Fiche C-12 du rapport Lescure sur le domaine public numérique

De April MediaWiki
Aller à la navigationAller à la recherche

| Préparation Exception pédagogique acte 2 | Propositions de l'April éducation |

Attention. Ce texte n'est pas sous une licence libre mais une citation du Rapport Lescure accessible ici autorisée par l'article L.122-5 3° du Code de la propriété intellectuelle qui prévoit qu'une œuvre, déjà divulguée, peut être utilisée sans l'autorisation de son auteur lorsqu'il s'agit d' « analyses ou courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information de l'œuvre à laquelle elles sont incorporées ».


L’allongement progressif de la durée des droits d’auteurs et droits voisins invite à accorder une attention particulière aux conditions d’accès aux œuvres du domaine public qui sont, selon les termes de la loi Le Chapelier de 1791, « la propriété du public».

La révolution numérique constitue, pour le domaine public, une opportunité majeure : la numérisation de ces œuvres permet d’en assurer la conservation et d’en élargir l’accès au plus grand nombre. Plusieurs institutions publiques se sont engagées dans cette voie. Toutefois, le passage au numérique donne lieu à des stratégies de réappropriation et à l’octroi d’exclusivités commerciales qui sont susceptibles d’entraver la circulation des œuvres du domaine public.

Si le changement de format induit par le numérique nécessite des opérations coûteuses, il convient d’asseoir des critères protecteurs en terme d’accessibilité aux œuvres ainsi numérisées, ainsi que le préconise l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (cf. encadré).


Le Plan d’action de l’OMPI pour le développement

Le Plan d’action pour le développement, établi en octobre 2007 par l’Assemblée générale de l’OMPI, vise à intégrer les questions de développement dans les travaux de l’Organisation. Il formule 45 recommandations.

La recommandation n° 16 préconise de “prendre en considération la préservation du domaine public dans l’élaboration des normes à l’OMPI et [d’] approfondir l’analyse des conséquences et des avantages d’un domaine public riche et accessible”. La recommandation n° 20 vise à “promouvoir les activités d’établissement de normes relatives à la propriété intellectuelle favorisant la consolidation du domaine public dans les États membres de l’OMPI, y compris l’élaboration éventuelle de principes directeurs susceptibles d’aider les États membres intéressés à recenser les objets tombés dans le domaine public sur leurs territoires respectifs ”.

Ces recommandations ont donné lieu à une « étude exploratoire sur le droit d’auteur et les droits connexes et le domaine public » rédigée par le professeur Séverine Dussolier pour le Comité du développement de la propriété intellectuelle[1].

Source : http://www.wipo.int/ip-development/fr/agenda/.


LE NUMÉRIQUE : MENACE OU OPPORTUNITÉ POUR LE DOMAINE PUBLIC ?

L’ALLONGEMENT DE LA DUREE DES DROITS FREINE L’ACCROISSEMENT DU DOMAINE PUBLIC

En droit de la propriété littéraire et artistique, le domaine public désigne le statut sous lequel sont placées les œuvres de l'esprit dont la durée de protection est expirée et dont l’utilisation n’est plus soumise à l’autor isation des titulaires de droits (sous réserve des droits moraux). L'œuvre du domaine public est ainsi une œuvre libre de droits patrimoniaux, librement utilisable, y compris à des fins commerciales[2].

Les allongements successifs de la durée de protection des droits de propriété intellectuelle intervenus au cours des dernières décennies se sont donc traduits, symétriquement, par un accroissement plus lent du domaine public.

S’agissant des droits d’auteur, la durée de protection est progressivement passée de 10 ans en 1791 à 50 ans en 1866 ; depuis 1957, elle est calculée non plus à partir de la date de publication de l’œuvre mais à partir du décès de l’auteur[3]. La loi du 27 mars 1997 (transposant la directive européenne 93/98/CEE du 29 octobre 1993) a porté la durée de protection de 50 à 70 ans à compter du décès de l’auteur3. La durée de protection d’une œuvre créée à l’âge de 20 ans atteint ainsi, compte tenu de l’espérance de vie moyenne, plus de 131 ans.

Figure 37 : Durée de protection d’une œuvre par le droit d’auteur (pour une œuvrée créée à l’âge de 20 ans)

8643.jpg

Source : Miroslav Kurdov, http://sketchlex.com/23/01/2012/schemas/duree-protection-œuvre-droits-auteur/

De même, s’agissant des droits voisins, la directive n°2011/77 du 27 septembre 2011 porte la durée de protection des droits voisins dans le secteur musical de 50 à 70 ans à compter de la date de l’interprétation ou de la fixation de la séquence sonore. Les Etats membres ont jusqu’au 1er novembre 2013 pour transposer cette dernière directive. Dans le secteur audiovisuel, la durée des droits voisins reste fixée à 50 ans.

Cette tendance à l’allongement des droits est parfois critiquée au regard de la finalité des droits de propriété intellectuelle, qui est de protéger les créateurs et d’encourager la création. De nombreux universitaires et chercheurs se sont d’ailleurs opposés à l’allongement de la durée de protection des droits[4]. L’ère numérique se caractérise par une accélération généralisée des processus économiques et sociaux[5] qui rend d’autant moins compréhensible l’allongement de la durée de protection dont bénéficient les créateurs d’œuvres de l’esprit et leurs ayants droit.

LES CONTOURS DU DOMAINE PUBLIC, DÉFINIS NÉGATIVEMENT, NE SONT PAS TOUJOURS CLAIRS

L’expression même de « domaine public » ne figure dans aucun texte de loi. Le domaine public est défini en creux, ou négativement, par les articles qui fixent la durée de protection des droits d’auteur et des droits voisins.

Dépourvue de reconnaissance institutionnelle, le domaine public fait l’objet d’une grande attention de la part du monde associatif et de la société civile. Par exemple, Creative Commons France et Wikimedia France ont organisé le 26 janvier 2012 une « Journée du domaine public », inspirée du « Public Domain Day » que le réseau européen Communia organise le 1er janvier de chaque année pour célébrer l’entrée dans le domaine public de nouvelles œuvres.

En outre, il est parfois difficile de savoir si une œuvre donnée appartient ou non au domaine public. Cette difficulté est intrinsèquement liée à la volatilité des données permettant de connaître le statut des œuvres. D’une part, de la territorialité du droit de la propriété littéraire et artistique découle la variabilité du statut juridique des œuvres selon les pays. D’autre part, la détermination du statut juridique d’une œuvre (protégée ou entrée dans le domaine public) suppose l’existence de bases de données fiables, ouvertes et facilement interrogeables, recensant les informations nécessaires (date du décès de l’auteur, date de publication, etc.).

En l’absence de registre national ou international rassemblant les données sur les œuvres, des initiatives émanant de la société civile6 visent à informer le public sur les œuvres entrées dans le domaine public. Creative Commons a développé une signalétique, baptisée « public domain mark », que les institutions culturelles peuvent employer pour certifier qu’une œuvre appartient bien au domaine public (elle est utilisée par la British Library, conformément aux recommandations d’Europeana)[6]. Des outils de calcul automatique tels que le Public Domain Calculator[7] d’Europeana ou le projet Arrow (pour les œuvres de l’écrit)[8] ont également vu le jour pour permettre de vérifier si une œuvre appartient au domaine public. Ces instruments, qui ne sont d’ailleurs pas exempts d’erreurs, ne suffisent toutefois pas à pallier l’absence de base permettant d’accéder à l’ensemble des œuvres du domaine public.

LA NUMÉRISATION DU DOMAINE PUBLIC DONNE LIÉU À DES STRATÉGIES DE RÉAPPROPRIATION

Ainsi que le relève le Pr Dussolier dans l’étude précitée, «  leur expiration dans un élément du domaine public [est] l’absence de toute exclusivité liée à l’utilisation de cet élément (...). En d’autres termes, personne ne peut contrôler ou empêcher leur reproduction, communication publique ou toute autre utilisation qui relèverait des prérogatives du droit d’auteur. (...) Un tel contrôle ne peut pas reposer sur l’application du droit d’auteur mais pourrait réapparaître par d’autres moyens, qu’ils soient juridiques ou techniques ».

De fait, la protection juridique de l’œuvre est liée à l’originalité de la création. Ainsi, si une sculpture ou une peinture est entrée dans le domaine public, sa photographie peut être protégée en tant que création originale. Il en va de même lorsqu’une œuvre musicale entrée dans le domaine public fait l'objet d'une nouvelle interprétation et d’un nouvel enregistrement, faisant naître de nouveaux droits voisins sur le phonogramme. Dans ces hypothèses, le photographe ou l'artiste interprète (et le producteur) n’a de droits que sur les éléments originaux qu'il a adjoints à l’œuvre du domaine public.

Le mouvement de numérisation des œuvres du domaine public renouvelle cette problématique. L’article L.111-3 du CPI énonce la distinction entre le droit de propriété attaché à l’œuvre de l’esprit et celui attaché à ses supports matériels : « la propriété incorporelle est indépendante de la propriété de l’objet matériel ». Le changement de support que constitue la numérisation ne doit pas, en tant que tel, faire naître une nouvelle œuvre protégée, à moins qu’une création originale soit reconnue[9]. Or, la numérisation est parfois l’occasion d’une réappropriation du domaine public sans que les apports nouveaux invoqués paraissent toujours évidents.

D’une part, certaines institutions culturelles (bibliothèques, musées, archives), considèrent que la reproduction numérique d’une œuvre du domaine public fait naître à leur profit un droit d’auteur permettant d’en restreindre la reproduction et la diffusion (par exemple en y apposant une mention « copyright : tous droits réservés »). Dans certains cas, le droit d’auteur appartient au photographe, qui cède ses droits à l’institution culturelle. Or, la jurisprudence relative à la qualification d’une photographique comme œuvre de l’esprit originale est fluctuante[10].

D’autre part, des institutions publiques et des acteurs privés revendiquent, sur le fondement du droit sui generis des bases de données ou sur d’autres fondements juridiques[11], un droit de propriété sur des œuvres du domaine public numérisées. En effet, ces acteurs considèrent que les œuvres qu’ils ont numérisées et qu’ils mettent à disposition constituent une base de données et bénéficient à ce titre d’une protection légale particulière (cf. encadré).


La protection des bases de données dans le code de la propriété intellectuelle

L’article L.112-3 du CPI accorde aux « auteurs d'anthologies ou de recueils d'œuvres ou de données diverses, tels que les bases de données » la même protection que les auteurs d’œuvres de l’esprit, « sans préjudice des droits de l'auteur de l'œuvre originale » lorsque ces bases, « par le choix ou la disposition des matières, constituent des créations intellectuelles ». Ce même article définit la base de données comme « un recueil d'œuvres, de données ou d'autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique, et individuellement accessibles par des moyens électroniques ou par tout autre moyen ».

Selon l’article L 341-1 du CPI, « le producteur d'une base de données, entendu comme la personne qui prend l'initiative et le risque des investissements correspondants, bénéficie d'une protection du contenu de la base lorsque la constitution, la vérification ou la présentation de celui-ci atteste d'un investissement financier, matériel ou humain substantiel (...)». Le producteur de bases de données a le droit d'interdire « l'extraction (...) de la totalité ou d'une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu d'une base de données sur un autre support » et « la réutilisation, par la mise à la disposition du public de la totalité ou d'une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu de la base » (art. L 342-1). La durée de protection est de 15 ans à compter de l'achèvement de la fabrication de la base de données. Cette durée peut être prolongée d’une nouvelle période de 15 ans chaque fois que la base de données fait l'objet d'un nouvel investissement substantiel (art. L 342-5).


Enfin, les mesures techniques de protection (cf. fiche A-14) sont destinées à protéger les fichiers numériques contre des utilisations non autorisées. Il peut arriver qu’une mesure de protection soit apposée sur un fichier contenant une œuvre du domaine public, restreignant ainsi sa libre utilisation. Dans ce cas, « l’exclusivité factuelle ou technique se substitue (...) à l’exclusivité légale »[12].

LA NUMÉRISATION D ’ EXCLUSIVITÉS DU DOMAINE PUBLIC S ’ APPUIE SUR DES PARTENARIATS ASSORTIS

PAGE 451 A FINIR



  1. http://www.wipo.int/export/sites/www/ip-development/fr/agenda/pdf/scoping_study_cr.pdf
  2. Au sens large, le domaine public inclut aussi les productions ou contenus qui ne sont pas protégés au titre du droit d’auteur et qui ne l’ont jamais été, par exemple du fait de leur absence d’originalité ou de leur caractère purement informatif. Certains, comme l’association Communia, y incluent en outre les exceptions et limitations au droit d’auteur, qualifiées de domaine public fonctionnel (par opposition au domaine public structurel : œuvres dont la durée de protection est échue).
  3. Les œuvres musicales bénéficiaient déjà, depuis la loi du 1 juillet 1985, d’une durée de protection de 70 ans.
  4. Cf. la tribune « Copyright extension is the enemy of innovation », signée par une quinzaine de professeurs issus des plus grandes universités européennes, publiée dans le Times du 21 juillet 2008. Voir également la tribune « La proposition de directive sur l’extension de la durée de certains droits voisins. Une remise en cause injustifiée du domaine public » des professeurs C.Geiger, J.Passa et M.Vivant publiée dans La Semaine Juridique du 28 janvier 2009.
  5. Cf. par exemple les travaux de Hartmut Rosa sur le concept d’accélération sociale.
  6. Cf. http://www.culturecommunication.gouv.fr/var/culture/storage/culture_mag/donnees_culturelles2013/index.htm#/55
  7. http://outofcopyright.eu
  8. http://www.arrow-net.eu
  9. Cf. CA Paris, 5 octobre 1994 : la restauration d'une œuvre audiovisuelle entrée dans le domaine public ne saurait faire renaître un monopole sur l’exploitation de l’œuvre.
  10. Cf. CA Paris, 5 octobre 1994 : la restauration d'une œuvre audiovisuelle entrée dans le domaine public ne saurait faire renaître un monopole sur l’exploitation de l’œuvre.
  11. Par exemple : loi du 17 juillet 1978 sur les informations publiques, régime de la domanialité publique ou clauses contractuelles. Voir en ce sens : http://scinfolex.wordpress.com/2012/10/27/i-have-a-dream-une-loi-pour-le-domaine-public-en-france/
  12. Séverine Dussolier, étude précitée, p. 49 à 52 : « Dès 1996, le Conseil consultatif juridique de la Commission européenne a mis en garde contre l’utilisation généralisée de dispositifs techniques de protection pouvant aboutir à la création de fait de nouveaux monopoles en matière d’information. Cela poserait des problèmes particuliers pour des œuvres relevant du domaine public. »