Différences entre les versions de « VLC : Le start-upper qui ne voulait pas être riche - Jean-Baptiste Kempf »

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<b>Jean-Baptiste Kempf : </b>Oui, ça fait partie de la réflexion
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<b>Jean-Baptiste Kempf : </b>Oui, ça fait partie de la réflexion mais ça n’est pas suffisant. Là on ne parle pas juste des GAFAM, des plateformes mais vraiment la partie GAFAM. Par exemple tu vas prendre l’exemple d’Apple, Apple ils n’ont pas du tout la partie plateforme où ils arnaquent, quoi ! Ils vendent un truc hyper cher qui est un produit de luxe et les gens achètent pour plein de raisons sociales, mais ils sont moins limites que Facebook. Malgré tout, pour aller contre ces gens-là, ça va être très difficile d’aller concurrencer Apple.<br/>
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En fait tu dérives des plateformes en général sur les GAFAM qui eux ont un tel poids, que leurs pratiques soient nouvelles ou anciennes, que ce soit Uber ou Apple, ce n’est pas à pareil et là c’est vrai que c’est très difficile parce qu’il va falloir des moyens de financement et surtout il faut que ce soit facile. Ça c’est un des problèmes principaux que je vois et je pense que c’est une des raisons pour lesquelles VLC fonctionne. Les gens n’utilisent pas VLC parce que c’est <em>open source</em>. 99,999 % des gens n’ont aucune idée, quand ils utilisent VLC, que c’est <em>open source</em> ; ils n’ont aucune idée que c’est libre et ils s’en foutent. Ils utilisent VLC parce que ça marche. Et ça c’est important c’est que quand tu arrives avec une alternative, il faut que l’alternative soit aussi facile à utiliser. Là on sort du cadre GAFAM ou même informatique, les gens ne vont pas changer. Si, à tout à tout problème social, ta réponse est « il faut changer les gens », tu as perdu. D’accord ? Je vais changer les gens. Non ! En fait tu ne changes pas les gens. Tu peux changer les gens si ce que tu leur proposes c’est soit un tout petit peu plus facile à utiliser – par exemple avec VLC c’est plus facile d’aller télécharger qu’avec l’IPad, donc les gens vont l’utiliser – soit tu es au même niveau de difficulté mais tu rajoutes un truc moral. Par exemple trier les ordures ce n’est pas très compliqué, ça te demande un effort supplémentaire mais le gain moral est tellement important que tu le fais.<br/>
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Souvent dans les trucs <em>open source</em> ou même, en général, dans tout ce qui est environnement social, on te dit « il faudrait que tu fasses çà » et en fait le « ça » c’est un effort monstrueux.<br/>
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Regarde Uber en tant qu’utilisateur, mais c’est tellement génial ! Je suis partout, je clique, ils arrivent. Les mecs ne peuvent pas annuler, ils ne peuvent pas t’engueuler. En tant qu’utilisateur, quel changement ! Ça a même changé le fait que les taxis sont quand même vachement plus polis maintenant qu’il y a 15 ans. Il ne faut pas oublier que le client, l’utilisateur final, le client-utilisateur, c’est l’important. En fait, beaucoup trop de gens qui veulent se battre contre les plateformes, contre les GAFAM, oublient qu’il faut faire des produits qui soient sexy et des produits fonctionnels. Oui, tu vas pouvoir atteindre 10 % de marché en disant « regardez, on se bat contre les méchants ». Super ! Le Media : « Regardez, on se bat contre TF1 ». Mais en vrai, si tu veux dépasser une petite niche, il faut que tu apportes quelque chose qui soit quand même aussi bien. Le problème c’est que pour atteindre le niveau de aussi bien il faut des gens et les gens coûtent cher.
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<b>Lucas Gautheron : </b>Justement, on a l’impression que si on veut faire aussi bien qu’eux et pas aussi mal dans le sens moral du terme que les Facebook et les Google, il va falloir des moyens assez énormes. Tu dis qu’il y a la question du financement.
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<b>Jean-Baptiste Kempf : </b>Attention ! Ils ne sont pas aussi énormes. En fait, tu as vu ce qu’ils ont fait. Tu as quand même un avantage c’est que tu n’es pas le premier entrant. Tu peux te rendre compte qu’ils ont fait des conneries – ça ce sont les conneries – et surtout il y a des technos qui sont développées, donc ça coûte moins cher. Et surtout, si ton but n’est pas forcément d’écraser la concurrence, ta croissance peut être plus faible, donc tes moyens ne sont pas aussi importants. Par contre, ils ne sont pas nuls, il ne faut pas l’oublier !
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<b>Lucas Gautheron : </b>Qu’est-ce qui manque justement ? Est-ce que c’est l’engagement des États ?
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<b>Jean-Baptiste Kempf : </b>Au début, en fait il n’y aurait pas besoin de grand-chose. Mais là on a un tel retard que ouais, il faudrait avoir des investissements étatiques, je pense, par exemple sur certains sujets, avoir un OS de smartphone ouvert, l’équivalent de Google Docs ou d’Office 365, des choses comme ça que finalement tout le monde utilise. Je suis sûr qu’au Media vous utilisez Google Docs. Ouais ? Évidemment. Là il y a un besoin. On a un tel retard qu’il y a un besoin. Il faut aussi avoir un système de financement de startups et de bonnes startups qui soient fonctionnelles et vertueuses. C’est possible, mais pour ça il faut avoir un cadre légal et il faut surtout avoir des hommes politiques qui comprennent ce qu’ils font et aujourd’hui on n’a pas ça en France.
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<b>Lucas Gautheron : </b>On peut peut-être parler de l’exemple de Qwant, le moteur de recherche français qui a quand même l’ambition assez grande de concurrencer les autres et qui a des financements, pour le coup, des financements européens même. Il y a quand même pas mal de controverses sur le sujet. En gros, on lui reproche finalement de réutiliser des technologies qui sont issues d’autres plateformes, de ne pas être une véritable alternative. C’est quoi le problème ? Je crois que c’est à RFI que tu as dit que tu voulais reprendre le truc, c’est ça ?
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<b>Jean-Baptiste Kempf : </b>À un moment il y avait un article dans <em>Le Monde</em> qui était « Ils cherchent un nouveau CIO [<em>Chief In­for­ma­tion Of­fi­cer</em>] ». Ils ont trouvé ; CIO PDG, ils ont pris finalement le PDG adjoint. J’ai envoyé un mail en disant « vous êtes sûrs que vous ne voulez pas que je vienne ? » C’est une boutade, mais en fait pas forcément.<br/>
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Attention ! Qwant on a raconté tout et n’importe quoi. Il y a des controverses, en particulier je pense qu’ils ont fait des erreurs. Ils arrivent dans un marché qui est très compliqué, qui est très difficile, ils veulent aller vite. Personnellement, de ce que je comprends, je pense qu’il y a une partie du management de Qwant qui n’est pas asses bonne et qui est trop bien payée, mais surtout il y a une erreur de technique. Google ça a marché parce qu’à l’origine c’était techniquement meilleur. On revient à ce que je disais tout à l’heure, il faut que tes produits soient sexy. Si tu n’as pas des produits sexy, c’est embêtant.<br/>
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Par contre, le débat qui est la polémique sur le fait qu’ils utilisaient le cloud Microsoft, c’est une fausse polémique. En fait, plus tard, ils pourront utiliser le cloud OVH s’ils sont fonctionnels. C’est juste que Microsoft leur a donné des crédits gratos et ils utilisent ça pour s’imposer. Ça ne me pose pas du tout de problème.<br/>
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Il y a une autre polémique dans la sous-polémique qui est qu’ils utilisent les résultats de recherche de Boing et là c’est un petit peu plus ???, mais je comprends encore, il faut : tu as un retard, tout est justifiable. Tu peux prendre plein de raccourcis du moment que tu as un plan et c’est ça qui est important, avoir un plan pour en sortir. Une fois que tu utilises, tu déploies sur le cloud de Microsoft, si tu te débrouilles bien, une fois que tu déploies sur le cloud de OVH ça ne changera pas grand-chose. Utiliser les résultats de recherche de Bing c’est déjà plus embêtant parce que là tu dépends vraiment sur ton cœur de métier.
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<b>Lucas Gautheron : </b>On ne peut pas ??? ça. le projet c’était justement…
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<b>Jean-Baptiste Kempf : </b>Oui, mais quand tu commences ! Arriver aujourd’hui, le jour un, et monter un Google, comme ça, je te dis c’est 200 millions, 300 millions, peut-être un milliard, ça doit être un milliard pour avoir un truc qui est à peu près correct.
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<b>Lucas Gautheron : </b>Est-ce que justement l’enjeu ne le justifie pas ?
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<b>Jean-Baptiste Kempf : </b>Oui, mais où vas-tu trouver un milliard ?
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<b>Lucas Gautheron : </b>Quand même, si on fait ça à un échelon ?
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<b>Jean-Baptiste Kempf : </b>Non je n’y crois pas. Ça avait été un peu essayé dans le passé avec un truc européen dont j’ai oublié le nom, tu vois ça m’avait pas marqué, Quaero, un truc comme ça. En fait, tu ne peux pas juste mettre de l’argent. Il faut aussi des gens qui <em>leadent</em> et qui aient l’envie.<br/>
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Ce qui est bien chez Qwant c’est qu’ils ont quand même des mecs super bons. Il y a un mec comme Tristan Nitot, ils ont monsieur Champeau qui sont vraiment des mecs qui comprennent ce qu’ils veulent et qui ont une vraie vision, mais je pense quand même que Qwant n’investit pas assez dans sa technique, mais ça c’est un avis de geek qui n’y travaille pas. VLC c’est parce que techniquement c’est génial que ça fonctionne. Je pense que chez Qwant ils ont un peu oublié ça.
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<b>Lucas Gautheron : </b>C’est un problème stratégique ou tu penses qu’il y a aussi un défaut de main d’œuvre qui est prête à se lancer dedans  ?
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<b>Jean-Baptiste Kempf : </b>Attends ! Ils arrivent, ils ont un projet. Ils doivent gérer des RH, des gens décentralisés, l’État qui arrive, les trucs politiques, tout le monde qui leur dit « regardez quand je fais cette recherche », les réseaux sociaux, etc. En fait c’est très compliqué. Ils ont grossi très vitre et c’est difficile.<br/>
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L’exemple typique c’est Mozilla, une boîte qui a 500 millions de dollars par an et qui en fait une catastrophe : Firefox c’est maintenant 5 % des parts de marché alors qu’il en avait 30.<br/>
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Grossir très vite c’est difficile parce qu’il faut structurer. VLC on est tout petit et on est efficace aussi parce qu’on est tout petit.
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<b>Lucas Gautheron : </b>Si l’enjeu c’est de reprendre possession du numérique et ne pas l’abandonner à des gens qui ont tourtes sortes de projets mais qui ne sont pas forcément liés à nos intérêts, ça signifie, à priori, qu’il faut maîtriser toutes les technologies et toute la chaîne des composants et de la production. Utiliser des logiciels et des systèmes d’exploitation libres ça ne suffit pas, il faudrait par exemple pouvoir fabriquer nos microprocesseurs. Est-ce que la France en est capable ?
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<b>Jean-Baptiste Kempf : </b>Oui !
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<b>Lucas Gautheron : </b>Est-ce qu’on en est capable ? On a déjà le niveau ? Qu’est-ce qui bloque alors ?
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<b>Jean-Baptiste Kempf : </b>Il n’y a pas de technologie trop compliquée pour les Européens pour le moment. L’intelligence artificielle ce n’est pas un problème de technologie c’est un problème de volume de données. C’est là la limite.
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<b>Lucas Gautheron : </b>Oui, mais c’est quand même un problème ne serait-ce que ça parce qu’on n’a pas forcément envie d’accepter n’importe quel…
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<b>Jean-Baptiste Kempf : </b>Oui, mais tu peux faire beaucoup de choses avant d’arriver aux limites. Oui, c’est sûr, tu as peut-être un retard techno, peut-être, mais avant d’arriver au moment où on a le retard technologique ! Aujourd’hui pour monter un Uber décentralisé, fédéré, il n’y a aucun problème technique. Arrête de nous raconter n’importe quoi ! Ça reste une mise en relation de gens sur Internet. C’est une plateforme, il n’y a pas de raison ! Ton Airbnb c’est la même remarque !
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<b>Lucas Gautheron : </b>Ce n’est pas forcément ce qu’on a envie de faire.
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<b>Jean-Baptiste Kempf : </b>Ce que je veux dire c’est qu’avant d’arriver aux limites technologiques françaises… Tu mentionnais les processeurs. Je rappelle qu’en France on a un fondeur qui s’appelle ST Microelectronics qui est à Crolles, à Grenoble, et qui a aussi une partie en Italie. En fait, ils ont des capacités, on a des capacités et surtout il y a tout ce qui est maintenant <em>open source</em> sur les microprocesseurs avec tout le produit qui s’appelle <em>open-risk</em>. Il y a des choses à faire. Je ne crois pas à la barrière de la techno.<br/>
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Par contre il y a trois problèmes : il y a un problème politique qui est un vrai problème c’est que nos dirigeants et alors là, de tous les partis, sont des gros nuls.
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<b>Lucas Gautheron : </b>Pourquoi ils sont des gros nuls ?
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<b>Jean-Baptiste Kempf : </b>Ils sont des gros nuls parce que ce sont des hommes politiques professionnels et parce qu’ils sont complètement dépassés. Ils ont 50 ans, et encore je suis poli, parce que la moyenne d’âge au Sénat ça doit être plutôt 75, ils n’ont jamais rien compris et surtout ils sont, sans dire élite, mais d’une classe sociale où tout leur est arrivé directement. C’est le même problème que tu as à la tête de l’Oréal où tous mes anciens camarades de promotion centraliens pensent que faire des <em>slides</em> c’est bosser. Ils ont un tel décalage par rapport à la vraie vie qui fait qu’ils ne comprennent rien à Internet. Après l’histoire Griveaux puis l’histoire Castaner, maintenant ils se mettent à essayer d’attaquer l’anonymat sur Internet ou le pseudonymat alors qu’on sait qui c’est. Ça n’a pas été posté sur une plateforme.
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<b>Lucas Gautheron : </b>C’est un prétexte !
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<b>Jean-Baptiste Kempf : </b>Bien sûr, c’est un prétexte, mais pas seulement. Ils sont tellement à côté de la plaque. Ils ne sont pas juste un peu à côté de la plaque. Ils sont tellement à côté de la plaque !<br/>
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Donc il y a un problème politique grave. Il y a un problème de financement malheureusement et de source de financement. Il faut que les grosses boîtes françaises réinvestissent dans les techs françaises et dans les techs, pas dans le hub, dans une énième plateforme en termes de désintermédiation. Je pense que ça c’est le deuxième problème.<br/>
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Le troisième problème c’est un truc assez français, c’est de ne pas croire en la technologie. C’est bizarre, on fait beaucoup d’ingénieurs, mais en fait les ingénieurs sont considérés comme, je ne vais pas dire des sous-merdes, mais quand même pas loin. Aux États-Unis les beaux gosses chez Google, chez Facebook, ce sont les ingés. En France, les ingés sont sous-payés, sont payés moins bien que les marketeux. On parlait de Qwant. Je parie que si on prend la grille de salaire, le directeur marketing est plus payé que le directeur technique et ça c’est un vrai problème parce que c’est comme ça que tu gardes les gens bons.
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<b>Lucas Gautheron : </b>À quoi tu attribues ça, cette espèce de religion ? On délaisse un peu l’aspect technique ? D’ailleurs je voulais te demander : est-ce que tu ne souscris pas à la thèse d’Emmanuel Todd sur la crétinisation des élites ? Tu dis que le problème ce sont nos dirigeants politiques qui sont à la ramasse, les grandes boîtes n’investissent pas au bon endroit.
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<b>Jean-Baptiste Kempf : </b>Je ne sais pas parce que je n’ai pas bien lu et là on va arriver vraiment dans la limite. Je vais dire une connerie, mais oui je pense qu’il y a un vrai problème d’élites et de reproduction sociale qui est que c’est trop facile pour eux. Comme c’est trop facile pour eux, en fait ils n’ont pas à faire l’effort.<br/>
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Faire VLC, c’est du boulot. Quand les gens me demandent combien d’heures je bossais, je ne réponds pas parce que franchement il y avait des moments, il y avait des semaines notamment quand je ne faisais pas ça à temps plein, si je te dis qu’il y a des semaines où je faisais 90 heures, je prenais mes vacances pour aller faire des conférences VLC. Il y a un travail. Le travail est important et il ne faut pas l’oublier. C’est vrai qu’il y a un petit risque en France c’est d’oublier cette valeur et c’est dommage. On aime bien être cool en France mais les Chinois et les Américains ne vous attendent pas !
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<b>Lucas Gautheron : </b>J’ai une question un peu je ne dirais pas philosophique,

Version du 13 août 2020 à 15:28


Titre : VLC : Le start-upper qui ne voulait pas être riche

Intervenants : Jean-Baptiste Kempf - Lucas Gautheron

Lieu : On s'autorise à penser - Le Media

Date : juillet 2020

Durée : 55 min

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Site de présentation de l'épisode

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration :

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcrit : MO

Description

Emmanuel Macron l’a affirmé dès son élection : il veut faire de la France une startup nation. Il démontre régulièrement son soutien à la French Tech, censée représenter la quintessence de l’innovation et de l’entreprenariat. Mais derrière cette ambition, la réalité est bien différente. La France peine à se dégager de l’emprise des GAFAM, comme l’ont cruellement rappelé les déboires de Qwant, le moteur de recherche qui devait supplanter Google. Et l’échec patent de l’application StopCovid en est une énième illustration. Pourquoi la France peine-t-elle à innover et à recouvrir son indépendance numérique ? Comment résister face aux plateformes, sans pour autant exploiter une main d’œuvre uberisée, et en respectant la vie privée des utilisateurs ?

Transcription

Voix off : On s’autorise à penser. Présenté par Lucas Gautheron, « VLC : le start-upper qui ne voulait pas être riche », avec Jean-Baptiste Kempf.

Lucas Gautheron : Vous connaissez certainement le logiciel VLC, l’incontournable lecteur multimédia made in France en forme de cône de chantier utilisé par des centaines de millions de personnes à travers le monde.
Ce qui vous ignorez peut-être, en revanche, c’est que derrière ce logiciel libre édité par une association à taille humaine et à but non lucratif, se cache un homme plutôt discret et, disons-le, un peu atypique dans son milieu. Devenu chevalier de l’Ordre national du Mérite à 35 ans, cet ingénieur de l’École centrale Paris, aujourd’hui à la tête du projet, l’a rejoint il y a 17 ans. Bien qu’il soit l’un des principaux responsables de ce succès français, il est bien loin d’être milliardaire. Quand on le lit ou qu’on l’écoute, on a le sentiment qu’il en a gros et qu’il a un peu envie de balancer sur la startup nation, la French Tech, les licornes, les BlaBlaCar et autres applications et tout ce milieu qui pourtant devrait être le sien. Son nom : Jean-Baptiste Kempf. Avec lui nous évoquerons son parcours, bien sûr, mais aussi sa vision du monde des startups, du numérique, de l’innovation, des alternatives et stratégies à développer contre les plateformes et le rôle que la France devrait ou pourrait jouer dans cette lutte.
Bonjour Jean-Baptiste Kempf.

Jean-Baptiste Kempf : Bonjour.

Lucas Gautheron : J’aimerais quand même qu’on parle un peu de VLC avant d’aller dans le fond du sujet. Est-ce que tu peux nous dire plus précisément combien d’utilisateurs dans le monde se servent de ce logiciel ? Combien il y a eu de téléchargements à peu près ?

Jean-Baptiste Kempf : En fait, la bonne réponse c’est que je ne sais pas. Comme c’est un logiciel gratuit et libre les gens ont le droit de le rediffuser et comme on ne fait pas ce qu’on appelle de la télémétrie, en vrai ça s’appelle de l’espionnage, je ne sais pas qui utilise VLC et comment on utilise VLC. Ce que je sais, avec le nombre de téléchargements sur notre plateforme et le nombre de mises à jour, ça donne à peu près une idée du nombre de téléchargements et d’utilisations. On est à peut-être 500 millions d’utilisateurs actifs de VLC. Après, comment tu définis actifs c’est un peu compliqué, mais ça te donne à peu près la base installée de VLC qui doit être autour de 800, 900 millions de VLC installés dans le monde. C’est très difficile de savoir exactement parce que, pour faire ça, il faudrait se mettre à espionner les utilisateurs et on ne fait pas ça.

Lucas Gautheron : En gros, il y a des usages de particuliers ?

Jean-Baptiste Kempf : On a vraiment de tout. On a beaucoup de particuliers, des gens qui lisent des DVD, des Blu-ray, des gens qui regardent de l’illégal, pas mal de gens qui l’utilisent pour écouter de l’audio et dans le monde professionnel de la télé, du broadcast, tout le monde utilise VLC, que ce soit Sony Pictures quand ils font le dernier Spider-Man ou la télé RTBF.

Lucas Gautheron : Si tu devais donner la raison fondamentale du succès de VLC ce serait quoi ?

Jean-Baptiste Kempf : La raison fondamentale du succès de VLC c’est que personne n’a cherché à ce que ce soit un succès. C’est un peu un troll, mais en fait c’est juste que c’est un logiciel fait par des geeks pour des geeks, pour se faire plaisir, donc il n’y a pas eu de marketing, il n’y a pas de fonctionnalités qui ne servent à rien, le but c’est juste de faire plaisir à nos utilisateurs. C’est vraiment un produit qui répond au besoin utilisateur et c’est toujours ce qui nous a défini.

Lucas Gautheron : Justement, tu parles des intentions derrière ce logiciel, est-ce qu’on peut en faire un peu la genèse, comment il est né, parce que c’est une histoire assez particulière ?

Jean-Baptiste Kempf : Ce que je déteste c’est quand les gens me présentent comme créateur de VLC parce que d’abord un, ce n’est pas vrai, et deuxièmement il n’y a pas de créateur. VLC c’est un projet qui fait partie d’un autre projet qui s’appelait VideoLAN, qui est devenu un projet open source en 2001, qui, avant, était un logiciel pas open source et qui est la continuité d’un autre projet dont le but n’était absolument pas de faire un produit comme ça.
L’histoire originelle : en 1995 sur l’École centrale Paris, donc le campus à Châtenay-Malabry qui vient d’être détruit, tout est géré par les étudiants – la sono, les soirées, mais aussi la cafeteria, la coopérative, le bar, la télé, la radio et le réseau. En fait on est dans un campus un peu bizarre où ce sont les étudiants qui s’occupent du réseau informatique, pas comme dans d’autres écoles. Ils veulent un réseau plus rapide et ils n’ont pas l’argent pour le faire. Ils vont voir l’école et l’école leur dit « ah non, vous comprenez, ce n’est pas nous qui gérons le campus, etc. » et leur dit « allez demander à nos partenaires » qui est une façon de dire « allez, dégagez il n’y a rien à voir ! » On était en 1994, ce que les étudiants voulaient c’était jouer aux jeux vidéos en réseau parce que, à ce moment-là, leur réseau suffisait pour envoyer quelques mails et les premiers sites internets. Ils voulaient jouer en réseau. C’est ce qu’ils vont faire, on leur dit d’aller voir des partenaires ils vont voir des partenaires, ils vont voir évidemment Bouygues qui leur dit « le futur de la télé c’est le satellite ». Bon ! Non, mais il y a 25 ans on pouvait se dire que c’était le futur et à ce moment-là tu achetais des box qui étaient des décodeurs MPEG2 qui coûtaient, je ne sais pas, 5000, 6000 francs et des antennes qui coûtaient 1500 francs. Sur le campus il y a 1500 étudiants donc le coût aurait été monstrueux. L’idée c’était juste d’en acheter une énorme et de diffuser par le réseau puisqu’en fait c’était des flux numériques. Évidemment, aujourd’hui ça semble évident. En 1995, on est 10 ans, 11 ans avant YouTube. Être capable de faire du décodage vidéo plus gros qu’un timbre poste sur un ordinateur normal c’était quasiment de la science-fiction, mais ils voulaient vraiment leur réseau. Donc ils lancent le projet de 1995 à 1997, puis, en 1997, ils ont une démo, ça crashe mais ce n’est pas grave ils font la démo 30 secondes, ça crashe au bout de 40. Ils ont un super ordinateur où il y a 64 mégaoctets de RAM à l’époque, évidemment ça nous fait rigoler, mais on était avec 486 DX/33 et 66, vraiment des antiquités. Le projet s’arrête là, le projet s’appelait Network 2000, ils ont un nouveau réseau ils sont contents.
Un an plus tard, il y a un groupe d’étudiants qui se disent en fait peut-être que ça intéresserait d’autres personnes. Il y a le début de la mouvance du logiciel libre, donc ils se disent on va faire un logiciel qui va fonctionner pour Centrale mais aussi hors de Centrale et qui sera open source.
En fait, VLC c’est une partie du projet VideoLan qui est la suite du projet Network 2000 qui est la suite du réseau étudiant de Centrale Paris. À aucun moment quelqu’un ne s’est dit je vais disrupter, je vais faire un nouveau lecteur vidéo qui va tout casser. C’est une conséquence. Il n’y a pas de créateur. Il y a plein de gens qui ont créé, il y a plein de gens qui ont travaillé tout au long du projet.

Lucas Gautheron : Toi tu interviens à partir de 2003. C’est ça ?

Jean-Baptiste Kempf : Je rentre à Centrale, en 2003 je deviens vice-président du réseau et c’est comme ça que je rentre dans VideoLan. Au début je ne m’occupe quasiment que de la diffusion vidéo sur la résidence. Je commence à faire des petits trucs à partir de 2005 sur le code et surtout, en fait, pendant mes stages en 2006, je commence à faire beaucoup plus de trucs sur VLC.

Lucas Gautheron : Donc c’est un peu le cadre associatif au sein de l’école qui t’as encouragé à t’impliquer et à apprendre ?

Jean-Baptiste Kempf : À l’époque à l’École centrale Paris, il y avait une énorme vie associative et un peu moins de focus, en fait, sur les cours, en tout cas pour une certaine part. À peu près 20 % des élèves faisaient beaucoup d’associatif et c’est génial parce que ça t’apprend beaucoup plus de choses dont tu as avoir besoin plus tard dans ta vie qu’un énième cours de physique quantique ou de mécanique des fluides.

Lucas Gautheron : C’est un projet étudiant qui a évolué. Aujourd’hui qui collabore au projet ? Est-ce qu’il y a des salariés à temps plein dessus ? Est-ce qu’il y a des contributeurs externes qui alimentent le code source ? Ça se passe comment ?

Jean-Baptiste Kempf : Au début c’était un projet étudiant et jusqu’à 2001 ce n’est pas open source, donc ce sont que des étudiants de Centrale qui peuvent s’y mettre.
En février 2001 quand il passe en open source, à ce moment-là il y a des gens qui commencent à contribuer, notamment un Hollandais et un Français qui habitait à Londres, qui commencent à aider. Chaque année, en fait, c’est un groupe d’étudiants qui vient et qui repart et ça marche comme ça jusqu’en 2005/2006 et là, le logiciel devient un peu trop gros et surtout devient un peu trop compliqué pour des étudiants donc le modèle ne marche plus. On se retrouve en janvier 2007 où on n’est plus que deux et demi, Rémi, moi et Christophe, donc là on se rend compte qu’il faut relancer différemment. En fait, c’est ça qui va emmener à la création de l’association en 2008 et moi, pendant un an et demi, je vais trouver les nouveaux étudiants ou parler aux anciens étudiants qui sont maintenant professionnels pour dire « venez travailler, contribuer ».
C’est une période qui va finalement aller jusqu’à 2013/2014 où la plupart du développement est faite par des bénévoles sur leur temps libre. À partir de 2012, je monte une entreprise à côté, qui est à côté de l’asso et qui commence à embaucher des gens de l’asso pour pérenniser un peu le logiciel, en particulier parce que l’open source, notamment le logiciel libre, est un peu moins sexy qu’il ne l’était parce qu’il s’est énormément professionnalisé. Les gens disent « pourquoi j’irais le faire gratuitement quand je peux le faire professionnellement » et surtout il y a les smartphones qui font que c’est beaucoup plus difficile de développer pour les smartphones qu’avant.
L’association existe toujours, je suis toujours le président depuis 2008 ; elle n’emploie personne, elle a très peu de moyens et les gens qui contribuent sont soit des gens externes soit bénévoles soit payés par les entreprises soit payés par mon entreprise.

Lucas Gautheron : Qui est la société Vidéolabs, c’est ça ?

Jean-Baptiste Kempf : C’est la société Vidéolabs.

Lucas Gautheron : Elle fait quoi cette société ?

Jean-Baptiste Kempf : Elle fait du service professionnel, des fonctionnalités en plus pour VLC. En fait, maintenant on fait 70 % du travail de VLC. C’est une société SAS, mais il n’y a pas d’investisseurs. On ressemble plus à une SCOP qu’à une SAS. En 2012/2013, je voulais voir comment on pouvait pérenniser le modèle. J’avais de plus en plus d’étudiants qui me disaient « je veux faire le Uber de la farine ou le Airbnb des pierres tombales ou le lacet connecté ou le prochain Flappy Bird ». Aller bosser dans l’open source ce n’était pas le truc sexy, alors que pour moi les mecs de l’open source c’étaient normalement les gros cadors. Tout le monde voulait faire des startups, donc j’ai dit on va faire une startup autour de VLC. Ça permet aussi de récupérer les subventions, aujourd’hui il y a beaucoup de subventions – CIR [Crédit Impôt Recherche], JEI [Jeune entreprise innovante], FUI [Fonds unique interministériel], PIA [Paris Innovation Amorçage] et d’autres choses comme ça – qui ne sont accessibles qu’à des entreprises ou des labos de recherche universitaire, mais quand tu es une asso, tu ne peux rien avoir.

Lucas Gautheron : Vous ne faites pas de pub, pourtant ça représente une fortune ne serait-ce que la valeur des données que vous pourriez emmagasiner sur ce que consultent les gens, etc. C’est une mine d’or ça, non ?

Jean-Baptiste Kempf : Non. J’aurais pu me faire énormément d’argent si telle était la question, aucun problème ! Mais il est hors de question que je gagne de l’argent de façon pas éthique. Donc espionner les utilisateurs, mettre de la pub c’est-à-dire finalement espionner les utilisateurs ou tout ce genre de merdier, installer des toolbars pourris ou, grosso modo, des trucs d’antivirus qui sont finalement plus des virus qu’autre chose, c’est hors de question. Attention, je ne suis pas contre faire de l’argent et gagner de l’argent. Je suis contre le faire mal et pour le moment on n’a jamais trouvé une façon bien de faire de l’argent autour de VLC, donc on préfère ne pas en faire. Oui, c’est sûr, ça pourrait être beaucoup plus gros vu le nombre d’utilisateurs, mais on préfère le faire bien.

Lucas Gautheron : Il y a par exemple des gens qui vont ont approché, je crois que c’est Google qui avait proposé un contrat ?

Jean-Baptiste Kempf : On a eu Google, Google ce n’était pas le pire, on en a eu plein d’autres qui étaient bien pires. D’abord Google, ils avaient une barre de recherche que tu mettais dans tes navigateurs, que tu rajoutais, qui te mettais tout pour que tu ailles tout faire sur Google. Après c’était pousser Chrome en même temps que l’installeur de VLC. Eux, à la limite, c’était encore à peu près propre. Après on a eu une quantité de mecs, et on en a toujours, qui viennent proposer des dizaines de millions pour faire de la merde.

Lucas Gautheron : Par contre tu parlais des jeunes qui rêvent, tu disais Airbnb et pierres tombales, c’est ça ? De choses comme ça. D’ailleurs, est-ce que c’est différent de l’époque où toi tu étais à Centrale ? C’est vraiment une généralité chez les jeunes aujourd’hui qui sortent des grandes écoles ? Si c’est le cas à quoi tu l’attribues ?

Jean-Baptiste Kempf : En fait, il ne faut pas croire que c’est pire qu’avant. Avant tu sortais de Centrale, Polytechnique, HEC, enfin bref !, toutes celles que tu veux, les mecs partaient faire du conseil, du conseil en stratégie ou conseil en organisation ou ils deviennaient un micro-pion dans ces boîtes du CAC 40, que ce soit l’Oréal ou des trucs bancaires. Maintenant ils disent « en fait, je préférerais monter une petite entreprise et avoir un vrai impact ». Je trouve quand même que c’est plutôt bien. Le changement de mentalité est bien parce que les gens veulent créer un truc. Ça s’est bien. Après, de là à aller jusqu’à l’open source, non ! Ça n’arrive pas. Il y a beaucoup de choses à critiquer sur les startups, mais je trouve que maintenant le fait que tu aies envie d’aller monter une boite plutôt que d’aller bosser en marketing chez l’Oréal c’est plutôt une bonne chose.

12’ 15

Lucas Gautheron : Quand Macron dit qu’il faut des jeunes français qui aient envie de devenir milliardaires, il disait ça dans <em<Les Echos en 2015, ça t’inspire quoi ?

Jean-Baptiste Kempf : C’est très compliqué parce que tout ce qui est financement, en fait, est très compliqué. Quand tu vas dans la Silicon Valley, tu as énormément de Français, tu as beaucoup d’Indiens et de Chinois. Tu te rends compte qu’il y a beaucoup de Français qui sont très bons à créer des choses, mais c’est vrai qu’il y a un problème de financement. Je ne pense pas que le but soit d’être milliardaire, par contre ce qui serait bien, ce qui serait utile, c’est que les gens qui ont des milliards ne soient pas juste des Américains. Je pense qu’évidemment ce n’est pas ce que lui pense. Lui pense la partie vraiment purement d’argent. Moi je pense juste qu’il est important d’avoir des leaders français, mais que tu peux les faire bien. En fait, l’argent doit être un moyen de faire des trucs bien et ça ne doit jamais être un but. C’est la grosse différence, moi je pense que ce n’est pas un but et lui pense que c’est un but.
Ce serait bien parce que ça permet de réinjecter dans les écosystèmes et notamment pour faire de la vraie tech, tout ce qu’on appelle maintenant un peu des deep techs a contrario de la French Tech. Il y a plein de technologies et c’est important notamment pour le modèle social français d’avoir encore des choses que tu puisses exporter. Sinon, en fait, tu passes ton temps à avoir ta balance commerciale négative et, finalement, la France s’appauvrit par rapport au reste du monde.
Ce qui est bien dans la startup nation c’est de dire qu’il faut soutenir la création. Soutenir la création oui, mais pas n’importe comment et c’est ça la grosse différence c’est que pour lui c’est quel que soit le prix : ils font des deals avec Google, avec Uber, avec Microsoft et ce n’est pas du pérenne. C’est vraiment juste on crée, on a plein de trucs, on peut avoir des capitaux et ça marche quelques années. Le problème, en fait, c’est que tout ça est sous perfusion permanente. Il faut énormément créer de startups pour que ça fonctionne.
Ça c’est sur la partie vraiment startup nation. Aucun d’entre eux n’a jamais monté de boîte ; que ce soit le ministre du Travail ou Macron, jamais ils n’ont rempli une fiche de paye. Donc ils n’ont aucune idée de comment ça fonctionne. Ils ont juste la vision « on va avoir plein de boîtes, ça va être bien, on va avoir des capitaux », mais quand tu fais du volume tu ne fais pas de la qualité.
Le problème des startups en général c’est un problème de financement. Monter des petites boîtes et les faire monter jusqu’à une ou à deux personnes, cinq personnes, dix personnes ce n’est pas dur. La difficulté c’est comment tu passes de 10 à 100 ou à 200 avec des business modèles qui soient pérennes et qui soient éthiques. Et ça, en France on a complètement perdu ça. On a soit les gros groupes soit des tout petits trucs. Les Allemands ont été très forts, ils ont réussi, par exemple, à garder une capacité industrielle d’entreprises de 200, 500 personnes et en fait c’est ça qui est important.
Pour ça il y a un gros problème c’est qu’il faut des financements avec des levées de fonds importantes, qui sont ce qu’on appelle série B, série C. En France on n’a que de l’esbroufe, on a plein de petites startups dont la plupart c’est n’importe quoi, mais, comme elles sont beaucoup sponsorisées au début, c’est facile de tenir un an ou deux ans parce que tu récupères ton chômage. Il faut quand même savoir que le premier investisseur en France s’appelle Pôle emploi. C’est vrai, c’est-à-dire que pendant 15 mois tu peux être payé avec ton ancien salaire pour créer une boîte. C’est absolument génial, c’est une très bonne idée. Aux États-Unis, il y a plein de boîtes qui auraient été tuées tout de suite parce qu’au bout de trois mois, six mois, tu te rends compte que ce n’est pas un truc qui marche. En fait on a plein de petites boîtes qui sont sur un marché qui n’existe pas et qui sont subventionnées, mais qui ne servent à rien, évidemment elles n’ont pas de but. On n’a pas le marché qui fait la sanction derrière ou d’investisseurs qui disent « ça c’est n’importe quoi, arrête ! » En fait on perd beaucoup trop, on a trop de petites entreprises et de startups qui ne ressemblent à rien.
Quand tu regardes la station F ou la French Tech, tu as une pléthore de trucs qui sont ! Quand je te dis le Airbnb des pierres tombales ou le lacet connecté je te fais rigoler, mais franchement il y en a qui ne sont vraiment pas loin de ça.

Lucas Gautheron : La startup qui fait les slips anti-ondes, qui a des investissements de la BPI.

Jean-Baptiste Kempf : Là, quand tu arrives sur les anti-ondes ! On est dans de l’anti-scientifique total et c’est n’importe quoi.
Il faut quand même faire attention, je modère un petit peu, il faut faire attention aux États-Unis, c’est pareil. En fait le ratio que tu as normalement : sur dix boîtes qui reçoivent de l’investissement, tu as en a une qui explose, deux qui sont à l’équilibre, qui sont des boîtes qui sont des boîtes normales et sept qui se pètent la gueule. Ça c’est le ratio normal, c’est un peu de darwinisme social, c’est vrai, mais c’est ce qui se passe. Le problème c’est qu’aujourd’hui sur la French Tech on est plutôt à un, peut-être cinq et 100. Le problème est surtout qu’il y a plein de boîtes qui, quand elles commencent à vraiment décoller, se font rafler par des Américains qui ont beaucoup d’argent ou des Anglais, donc en fait on n’a rien ! Ça c’est vraiment un des problèmes.
Le deuxième problème c’est que les boîtes du CAC 40 considèrent que plutôt que de faire de l’innovation en interne elles vont plutôt aller faire leur shopping de startups, comme ça elles montrent qu’elles sont innovantes « c’est super ! Regardez on est cool ! » Ça fait super cool ! Leurs boards achètent des boîtes et ils n’en font rien ou ils la détruisent parce qu’en fait finalement « oui, mais tu comprends, ça nous prend un peu de marché ». Ces gros groupes vont avoir des gros soucis dans le futur parce qu’ils ne savent pas innover.

Lucas Gautheron : Justement là-dessus il y a un bouquin qui est intéressant, je ne sais pas si tu l’as lu, de Nick Srnicek, <em<Capitalisme de plateforme. Il explique bien, notamment il fait une typologie des types de plateformes et il met de côté, par exemple, les Uber et Deliveroo. Selon lui, leur succès est vraiment dû à des conditions particulières qui ne sont pas amenées à durer : il y a un chômage élevé qui pousse les gens à se diriger vers des jobs mal payés ; par ailleurs il y a une politique monétaire qui fait qu’il y a du cash et qu’il y a des entreprises qui cherchent à investir un peu partout. Finalement on a l’impression que certaines de ces plateformes c’est un peu du toc, c’est-à-dire que derrière c’est surtout le lobbying, ce sont surtout les circonstances favorables qui font que ça existe et pourtant c’est désigné comme la quintessence de la startup.

Jean-Baptiste Kempf : Mondialement ce n’est pas considéré comme la quintessence de la startup.

Lucas Gautheron : Je ne dis pas, mais dans le langage un peu…

Jean-Baptiste Kempf : Ce qui est tout à fait vrai c’est surtout que c’est aussi de la condition légale. Les Français et en général les Européens ont ce que j’appelle cette diarrhée légale et adorent faire des trucs hyper-compliqués. En fait, ça devient tellement compliqué que tu crées des niches, des failles. Ce qui n’est pas bien quand il y a trop de lois et qu’elles sont trop compliquées, c’est que les seuls qui en profitent ce sont les riches. Par exemple Uber exploite complètement le droit du travail, mais, en même temps, le droit du travail c’est tellement compliqué ! C’est une circonstance, ils sont très forts, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas de morale, c’est l’exploitation totale.
Il y a des plateformes comme ça, là on parle de tout ce qui est ubérisation, même dedans tu as plusieurs niveaux. C’est-à-dire que quand tu commences un peu à voir ces entreprises, tu as des boîtes qui sont vraiment des sous raclures, Uber, et tu as des boîtes comme Airbnb qui ont des problèmes en interne, c’est une boîte, mais ce ne sont pas des vrais connards.
En fait c’est très difficile parce que tu mets tout ça dans un groupe. Dans ces plateformes qu’on a appelées maintenant d’ubérisaiton, qui est de la désintermédiation totale et du profit de l’autoentrepreneur, tu as plein de choses différentes, des mecs qui sont un peu limite à des mecs qui sont vraiment des mecs rats.

Lucas Gautheron : Dans le bouquin, il parle un peu aussi des stratégies de ce qu’il appelle les plateformes pour s’étendre, dominer ; il y a justement un peu un catalogue de stratégies. D’abord il y a une stratégie qui consiste à développer des dépendances en créant des écosystèmes dans lesquels on verrouille complètement les gens. C’est ce que font par exemple les GAFAM, par exemple Facebook où l’idée est qu’on puisse consulter et vivre sur Internet sans en sortir.br/> Il y a d’autres stratégies comme exploiter les données, les algorithmes, pour asseoir leur domination en mettant des barrières d’entrée aux éventuels compétiteurs. Il cite l’exemple de Rolls-Royce qui loue ses moteurs et leur maintenance aux constructeurs d’avion et qui, derrière, peut utiliser toutes les données accumulées sur les données de contrôle pour avoir un avantage énorme.

Jean-Baptiste Kempf : Netflix fait la même chose.

Lucas Gautheron : Netfix fait la même chose, c’est-à-dire ? Tu peux expliquer ?

Jean-Baptiste Kempf : Avant Netflix, en fait toutes les données de production et de visionnage étaient à peu partagées dans l’écosystème. Tu pouvais savoir, tu avais une connaissance globale avec Ciné Chiffres, avec Rentrak, avec des choses. Toute l’industrie avait les informations de quels films avaient fonctionné en télé, en radio, en DVD, etc. Aujourd’hui tu n’as aucune donnée. C’est-à-dire que tu n’as aucune idée de savoir si La casa de papel ou <em<Carnival Row a fait un million de vues, cinq millions de vues, dix millions de vues, cent millions de vues. En fait, ils utilisent ces informations de vues et de likes pour avoir un avantage incroyable. C’est-à-dire que Netflix, quand ils vont voir des producteurs, maintenant ils disent « je veux ça ». Ils ont la démographie, ils savent comment ils veulent que ça fasse (???). Ils ont quasiment des potentiomètres autant de ???, autant de trucs comme ça. Ça c’est parce qu’ils ont des données très fortes. Mais tu ne peux pas mettre Netflix dans la même catégorie que Uber. Netflix n’exploite pas la misère humaine.

Lucas Gautheron : Ça peut être un problème d’être dépendants de plateformes qui occupent un espace.

Jean-Baptiste Kempf : C’est évident, mais, en même temps, personne ne travaille pour aller casser des plateformes. Il n’y a pas d’investissements. Le Media vous êtes diffusés YouTube. YouTube c’est un monopole monstrueux. Pourquoi est-ce qu’on a ces plateformes ? C’est qu’en fait il y a un système de winner takes all. C’est-à-dire qu’on s’est rendu sur Internet, et c’est la première fois, c’est celui qui prend qui gagne. Tu ne vas pas arriver dans un triumvirat avec un leader qui a 40 % et puis deux/trois mecs qui ont 20 % derrière. Par exemple l’Oréal, ils ont un gros marché et, en fait, il y a quand même plein d’acteurs. Quand tu arrives sur des Facebook ou des Google, quand ils prennent le marché ils ne s’arrêtent pas à 50 %, ils arrivent à 90 % et ensuite tu ne peux pas t’en sortir. À ce moment-là, une fois qu’ils ont leur marché, ils utilisent les données, ils utilisent en fait surtout leur capacité légale et leur lobbying pour rester en place.
Par exemple la GDPR qui a été votée par les Européens contre les cookies, etc., soi-disant pour embêter Google, en fait ça a aidé Google parce que Google a eu la capacité financière pour s’adapter et tous les autres n’ont pas réussi.

Lucas Gautheron : Et ça va chier les petits !

Jean-Baptiste Kempf : Et ça fait chier les petits ! En fai,t ils ont un marché et c’est très difficile de casser leur marché. Ce que tu vas pouvoir faire c’est aller récupérer quelques petites niches qui ne sont pas intéressantes pour eux et c’est très difficile à casser parce que, justement, Internet a cet effet réseau, c’est ce qu’on appelle la loi de Metcalfe qui fait que la valeur d’un réseau est au carré du nombre de peers. En fait, tu es dans ce cas un peu bizarre qui fait que quand tu gagnes, tu gagnes tout le marché et, à ce moment-là, tu as des mécanismes techniques que tu n’avais pas dans les industries traditionnelles où tu peux rester en place et c’est impossible de te déboulonner.

Lucas Gautheron : Je t’ai aussi posé cette question parce que justement sur ces deux aspects particuliers qui est verrouiller les gens dans un écosystème et, par ailleurs, exploiter les données, quelque part VLC est-ce que vous n’êtes pas un peu l’anti-plateforme de ce point de vue ? Vous développez les moyens qui favorisent l’interopérabilité puisque votre souci c’est d’avoir quelque chose qui est assez universel en termes de contenus accessibles et qu’on peut décoder et puis, par ailleurs, vous créez un espace libre où les gens peuvent passer, consulter des contenus sans qu’il y ait une exploitation de leurs données. Vous incarnez une anti-plateforme, non ?

Jean-Baptiste Kempf : C’est vrai. On a un côté très décentralisé, mais, de fait, on n’est pas une plateforme. Aujourd’hui dans VLC tu n’as pas de contenu. Tu l’utilises pour regarder les contenus que tu as récupérés légalement ou illégalement, ce n’est pas mon problème. Les gens utilisent VLC pour faire plein de trucs. Il y a des gros connards qui utilisent VLC, il y a des mecs qui sont absolument des saints qui utilisent VLC, moi je n’ai pas le contrôle. On n’a pas de plateforme dans VLC. On se pose justement la question d’amener du contenu pour aller voir ce qu’on peut faire pour que les gens puissent justement apporter leur contenu à la masse sans devoir passer par une plateforme, mais ça demande une vision, une volonté et, malheureusement, de l’argent.
Par exemple moi je ne suis pas une plateforme, je ne pourrais pas avoir une plateforme, ça coûte trop cher ! Aujourd’hui je n’ai pas l’argent. C’est un peu la limite du modèle, c’est que pour aller se battre contre les plateformes, les grosses plateformes, il faudrait du cash et ce cash je ne l’ai pas.

Lucas Gautheron : On a parlé un peu de la question du cadre juridique. Tu as mentionné le fait qu’il y a VideoLan qui est l’association, ta société ressemble un peu à une SCOP. Il se trouve que nous, au Media, il y a une association et une société et on veut se transformer en société coopérative. Je ne sais pas si tu connais Mobicoop, c’est un peu l’équivalent d’un Blablacar mais en forme coopérative. Est-ce que tu penses que ça fait partie de la réflexion cette question du cadre juridique ?

25’ 07

Jean-Baptiste Kempf : Oui, ça fait partie de la réflexion mais ça n’est pas suffisant. Là on ne parle pas juste des GAFAM, des plateformes mais vraiment la partie GAFAM. Par exemple tu vas prendre l’exemple d’Apple, Apple ils n’ont pas du tout la partie plateforme où ils arnaquent, quoi ! Ils vendent un truc hyper cher qui est un produit de luxe et les gens achètent pour plein de raisons sociales, mais ils sont moins limites que Facebook. Malgré tout, pour aller contre ces gens-là, ça va être très difficile d’aller concurrencer Apple.
En fait tu dérives des plateformes en général sur les GAFAM qui eux ont un tel poids, que leurs pratiques soient nouvelles ou anciennes, que ce soit Uber ou Apple, ce n’est pas à pareil et là c’est vrai que c’est très difficile parce qu’il va falloir des moyens de financement et surtout il faut que ce soit facile. Ça c’est un des problèmes principaux que je vois et je pense que c’est une des raisons pour lesquelles VLC fonctionne. Les gens n’utilisent pas VLC parce que c’est open source. 99,999 % des gens n’ont aucune idée, quand ils utilisent VLC, que c’est open source ; ils n’ont aucune idée que c’est libre et ils s’en foutent. Ils utilisent VLC parce que ça marche. Et ça c’est important c’est que quand tu arrives avec une alternative, il faut que l’alternative soit aussi facile à utiliser. Là on sort du cadre GAFAM ou même informatique, les gens ne vont pas changer. Si, à tout à tout problème social, ta réponse est « il faut changer les gens », tu as perdu. D’accord ? Je vais changer les gens. Non ! En fait tu ne changes pas les gens. Tu peux changer les gens si ce que tu leur proposes c’est soit un tout petit peu plus facile à utiliser – par exemple avec VLC c’est plus facile d’aller télécharger qu’avec l’IPad, donc les gens vont l’utiliser – soit tu es au même niveau de difficulté mais tu rajoutes un truc moral. Par exemple trier les ordures ce n’est pas très compliqué, ça te demande un effort supplémentaire mais le gain moral est tellement important que tu le fais.
Souvent dans les trucs open source ou même, en général, dans tout ce qui est environnement social, on te dit « il faudrait que tu fasses çà » et en fait le « ça » c’est un effort monstrueux.
Regarde Uber en tant qu’utilisateur, mais c’est tellement génial ! Je suis partout, je clique, ils arrivent. Les mecs ne peuvent pas annuler, ils ne peuvent pas t’engueuler. En tant qu’utilisateur, quel changement ! Ça a même changé le fait que les taxis sont quand même vachement plus polis maintenant qu’il y a 15 ans. Il ne faut pas oublier que le client, l’utilisateur final, le client-utilisateur, c’est l’important. En fait, beaucoup trop de gens qui veulent se battre contre les plateformes, contre les GAFAM, oublient qu’il faut faire des produits qui soient sexy et des produits fonctionnels. Oui, tu vas pouvoir atteindre 10 % de marché en disant « regardez, on se bat contre les méchants ». Super ! Le Media : « Regardez, on se bat contre TF1 ». Mais en vrai, si tu veux dépasser une petite niche, il faut que tu apportes quelque chose qui soit quand même aussi bien. Le problème c’est que pour atteindre le niveau de aussi bien il faut des gens et les gens coûtent cher.

Lucas Gautheron : Justement, on a l’impression que si on veut faire aussi bien qu’eux et pas aussi mal dans le sens moral du terme que les Facebook et les Google, il va falloir des moyens assez énormes. Tu dis qu’il y a la question du financement.

Jean-Baptiste Kempf : Attention ! Ils ne sont pas aussi énormes. En fait, tu as vu ce qu’ils ont fait. Tu as quand même un avantage c’est que tu n’es pas le premier entrant. Tu peux te rendre compte qu’ils ont fait des conneries – ça ce sont les conneries – et surtout il y a des technos qui sont développées, donc ça coûte moins cher. Et surtout, si ton but n’est pas forcément d’écraser la concurrence, ta croissance peut être plus faible, donc tes moyens ne sont pas aussi importants. Par contre, ils ne sont pas nuls, il ne faut pas l’oublier !

Lucas Gautheron : Qu’est-ce qui manque justement ? Est-ce que c’est l’engagement des États ?

Jean-Baptiste Kempf : Au début, en fait il n’y aurait pas besoin de grand-chose. Mais là on a un tel retard que ouais, il faudrait avoir des investissements étatiques, je pense, par exemple sur certains sujets, avoir un OS de smartphone ouvert, l’équivalent de Google Docs ou d’Office 365, des choses comme ça que finalement tout le monde utilise. Je suis sûr qu’au Media vous utilisez Google Docs. Ouais ? Évidemment. Là il y a un besoin. On a un tel retard qu’il y a un besoin. Il faut aussi avoir un système de financement de startups et de bonnes startups qui soient fonctionnelles et vertueuses. C’est possible, mais pour ça il faut avoir un cadre légal et il faut surtout avoir des hommes politiques qui comprennent ce qu’ils font et aujourd’hui on n’a pas ça en France.

Lucas Gautheron : On peut peut-être parler de l’exemple de Qwant, le moteur de recherche français qui a quand même l’ambition assez grande de concurrencer les autres et qui a des financements, pour le coup, des financements européens même. Il y a quand même pas mal de controverses sur le sujet. En gros, on lui reproche finalement de réutiliser des technologies qui sont issues d’autres plateformes, de ne pas être une véritable alternative. C’est quoi le problème ? Je crois que c’est à RFI que tu as dit que tu voulais reprendre le truc, c’est ça ?

Jean-Baptiste Kempf : À un moment il y avait un article dans Le Monde qui était « Ils cherchent un nouveau CIO [Chief In­for­ma­tion Of­fi­cer] ». Ils ont trouvé ; CIO PDG, ils ont pris finalement le PDG adjoint. J’ai envoyé un mail en disant « vous êtes sûrs que vous ne voulez pas que je vienne ? » C’est une boutade, mais en fait pas forcément.
Attention ! Qwant on a raconté tout et n’importe quoi. Il y a des controverses, en particulier je pense qu’ils ont fait des erreurs. Ils arrivent dans un marché qui est très compliqué, qui est très difficile, ils veulent aller vite. Personnellement, de ce que je comprends, je pense qu’il y a une partie du management de Qwant qui n’est pas asses bonne et qui est trop bien payée, mais surtout il y a une erreur de technique. Google ça a marché parce qu’à l’origine c’était techniquement meilleur. On revient à ce que je disais tout à l’heure, il faut que tes produits soient sexy. Si tu n’as pas des produits sexy, c’est embêtant.
Par contre, le débat qui est la polémique sur le fait qu’ils utilisaient le cloud Microsoft, c’est une fausse polémique. En fait, plus tard, ils pourront utiliser le cloud OVH s’ils sont fonctionnels. C’est juste que Microsoft leur a donné des crédits gratos et ils utilisent ça pour s’imposer. Ça ne me pose pas du tout de problème.
Il y a une autre polémique dans la sous-polémique qui est qu’ils utilisent les résultats de recherche de Boing et là c’est un petit peu plus ???, mais je comprends encore, il faut : tu as un retard, tout est justifiable. Tu peux prendre plein de raccourcis du moment que tu as un plan et c’est ça qui est important, avoir un plan pour en sortir. Une fois que tu utilises, tu déploies sur le cloud de Microsoft, si tu te débrouilles bien, une fois que tu déploies sur le cloud de OVH ça ne changera pas grand-chose. Utiliser les résultats de recherche de Bing c’est déjà plus embêtant parce que là tu dépends vraiment sur ton cœur de métier.

Lucas Gautheron : On ne peut pas ??? ça. le projet c’était justement…

Jean-Baptiste Kempf : Oui, mais quand tu commences ! Arriver aujourd’hui, le jour un, et monter un Google, comme ça, je te dis c’est 200 millions, 300 millions, peut-être un milliard, ça doit être un milliard pour avoir un truc qui est à peu près correct.

Lucas Gautheron : Est-ce que justement l’enjeu ne le justifie pas ?

Jean-Baptiste Kempf : Oui, mais où vas-tu trouver un milliard ?

Lucas Gautheron : Quand même, si on fait ça à un échelon ?

Jean-Baptiste Kempf : Non je n’y crois pas. Ça avait été un peu essayé dans le passé avec un truc européen dont j’ai oublié le nom, tu vois ça m’avait pas marqué, Quaero, un truc comme ça. En fait, tu ne peux pas juste mettre de l’argent. Il faut aussi des gens qui leadent et qui aient l’envie.
Ce qui est bien chez Qwant c’est qu’ils ont quand même des mecs super bons. Il y a un mec comme Tristan Nitot, ils ont monsieur Champeau qui sont vraiment des mecs qui comprennent ce qu’ils veulent et qui ont une vraie vision, mais je pense quand même que Qwant n’investit pas assez dans sa technique, mais ça c’est un avis de geek qui n’y travaille pas. VLC c’est parce que techniquement c’est génial que ça fonctionne. Je pense que chez Qwant ils ont un peu oublié ça.

Lucas Gautheron : C’est un problème stratégique ou tu penses qu’il y a aussi un défaut de main d’œuvre qui est prête à se lancer dedans  ?

Jean-Baptiste Kempf : Attends ! Ils arrivent, ils ont un projet. Ils doivent gérer des RH, des gens décentralisés, l’État qui arrive, les trucs politiques, tout le monde qui leur dit « regardez quand je fais cette recherche », les réseaux sociaux, etc. En fait c’est très compliqué. Ils ont grossi très vitre et c’est difficile.
L’exemple typique c’est Mozilla, une boîte qui a 500 millions de dollars par an et qui en fait une catastrophe : Firefox c’est maintenant 5 % des parts de marché alors qu’il en avait 30.
Grossir très vite c’est difficile parce qu’il faut structurer. VLC on est tout petit et on est efficace aussi parce qu’on est tout petit.

Lucas Gautheron : Si l’enjeu c’est de reprendre possession du numérique et ne pas l’abandonner à des gens qui ont tourtes sortes de projets mais qui ne sont pas forcément liés à nos intérêts, ça signifie, à priori, qu’il faut maîtriser toutes les technologies et toute la chaîne des composants et de la production. Utiliser des logiciels et des systèmes d’exploitation libres ça ne suffit pas, il faudrait par exemple pouvoir fabriquer nos microprocesseurs. Est-ce que la France en est capable ?

Jean-Baptiste Kempf : Oui !

Lucas Gautheron : Est-ce qu’on en est capable ? On a déjà le niveau ? Qu’est-ce qui bloque alors ?

Jean-Baptiste Kempf : Il n’y a pas de technologie trop compliquée pour les Européens pour le moment. L’intelligence artificielle ce n’est pas un problème de technologie c’est un problème de volume de données. C’est là la limite.

Lucas Gautheron : Oui, mais c’est quand même un problème ne serait-ce que ça parce qu’on n’a pas forcément envie d’accepter n’importe quel…

Jean-Baptiste Kempf : Oui, mais tu peux faire beaucoup de choses avant d’arriver aux limites. Oui, c’est sûr, tu as peut-être un retard techno, peut-être, mais avant d’arriver au moment où on a le retard technologique ! Aujourd’hui pour monter un Uber décentralisé, fédéré, il n’y a aucun problème technique. Arrête de nous raconter n’importe quoi ! Ça reste une mise en relation de gens sur Internet. C’est une plateforme, il n’y a pas de raison ! Ton Airbnb c’est la même remarque !

Lucas Gautheron : Ce n’est pas forcément ce qu’on a envie de faire.

Jean-Baptiste Kempf : Ce que je veux dire c’est qu’avant d’arriver aux limites technologiques françaises… Tu mentionnais les processeurs. Je rappelle qu’en France on a un fondeur qui s’appelle ST Microelectronics qui est à Crolles, à Grenoble, et qui a aussi une partie en Italie. En fait, ils ont des capacités, on a des capacités et surtout il y a tout ce qui est maintenant open source sur les microprocesseurs avec tout le produit qui s’appelle open-risk. Il y a des choses à faire. Je ne crois pas à la barrière de la techno.
Par contre il y a trois problèmes : il y a un problème politique qui est un vrai problème c’est que nos dirigeants et alors là, de tous les partis, sont des gros nuls.

Lucas Gautheron : Pourquoi ils sont des gros nuls ?

Jean-Baptiste Kempf : Ils sont des gros nuls parce que ce sont des hommes politiques professionnels et parce qu’ils sont complètement dépassés. Ils ont 50 ans, et encore je suis poli, parce que la moyenne d’âge au Sénat ça doit être plutôt 75, ils n’ont jamais rien compris et surtout ils sont, sans dire élite, mais d’une classe sociale où tout leur est arrivé directement. C’est le même problème que tu as à la tête de l’Oréal où tous mes anciens camarades de promotion centraliens pensent que faire des slides c’est bosser. Ils ont un tel décalage par rapport à la vraie vie qui fait qu’ils ne comprennent rien à Internet. Après l’histoire Griveaux puis l’histoire Castaner, maintenant ils se mettent à essayer d’attaquer l’anonymat sur Internet ou le pseudonymat alors qu’on sait qui c’est. Ça n’a pas été posté sur une plateforme.

Lucas Gautheron : C’est un prétexte !

Jean-Baptiste Kempf : Bien sûr, c’est un prétexte, mais pas seulement. Ils sont tellement à côté de la plaque. Ils ne sont pas juste un peu à côté de la plaque. Ils sont tellement à côté de la plaque !
Donc il y a un problème politique grave. Il y a un problème de financement malheureusement et de source de financement. Il faut que les grosses boîtes françaises réinvestissent dans les techs françaises et dans les techs, pas dans le hub, dans une énième plateforme en termes de désintermédiation. Je pense que ça c’est le deuxième problème.
Le troisième problème c’est un truc assez français, c’est de ne pas croire en la technologie. C’est bizarre, on fait beaucoup d’ingénieurs, mais en fait les ingénieurs sont considérés comme, je ne vais pas dire des sous-merdes, mais quand même pas loin. Aux États-Unis les beaux gosses chez Google, chez Facebook, ce sont les ingés. En France, les ingés sont sous-payés, sont payés moins bien que les marketeux. On parlait de Qwant. Je parie que si on prend la grille de salaire, le directeur marketing est plus payé que le directeur technique et ça c’est un vrai problème parce que c’est comme ça que tu gardes les gens bons.

Lucas Gautheron : À quoi tu attribues ça, cette espèce de religion ? On délaisse un peu l’aspect technique ? D’ailleurs je voulais te demander : est-ce que tu ne souscris pas à la thèse d’Emmanuel Todd sur la crétinisation des élites ? Tu dis que le problème ce sont nos dirigeants politiques qui sont à la ramasse, les grandes boîtes n’investissent pas au bon endroit.

Jean-Baptiste Kempf : Je ne sais pas parce que je n’ai pas bien lu et là on va arriver vraiment dans la limite. Je vais dire une connerie, mais oui je pense qu’il y a un vrai problème d’élites et de reproduction sociale qui est que c’est trop facile pour eux. Comme c’est trop facile pour eux, en fait ils n’ont pas à faire l’effort.
Faire VLC, c’est du boulot. Quand les gens me demandent combien d’heures je bossais, je ne réponds pas parce que franchement il y avait des moments, il y avait des semaines notamment quand je ne faisais pas ça à temps plein, si je te dis qu’il y a des semaines où je faisais 90 heures, je prenais mes vacances pour aller faire des conférences VLC. Il y a un travail. Le travail est important et il ne faut pas l’oublier. C’est vrai qu’il y a un petit risque en France c’est d’oublier cette valeur et c’est dommage. On aime bien être cool en France mais les Chinois et les Américains ne vous attendent pas !

38’ 55

Lucas Gautheron : J’ai une question un peu je ne dirais pas philosophique,