L'IA, gouffre énergétique
Titre : L'IA, gouffre énergétique ?
Intervenant·es : Stefano Pezzana - Tristan Labaume - Pierre Beyssac - Faustine Fleuret - Delphine Sabattier
Lieu : Émission Smart Tech - B-Smart
Date : 24 mars 2025
Durée : 27 min
Licence de la transcription : Verbatim
Illustration : À prévoir
NB : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·es mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.
Transcription
Delphine Sabattier : Bonjour à tous. En marge du Sommet pour l’action sur l’IA s’est tenu un Forum pour l’IA durable. On entend beaucoup de chiffres sur la consommation énergétique de l’intelligence artificielle, on va voir ce qu’il en est exactement, à quel point la situation peut être alarmante, quelles sont les solutions envisagées, les décisions à prendre. Ce sera la une Smart Tech aujourd’hui. On aura aussi rendez-vous avec l’actualité des cryptos. On s’interrogera sur l’application du règlement MiCA au niveau européen : trois mois plus tard quels sont les premiers constats ? Mais d’abord trois questions sur les enjeux de la filière Spacetech européenne. C’est tout de suite « 3 questions à… »
« 3 questions à… » – Spacetech, l’Europe en quête de souveraineté
Delphine Sabattier : Bonjour Stefano Pezzana. Merci beaucoup d’être avec nous. Vous êtes directeur de programme chez Aldoria, une start-up qui s’est fixé la mission d’améliorer la surveillance de l’espace pour éviter les collisions de satellites. Déjà, expliquez-nous comment vous faites ça ?
Stefano Pezzana : Comme vous avez dit, Aldoria est une start-up qui a été fondée en 2017. Nous opérons un réseau de télescopes optiques qui sont distribués un peu sur toute la planète, en Europe, en Amérique du Sud et en Australie principalement pour le moment. Ces télescopes surveillent en permanence la voûte sélecte et détectent tout objet qui passe sur les différents régimes orbitaux, que ce soit des orbites basses, comme les satellites Starlink pour ceux qui connaissent, ou les orbites géostationnaires qui sont jusqu’à 36 000 kilomètres de la Terre.
Delphine Sabattier : Vous couvrez l’ensemble des continents ?
Stefano Pezzana : On couvre toute la voûte céleste, tout le ciel autour de la Terre et justement, pour pouvoir couvrir toute la voûte céleste, il faut que les télescopes soient distribués un peu sur tous les continents pour avoir une visibilité totale à partir de n’importe quel point de la Terre, pour ne pas avoir d’angle mort.
Delphine Sabattier : Vous évitez combien de collisions ?
Stefano Pezzana : Pour le moment, on n’a pas encore de chiffres consolidés, mais disons que les rapprochements entre satellites et aussi objets se font de plus en plus fréquents au vu de l’augmentation exponentielle des objets en orbite. Du coup, les messages d’alerte et les suggestions de manœuvre vont aussi augmenter de façon proportionnelle au nombre d’objets en orbite.
Delphine Sabattier : Mais à peu près ? Pour nous donner une idée, un ordre de grandeur ? Combien de collisions anticipées à peu près par mois par exemple ?
Stefano Pezzana : Disons une centaine et c’est non négligeable.
Delphine Sabattier : Non négligeable. Je voulais aussi vous interroger sur l’Europe et la souveraineté spatiale, une thématique qu’on va beaucoup développer ces prochaines semaines dans Smart Tech, la question de l’indépendance technologique. Dans l’espace, qu’en est-il aujourd’hui de notre dépendance aux technologies américaines, chinoises ?
Stefano Pezzana : Aujourd’hui, disons que la très bonne nouvelle qu’on a eue il y a deux semaines, c’est le lancement d’Ariane 6, le premier lancement commercial d’Ariane 6. C’était un vrai plaisir de revoir une fusée Ariane voler. Elle était à l’arrêt depuis un petit moment en attendant le passage de Ariane 5 à Ariane 6. C’était un enjeu majeur pour récupérer une indépendance technologique et stratégique, surtout très importante sur toute la chaîne de valeur : si vous voulez maîtriser toute la chaîne de valeur de l’espace, vous devez avoir des champions et des entreprises qui conçoivent et fabriquent des satellites et des systèmes pour aller en moyenne orbite. Il faut des moyens pour pouvoir les envoyer en orbite et c’est ce qui manquait un peu. Il manquait un lanceur lourd qui puisse envoyer des charges très importantes en orbite, c’est la fusée Ariane, et on était un peu dépendant de la société Space X américaine. Après, il faut les opérateurs qui opèrent tout ça côté civil et côté militaire et enfin, et c’est le segment où se positionne Aldoria, il faut avoir des systèmes de surveillance, il faut monitorer, il faut protéger et il faut vérifier que tout se passe bien une fois que les engins sont en orbite. Du coup, je dis « malheureusement » entre guillemets, nous ne sommes pas encore complètement indépendants parce qu’il y a encore une assez forte dépendance aux technologies extra-européennes, notamment américaines, mais, avec l’arrivée de la remise en route des fusées Ariane, notamment Ariane 6, on commence à regagner l’indépendance qu’il nous faut.
Delphine Sabattier : Vous avez dit « un petit peu dépendants de Starlink », je pense que c’est une façon de parler. À quel point pensez-vous que cette dépendance à Space X est problématique aujourd’hui ?
Stefano Pezzana : C’est problématique car il ne faut pas oublier que Space X, à la base, est une société privée, qui dépend un peu, disons, des décisions prises par son PDG et par ses propriétaires. Quand il s’agit de services commerciaux, pourquoi pas, je ne vois pas trop le problème, mais quand il s’agit de services où la souveraineté, où des enjeux étatiques sont prioritaires, être dépendant d’une société étrangère privée pourrait poser quelques soucis au cas où il y ait des événements majeurs pour lesquels il faudrait prendre des décisions vraiment à un niveau politique et étatique. La coopération c’est très bien, mais il faut savoir aussi être indépendant et autonome quand il faut.
Delphine Sabattier : Vous nous dites qu’avec Ariane 6 on reprend un petit peu la main sur ce secteur spatial en Europe, mais ce n’est que le début du chemin, j’ai bien compris.
Merci beaucoup Stefano Pezzana d’avoir été avec nous et nous apporter votre éclairage. Je rappelle que vous êtes le directeur programme chez Aldoria. Merci encore.
Stefano Pezzana : Merci beaucoup.
Delphine Sabattier : Nous continuons notre discussion. Nous allons parler de la consommation énergétique de l’IA.
Consommation énergétique de l’IA – Le débat 6’ 19
Delphine Sabattier : On a cherché quelques chiffres pour envisager cette consommation de l’intelligence artificielle, il y en a énormément, nous en avons sélectionné trois dans Smart Tech, ils viennent de l’Agence internationale de l’énergie. On nous dit quoi : « Les interactions avec des IA comme ChatGPT pourraient consommer dix fois plus d’énergie qu’une recherche Google standard. » On nous dit aussi que « l’augmentation de la consommation d’électricité des centres de données, des cryptomonnaies et de l’IA – quand même les trois ensemble – entre 2022 et 2026, pourrait être équivalente à la consommation d’électricité de la Suède ou de l’Allemagne. Et puis on nous dit qu’on compte 8 000 data centers dans le monde, 33 % aux États-Unis, 16 % en Europe, près de 10 % en Chine, ce sont toujours des chiffres de l’AIE. On va parler de ce sujet, on va voir ce qu’il y a derrière ces chiffres, quelles réalités, et puis, surtout, comment on peut envisager un numérique durable. On en parle avec Tristan Labaume. Bonjour. Bienvenue.
Tristan Labaume : Bonjour.
Delphine Sabattier : Vous êtes cofondateur de l’Alliance Green IT, association à but non lucratif, dont vous êtes le président depuis l’origine. L’idée est de fédérer les acteurs qui veulent justement travailler pour ce numérique durable.
À côté de vous Pierre Beyssac, qui est le patron fondateur de la société de stockage cloud Eriomem, plus anciennement cofondateur de Gandi, qu’on connaît très bien, qui gère les noms de domaine. Trente ans de carrière dans l’informatique et les réseaux. Bonjour Pierre et je voulais quand même aussi dire que vous êtes régulièrement un fact checker quand même sur ces sujets de consommation énergétique de l’industrie des télécoms.
Pierre Beyssac : J’essaye.
Delphine Sabattier : Vous avez entendu, comme moi, les chiffres que j’ai énoncés, je disais qu’il y a beaucoup d’autres. Est-ce que, selon vous, la situation est alarmante quant à la consommation énergétique de l’IA et à quel niveau doit-on s’en inquiéter ? On commence.
Tristan Labaume : Alarmant d’aujourd’hui non, après, la question c’est la courbe. Vous avez raison de parler des chiffres, des nombreux chiffres, on peut effectivement en citer plein dont ceux que vous avez cités, de projection de facteur fois 4, fois 9 à quelques horizons. C’est donc alarmant si on regarde la courbe dont on parle, même si on se trompe sur le facteur 4, 9 ou 10, qu’il faut mettre en corrélation avec des objectifs autour du développement durable qui est de faire moins 6 % chaque année. C’est là où je n’ai pas de solution magique pour faire qu’une courbe qui fait comme ça [geste vers le haut, NdT] croise une courbe qui devrait, qui aurait dû, on est mal parti, qui aurait dû baisser. Sous l’angle environnemental, c’est certain que ce n’est pas une bonne nouvelle.
Delphine Sabattier : Pierre.
Pierre Beyssac : On avait une certaine stabilité de la consommation des data centers, l’IA a remis ça un petit peu à la hausse. Je suis d’accord avec Tristan, ce n’est pas encore catastrophique, ni inquiétant, il va, évidemment, falloir faire attention. Beaucoup de surévaluations ont été faites il y a deux/trois ans, lors du départ de ChatGPT, sont revues à la baisse. Même sur leurs prévisions de consommation, les gros, type Microsoft ou Meta qui avaient fait des annonces spectaculaires sur les gigawatts de puissance qu’ils allaient commander, sont revenus en arrière.
Delphine Sabattier : Peut-être parce que ça coûte très cher ?
Pierre Beyssac : Ça coûte cher, mais ils se sont aussi aperçus, avec les progrès sur les algorithmes et sur l’efficacité des systèmes, qu’ils n’avaient pas forcément besoin d’une telle puissance à court terme, donc les choses rentrent un petit peu dans l’ordre. Mais, effectivement, ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas rester vigilants.
Delphine Sabattier : Donc, aujourd’hui, vous avez l’impression qu’on arrive à évaluer de manière plutôt proche de la réalité la consommation énergétique liée à l’IA.
Tristan Labaume : Je ne pense pas qu’on arrive à évaluer pour plusieurs raisons dont une est que les calculs sont distribués, ils sont répartis, donc, quand vous faites une requête, aller savoir si elle est colocalisée en partie sur des data centers en France ou à l’étranger, etc., parce que ça réclame des ressources multiples. Est-on qu’on est capable de faire c’est de ça ? Je pense qu’on est juste sur des approximations. Par contre, on peut aussi regarder des choses factuelles, ponctuelles. On l’a clairement vu aujourd’hui, y compris des annonces, y compris en France, de constructions de nouveaux data centers, c’est factuel. On voit aussi qu’il y a des nouveaux data centers, aujourd’hui on construit des data centers de 100 mégawatts alors qu’’il y a dix ans on parlait de data centers de quatre/cinq mégawatts. Pour donner un ordre de grandeur, une centrale nucléaire c’est 900 mégawatts en moyenne. Ça veut donc dire qu’on construit ce qui consomme des??? tranches d’une centrale nucléaire, il faut donc bien regarder aussi cet enjeu-là derrière. Et puis, on voit aussi que dans un data center, indépendamment des unités de valeur de ce que l’on va utiliser ou pas, une baie informatique, le rack où on va entasser des serveurs pour une baie dédiée à l’IA, va aujourd’hui être dimensionnée pour une puissance dans la baie, une petite armoire comme ça, de 100 kilowatts alors qu’avant on parlait de quatre kilowatts. On parle donc d’un facteur fois 20, fois 40, unitairement. Je ne suis pas en train de dire que tout est dans ces proportions-là, mais on voit qu’on en construit plus, unitairement il y a des facteurs fois 20, fois 40, et il faut indexer tout ça avec l’augmentation des usages, parce que ça va dépendre de nos usages. Si demain matin on remplace Google par ChatGPT, ça veut dire que la requête pour savoir où je peux aller acheter mon pain à côté va être une requête d’IA qui va mobiliser 10 fois plus de ressources ou 20 fois, selon les choses qu’on peut avoir.
Pierre Beyssac : On a déjà eu des progrès.
Delphine Sabattier : On peut quand même s’inquiéter là-dessus, parce qu’on a un problème, est la tendance qui vient, ce remplacement des moteurs de recherche classiques par des IA génératives.
Pierre Beyssac : D’un autre côté, le moteur IA peut vous donner une réponse plus rapidement, peut donner une réponse plus synthétique et plus rapide que faire x recherche Google. Il faut donc aussi faire entrer cela en ligne de compte. J’ai vu récemment, la semaine dernière, en fait ça évolue tellement vite, que des chercheurs ont émis des doutes sur le 10 fois. Ils ont dit qu’avec les progrès sur les moteurs IA, on était déjà à un niveau comparable à une recherche Google. Pour l’instant, c’est difficile de faire la part des choses, il y a tellement d’évaluations contradictoires qui circulent, mais, petit à petit, quand même. Il y a une chose importante c’est que les data centers ont tendance à récupérer tout un tas de moyens informatiques qui étaient dispersés dans les entreprises, dans les PME, et à reconcentrer ça, donc ça permet une meilleure identification des charges énergétiques. Ça explique aussi, en partie, la croissance de la consommation des data centers, parce qu’ils récupèrent des choses qui n’étaient pas comptabilisées auparavant.
Delphine Sabattier : Donc, ce n’est pas forcément quelque chose qui vient s’ajouter, en fait.
Pierre Beyssac : Ça ne vient pas forcément s’ajouter. On peut dire qu’il y a quand même une croissance.
Tristan Labaume : Si, ça vient s’ajouter. Il y a un sujet, mais ça vient clairement s’ajouter.
Delphine Sabattier : Pour la consommation générale du data centers, en revanche il y a plusieurs paramètres.
Pierre Beyssac : Il y a une meilleure efficacité des data centers, des énormes data centers, il y a des effets d’échelle qui permettent une meilleure efficacité qu’avec un vieux data center d’entreprise.
Il faut voir aussi que les cryptomonnaies sont un domaine un petit peu à part parce qu’elles ne bénéficient pas directement de la loi de Moore. Elles ont une croissance un peu bizarre qui ne profitent pas directement des effets d’amélioration d’efficacité énergétique. C’est un autre sujet.
Delphine Sabattier : C’est un autre sujet, qu’on traite par ailleurs, je rassure tout le monde.
On a quand même les GAFAM qui commencent à nous dire que ça va être compliqué, justement, de respecter les engagements qu’ils avaient pris sur le net zéro, sur leurs émissions de gaz à effet de serre, que ce soit Google, Microsoft ou Amazon. Pour eux, c’est aussi un problème parce que c’est un coût supplémentaire. On se demande jusqu’à quand on va pouvoir financer cette escalade de consommation liée à l’IA. Est-ce que c’est un modèle tenable ? En fait, c’est ça ma question.
Tristan Labaume : Aujourd’hui, c’est un modèle à perte.
Delphine Sabattier : Oui. Énormément.
Tristan Labaume : Je crois qu’OpenAI perd six milliards sur un chiffre d’affaires de trois milliards. Aujourd’hui, on est dans un modèle d’acquisition à perte du client. Évidemment que les recherches à zéro euro ne vont pas rester, Sam Altman a dit que même l’abonnement à 20 dollars, ça ne tient pas et même à 200, on perd de l’argent. Pourquoi ça va tenir ? Ça va tenir parce que les prix ne vont pas rester, c’est l’économie qui va réguler ça. Il faut juste que les acteurs se consolident et puis, à un moment, ça va être régulé par l’argent. On va vraiment avoir tous des abonnements obligatoires, pour l’utiliser on sera obligé de payer, mathématiquement, il n’y a pas d’autre solution.
Delphine Sabattier : Est-ce que le modèle économique est tenable ?, d’accord, mais est-ce que le modèle de consommation énergétique l’est ? Est-ce qu’on va pouvoir consommer autant d’énergie qu’il est nécessaire pour la progression de l’IA et de nos nouveaux usages ?
Pierre Beyssac : L’avantage de l’énergie c’est qu’il faut la payer, on ne peut pas le planquer sous le tapis. Donc, à un moment, effectivement, il va forcément y avoir un équilibrage entre ce que les consommateurs sont prêts à payer, ou pas d’ailleurs, les modèles de rémunération et l’énergie qu’on consomme. De la même façon pour le matériel qui est quand même assez onéreux, il faut pouvoir l’amortir sur une certaine durée. Il y a certainement un effet de bulle dans l’IA en ce moment, tout le monde veut investir là-dedans.
Delphine Sabattier : Est-ce qu’on ne va pas épuiser nos ressources ?
Pierre Beyssac : Je ne pense pas parce que ça va se réguler. Vu les coûts que ça engendre, ça ne va pas durer. En fait, les usages non légitimes vont disparaître.
Delphine Sabattier : Ça va se freiner un peu quand même.
Pierre Beyssac : Oui, ça va certainement se freiner.
Tristan Labaume : Il y a quand même un frein qui va arriver, notamment si on regarde le cas de la France. Aujourd’hui, en termes de production énergétique, nous sommes plutôt excédentaires, avec les croissances qu’on attend, ça va être un autre sujet. Le problème ce n’est pas la production en France, le problème c’est la distribution, c’est ça qui est important. Quand bien même on construirait demain 50 centrales nucléaires, le problème c’est la distribution. Aujourd’hui, il y a des délais de neuf ans pour certains composants qui sont nécessaires pour les transformateurs ! Neuf années ! D’accord ! Aujourd’hui, on n’est pas capable parce qu’on n’a pas l’industrie, au niveau mondial, capable de fournir ça, donc ça veut dire que le frein énorme, la saturation, est à ce niveau-là. C’est pour cela que RTE parle de 150 milliards d’euros d’investissement pour le réseau de distribution. Le vrai sujet c’est ça, en tout cas, le vrai blocage c’est ça.
Pierre Beyssac : C’est vrai que les opérateurs de data centers se plaignent aussi, sur du matériel plus léger que des transformateurs EDF, de temps d’approvisionnement extrêmement longs, 18 mois, 24 mois, donc ça complique.
Delphine Sabattier : Et puis il y a une guerre entre les data centers français, étrangers, avec les capacités d’achat.
Pierre Beyssac : En plus, électricité carbonée ou pas, on a on a des atouts en France de ce côté-là, au niveau électrique.
Delphine Sabattier : Est-ce que c’est une bonne nouvelle d’avoir plus de data centers sur le sol français, je prends le prisme énergétique.
Tristan Labaume : Il y a deux réponses possibles. Pourquoi viennent-ils en France ? Parce qu’on a une énergie qui est plutôt décarbonée, parce qu’on a des compétences, parce qu’on a une électricité stable, c’est super important, d’ailleurs l’avènement des data centers à Marseille, par exemple, c’est parce qu’on arrose de données une partie de l’Afrique et du Moyen-Orient depuis un endroit qui est stable énergétiquement, où il y a des compétences. Il y a énormément d’atouts en France, c’est pourquoi tout ce monde-là arrive. Ça a des atouts très positifs en termes d’économie, on construit des data centers, on est reconnu comme une filière d’excellence, ça c’est excellent, mais derrière, ce n’est pas pour des usages uniquement franco-français, ce n’est pas pour des entreprises qui sont franco-françaises et dont les bénéfices vont être 100 % réinjectés en France. Et même dans les usages, il y a des usages qui sont légitimes, d’autres qui sont moins légitimes, l’IA sert aussi aux hackers pour produire du spam et des mails de phishing avec moins de fautes d’orthographe. On peut donc dire qu’à l’extrême, il y a aussi des mauvais usages et puis il y a des priorités d’usage. Est-ce que l’usage qui consiste à générer une vidéo de Trump avec une casquette à mettre sur mon blog est plus importante, du point de vue de l’alimentation énergétique induite, que l’ascenseur de l’immeuble qui est juste à côté, avec madame Michu qui habite au cinquième étage ? Est-ce que cette arrivée électrique n’est pas prioritaire par rapport à celle des data center ? Encore une fois, c’est un extrême, mais ça pose la question de la priorité énergétique et du modèle énergétique que l’on veut pour la France par rapport à ces usages.
Delphine Sabattier : Je vous posais la question provocatrice du data center parce que l’installation de nouveaux data centers est un sujet très visible, aujourd’hui, pour les écologistes.
Pierre Beyssac : C’est visible, mais ce sont des concentrations fortes pour servir un grand potentiel d’utilisateurs, donc la consommation individuelle, par rapport au service rendu, est assez faible. Pour ma part, j’aime mieux qu’on installe du data center en France, avec de l’électricité française, qu’en Allemagne à base de centrales à charbon ou même en Irlande. On est en train de faire des interconnexions pour, justement, exporter nos surcapacités électriques, on a une interconnexion avec l’Irlande qui permettra de décarboner un petit peu les data centers de Microsoft, Google et Meta qui sont là-bas. De toute façon, faire un peu de ??? [19 min 19] comme on dit, si les data centers ne se construisaient pas chez nous, ils se construiraient ailleurs. Comme on est plutôt en position de force même si l’énergie est un petit peu onéreuse ici, je trouve que c’est plutôt pas mal d’un point de vue écologique.
Tristan Labaume : Vous avez précisé « sous l’angle du prisme énergétique », mais si on parle du prisme écologique, plus largement, qui était le fond de votre question, il y a aussi l’impact de la production du matériel informatique qui est nécessaire, dont l’impact, au cours de la phase de fabrication de ces nouveaux composants – les cartes graphiques, les ordinateurs, tout ça – est bien plus important : 80 % des impacts environnementaux sont liés à la phase de production. Même quand on parle de la phase d’usage, qui était trait d’avant???, la consommation d’énergie, mais si on parle d’impact environnemental, il faut regarder la phase de production de nouveaux matériels. Donc, quand on passe en cloud, etc., on induit la fabrication de nouveaux matériels, donc l’extraction de matières premières, de terres rares, etc.
Delphine Sabattier : C’est la partie visible, mais finalement sous l’iceberg, c’est là, aujourd’hui, qu’il y a une grosse problématique environnementale.
Pierre Beyssac : Les 80 % c’est quand même un chiffre très français, c’est grâce à notre électricité peu carbonée. Aux US on est plutôt autour de 50 % parce qu’on a 30 % de plus de carbone, même beaucoup plus que ça au niveau électrique. En fait, en France, vu l’électricité qu’on a, l’impact du matériel devient effectivement prépondérant.
Tristan Labaume : Certes, mais on reste sur des valeurs qui restent extrêmes, donc le pourcentage est différent. Ce qui compte c’est la valeur réelle, la valeur nette, il y a autant de terres rares qui sont extraites quel que soit le data center???[20 min 58]
Delphine Sabattier : C’est passé super vite, je voulais vous interroger sur le Forum pour l’IA durable qui se tenait en marge de l’événement principal, le Sommet sur l’Action pour l’IA qui a eu lieu à Paris, sommet mondial. Est-ce qu’il vous semble qu’aujourd’hui on prend les bonnes décisions, qu’on prend la bonne direction pour avoir un numérique plus responsable vis-à-vis de l’environnement et de ses consommations énergétiques ? Très rapidement, il nous reste 30 secondes.
Tristan Labaume : Je pense que c’est un sujet individuel, c’est-à-dire que la solution passe par les comportements individuels, ce n’est pas une solution politique qui va faire qu’on va réguler l’IA et décider que l’IA va devenir éthique et écoresponsable tout d’un coup. Ce sont nos usages qui font qu’on a des grosses consommations, donc réduisons nos usages individuels et on réduira les consommations dans les data centers.
Pierre Beyssac : Je pense que le politique a, en gros, fait son boulot. Il y aura des garanties à faire sur tout ce qui est droits fondamentaux, biométrie, toutes ces choses-là, en usage de l’IA. Il y a donc une certaine vigilance à avoir pour ne pas faire n’importe quoi par rapport à nos droits fondamentaux, mais, côté environnemental, ça me semble quand même relativement bien tenu.
Delphine Sabattier : Donc, maintenant, il faut poser des règles.
Pierre Beyssac : Il faut voir dans la durée comment ça va percoler.
Delphine Sabattier : Merci beaucoup.
Tristan Labaume était avec nous, je rappelle que le président de l’AGIT et Pierre Beyssac, CIO de Eriomem. Merci encore.
Pierre Beyssac : Merci.
Tristan Labaume : Merci.
Delphine Sabattier : On enchaîne avec le marché des cryptos. On va voir ce qui a changé justement depuis la nouvelle réglementation européenne.
Cryptos – Qu’a changé le règlement MiCA ? 22'30
Delphine Sabattier : L’actu des cryptos, c’est aujourd’hui avec Faustine Fleuret. Bonjour Faustine.
Faustine Fleuret : Bonjour Delphine.
Delphine Sabattier : Vous êtes experte indépendante en Web 3 trois et finance. Aujourd’hui, on va parler du règlement européen MiCA qui est pleinement entré en application le 30 décembre dernier, on est donc à peu près trois mois plus tard. Quels sont vos principaux constats ?
Faustine Fleuret : D’une part, qu’il n’y a pas eu d’autorisations qui ont été délivrées au niveau français, par le régulateur français. Il y a déjà plusieurs entreprises qui ont obtenu leur agrément MiCA, c’est-à-dire qu’elles peuvent exercer sur le marché européen, pas d’entreprises françaises et pas d’action du régulateur français à ce stade. Il y a quand même des bruits, et c’est un peu dérangeant on va dire, sur le laxisme réglementaire parce que, justement, c’est une autorisation à deux vitesses avec des régulateurs, on parle de l’Allemagne, on parle de Malte, on parle des Pays-Bas qui ont agréé très vite des entreprises, versus les autres. Ce dont j’ai peur c’est que, sous couvert de ce laxisme réglementaire dont seraient accusés ces régulateurs-là, en fait on n’aille pas plus vite en France. C’est extrêmement délétère aujourd’hui pour les entreprises qui attendent d’être autorisées, surtout qu’il y a pas que ça qu’elles doivent gérer aujourd’hui il y a des flous.
On a eu une confirmation récente sur le fait qu’un acteur qui serait en train de manipuler des ??? [23 min 40] dans le cadre de MiCA devrait quand même respecter des règles relatives à la réglementation des services de paiement. On va demander à ces acteurs de marché cryptos une autre brique réglementaire. C’était un flou, c’était une clarification attendue de longue date, qui a mis longtemps, mais, à priori, la Commission européenne reste sur ses appuis.
Le problème, c’est qu’il y a MiCA, il y a cette réglementation des services de paiement qui, à priori, va s’appliquer aussi, mais ce n’est pas du tout la seule brique réglementaire dont les acteurs de marché doivent se soucier.
Delphine Sabattier : Il y en a d’autres.
Faustine Fleuret : Oui. MiCA c’est vraiment l’arbre qui cache la forêt. D’autres réglementations sont arrivées à peu près en même temps que MiCA, je pense à la révision sur la réglementation de transfert de fonds. Peu après le règlement DORA, qui est beaucoup plus large, sur la cybersécurité et, en fait, il y en a d’autres qui arrivent : DAC-UE sur la fiscalité, AMLR qui est la réforme sur la lutte contre le blanchiment, l’Open finance. Tout cela va toucher les acteurs de marchés cryptos. Ce sont des surcouches réglementaires très importantes et surtout quand on est en opposition avec l’approche aux États-Unis aujourd’hui qui est plutôt non pas de déréguler le marché cryptos américain comme on l’entend, mais plutôt de clarifier pour créer des conditions réglementaires favorables, parce que, aujourd’hui, ce n’est pas le cas aux États-Unis. Donc, malheureusement, on va probablement creuser l’écart si on continue sur cette lancée-là au niveau européen.
Delphine Sabattier : Et sans doute perdre la petite avance qu’on avait dans ce secteur.
MiCA impacte quels types d’acteurs aujourd’hui dans le monde des cryptos ?
Faustine Fleuret : Les exigences en elles-mêmes, les acteurs de marché et les nouveaux intermédiaires, donc les plateformes. Mais c’est vrai que MiCA a déjà prévu de s’intéresser à d’autres sujets et c’est pour ça que dans le radar des régulateurs des institutions européennes il y a d’autres choses qui sont en train d’être regardées, je pense notamment à la finance décentralisée, c’est-à-dire la finance grâce au cryptos, mais pas via les intermédiaires qui sont régulés par MiCA, mais directement par la blockchain, directement par le code. MiCA n’était pas la bonne réglementation pour s’appliquer, néanmoins les institutions européennes avaient dit « on sait qu’il y a ça et on sait qu’on veut le réguler ». Encore une fois, la France prend les devants sur la réflexion sur cette réglementation-là, et a proposé déjà une première idée, notamment de certifier le code informatique derrière ces nouveaux services décentralisés et c’est là qu’il faut qu’on reste très vigilant. C’est une idée française, mais il faut absolument qu’elle soit portée au niveau européen et pas qu’il y ait une réglementation franco-française. Il faut penser à la compétitivité de ce secteur de la finance décentralisée puisqu’aucune réflexion sur la réglementation de la ??? [26 min 09] ailleurs et ce sont des sujets très techniques, il faut donc qu’on vérifie la faisabilité opérationnelle de ce qui va être demandé, à la fois parce qu’on va demander des choses aux acteurs et on a pu le voir sur MiCA. Parfois on demande des choses et, en fait, c’est impossible à réaliser, mais surtout parce qu’il y a une supervision derrière. Est-ce qu’on est sûr que ce qu’un superviseur demande, un superviseur va être en capacité de le surveiller et de le vérifier ? Il faut faire attention. On est sur des start-ups de la finance décentralisée, le secteur du ??? [26 min 34] est très jeune, il faut donc penser à la progressivité et à la proportionnalité, donc une réglementation trop hâtive aussi là-dessus pourrait porter les mêmes préjudices que ce qu’on a vu sur les acteurs du marché cryptos.
Delphine Sabattier : Ça semble donc compliqué pour les intermédiaires sur la finance décentralisée, pourtant on voit quand même la finance traditionnelle, j’ai envie de dire, qui s’intéresse à ce secteur, à la nouvelle finance.
Faustine Fleuret : Complètement via la tokenisation. Là on va parler des intermédiaires classiques, les marchés d’instruments financiers classiques. Un anniversaire très important, il y a deux jours, du régime pilote qui était une réglementation pour faciliter le développement de marchés sur les instruments financiers tokenisés. Le problème c’est que le constat est assez amer, il y a très peu d’entreprises qui, aujourd’hui, en bénéficient, les entreprises françaises qui le voudraient. La crainte est que ce régime pilote ne soit pas prolongé par manque d’efficacité jusqu’à maintenant.
Delphine Sabattier : Merci beaucoup Faustine Fleuret pour vos éclairages. Je rappelle que vous êtes experte indépendante en Web 3 et finance décentralisée. Merci à tous de nous suivre. C’était <em<Smart Tech. Excellente journée à tous. On se retrouve très bientôt sur la B SMART 4Change et aussi en podcast. Suivez-nous.