucoup.

Isabella Vanni : Vous pourrez retrouver toutes les références sur libreavous.org/242.
Nous allons faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Isabella Vanni : Après la pause musicale, nous entendrons la chronique de Florence Chabanoiss qui porte aujourd’hui sur le thème « l’espace vacant ».
Nous allons écouter Faire tourner la parole par Rrrrrose Azerty. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Faire tourner la parole par Rrrrrose Azerty

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Chronique « F/H/X » de Florence Chabanois – « L’espace vacant »[modifier]

Isabella Vanni : Nous allons continuer avec la chronique « F/H/X » de Florence Chabanois qui est présidence présidente de La Place des Grenouilles. Statistiques éclairantes, expériences individuelles et conseils concrets, votre rendez-vous mensuel pour comprendre et agir en faveur de l’égalité des genres. Le thème de la chronique du jour : « L’espace vacant ».
Bonjour Florence, c’est à toi.

Florence Chabanois : Bonjour tout le monde. Bonjour les copaines.
« Non mais quand même, ça s’est énormément amélioré pour les femmes, tu ne trouves pas ? ». Je suis toujours un peu étonnée quand on me demande ça, sorti de nulle part, comme si on cherchait à obtenir quelque chose ou à se rassurer. Je sens que cela ferait plaisir à la personne que je dise oui. 
Déjà, non, je ne trouve pas. Individuellement, on peut croire que ça s’est amélioré. On entend des histoires moins inégalitaires ou des rôles modèles qui servent d’étendard. Quand on regarde les enquêtes, rien ne bouge, ou si peu, ou empire.

Il y a des lois, certes. La loi sur l’égalité salariale date de 1983, soit 40 ans, et la dernière de 2021, parce qu’on est toujours à 15-20 % d’écart de salaire.
Les femmes en couple hétéro doivent, en plus de leur travail rémunéré, toujours assurer 2 fois plus de tâches domestiques que leur conjoint, tout ça pour toucher 40 % de pension en moins en moyenne à la retraite, si elles ne sont pas tombées dans la pauvreté avant, en étant devenue maman solo. Et toutes les sept minutes, on tente de violer ou on viole une femme en France. Hors statistiques, même sur les succès dans les couples hétérosexuels qui semblent équilibrés parce que le papa dépose l’enfant à l’école, par exemple, à chaque fois qu’on regarde dans les détails, c’est l’arnaque. Quand les deux sont présent et présente, c’est la mère qui est sollicitée, qui a pensé à tout au préalable, qui va se lever pendant l’apéro pour changer la couche.

En fait, j’ai du mal à voir des statistiques où la situation est équilibrée et stable depuis des décennies. Pendant la Covid, les femmes sont ressorties en masse du marché du travail rémunéré, et en politique, le pourcentage de députées femmes a baissé pour la première fois depuis 1988.

Bon, OK, mais au moins, on n’est pas en Honduras, où l’avortement est interdit de façon constitutionnelle. En France, c’est la protection de l’IVG qui est inscrite dans la Constitution. Nous avons aussi amélioré la loi sur l’entrave à l’IVG, mise en place en 1993, en 2017, pour mieux garantir l’accès à ce droit.
Et puis, ce n’est pas comme aux USA, où il est devenu dangereux de dire « femme », « diversité », « LGBTQIA+ » dans des textes officiels, où les personnes transgenres ne peuvent plus travailler dans l’armée, et où les politiques d’égalité de genre sont devenus illégales, on dit « discriminantes ».
Au Kentucky depuis 2022, les établissements scolaires n’ont pas le droit de parler d’identité de genre ni d’orientation sexuelle. Le livre Rose, bleu et toi !, abordant les stéréotypes de genre, d’Elise Gravel, est interdit dans les écoles primaires et on peut être arrêté si on est vu avec dans une école.
Avant 2021, PEN America, une associaition, ne compilait pas les interdictions de livres, car elles étaient trop peu nombreuses. L’année suivante, on est passé à 2500 œuvres interdites, puis à 10 000, soit 4 fois plus. Dans le viseur : Le Journal d’Anne Frank, 1984, La Servante écarlate, La Couleur pourpre, parce qu’on y voit de la violence sexiste et sexuelle, qu’on parle d’inégalités, de discriminations, ou qu’il y a des homosexuel·les.
Les personnes qui trouvaient qu’il y avait trop de diversité sur Netflix peuvent se réjouir : Disney qui a cédé aux pressions sur ses dessins animés. Il n’y aura peut-être bientôt plus du tout de représentation transgenre, ethnique ou homosexuelle dans les divertissements, en un claquement de doigts.

Au moins, en France, on est d’accord que le sexisme, c’est mal. On n’est pas fermé·es comme les ricains et les ricaines.
Depuis 2004, les femmes portant un foulard n’ont plus le droit de travailler pour la fonction publique, d’être prof par exemple, c’est ballot pour celles qui avaient commencé leurs études ! En 2019, le Sénat a aussi interdit les foulards aussi pendant les sorties scolaires. Le texte a finalement été supprimé. Quatre ans avant, une circulaire l’avait aussi interdit, mais le Conseil d’État l’a invalidée, le prosélytisme portant sur le comportement, le fait de chercher à convaincre, plus qu’à nos tenues.
En ce moment, on veut interdire aux femmes voilées de faire du sport tout court, rien que ça. Demain, elles n’auront peut-être plus le droit de sortir ni de parler entre elles en public, qui sait ! Ça vous fait penser à quelque chose ? Même quand ces tentatives législatives ne passent pas, elles déplacent le curseur de la norme acceptable. Vous me direz qu’il n’y a pas besoin de loi pour pratiquer de la discrimination : les femmes portant un foulard ayant 80 % de chances en moins de décrocher un entretien. On condamne les personnes quand on trouve qu’elles ne s’intègrent pas, après les avoir empêchés de s’intégrer. C’est malin !
OK, mais, là, je parle de certaines femmes, on sait que le racisme et l’islamophobie sont en promo en ce moment. Le sexisme, globalement, c’est mal, c’est tout !

Sur l’éducation sexuelle, des heures de cours sont prévues depuis 2001. Bam !, 24 ans après, devant toujours quasiment zéro application de cette loi, le gouvernement a sorti une deuxième loi en 2025. Je me demande comment cela va se mettre en place avec les coupes budgétaires sur l’Éducation nationale, mais on croise les doigts.
L’écriture inclusive est régulièrement dans le viseur de certains groupes parlementaires, pour gratter un peu plus de terrain sur son interdiction. OK, mais ce sont des parlementaires, des vieux et vieilles réac. Du côté des vrai·es gens, quand on lit un article de France Info où L’Observatoire national des violences faites aux femmes partage ses statistiques sur les transports en commun, on voit, par exemple que :
7 femmes sur 10 ont déjà été victimes de violences sexuelles dans les transports franciliens
80 % des femmes sont « en alerte »
9 sur 10 essaient de ne pas s’asseoir à côté d’hommes seuls
8 sur 10 se mettent dos aux portes
7 femmes 10 s’habillent différemment
99 % des personnes mises en cause sont des hommes et 91 % des victimes sont des femmes
on se dit toustes que c’est nul quand même. Non ?
Dans les commentaires, il y a le prudent qui dit : « Personnellement, je ne propose plus ma place assise dans une rame à une femme. C’est devenu une agression sexuelle. Restez debout, et puis quand le service militaire reviendra, beaucoup de filles vont regretter l’ancien temps quand il n’y avait que les mecs pour s’y coller. »
Il y a aussi le scientifique : « Comme une femme vit en moyenne 80 ans et prend le métro pour bosser 37,5 ans de sa vie, cela signifie que sur 222 jours ouvrables par an, soit 8 325 emprunts du matin et 8 325 emprunts du soir, soit 16 650 voyages dans sa vie professionnelle, 7 d’entre elles sur 10 auront été victimes d’un « harcèlement ». On essaie donc de faire croire que ça fait beaucoup, mais, dans la réalité, ça fait peu ! »
Il y a aussi l’opportuniste : « Mélanger sciemment des actes aussi éloignés dans le spectre des violences qu’un regard insistant et un viol, pour produire des chiffres massifs, c’est du mensonge quantitatif. Occulter, sciemment, le profil majoritaire de ceux qui commettent les actes les plus graves, pour le réduire au seul dénominateur commun du genre, c’est du mensonge qualitatif. »
Je pense que vous avez compris entre les lignes. Voilà ! On peut rire et laisser parler mais sur la longueur, ces pensées se propagent et deviennent « crédibles ».

Le week-end dernier, il y avait une manifestation pour soutenir une personne fraîchement condamnée après avoir détourné trois millions de fonds publics. Ce jugement serait « antidémocratique ». On marche sur la tête ! On inverse de plus en plus les responsabilités et les charges. Les agresseurs deviennent victimes et les victimes des agresseurs. Il n’y a plus d’argument « perché », tout semble pouvoir tenir la route. Les personnes qui défendent l’environnement sont criminalisées comme celles qui aident d’autres personnes, si elles sont étranger·es. Les discours fascistes sont banalisés. Dernièrement, n m’a dit que j’étais intolérante, avec l’extrême droite parce que je n’avais pas envie de parler avec.
J’ai entendu une phrase il y a très longtemps et elle me revient régulièrement à l’esprit : « Un harceleur, c’est quelqu’un que personne n’a arrêté. »
Quand on laisse de l’espace vacant, qu’il soit physique, médiatique, sonore, visuel, d’autres le prennent. Or on a de l’influence dessus. Par exemple, au foot, le partage du terrain avec les hommes., c’est compliqué. Au début, certains traînaient des pieds pour nous laisser notre tour, ou refusaient. Ou les gars continuaient de s’entraîner à côté, parlaient fort et étaient sincèrement étonnés quand on leur demandait de baisser le ton car on n’entendait pas l’entraîneuse. Personne ne leur avait jamais dit. Maintenant, ce n’est plus un sujet, sur ce centre-là, car ils ont pris l’habitude de voir des femmes.

À un moment, dans ma carrière, je m’étais posé la question de l’impact, de comment la maximiser et que cet impact reste. Pour aider à faire émerger un monde dans lequel je crois, je l’ai fait à mon niveau, en tant que développeuse, puis en tant que cheffe. J’ai cru qu’il fallait être big big cheffe pour avoir encore plus d’impact. J’ai vu les limites. Est-ce qu’il faut être DG, actionnaire, politique, travailler sur du Libre ou dans le monde de l’associatif pour avoir de l’impact durable ?
En réalité, rien ne reste pour toujours.
La bonne nouvelle c’est que cela s’applique dans les deux sens, rien n’est jamais perdu. La nature a horreur du vide. Si on laisse un espace vacant, d’autres vont planter leurs graines et le temps qu’on s’en rende compte, on se retrouve hors jeu, cloisonnées dans un petit coin, sans aucun moyen de nous faire entendre.
Désormais, je suis moins exigeante avec moi-même sur l’impact. À mon niveau, rien que fréquenter des personnes, exprimer mes opinions sont des actes d’influence. Exister aussi dans des endroits où j’ai envie d’être et où on m’attend moins, en tant que femme racisée.

Pour l’instant, il y a encore des sondages qui montrent des données factuelles sur la situation des inégalités de genre. Mais si on ne les subventionnait plus ? Si elles étaient interdites et détruites ? Devant la prolifération des fake news, partager son savoir, montrer ses réalités et ses opinions en tant que « minorités », entre guillemets, est devenu plus qu’essentiel. SI vous êtes privilégié·e, c’est l’inverse, il faut laisser, faire de la place !
Je compte sur vous et je vous dis au mois prochain !

Isabella Vanni : Merci Florence.
Vous savez que le Florence met énormément de références, très utiles, que vous retrouverez, comme d’habitude, sur la page de notre émission, je vais les rajouter aujourd’hui et demain.
Merci beaucoup, Florence, je te dis au mois prochain.

Florence Chabanois : Merci Isabella.

Isabella Vanni : Nous approchons de la fin de l’émission. Nous allons donc terminer par quelques annonces.

[Virgule musicale]

Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre[modifier]

Isabella Vanni : J’en ferai seulement une parce que nous sommes un peu en retard.
La première édition des Assises Francophones de l’Art Libre, organisée par PVH éditions en collaboration avec Neuchâtel International Fantastic Film Festival, aura lieu mercredi 9 juillet et jeudi 10 juillet à Neuchâtel en Suisse. L’évènement est en cours de préparation, toute aide est la bienvenue.

Notre émission se termine.

Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission : Isabelle Carrère d’Antanak, Tristan Duval et Pablo Albandea du collectif Lent ciné, Florence Chabanois.
Aux manettes de la régie aujourd’hui, Julie Chaumard
Merci également l’équipe de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang 1, Julien Osman, bénévoles à l’April, et Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio.
Merci aussi aux personnes qui découpent les podcasts complets des émissions en podcasts individuels par sujet : Quentin Gibeaux, Théocrite et Tunui, qui sont bénévoles à l’April, et mon collègue Frédéric Couchet.

Vous retrouverez sur notre site web libreavous.org/242, toutes les références utiles de l’émission de ce jour, ainsi que sur le site de la radio causecommune.fm.
N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration. Vous pouvez également nous poser toute question et nous y répondrons directement ou lors d’une prochaine émission.
Toutes vos remarques sont les bienvenues à l’adresse bonjour@libreavous.org

Si vous préférez nous parler, vous pouvez nous laisser un message sur le répondeur de la radio pour réagir à l ‘un des sujets de l’émission, pour partager un témoignage, vos idées, vos suggestions, vos encouragements ou pour nous poser une question. Le numéro du répondeur : 09 72 51 55 46

Nous vous remercions d’avoir écouté Libre à vous !.

La prochaine émission aura lieu en direct mardi mars 15 avril 2025 à 15 heures 30. D’ici là, portez-vous bien.

Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.