Peut-on mettre l’intelligence artificielle au service de l’éducation

Aller à la navigationAller à la recherche


Titre : Peut-on mettre l’intelligence artificielle au service de l’éducation ?

Intervenant·es : Oriane ledroit - Axel Jean - Mickaël Bertrand - Louise Tourret

Lieu : Podcast Être et savoir - France Culture

Date : 13 janvier 2024

Durée : 58 min 51

Podcast

Présentation du podcast

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À prévoir

NB : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·es mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Louise Tourret : Bonjour et bienvenue dans Être et savoir, le magazine de l’éducation de France culture. Peire Legras à la réalisation de cette émission, Dalia en assure la prise de son et Avril Ventura collabore à sa préparation. L’intelligence artificielle générative à l’école : faut-il s’en méfier et/ou s’en saisir ?

Les 10 et 11 février 2025 se tiendra à Paris un grand sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle. Il réunira des chefs d’État et des chefs de gouvernement, des dirigeants d’organisations internationales, des ONG, des chercheurs, des petites et grandes entreprises du secteur et même des artistes. L’IA est devenue, en deux ans, un grand sujet pour l’école. Elle fait gagner du temps aux cadres et aux professeurs qui l’utilisent – il y a plein de manières de s’en servir, on va en parler ce soir – et aux élèves, ce qui exige de redéfinir, au passage, le travail demandé à la maison. Que sait-on au juste des pratiques des uns et des autres ? Des solutions vraiment intéressantes sont-elles proposées par l’IA pour améliorer les apprentissages ? Peut-on faire confiance aux géants de la tech pour aller dans de bonnes directions donc pédagogiques, éthiques et économiques ? Bref, peut-on mettre l’intelligence artificielle au service de l’éducation ? On en parle avec nos invités.
Bonsoir Axel Jean.

Axel Jean : Bonsoir.

Louise Tourret : Vous êtes chef du bureau du soutien à l’innovation numérique et à la recherche appliquée à la Direction du numérique pour l’éducation, la DNE, c’est un peu long, au ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche puisque, maintenant, les deux ministères sont regroupés. Vous travaillez sur les enjeux IA et éducation, on va rentrer dans les détails, mais, déjà, est-ce que l’IA est un grand sujet pour l’Éducation nationale ? Depuis quand et comment ?

Axel Jean : En effet, c’est un très grand sujet. On est passé d’un sujet qui était intéressant, mais en périphérie de nos sujets d’intérêt, très loin derrière, évidemment, de la priorité accordée au français et aux mathématiques et du fait de la grande disponibilité, pour le grand public, des IA génératives, donc, disons-le, à l’occasion de l’arrivée de ChatGPT pour le grand public, tout d’un coup, c’est devenu un sujet central. On ne peut pas ne pas considérer l’influence, l’impact de l’arrivée de ce type d’outil pour enseigner et pour apprendre. Donc, vraiment, on bascule de la périphérie à un sujet qu’on doit absolument envisager et sur lequel les professeurs doivent être formés.

Louise Tourret : Donc, ça a donné plus d’importance à votre service, la Direction du numérique pour l’éducation. Est-ce que vous êtes plus nombreux ? Est-ce que vous avez plus de moyens ? Est-ce que c’est comme ça que ça se mesure, d’ailleurs ?

Axel Jean : Je ne sais pas si c’est comme ça que ça se mesure, mais c’est une bonne question. Oui, la direction est en première ligne de ce sujet-là, car il me semble incontournable et je pense, d’ailleurs, que ça paraît incontournable à de nombreux décideurs politiques.

Louise Tourret : Première ligne, ça veut dire que plus de personnels sont dédiés à réfléchir à cette question ?

Axel Jean : En l’occurrence, oui. Dans mon équipe, on a plus de gens qui travaillent sur ces sujets-là. On a redimensionné, fléché de nouveaux travaux en en mettant d’autres en attente, et on se spécialise sur ces sujets-là, y compris, je dois bien le dire, en recrutant.

Louise Tourret : Vous recrutez qui ? Des ingénieurs, des enseignants, des spécialistes des EdTech, les technologies numériques au service de l’éducation ?

Axel Jean : On recrute des compétences sur lesquelles n’importe qui peut répondre, donc, quand on rassemble ces compétences-là, on peut venir du milieu de l’éducation, du milieu de la recherche, c’est très important, on y reviendra sans doute, de la recherche scientifique, et du milieu des entreprises.
Comme profils, nous avons quand même besoin d’avoir des gens qui ont une bonne compréhension de ce qu’est le métier d’enseignant et de ce qu’est le chemin compliqué d’apprendre pour des jeunes publics. Donc, dans mon équipe, en grande majorité, j’ai beaucoup de gens qui ont été enseignants par le passé ou formateurs ou inspecteurs.

Louise Tourret : C’était pour préciser au public qui nous écoute que les gens qui réfléchissent aux interrogations pédagogiques sont aussi enseignants, mais pas seulement. Évidemment, on a un enseignant avec nous, mais je vais d’abord saluer Oriane Ledroit. Bonsoir.

Oriane Ledroit : Bonsoir.

Louise Tourret : Vous êtes déléguée générale de EdTech France, association qui rassemble plus de 400 entreprises françaises qui mobilisent des technologies au service de l’éducation et de la formation. Vous enseignez à Sciences Po Paris. Pour vous, il y a évidemment un intérêt économique à développer ces entreprises françaises. J’ai parlé du grand sommet qui va avoir lieu en février. Il y a un appel à manifestation d’intérêt pour encourager les entreprises, est-ce que ça vous semble intéressant ? Est-ce que vous vous sentez soutenue par l’État et que veut dire exactement appel à manifestation ? Vous allez avoir de l’argent de l’État français pour soutenir votre secteur ?

Oriane Ledroit : Nous, EdTech France, nous nous sommes associés à des universités et à la communauté éducative qui est engagée justement sur les usages de technologies au service de l’éducation. On va donc présenter un certain nombre de travaux qui sont déjà en cours, à la fois pour doter les universités de RAG, une infrastructure d’IA générative qui est dédiée à l’enseignement supérieur pour doter aussi les universités, en collaboration avec les entreprises qui font ces logiciels éducatifs, d’une charte des usages de l’IA générative pour les étudiants, pour les enseignants. Il faut donner confiance, il faut adopter une posture optimiste mais aussi rassurer.

Louise Tourret : C’est-à-dire que, pour être bien claire, il faut des solutions françaises ou européennes à proposer aux étudiants et leur dire : « Allez plutôt sur ces plateformes, je ne sais pas comment je dois dire, ces logiciels – j’ai hésité un peu sur logiciels – plutôt que sur ChtaGPT ou Perplexity, je n’ai pas tous les noms, je ne suis pas une grande utilisatrice.

Oriane Ledroit : En fait, on a déjà des solutions françaises, des logiciels français qui existent.

Louise Tourret : Pourquoi c’est mieux ?

Oriane Ledroit : C’est mieux, déjà parce qu’elles sont construites par des entreprises, dans des cadres définis par les ministères. Axel Jean le disait, aujourd’hui toutes les solutions, les logiciels qui sont déployés dans les classes ou qui sont déployés dans les universités sont des logiciels qui valident les prérequis définis par le ministère et qui valident un certain nombre de contraintes, à juste titre, imposées par les réglementations européennes en matière de protection des données, etc. Ce sont des logiciels qui sont, aujourd’hui, conçus non pas comme les réseaux sociaux, mais comme des logiciels aptes à être utilisés par des enseignants, par des formateurs au service des apprentissages. Et ensuite, parce que, aujourd’hui, on a un écosystème entrepreneurial qui est dynamique, qui est très innovant, qui est en partie soutenu par le ministère et qui se saisit de la pleine puissance des technologies pour apporter des réponses à l’apprentissage, à l’éducation qui ne sont pas adressées autrement. Si on veut personnaliser un apprentissage, si on veut différencier un apprentissage, ce sont des solutions robustes, qui existent aujourd’hui et qui sont mises à disposition des enseignants.

Louise Tourret : On va venir à ces solutions pédagogiques. C’est un gisement d’emplois en France ?

Oriane Ledroit : Aujourd’hui, ce sont 15 000 emplois dans la EdTech, dans l’écosystème des entreprises qui utilisent les technologies pour l’éducation et la formation. C’est en croissance. On a gagné 5000 emplois par rapport à une étude précédente qui a été réalisée en 2021, on est donc en croissance. C’est une filière qui est compliquée, je ne sais pas si on y reviendra.
C’est important, pour nous, d’être à l’agenda du sommet de l’IA, parce qu’on pense qu’il y a un enjeu très fort et ce n’est pas qu’un enjeu économique, c’est aussi un enjeu sociétal, c’est aussi un enjeu social, c’est aussi un enjeu de souveraineté de mettre des logiciels qui sont conçus, développés en France, en respectant les réglementations françaises et européennes au service des apprentissages.

Louise Tourret : C’est un peu ce qu’on va expliquer dans cette émission, comment il faut s’en saisir ou peut-être s’en méfier. À quoi peut-on vous comparer comme type d’entreprise ? Par exemple, est-ce qu’on peut vous comparer aux éditeurs de manuels scolaires ?

Oriane Ledroit : Absolument. Ce qu’on fournit, ce sont des outils pour les enseignants. On fournit des supports à leurs pratiques pédagogiques, des outils, des assistants à leurs pratiques pédagogiques, qui sont en partie basés sur l’IA, pas tout le temps, et pas tout le temps de l’IA générative, ça peut aussi être de l’IA prédictive. Ce sont vraiment des outils qui sont mis dans les mains des enseignants pour les aider à faire face à des classes qui sont nombreuses, à des profils d’apprentissage qui sont très divers, à des besoins particuliers, des enfants qui sont dyslexiques. On leur met vraiment dans les mains des supports pédagogiques pour les aider dans leur action au quotidien.

Louise Tourret : Je répète qu’il y a un enseignant avec nous. Je lui donne la parole dans une seconde. Axel Jean, IA générative, IA prédictive, pouvez-vous définir pour nos auditeurs la différence ?

Axel Jean : Les premières IA étaient basées sur des conditions, avec des algorithmes : si il se passe cela, alors tu déclenches cet événement-là. Ce sont les IA telles qu’on les connaissait avant les IA génératives.
Les IA génératives sont basées sur un traitement colossal d’un très grand nombre de données et, à partir de ces données-là, en fait, on va générer, c’est donc pour cela qu’on dit IA générative, soit du texte qui s’apparente, qui simule le langage humain, soit des images, soit du son, etc., et maintenant un peu de tout. Il y a donc une évolution, un bond en avant, qui est lié au fait qu’on dispose de beaucoup de données, un accès très fort à beaucoup de données et une puissance de calcul qui permet de traiter toutes ces données-là. Ce sont des anciennes théories, mais c’est parce qu’il y a eu des évolutions technologiques que, tout d’un coup, elles révèlent leur plein potentiel. Quand je dis anciennes théories, c’est quand même une très jeune science, on parle de 70 ans, ce qui est très jeune en sciences. On découvre les IA génératives d’un coup, mais les chercheurs travaillaient déjà sur ces sujets-là il y a cinq à dix ans, avec des choses qui étaient un peu déceptives. On rigolait un petit peu des productions en disant « on voit bien que c’est un robot qui parle, etc. ». Maintenant il y a un effet extrêmement sidérant, surprenant, bluffant, et il est très important qu’à l’école ce sujet soit abordé pour bien rester à distance, porter à distance le fait qu’on a affaire à une simulation, quelque chose qui imite l’humain, qui imite le langage, mais il n’y a pas de pensée, il n’y a pas d’autre qui nous parle : quelqu’un a programmé quelque chose.

Louise Tourret : Et pourtant, l’IA générative offre beaucoup de réponses, comme des plans tout faits, par exemple, même des paragraphes. Pour les élèves, la rapidité, aussi, de la réponse qui est donnée c’est du pain bénit, pas seulement pour recopier, mais aussi pour avoir des idées. Il faut aussi aller au-delà de la peur du copier-coller, c’est ce que vous dites, Mickaël Bertrand. Bonsoir.

Mickaël Bertrand : Bonsoir.

Louise Tourret : C’est ce que vous dites dans un article publié dans les Cahiers pédagogiques consacrés à l’IA et la pédagogie. Il a été publié en mai, il a été réimprimé, ce qui n’arrive pas très souvent, preuve que le sujet intéresse beaucoup les enseignants et les spécialistes de la pédagogie. Je précise que vous enseignez l’histoire-géographie et l’EMC [Enseignement Moral et Civique] en lycée, également en milieu carcéral dans l’académie de Dijon. Vous êtes formateur et auteur de J’enseigne avec l’IA ! Guide pratique de l’IA au service de l’enseignant et de l’élève , à paraître chez Vuibert. Mais moi, j’ai déjà pu lire l’ouvrage. C’est un peu plus qu’un guide. D’ailleurs, quand on parle de l’IA, on ne peut pas se contenter de donner des outils. Il faut réfléchir aux attendus du sujet, c’est-à-dire que, tout de suite, on parle d’éthique en fait. Mickaël Bertrand.

Mickaël Bertrand : Effectivement, ce qui m’intéressait, dans un premier temps, ce n’était pas de donner des outils pratiques, c’était déjà d’essayer de se poser un peu, avec les collègues, et de voir ce qui est en train de nous arriver. Ce sont des outils qui se sont imposés très rapidement dans les poches de nos élèves qui, évidemment, nous déstabilisent. Les premières questions auxquelles j’ai fait face de la part de mes collègues, ce sont des questions liées à la triche, liées au plagiat et, pendant près d’un an, la principale demande c’était : « Qu’est-ce que tu peux nous proposer pour nous certifier qu’un texte a été réalisé par une intelligence artificielle ? ». Ensuite, une fois qu’on a posé cette question, ma réponse est de dire que non, je ne pouvais pas et on ne peut toujours pas, aujourd’hui, donner avec certitude un outil qui permet de repérer le plagiat, en revanche, cette difficulté à laquelle on est confronté en tant qu’enseignant doit peut-être nous inviter à réfléchir à ce qu’on donne à faire aux élèves, aux consignes que l’on donne, au travail à réaliser, aussi bien en classe qu’en dehors de la classe.

Louise Tourret : L’IA est parfois comparée à un outil qui peut sembler étonnant, parce que c’est un outil très simple dont nous nous sommes nous-mêmes servis dans notre scolarité, c’est la calculatrice.

Diverses voix off : Très pratique pour les lycéens et collégiens.
Vu que les calculs sont de plus en plus compliqués, on a de plus en plus besoin de la calculatrice.
Avec les calculs mentaux, on fatigue au bout de deux/trois, c’est donc plus facile de taper sur une machine.
En classe, elle apparaît au début des années 70, pas encore très pratique à utiliser, en dix ans, elle se miniaturise.
Par exemple, celle-ci, la Rolls du calcul, qui est capable de réaliser des opérations scientifiques dignes d’un ordinateur. Et puis celle-ci, la 2CV.
Mais bientôt, c’est la polémique.
Des calculatrices de poche pour passer le baccalauréat et tous les examens de l’Éducation nationale, une nouveauté qui provoque déjà bien des critiques. À quoi bon apprendre les tables de multiplication, par exemple, puisqu’il suffira de savoir appuyer sur des boutons ?
Ce n’est pas la calculatrice qui fait tout. Tu ne peux pas t’en sortir juste avec la calculatrice.
Il faut d’abord apprendre à calculer pour pouvoir s’en servir, c’est mon opinion.

Louise Tourret : Mais bientôt, c’est la polémique, nous disait-on dans ce sujet de TF1 de 2020 qui retraçait l’histoire de la calculatrice, un objet dont on a le droit de se servir, c’est vrai, pendant les examens. Est-ce que la comparaison vous semble en partie pertinente ? Bien sûr, générer des textes, c’est plus compliqué que faire des calculs, mais tout de même, on apprend toujours à compter, mais plus de la même façon. Axel Jean, que vous inspire cette comparaison qui est souvent faite.

Axel Jean : C’est une comparaison qui est souvent faite. Elle permet, peut-être, de dédramatiser l’arrivée d’une nouvelle technologie telle que l’intelligence artificielle. Cependant, elle a des limites. Un des élèves disait « il faut quand même apprendre à compter » et c’est vrai, il faut d’abord commencer par apprendre à compter, puis utiliser un outil. Être outillé, c’est juste naturel dans le cadre du développement technologique et c’est normal que les élèves utilisent ce genre d’outil. Cependant, il y a une immense différence entre la calculatrice et les IA génératives. Vous demandez à la calculatrice « 2 + 2 » le lundi, le vendredi, vous lui demandez ou je lui demande, elle me répondra toujours « 4 ».
Si j’envoie un prompt à deux moments différents à l’IA générative ou en utilisant deux IA génératives, je n’aurai pas toujours la même réponse. Ce n’est pas un objet complètement stabilisé, ça ne peut pas former un objet de référence. Par contre, l’élocution est extrêmement bonne, le texte produit est très surprenant, etc. Ce sont deux objets dont l’un est très stable et n’invente rien, rien du tout. Il calcule, donc il exécute toujours les mêmes procédures, il n’a pas de variations. Les IA génératives, ce n’est pas le même cas. Il faut absolument que les élèves en prennent conscience et qu’ils comprennent que, suivant l’outil, suivant le moment, suivant une petite formulation légèrement différente et même exactement le même prompt ne va pas produire la même chose. Cela doit être expliqué aux élèves pour qu’ils développent un esprit critique, qu’ils se mettent un peu à distance de l’objet. Donc qu’ils s’en servent pour être aidés, comme ça a été dit précédemment, c’est extrêmement utile pour travailler à la maison, etc., c’est un immense apport possible. Tout le monde n’a pas, à la maison, papa, maman, un professeur particulier qui puisse l’aider. Donc, avoir cet outil-là qui vous aide, c’est évidemment un très bon atout. Par contre, il faut qu’on développe, auprès de nos élèves, un esprit critique pour qu’ils fassent un choix éclairé face à ces machines-là, à ces services-là.

16’04

Louise Tourret : Donc, et on va revenir à la question du prompt avec vous, Mickaël Bertrand, le prompt c’est la question qu’on pose à l’IA quand on est face à une IA générative qui est capable de publier, je ne sais pas comment dire, de proposer des textes. Il faut donc apprendre, continuer à apprendre, Mickaël Bertrand, à faire des plans.

Mickaël Bertrand : Oui. Comme le disait Axel Jean, ça n’est qu’un outil et un outil relativement instable. Et cet outil montre tout son potentiel à partir du moment où l’on est capable de lui poser de bonnes questions, ce qui d’ailleurs, en éducation, nous intéresse énormément. Savoir poser une question, ça veut dire avoir compris les contours du sujet, ça veut dire manier la formule interrogative, ça veut dire analyser tous les termes du sujet et le prompt devient une nouvelle compétence à développer.
Pour prendre un exemple très concret, quand je suis amené à utiliser les IA génératives avec mes élèves et que je leur propose, ponctuellement, d’utiliser ces outils pour réaliser un plan détaillé de dissertation, s’ils se contentent de reproduire, de copier-coller la question ou le sujet de dissertation, ils auront une réponse, mais une réponse qui répond plutôt à la logique de l’essai anglo-saxon, ce qui n’est pas la norme académique dans l’enseignement français. Donc, pour avoir une réponse adéquate, ils doivent savoir ce qu’est une dissertation française, ils doivent savoir quelles sont les différentes étapes d’une introduction, la logique entre l’argument et l’exemple, etc. En fait, ils doivent maîtriser la méthodologie avant d’être en mesure d’utiliser un outil qui va leur porter une assistance.

Louise Tourret : Mais ce n’est pas pareil de savoir critiquer les résultats que fournit une intelligence artificielle générative, ce n’est pas pareil de savoir poser une bonne question que de réaliser soi-même un plan. Il y a aussi une intelligence de l’organisation à l’écrit et même de l’écriture. De toute façon, je vais faire une émission sur l’écriture et l’intelligence artificielle, mais vous voyez ce que je veux dire. C’est quand même une redéfinition pas tout à fait innocente de l’intention, de la pédagogie, et puis de ce qu’on attend des élèves.

Mickaël Bertrand : Effectivement et il est évidemment hors de question de considérer qu’on doit abandonner totalement l’écriture, l’expression écrite. Par contre, on peut utiliser ces outils dans le cadre de certains exercices, et puis, ensuite, quand on utilise une intelligence artificielle, ce qui m’intéresse, ce n’est plus nécessairement avec les mêmes critères d’évaluation. Quand je donne un sujet de dissertation à réaliser en classe sans usage d’un téléphone portable ou d’un ordinateur, mon objectif c’est justement d’évaluer la capacité de mon élève à argumenter, à mobiliser des connaissances adéquates, à faire une démonstration et à construire une démonstration.
En revanche, lorsque je demande à un élève d’utiliser une IA générative, j’évalue sa capacité, justement, à porter un regard critique sur la production proposée et, ensuite, à être capable de sourcer les informations, d’avoir validé les informations, de s’être approprié toutes ces informations pour les présenter, après, à l’oral, en classe aux autres élèves. Pour moi, une copie rédigée à l’aide d’une image générative a assez peu d’intérêt à faire l’objet ensuite d’une correction écrite. Ce qui m’intéresse, c’est de dire « vous avez travaillé en autonomie, pendant 15 à 20 minutes avec une IA générative, vous aboutissez à un plan. Qu’est-ce que vous en pensez ? Débattons ensemble. Est-ce que vous pensez qu’on peut l’améliorer, est-ce que c’est logique ? » Et là, on confronte des points de vue.

Louise Tourret : Est-ce que la fréquentation de ces supports permettrait, dans l’idéal, de développer la rigueur, une qualité qui manque à beaucoup d’élèves, peut-être à beaucoup d’adultes aussi d’ailleurs, par exemple par rapport à une production écrite ? Est-ce qu’on peut aller jusque-là ?

Mickaël Bertrand : Moi, en tout cas, je l’espère vraiment, c’est-à-dire qu’on va être obligé d’évoluer sur la nature des exercices que l’on demande à nos élèves et ceci de l’école primaire, du premier degré, jusqu’au lycée. Ensuite, on ne peut pas faire comme si on n’observait pas des choses inquiétantes. On voit aujourd’hui des élèves qui, auparavant, copiaient-collaient Wikipédia, auparavant recopiaient quelque chose qui avait été fait par un frère ou par une sœur et qui, aujourd’hui, recopient le résultat d’une IA générative en considérant que c’est suffisant et que ça va passer. On voit aujourd’hui que certains vont vers une forme de facilité et c’est notre rôle d’essayer de leur rappeler que ça n’est pas l’objectif de leur formation.

Louise Tourret : Et c’est toujours étonnant de voir à quel point, ça concernait déjà les générations précédentes, les élèves ne comprennent pas ce qu’on leur demande, ce qui veut peut-être aussi dire que l’école n’arrive pas à leur faire comprendre ce dont il s’agit quand on parle de travailler et, à mon avis, c’est une grande question pédagogie.
Je voudrais qu’on s’arrête sur les mots, avec vous, Oriane Ledroit. On a parlé de prompt, c’est la question qu’on pose à une IA générative et qu’on peut reposer d’ailleurs, parce que ça peut être une question assez longue et puis on peut donner des précisions. On parle d’intelligence artificielle, certaines critiques disent qu’il ne s’agit pas d’intelligence, puisque, finalement, on agglomère des données pour produire un texte, mais il n’y a pas de pensée, j’ai pu rencontrer la formule de « perroquet scolastique », qui est assez intéressante à répéter. Il y a aussi l’idée d’hallucinations quand on parle d’erreurs et, là, on se dit qu’on se fait peut-être un petit peu enfumer, parce qu’il peut y avoir des erreurs qu’on peut repérer, en tant qu’être humain, dans la production de l’intelligence artificielle. Pourquoi parler d’hallucinations ? Bref, on est bloqué dans une espèce de vocabulaire technologique qui pourrait nous empêcher de penser.

Oriane Ledroit : Je pense que c’est essentiellement parce que là on pense à des technologies qui ne sont pas conçues pour l’éducation. On évoque ChatGPT, on évoque les IA génératives, ce sont des technologies qui sont pensées pour des usages du quotidien ou même des usages professionnels. Ce que nous défendons, d’ailleurs l’intervenant précédent en a parlé, ce sont les logiciels qui sont conçus à des fins pédagogiques, à des fins éducatives, justement pour aider les enseignants dans leurs pratiques au quotidien de salles de classe, dans lesquelles ils font face à une trentaine d’élèves avec des rythmes d’apprentissage qui sont différents, des curiosités qui sont différentes, des centres d’intérêt qui sont différents, parfois des troubles de l’apprentissage à accompagner. Ce qui est important, c’est qu’aujourd’hui l’IA, notamment l’IA générative, ce n’est pas que ChatGPT. Il y a un enjeu énorme, massif, d’éducation, d’accompagnement aux usages de ChatGPT et équivalents, évidemment parce que ce sont des pratiques du quotidien – on sait que plus de 90 % des élèves de seconde ont utilisé ChatGPT pour un devoir dans les mois précédents. Aujourd’hui, en France, on a la chance d’avoir des logiciels qui sont pensés et conçus à partir d’IA pour l’éducation, pour différencier l’apprentissage, etc. Et dans ces logiciels-là, on réduit massivement les risques d’hallucinations, on réduit aussi massivement les biais qui sont liés à ces algorithmes pensés, développés souvent par des Américains blancs, hommes, et pas par d’autres types de personnes. Parler de l’IA, comme ça, dans sa globalité, ne veut finalement pas dire grand-chose quand on parle d’IA et d’apprentissage. En tout cas, on peut clairement distinguer la question des usages des IA génératives quelles qu’elles soient dans les pratiques quotidiennes, y compris l’apprentissage, et la question des IA éducatives dédiées à l’apprentissage, à améliorer l’apprentissage.

Louise Tourret : Deux exemples français.

Diverses voix off : C’est une plateforme, à destination des enseignants, qui permet de transformer des supports de cours – ça peut être du texte, de la vidéo aussi, un podcast par exemple – et de le transformer en activités interactives en quelques minutes. Ça se transforme en quiz, en flashcards. Par exemple, si vous mettez une vidéo sur, l’histoire-géo – la France pendant la Révolution française –, on va voir une vidéo interactive, des quiz, des glossaires, un résumé, des mots fléchés, des mots mêlés, et toutes ces activités sont générées en quelques minutes et surtout, sont complètement compatibles avec l’écosystème numérique des enseignants. Par exemple, sur la région Île-de-France, les enseignants du lycée utilisent la plateforme Éléa. Ils vont pouvoir partager ces contenus interactifs sur cette plateforme.
Sur certains domaines, comme l’apprentissage de la lecture, on a des cas d’usage qui sont très intéressants. J’ai ma vidéo, mon casque, je lis mon texte et le système reconnaît ma vitesse de lecture, les mots clés et, à la fin, j’ai un score. L’enseignant utilise ce score pour, ensuite, faire travailler l’élève en générant un texte basé sur les mots sur lesquels l’élève a besoin de travailler. C’est donc très motivant puisque, finalement, l’élève est pleinement acteur de son progrès. L’enseignant peut aussi passer peut-être un peu plus de temps avec les élèves qui ont des difficultés et, en même temps, valider le niveau d’une classe.

Louise Tourret : C’était Nejma Belkhdim, de Nolej AI, une entreprise française, et Thomas Coustenoble de Microsoft, qui n’est pas une entreprise française. On entend qu’il y a des propositions très précises et je vais revenir sur la différenciation pédagogique.
La première question que je voulais vous poser, Axel Jean, suite à ce qu’a dit Oriane Ledroit, c’est comment convaincre les utilisateurs, et particulièrement les élèves, d’utiliser des solutions françaises ou européennes qui seraient plus adaptées à notre manière d’enseigner et de penser, alors qu’elles sont très peu connues, j’ai cité Perplexity, mais, en gros, tout le monde ne parle que de ChatGPT dont la cause est que cette entreprise a bénéficié aussi d’une force médiatisation. Donc, comment allez-vous faire ?

Axel Jean : Effectivement, c’est une bonne question, et ça dépendra de l’âge des élèves. C’est-à--dire qu’il faut qu’on ait une réponse qui dépendent de si on est en maternelle, à l’élémentaire, au collège, au lycée, ou à l’université.

Louise Tourret : Déjà en maternelle et en primaire, on va l’utiliser ?

Axel Jean : Il faudrait très peu l’utiliser.

Louise Tourret : C’est bien qu’on le précise.

Axel Jean : Le ministère s’aligne sur les recommandations publiées par l’Unesco qui disent qu’il y a un âge pour lequel on peut utiliser les IA génératives et il le faudrait pour vraiment s’initier à ce sujet-là et d’autres pour lesquels il est raisonnable que l’élève ne soit pas exposé trop tôt à ces IA génératives, pour une raison relativement simple : c’est tellement trompeur sur cette production d’écrits qu’un jeune élève, qui n’a pas construit sa relation à l’autre, qui n’a pas encore suffisamment grandi pour construire son altérité, pourrait être troublé par cette machine ; il peut croire qu’elle est plus disponible que son professeur, que ses parents, etc., et là, on s’expose à des grandes difficultés à très court terme. Il y a un âge raisonnable auquel on peut commencer à exposer les élèves à ce type de technologie et, en dessous, ça n’est pas du tout raisonnable.
Nous sommes toujours à proposer, comme Oriane Ledroit le disait, des services d’assistance auprès du professeur, ce n’est pas la classe sans le professeur, c’est un service d’assistance basée sur de l’IA, mais toujours, toujours à l’initiative du professeur et sous le contrôle du professeur. Il reste toujours un humain dans la boucle pour savoir si c’est bienveillant, utile au progrès des erreurs.

Louise Tourret : Pardon. Je n’en étais même pas là parce que je ne pense pas que le projet soit pour tout de suite, en tout cas en France, de supprimer les enseignants. Est-ce qu’on va convaincre les enseignants et surtout les élèves, quand ils sont chez eux et qu’ils veulent se faciliter la vie, pas seulement pour écrire, mais aussi pour réviser, par exemple, d’utiliser des solutions un peu plus sécures.

Axel Jean : Il y a deux choses. Le travail que préconise l’enseignant est toujours sous son contrôle. Donc, il choisit un logiciel qui va répondre, comme Orian Ledroit le disait et le collègue aussi, à des attendus de programme, de sécurité, etc. Là, l’élève fait comme quand on lui recommande d’aller sur tel ou tel livre, il va sur ce livre-là parce qu’il y a une confiance établie, un contrat entre le professeur et l’élève et, en l’occurrence, en France et dans nos démocraties, ça fonctionne plutôt bien. Les élèves font confiance aux professeurs, donc, ils écoutent cette recommandation d’utiliser tel ou tel service. Mais on ne doit pas éviter le fait qu’à la maison, parce qu’ils ont un portable, ils sont exposés à des services grand public. Et si ces sujets-là ne sont pas abordés – comment on s’en sert au mieux, comment on y réfléchit, comment on se tient à distance –, la bonne question c’est qui va aider les élèves à comprendre ce qui se joue et la réponse est : personne.

Louise Tourret : Si quand même !

Axel Jean : Ce que je veux dire c’est que les grandes entreprises, les GAFAM, cherchent des consommateurs et ont des algorithmes pour ça.

Louise Tourret : C’est un peu le travail de l’école quand même.

Axel Jean : C’est justement ce que je dis. Si on n’aborde pas ce sujet à l’école, y compris avec des services type grand public, alors personne ne fera ce travail-là.

Louise Tourret : Est-ce que ce n’est pas un peu ce qu’on a raté sur les moteurs de recherche ?

Axel Jean : Si, soyons très clairs. En fait, nous ne sommes pas très bons pour gérer les révolutions industrielles, vraiment clairement.

Louise Tourret : Tout le monde va sur Google, alors qu’il y aurait pu avoir des logiciels libres. Il y a eu des contributions françaises et européennes.

Axel Jean : Effectivement. Il y a eu des solutions sur ces sujets-là. On a assez raté, nous avons été réticents. Tout à l’heure a été évoquée Wikipédia, l’encyclopédie, il y avait une réticence à aller sur cette encyclopédie, alors que cette encyclopédie ne produit pas plus d’erreurs que les encyclopédies installées. Il y a effectivement toujours cette résistance ou réticence au changement.
Mais, il se trouve que ces objets étant dans tous les usages de nos jeunes publics, il faut impérativement aborder ces usages possibles, des usages raisonnés avec un esprit critique, sinon ils seront seuls face aux algorithmes pensés par d’autres et, comme Oriane Ledroit le disait, ces gens qui projettent leurs grands modèles sont des gens qui ont des biais, des représentations du monde qui ne sont pas forcément les nôtres, pas nos valeurs.

30’47

Louise Tourret : C’est intéressant, je ne veux pas m’égarer, mais on a longtemps pris Wikipédia pour le grand méchant, à tort, alors que c’est plutôt une plateforme collaborative assez libre. Alors que, par exemple, les réseaux sociaux et même les moteurs de recherche, sont beaucoup plus commerciaux et suivent d’autres objectifs au regard de nos droits.
Oriane Ledroit, puis on repasse la parole à Mickaël Bertrand.

Oriane Ledroit : Pour compléter ce que disait Axel Jean, par exemple sur le cycle 2, c’est-à-dire CP, CE1, CE2, aujourd’hui, on a plus de 50 000 enseignants qui utilisent les solutions soutenues par le ministère pour apprendre à lire et apprendre à compter, et qui sont basées sur des IA développées sur des modèles technologiques.

Louise Tourret : Ce sont des exercices fermés.

Oriane Ledroit : Absolument, c’est l’enseignant qui est outillé, qui est aidé pour faire ses cours de lecture et ses cours de maths par ces solutions-là, qui sont des solutions françaises, qui ont été développées dans le cadre juridique et technique défini par le ministère. Ces solutions-là sont plébiscitées par les enseignants, parce que 50 000 enseignants sur le cycle 2 – CP, CE1, CE2 – c’est beaucoup. Ils ont pris du temps pour s’engager, ils ont pris du temps pour se former, ils ont pris du temps pour mettre à disposition, dans le cadre de leurs pratiques pédagogiques, cet outil-là, auprès de leurs élèves et, sous le contrôle d’Axel Jean, je sais que les solutions qui sont utilisées dans ces classes-là satisfont aussi les élèves, satisfont aussi les parents, parce qu’elles répondent à des besoins qui ne sont pas ou qui ne sont jamais couverts par des enseignants seuls.

Louise Tourret : C’est un énorme sujet. On va y venir tout de suite avec Mickaël Bertrand sur la différenciation pédagogique, parce que c’est vrai qu’on peut proposer des outils hyper-adaptés, mais il y a peut-être un revers. Ma première question, c’est : est-ce que vous essayez de convaincre vos élèves ? Je sais que dans votre lycée, il y a une formation de six heures par an, quand même, pour réfléchir à l’IA. Ce n’est pas dans tous les établissements, c’est un établissement très particulier qui a décidé de proposer ça aux élèves que ça intéresse, c’est un cours d’exploration. Est-ce que vous essayez de les convaincre d’utiliser des solutions françaises, des entreprises européennes ou éthiques, tout simplement ?

Mickaël Bertrand : Pour le moment, on aurait un petit peu de mal à les convaincre d’utiliser des choses qui répondent totalement aux normes européennes et françaises et au RGPD, parce qu’on n’a pas vraiment d’outils, en tout cas d’outils qui soient aussi performants que ce que nos élèves attendent des IA génératives et de ChatGPT. Par contre, on les fait réfléchir à tout ça.
Ce module, que vous avez évoqué, s’inscrit dans la continuité de la saisine de la ministre de l’Éducation nationale, Nicole Belloubet. En mars 2024, Nicole Belloubet a saisi le Conseil supérieur des programmes pour plusieurs disciplines, pour une refonte du socle et, à l’intérieur de cette lettre de saisine, elle explique qu’il doit y avoir une prise en compte de l’apport de l’intelligence artificielle. Je cite juste, ça tient en quatre lignes, elle nous explique que « les programmes contribueront, pour chaque discipline, à créer une culture de l’IA au travers, en particulier, de l’utilisation raisonnée des possibilités offertes par les outils utilisant l’intelligence artificielle. Mais ils identifieront, pour chaque année, aussi les cas d’usage où l’apport de l’IA représente une véritable plus-value et les notions à connaître. »

Louise Tourret : C’est vous qui avez écrit ça, Axel Jean !

Axel Jean : Le ministère a beaucoup travaillé, évidemment, pour ces propositions-là, mais pas que la Direction du numérique pour l’éducation, il y a aussi nos collègues de la DGESCO et de l’Inspection générale qui se creusent les méninges ensemble pour proposer des pratiques nécessaires. C’est une évolution majeure, en fait, en termes de pratiques professionnelles, les gestes professionnels ont eux-mêmes évolué.

Louise Tourret : Je ferme la parenthèse. Mickaël Bertrand.

Mickaël Bertrand : Nous évidemment, nous attendons avec impatience le résultat de la réflexion du Conseil supérieur des programmes. J’ai déjà eu l’occasion, notamment chez mon éditeur, de proposer des petits modules à destination des élèves pour essayer de faire une initiation aux intelligences artificielles. Et puis dans mon établissement, sous l’impulsion de mon chef d’établissement, nous avons décidé de lancer, comme vous l’avez dit, un enseignement d’exploration qui s’inscrit dans une continuité. L’année 2023/2024 a été consacrée à une formation de l’ensemble des collègues de l’établissement sous la forme de petits ateliers, d’une journée pédagogique. À la suite de cette formation, on a pu réunir toute une équipe prête, cette fois-ci, à former l’ensemble de nos élèves de seconde, c’est-à-dire environ 350 élèves.
Notre objectif n’est absolument pas de leur mettre ces outils entre les mains et de leur dire « regardez, c’est formidable », l’objectif, c’est vraiment de leur faire comprendre ce que sont ces outils et, ensuite, éventuellement, comment on peut les utiliser intelligemment.
En fait, ça tient en six axes de six heures.
Déjà une histoire des intelligences artificielles pour leur montrer que ce n’est absolument pas quelque chose de nouveau. J’animais encore cet atelier ce matin et c’est très surprenant de constater, quand on leur pose la question de la date de naissance de l’intelligence artificielle et, encore ce matin, la date la plus ancienne que j’ai eu de la part de mes élèves, c’était 1995. Bon !, moi je remonte à Euclide, on a donc quand même un gros décalage !

Louise Tourret : J’aurais tellement envie d’assister à ce cours ! Ce qui est intéressant aussi avec l’intelligence artificielle, et c’est vraiment une idée que j’ai eue en vous écoutant tous les trois, c’est que dans les cultures du numérique, on avait une critique presque endogène, par exemple il y a des gens qui critiquent les réseaux sociaux, parce qu’il y a des gens, en fait. Sur YouTube, il y a aussi toute une écriture qui montre l’envers du décor. Avec l’intelligence artificielle on est avec personne, donc il n’y a plus, en soi, une notion d’éducation dans l’usage qu’on peut avoir de ces outils, en tout cas pour les grosses plateformes, et ça m’interroge.
Mais la question que je voulais vous poser, Mickaël Bertrand, c’est sur la différenciation pédagogique, parce que c’est vraiment un axe majeur pour les petites entreprises : proposer des exercices, savoir réaliser des quiz et des exercices qui s’adaptent aux difficultés ou aux intérêts ou aux qualités de chaque élève. C’est vrai, c’est intéressant d’individualiser l’enseignement, mais est-ce qu’on ne va pas oublier, avec cela, la notion de groupe, la notion de classe qui est également porteuse, alors pas tout le temps, pas toujours, mais qui peut l’être et qui est, de toute façon, la manière dont on organise l’éducation depuis longtemps. Je ne vais pas remonter toute l’histoire de l’école, mais bien avant l’école publique, depuis les écoles des Jésuites, par exemple, on est en classe, en classe d’âge même, et ça a un intérêt. Est-ce qu’on va pas briser cette organisation ?

Mickaël Bertrand : Non, au contraire. J’ai plutôt l’impression que l’émergence de ces outils va nous permettre de réfléchir et de nous recentrer sur ce qui est important à l’école à savoir former certes des élèves, mais former aussi des citoyens qui, ensuite, vont faire société. Je trouve que quand on rentre par l’angle différenciation, c’est d’autant plus intéressant qu’on voit immédiatement les limites des outils. On a aujourd’hui des outils, des propositions qui sont faites essentiellement anglo-saxonnes et qui nous disent « donnez-nous votre cours et on va vous proposer une différenciation clés en main. » Le retour des collègues c’est que, à chaque fois, c’est aberrant. C’est aberrant pourquoi ? Parce que c’est pensé pour une pédagogie anglo-saxonne, que ça n’est pas pensé pour le système scolaire français tel qu’on le connaît.

Louise Tourret : Tout cela pourrait être une influence qui va aussi changer notre manière d’enseigner, qui sait ! Axel Jean dit que c’est sûr. Oriane Ledroit, ça fait dix minutes que vous voulez réagir, parce que vous avez beaucoup de choses à dire.

Oriane Ledroit : J’ai deux remarques.
La première : il faut vraiment faire la distinction entre l’éducation AU numérique et l’éducation PAR le numérique.
L’éducation aux IA génératives, c’est une éducation au numérique, c’est-à-dire comprendre comment ça fonctionne, comprendre ce qu’il y a derrière, comprendre les écueils, les limites, les capacités aussi et les opportunités qu’on a par le biais de ces outils-là.
L’éducation par le numérique, c’est faire le pari d’utiliser des logiciels qui sont, encore une fois, conçus pour l’éducation, pour les apprentissages, souvent d’ailleurs avec des laboratoires de recherche spécialisés dans les sciences cognitives, par des chercheurs – on a une excellence de la recherche française en la matière – qui sont conçus pour les apprentissages, pour les situations de classe, majoritairement, il y a aussi des logiciels qui sont pensés pour des utilisations hors de la classe, mais majoritairement dans la classe, donc dans des contextes d’apprentissage.
Pour rebondir sur la question de la différenciation, c’est l’endroit, le secteur sur lequel la science, parce qu’elle étudie l’efficacité et l’utilité des IA et des technologies dans leur ensemble sur l’apprentissage, fait consensus sur le fait que la technologie peut ce qu’on ne peut pas, je le disais tout à l’heure, faire un enseignant face à une classe avec des profils d’apprentissage très divers. Ce n’est pas pour autant que ça rompt l’enjeu de faire groupe, de faire cohésion et, d’une certaine manière, de faire société dans une classe, parce qu’en fait, les IA et les logiciels éducatifs tels qu’ils sont utilisés aujourd’hui, sont utilisés sur des temps courts dans le cadre des pratiques des enseignants. Par exemple Lalilo, un des logiciels qui est plébiscité par les enseignants pour l’apprentissage de la lecture dans les classes de cycle 2, donc CP, CE1, CE2, est utilisé 30 minutes par semaine. On est sur quelque chose qui est, en plus, complémentaire à des pratiques classiques telles que l’enseignant a l’habitude de le faire depuis des années.

Louise Tourret : Est-ce qu’on ne va pas déposséder les enseignants de leur liberté pédagogique, de leurs compétences. On sait qu’il y a eu des petits livrets assez directifs sur l’apprentissage de la lecture qui ont été publiés quand Jean-Michel Blanquer était ministre de l’Éducation, il y a pas si longtemps, et que ce côté directif avait été critiqué par le syndicat du premier degré, le SNUipp. Si, demain, on dit « on a un super logiciel pour apprendre la lecture, tout le monde n’a qu’à l’utiliser comme cela ça permettra d’avoir un enseignement différencié », ça va quand même sacrément changer – ce n’est pas, pour l’instant, ce qui est décidé – mais ça changerait quand même la mission des enseignants qui seraient des exécutants et non plus des gens qui créent leur cours et l’adaptent à leur manière de faire.

Axel Jean : Ça peut être un risque. Il y a des régimes autocratiques qui font de leurs professeurs des opérateurs de services qu’ils développent pour contrôler leur population, pas forcément pour élever le niveau intellectuel de la population. Mais dans les démocraties, en France en particulier, Oriane Ledroit le disait tout à l’heure, le ministère a soutenu des partenariats en innovation sur l’intelligence artificielle. Ces services-là sont des propositions d’assistance pour les professeurs, qu’ils prennent ou qu’ils ne prennent pas. Et, quand ils les prennent, c’est à hauteur de leurs choix, parce que ça les aide, en fait, à mieux différencier.

Louise Tourret : Mais vous comprenez mes inquiétudes.

Axel Jean : Je comprends vos inquiétudes, mais tant qu’n est en régime démocratique et tant qu’on sait qu’on apprend au contact des humains et qu’on confie à des professeurs, des humains, le chemin complexe d’apprentissage de 30 ou 35 élèves, s’ils sont assistés par un service qui permet de mieux différencier, c’est un atout maître, mais toujours sous le contrôle du professeur.

Louise Tourret : Puisqu’on parle de régime démocratique, est-ce que, par exemple aux États-Unis qui est un régime démocratique, ça pourrait changer, sous la pression, par exemple, de personnes très influentes comme Elon Musk, je ne sais pas s’il s’intéresse à l’éducation plus que ça.

Axel Jean : Ça pourrait et il est important de garder en tête qu’on n’apprend jamais mieux qu’au contact d’un autre humain. Apprendre, c’est complexe. La classe a effectivement une dynamique d’apprentissage et je le dis très sincèrement et sereinement en travaillant à la Direction numérique pour l’éducation, nous disons qu’on n’apprend pas que avec le numérique, mais le numérique permet une différenciation : vous proposez l’activité au bon niveau, au bon moment. Cela, même si vous êtes le meilleur professeur du monde, vous ne pouvez pas le faire pour 35 élèves. L’IA vous permet de délivrer exactement ce dont a besoin l’élève au bon moment. Donc, sous le contrôle du professeur, de l’humain toujours dans la boucle, on a cette activité parfaite.
Je prends un exemple qui va parler à vos auditeurs, je l’espère. Quand on est professeur de langues vivantes et qu’on passe la parole à tour de rôle à nos élèves, l’élève va parler une à deux minutes par heure. Quand on est sur un système basé sur de l’IA, l’élève peut être en permanence sollicité.

Louise Tourret : On avait des labos de langues avec des cassettes.

Axel Jean : Vous avez raison. On revisite le labo de langues, sauf que là, ça va vous reprendre à la volée sur votre prononciation, enrichir votre champ lexical, etc., donc, on tient de très anciennes promesses grâce à l’IA. Et il y a des élèves qui sont très timides, qui n’osent pas prendre la parole en classe, parce qu’il y a les moqueries, c’est parfois complexe à certains âges de développement des élèves, et là, face à l’IA, ils testent, ils utilisent beaucoup plus ces services-là, parce qu’il n’y a pas forcément le regard de l’autre, ils prennent confiance et ils osent beaucoup plus faire des choses après. C’est un soutien tant pour le professeur que pour l’élève dans ses révisions.

[Pause musicale]

Voix off : France culture. Être et savoir – Louise Tourret.

46’25

Louise Tourret : Peut-on mettre l’intelligence artificielle au service de l’éducation ? C’est la question que nous nous posons ce soir dans Être et savoir. Où en sommes-nous ? Où allons-nous ? Et faut-il apprendre à se débrancher, comme pour cette version de Take on me de A-HA tirée de l’émission Unplugged diffusée sur MTV en 2017.
Mickaël Bertrand, est-ce que l’école peut être aussi un havre, sans numérique, sans écran ?

Mickaël Bertrand : Tout à fait, et ça me semble important de préserver ces espaces parce que nos élèves sont happés par les notifications et par l’attrait du numérique. Parfois, ils sont demandeurs de notre soutien pour apprendre un peu à débrancher. Donc nous, par exemple dans notre établissement, nous avons, depuis cette année, réfléchi en parallèle de l’enseignement d’exploration que l’on évoquait ensemble, à organiser des journées débranchées dans lesquelles on demande aux élèves de venir sans leur téléphone portable, des temps de midi-deux où on propose des jeux de société pour s’assurer qu’ils ne soient pas tous penchés sur leur téléphone portable.

Louise Tourret : Qu’en est-il a formation des enseignants ?, je trouve qu’on aborde le sujet assez tard dans l’émission aujourd’hui. On sait que la formation continue n’est pas extraordinaire en France en termes de temps qui lui est consacré, en termes de possibilité pour les professeurs. Là, il faut évidemment ajuster les propositions. C’est un peu ce que vous voulez faire avec votre livre, Mickaël Bertrand, de la formation à vos collègues.

Mickaël Bertrand : Tout à fait. Idéalement de la formation évidemment en établissement, en présentiel. Les établissements et les équipes ont besoin d’énormément d’accompagnement, mais également en donnant un peu de bibliographie, qui est très tardive en France. La bibliographie anglo-saxonne est beaucoup plus fournie, mais ça me semble être très important, voire indispensable au regard de tout ce qu’on a dit depuis le début de cette émission. On voit bien qu’on est dans un moment où on va devoir faire des choix, on va devoir trouver un équilibre pour apprendre à utiliser ces outils. Il faut être en mesure, en tant qu’enseignant, déjà de savoir de quoi on parle et, ensuite, d’être capable de se positionner par rapport à ces outils. On peut évoquer, par exemple, l’expérimentation de MIA en France depuis quelques mois.

Louise Tourret : Il faut nous la décrire, s’il vous plaît.

Mickaël Bertrand : Je peux vous décrire cette solution. Elle a été proposée notamment par Gabriel Attal lorsqu’il était ministre de l’Éducation nationale. C’est développé justement par une entreprise française. L’objectif, c’est de donner un soutien en français et en mathématiques aux élèves de seconde. Là, on a une utilisation très intéressante de l’intelligence artificielle pour proposer de la remédiation, pour accompagner nos élèves. Mais, au-delà de l’expérimentation pour savoir comment les exercices se font et si ça permet vraiment de faire progresser les élèves, ce qui m’intéresse évidemment en tant qu’enseignant, c’est de pouvoir accompagner mes collègues pour dire : qu’est-ce que vous faites de ça ? Une fois que l’élève a passé plusieurs modules, qu’il a fait de la remédiation, comment j’accueille ensuite les élèves en classe ? Est-ce que je fais de la différenciation en leur proposant différentes activités ou est-ce que j’utilise des heures d’AP [Accompagnement personnalisé], etc. On a vraiment à repenser la forme scolaire, le temps scolaire, etc.

Louise Tourret : Ça pourrait être intéressant, même si on aurait pu y penser avant l’IA, évidemment. Axel jean, je vous voyais réagir.

Axel Jean : En fait, là, très clairement, jamais nous n’avons eu un tel besoin de formation dans toute la hiérarchie, c’est-à-dire du ministre nouvellement nommé jusqu’au jeune professeur, en passant par les inspecteurs et les formateurs, tout le monde a le même besoin de formation, ça ne s’est jamais produit dans l’Éducation nationale. Un inspecteur, un chef d’établissement, un formateur avait toujours un coup d’avance, un savoir d’avance par rapport à celui dont il avait la charge de formation. Là, le besoin d’initiation autour de l’IA est systémique. Ça ne s’est jamais produit par le passé. Donc, former autant de professeurs, c’est extrêmement complexe. Il faut effectivement faire feu de tout bois, proposer des choses de premier niveau, c’est-à-dire qu’il s’agit pas de faire des bac + 5 à bac + 9 spécialistes de l’IA, mais d’avoir des gens initiés au sujet de ce que peut faire l’IA et ce qu’elle doit faire, et ce n’est pas la même chose. En fait, entre pouvoir et devoir, il n’y a pas le même enjeu. Donc, les professeurs ont un besoin de formation. Et il se trouve que pour former les professeurs, avec nos collègues européens, nous nous sommes mis à plusieurs pays – Italie, Irlande, Slovénie, Luxembourg et France – pour faire un module de formation qui s’appelle AI4T, Artificial Intelligence for and by teachers, dont le but est, en trois à six heures, de définir correctement l’IA, exposer ce qu’on peut faire avec l’IA, exposer ce qu’on ne doit pas faire avec l’IA en classe, évidemment. Se mettre d’accord à cinq ministères était plutôt un bel exploit pour définir le b.a.-ba, l’indispensable à savoir quand on est professeur de la maternelle jusqu’à l’université, quand on vous confie des élèves quel que soit l’enseignement.

Louise Tourret : Mais est-ce que vous définissez un objectif, un grand objectif pour l’école, qui serait autre chose que « on doit s’adapter parce que les technologies nous tombent dessus » ?

Axel Jean : Non, j’insiste bien, ce n’est pas juste s’adapter, c’est savoir quel est le potentiel et les limites, donc ce point d’équilibre. Si nous ne formons pas nos professeurs, il peut y avoir un découplage entre les pratiques des jeunes élèves, qui utilisent ça comme des consommateurs, et les professeurs qui sont chargés de leur formation.

Louise Tourret : Mais l’objectif pourrait être plus grand, est-ce qu’il faut le reformuler, c’est-à-dire former les élèves à être des citoyens conscients ? On a des gros sujets avec les réseaux sociaux.

Axel Jean : Vous avez raison, c’est exactement ça. C’est ce qui a été exposé précédemment : on doit développer un esprit critique pour faire des choix éclairés, c’est l’éducation aux médias et à l’information qui doit être revisitée à l’ère de l’intelligence artificielle. On l’enseignait autrefois, mais on peut pas enseigner l’éducation aux médias et à l’information juste comment on regarde la télévision. Il s’agit de se dire que, dans les réseaux sociaux, il y a des algorithmes qui sont en action, donc les élèves doivent être initiés à cela. Mais ces éléments, la brique de formation, doit être partagée par l’ensemble des professeurs de France, des inspecteurs et des formateurs et, en l’occurrence, il se trouve qu’on doit aussi former l’ensemble de nos cadres, les cadres chargés d’inspection, par exemple, pour qu’ils sachent les limites et les potentialités. C’est subtil, mais les gens espèrent toujours des réponses absolues : est-ce que c’est tout blanc – les technophiles béats d’admiration devant la technologie –, ou est-ce que c’est tout noir – les technophobes et qui aimerait bien rester au 20e siècle. Le curseur est quelque part, dans une zone grise, mais on doit tous se former sur ce sujet-là. Il ne s’agit pas d’être pour ou contre, il s’agit d’être initié, et j’insiste, pas expert, initié. Ne pas être initié, c’est avoir un découplage entre les pratiques quotidiennes des jeunes publics et ce qu’on enseigne, donc une sorte d’école qui serait hors-sol. Or, le monde est tel qu’il est, on l’apprécie ou pas, et l’IA est là.

Louise Tourret : Je vais mettre une autre pièce dans la machine de l’angoisse numérique, ce sont évidemment les données. Il faut réfléchir à ce qu’on fait des données.

Diverses voix off : En seulement un mois, dans le cadre du programme Précrime, le taux de meurtres dans le district fédéral de Columbia fut réduit de 90 %.
Ils étaient une bande qui m’attendaient dans la voiture.
Ils voulaient me violer.
J’allais me faire poignarder.
En un an près, Précrime a effectivement arrêté le meurtre dans la capitale de notre nation.
Depuis six ans que notre petite expérience a été menée à bien, il n’y a pas eu un seul meurtre.
Et maintenant, Précrime peut fonctionner pour vous.
22 avril. Votez oui à l’initiative nationale

Louise Tourret : Un petit extrait du film Minority Report, adapté de l’ouvrage de Philip Kindred Dick, j’aime beaucoup cet auteur, par Steven Spielberg en 2002, déjà.
La question des données, Oriane Ledroit, est extrêmement importante. Qu’est-ce qu’on va faire des données ? Je me faisais un petit scénario dans ma tête. : finalement, si on a la réussite en CP, la profession des parents, le nombre de fois où l’élève est en retard au collège, on peut l’orienter sur Parcoursup. La sociologie de l’éducation n’est évidemment pas du tout une science exacte, mais grosso modo, on pourrait faire pas mal de choses avec ces données. Comment sont-elles protégées aujourd’hui ?

Oriane Ledroit : À la différence des modèles des réseaux sociaux, et c’est pour cela que nous nous battons pour qu’il y ait pas un débat mais qui soit simpliste sur la question des écrans, qui n’existent pas d’ailleurs, il y a des logiciels éducatifs et il y a des réseaux sociaux, on ne modifie pas les données. Les données sont utilisées dans un cadre, je le disais, qui est régulé par le ministère. Les seules données qui sont disponibles c’est pour les enseignants, pour suivre la progression des élèves avec des tableaux de bord, parce qu’en fait, c’est la vraie valeur ajoutée d’un logiciel éducatif.

Louise Tourret : Mais après, ça part. Ce n’est pas stocké quelque part avec le nom de l’élève ? C’est très important pour moi.

Oriane Ledroit : Non, c’est anonymisé. Et les seules données qui sont non anonymisées, c’est pour l’enseignant, pour faire le suivi personnalisé. On peut aller plus loin sur la comparaison avec les réseaux sociaux : qu’est-ce qu’on reproche aux réseaux sociaux ? On reproche le fait qu’ils donnent accès à des enfants à des contenus inappropriés. Un logiciel éducatif, c’est l’accès à des contenus pensés pour l’apprentissage, pour stimuler la réflexion, pour stimuler l’apprentissage. On reproche aux réseaux sociaux de capter l’attention. Les logiciels éducatifs ne sont pas conçus sur les mêmes modèles technologiques. Il y a pas de déroulement infini, il n’y a pas de sur-notification.

Louise Tourret : Il y a YouTube, après ça peut capter l’attention.

Oriane Ledroit : Oui, mais sur des temps courts, encadrés par l’enseignant, on le disait. Ce sont des modèles technologiques, c’est important de le dire : en fait, le développement technologique, ce n’est pas un modèle imposé par des GAFAM, imposé par des réseaux sociaux. Aujourd’hui, les logiciels éducatifs sont pensés par des développeurs, par des data scientists qui sont français

Louise Tourret : Mais vous êtes obligés de faire du lobbying pour soutenir cette idée, aujourd’hui.

Oriane Ledroit : Deux choses. On parle de l’éducation au numérique, de la compréhension de ces technologies. En fait, il y a un enjeu très important, massif de compréhension par tout le monde de ces technologies, des parents d’élèves, des enseignants, de la communauté éducative, du grand public. On travaille beaucoup par exemple avec les chercheurs, avec les laboratoires de recherche, pour donner à voir ce que la science a démontré. Et aujourd’hui, la science a démontré que, sur la différenciation de l’apprentissage, les technologies étaient utiles.

Louise Tourret : On a bien compris votre position.
Mickaël Bertrand, je vous laisse là la conclusion, vous qui êtes enseignant. Comment voyez-vous le futur et sur quels sujets devraient porter nos prochaines émissions sur l’IA dans l’éducation ? Vous avez une bonne minute.

Mickaël Bertrand : On sent bien, comme le disait Axel jean, qu’on a un énorme travail de formation à venir dans les prochaines années. On a évidemment, et j’en suis persuadé comme Oriane Ledroit, que ces outils vont être très utiles pour nous améliorer et être beaucoup plus efficaces dans la gestion de la différenciation. On a également d’autres dossiers qui sont intéressants. Quand on parle, par exemple, de l’évaluation, dont on sait que c’est quand même un aspect important du travail des enseignants et, là, on a beaucoup de sociétés, des sociétés françaises qui sont en train de développer des logiciels d’assistance à la rédaction.

Louise Tourret : Pour dire « travaille davantage, peut mieux faire », on aura des phrases moins stéréotypées grâce à des outils numériques ?

Mickaël Bertrand : Ce n’est pas tant des phrases non stéréotypées, l’idée c’est d’avoir un assistant qui va permettre de cibler des axes de progression chez l’élève, ce qu’un enseignant ne peut pas faire aujourd’hui. J’insiste vraiment sur l’utilisation du mot assistant. Il faut, encore une fois, qu’on trouve un équilibre entre l’enseignant, qui doit, lui, garder la plume, garder la capacité à évaluer et à noter. Par contre, il peut avoir un logiciel qui lui donne des axes, des éléments d’analyse et qui lui fournit de la remédiation. À l’élève

Louise Tourret : Merci beaucoup. Je rappelle le titre de votre livre à paraître J’enseigne avec l’IA ! Guide pratique de l’IA au service de l’enseignant et de l’élève. J’annonce aussi que les Cahiers pédagogiques organisent un colloque au mois de mars sur le sujet. Ils cherchent à recueillir des points de vue d’élèves, collégiens et lycéens, sur l’intelligence artificielle. Vous pouvez aller sur leur site si vous consultez vos élèves.