Émission Libre à vous ! du 18 mars 2025
Titre : Émission Libre à vous ! diffusée sur Radio Cause Commune le mardi 18 mars 2025
Intervenant·es : Gee - Jonas - Kaya - Laurent Costy - Marie-Odile Morandi - Élodie Déniel-Girodon - Étienne Gonnu - Frédéric Couchet à la régie
Lieu : Radio Cause Commune
Date : 18 mars 2025
Durée : 1 h 30 min
Page de présentation de l'émission
Licence de la transcription : Verbatim
Illustration : Déjà prévue.
NB : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·es mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.
Transcription[modifier]
Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Étienne Gonnu : Bonjour à toutes, bonjour à tous. Bienvenue dans Libre à vous !. C’est le moment que vous avez choisi pour vous offrir une heure trente d’informations et d’échanges sur les libertés informatiques et également de la musique libre.
TiBillet, une solution libre pour gérer un évènement et plus encore, c’est le sujet principal de l’émission du jour. Avec également au programme « L’obsolescence de Murphy » et aussi « De bibliothécaire à médiatrice numérique et formatrice », le parcours de Julie Brillet.
Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Étienne Gonnu, chargé de mission affaires publiques pour l’April.
Le site web de l’émission est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou à nous poser toute question.
Nous sommes mardi 18 mars 2025. Nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.
À la réalisation de l’émission mon collègue Frédéric Couchet. Salut Fred.
Frédéric Couchet : Salut Étienne. Bonne émission à vous.
Étienne Gonnu : Nous vous souhaitons une excellente écoute.
[Jingle]
Chronique « Les humeurs de Gee » – « L’obsolescence de Murphy »[modifier]
Étienne Gonnu : Nous allons commencer par une nouvelle humeur de Gee qui est aujourd’hui avec nous en studio. Salut Gee.
Gee : Salut Étienne et salut à toi public de Libre à vous !.
Si tu suis un peu des libristes en ligne, tu sais qu’on est souvent vent debout contre ce qu’on appelle « l’obsolescence programmée ». L’exemple classique, c’est le téléphone qui n’a pas reçu de mise à jour depuis cinq ans, et paf !, plus possible d’installer de nouvelles applications. Très vite le téléphone devient obsolète, donc inutilisable, même si, techniquement, il est toujours en bon état.
Évidemment, l’intérêt pour les constructeurs est de pousser au renouvellement du matériel et à la surconsommation pour accroître leurs profits. Ce qui n’est ni très éthique, ni très écologique, mais je vous rappelle que c’est en général dû à la même bande de salopards qui s’accommodent tranquillement du fascisme galopant et n’hésitent même plus à balancer du salut nazi, décomplexés du bras droit.
Ceci étant dit, je ne vais vous parler ni de nazis ni d’obsolescence programmée aujourd’hui, ou plutôt, je vais vous parler de ce qu’on pourrait considérer comme une certaine forme d’obsolescence programmée, mais beaucoup plus insidieuse. Je vais appeler ça « l’obsolescence de Murphy », parce que je n’ai pas trouvé de terme existant pour désigner ce dont je veux parler.
Tu t’en doutes sûrement, ça fait référence à la loi de Murphy : « Tout ce qui est susceptible d’aller mal finira probablement par aller mal à un moment donné ». Pas toujours, pas immédiatement, mais sur le long terme, ça se vérifie assez bien.
Et l’obsolescence, qu’elle soit programmée ou pas, en fait c’est exactement ça : à un moment donné, tout finit par arrêter de marcher. Même en prenant soin d’un téléphone, il finira toujours par tomber en panne ; le pont le plus solide du monde finira par s’écrouler s’il n’est jamais entretenu ; et puis, au bout d’un moment, tout le monde meurt ; à la fin, le soleil s’éteint ; à la fin de la fin, c’est la mort thermique de l’univers et tout finira dans un grand espace infini, vide, noir, glacé, immobile et mort.
Ça va, sinon, vous ? La forme ?
Revenons à notre échelle, et parlons des objets technologiques.
On va estimer la durée de vie d’un appareil en probabilités. Si on a un objet très solide et fiable, on va avoir un pourcentage très faible de panne potentielle, 0,00 – je ne sais pas combien de 0 – 1 % dans sa première année de vie, par exemple, et si on a un objet un peu pourri, on va avoir 5, 10, 15 %. Ce que j’appelle « l’obsolescence de Murphy », c’est le fait que ce pourcentage va mécaniquement augmenter quand on complexifie un objet. On pourrait résumer ça en : plus un objet est complexe, plus il a de chances de tomber en panne. Et, en fait, c’est assez intuitif.
Imaginons que j’aie un objet composé de plusieurs modules, que chaque module ait 1 % de chances de tomber en panne la première année après la fin de la garantie. Si vous avez un seul module, du coup vous avez 99 % de chances que votre objet passe la première année sans encombre. Mais plus vous ajoutez de modules, plus cette probabilité décroît !
Pour simplifier, on va supposer que les modules sont complètement indépendants et qu’une panne de l’un n’entraîne pas une panne de l’autre.
Si j’ai deux modules, alors j’ai 99 % de chances que le premier module ne tombe pas en panne, multiplié par 99 % de chances que le second module ne tombe pas en panne – rappelez-vous vos cours de proba –, ce qui donne à peu près 98 % de chances de n’avoir aucune panne. Ce qui fait une chance sur 50 d’en avoir une, contre une chance sur 100 avec un seul module.
Si on passe à 10 modules, on passe à 0,99 puissance 10, soit 90,4 % de chances de ne pas avoir de panne, là c’est une chance sur 10 d’avoir une panne, quand même.
Et mettons qu’on ait un truc hyper-complexe avec 50 modules, alors là, je vous laisse faire le calcul, on arrive à 2 chances sur 5 d’avoir une panne lors de la première année, quand même ! C’est un peu la malédiction de la complexité : même si tu as des super modules très fiables, le fait d’en avoir un grand nombre augmente mécaniquement la probabilité d’en avoir au moins un qui ait un problème, loi de Murphy oblige. C’est pour cela, d’ailleurs, que les processeurs modernes qui ont des millions de transistors sont conçus pour pouvoir fonctionner même si un certain nombre de transistors tombent en panne.
Je parle d’« obsolescence de Murphy x parce que je vois une certaine tendance, dans le monde technologique, à proposer des objets toujours plus complexes. Un exemple : mon casque audio. J’ai acheté ce casque pour deux choses : premièrement pour jouer de la musique, deuxièmement pour avoir l’annulation active de bruit, ce qui est pratique dans les transports en commun pour, par exemple, masquer le bruit que fait un train quand il avance. Ça fait déjà deux modules : la partie audio peut tomber en panne et la partie annulation de bruit peut tomber en panne aussi.
Mais en plus, ce casque est Bluetooth, troisième module susceptible de tomber en panne.
Il a des boutons pour régler le volume, pour changer de chanson et répondre aux appels d’un téléphone connecté ; on peut regrouper tout ça dans un quatrième module.
Et enfin, il a un détecteur d’oreille, oui, il détecte si le casque est retiré pour mettre automatiquement en pause la chanson si c’est le cas, cinquième module. Et c’est juste un casque audio, pas un vaisseau spatial.
Autant le Bluetooth et les boutons, je n’y tenais pas plus que ça, mais OK c’est pratique ! Autant, personnellement, le module qui met la chanson en pause quand tu retires le casque, je m’en tamponne le coquillard. Je suis capable d’appuyer sur « pause » tout seul. Mais surtout, ce qui m’inquiète et m’agace d’avance c’est : qu’est-ce qu’il se passera le jour où ce module tombera en panne ? Parce qu’il finira par tomber en panne, loi de Murphy, tout ça. Si j’ai de la chance, le casque ne se mettra plus jamais en pause ; si j’en ai moins, il ne se mettra plus jamais en marche. Tout ça parce qu’on a ajouté une nouvelle couche de complexité dont je ne voulais même pas, mais qui apporte de nouvelles chances de tomber en panne.
Et puis, dans ma démonstration, j’ai pris le cas où les pannes étaient relativement indépendantes, mais ce n’est pas toujours le cas, parfois une panne peut entraîner d’autres pannes en cascade. Et quand je dis « panne », c’est au sens large, tu en as peut-être déjà fait l’expérience : c’est la fameuse imprimante-scanner qui ne peut plus numériser de documents s’il n’y a plus d’encre. Non, ça n’a rien à voir, le scanner n’a absolument pas besoin d’encre pour numériser ! Mais si l’interface est mal foutue – par incompétence ou par malveillance, les deux sont possibles – le message qui t’indique qu’il n’y a plus d’encre bloque toutes les autres fonctions.
Bref !, je pense que tu as pigé le principe de l’« obsolescence de Murphy ». Mais alors maintenant, face à ça, qu’est-ce qu’on peut faire ?
Déjà, personnellement, j’ai toujours tendance à favoriser les objets simples et à fuir les usines à gaz qu’on nous vend comme le summum de la modernité. La cafetière connectée à commande vocale qui s’allume toute seule à 7~heures du matin et qui t’affiche tes mails sur son écran tactile, très peu pour moi. Moi j’ai une Moka italienne, la cafetière de mamie, à l’ancienne, et à part changer le joint tous les 10~ans, honnêtement il y a peu de pannes potentielles à prendre en compte.
Après, on n’a pas toujours le choix. Par exemple, moi je n'ai pas de télé, mais je sais que c’est devenu quasi mission impossible de trouver une télé qui ne soit pas une smart télé, avec tout le cortège de conneries inutiles incluses, donc son nouveau cortège de pannes potentielles.
Ce qui peut un peu nous sauver, dans ce genre de cas, c’est… roulement de tambour… c’est le… c’est le lo… c’est le logiciel… LIBRE ! Oui, bien sûr, on est à l’April ou on n’est pas à l’April !
Ce n’est pas juste pour balancer un mot clef ! Le logiciel libre ça peut vraiment aider contre pas mal de formes d’obsolescence programmée ou de Murphy. Pourquoi ? Déjà parce qu’avec du Libre, en général on a le contrôle, en tout cas on a vachement plus de contrôle qu’avec le propriétaire.
Une fois, sur mon ordinateur, je me suis retrouvé avec une touche de clavier coincée. Enfin !, la touche n’avait physiquement rien mais mon ordi recevait en boucle le signal de la touche F6, donc j’imagine qu’il y avait un truc cassé en interne. Plutôt que de racheter un clavier, comme j’utilise un système où j’ai le contrôle sur à peu près tout, GNU/Linux, eh bien j’ai assez facilement trouvé comment désactiver ou ignorer la touche F6 au niveau du système. Vu que je me sers assez peu de F6, ça ne m’a pas vraiment manqué. Donc, au lieu de jeter un clavier dont 105 touches marchaient sur 106, j’ai un peu repoussé l’obsolescence avec du logiciel libre.
J’ai aussi souvenir d’un vieil iPod qui ne fonctionnait plus, car le disque dur interne avait une partie corrompue qui, pas de chance, contenait le système d’exploitation, merci Murphy. Eh bien j’avais réussi à y installer Rockbox, un OS alternatif pour baladeur MP3, OS libre, qui avait donné une seconde vie à cet iPod. Bon !, il avait quand même fini par tomber définitivement en panne vu que le disque dur était en fin de vie, mais j’avais gagné quelques années, ce qui n’est pas rien pour un objet avec un prix d’achat et un coût écologique tous deux conséquents.
Pour mon casque, par exemple, si la détection d’oreille venait à déconner et à empêcher le casque de jouer de la musique, j’aimerais beaucoup pouvoir y installer un firmware libre pour désactiver cet élément logiciel. D’ailleurs même s’il marche, j’aimerais bien désactiver cette connerie, parce que, quand j’ai un bonnet sur la tête entre le casque et les oreilles, il a parfois tendance à ne plus détecter mes oreilles, donc à me mettre la chanson en pause de manière intempestive, ce qui est très chiant.
En fait, on revient à l’origine un peu légendaire du logiciel libre, avec la fameuse histoire de Richard Stallman qui voulait modifier le driver d’une imprimante pour réparer une panne. Eh bien 45~ans après, les imprimantes font aussi scanner, elles ont un module wifi, un autre Bluetooth, elles peuvent commander l’encre toutes seules, elles ont 50 modules qui peuvent tous tomber en panne assez régulièrement et des drivers plus verrouillés que jamais ! Du coup, Stallman, tu dirais plutôt que le logiciel libre est un échec ou que ça n’a pas marché ?
Bon, je trolle un peu, le fait est que le logiciel libre est un des rares trucs qui peuvent nous aider à reprendre le contrôle dans une industrie qui veut toujours nous vendre des trucs plus verrouillés, plus complexes, donc toujours plus fragiles, toujours plus jetables.
Bref ! Installez du Libre où vous pouvez, mais dans la mesure du possible, prenez même carrément des objets simples, durables et qui n’ont pas du tout besoin d’OS pour fonctionner. En gros, vive la cafetière Moka de mamie, et salut !
Étienne Gonnu : Merci Gee.
Cela me fait penser nos amis d’Antanak, que j’ai envie de saluer, qui sont juste à côté, qui récupèrent des anciennes machines et qui, grâce au logiciel libre, peuvent en proposer à quiconque en a besoin. Il n’est pas besoin d’être un informaticien ou une experte en informatique, plein de libristes ou d’associations sont prêtes à nous accompagner si jamais il y a besoin pour réparer notre clavier ou autre.
En tout cas merci beaucoup et je te dis au mois prochain pour une nouvelle humeur.
Gee : Au mois prochain. Salut.
Étienne Gonnu : Salut Gee.
Nous allons à présent faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Étienne Gonnu : Après la pause musicale, nous parlerons de TiBillet pour gérer un évènement et bien plus encore.
Avant cela, nous allons écouter Celtic Heart par Kira Daly. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Celtic Heart par Kira Daly.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Celtic Heart par Kira Daly, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC By.
[Jingle]
Étienne Gonnu : Nous allons passer à notre sujet principal.
[Virgule musicale]
TiBillet, gérer un événement et plus encore...[modifier]
Étienne Gonnu : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui sera animé aujourd’hui par Laurent Costy vice-président de l’April.
Avant de lui passer le micro, je vous rappelle que vous pouvez participer à notre conversation au 09~72~51~55~46 ou sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ».
Toutes les références de l’émission seront rendues disponibles sur la page consacrée à l’émission, libreavous.org/239.
Salut Laurent. Je te laisse donc le micro ainsi qu’à tes deux invités.
Laurent Costy : Bonjour Étienne. Merci pour ce micro.
Nous allons effectivement parler de TiBillet. Je vais reprendre ce qui est écrit sur le site et puis, évidemment, nos deux invités vont nous expliquer en long et en large, j’espère, toutes les potentialités de TiBillet.
TiBillet est une solution libre de paiement, d’adhésion associative, de réservation et de billetterie en ligne, de gestion de monnaie temps et monnaie locale, de cashless, autrement dit permettant d’éviter des flux d’argent en liquide sur les festivals, et de gestion de prise de commande pour buvette et salle de restauration. Ça fait beaucoup de fonctionnalités ! L’idée générale est d’élargir le champ d’action d’une carte d’adhésion et/ou cashless, déjà en circulation dans beaucoup de lieux et de festivals, pour la création d’un réseau coopératif.
La plateforme vise à encourager la circulation des publics et la coopération entre les différents acteurs d’un territoire tels que les tiers-lieux, les associations, les festivals, les artistes, les artisans et les développeurs informatiques d’outils libres.
Les utilisateurs disposent d’une carte NFC, autrement dit une carte sans contact personnel, valable dans tout le réseau TiBillet, sans frais d’abonnement ni de rechargement, qui permet de gérer et d’associer les adhésions associatives, les abonnements, les monnaies temps locales et/ou libres et fédérées sur plusieurs lieux.
Enfin TiBillet, et c’est pour cela qu’on en parle, est un logiciel libre développé par la société coopérative d’intérêt collectif, la Scic, Code Commun.
Utiliser TiBillet, c’est intégrer un réseau d’économie sociale et solidaire qui vous accompagne de A à Z, ça c’est pour la phrase un peu commerciale.
Je vais dire bonjour à Kaya et à Jonas qui vont nous raconter TiBillet.
Bonjour Kaya. Bonjour Jonas.
Kaya : Bonjour.
Jonas : Bonjour.
Laurent Costy : Merci d’avoir dédié du temps à cette émission. Je sais que vous avez beaucoup de choses à nous raconter. Déjà, peut-être, vous présenter respectivement, savoir comment on en vient à contribuer fortement à un tel logiciel. Jonas commence.
Jonas : OK. Merci pour la présentation. Je me rends compte que c’est effectivement long comme texte. Merci.
Bonjour à tous. Je m’appelle Jonas. Je me présente souvent en disant que j’ai une double casquette : d’un côté, je suis régisseur de festival et ingé son, je m’occupe un peu des musiciens et d’accueillir du public dans des événements et, à côté, je suis un bidouilleur, hacker, libriste, développeur depuis que j’ai un ordi, depuis que je suis gamin en gros et voilà ! Dans TiBillet, j’ai réussi à allier un peu mes deux passions, l’informatique, les libertés numériques et l’événementiel.
Laurent Costy : D’accord. Et tu as découvert les tiers-lieux, on y viendra peut-être après ?
Jonas : Oui. Les tiers-lieux c’est carrément un gros coup de cœur, parce que ce sont des lieux dans lesquels les deux notions sont vraiment très importantes : d’un côté on a des communs, pas uniquement numériques, mais aussi les communs des espaces, les communs du vivant, les communs d’habiter ensemble, et ce sont aussi des espaces où on fait la fête, on invite beaucoup de musiciens et on fait pas mal de concerts. Du coup, quand je suis dans un tiers-lieu je suis heureux parce que je peux faire mes deux passions.
Laurent Costy : On explicitera un peu les réseaux de tiers-lieux, ce que ça produit, ce que ça génère et comment ça travaille ensemble.
Kaya, je te laisse te présenter.
Kaya : Bonjour. Ces dernières années, j’étais beaucoup en free-lance, partagée entre création artistique, design, dev web. Je suis arrivée sur TiBillet sur le tard puisque c’est seulement depuis l’été dernier que j’y participe. Par contre, je suis en contact avec le monde du libre depuis 2008, je crois, ça commence à dater. Du coup, j’ai participé et aidé des projets associatifs et autres depuis ce moment-là.
Laurent Costy : D’accord. Quand tu dis « dev web », pour les gens qui ne connaissent pas le monde de l’informatique, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que tu contribues à la fois à la question esthétique de TiBillet et aussi, potentiellement derrière, à de la programmation un peu plus obscure ?
Kaya : C’est ça. C’est du code frontend, ce qui se passe dans un navigateur donc HTML, CSS, JS, et puis c’est aussi du code backend, dont on parlera peut-être un petit peu plus au moment de la technique.
Laurent Costy : C’est ça, des choses qui se passent derrière et que les gens ne voient pas. Parfait. Très bien.
Jonas, je trouve l’histoire du TiBillet vraiment intéressante, on en discutait un peu avant l’émission, comment se construit un projet comme ça et puis qu’est-ce qui fait que, finalement, on arrive à avoir des dimensions de communs, des dimensions libristes. Vas-y, raconte-nous l’histoire de TiBillet et je t’arrêterai si tu dépasses.
Jonas : N’hésite pas, tu sais que je suis bavard sur ce sujet-là.
C’est une histoire que je raconte régulièrement, que j’aime bien raconter parce que c’est aussi l’histoire de comment on crée un commun et comment on crée un commun numérique.
On a monté une coopérative, on reviendra peut-être un peu plus tard sur la gouvernance, comment gérer le projet.
À la base, la question c’était surtout pour répondre à nos propres besoins, en tant qu’association culturelle et organisatrice de festivals.
Je raconte souvent l’histoire de la création TiBillet comme l’histoire d’un commun qui est né à La Réunion, dans le sud de l’île, dans ce qu’on appelle le sud sauvage, dans la baie de Manapany plus précisément, qui veut dire chauve-souris en malgache. Depuis 2001, il existe un festival qui s’appelle Manapany Surf Festival. Je suis arrivé là-bas en 2016 en tant que musicien et ingé son, et j’ai vu tout de suite une bande de bénévoles assez rigolos qui tiennent un festival qui accueille à peu près 10~000 personnes sur le week-end et qui avaient déjà créé leur propre billetterie eux-mêmes parce que, tout simplement, ils ne voulaient pas payer une billetterie existante. Il faut savoir que les logiciels de billetterie sont de gros logiciels industriels, très chers, qui prennent en général entre un et deux~euros par billet. Ce sont de très bons logiciels, mais il n’y a pas beaucoup de logiciels libres sur ce sujet-là. Du coup, une bande de développeurs, bénévoles aussi dans le lieu, avaient créé leur propre site web pour vendre des billets, du coup ils avaient 100 % de leurs ventes, ils étaient contents.
Je fais le festival, je tombe amoureux de La Réunion, j'y reste. J'avais acheté un billet d’avion, j’étais parti là-bas en me disant je reste deux/trois mois pour visiter et je repars à Paris ou à Montpellier, en fait j’y suis resté huit~ans, donc plutôt cool.
L’année suivante, on a décidé de faire du cashless. Je peux expliquer vite fait ce que c’est.
Laurent Costy : Bien sûr, ça me semble important pour les gens puissent appréhender.
Jonas : Ce n’est pas simple. Si vous êtes festivalier régulier, vous connaissez ces festivals, des gros, moyens ou petits festivals, rarement les petits parce que ça coûte très cher comme système : on arrive dans le festival et plutôt que d’avoir, en gros, une caisse enregistreuse avec du liquide, un terminal de paiement carte bancaire dans chaque point de vente, on vous donne une petite carte, souvent un bracelet qu’on vous met au poignet, et on vous dit « c’est votre portefeuille et vous pouvez mettre autant d’argent que vous voulez dessus, il y a juste un seul endroit où vous mettez de l’argent », souvent à l’accueil du festival, ce qu’on appelle le point cashless. On arrive au point cashless, on met ses 20, 30 ou 50~euros pour la soirée et ensuite, dans tous les points de vente disséminés dans le festival, on peut payer juste en faisant un bip sur le terminal de paiement, pour prendre une bière. C’est quelque chose d’extrêmement pratique pour les organisateurs parce que ça permet d’éviter à des bénévoles, souvent, qui sont derrière les tireuses à bière jusqu’à deux/trois heures du matin, de faire des erreurs de caisse, avec la sobriété légendaire des bénévoles des festivals. Ça permet aussi d’avoir une certaine fluidité pour les ventes parce qu’on fait juste bip, on n’a pas d’argent à rendre, on n’a pas de code à taper sur le TPE [terminal de paiement électronique], du coup il y a moins de queues, ça fluidifie les ventes, donc, forcément il y a plus de ventes, on passe aussi plus de temps à discuter avec les festivaliers ; en tant que bénévole, on n’est pas en train de stresser à cause de la file qui grandit, à cause de l’argent qu’on a du mal à rendre.
Laurent Costy : Et puis la responsabilité des bénévoles qui doivent faire transiter de l’argent liquide, ce n’est jamais très agréable.
Jonas : Clairement ! Je me souviens encore de ma trésorière, bénévole aussi, qui faisait le tour du festival toutes les heures avec un sac à dos rempli de pièces de monnaie, avec 10~000 euros dans le sac, qui flippait à chaque fois pour traverser la foule ; avoir le cashless a été, pour elle, le jour et la nuit. Ça fait aussi réduire beaucoup les coûts de frais de terminaux bancaires pour tout le festival, ça a beaucoup d’avantages. Le seul inconvénient c’est qu’il y a un peu un monopole en Europe de l’entreprise qui fait des prix vraiment très chers et surtout qui a une politique ! En tant que festivaliers, il nous reste souvent de l’argent sur les cartes à la fin du festival et on a un peu la flemme soit parce qu’il est trois~heures du matin, on est fatigué, on a un peu trop bu, ou alors on oublie et on n’a souvent que deux/trois semaines, un mois pour se faire rembourser sur un compte en ligne fabriqué compliqué volontairement, ce qu’on appelle parfois un dark pattern. Du coup, dans la plaquette commerciale de cette entreprise-là, ils disent littéralement : « OK, on est super cher, mais ne vous inquiétez pas, vous allez récupérer l’argent qui reste sur les cartes de gens derrière. » Nous n’avons pas voulu faire ça, c’est une politique un peu particulière, mais ça marche, ceci dit c’est un très bon produit. Nous avons déjà voulu faire en sorte que nos cartes ne soient pas jetables, qu’elles soient valables à vie, l’argent qu’on a dessus on se le fait rembourser quand on veut. On veut que ce soit un outil qui nous aide et qui t'aide aussi, en tant que festivalier, à kiffer la soirée. Ce n’est pas un outil pour piquer de l’argent.
C’est un projet qu’on a lancé en 2017 et qu’on a expérimenté pendant plusieurs années. Il se trouve qu’à Manapany on n’a pas que le festival, on a aussi un petit café associatif au bord de la mer dans lequel on avait aussi des contraintes de vente d’alcool et de bière : on pouvait en vendre uniquement à nos adhérents, car on n’avait pas de licence d’alcool en dehors du temps du festival. Du coup, on a dit aux gens « vous pouvez garder vos cartes cashless et quand vous scannez votre carte –~il y a un petit QR Code derrière~–, vous pouvez adhérer à l’association avant de venir, vous pouvez aussi dépenser l’argent que vous avez mis pour le festival au café associatif et ça a cartonné. Les gens venaient nous voir, adhéraient avant de venir avec leur carte et ça faisait une carte d’adhésion.
Laurent Costy : Très bien. Jonas, je me permets, tu peux ralentir. On a jusqu’à 16~heures~41. Je pense à Marie-Odile qui, en ce moment, travaille déjà pour la transcription, qui doit vraiment carburer pour suivre ton fil.
Jonas : Tu fais très bien de me dire. Je parle très vite, tu as raison, c’est un travers, surtout pour les choses que j’aime bien.
Laurent Costy : Oui, je sais, et c’est absolument intéressant.
Jonas : Merci. Carrément !
À cette époque-là, nous avons une billetterie et un cashless que nous avons fabriqué nous-mêmes. Arrive le café associatif qui réclame des adhésions associatives sur les cartes et, du coup, on a un système billetterie, donc de cashless et d’adhésions associatives, on se retrouve avec un système qui remplace peu ou prou des solutions qu’on connaît tous comme HelloAsso ou d’autres solutions de prise d'adhésion en ligne.
Arrivent ensuite le Bisik et La Raffinerie, qui sont deux autres lieux culturels, nous disent « c’est génial ce que vous faites ». Le Bisik, un petit café associatif aussi, a le même besoin : il a besoin de vérifier que les personnes soient bien adhérentes pour leur vendre de l’alcool, mais il aimerait aussi qu’on puisse avoir le terminal sur un téléphone pour prendre les commandes en salle de restauration et que ça imprime des tickets en cuisine. Du coup, vous voyez, hop !, encore un nouveau besoin. On développe l’application pour en faire une sorte d’outil de gestion de prise de commande de restauration et ça devient une vraie caisse enregistreuse parce que ça accepte les espèces, les cartes bancaires, les chèques et, du coup, toujours ces cartes cashless qui sont héritées du festival.
Arrive ensuite La Raffinerie.
Laurent Costy : Là, tu mélanges un petit peu les fonctionnalités, l’histoire de TiBillet. Je ne sais pas si Kaya peut compléter quelques éléments. C’est vrai que c’est toi qui maîtrises l’histoire, mais il y a peut-être des choses à compléter de la part de Kaya sur ces éléments-là, ou pas. Je t’ai un peu coupé.
Jonas : Ce qui se passe ensuite de La Raffinerie, le système de valorisation de bénévolat, je sais pas si Kaya est à l’aise sur ce sujet-là.
Laurent Costy : On a peut-être perdu Kaya par contre.
Frédéric Couchet : Je ne sais pas si Kaya a désactivé son micro ou pas, ça ne bouge pas de notre côté en régie.
Laurent Costy : Vas-y, continue Jonas, on donnera la parole à Kaya tout à l’heure. On essaye de résoudre le problème.
Jonas : Ça roule. En tout cas, n’hésite pas à me couper.
La Raffinerie arrive, c'est un tiers-lieu assez fabuleux qui se crée.
Laurent Costy : Est-ce que tu as entendu les propos précédents Kaya ?
Kaya : Oui, tout à fait et je parlais aussi mais, visiblement, toute seule.
Laurent Costy : Oui, vraisemblablement. Tu voulais peut-être intervenir sur la question du bénévolat, sur la fonction bénévolat, ou est-ce que tu avais à réagir sur ce qu’était en train de dire Jonas ?
Kaya : Non. Tant que c’est sur le déroulé de l’historique, je n’étais pas présente à La Réunion, je suis arrivée avec l’entrée de TiBillet en métropole.
Laurent Costy : D’accord. Comment as-tu appréhendé la quantité de fonctionnalités qui se développent à une vitesse que je trouve assez étonnante ?
Kaya : Ça a été compliqué.
Laurent Costy : Tu me rassures !
Kaya : Surtout que le but, quand je suis arrivée, on va faire un petit bond dans le temps. Quand a-t-on obtenu les financements de France 2030 ?
Jonas : À peu près quand tu es arrivée, c’est vrai il y a six mois/un an.
Kaya : Donc, l’été dernier, nous avons reçu des financements qui ont permis d’agrandir l’équipe. On est donc venu frapper à ma porte parce que je fabriquais déjà un logiciel pour un tiers-lieu, je leur avais fait un logiciel de réservation de salle. À ce moment-là, je me suis dit pourquoi pas, je veux bien aider à venir travailler là-dessus et ça m’arrange d’autant plus que je n’ai pas tout à fait envie de travailler toute seule sur un logiciel pendant des années avec, justement, cette « obsolescence de Murphy » dont on parlait tout à l’heure. Le souci c’est que le jour où je suis malade, j’ai envie d’arrêter de travailler ou quoi que ce soit, eh bien ce tiers-lieu a de gros soucis. J’ai donc voulu rejoindre TiBillet pour qu’on puisse construire ensemble un logiciel qui serait plus stable, où il y aurait plus de personnes impliquées et qu’on pourrait déployer un petit peu partout.
Laurent Costy : Super. Excellent. OK. Jonas tu peux peut-être reprendre et terminer l’histoire par rapport à La Raffinerie qui a souhaité avoir une capacité de valorisation du bénévolat.
Jonas : Oui, effectivement. C’est aussi super ce qu’on raconte Kaya, rappeler qu’on a créé ce logiciel-là, c’est un peu un vrai bordel, parce qu’on l’a créé selon nos besoins, on l’a modifié.
Laurent Costy : Je ne l’aurais pas dit comme ça !
Jonas : Aujourd’hui, ça commence vraiment à ressembler à quelque chose, nous sommes vachement contents, mais, à cette époque-là, ça s’est vraiment construit sur chaque besoin de lieu. On n’est pas encore sur un logiciel qu’on a envie d’ouvrir à l’extérieur, il devait juste répondre à nos propres besoins et aux besoins des lieux copains, à côté, voisins, dans La Réunion. L’île de La Réunion est toute petite, on se connaît tous, donc on s’entraidait déjà entre nous, entre structures culturelles. C’est là où La Raffinerie a été très porteuse. C’était mon premier contact avec l’univers des tiers-lieux, on pourra en parler si vous voulez, ce sont des lieux très hybrides, dans lesquels beaucoup de choses différentes se passent. À La Raffinerie, par exemple, il y avait de la permaculture il y avait un fablab, des espaces de travail partagé, du coworking, il y avait même de l’aquaponie, on élève des poissons, on récupère les déjections pour faire pousser des salades à côté, ce sont vraiment des lieux complètement hybrides.
Laurent Costy : Tu parles très vite, j’ai compris aqua-poney, mais tu n’as pas dit aqua-poney.
Jonas : Excuse-moi, c’est de l’aquaponie. Pardon, je vais essayer de ralentir un peu le débit. Il y avait aussi des espaces d’accueil de musiciens, des scènes, on pouvait accueillir près de 600 personnes. Ce sont donc des lieux très hybrides, très vivants et qui sont construits sur ce qu’on appelle souvent des chantiers participatifs. L’idée c’est qu’on arrive le matin, le mercredi matin, par exemple, on invitait tout le monde à venir, on payait le petit-déjeuner et on disait « viens nous aider à construire le lieu, viens nous apprendre à souder des conteneurs, viens accueillir du public et tout ». Et La Raffinerie a eu l’idée de faire ce qu’on appelle une monnaie temps, c’est-à-dire que tu viens nous filer un coup de main quatre heures de temps, on te donne quatre points qu’on rajoute sur les mêmes cartes cashless qui ont servi pour le festival de Manapany, en disant « on ne met pas que des euros sur la carte, on met aussi des monnaies temps qui pourront te servir plus tard à valoriser ton bénévolat et aller le dépenser une heure dans le fablab, une heure dans un atelier de couture, ce genre de chose ». L’idée étant de valoriser le bénévolat que l’on fait non pas avec une rémunération en euros mais avec un échange de services. Petite parenthèse : il se trouve qu’on échangeait aussi des monnaies temps contre des boissons au bar, du coup on pouvait venir filer un coup de main le matin et payer des coups à boire le soir à ses copains. C’était quand même assez chouette et ça a extrêmement bien marché. Il faut avouer qu’on a fait plus de 2La Raffinerie000 cartes par an, les gens se sont vraiment pris au jeu avec la carte : gagner des points et les échanger ensuite dans les ateliers. C’était vraiment fondamental comme besoin de La Raffinerie pour créer un lieu.
Laurent Costy : Ça renforce le lien social. Ce sont des approches alternatives qui sont franchement vraiment sympathiques. Pour terminer l’histoire, tu voulais parler de la fédération de cartes et de billetterie, c’est ça ?
Jonas : Oui, je peux aller très vite là-dessus, en parlant lentement.
Laurent Costy : C’est assez intéressant sur un territoire. Vas-y, explicite lentement ce que ça veut dire.
Jonas : Arrive 2019 et la politique tiers-lieux portée par l’État. L’idée, en gros, l’État demande aux tiers-lieux de se fédérer en régions pour qu'ils puissent centraliser les demandes de subventions. En gros, l’État en a marre d’avoir 30 dossiers de subventions et veut n’en avoir qu’un seul par région. Donc chaque région a construit un peu son réseau régional. À La Réunion, on l’a appelé La Réunion des Tiers Lieux, RTLx avec un petit « x » à la fin, et on a très vite mis dans les budgets de RTLx le développement d’outils communs, notamment de TiBillet. L’idée c’est de faire en sorte que la carte de TiBillet, donc une carte d’adhésion, vous vous en souvenez, une carte de cashless et de monnaie temps, une carte aussi qui puisse gérer un agenda et une billetterie, ne soit pas uniquement liée à un seul lieu mais qu’elle soit lisible dans plusieurs espaces. Vous voyez un peu l’histoire, l’idée rigolote, c’est que si on met de l’argent sur une carte et qu’on peut le dépenser à plusieurs lieux, ça devient proto-monnaie locale avec laquelle on peut s’échanger en même temps des services avec une monnaie temps, mais aussi des agendas, on peut créer une billetterie fédérée à plusieurs lieux et créer un agenda culturel sur l’espace d’un territoire, une petite ville, une petite rue, n’importe quoi ou son collectif à soi et là ça a explosé. C’est là où les tiers-lieux nous ont vraiment aidés et portés.
Laurent Costy : Ça résonne avec le monde associatif que je connais, par exemple le réseau des MJC. C’est vrai que sur une ville où il y a plusieurs MJC, par exemple, se pose la question de savoir comment on fait commun. Évidemment que le système technique, la carte d’adhésion ou la carte qui est proposée par TiBillet ne suffit pas, parce que, évidemment, il faut aussi une volonté politique. Mais, à partir du moment où le système est là, ça va faciliter, fluidifier ces logiques-là et ça peut aider, sur un territoire, à faire commun et à rendre vraiment uniforme, finalement, un projet sur ce territoire.
Kaya : Récemment, une personne m’a parlé de la version positive du pied dans la porte. C’est vrai que c’est souvent difficile de s’impliquer dans les collectifs, de se motiver à aller consommer en monnaie locale, etc., mais si je vais à un événement, que je me retrouve d’office avec une carte sur laquelle il y a des sous, je suis déjà dans le réseau, je n’ai même pas eu besoin de réfléchir plus que ça, je n’ai pas eu besoin de m’engager particulièrement, d’avoir une réflexion, j’ai juste une carte avec des sous, du coup je vais avoir envie de trouver des endroits où je peux dépenser ces sous, mon reste, les verres que je n’ai pas bus dans la soirée, etc.
Laurent Costy : Oui, l’outil va favoriser. Évidemment que ça ne remplacera pas des volontés, des décisions en amont, si on n’a pas envie de faire commun, ça ne marchera pas, par contre, quand c’est là, ça vient appuyer justement des logiques politiques, c’est extrêmement intéressant.
Je pense qu’on a bien détaillé l’histoire de TiBillet. Je trouve que c’est finalement un projet assez jeune, en tout cas par rapport à d’autres projets libristes que je peux croiser par ailleurs. Pareil, je trouve qu’il s’est développé à une vitesse assez rare. Je ne sais pas si on a fait le tour des fonctionnalités. On a parlé du cashless, on a quand même balayé beaucoup de fonctionnalités. Est-ce qu’il y en a qu’on aurait oubliées ou qu’on voudrait préciser ?
Jonas : Adhésion associative, billetterie, agenda, caisse enregistreuse, cashless de festival événementiel, gestion de salle, prise de commande, bientôt la gestion de réservation de salle, ça fait beaucoup de choses, tu as raison
Laurent Costy : Ça fait beaucoup de choses. La question qu’on peut avoir, quand on entend la liste, comme pour tout logiciel, j’imagine qu’on peut activer ou désactiver les fonctionnalités, c’est-à-dire qu’on ne prend pas tout le pack, avec tout qui arrive en même temps et on est tout perdu.
Jonas : Tout à fait. D’ailleurs, le premier rapport que tu as, c’est d’abord de créer ton agenda et ton système d’adhésion. En gros, au tout début, on fait une alternative libre à HelloAsso. Après, si tu veux le reste, tu viens nous voir, on discute ensemble, on te montre comment ça marche.
Laurent Costy : Kaya.
Kaya : On a essayé d’appeler ça une boîte à outils. Quand on veut essayer d’expliquer en plus simple, on dit que c’est une boîte à outils dans laquelle on a des outils spécifiques qui peuvent servir à des collectifs spécifiques ou à des publics spécifiques, dans laquelle, idéalement, on va venir se servir comme on veut pour se constituer ce qu’il faut pour avancer en tant que collectif.
Laurent Costy : D’accord. J’ai entendu aussi la dernière phrase de Jonas qui dit « on te montre comment ça marche ». Du coup, comment ça marche le « on te montre » ? Les associations vous sollicitent ? Combien ça coûte ? On imagine que c’est beaucoup de temps pour vous que venir montrer comment marche un logiciel, pour baigner un petit peu dedans, je sais ce que ça représente en termes de temps, d’énergie, de préparation en amont. J’imagine que la documentation est liée au logiciel, on en parlait aussi avant l’émission, une documentation sans accompagnement ce n’est pas forcément extrêmement utile si on n’est pas habitué à l’utiliser. Racontez-moi tout ça.
Jonas : C’est génial. C’est un super sujet. On a la chance d’être soutenus, d’être portés par les tiers-lieux dans lesquels on a construit l’outil. Comme disait aussi Kaya, comme on construit sur des besoins, on n’a pas construit le logiciel à partir de l’idée d’une petite équipe dans un bureau qui a envie de vendre un logiciel auprès d’associations, de structures. On l’a construit sur nos propres besoins et, du coup, on a vraiment beaucoup de chance d’avoir un réseau qui nous porte et qui nous dit « c’est chouette, je rencontre aussi ce besoin-là », du coup on va se porter ensemble.
Le réseau des tiers-lieux s’est structuré en réseaux régionaux assez forts, avec beaucoup de subventions et, du coup, nous fabriquons ce qu’on appelle des résidences. Par exemple, il y a 15 jours, nous avons passé une semaine dans les Hauts-de-France avec le réseau régional qui s’appelle la Compagnie des Tiers-Lieux qui nous a dit « viens, je te paye la bouffe et le transport, je t’héberge chez moi, on va voir trois/quatre lieux par jour et tu vas leur expliquer ce que tu fais, comment tu le fais, rencontrer leurs besoins ». C’est quelque chose qu’on adore, ça nous permet aussi de remonter les besoins du terrain, des autres lieux qui nous ressemblent, qui nous disent « ce que vous faites, c’est génial, mais il me manque ça et ça, est-ce que ce serait possible de le rajouter ? ». On regarde le temps que ça prend, après Kaya me dit « arrête de prendre trop de boulot, de dire oui à tout le monde », on développe au fur et à mesure de ce qu’on peut faire. C’est « je te montre comment ça marche, je t'accompagne et, surtout, on le fait ensemble », c’est fondamental pour nous.
Laurent Costy : Mais même ça, c’est extrêmement précieux pour la structure. Venir sur place, montrer comment ça marche, collecter les retours d’usage, c’est effectivement extrêmement précieux pour vous, je l’entends, mais normalement ça se finance. Pour l’instant vous bénéficiez, c’est ce que tu expliquais, du soutien de l’État sur le développement, mais, à terme, est-il prévu de faire évoluer le modèle économique pour structurer un peu de formation ? Pour l’instant, vous profitez de pouvoir être présent auprès des associations, si je comprends bien. Kaya.
Kaya : Oui, je peux parler un petit peu parce que, en fait, ça se rejoint sur des façons de fonctionner, sur des modèles économiques, etc., on est en train de croiser beaucoup de choses.
On est en train d’évoluer sur tout ça, notamment parce que l’équipe a grandi, parce qu’on a eu les financements et d’autres personnes sont aussi intéressées pour continuer à nous financer des chantiers. Il se trouve qu’on a commencé à faire des budgets contributifs. Une personne, Maïlis, est venue nous aider à formaliser et lancer ça. Le principe des budgets contributifs c’est : on ouvre un budget qui a une mission particulière et on se rémunère dessus en déclarant les montants qui nous paraissent justes par rapport au barème qu’on s’est donné. Pour lier cela à la question de la façon dont on finance, un budget contributif animation a justement vu le jour et a permis à quelques personnes de prendre du temps par exemple pour aller discuter ou aller former l’association qu’il y a dans la ville –~je pense à Adrienne qui va voir plusieurs associations à Montpellier, par exemple. Ce sont des personnes qui viennent se rémunérer en mode contributif là-dessus. Je te laisse peut-être parler sur le reste du modèle économique.
Jonas : Si tu veux. Pour compléter sur le modèle contributif, l’idée c’est vraiment de retirer un peu le rapport de subordination qu’on a souvent dans des projets plus ou moins libres. C’est surtout dire qu’on met des sous, on met les tâches en face et c’est toi qui décides combien tu veux prendre, combien de temps tu veux t’impliquer là-dedans ; c’est à toi de décider ce que tu veux faire, comment tu veux faire grandir le projet. C’est une façon de fonctionner souvent issue des tiers-lieux, qu’on appelle aussi parfois la co-rémunération et c’est passionnant à traiter. L’idée c’est comment on construit un projet ensemble sans avoir un rapport de subordination ou du management ou des trucs comme ça.
Du coup on invite tout le monde, tous ceux qui ont envie de bosser dans TiBillet, à venir voir les tâches qu’il y a à faire et dire « ça je sais faire », on t’accompagne à le faire et tu peux être rémunéré pour ça. En fait, c’est rigolo de dire que ce n’est pas que du code qui peut être contributif, on a l’habitude de ce mot dans la contribution au logiciel libre, il y a aussi une autre façon de travailler avec les budgets qui sont contributifs.
Laurent Costy : Finalement vous ne constatez pas d’abus. En tout cas, s’il y a besoin de régulation, c’est vraiment à la marge en termes de temps et d’énergie j’imagine, dire « là, tu exagères un petit peu ».
Kaya : Pour l’instant, je pense qu’on ne le saurait pas, c’est tout frais. Par contre, même si c’est tout frais dans TiBillet, c’est une pratique qui a déjà une longue histoire dans les tiers-lieux. Ce qui va être conventionné, borné, paramétré, c’est surtout l’établissement du budget, de la mission, combien on va se rémunérer là-dessus. C’est à cet endroit-là qu’on resserre pour que, justement, il puisse y avoir une liberté encadrée au moment où on décide sa rémunération.
Laurent Costy : Et partagé.
Jonas : Et puis tout est transparent, c’est aussi ce qui est chouette. Fonctionner comme ceci, c’est aussi apporter de la transparence dans des structures qui, parfois, ne le sont pas, les entreprises. Si tout est transparent, quand il y a du collectif, il y a moins d’abus, on voit très vite, tout de suite, qu’un abus est réalisé vu que tout est transparent.
Laurent Costy : Très bien. Je vous remercie déjà pour cette première partie qui éclaire énormément de fonctionnalités de TiBillet. Je vais repasser la parole à Étienne pour une petite pause musicale et on reprendra la discussion. On a encore plein de choses à dire sur TiBillet.
Étienne Gonnu : Merci Laurent. Je précise juste, parce qu’il a été question de tiers-lieux, notamment des fablabs~working, qu’on avait reçu le 25 février dans l’émission 237, une représentante du Réseau français des fablabs, Espaces et Communautés du Faire. Je pense qu’il y aura beaucoup de ponts entre ces deux émissions, donc, si le sujet vous intéresse, je vous invite à aller écouter le podcast de l’émission 237.
Comme tu l’as dit, nous allons faire une pause musicale, nous allons écouter Intro to Woum par Cloudkicker. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Intro to Woum par Cloudkicker.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Intro to Woum par Cloudkicker, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC By.
[Jingle]
Deuxième partie[modifier]
Étienne Gonnu : Je vais laisser à nouveau la parole à Laurent Costy, vice-président de l’April et à ses invités qui nous parlent de TiBillet, ce projet passionnant.
Juste avant ça, je rappelle que vous pouvez participer à notre conversation au 09~72~51~55~46 ou sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ». Toutes les références de l’émission, et il y en a eu pas mal, seront rendues disponibles sur la page consacrée, libreavous/239.
Laurent, je te rends la parole.
Laurent Costy : Merci Étienne.
Cet échange est absolument passionnant, on parlait de TiBillet, de la manière dont ça s’est construit, des perspectives que ça dessine. On était un peu sur les questions économiques, du coup peut-être que vous pouvez nous détailler le modèle économique actuel ou en perspective. On a commencé à l’évoquer, mais je veux bien, éventuellement, des précisions pour qu’on comprenne. Jonas, pour commencer.
Jonas : Déjà, comme beaucoup de projets libres, on a un modèle qui est basé sur la vente de services, c’est-à-dire, en gros, que tu ne payes pas le logiciel, le logiciel est libre, il n’y a pas de licence, on n’a pas de rente dessus. Par contre, on te demande de payer notre temps humain si on doit se déplacer ou faire des développements spécialisés. Par exemple, on a des structures qui ne sont pas du tout de l’ESS, coopératives ou culturelles, comme des boîtes de nuit ou des hôtels de luxe, qui veulent utiliser aussi un système de cashless. Il se trouve que, pour elles, le logiciel libre est quand même beaucoup moins cher que les logiciels payants, propriétaires à côté, donc on leur rend ce service en cassant un peu les prix du marché, du coup on peut se rémunérer là-dessus. En dehors de ça, on essaye d’avoir ce modèle contributif pour les lieux avec lesquels on construit l’outil ensemble et, là-dessus, il faut avouer qu’on a eu une belle subvention il n’y a pas si longtemps. Kaya, qu’est-ce que tu en penses ?
Kaya : Oui, les sous c’est bien ! Je suis vraiment beaucoup plus sur le côté organisation et après, derrière, design et programmation.
Jonas : On a eu la subvention France 2030, c’est ça ?
Kaya : Oui, c’est ça.
Laurent Costy : Est-ce qu’on peut expliquer ? Je ne sais pas si vous voulez donner les montants, ce n’est peut-être pas utile.
Jonas : Nous sommes complètement transparents.
Laurent Costy : C’est peut-être important de le dire quand même. Et je veux bien qu’on détaille un peu ce qu’est l’Appel à Communs lancé par France Tiers-Lieux, ça me semble extrêmement intéressant.
Jonas : Complètement. Merci de parler de ce sujet, il est super aussi, c’est chouette.
Nous sommes complètement transparents sur les budgets. Nous avons reçu un financement de 300~000 euros du ministère de la Culture et de la Banque des Territoires, ça fait partie du package qu’ils ont fait dans la Start-up Nation pour France 2030.
Laurent Costy : Donc, vous aviez rempli et déposé un appel à projets ?
Jonas : Qu’on a gagné avec surprise, on n’y croyait pas trop.
Laurent Costy : Du coup, vous aviez passé du temps à renseigner un dossier, j’imagine assez conséquent, pour candidater.
Jonas : Oui. En vrai, c’est le dernier qu’on a touché. On en a touché plusieurs, plus ou moins gros. En fait, à chaque fois, ce sont souvent les collectivités locales qui nous disent « ce que vous faites c’est bien, il y a un appel à projets auquel vous pouvez répondre », souvent on vient nous chercher si on a nos chances et on répond, souvent on n’a pas les sous. Cette fois-ci, on les a eus, on a eu 300~000 euros pour porter un projet sur le long terme, du coup on a vraiment de quoi tout lancer en budget contributif. On fait un petit pied de nez rigolo, on dit « on prend des sous de l’État et on les met en budget contributif, on ne monte pas une start-up », alors que tous les autres lauréats de cet appel à projets sont vraiment très start-ups, je ne juge pas, mais nous sommes dans un modèle un peu différent.
Après oui, il y a eu l’Appel à Communs, une chouette initiative qui a été lancée d’abord sur l’idée qu’il fallait arrêter de faire des appels à projets, que c’était parfois plus intéressant de réfléchir à ce qu’on appelle des communs. En gros, plutôt que ce soit une politique souvent descendante, c’est-à-dire que c’est l’État ou des collectivités qui décident « on va mettre des millions d’euros sur tel ou tel sujet et puis on va demander aux gens de répondre à des appels à projets », l’idée de l’Appel à Communs c’est : on va faire ça dans l’autre sens, on va dire aux gens « montrez ce que vous faites et on voit si c’est basé sur des besoins ; s’il y a une connexion entre ce que vous faites et ce dont les lieux ont besoin, alors on met des sous là-dedans ». C’est un groupement d’intérêt public avec, du coup, France Tiers-Lieux et plusieurs réseaux régionaux. L’idée c’est de dire aux communs « montrez-vous, rendez-vous visibles et puis on va vous mettre des sous si les lieux sont OK pour vous financer. Et, pour un~euro mis par un lieu, nous, l’État, on met un~euro dedans. » C’est une super initiative qui va nous aider à rajouter un peu de sous dans les budgets contributifs pour que chacun et chacune puisse venir faire grandir le projet.
Laurent Costy : Approximativement, combien de projets ont été déposés sur la plateforme ?
Jonas : Une trentaine, je crois. Bénévalibre en fait partie.
Laurent Costy : Oui, je confirme. Du coup c’est pareil, pour TiBillet, je crois que vous avez déposé le projet de connecteur entre PaheKo et TiBillet, c’est ça ?
Jonas : Oui. On tient beaucoup à ça. Quand on a une demande pour un besoin, on regarde d’abord s’il n’y a pas une autre solution open source, libre, qui y répond et on essaie de créer des ponts quand c’est le cas. Par exemple, pour Paheko c’est le cas, on nous fait souvent la demande, des adhésions associatives sont dans les deux systèmes, autant faire en sorte qu’il y ait un pont plutôt que se faire concurrence, ce serait dommage. Tu le sais, on a aussi envie de créer des ponts avec Bénévalibre, on a envie de créer des ponts avec Dokos, avec Dolibarr, avec tous ces systèmes-là pour, en gros, simplifier la gestion des lieux et ne pas rajouter des outils.
Laurent Costy : Au-delà de la concurrence, c’est finalement pour faciliter la gestion pour les associations elles-mêmes qui, sinon, se retrouvent avec des bases de données parallèles à devoir mettre à jour et c’est là que commence le grand cirque.
Kaya : La multiplication des outils !
Laurent Costy : Du coup, quand est-ce que cet Appel à Communs s’arrête ?
Jonas : Eh bien, je crois que c’est aujourd’hui, figure-toi !
Laurent Costy : C’est vraiment une question tout à fait naïve.
Jonas : Je crois que le système un peu de crowdfunding avec lequel ils ont demandé aux lieux d’investir de l’argent et dans lequel ils allaient doubler s’est fini fin janvier, mais il restait encore un peu de sous non dépensés et aujourd’hui ils ont fait une forme de jury pour savoir comment dépenser les sous qui sont restés. Je crois qu’on aura des réponses dans pas très longtemps, j’espère.
Laurent Costy : Très bien. Merci pour cet éclairage et merci pour le lien dans le chat. On mettra le lien vers l’Appel à Communs dans la page de l’émission. Je trouve que cette initiative est extrêmement intéressante justement pour faciliter le développement des communs, c’est donc important de la mentionner.
On va prendre un exemple concret, je vais prêcher pour mon réseau : je suis une association, une MJC qui organise chaque année un festival –~clin d’œil à mes petits camarades~–, comment je fais concrètement si je veux tester TiBillet sur mon prochain festival’ Combien ça me coûterait ? On a déjà un peu répondu, mais je veux bien qu’on soit vraiment très concret là.
Kaya : Sur un truc très concret, la démarche n’est pas compliquée. Si je veux TiBillet sur mon prochain festival, la question, d’abord, ça va être : qu’est-ce que je veux ? Il y a essentiellement deux outils dont on peut se servir, il y a une plateforme en ligne qui va permettre d’accéder à son compte, d’avoir une billetterie, etc., et puis il y a le logiciel de caisse qui peut exister sur smartphone ou sur des machines Sunmi et, dans ce cas-là, on va aussi pouvoir interagir avec les petites cartes TiBillet directement pour faire le cashless. En supposant que dans un festival on veuille le tout, on va commencer par se créer un espace. On peut aller sur TiBillet.org ou alors, si on connaît un collectif, on va sur le site du collectif, il y a un bouton par l’intermédiaire duquel on peut remplir un formulaire pour se créer un espace.
Laurent Costy : C’est immédiat ?
Kaya : Ce n’est pas immédiat, on a quelques étapes intermédiaires pour éviter de se faire spammer, sinon on peut se créer un espace effectivement assez directement.
Aujourd’hui, on ne fait pas payer l’hébergement. Les frais vont être les frais bancaires qui sont liés à la plateforme de paiement puisqu’on va faire appel à Stripe à l’heure actuelle pour les transferts bancaires, évidemment, on ne fait pas ça en interne. Ensuite, il va simplement falloir commander physiquement des cartes, les cartes sont à prix coûtant, à 35~centimes l’unité. On en a déjà un certain stock.
Laurent Costy : Ce sont des cartes programmables ? C’est ça ?
Kaya : Ce sont des cartes programmables, elles n’ont pratiquement rien dessus, c’est-à-dire qu’elles ont juste un ID, un identifiant pour qu’on puisse reconnaître la carte, on ne stocke pas d’argent, d’adhésion ou quoi que ce soit d’autre dessus. Cela permet juste de reconnaître la carte que ce soit sur la caisse enregistreuse ou sur l’espace en ligne.
Laurent Costy : OK. On a parlé de cartes, on a parlé de bracelets, ce sont deux choses différentes.
Kaya : En fait, le bracelet était l’exemple de la façon dont marche le cashless dans d’autres systèmes, nous c’est une carte. Ça peut être un bracelet qui a la puce, ça peut être une carte qui a la puce, nous avons une carte. Je pense que c’est aussi plus pérenne parce qu’un bracelet, au bout d’un moment, ça casse. Le but c’est qu’on puisse garder la carte indéfiniment.
Jonas : Ça fait aussi carte d’adhésion, c’est rigolo. Souvent les personnes, les collectifs aiment bien imprimer des choses sur leurs cartes. C’est là où on fait payer la carte : pour l’impression, l’usine nous demande un minimum de 1~000 exemplaires. Sinon, comme disait Kaya, on a du stock. Si vous avez besoin d’une vingtaine, d’une centaine de cartes, on peut vous les envoyer sans aucun souci.
Laurent Costy : Après, les associations qui organisent des festivals avec 1~000 festivaliers ont des budgets pour ça aussi. Encore une fois, on est dans une logique de communs, on équilibre en fonction des charges de chacun et on essaye de tous contribuer, c’est bien ça l’idée, on est d’accord.
Jonas : On prête aussi du matériel en cas de besoin. Si vous voulez faire un événement, vous avez besoin de beaucoup de matériel comme des terminaux sur un instant précis, on vous le prête et vous nous le renverrez par la poste, il n’y a pas de souci, on fait ça et c’est plutôt chouette. L’idée c’est vraiment de soutenir les initiatives au sein des lieux et les aider à continuer à construire. C’est la fin de beaucoup de subventions assez costaudes dans la culture, mais c’est un autre sujet.
Kaya : Tout ça pour dire que ça donne un onboarding assez simple, on clique sur un bouton.
Laurent Costy : Tu peux expliquer onboarding, s’il te plaît ?
Kaya : C’est le mot embarquement en français.
Laurent Costy : C’est le matériel embarqué.
Kaya : C’est le processus de mise en place, comment je me mets à TiBillet. On remplit un formulaire pour se créer son espace, on effectue une commande de cartes et puis on crée son compte Stripe et c’est parti.
Laurent Costy : Finalement, c’est plutôt relativement simple à mettre en place.
Jonas : Ce qui est compliqué, c’est l’auto-hébergement.
Kaya : C'est moins facile à faire.
Laurent Costy : Voilà ! On allait y venir aussi. Il y a bien une licence. Tout à l’heure, dans le fil de ta discussion, tu as dit qu’il n’y avait pas de licence, en fait vous ne faites pas payer de coût lié à la licence comme on connaît dans les systèmes que Microsoft avait mis en place, vous ne faites pas payer un coût de licence. Il y a bien une licence associée au logiciel puisque c’est un logiciel libre, donc une licence libre, néanmoins cette licence permet justement aussi de prendre le code et de s’auto-héberger. Est-ce que vous pouvez expliquer aussi ?
Jonas : Si tu veux, je peux raconter ça. Je crois que c’est un sujet que vous connaissez bien à l’April. On est sous licence libre, sous licence Affero GPL version 3 pour le détail, ça veut dire que les quatre libertés fondamentales –~l’édition, la modification, l’utilisation et la redistribution~– sont bien possibles, donc on a un logiciel libre, vous faites un peu ce que vous voulez avec, la seule contrainte que formule l’AGPL, c’est que le code modifié doit être redistribué sous cette même licence, comme pour les Creative Commons. Sauf que ça fait quelques mois qu’on a un sujet un peu costaud : comme on est considéré comme une caisse enregistreuse et, à ce titre-là, la loi nous impose maintenant, depuis quelques semaines, de se certifier. Je crois, Étienne, que tu connais bien le sujet.
Laurent Costy : On avait préparé l’émission. Je passe la parole à Étienne pour ce sujet.
Étienne Gonnu : On va essayer d’être synthétique parce que le sujet est complexe. Effectivement, lors du projet de loi de finances pour 2025 –~tous les ans, un projet de loi de finances prévoit le budget de l’année suivante. Celui de 2025 a fait beaucoup parler de lui parce que, en cours de route, il y a eu la censure gouvernementale. Bref ! Pendant ce projet de loi, une réforme fiscale a concerné les logiciels de caisse, plus spécifiquement les fonctionnalités de caisse qui peuvent être dans des logiciels de caisse.
Pour dire très rapidement la situation antérieure : jusqu’à présent, lorsqu’on utilisait un logiciel pour ses fonctions de caisse, on devait pouvoir fournir à l’administration, en cas de contrôle, un document prouvant la conformité du logiciel qu’on utilise par rapport aux exigences réglementaires. Ce document pouvait être de deux formes : une certification, c’est-à-dire que l’éditeur du logiciel –~j’utilise le mot éditeur, il faut le voir dans un sens très large~– a fait certifier son logiciel par un organisme tel Infocert, LNE, l’Afnor, etc., donc une procédure très lourde qui est très peu adaptée aux réalités du développement logiciel, d’ailleurs libre ou pas, je pense, et il y avait la possibilité, pour les éditeurs de logiciels, par exemple une entreprise ou une association qui développe un logiciel, d’attester elle-même de la conformité du logiciel ; elle prend sa responsabilité, elle a confiance dans son code, elle dit « j’atteste pour vous que le logiciel est conforme à la loi ». C’était la situation antérieure qui avait trouvé un bon équilibre. On avait travaillé dessus en 2016 pour s’assurer que cet équilibre fonctionnait avec le logiciel libre, en tout cas cet équilibre avait été trouvé.
Donc fin d’année 2024, pour 2025, la loi a tout simplement supprimé cette possibilité d’attester et elle impose donc la certification des logiciels, donc une procédure extrêmement lourde. La loi a malheureusement été adoptée. On a eu une réunion de membres de l’April avec des personnes on va dire du métier du logiciel de caisse, on a parlé de Dolibarr par exemple, pour essayer de voir comment l’administration allait pouvoir accompagner cette situation et qu’on s’assure, dans la mise en œuvre, que ce soit aussi peu négatif que possible, je ne sais pas comment le dire autrement, de manière aussi-~c’est un peu un objectif~-, s’il faut faire certifier, de permettre à des communautés de faire certifier un logiciel et qui évite à chaque utilisateur ou à chaque personne qui va distribuer le logiciel de devoir elle-même, indépendamment, et chacun de son côté de faire certifier, ce qui permet quand même d’aider à trouver des solutions. On va garder aussi, dans un coin de nos têtes, que tout ce qu’une loi a voté une loi peut le défaire. Chaque année, il y a un projet de loi de finances, chaque année on aura peut-être une opportunité si ce n’est de revenir en arrière, au moins de trouver des aménagements pour mieux adapter aux logiciels libres. C’est vrai que c’est une situation un peu compliquée.
Laurent Costy : Si effectivement la certification représente 50 % du budget du développement d’un logiciel, c’est un argument quand même assez lourd, à un moment donné, pour expliquer qu’il faudrait rechanger la loi. Le problème c’est que ça va tuer des petits projets, plein de petits projets.
Jonas : Complètement !
Kaya : S’ils nous demandent la certification, ils nous la payent !
Laurent Costy : Je crois que ce n’est pas le principe, hélas, malheureusement !
Merci Étienne pour ce rappel.
Étienne Gonnu : Un point pour rassurer. Pour les personnes qui utilisent les logiciels de caisse et pour les personnes qui en distribuent, ce changement de paradigme, ce changement de réforme n’est pas applicable tout de suite aujourd’hui. On attend une communication, suite à ces échanges, qui devrait arriver très vite. Il va y avoir un délai d’au moins un an tant pour permettre autant aux personnes qui font ces logiciel que pour les personnes qui les utilisent d’adapter leur modèle et leur fonctionnement à cette nouvelle réalité réglementaire.
Laurent Costy : On peut penser que l’April est un peu responsable de ce décalage de temps.
Étienne Gonnu : Je pense que l’administration est consciente. Lors de ces rencontres, on nous a dit que ce n’est pas à sa demande et que l’attestation fonctionnait très bien. D’ailleurs, je trouverais intéressant que quelqu’un réussisse à nous expliquer en quoi cette réforme a du sens dans une logique de lutte contre la fraude à la TVA. C’est un autre sujet ! Je pense que c’est juste du bon sens, on ne peut pas faire de telles réformes sans délai de mise en œuvre. C’est quelque chose d’assez classique, quand il y a une réforme, d’avoir un délai pour permettre de se mettre en conformité.
Laurent Costy : Merci Étienne.
On va reprendre, il ne nous reste même pas dix~minutes. On va faire une toute petite parenthèse technique. Déjà, on va vous demander d’écarter les enfants du poste et les personnes trop sensibles au vocabulaire technique ! Pourquoi fait-on cette parenthèse ? Parfois, ça a l’intérêt de faire se rapprocher des projets qui ont des technos proches et qui se disent « oui, finalement ça pourrait être simple de collaborer ». C’est pour cela qu’on va s’autoriser des phrases. On ne va peut-être pas toutes les expliquer. Je vais lire la première phrase, après je laisserai Jonas : « Les cartes, c’est du NFC tout bête qui communiquent en UUID, rien n’est stocké offline », voilà pour ceux qui comprennent.
Étienne Gonnu : Reste poli, s’il te plaît !
Laurent Costy : Je laisse Jonas compléter pour les langages qui sont utilisés.
Jonas : Merci. Ce qu’on aime faire aussi, vous l’avez compris, c’est encourager les contributions, donc venez. On est sur un framework qui est très simple à utiliser, qui s’appelle Django, c’est du Python, c’est codé volontairement simplement avec beaucoup de commentaires, dans les règles de l’art, on espère. En front, c’est Kaya qui s’occupe beaucoup de ça, c’est sur du Bootstrap et du htmx, ceux qui ne connaissent pas ou ceux qui ont envie de découvrir, venez, on vous montre comment ça marche, c’est génial et c’est super simple. Après, le reste, c’est du Stack Linux basique, donc n’hésitez pas, venez. Les contributions ne sont pas uniquement de l’ordre du code, vous pouvez aussi venir pour nous aider à faire de la traduction, de la documentation et/ou de l’animation. Kaya l’a dit aussi tout à l’heure, on l’a dit aussi tout à l’heure, il y a des budgets contributifs pour l’animation, ça fait partie de la contribution, de la création d’un logiciel, d’un commun numérique, donc venez aussi, même si vous n’êtes pas développeur ou développeuse.
Laurent Costy : Parfait. Il nous reste six~minutes pour les perspectives et tous les points complémentaires que vous auriez envie de partager. Donc on répartit, trois~minutes chacun. Jonas et puis on laissera le mot de la fin à Kaya.
Jonas : OK. Très bien. Je voulais faire un petit mot rapide pour dire qu’on essaye de prendre très au sérieux l’histoire des communs numériques et des communs général et c’est aussi grâce à vous, l’April, que j’ai appris énormément de choses, notamment grâce aux conférences que vous relayez. Merci. Je veux aussi applaudir toute l’équipe Transcriptions qui fait un boulot fabuleux, je préfère souvent lire qu’écouter. Merci beaucoup pour tout ce que vous avez fait, notamment la dernière conférence qu’on a eue sur les communs avec Valérie Peugeot .
Rappeler que c’est un triptyque : un commun c’est une ressource, c’est une communauté et c’est une gouvernance. Nous sommes très attachés à ce triptyque-là, nous sommes de ceux qui pensons vraiment qu’un logiciel libre est un outil, mais ce n’est peut-être pas encore suffisant pour faire un vrai commun numérique, on le voit parfois, par exemple avec Firefox et Mozilla. Firefox est un logiciel libre fabuleux, mais on grince des dents à chaque fois que la Fondation Mozilla change quelque chose dans les CGU, CGV. C’est probablement parce qu’il y a un manque de gouvernance et, pour nous, dans le cadre de TiBillet, la coopérative, c’est l’occasion de dire à tout le monde « venez, on vous invite, vous êtes utilisateurice de l’outil TiBillet, venez contribuer, on va faire de la gouvernance ensemble pour que ce projet reste un commun ». Et c’est ça, à mon sens, la différence entre un commun numérique et un logiciel libre : dans un commun numérique, on pense à la gouvernance et à la façon dont le logiciel restera libre tout le temps, malgré un changement d’équipe ou un changement de posture dans les conditions générales de vente.
C’est un petit rappel que j’ai envie de dire parce que ça me tient beaucoup à cœur. Du coup je laisse la parole, la fin à Kaya.
Laurent Costy : Merci.
Kaya : Quel honneur ! Je vais juste faire un petit point, une petite ouverture sur les perspectives, ce qui va arriver, le futur immédiat de TiBillet.
On vient de sortir une version stable avec des fonctionnalités abouties, finies, quelque chose d’un peu solide. Concrètement, dans les semaines qui viennent, même dans les mois qui viennent sans doute, on a du boulot à faire sur la stabilisation, le debug, toutes ces choses-là. On va aussi en profiter pour bien redéfinir nos modèles, nos bases, histoire de pouvoir grandir à partir de ça. On a de plus en plus d’associations, de tiers-lieux, etc., qui veulent se servir de notre logiciel, du coup il y faut qu’on ait les épaules pour assurer ça.
Ensuite, on a de chouettes chantiers qui vont venir, des chantiers qui vont permettre d’aller faire de la réservation d’espaces dans les lieux, qui vont permettre sans doute d’améliorer notre gestion des monnaies locales, des expérimentations avec les gens qui font les cartes de sécurité sociale alimentaire.
Jonas : C’est génial. C’est un beau projet.
Kaya : On a une liste de choses à développer qui est très longue, on va y aller tranquillement, sans se presser et en essayant de faire en sorte que ce soit aussi stable et prévisible que possible pour les gens qui commencent à arriver en masse sur le logiciel. C’est un peu le revers de la médaille d’avoir quelque chose qui est simple à mettre en œuvre.
Laurent Costy : Vous avez une visibilité sur le nombre d’utilisateurs, de la progression ? Je sais qu’on n’est pas forcément friand de toujours compter, de voir du jour au lendemain combien il y en a, mais c’est vrai que, parfois, c’est intéressant.
Kaya : Des stats !
Jonas : C’est allé très vite. À La Réunion, nous étions un groupe de cinq/six lieux qui se connaissaient, mais dès qu’on est arrivé en métropole, on a un peu explosé. Aujourd’hui, on a une trentaine de lieux en à peine deux semaines. La nouvelle version est sortie il y a 15~jours et une trentaine de lieux sont intéressés. On pourrait dire que 30 lieux ce n’est pas si compliqué ; ce qui est compliqué, c’est qu’on les accompagne tous, du coup ça demande du temps humain assez costaud, un peu balèze. A près, en termes d’utilisateurices, en gros on tourne entre 10~000 et 15~000 cartes à peu près en circulation, donc ça commence à faire un petit paquet de sous qui transitent et beaucoup d’adhésions qui, du coup, ne passent plus par HellAsso, mais qui passent maintenant par le logiciel libre, c’est cool.
Laurent Costy : Tu n’aimes pas HelloAsso.
Jonas : Si ! Je n’aime pas le bouton qui te force à donner, c’est tout, je n’aime pas les dark patterns. Sinon HellAsso est un très bon produit.
Laurent Costy : Les dark patterns ces fameuses cases là qui ne sont pas forcément visibles ou très inaccessibles et qui empêchent effectivement d’avoir une décision saine quand on souhaite donner sincèrement, par exemple. D’accord très bien.
Il va peut-être falloir déjà commencer à presque dire aux lieux que vous accompagnez, que vous formez, qu’il faut qu’ils aient un référent qui pourra après, former d’autres, parce que, sinon, vous n’allez pas y arriver avec cette croissance-là.
Jonas : Merci de le dire. On donne des sous dans le budget animation pour créer ce qu’on appelle des lieux apprenants, donc des lieux qui savent, après, faire le relais. C’est important. Le message aux lieux c’est que TiBillet peut vous rapporter un peu de sous si vous voulez. Si vous devenez un lieu apprenant, vous pouvez être le lieu dans lequel vous montrez comment ça marche.
Laurent Costy : Tu es en train dire qu’utiliser le logiciel ça rapporte des sous ! On est dans le monde à l’envers !
Kaya : C’est plus compliqué que ça. Il faut s’impliquer.
Laurent Costy : Oui. Il faut s’impliquer.
Jonas : On a de la chance, pourvu que ça dure !
Laurent Costy : Je vais en rester là. Je vais vous remercier beaucoup de ce temps-là, de ces échanges extrêmement riches que je trouve très vivifiants, très intéressants pour le monde associatif entre autres et je vais passer la parole à Étienne.
Merci à tous les deux.
Kaya : Merci.
Jonas : Merci beaucoup. Merci l’April.
Étienne Gonnu : Merci Laurent. Je vais te rejoindre dans tes remerciements à Jonas et Kaya. C’était vraiment passionnant et je trouve que c’est un projet qui donne envie d’être suivi. Longue vie à TiBillet. Bravo pour ce que vous faites !
Jonas : Merci.
Étienne Gonnu : Nous allons à présent faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Étienne Gonnu : Après la pause musicale, nous entendrons une nouvelle chronique « Les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture ».
Avant cela, nous allons écouter Bug par Les bretons de l’est. On se retrouve juste après. belle journée à l'écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Bug par Les bretons de l’est.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Bug par Les bretons de l’est, disponible sous licence Art Libre.
[Jingle]
Étienne Gonnu : Je suis Étienne Gonnu de l’April. Nous allons passer à notre dernier sujet.
[Virgule musicale]
Chronique « Les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture » de Marie-Odile Morandi, lue par Laure-Élise Deniel, intitulée « De bibliothécaire à médiatrice numérique et formatrice, le parcours de Julie Brillet »[modifier]
Étienne Gonnu : Nous allons poursuivre avec une nouvelle chronique « Les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture ». Une chronique proposée par Marie-Odile Morandi et lue par laure-Élise Déniel.
Le sujet du jour : « De bibliothécaire à médiatrice numérique et formatrice, le parcours de Julie Brillet »
[Virgule sonore]
Marie-Odile Morandi, voix de Laure-Élise Déniel : De bibliothécaire à médiatrice numérique et formatrice, le parcours de Julie Brillet
Le sujet principal de l’émission Libre à vous ! du mardi 8 octobre 2024 sur radio Cause Commune était intitulé « Médiation numérique et libertés informatiques ». Loïc Gervais, chargé de projet inclusion numérique au département de la Haute-Savoie, et Julie Brillet, étaient les invités de Frédéric Couchet qui menait l’émission.
Bibliothécaire, Julie a travaillé en bibliothèque de 2003 à 2019. Elle est devenue médiatrice numérique puis formatrice dans une coopérative, l’Établi numérique ; avec son collègue Romain, elle indique faire de l’éducation populaire aux enjeux du numérique. Elle intervient notamment beaucoup sur les questions numériques, numérique et bibliothèque, éducation aux médias et à l’information.
Deux autres interventions de Julie ont aussi été transcrites : un entretien avec Chloé Laillic, elle aussi bibliothécaire, et ses échanges avec les animateurs du podcast Deux connards dans un bibliobus. Vous retrouverez les références sur la page de l’émission d’aujourd’hui.
À la base, le métier de bibliothécaire consiste à répondre aux demandes d’informations, à fournir des livres, des références, à aider le public à la recherche d’un document précis, le lui faire découvrir, voire élargir son champ de recherche. Être bibliothécaire engage à faire des choix d’ouvrages, de collections, à sélectionner des contenus culturels, informatifs, à les entretenir pour permettre à un large public de pouvoir les consulter et les appréhender. Il y a donc un aspect important de formation et d’animation culturelle dans ce métier.
Au fur et à mesure des années, les collections se sont numérisées et les contenus sont devenus disponibles en ligne. La bibliothèque, ce n’était plus juste des livres et du papier. Les bibliothécaires ont transposé ce qu’ils savaient faire, leur mission historique, sur ce nouvel outil.
Dans les années 90, suite à l’émergence des premiers espaces multimédias avec des animateurs souvent issus de l’éducation populaire, les publics qui fréquentaient les bibliothèques étaient assez autonomes et venaient avec des objectifs précis : faire de la création numérique, monter des vidéos, etc. ; il s’agissait surtout du côté manipulation des outils, de la recherche d’un savoir-faire précis. Certes, la dimension émancipatrice était toujours présente : permettre une meilleure compréhension du fonctionnement d’Internet et des enjeux du numérique, mieux appréhender le monde qui nous entoure et devenir des citoyens et citoyennes éclairées.
Sauf que petit à petit, après 2010, suite à la dématérialisation et à la numérisation forcée des démarches administratives, les bibliothécaires ont commencé à voir arriver des publics différents. De plus en plus de personnes en grande difficulté venaient parce qu’elles avaient besoin d’aide pour accéder à leurs droits – s’inscrire à Pôle emploi, faire une déclaration de ressources à la Caf –, se trouvant parfois dans des situations de détresse très impressionnantes. Que faire, quand on a face à soi une personne qui a besoin d’aide ? La bibliothécaire ayant un profil classique, une forte expertise de l’accueil du public, des collections, de l’animation, est-elle la personne la mieux à même pour répondre à cette détresse ? Sachant que dans bon nombre de lieux ruraux, ou de quartiers, la bibliothèque était le seul endroit où il était possible d’avoir une connexion à Internet et de se faire aider, les bibliothécaires ont fait face à la violence sociale, sans préparation émotionnelle et sur des champs de compétences très différents.
Venant d’une famille plutôt technophile, étant à l’aise avec le numérique, Julie aidait les gens : « J’ai fait de la médiation numérique sans savoir que cela portait un nom ; je faisais de l’accompagnement », dit-elle. Dans son métier de formatrice, elle partage, avec la plupart des professionnels de la médiation numérique qu’elle rencontre, le même triste constat : la sensation d’être une rustine face à la faillite de l’État social, ce qui demande énormément de temps aux professionnels ou aux bénévoles qui font aussi de l’accompagnement. Il reste alors moins de temps pour l’aspect émancipateur, pour la sensibilisation aux enjeux, pour des espaces de débat.
Les médiateurs et médiatrices du numérique touchent des publics très variés, aussi bien des personnes jeunes, des enfants, des adultes, des seniors. C’est important que chacun puisse avoir un avis éclairé sur le numérique de façon générale, même et surtout celles et ceux qu’on appelle les digital natives, leur pratique du numérique dépendant de leur milieu social, les filles étant, en plus, victimes de l’inégalité de genre souvent ancrée dans le cadre familial.
En 2017, la bibliothèque dans laquelle Julie travaille accueille un Café Vie privée, ces rencontres instaurées suite aux révélations d’Edward Snowden sur la surveillance de masse pratiquée par les États-Unis sur le monde entier et qui ont été un point de bascule. L’objectif d’un Café Vie privée est d’apprendre pourquoi et comment protéger sa vie privée en ligne, ses données personnelles ; on se sensibilise aux inconvénients des messageries commerciales et on s’initie au chiffrement de ses mails.
C’est à ce moment-là que Julie a pris conscience de l’influence exercée par les GAFAM sur notre façon de s’informer avec les recommandations algorithmiques, la collecte massive de données, mais aussi sur notre façon de voir le monde, point de départ pour envisager certaines actions plus importantes. Sauf que, dans une bibliothèque, on n’est pas seul : il y a des services informatiques, une hiérarchie, un mandat du conseil municipal à respecter et des élus plus ou moins convaincus qui défendent, ou non, une vision émancipatrice du numérique. Julie s’est sentie frustrée de ne pouvoir aller plus loin que quelques actions culturelles, quelques discussions avec des collègues. Toutes ces raisons font que Julie n’est plus bibliothécaire, elle est devenue formatrice autour de la médiation numérique et de l’éducation à l’information et aux médias.
Cependant, cela l’avait amenée à réfléchir sur la façon dont sont aménagées physiquement les bibliothèques, souvent des ordinateurs en mode panoptique et on peut voir, en un coup d’œil, ce que font les usagers. Quand on se sait surveillé, on va s’autocensurer, on va s’empêcher de faire des recherches importantes pour soi, on perd son esprit critique. Quand beaucoup de personnes s’empêchent de faire des recherches, de s’informer, on perd collectivement, dit-elle, et c’est grave. Par contre, une bibliothèque dans laquelle on dit « vous vous informez comme vous voulez, on ne vous juge pas », permettra de mieux s’informer et de maintenir une démocratie, un semblant de démocratie.
Julie nous propose aussi de réfléchir à la façon dont on aborde l’éducation aux médias et à l’information. Il ne suffit plus de se poser les questions classiques – source, date de publication. La médiation numérique, c’est permettre d’accéder à des discours différents, s’informer de façon différente, mais, se demande-t-elle « un outil numérique peut-il être émancipateur ? »
On parle énormément d’IA, on trouve maintes propositions d’ateliers créatifs utilisant de l’IA. Cette IA est-elle si révolutionnaire ? Est-ce un progrès vers lequel se diriger sans se poser la question de son impact environnemental, de son impact en termes de droits humains puisqu’on connaît désormais l’existence des travailleurs du clic et les conditions révoltantes qui leur sont faites ? Encore des questions qu’elle nous invite à nous poser.
Leur réflexion s’étant déplacée sur les questions de capitalisme de surveillance, de fuite de données personnelles, du rôle des GAFAM, les médiateurs et médiatrices numériques historiques, celles et ceux qui viennent plutôt du milieu de l’éducation populaire, partagent une vision du Web en cohérence avec la vision émancipatrice de leur mission : le Web va permettre un accès partagé à la culture, aux ressources suivant un principe non marchand. Pour des raisons de liberté informatique, ils sont promoteurs et promotrices du logiciel libre et des communs numériques. Le lien entre les deux est clair puisqu’on voit souvent le logiciel libre comme un commun numérique. Par exemple, Chloé Laillic avait fait installer sur les ordinateurs de la bibliothèque dans laquelle elle travaillait le navigateur libre Tor Browser, qui permet de naviguer anonymement sur le réseau Tor, avec le souci de protéger les étudiants qui faisaient des recherches en utilisant ces machines.
On a ainsi une sorte de continuité de la lutte contre la surveillance en bibliothèque : ne pas surveiller ce que fait l’usager, ne pas juger ce que fait l’usager, devient ne pas surveiller et ne pas juger ce qu’une personne fait sur son ordinateur. Dans les valeurs de ce qu’est être un ou une bibliothécaire, ces enjeux de surveillance de masse, de protection des données personnelles, de libertés numériques sont énormément présents et actuels.
Julie mentionne les réflexions autour des outils numériques et les actions construites par l’association Framasoft sur les questions des communs numériques et de l’émancipation du secteur associatif : le projet Framaspace pour les petits collectifs, qui offre des espaces en ligne pour un travail collaboratif avec partage de fichiers, d’agendas, et le projet Émancip’Asso. Une association qui défend l’émancipation des citoyens et des citoyennes, peut-elle utiliser des outils capitalistes comme les outils des GAFAM qui, en plus, collectent massivement des données ? Il faut aider ces associations à changer et, pourquoi pas propose-t-elle, créer un rapprochement entre le secteur associatif et les bibliothèques dans lesquelles on a réfléchi depuis longtemps aux communs numériques.
Dans son rôle de formatrice, elle propose des ateliers, notamment à des structures associatives, pour les aider à leur dégafamisation. Les contenus de ces ateliers et les ressources utilisées sont partagées sous licence libre, l’objectif étant la montée en compétences de toutes et tous et l’émancipation collective. Il est important que chacun puisse avoir un avis éclairé sur le numérique, sur la compréhension de ses enjeux, y compris et surtout par les personnes qui ne sont pas à l’aise sur le numérique.
Pour Julie se pose ainsi l’importance d’une repolitisation du numérique, même si elle a le sentiment d’une prise de conscience un peu plus partagée de son impact, que ce soit environnemental ou en termes de ce que produit la collecte massive de données suivie de leurs fuites à répétition.
Julie nous incite à nous poser des questions essentielles : quel numérique pour quels usages ? De quel numérique d’intérêt général veut-on, de façon générale, dans notre société ? Et même, peut-on se passer du numérique ?
Suite au développement des nouvelles technologies, les bibliothécaires ont fait face à des évolutions notables de leur profession. Chaque bibliothèque est une porte qui permet de parcourir des chemins moins empruntés pour permettre une émancipation par le numérique. Comme nous le conseille Julie, gardons espoir, sinon, dit-elle, j’aurais arrêté le numérique depuis longtemps.
[Virgule sonore]
Étienne Gonnu : Nous sommes de retour en direct dans Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques.
Nous venons d’écouter la chronique « Les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture » proposée par Marie-Odile Morandi et lue par laure-Élise Déniel.
Nous approchons de la fin de l’émission. Nous allons terminer par quelques annonces
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Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre[modifier]
Étienne Gonnu : Dans les annonces.
Samedi 15 mars a eu lieu l’assemblée générale de l’April. À cette occasion, l’association a mis à jour ses statuts, notamment pour les mettre en cohérence avec le travail engagé depuis plusieurs années concernant l’inclusivité. Comme l’indique notre présidente Bookynette que je cite : « L’April mène de nombreuses actions de promotion et de défense du logiciel libre. Il est important, en parallèle, de mener des réflexions et actions pour favoriser la participation de toutes et tous à nos projets. La publication de ces nouveaux statuts inclusifs est une étape de plus sur le chemin de l’inclusion. » Plus d’informations sur ces nouveaux statuts ainsi que sur le rapport d’activité 2024 de l’April, également adopté lors de l’AG, sont à retrouver sur le site de l’April et seront en référence sur la page de l’émission.
Le Collectif CHATONS [Collectif des Hébergeurs Alternatifs, Transparents, Ouverts, Neutres et Solidaires] publie une tribune contre la proposition de loi sur le narcotrafic, je vous en lis les premières lignes : « Nous prenons aujourd’hui la parole pour faire part de notre inquiétude concernant la pérennité du droit à la vie privée et à la confidentialité des communications. Le collectif, en accord avec le positionnement de La Quadrature du Net, exprime son opposition aux mesures de la proposition de loi narcotrafic élargissant les pouvoirs de surveillance. Nous alertons en particulier sur l’élargissement de l’usage de « boîtes noires », analysant en direct tous les échanges sur Internet. Nous appelons à la vigilance concernant l’obligation pour les fournisseurs de services de messagerie d’affaiblir les protocoles de chiffrement via l’introduction d’une porte dérobée, backdoor en anglais, ou d’un destinataire fantôme. Nous espérons que cette dernière mesure, votée par le Sénat puis rejetée par l’Assemblée nationale, ne sera pas réintroduite. »
France Numérique Libre est un collectif informel de responsables informatiques de collectivités territoriales autour des logiciels libres. Il sera officiellement inauguré le mardi 1er avril 2025. Les collectivités ont un rôle central à jouer dans la diffusion des usages du logiciel libre dans les services publics. En favorisant la mutualisation des savoir-faire et des pratiques, ce collectif, France Numérique Libre, s’inscrit pleinement dans cette ambition. Il s’agit en cela d’une très belle initiative. L’April ne peut que chaudement encourager les responsables informatiques de collectivités territoriales à le rejoindre. L’inscription, gratuite, est déjà possible et se fait sur demande.
Libre en Fête bat son plein. Initiée et coordonnée par l’April, l’initiative Libre en Fête est revenue pour sa 24e édition. Pour accompagner l’arrivée du printemps, des événements de découverte du logiciel libre de la culture libre à destination du grand public sont proposés partout en France du samedi 8 mars au dimanche 6 avril 2025. Plus de 133 événements sont référencés et à découvrir sur l’Agenda du Libre.
Le festival Pas Sage En Seine aura lieu du lieu du 27 au 29 juin 2025, à Choisy-le-Roi, avec l’ambition d’échanger, de partager, pour une société plus libre. Un très beau rendez-vous annuel qui, comme la plupart des événements libristes, n’existe que grâce aux contributions. Vous voulez partager votre regard sur ce qu’il faut pour une société plus libre ? Vous avez jusqu’au 30 mars pour proposer un atelier ou une conférence.
Comme d’habitude, je vous invite à consulter le site de l’Agenda du Libre, agendadulibre.org, pour trouver des événements en lien avec les logiciels libres ou la culture libre près de chez vous, ainsi que les associations qui les font vivre.
Notre émission se termine.
Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission : Gee, Laurent Costy, Jonas, Kaya, Marie-Odile Morandi, Laure-Élise Déniel.
Aux manettes de la régie aujourd’hui Frédéric Couchet.
Merci également aux personnes qui s’occupent de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang 1, Julien Osman, tous et toutes bénévoles à l’April, et Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio.
Merci aussi aux personnes qui découpent les podcasts complets des émissions en podcasts individuels par sujet : Quentin Gibeaux, Théocrite, Tunui Franken, bénévoles à l’April, et mon collègue Frédéric Couchet.
Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission.
Si vous avez aimé cette émission n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous et à faire connaître la radio Cause Commune, la voix des possibles.
La prochaine émission aura lieu en direct mardi 25 mars 2025 à 15~heures~30. Nous vous donnons rendez-vous Au café libre pour discuter de l’actualité autour du logiciel libre et des libertés informatiques.
Nous vous souhaitons de passer une très belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 25 mars et d’ici là, portez-vous bien.
Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.