Fiche C-12 du rapport Lescure sur le domaine public numérique

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Attention. Ce texte n'est pas sous une licence libre mais une citation du Rapport Lescure accessible ici autorisée par l'article L.122-5 3° du Code de la propriété intellectuelle qui prévoit qu'une œuvre, déjà divulguée, peut être utilisée sans l'autorisation de son auteur lorsqu'il s'agit d' « analyses ou courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information de l'œuvre à laquelle elles sont incorporées ».


L’allongement progressif de la durée des droits d’auteurs et droits voisins invite à accorder une attention particulière aux conditions d’accès aux œuvres du domaine public qui sont, selon les termes de la loi Le Chapelier de 1791, « la propriété du public».

La révolution numérique constitue, pour le domaine public, une opportunité majeure : la numérisation de ces œuvres permet d’en assurer la conservation et d’en élargir l’accès au plus grand nombre. Plusieurs institutions publiques se sont engagées dans cette voie. Toutefois, le passage au numérique donne lieu à des stratégies de réappropriation et à l’octroi d’exclusivités commerciales qui sont susceptibles d’entraver la circulation des œuvres du domaine public.

Si le changement de format induit par le numérique nécessite des opérations coûteuses, il convient d’asseoir des critères protecteurs en terme d’accessibilité aux œuvres ainsi numérisées, ainsi que le préconise l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (cf. encadré).


Le Plan d’action de l’OMPI pour le développement

Le Plan d’action pour le développement, établi en octobre 2007 par l’Assemblée générale de l’OMPI, vise à intégrer les questions de développement dans les travaux de l’Organisation. Il formule 45 recommandations.

La recommandation n° 16 préconise de “prendre en considération la préservation du domaine public dans l’élaboration des normes à l’OMPI et [d’] approfondir l’analyse des conséquences et des avantages d’un domaine public riche et accessible”. La recommandation n° 20 vise à “promouvoir les activités d’établissement de normes relatives à la propriété intellectuelle favorisant la consolidation du domaine public dans les États membres de l’OMPI, y compris l’élaboration éventuelle de principes directeurs susceptibles d’aider les États membres intéressés à recenser les objets tombés dans le domaine public sur leurs territoires respectifs ”.

Ces recommandations ont donné lieu à une « étude exploratoire sur le droit d’auteur et les droits connexes et le domaine public » rédigée par le professeur Séverine Dussolier pour le Comité du développement de la propriété intellectuelle[1].

Source : http://www.wipo.int/ip-development/fr/agenda/.


LE NUMÉRIQUE : MENACE OU OPPORTUNITÉ POUR LE DOMAINE PUBLIC ?

L’ALLONGEMENT DE LA DUREE DES DROITS FREINE L’ACCROISSEMENT DU DOMAINE PUBLIC

En droit de la propriété littéraire et artistique, le domaine public désigne le statut sous lequel sont placées les œuvres de l'esprit dont la durée de protection est expirée et dont l’utilisation n’est plus soumise à l’autor isation des titulaires de droits (sous réserve des droits moraux). L'œuvre du domaine public est ainsi une œuvre libre de droits patrimoniaux, librement utilisable, y compris à des fins commerciales[2].

Les allongements successifs de la durée de protection des droits de propriété intellectuelle intervenus au cours des dernières décennies se sont donc traduits, symétriquement, par un accroissement plus lent du domaine public.

S’agissant des droits d’auteur, la durée de protection est progressivement passée de 10 ans en 1791 à 50 ans en 1866 ; depuis 1957, elle est calculée non plus à partir de la date de publication de l’œuvre mais à partir du décès de l’auteur[3]. La loi du 27 mars 1997 (transposant la directive européenne 93/98/CEE du 29 octobre 1993) a porté la durée de protection de 50 à 70 ans à compter du décès de l’auteur3. La durée de protection d’une œuvre créée à l’âge de 20 ans atteint ainsi, compte tenu de l’espérance de vie moyenne, plus de 131 ans.

Figure 37 : Durée de protection d’une œuvre par le droit d’auteur (pour une œuvrée créée à l’âge de 20 ans)

8643.jpg

Source : Miroslav Kurdov, http://sketchlex.com/23/01/2012/schemas/duree-protection-œuvre-droits-auteur/

De même, s’agissant des droits voisins, la directive n°2011/77 du 27 septembre 2011 porte la durée de protection des droits voisins dans le secteur musical de 50 à 70 ans à compter de la date de l’interprétation ou de la fixation de la séquence sonore. Les Etats membres ont jusqu’au 1er novembre 2013 pour transposer cette dernière directive. Dans le secteur audiovisuel, la durée des droits voisins reste fixée à 50 ans.

Cette tendance à l’allongement des droits est parfois critiquée au regard de la finalité des droits de propriété intellectuelle, qui est de protéger les créateurs et d’encourager la création. De nombreux universitaires et chercheurs se sont d’ailleurs opposés à l’allongement de la durée de protection des droits[4]. L’ère numérique se caractérise par une accélération généralisée des processus économiques et sociaux[5] qui rend d’autant moins compréhensible l’allongement de la durée de protection dont bénéficient les créateurs d’œuvres de l’esprit et leurs ayants droit.

LES CONTOURS DU DOMAINE PUBLIC, DÉFINIS NÉGATIVEMENT, NE SONT PAS TOUJOURS CLAIRS

L’expression même de « domaine public » ne figure dans aucun texte de loi. Le domaine public est défini en creux, ou négativement, par les articles qui fixent la durée de protection des droits d’auteur et des droits voisins.

Dépourvue de reconnaissance institutionnelle, le domaine public fait l’objet d’une grande attention de la part du monde associatif et de la société civile. Par exemple, Creative Commons France et Wikimedia France ont organisé le 26 janvier 2012 une « Journée du domaine public », inspirée du « Public Domain Day » que le réseau européen Communia organise le 1er janvier de chaque année pour célébrer l’entrée dans le domaine public de nouvelles œuvres.

En outre, il est parfois difficile de savoir si une œuvre donnée appartient ou non au domaine public. Cette difficulté est intrinsèquement liée à la volatilité des données permettant de connaître le statut des œuvres. D’une part, de la territorialité du droit de la propriété littéraire et artistique découle la variabilité du statut juridique des œuvres selon les pays. D’autre part, la détermination du statut juridique d’une œuvre (protégée ou entrée dans le domaine public) suppose l’existence de bases de données fiables, ouvertes et facilement interrogeables, recensant les informations nécessaires (date du décès de l’auteur, date de publication, etc.).


En l’absence de registre national ou international rassemblant les données sur les œuvres, des initiatives émanant de la société civile6 visent à informer le public sur les œuvres entrées dans le domaine public. Creative Commons a développé une signalétique, baptisée « public domain mark », que les institutions culturelles peuvent employer pour certifier qu’une œuvre appartient bien au domaine public (elle est utilisée par la British Library, conformément aux recommandations d’Europeana)[6]. Des outils de calcul automatique tels que le Public Domain Calculator[7] d’Europeana ou le projet Arrow (pour les œuvres de l’écrit)[8] ont également vu le jour pour permettre de vérifier si une œuvre appartient au domaine public. Ces instruments, qui ne sont d’ailleurs pas exempts d’erreurs, ne suffisent toutefois pas à pallier l’absence de base permettant d’accéder à l’ensemble des œuvres du domaine public.

LA NUMÉRISATION DU DOMAINE PUBLIC DONNE LIÉU À DES STRATÉGIES DE RÉAPPROPRIATION

Ainsi que le relève le Pr Dussolier dans l’étude précitée, «  leur expiration dans un élément du domaine public [est] l’absence de toute exclusivité liée à l’utilisation de cet élément (...). En d’autres termes, personne ne peut contrôler ou empêcher leur reproduction, communication publique ou toute autre utilisation qui relèverait des prérogatives du droit d’auteur. (...) Un tel contrôle ne peut pas reposer sur l’application du droit d’auteur mais pourrait réapparaître par d’autres moyens, qu’ils soient juridiques ou techniques ».

De fait, la protection juridique de l’œuvre est liée à l’originalité de la création. Ainsi, si une sculpture ou une peinture est entrée dans le domaine public, sa photographie peut être protégée en tant que création originale. Il en va de même lorsqu’une œuvre musicale entrée dans le domaine public fait l'objet d'une nouvelle interprétation et d’un nouvel enregistrement, faisant naître de nouveaux droits voisins sur le phonogramme. Dans ces hypothèses, le photographe ou l'artiste interprète (et le producteur) n’a de droits que sur les éléments originaux qu'il a adjoints à l’œuvre du domaine public.

Le mouvement de numérisation des œuvres du domaine public renouvelle cette problématique. L’article L.111-3 du CPI énonce la distinction entre le droit de propriété attaché à l’œuvre de l’esprit et celui attaché à ses supports matériels : « la propriété incorporelle est indépendante de la propriété de l’objet matériel ». Le changement de support que constitue la numérisation ne doit pas, en tant que tel, faire naître une nouvelle œuvre protégée, à moins qu’une création originale soit reconnue[9]. Or, la numérisation est parfois l’occasion d’une réappropriation du domaine public sans que les apports nouveaux invoqués paraissent toujours évidents.




  1. http://www.wipo.int/export/sites/www/ip-development/fr/agenda/pdf/scoping_study_cr.pdf
  2. Au sens large, le domaine public inclut aussi les productions ou contenus qui ne sont pas protégés au titre du droit d’auteur et qui ne l’ont jamais été, par exemple du fait de leur absence d’originalité ou de leur caractère purement informatif. Certains, comme l’association Communia, y incluent en outre les exceptions et limitations au droit d’auteur, qualifiées de domaine public fonctionnel (par opposition au domaine public structurel : œuvres dont la durée de protection est échue).
  3. Les œuvres musicales bénéficiaient déjà, depuis la loi du 1 juillet 1985, d’une durée de protection de 70 ans.
  4. Cf. la tribune « Copyright extension is the enemy of innovation », signée par une quinzaine de professeurs issus des plus grandes universités européennes, publiée dans le Times du 21 juillet 2008. Voir également la tribune « La proposition de directive sur l’extension de la durée de certains droits voisins. Une remise en cause injustifiée du domaine public » des professeurs C.Geiger, J.Passa et M.Vivant publiée dans La Semaine Juridique du 28 janvier 2009.
  5. Cf. par exemple les travaux de Hartmut Rosa sur le concept d’accélération sociale.
  6. Cf. http://www.culturecommunication.gouv.fr/var/culture/storage/culture_mag/donnees_culturelles2013/index.htm#/55
  7. http://outofcopyright.eu
  8. http://www.arrow-net.eu
  9. Cf. CA Paris, 5 octobre 1994 : la restauration d'une œuvre audiovisuelle entrée dans le domaine public ne saurait faire renaître un monopole sur l’exploitation de l’œuvre.