« Paradoxe de la pensée libriste » : différence entre les versions

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==Questions du public et réponses==
==Questions du public et réponses==
<b>Pablo Rauzy : </b>Est-ce qu’il y a des questions, des réactions ?
<b>Public : </b>Je trouve qu’il y a plusieurs trucs qui sont problématiques. Si on prend pas mal de licences libres, par exemple la GPL v2 ou v3, même l’AGPL c’est le fait de copier, de faire tourner un service qui va être la base du copyleft. Après il faut le défendre en justice, dans une cour de justice, ce n’est pas gentil la justice, donc là, déjà, il y a un problème. Cela ce sont directement des restrictions d’usage. Par exemple, quand tu prends les clauses de DRM sur la GPL v3 ou des choses comme ça, anti-DRM, tu n’as pas de restrictions d’usage, c’est juste que l’usage est neutralisé, parce que tu dois redonner la liberté de pouvoir modifier et, du coup, tu ne peux pas techniquement faire de DRM, même si c’est permis légalement.<br/>
Un deuxième problème, c’est comment tu te mets d’accord sur les restrictions à faire.<br/>
Tout cela ce sont des problèmes humains et, là, il va falloir codifier dans une licence qui, potentiellement, ne change pas, ou alors décider qu’il y ait des gens qui vont avoir la possibilité de le changer. Par exemple, changer d’une licence libre à une autre c’est possible, mais là il va falloir faire évoluer beaucoup la licence, très souvent, et que ça s’adapte à tout le monde et à tous les cas. Pour moi c’est impossible, même les lois des pays ça ne marche pas pour ça, ça ne marche même pas du tout.<br/>
Je ne vois pas comment ça peut résoudre ces contradictions. Du coup, n’y aurait-il pas d’autres approches que par les licences pour faire ça ? Par exemple des conditions d’utilisation, des choses comme cela, ou trouver des moyens, dans les licences, qui respectent la liberté d’utilisation tout en neutralisant certaines choses, par exemple la surveillance qui pourrait obliger à donner tout le code source de tout ce qu’il est possible d’un système de surveillance.<br/>
Tant que tu peux respecter les licences, ce serait un truc possible.
<b>Pablo Rauzy : </b>Même <em>open source</em>, même en ayant accès au code source, je n’aime pas les systèmes de surveillance.<br/>
Pour répondre à la première chose qui a été soulevée, évidemment je ne dis pas que c’est un truc magique que si on accepte toutes les contraintes sur la liberté d’usage, d’un coup c’est bon, évidemment que ce n’est pas le cas. J’ai dit que le débat intéressant c’est quelles sont les restrictions et, effectivement, ce n’est pas un problème technique, c’est un problème humain, comme tu l’as justement soulevé. En fait, je ne suis pas spécialement fan du fonctionnement de la justice, de la police, de plein de choses comme ça, bien sûr, mais c’est très compliqué de dire « ça ne fonctionne pas parfaitement, donc on ne s’en sert pas ». Vraiment je n’aime pas la police, mais quand il y a des cas de violences sexistes et sexuelles, je suis prêt à accompagner les victimes à la police parce qu’on n’a pas le choix.<br/>
On ne peut pas dire « ça ne marche pas parfaitement au niveau technique, genre ce n’est pas prouvè formellement, etc., donc on écarte ». Ce n’est pas possible de dire. En fait, il y a plein de trucs, y compris les lois, y compris plein de choses, où le texte est un peu flou, il est sujet à interprétation et ça se règle après, pas forcément au tribunal, ça se règle en discussions, ça se règle en plein de choses.<br/>
On le fait pour les données personnelles, c’est ce que je disais, les finalités d’usage, etc. Le RGPD, c’est compliqué. Il y avait la présentation de Framaspace tout à l’heure, Pyg disait que le RGPD c’est extrêmement compliqué, les services de Framasoft ne sont pas tous RGPD <em>compliance</em> parce que c’est extrêmement long et compliqué, ils y travaillent et tout, parce que, justement, il y a toutes ces finalités à décrire et c’est du travail. Je ne dis pas que c’est magique et que c’est facile, juste que le débat doit être ouvert et ce n’est pas parce que, techniquement, ce n’est pas immédiatement prouvable, parfaitement formel, rigoureux, etc., que l’on doit dire non. En fait, parfois il y en a besoin.<br/>
S’il y a d’autres moyens que les licences, c’est cool, mais lesquels. Je ne suis pas sûr.
<b>Public : </b>Je disais qu’il n’y a pas forcément que des licences pour faire ça et il n’y a pas forcément empêcher des choses, par exemple The Tor Browser ne va pas essayer d’interdire des sociétés de surveillance, tu auras des moyens techniques et humains et pour essayer de limiter, par d’autres moyens aussi.
<b>Pablo Rauzy : </b>Oui, tout à fait la différence, c’est que développer The Tor Browser c’est une très bonne chose, l’utilisation de The Tor browser c’est une protection individuelle.<br/>
Les licences, c’est l’esprit de ce que j’essayais d’expliquer au début, c’est comme la loi, etc., ce sont des choses collectives, donc on ne se place pas au même niveau. On pourrait tout à fait dire « toute façon moi, je n’ai pas besoin de tout ça, je sais chiffrer mes mails sur mon téléphone avec GPG sous OpenBSD », mais, non en fait ce n’est pas forcément vrai.
<b>Public : </b>C’est forcément collectif la résistance à la surveillance. Tu protèges les gens en protégeant tes communautés, donc justement, c’est collectif.
<b>Pablo Rauzy : </b>C’est le point que je suis en train d’essayer de faire. Tout à fait.
<b>Public : </b>Juste pour clarifier quelque chose. Du coup, ce qui te tient à cœur, ça serait aussi une reconnaissance par, entre guillemets, « des grands organismes » qui disent « ça c’est une licence libre » au sens de l’OSI ou est-ce simplement, de manière générale, que la communauté libriste soit un peu plus ouverte et prête à accepter ce genre de licence ?
<b>Pablo Rauzy : </b>Le truc c’est que ça va un peu ensemble, parce que, malgré les prétentions politiques, etc., de la communauté libre, tu vois qu’il y a un pape, quand même, ce qui est très problématique, d’ailleurs.<br/>
En vrai, je me fous du fait que la FSF et l’OSI valident des licences, ce n’est pas trop ça la question, le truc c’est que les licences qui sont là-dedans, en ricochet, vont être approuvées par les distributions, donc les logiciels vont être packagés, etc. Il n’y a pas de truc complètement immanent d’en haut – enfin si, la FSF fonctionne un peu comme ça, malheureusement. Si la communauté, en bas, à la base dit « ces trucs-là c’est libre », en fait ça va remonter.<br/>
L’idée c’est juste de se dire que, typiquement CoopCycle ou maintenant avec les IA, vous voyez ce que je veux dire, les IA génératives type ChatGPT, Midjourney et tout ça, on doit avoir des moyens de dire que, par défaut, on ne collabore pas à ces trucs-là. Je pense que ce sont des choses qui sont importantes pour qu’on puisse se défendre contre ces trucs-là. Par ailleurs, ces IA, ce n’est pas juste une espèce de marchandisation que veulent les artistes, c’est aussi que les conditions de production de ces trucs-là sont horribles, comme toute l’électronique par ailleurs, mais ça aussi en particulier, le travail du clic qui est nécessaire derrière, etc. Si on veut lutter contre à chaque échelle, partout, moi je suis pour la diversité des tactiques de lutte, je suis pour que tout se fasse en parallèle, en fait il faut aussi être capable de dire, par exemple, « discutons : est-ce ce que Wikipédia est une ressource exploitable par OpenIA ? ». C’est une vraie question : est-ce qu’on veut ça ou pas ? Peut-être que la décision, démocratiquement, va être « oui c’est OK ». À ce moment-là OK, Wikipédia reste comme ça, il y a peut-être des gens qui vont essayer de forker, il y a d’autres raisons à vouloir forcer Wikipédia, on en a entendu parler un petit peu sur Mastodon ces derniers temps.<br/>
L’idée ce n’est pas de vouloir imposer des choses, c’est juste de dire « peut-être que ce n’est pas la peine qu’il y a une levée de boucliers parce qu’une virgule n’est pas la bonne suivant saint RMS », c’est un peu ça l’idée. Sachant qu’on est déjà capable de faire des compromis sur certaines des libertés, c’est vraiment la liberté d’usage qui est intouchable et je ne comprends pas pourquoi celle-là et pas les autres. Le copyleft c’est un compromis sur des libertés, mais de redistribution.
<b>Public – Stéphane Bortzmeyer : </b>Souvent, en politique, il y a de longues discussions sur des terminologies. Je ne suis pas d’accord pour dire que c’est juste une histoire de virgule placée ou quelque chose comme ça. Si c’était le cas, si on considère que les mots ne sont pas importants, on pourrait dire ce qu’on veut et ça poserait d’autres problèmes par ailleurs. Donc, non, les discussions en politique sur la terminologie sont parfois pénibles, parfois c’est du grattage de petits détails, mais, parfois, ça révèle des problèmes importants derrière.<br/>
Pour toute cette histoire, j’ai l’impression qu’il y a quand même, à la source, beaucoup un problème de terminologie parce que personne, en tout cas pas moi, n’a jamais dit que la licence de CoopCycle n’était pas bonne, affreuse, que c’était des traîtres, qu’il fallait les fusiller ou quoi que ce soit. Le seul problème, c’est qu’ils veulent le beurre et l’argent du beurre : ils voudraient faire une licence pas libre parce que ça atteint certains de leurs objectifs, tout en ayant l’étiquette. Quelque part, c’est un hommage aux logiciels libres que des gens qui ne veulent pas des licences libres voudraient qu’elles soient appelées libres quand même. Je pense que la vraie solution ce n’est pas de dire libre et pas libre ou, à ce moment-là, le vocabulaire ne veut plus rien dire. La solution c’est de trouver d’autres termes, d’ailleurs, tu en as cité un quand tu as parlé de logiciel émancipateur. Pourquoi pas ! Je n’ai pas réfléchi, mais ça me paraît une bonne idée, ça pourrait coller et ça serait la solution. Des gens partent dans une direction différente de celle du logiciel libre, mais veulent être appelés libres quand même, ça me paraît un petit peu bizarre. C’est comme si un parti politique très à droite s’appelait Les républicains, par exemple. Ce n’est pas bien, ce n’est pas normal. On est ??? sur ça.
<b>Pablo Rauzy : </b>J’entends tout à fait ce que tu es en train de dire et c’est une solution. Mais, à ce moment-là, c’est compliqué de diviser les forces. Quand je fais des autocollants avec mon organisation politique, j’ai envie de dire juste « logiciel libre », je n’ai pas envie de dire « logiciel libre ou émancipateur et/ou émancipateur, etc. » Il y a cette question-là de force de frappe, nous ne sommes déjà pas beaucoup ; la question de fédérer autour un mot, etc., ce sont quand même des choses qui sont importantes politiquement dans le militantisme. Par ailleurs, je ne sais plus qu’elle est l’expression que tu as employée, dire que c’est très flatteur pour le logiciel libre ou un truc comme ça, en fait oui, exactement. Mais moi, je ne crois pas du tout à la révolution en mode « on va tout casser et après on va construire ». La méthode de la stratégie révolutionnaire, du syndicalisme révolutionnaire, c’est de dire qu’on veut construire des contre-pouvoirs, on veut construire des alternatives. Et, une fois qu’on est suffisamment nombreux, puissants, démocratiques, autogestionnaires pour dire au pouvoir en place <i>ciao</i>, on le fait et, à ce moment-là, évidemment, ça ne va pas se passer dans la douceur, on est d’accord, mais il faut avoir construit la société d’après avant de casser celle de maintenant. Et des déjà-là auxquels on peut se référer, il y en a : le logiciel libre en fait vraiment partie. Je trouve politiquement important de pouvoir dire « ça, c’est du logiciel libre », le logiciel libre c’est un truc avec lequel on peut dire aux gens qu’il y a des alternatives qui fonctionnent suivant les communs, etc. Il y en a un que vous connaissez tous et toutes, c’est la Sécu, mais il n’y a pas que ça, il y a d’autres champs où on a réussi à faire ça. Et encore, ils ont suffisamment cassé la Sécu pour qu’un ministre puisse décider qu’on change les règles d’indemnisation du chômage, ce qui n’est vraiment pas censé être le cas.<br/>
Le logiciel libre c’est aussi ça, c’est aussi pouvoir dire à des gens, c’est aussi réussir à politiser des gens qui, à la base, sont des geeks qui sont intéressés à ça, parce que c’est cool et tout, et leur dire « tu te rends compte que c’est un truc qui a été fait en commun, par des gens qui se sont mis ensemble derrière un projet, qui ont réussi à faire quelque chose qui tient tête à des alternatives capitalistes, etc. », et c’est vraiment un truc super important. Si on commence à dire « c’est l’un ou l’autre, ou ci ou ça », pour moi c’est compliqué et on perd en efficacité de force de frappe politique. Sinon je suis d’accord avec toi : techniquement on pourrait tout à fait dire et ce n’est pas vraiment le problème. C’est juste que je pense que c’est plus simple, pour beaucoup de raisons, qu’on soit capable, collectivement, de dire que c’est du logiciel libre. Je suis militant libriste, je suis à l’April depuis presque 18 ans et, il y a 18 ans, ce n’est pas quand j’ai découvert le logiciel libre, c’est quand j’ai commencé à avoir des thunes pour cotiser, j’étais militant libriste avant. Et je n’ai pas envie de dire d’un coup « maintenant je milite pour le logiciel émancipateur » et que, dans tous les événements, on doive dire « festival de culture libre et logiciel émancipateur, etc. » Il y a aussi une question d’affichage de mots, de choses comme ça, qui est aussi importante politiquement, je pense. C’est ma réponse.
<b>Public – Stéphane Bortzmeyer : </b>On pourrait faire comme le mouvement LGBT, rajouter beaucoup de lettres et un plus à la fin : FLOSS E, comme émancipateur, plus.
<b>Pablo Rauzy : </b>Je ne suis pas trop favorable à ce genre de truc, mais c’est vrai que c’est une solution et si c’est une façon de mettre tout le monde d’accord et d’avancer ensemble, je l’entends. Je ne suis pas là pour imposer des trucs, je suis là pour ouvrir le débat. Si c’est la solution à laquelle on arrive tous et toutes ensemble, tant qu’on avance dans le bon sens !
<b>Public : </b>Juste pour ajouter que Calimaq parle de licence à réciprocité pour ces trucs-là.
<b>Pablo Rauzy : </b>Alors faut rajouter « E » et « R » !
==35’ 50==
<b>Public : </b>Pour rebondir

Version du 4 juillet 2024 à 11:23


Titre : Paradoxe de la pensée libriste

Intervenant : Pablo Rauzy

Lieu : Choisy-le-Roi - Pas Sage en Seine 2024

Date : 30 mai 2024

Durée : 57 min 03

Vidéo

Présentation de la conférence

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À prévoir

NB : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

Quand on choisi de parler de libre plutôt que d’open source, c’est pour insister sur les aspects politiques et philosophiques, plus que sur le modèle de développement. C'est une façon de signifier que ce qui importe, ce n’est pas le logiciel, mais l’humain. Cette logique, quand on en déroule les implications, explique les compromis faits par les licences libres plus ou moins permissives. Pourtant, elle semble se heurter fermement à des limites arbitraires dans la pensée libriste majoritaire, que cette présentation se propose de remettre en question pour parler clairement d'émancipation.

Transcription

Bonjour, bonsoir à toutes et à tous.
Je vais vous présenter une petite conférence, je ne pense pas qu’on aura besoin de toute l’heure à la fin, sauf si vous êtes très bavards et bavardes, qui s’appelle « Paradoxe dans la pensée libriste ». C’est un truc qui me travaille depuis très longtemps, ce n’est pas la seule chose qui me travaille depuis très longtemps, je viens aussi dimanche à 18 heures vous parler d’autre chose.

La critique doit être critiquable

Ce que je vais dire est un peu critique par rapport à ce que j’appelle l’orthodoxie libriste avec un peu de provocation et, comme je vais dire des trucs un peu critiques, la critique doit est critiquable, donc, il faut que je vous présente qui je suis, d’où je parle, pour que vous puissiez faire preuve d’esprit critique, justement.
Pour expliquer ce qu’est l’esprit critique à mes étudiants et étudiantes, souvent je leur dis que quand quelqu’un leur dit « truc », il ne faut pas qu’ils retiennent « truc », il faut retenir qui est ce quelqu’un, qui est cette personne-là, avec son profil, etc., qui a dit truc.
Donc qui suis-je moi et d’où je parle ? Je suis enseignant-chercheur en informatique, je travaille en ce que j’appelle la sécurité émancipatrice, j’ai une thèse en cryptologie, comme le précédent intervenant, mais j’essaye de travailler sur des sujets qui favorisent l’émancipation. Du coup, je travaille au contact des sciences humaines et sociales, etc.
Je suis militant libriste depuis très longtemps. Mon adhésion à l’April est presque majeure !
Je suis aussi un militant politique, le courant politique auquel je m’identifie le plus c’est le communisme libertaire.
Je suis aussi un militant syndical, dans le courant syndicaliste révolutionnaire, ça va un peu influencer ce que je vous raconte et la façon dont je vous en parle, surtout dimanche, moins aujourd’hui.
La première fois que j’étais à Pas Sage en Seine, c’était encore au passage des Panoramas, en 2010, et la première fois que j’y ai parlé c’était au Numa, donc encore dans Paris. C’était sur le sujet du libre accès, en 2014.

Logiciel libre vs opensource

On va donc parler aujourd’hui de logiciel libre et de la pensée libriste.
Un truc très important, je trouve, dans le logiciel libre c’est la distinction avec l'open source. Techniquement, en vrai, ce sont les mêmes trucs, quasiment, ce qui est différent c’est ce sur quoi on insiste quand on utilise un terme ou l’autre.
Quand on parle de logiciel libre, en fait on insiste sur les aspects philosophiques et politiques qu’il y a derrière le mouvement.
Quand on parle d'open source on parle essentiellement du modèle de développement. Google fait de l'open source et ne fait pas spécialement du logiciel libre, c’est vrai que ça dépend qui chez Google, mais vous voyez ce que je veux dire.

Philosophie du projet GNU

On peut retrouver ce genre de chose dans le projet GNU. Dans la philosophie du projet GNU, il est dit très clairement que le logiciel libre signifie que les utilisateurs et utilisatrices – il n’y a écrit que « utilisateurs » sur le site du projet GNU, mais on va dire que c’est écrit comme ça – possèdent la liberté. Le logiciel n’a pas de volonté propre, il n’a pas à être libre, on s’en fout du logiciel ! Ces libertés sont précises :

  • la liberté d’exécuter le programme
  • la liberté d’étudier et modifier son code source
  • d’en redistribuer des copies exactes
  • et d’en redistribuer des versions modifiées.v

Ces libertés sont numérotées. Comme nous sommes des informaticiens/informaticiennes, on indice les tableaux à zéro, donc les libertés aussi parce que c’est rigolo, donc il y a la liberté 0, 1, 2, 3.

Libertés individuelles vs collectives

Quand on parle de liberté, un truc très important, c’est de distinguer les libertés individuelles et les libertés collectives parce que, en général, elles s’opposent, au moins sur certains points.
Une phrase qu’on entend très classiquement c’est « la liberté de chacun/chacune s’arrête là où commence celle des autres ». Cette phrase est hyper importante pour pouvoir vivre en société. Donc, il n’y a pas de vraie liberté sans égalité et vice-versa, pas de vraie égalité sans liberté, là on voit l’aspect communiste libertaire, les deux points de vue du courant politique.==Philosophie du projet GNU== Un exemple, c’est la liberté d’expression : la liberté d’expression c’est très bien, mais, en fait, ça doit avoir des limites. Il y a un truc qui s’appelle le paradoxe de la tolérance : si on est tolérant avec tout le monde et qu’on laisse parler tout le monde, y compris les gens qui ne sont pas tolérants, au bout d’un moment on perd la liberté d’expression. Donc, pour la protéger elle-même et pour se protéger collectivement, on doit y mettre des limites : en gros, on ne donne pas la parole aux fachos, ce n’est pas intéressant.

Copyleft

Dans le logiciel libre, ce truc pragmatique existe, ça s’appelle le copyleft. Le principe du copyleft, c’est qu’on veut garantir la pérennité de la liberté, on veut propager la liberté et la coopération et le moyen, la façon dont on va faire ça, c’est en restreignant pour certaines libertés, c’est en ajoutant des contraintes sur ces libertés. En l’occurrence la liberté de redistribution va être contrainte : on a toujours le droit de redistribuer, à condition que ce soit dans les mêmes modalités de liberté et de contrainte ; on garde la même licence, c’est le principe du copyleft, la clause Share Alike des licences Creative Commons par exemple. Le but de cela, c’est de maximiser la liberté collective, de maintenir la liberté dans le temps et dans l’espace, si on peut imaginer que le numérique c’est aussi un espace, et ça se fait au détriment d’une liberté individuelle, qui est celle de prendre le logiciel, faire ses petites améliorations et tout et puis, par exemple, le vendre de manière propriétaire, privative, je ne sais pas comment vous voulez dire, le résultat, avec ses améliorations sans contribuer, en retour, au projet sur lequel on se base.
Ce genre de concept, le copyleft, a un petit peu pour but de parfaire le concept du Libre, de l’aspect philosophique et politique du mouvement. C’est donc un compromis pragmatique sur les libertés 2 et 3. Donc, dans le mouvement libriste, on est capable de faire des compromis sur certaines libertés et c’est important d’être capable de le faire parce que ça permet d’améliorer les choses. Ça ne veut pas dire qu’on est obligé de les faire, il y a des licences libres qui ne sont pas copyleft, c’est complètement OK.

Le Libre est nécessaire, pas suffisant

Un autre truc qu’il est important de rappeler : le Libre est nécessaire, mais, en aucun cas, ce n’est suffisant. Il faut pas être techno-solutionniste.

Si on se dit qu’il suffit que le logiciel soit libre, alors est-ce qu’on va se satisfaire de missiles commandés par des logiciels libres ? C’est non, évidemment. L’usage, la finalité, a un sens.
Je vous ai dit que je fais de la sécurité émancipatrice. Si vous avez un smartphone sous Android, Google, sur le Play Store, vérifie pour vous que vos applications sont bien sécurisées, qu’il n’y a pas de virus dedans, etc., essaye en tout cas. C’est très bien, mais c’est asservissant. Ça vous fait dépendre de Google, de son infrastructure, de ses capacités, etc. ; ce n’est pas émancipateur.
Parfois le problème est ailleurs. Par exemple le vote électronique, c’est bien si on le fait avec du logiciel libre, mais c’est mieux si on ne le fait juste pas, en fait, parce que ça suppose d’utiliser tout un tas de trucs cryptographiques et tout, c’est cool si c’est pour CryptPad, comme on l’a vu sur la présentation d’avant ; si c’est pour décider démocratiquement de l’avenir de notre communauté politique, c’est plus compliqué, parce que la démocratie, quand elle s’exprime avec des temps de vote, avec tous les bémols qu’il faut mettre à cet aspect de la démocratie représentative, élire un monarque, etc., vous avez compris, je ne parle pas forcément de ça, mais à partir du moment où on vote collectivement, etc., quand on prend des décisions ensemble, c’est important qu’on soit d’accord sur la façon dont fonctionne le processus et être d’accord, un consentement, ça n’existe pas si ce n’est pas éclairé. On a donc besoin de comprendre. En fait, mettre un bout de papier dans une enveloppe dans une urne transparente, c’est vraiment à la portée de beaucoup de monde ; comprendre comment marche ??? [8 min 27], Belenios et autres états de l’art du vote électronique, vraiment pas beaucoup, pas beaucoup du tout, c’est très compliqué. Donc, quel est le bon critère si c’est pas une question de libre ou pas libre ?, puisque Libre c’est une nécessité mais ce n’est pas suffisant.

Technologie émancipatrice vs asservissante

En général les gens qui réfléchissent à ça, en tout cas dans la sphère politique à laquelle je m’identifie, on va dire, le critère, j’ai déjà utilisé les mots dans la présentation, c’est est-ce que c’est émancipateur ou est-ce que c’est asservissant ?

Évidemment, on peut s’imaginer qu’il y a des technologies qui sont intrinsèquement émancipatrices ou intrinsèquement asservissantes, mais c’est assez compliqué. En général, c’est une question qui est vieille, on parle par exemple des moyens de production, de la propriété des moyens de production ou du contrôle des moyens de production, le contrôle c’est plus fort que la propriété, c’est ce qui va déterminer si c’est émancipateur ou asservissant.
Par exemple, je donne un cours d’histoire de l’informatique. Dans l’histoire de l’informatique, dans l’ancêtre des ordinateurs, il y a deux familles : les machines à calculer et les machines programmables.
Les premières machines programmables, vraiment automatiques, ce sont des métiers à tisser. À la base, quand Joseph-Marie Jacquard a inventé le métier à tisser, comme toutes les inventions c’est une addition de plein de choses – le cylindre de Vaucanson et j’ai oublié les autres noms – plein de choses qui sont mises ensemble. L’objectif c’est de se dire que sur ces machines, les métiers à tisser, il faut actuellement être quatre/cinq pour les manipuler, donc, en général, les enfants travaillent avec les parents sur le métier à tisser. Si on automatise un bon bout du processus, notamment les trucs où il faut grimper en haut pour tirer sur les fils, ce que font les enfants, du coup les enfants vont être libérés de ce travail, ils pourront aller à l’école : c’est émancipateur. Sauf que les canuts ne possédaient pas leur métier à tisser. Donc, plutôt que de se dire « on produit la même chose, on va le vendre au même prix, du coup on peut récupérer la même somme pour vivre, etc., donc on a les moyens d’envoyer nos enfants à l’école », les gens qui possédaient les machines ont dit : « Vous n’êtes plus que deux à travailler, je ne paye plus que deux salaires ». Du coup, de la force vive s’est transformée en capital, les machines.
Donc, la question c’est celle du contrôle : si les canuts avaient possédé et contrôlé leur moyen de production, s’ils s’étaient organisés en collectivité, etc., ils et elles auraient pu décider de ce qu’on appellerait aujourd’hui des conventions collectives, tarifs, à se mettre en coopérative, etc. Ce n’est pas pour rien si c’est sur les pentes de la Croix-Rousse que sont nées ces luttes ; les canuts, c’est à Lyon sur les pentes de la Croix-Rousse, qu’il y a beaucoup eu cette histoire ; ce n’est pas pour rien que c’est là-bas que sont nées beaucoup d’idées du mutualisme, les prud’hommes, etc. ; c’est vraiment pour ça.
Donc la question centrale c’est le contrôle.
À votre avis, est-ce qu’un logiciel asservissant contrôle ses utilisateurs ?

Public : Inaudible.

Pablo Rauzy : En gros, le logiciel n’a pas de volonté propre. Donc, ce sont les développeurs et le+s vendeurs du logiciel qui contrôlent, par l’intermédiaire du logiciel, exactement ce que disait Stéphane.

Donc, avec le Libre, on cherche à éviter l’asservissement parce que ça permet l’exploitation. C’est ce qu’on cherche à éviter. Le fond politique de la chose, en tout cas de mon point de vue, encore une fois esprit critique tout ça, c’est d’éviter l’exploitation.

Paradoxe libriste

Donc, là, on arrive à un paradoxe parce qu’on refuse absolument les compromis sur la liberté d’usage. Dès qu’on parle de cela, il y a une levée de boucliers instante, y compris quand il s’agit d’empêcher de faciliter l’exploitation.

Je vais vous parler de deux exemples, vous me voyez venir avec d’énormes sabots.
CoopCycle, de toute façon j’explique même si tout le monde connaît dans la salle, parce que c’est enregistré, donc, potentiellement revisionné plus tard, y compris par des gens qui ne connaissent pas forcément ce que c’est que. CoopCycle, c’est un ensemble de plateformes et d’applications pour smartphones et plateformes web, etc., qui permet de mettre en place un service de livraison à vélo type Deliveroo, Uber Eats, etc.
Dans la licence de CoopCycle, il est écrit que les entreprises, les collectifs qui utilisent CoopCycle doivent avoir une certaine forme juridique qui empêche le fait, par exemple, qu’on oblige les livreurs et livreuses à vélo à se mettre, par exemple, en auto-entrepreneur, à être payés à la tâche, à la course, en gros, ça empêche l’ubérisation. Ça veut donc dire qu’il y a une clause dans la licence – à part ça la licence est libre, à part cette clause-là il n’y a pas de débat – qui dit « vous ne pouvez pas faire certains types d’utilisation ». Il se trouve que les utilisations que ça empêche c’est systématiquement de l’asservissement, de l’exploitation. On voudrait donc empêcher à CoopCycle de se dire libre par principe, vraiment par orthodoxie, genre il n’y a pas la liberté d’usage pour tous les cas. Ça me pose un petit peu un problème et si le Libre devient ça, en fait j’ai envie de défendre le logiciel émancipateur et pas le logiciel libre.

Un autre exemple qu’on peut prendre, c’est l’entraînement des IA. Les entreprises qui entraînent leurs IA se fichent allègrement des droits d’auteur, etc. Par exemple, quand je contribue à Wikipédia, concrètement, puisque la licence n’est pas pour les humains mais pour tous les usages, que je n’ai pas le droit de faire de distinction, je suis obligé d’améliorer l’entraînement de ChatGPT et compagnie et, en fait, je n’ai pas envie. J’habite à Saint-Denis. Si quelqu’un se dit « je vais faire une super série de portraits des gens qui passent à la gare de Saint-Denis et je vais les publier en Creative Commons, il faut absolument que ce soit libre pour que mes copains ne m’embêtent pas, donc je ne vais pas mettre la clause No Derivative, No Commercial, etc. », je n’ai pas envie que ces portraits-là soient utilisés pour entraîner des IA de reconnaissance faciale.
Un truc amusant : on insiste beaucoup sur le fait que Wikipédia est un logiciel libre et qu’il ne faut pas déterminer les usages et tout, il y a quand même fichier robot.txt sur le site de Wikipédia qui empêche certains robots d’accéder à certaines pages. Petit problème !
En tout cas, si on dit que le Libre c’est différent de l'open source parce qu’il y a, derrière, un mouvement philosophique et politique qui est pour la liberté des personnes, qui est pour l’émancipation, on arrive à un paradoxe : si on n’est pas capable de dire que l’exploitation ce n’est pas bien, qu’on n’en veut pas et qu’on ne veut pas contribuer à la faciliter, on retombe un petit peu dans le truc « on ne fait pas de trucs politiques ».

Nos adversaires ne s’y trompent pas

Nos adversaires ont compris ça. Les capitalistes savent très bien faire la différence entre les usages : The Pirate Bay, ce n’est pas bien, Sci-Hub non plus, par contre ChatGPT c’est génial. Dans les deux cas, il s’agit de piller tout ce qu’on trouve. Il y a quand même un petit problème !

Résoudre le paradoxe

Comment peut-on résoudre le paradoxe ?
Il y a deux façons de le résoudre :
la première c’est de dire que, finalement, le Libre et l'open source c’est pareil, même le copyleft c’était juste un enrobage pseudo-politique de jolies choses, de jolis discours, mais, finalement, l’idée c’est juste de mieux diffuser les améliorations ; on est toujours sur le modèle de développement qui est plus efficace, il y a plus d’yeux sur le code source, donc on voit mieux les bugs, etc. ;
ou alors, on dit que Libre c’est émancipateur et, dans ce cas-là, il va falloir se résoudre à accepter que certaines conditions d’usage, certaines, sont bénéfiques.
Une fois qu’on a dit ça, le débat intéressant c’est quelles restrictions on accepte. C’est donc de cela qu’il faut discuter : est-ce qu’on fait au cas par cas, est-ce que des restrictions sont valides assez universellement. Par exemple, j’ai évoqué tout à l’heure le fait que le logiciel libre c’est pour les humains et pas pour les IA. Après, ça pose évidemment plein de questions techniques : « si j’écris un bot pour aller récupérer des trucs, mais que la finalité c’est pour une association qui fait de la lutte, etc. » ? En fait, on est capable de parler de ça, je vais vous le montrer après.

Pragmatisme vs orthodoxie

En gros, un truc sur lequel je veux insister : il ne s’agit pas de dire que toutes les licences de logiciel libre doivent être anticapitalistes, antifascistes, etc. Comme je disais tout à l’heure, il y a des licences qui ne sont pas copyleft, c’est OK. Le seul truc que j’essaye de dire c’est que s’il y a des gens qui font des licences qui empêchent l’utilisation pour l’armée, qui empêchent l’utilisation par des groupes néofascistes, qui empêchent l’utilisation pour uberiser des secteurs, il ne faut pas aller leur dire « ça pue, ce n’est pas libre ! » ; il faut leur dire « bienvenue, on milite tous et toutes ensemble ! ». C’est ça le message. Je n’essaie pas de changer les licences libres qui existent, j’essaye juste d’apporter de la tolérance là où il en faut et pas de la tolérance là où il n’en faut pas.

Le système d’exploitation, le capitalisme, évolue, il faut que nos licences et nos outils de lutte puissent évoluer avec et contre, donc, soyons cohérents et cohérentes.
Acceptons d’appeler « libres » les adaptations nécessaires aux évolutions du système qui partagent les objectifs philosophiques et politiques d’émancipation que revendique le mouvement libriste ou alors c’était hypocrite.

Très rapidement parce que je sais que c’est toujours un truc qu’on me dit « c’est impossible à mettre en place et tout ça ». Moi je travaille, entre autres, sur des questions de modélisation formelle du contrôle sur les données personnelles et de la privacy. Petit retour sur la notion de contrôle – à Pas Sage en Seine 2018, j’ai donné une conférence sur ce sujet-là, si vous voulez aller la voir, c’est en ligne – il y a trois axes, trois dimensions quand on parle de contrôle sur les données personnelles :
la dimension d’action, de pouvoir faire des choses avec ses propres données, avec des données, essentiellement avec les siennes ;
la dimension de choix : avoir la capacité d’empêcher un tiers, service, plateforme, personne, d’utiliser nos données personnelles, donc l’autoriser aussi ;
la dimension d’informations : savoir ce qui est fait avec nos données personnelles, être informé des usages qui sont faits.
Les deux dernières impliquent une notion de consentement et le consentement ne peut être que éclairé, donc il faut savoir ce qui va être fait avec les données, il faut le comprendre. Cette notion d’usage, qui s’appelle la finalité dans le RGPD, par exemple, existe juridiquement. C’est donc tout à fait décrivable dans une licence de dire qu’on ne veut pas que Wikipédia soit lu par des robots quand la finalité, par exemple, c’est d’entraîner une IA générative, mais que c’est OK si c’est un robot qui est juste en train d’essayer de faire une copie locale pour archive.org ou je n’en sais rien. Donc, la notion de finalité existe.
C’est essentiellement le débat que je voulais ouvrir aujourd’hui à Pas Sage en Seine.
Merci.

[Applaudissements]

20’ 27

Questions du public et réponses

Pablo Rauzy : Est-ce qu’il y a des questions, des réactions ?

Public : Je trouve qu’il y a plusieurs trucs qui sont problématiques. Si on prend pas mal de licences libres, par exemple la GPL v2 ou v3, même l’AGPL c’est le fait de copier, de faire tourner un service qui va être la base du copyleft. Après il faut le défendre en justice, dans une cour de justice, ce n’est pas gentil la justice, donc là, déjà, il y a un problème. Cela ce sont directement des restrictions d’usage. Par exemple, quand tu prends les clauses de DRM sur la GPL v3 ou des choses comme ça, anti-DRM, tu n’as pas de restrictions d’usage, c’est juste que l’usage est neutralisé, parce que tu dois redonner la liberté de pouvoir modifier et, du coup, tu ne peux pas techniquement faire de DRM, même si c’est permis légalement.
Un deuxième problème, c’est comment tu te mets d’accord sur les restrictions à faire.
Tout cela ce sont des problèmes humains et, là, il va falloir codifier dans une licence qui, potentiellement, ne change pas, ou alors décider qu’il y ait des gens qui vont avoir la possibilité de le changer. Par exemple, changer d’une licence libre à une autre c’est possible, mais là il va falloir faire évoluer beaucoup la licence, très souvent, et que ça s’adapte à tout le monde et à tous les cas. Pour moi c’est impossible, même les lois des pays ça ne marche pas pour ça, ça ne marche même pas du tout.
Je ne vois pas comment ça peut résoudre ces contradictions. Du coup, n’y aurait-il pas d’autres approches que par les licences pour faire ça ? Par exemple des conditions d’utilisation, des choses comme cela, ou trouver des moyens, dans les licences, qui respectent la liberté d’utilisation tout en neutralisant certaines choses, par exemple la surveillance qui pourrait obliger à donner tout le code source de tout ce qu’il est possible d’un système de surveillance.
Tant que tu peux respecter les licences, ce serait un truc possible.

Pablo Rauzy : Même open source, même en ayant accès au code source, je n’aime pas les systèmes de surveillance.
Pour répondre à la première chose qui a été soulevée, évidemment je ne dis pas que c’est un truc magique que si on accepte toutes les contraintes sur la liberté d’usage, d’un coup c’est bon, évidemment que ce n’est pas le cas. J’ai dit que le débat intéressant c’est quelles sont les restrictions et, effectivement, ce n’est pas un problème technique, c’est un problème humain, comme tu l’as justement soulevé. En fait, je ne suis pas spécialement fan du fonctionnement de la justice, de la police, de plein de choses comme ça, bien sûr, mais c’est très compliqué de dire « ça ne fonctionne pas parfaitement, donc on ne s’en sert pas ». Vraiment je n’aime pas la police, mais quand il y a des cas de violences sexistes et sexuelles, je suis prêt à accompagner les victimes à la police parce qu’on n’a pas le choix.
On ne peut pas dire « ça ne marche pas parfaitement au niveau technique, genre ce n’est pas prouvè formellement, etc., donc on écarte ». Ce n’est pas possible de dire. En fait, il y a plein de trucs, y compris les lois, y compris plein de choses, où le texte est un peu flou, il est sujet à interprétation et ça se règle après, pas forcément au tribunal, ça se règle en discussions, ça se règle en plein de choses.
On le fait pour les données personnelles, c’est ce que je disais, les finalités d’usage, etc. Le RGPD, c’est compliqué. Il y avait la présentation de Framaspace tout à l’heure, Pyg disait que le RGPD c’est extrêmement compliqué, les services de Framasoft ne sont pas tous RGPD compliance parce que c’est extrêmement long et compliqué, ils y travaillent et tout, parce que, justement, il y a toutes ces finalités à décrire et c’est du travail. Je ne dis pas que c’est magique et que c’est facile, juste que le débat doit être ouvert et ce n’est pas parce que, techniquement, ce n’est pas immédiatement prouvable, parfaitement formel, rigoureux, etc., que l’on doit dire non. En fait, parfois il y en a besoin.
S’il y a d’autres moyens que les licences, c’est cool, mais lesquels. Je ne suis pas sûr.

Public : Je disais qu’il n’y a pas forcément que des licences pour faire ça et il n’y a pas forcément empêcher des choses, par exemple The Tor Browser ne va pas essayer d’interdire des sociétés de surveillance, tu auras des moyens techniques et humains et pour essayer de limiter, par d’autres moyens aussi.

Pablo Rauzy : Oui, tout à fait la différence, c’est que développer The Tor Browser c’est une très bonne chose, l’utilisation de The Tor browser c’est une protection individuelle.
Les licences, c’est l’esprit de ce que j’essayais d’expliquer au début, c’est comme la loi, etc., ce sont des choses collectives, donc on ne se place pas au même niveau. On pourrait tout à fait dire « toute façon moi, je n’ai pas besoin de tout ça, je sais chiffrer mes mails sur mon téléphone avec GPG sous OpenBSD », mais, non en fait ce n’est pas forcément vrai.

Public : C’est forcément collectif la résistance à la surveillance. Tu protèges les gens en protégeant tes communautés, donc justement, c’est collectif.

Pablo Rauzy : C’est le point que je suis en train d’essayer de faire. Tout à fait.

Public : Juste pour clarifier quelque chose. Du coup, ce qui te tient à cœur, ça serait aussi une reconnaissance par, entre guillemets, « des grands organismes » qui disent « ça c’est une licence libre » au sens de l’OSI ou est-ce simplement, de manière générale, que la communauté libriste soit un peu plus ouverte et prête à accepter ce genre de licence ?

Pablo Rauzy : Le truc c’est que ça va un peu ensemble, parce que, malgré les prétentions politiques, etc., de la communauté libre, tu vois qu’il y a un pape, quand même, ce qui est très problématique, d’ailleurs.
En vrai, je me fous du fait que la FSF et l’OSI valident des licences, ce n’est pas trop ça la question, le truc c’est que les licences qui sont là-dedans, en ricochet, vont être approuvées par les distributions, donc les logiciels vont être packagés, etc. Il n’y a pas de truc complètement immanent d’en haut – enfin si, la FSF fonctionne un peu comme ça, malheureusement. Si la communauté, en bas, à la base dit « ces trucs-là c’est libre », en fait ça va remonter.
L’idée c’est juste de se dire que, typiquement CoopCycle ou maintenant avec les IA, vous voyez ce que je veux dire, les IA génératives type ChatGPT, Midjourney et tout ça, on doit avoir des moyens de dire que, par défaut, on ne collabore pas à ces trucs-là. Je pense que ce sont des choses qui sont importantes pour qu’on puisse se défendre contre ces trucs-là. Par ailleurs, ces IA, ce n’est pas juste une espèce de marchandisation que veulent les artistes, c’est aussi que les conditions de production de ces trucs-là sont horribles, comme toute l’électronique par ailleurs, mais ça aussi en particulier, le travail du clic qui est nécessaire derrière, etc. Si on veut lutter contre à chaque échelle, partout, moi je suis pour la diversité des tactiques de lutte, je suis pour que tout se fasse en parallèle, en fait il faut aussi être capable de dire, par exemple, « discutons : est-ce ce que Wikipédia est une ressource exploitable par OpenIA ? ». C’est une vraie question : est-ce qu’on veut ça ou pas ? Peut-être que la décision, démocratiquement, va être « oui c’est OK ». À ce moment-là OK, Wikipédia reste comme ça, il y a peut-être des gens qui vont essayer de forker, il y a d’autres raisons à vouloir forcer Wikipédia, on en a entendu parler un petit peu sur Mastodon ces derniers temps.
L’idée ce n’est pas de vouloir imposer des choses, c’est juste de dire « peut-être que ce n’est pas la peine qu’il y a une levée de boucliers parce qu’une virgule n’est pas la bonne suivant saint RMS », c’est un peu ça l’idée. Sachant qu’on est déjà capable de faire des compromis sur certaines des libertés, c’est vraiment la liberté d’usage qui est intouchable et je ne comprends pas pourquoi celle-là et pas les autres. Le copyleft c’est un compromis sur des libertés, mais de redistribution.

Public – Stéphane Bortzmeyer : Souvent, en politique, il y a de longues discussions sur des terminologies. Je ne suis pas d’accord pour dire que c’est juste une histoire de virgule placée ou quelque chose comme ça. Si c’était le cas, si on considère que les mots ne sont pas importants, on pourrait dire ce qu’on veut et ça poserait d’autres problèmes par ailleurs. Donc, non, les discussions en politique sur la terminologie sont parfois pénibles, parfois c’est du grattage de petits détails, mais, parfois, ça révèle des problèmes importants derrière.
Pour toute cette histoire, j’ai l’impression qu’il y a quand même, à la source, beaucoup un problème de terminologie parce que personne, en tout cas pas moi, n’a jamais dit que la licence de CoopCycle n’était pas bonne, affreuse, que c’était des traîtres, qu’il fallait les fusiller ou quoi que ce soit. Le seul problème, c’est qu’ils veulent le beurre et l’argent du beurre : ils voudraient faire une licence pas libre parce que ça atteint certains de leurs objectifs, tout en ayant l’étiquette. Quelque part, c’est un hommage aux logiciels libres que des gens qui ne veulent pas des licences libres voudraient qu’elles soient appelées libres quand même. Je pense que la vraie solution ce n’est pas de dire libre et pas libre ou, à ce moment-là, le vocabulaire ne veut plus rien dire. La solution c’est de trouver d’autres termes, d’ailleurs, tu en as cité un quand tu as parlé de logiciel émancipateur. Pourquoi pas ! Je n’ai pas réfléchi, mais ça me paraît une bonne idée, ça pourrait coller et ça serait la solution. Des gens partent dans une direction différente de celle du logiciel libre, mais veulent être appelés libres quand même, ça me paraît un petit peu bizarre. C’est comme si un parti politique très à droite s’appelait Les républicains, par exemple. Ce n’est pas bien, ce n’est pas normal. On est ??? sur ça.

Pablo Rauzy : J’entends tout à fait ce que tu es en train de dire et c’est une solution. Mais, à ce moment-là, c’est compliqué de diviser les forces. Quand je fais des autocollants avec mon organisation politique, j’ai envie de dire juste « logiciel libre », je n’ai pas envie de dire « logiciel libre ou émancipateur et/ou émancipateur, etc. » Il y a cette question-là de force de frappe, nous ne sommes déjà pas beaucoup ; la question de fédérer autour un mot, etc., ce sont quand même des choses qui sont importantes politiquement dans le militantisme. Par ailleurs, je ne sais plus qu’elle est l’expression que tu as employée, dire que c’est très flatteur pour le logiciel libre ou un truc comme ça, en fait oui, exactement. Mais moi, je ne crois pas du tout à la révolution en mode « on va tout casser et après on va construire ». La méthode de la stratégie révolutionnaire, du syndicalisme révolutionnaire, c’est de dire qu’on veut construire des contre-pouvoirs, on veut construire des alternatives. Et, une fois qu’on est suffisamment nombreux, puissants, démocratiques, autogestionnaires pour dire au pouvoir en place ciao, on le fait et, à ce moment-là, évidemment, ça ne va pas se passer dans la douceur, on est d’accord, mais il faut avoir construit la société d’après avant de casser celle de maintenant. Et des déjà-là auxquels on peut se référer, il y en a : le logiciel libre en fait vraiment partie. Je trouve politiquement important de pouvoir dire « ça, c’est du logiciel libre », le logiciel libre c’est un truc avec lequel on peut dire aux gens qu’il y a des alternatives qui fonctionnent suivant les communs, etc. Il y en a un que vous connaissez tous et toutes, c’est la Sécu, mais il n’y a pas que ça, il y a d’autres champs où on a réussi à faire ça. Et encore, ils ont suffisamment cassé la Sécu pour qu’un ministre puisse décider qu’on change les règles d’indemnisation du chômage, ce qui n’est vraiment pas censé être le cas.
Le logiciel libre c’est aussi ça, c’est aussi pouvoir dire à des gens, c’est aussi réussir à politiser des gens qui, à la base, sont des geeks qui sont intéressés à ça, parce que c’est cool et tout, et leur dire « tu te rends compte que c’est un truc qui a été fait en commun, par des gens qui se sont mis ensemble derrière un projet, qui ont réussi à faire quelque chose qui tient tête à des alternatives capitalistes, etc. », et c’est vraiment un truc super important. Si on commence à dire « c’est l’un ou l’autre, ou ci ou ça », pour moi c’est compliqué et on perd en efficacité de force de frappe politique. Sinon je suis d’accord avec toi : techniquement on pourrait tout à fait dire et ce n’est pas vraiment le problème. C’est juste que je pense que c’est plus simple, pour beaucoup de raisons, qu’on soit capable, collectivement, de dire que c’est du logiciel libre. Je suis militant libriste, je suis à l’April depuis presque 18 ans et, il y a 18 ans, ce n’est pas quand j’ai découvert le logiciel libre, c’est quand j’ai commencé à avoir des thunes pour cotiser, j’étais militant libriste avant. Et je n’ai pas envie de dire d’un coup « maintenant je milite pour le logiciel émancipateur » et que, dans tous les événements, on doive dire « festival de culture libre et logiciel émancipateur, etc. » Il y a aussi une question d’affichage de mots, de choses comme ça, qui est aussi importante politiquement, je pense. C’est ma réponse.

Public – Stéphane Bortzmeyer : On pourrait faire comme le mouvement LGBT, rajouter beaucoup de lettres et un plus à la fin : FLOSS E, comme émancipateur, plus.

Pablo Rauzy : Je ne suis pas trop favorable à ce genre de truc, mais c’est vrai que c’est une solution et si c’est une façon de mettre tout le monde d’accord et d’avancer ensemble, je l’entends. Je ne suis pas là pour imposer des trucs, je suis là pour ouvrir le débat. Si c’est la solution à laquelle on arrive tous et toutes ensemble, tant qu’on avance dans le bon sens !

Public : Juste pour ajouter que Calimaq parle de licence à réciprocité pour ces trucs-là.

Pablo Rauzy : Alors faut rajouter « E » et « R » !

35’ 50

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