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'''Christophe Batier, interviewer :''' Nous sommes à Ludovia, 11ème édition, 10ème anniversaire, en 2014. J'avais des questions à te poser.
 
'''Christophe Batier, interviewer :''' Nous sommes à Ludovia, 11ème édition, 10ème anniversaire, en 2014. J'avais des questions à te poser.

Version du 30 novembre 2014 à 17:31


Titre : Comment Wikipédia peut-il être un modèle éducatif ?

Intervenants : Dominique Cardon, sociologue et enseignant à l’Université de Marne-la-Vallée - Christophe Batier, interviewer 

Lieu : Ludovia, plateau TV de Ludomag

Date : Août 2014

Durée : 9 min 03

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00' transcrit MO relecture en cours par Ju

Christophe Batier, interviewer : Nous sommes à Ludovia, 11ème édition, 10ème anniversaire, en 2014. J'avais des questions à te poser.

Dominique Cardon : Eh bien, voilà.

C. B. : Je voulais te poser des questions et donc je voulais te poser la question suivante : « Pourquoi Wikipédia peut-il être un modèle éducatif ? Vaste question !

D. C. : D'un certaine manière l'encyclopédie a été conçue dans un esprit d’apprentissage collectif.

C. B. : Transmission des savoirs.

D. C. : La transmission est liée à l'univers de la connaissance, d'une certaine manière, et donc aussi dans le monde éducatif. Moi ce qui me passionne et me fascine un peu, je dois dire, dans Wikipédia, c'est que le principe de la communauté a radicalisé une idée, qui est assez centrale dans les débats éducatifs aujourd'hui, elle a amené une version plus radicale, c'est peut-être aussi problématique pour le milieu éducatif, qui est de séparer le contenu du savoir, de la procédure par laquelle on va chercher, maîtriser, publier, partager, synthétiser le savoir. Donc il y a cette séparation entre la substance et la procédure qui est absolument centrale dans l’esprit de la communauté. L'idée de Wikipédia c'est n'importe qui peut participer. On ne lui demande aucun titre, de diplôme, de qualité, de statut professionnel. N'importe qui est, potentiellement, contributeur dans Wikipédia. Donc il n'y a pas une définition par le statut des individus qui sont en scène dans cette affaire-là.

En revanche, ce n'est pas parce que n'importe qui peut contribuer qu'on peut faire n'importe quoi. On ne peut pas faire n’importe quoi parce que tous les wikipédistes ont mis en place un système de règles, qu'ils s'obligent mutuellement à respecter, et quand on ne les respecte pas on a des injonctions pour le faire, qui sont des procédures par lesquelles chacun va révéler, à soi-même et aux autres, les capacités qu'il a, son intelligence on pourrait dire, pour mettre en œuvre collectivement quelque chose. Or ça, il me semble que ça désigne, très explicitement, quelles sont les orientations actuelles du monde éducatif et enseignant avec la multiplication de l'accès à la connaissance dans le réseau. Désormais ce qui devient central c'est précisément de mettre en forme les savoirs, comme le fait Wikipédia.

Le grand exemple, évidemment est très connu dans la communauté éducative mai qui est je crois, qui est à la fois très fort, c'est l'ouvrage de Jacques Rancière sur Le maître ignorant. Le maître est ignorant. Ce n'est pas un cerveau qui déverse dans le cerveau de ses élèves un ensemble de connaissances qui seraient stockées comme dans des petits tiroirs. Le maître doit, simplement mais essentiellement, et c'est une tâche incroyablement difficile, ardue, noble et complexe, il doit vérifier que chacun de ses apprenants, de ses élèves, fasse sur lui-même l'effort nécessaire pour mettre en œuvre les qualités, les compétences dont tout le monde dispose, dans une égalité des intelligences. Et c'est ce travail de mise en relation, de vérification, d'assemblage, de mise en cohérence des différents savoirs disciplinaires différents qui devient le travail du maître ignorant. Et ça, Wikipédia c'est ça tous les jours.

C. B. : Le modèle de Wikipédia pour l’enseignant, c'est ça ? Ce processus-là ?

D. C. : Moi je crois qu'on voit beaucoup ça aussi aujourd'hui. On a des nouvelles ressources qui sont présentes. Elles sont faites par des amateurs, elles sont faites par des profs de nouvelles, elles ont faites par des profs, des éditeurs, elles sont faites par, etc. On a accès à toute une série de ressources. La classe c'est l'endroit où le prof invente des règles du jeu, et des règles du jeu exigeantes, on y reviendra peut-être, mais ce ne sont pas les règles du jeu de on s'amuse, on fait n'importe quoi, des règles du jeu dans lesquelles, à partir de ces toutes ces ressources documentaires, on va arriver à produire quelque chose de collectif, qui va nous rendre plus intelligent ou qui va nous aider à révéler aux autres des capacités et des ressources, des skill, des habiletés, que chacun possède.

C. B. : Et une fois qu'on a produit tous ces contenus, qu'on a finalisé, enfin il y a déjà énormément de choses, mais là Wikipédia arrive à ce niveau-là, une fois qu'on a produit tous ces contenus, quelle peut être l’évolution ?

D. C. : Wikipédia est Wikipédia. Je prends Wikipédia comme un exemple de principe. On peut, sur plein d’autres plates-formes produire de la connaissance, du savoir, le faire de façon collaborative, c'est quand même vraiment l'essence de Wikipédia. Et aussi je connais des enseignants qui utilisent Wikipédia dans la classe, c'est-à-dire qu'ils font des exercices avec leurs élèves qui seraient destinés à produire un certain nombre d'articles sur Wikipédia qui n’auraient pas été faits. Alors c'est vrai qu'une partie des articles centraux ont été réalisés, mais il y a plein de choses à faire. Il y a une classe à Bordeaux, qui a eu comme projet scolaire de l'année, de faire les articles sur l'ensemble des théâtres de Bordeaux. Il y a plein de petits théâtres à Bordeaux qui n'avaient pas leur fiche sur Wikipédia. Ils ont fait une enquête historique, ils ont été prendre des photos, ils ont été regarder la programmation des théâtres, les différentes mises en scène qui avaient été faites, et ils ont fait les fiches de ces théâtres, ça n'a avait pas été fait, et ça a été produit par un enseignant qui a établi des règles, des manières d’enquêter et de produire le savoir pour les étudiants de sa classe.

C. B. : Et des détournements ? On a eu un exemple, où le prof fait des fausses fiches pour piéger ses étudiants.

D. C. : Ah, oui. Alors c'est un grand moment. Il y a toujours eu, je ne sais pas comment l'interpréter, on pourrait en faire plein d'interprétations, mais Wikipédia a toujours eu ses détracteurs, même si aujourd'hui la critique de Wikipédia est retombée. En 2004, 2005, il y avait cette idée qui est que les sachants se sentaient dépossédés de leur autorité par l’arrivée, tout d'un coup, de ces hordes profanes d'amateurs qui, n'y connaissant rien, n'étant pas diplômés, étaient en train d'écrire l'encyclopédie. Leur jeu a toujours été de truquer l’encyclopédie pour montrer qu'elle produisait, de temps en temps, et c'est vrai qu'elle peut produire de temps en temps, des savoirs erronés, notamment factuellement erronés, parce que c'est la chose la plus difficile à vérifier en fait dans Wikipédia. Quelqu’un qui délire, quelqu'un qui ne source pas, etc, va immédiatement se faire insulter aujourd'hui, il y a un côté un peu bureaucratique de l'encyclopédie, il va se faire rappeler à l’ordre par la communauté. Mais si on écrit que untel est né le 20 janvier au lieu du 19 janvier, là il n'y a personne pour vérifier, personne pour regarder et on fait passer des erreurs. Donc il y avait un enseignant, effectivement, qui avait, comme ça, essayé de créer la fiche d'un faux auteur, je crois qu'il avait créée et mise en forme. C'est bien, ça contribue au débat critique sur la vigilance, toujours nécessaire, à l'égard de tout type de savoir, qu'il soit dans les livres, qu'il soit sur Internet, où n'importe où, il faut de toutes façons, vérifier, contrôler, multiplier les sources, les remettre en perspective. Donc ça organise le débat critique.

C. B. : Pour conclure un petit peu, l'idée dans l'utilisation, pour bien éduquer à l'utilisation de Wikipédia, c'est aussi de rendre acteurs les gens, parce que ça fait partie des élèves, vous êtes enseignant, pour leur faire comprendre le processus de création des contenus et d'utilisation des contenus.

D. C. : Oui. C'est vraiment ce qui est devenu nouveau dans le numérique, ce qui est, effectivement, très central dans le tissu éducatif. Ce n'est évidemment pas nouveau, moi je pense que c'est une nécessité contemporaine de plus en plus forte, c'est-à-dire de mettre l'apprenant dans une situation de création. François Taddei insiste sur l'idée, il est chercheur, que, effectivement, une grande partie du travail d’apprentissage c'est un travail d’exploration des connaissances, de recherche et de travail de l’imagination. Or, c'est une critique qu'il faut faire doucement mais qu'il faut faire avec force au système éducatif, c'est qu'on voit bien que passé le cours élémentaire, le primaire, on va arrêter de faire de faire produire des œuvres d'imagination aux élèves. La fameuse rédaction d'imagination va disparaître au profit du commentaire, du commentaire de texte, et d'activités qui sont très normées par le système éducatif. Or on sent bien, c'est une chose qui traverse nos sociétés, que dans la fabrication des individus aujourd'hui, la question de la singularisation expressive devient ??? ; il faut produire. Donc sur Wikipédia, on a cette dimension qui est très présente, c'est qu'on peut lire, apprendre, emmagasiner des connaissances, mais on peut aussi faire, fabriquer, produire de la connaissance à partager à notre voisin.

C. B. : Merci Dominique d'avoir répondu à ma question.

D. C. : Écoute Je ne sais pas si j'ai bien répondu.

C. B. : Merci.