Différences entre les versions de « Transformer le numérique - Louis Derrac »

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Je vais rappeler rapidement, notamment pour celles et ceux qui n’étaient pas là, ce qu’avait été la conclusion de la conférence précédente sur la critique du numérique.<br/>
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On est sur un ensemble de technologies qui sont protéiformes, c’est un des éléments essentiels : il faut toujours rappeler que quand on parle de numérique on parle d’énormément de choses très différentes, c’est donc difficile, d’ailleurs, de critiquer, de débattre de choisir quel numérique sans ensuite détailler de ce dont on parle : est-ce qu’on parle de terminal, d’équipement, de logiciel, d’un service, etc. ? On est donc sur un ensemble de technologies protéiformes, par forcément méga-complexes, en tout cas individuellement, mais dont l’ensemble présente un parcours atypique, donc un certain nombre d’effets sur la société et les humains qui, eux, sont complexes.<br/>
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La conclusion c’était qu’aujourd’hui cet ensemble de technologies est largement confisqué par ceux qu’on appelle les GAFAM – Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft – ou BATIX, les géants chinois et asiatiques, et plus généralement les Big Tech qui composent ce que j’appelle un numérique dominant et largement toxique.<br/>
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Elles sont aussi confisquées de plus en plus par des gouvernements technocratiques dans le sens où une « dématérialisation », entre guillemets, est en œuvre. Une modernisation, une simplification, une numérisation – il y a plusieurs termes – de la société sont mises en place par des personnes, des experts, des technocrates, des technologues, etc., mais qui se fait sans suffisamment, en tout cas à mon sens, de débats et de discussions citoyennes.<br/>
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La conclusion c’est que le problème ce n’est pas le numérique – le numérique ça ne veut pas dire grand-chose –, en revanche le problème c’est une absence criante de démocratie technique, on y reviendra. On est face à un numérique, à un ensemble de choses, de plateformes numériques largement dominantes et toxiques et c’est largement inacceptable, une sorte d’absence de limites actuellement, même si on commence à parler de numérique responsable, et j’y reviens, et on est toujours face à un très gros solutionnisme technologique dans le sens où on se dit que les problèmes que peuvent poser certaines technologies numériques, même, de manière générale, les problèmes auxquels on fait face en tant qu’êtres humains, vont être résolus par des solutions numériques et technologiques. Ce mythe, cette croyance est tenace.
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Il y a deux niveaux de critique et de débat, je l’avais dit il y a deux semaines : un premier niveau où on pourrait débattre de transformer le numérique en étant un peu déconnecté et philosophe, en ignorant les limites économiques, environnementales et sociales qui s’imposent à nous. Il y a un second niveau, et c’est celui sur lequel je vais être aujourd’hui, plus réaliste et politique puisqu’il s’avère que nous sommes dans un état d’urgence environnemental et social, je lisais encore à l’instant un article du <em>Monde</em> sur le fait qu’on commence à se planifier pour des hausses de température de plus 4 degrés en France et que ça impose un grand débat démocratique, on est en plein dedans. C’est pareil pour le numérique qui joue là-dedans et qui va devoir suivre, en fait, et bénéficier du même genre de débat, il me semble.
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Enfin, il y avait un peu la critique d’un terme que je vais reprendre ici, le terme « numérique responsable » qui, je pense, a fait son temps, a été très utile pour commencer à sensibiliser aux impacts du numérique, mais qui, aujourd’hui, malheureusement sémantiquement est pris au piège du fait que, d’une part, c’est un oxymore : le numérique ne peut pas être responsable au sens où il n’aurait pas d’impact environnemental, il serait respectueux. Quand on comprend la chaîne de vie de nos objets numérique c’est juste pas possible, en fait ça n’a aucun sens d’y faire croire.<br/>
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Pareil cet oxymore rentre dans un imaginaire plus global : la croissance verte, le développement durable, l’énergie propre, le capitalisme vert et on voit bien, en tout cas d’un point de vue politique, que ces choix se questionnent : aujourd’hui on parle plutôt de post-croissance, voire de décroissance. C’est donc plutôt dans ces angles-là que, pour ma part, je me positionne. Je pense que le terme numérique responsable reste trop flou, reste sur une question de jugement moral – être responsable –, masque le caractère radical. Par ailleurs, quand on parle du numérique et de l’environnement, je trouve souvent qu’on rentre un peu dans l’idée qu’en ayant un numérique responsable, le numérique sera, au contraire, une solution aux problèmes environnementaux et là on revient au problème du solutionnisme technologique que je viens d’évoquer qui, à mon sens, est très dangereux et peut occasionner pas mal d’effets rebonds. Je viens de finir un article sur cette critique du numérique responsable, que je partagerai un peu plus tard dans la semaine, qui revient un peu sur mes arguments là-dessus, encore une fois, l’idée c’est d’ouvrir le débat. C’est pour cela que je propose le numérique acceptable. Je vais y revenir sur l’heure. Je vais aller assez vite.
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Le numérique acceptable c’est déjà l’idée que, finalement le numérique a beaucoup d’impacts, mais , s’il a un certain nombre de bénéfices, on peut estimer qu’on peut l’accepter, on peut accepter ses impacts environnementaux, humains, cette pollution, etc.<br/>
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Comment l’accepter ? C’est un début de proposition d’une grille de lecture.<br/>
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Il faut, <em>a minima</em>, que ce numérique soit émancipateur et non aliénant ; il faut qu’il soit choisi et non subi et il faut qu’il soit soutenable humainement et environnementalement. Soutenable est aussi un terme qui peut dire ce qu’on veut : ça veut dire qu’on accepte qu’on va détruire notre environnement pour avoir des objets numériques, mais la question c’est qu’est-ce qui est soutenable ? Par exemple, est-ce que c’est soutenable d’avoir des smartphones pour tous les humains ou pas ? Est-ce qu’il est soutenable, en revanche, d’avoir des ordinateurs qu’on peut louer ou mutualiser et ce à l’échelle de la planète ? Est-ce que c’est soutenable ? Il y a aura beaucoup de travail, des calculs d’ingénieur, que je ne suis pas, pour savoir, compte-tenu des terres rares qui nous restent, des minerais, de l’énergie, qu’est-ce qui est soutenable.
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==Transformer le numérique à l’échelle individuelle==
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Donc transformer le numérique, il y a certain nombre de tensions sur lesquelles je vais essayer de revenir. Il y a l’éternelle tension entre le geste individuel et le geste collectif, les écogestes et les gestes plus politiques. Je trouve que là-dessus il y a pas mal d’analogies avec la situation environnementale, entre écogestes individuels, et gestes plus collectifs, plus politiques, qui auraient plus d’effet levier.<br/>
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Il y a la question de l’incitation versus la régulation, le fait d’inciter les gens versus passer par la régulation, par la loi.<br/>
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Il y a évidemment les tensions entre le local et le global, sachant que le numérique est évidemment quelque chose d’intrinsèquement global.<br/>
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Il y a les tensions entre l’économie et le politique, l’économie étant aussi beaucoup de lobbies et, en matière de numérique, on sait qu’ils sont très puissants.<br/>
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Si on commence, commençons à l’échelle individuelle. Là on va entrer dans la galaxie des petits gestes. Pour transformer le numérique ça en fait partie d’autant que l’impact environnemental du numérique se fait beaucoup sur nos terminaux et sur nos pratiques plus que sur les infrastructures réseau puisqu’il y a énormément de terminaux numériques en circulation. Donc, de fait, nos actions individuelles ont quand même beaucoup d’impact.
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===Émancipateur et non aliénant===
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Je vais reprendre le triptyque. Si on veut un numérique émancipateur et non aliénant, je pense qu’il faut commencer par développer ce qu’on appelle son hygiène numérique. Je n’étais pas très fan de ce terme au début, je le reconnais, là encore on peut peut-être débattre de ce terme. En fait, en y réfléchissant et en lisant quelques auteurs, je me suis rendu compte qu’en matière de santé publique – là, pareil, s’il y a des experts ou expertes de la santé publique, j’espère que je ne dis pas de bêtises –, ils constatent que ce qui a produit des effets incroyables sur la santé des gens ce n’est pas tant la médecine, mais c’est l’hygiène, c’est le fait d’avoir popularisé des règles d’hygiène de base, de se laver les mains, de mieux manger, de mieux s’alimenter, en fait une hygiène de vie. Du coup, je trouve que le fait de reprendre ça dans l’hygiène numérique, pourquoi pas !
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===Développer son « hygiène numérique »===
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Qu’est-ce que c’est une hygiène numérique du coup ? C’est pareil, c’est un peu reprendre le contrôle sur nos outils. L’hygiène de manière générale, c’est un peu reprendre le contrôle de son corps pour éviter de ne faire confiance qu’à un corps de professionnels que seraient les médecins. L’hygiène numérique c’est pareil, c’est essayer de reprendre un peu de pouvoir sur les experts du numérique que seraient les développeurs, les techniciens, les informaticiens. Comme on dit, le numérique est devenu trop important pour le laisser aux seules mains des informaticiens. Il faut donc reprendre le contrôle.
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Après, la question : comprendre la machine, mais jusqu’où on doit aller ? C‘est vrai qu’utiliser un outil dont on ne comprend même pas les bases, je pense que ça doit nous interroger. Je pense qu’utiliser aujourd’hui ChatGPT sans comprendre les bases de ce que c’est, ce que c’est que ce <em>language learning model</em>, de ce que c’est une « intelligence artificielle », entre guillemets, je pense que ça se questionne, car, si on ne comprend la base de ce qu’est une machine, on n’en est plus du tout le maître, on en est plutôt l’esclave.
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Dans l’hygiène numérique il y a souvent, aussi, la question de maîtriser ses données, faire attention à où vont ses données. C’est pareil, reprendre une sorte de maîtrise un peu intellectuelle, mais aussi concrètement au quotidien : où vont mes données, quelles sont un peu les règles des plateformes sur lesquelles je les héberge et où que je les partage ? Est-ce que je les connais ou pas du tout ?
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Il y a question de chiffrer et sécuriser, notamment quand on a des risques liés à ses activités. Ça peut être le cas quand on est journaliste, militant, quand on travaille dans une entreprise : sécuriser ses informations en fonction de son niveau de risque.
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Enfin il y a la question de la sauvegarde. C’est très intéressant de réfléchir à la sauvegarde de ses données numériques. On a un peu cette chose bizarre avec le numérique : d’un côté on a l’impression que c’est un peu dans les nuages, un peu éthéré, et, en même temps, c’est très physique et c’est très éphémère parce que si vous avez toutes vos données dans un ordinateur sans sauvegarde, vous pouvez tout perdre si vous perdez l’ordinateur. Il y a une question de rapport à la sauvegarde des données que je trouve être passionnante. Il y a même des gens qui vont jusqu’à faire trois sauvegardes, une sur un nuage, une sur un disque dur externe, bref !, ça peut aller assez loin, en se disant sauvegarder ce qui doit l’être et sauvegarder pour qui ? Pour transmettre quoi ? Il y a aussi une question de transmission. On va commencer à arriver à des générations qui vont se transmettre des choses numériques là où les générations de nos grands-parents ne nous transmettaient que des affaires physiques. Comment on transmet les mots de passe. Je trouve qu’il va y avoir un certain nombre de choses très intéressantes.
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Enfin, il y a la question de penser ses besoins et sa résilience. Qu’est-ce que je fais si demain je ne peux plus accéder à des services américains parce que tensions commerciales avec les États-Unis, donc quelle est ma résilience par rapport à cela ? Qu’est-ce qui se passe si demain je suis tagué par un GAFAM qui n’a pas aimé ce que j’ai fait et hop !, je perds mon compte, c’est arrivé à des gens. Je trouve que c’est intéressant et ça fait partie de cette hygiène numérique.
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===(Re)découvrir le logiciel libre===

Version du 21 juillet 2023 à 13:05


Titre : #3 Transformer le numérique

Intervenant : Louis Derrac

Lieu : En ligne - Cycle de conférences

Date : ???

Durée : 1 h 03 min 14

Vidéo

Page de présentation de la conférence

Diaporama support de la présentation

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À prévoir

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

Peut-on encore transformer le numérique, et si oui, avec quelles alternatives numériques ? Comment construire un écosystème numérique en puisant dans le libre et l’open source, dans les communs numériques ? Que signifie un numérique éthique, responsable, inclusif, convivial, durable, sobre, attentif à la vie privée et à la sécurité de ses utilisateurs ?
Dans cette troisième conférence, je vous propose de vous partager ma vision d’un alternumérisme radical. Cette conférence conclusive ouvrira ensuite le cycle de débats qui nous permettra de discuter, de critiquer cette vision et d’en construire une collectivement.

Transcription

Je vous propose qu’on commence parce que, de toute façon c’est le jeu, c’est enregistré, les gens le savent. Comme c’est dense, une fois de plus, même si cette conférence va être un peu particulière, je vous propose qu’on commence.
Bonjour à toutes et à tous.
N’hésitez pas à utiliser le chat pour réagir, c’est toujours possible.

Peut-être juste un mot pour rappeler que ce cycle est un cycle de trois conférences, qui est parti d’une envie personnelle de discuter un peu plus du numérique en tant qu’objet politique, donc de reprendre un peu un triptyque qui est comprendre le numérique pour pouvoir le critiquer et le transformer. Pour moi ce sont les trois étapes qui permettent d’avoir un débat sérieux, que ce soit entre nous, entre amis, entre membres d’une association, entre salariés d’une entreprise et en tant que citoyens et citoyennes bien sûr.
La phrase qui symbolise un peu l’état dans lequel on est, c’est ce moment où effectivement, pour beaucoup trop de gens, le numérique est devenu cette chose magique, qu’il n’y a plus besoin vraiment de comprendre, qu’il n’y a plus besoin vraiment de critiquer, qui est là, qu’on n’a pas vraiment désiré, qu’on n’a pas vraiment choisi. On est un petit peu dans ce moment où, à la fois, la techno-critique est à un état de maturité et, en même temps, on a encore beaucoup de travail pour démonter un certain nombre de mythes autour de cette technologie. Je ne vais pas refaire les deux premières conférences. Dans la première c’était un peu un rattrapage pour comprendre ce qu’est le numérique et, dans la deuxième, un moment de critiques. Là on est sur la troisième. Je rappelle que, sur mon site, une page est dédiée à cette conférence, qu’elle sera alimentée de ressources et des supports de présentation, l’idée c’est que ça vive après, évidemment.

Qui je suis ?

Je suis un acteur indépendant et militant de l’éducation au numérique, donc l’éducation des citoyens et des citoyennes pour comprendre la chose numérique, un peu comme on le fait ici. Je m’intéresse de plus en plus à la question de ce que j’appelle la transformation alternumérique des organisations et plus largement de la société. Ça va être un peu le sens d’aujourd’hui : transformer le numérique c’est aller vers quoi finalement ? C’est aller vers ce que j’appelle un numérique alternatif.

Avertissements

Quelques avertissements comme d’habitude. Cette conférence est un exercice de vulgarisation et non pas d’expertise. D‘ailleurs, je ne me prétends pas expert, vous allez voir qu’on va notamment aborder pas mal de sujets, pas mal d’enjeux, il serait difficile, de toute façon, de prétendre à une expertise de tous ces domaines. En revanche, c’est un exercice d’analyse, on peut donc en discuter, on peut en débattre, c’est d’ailleurs l’objectif. Enfin c’est un propos engagé, je l’ai dit, je suis militant, là encore mes vues sont évidemment biaisées, comme pour chacun d’entre nous, on peut donc aussi débattre de ça. Je ne sais pas si j’ai dit que c’est un cycle en trois conférences. Ce cycle se termine aujourd’hui, mais il va être poursuivi par des débats, le premier sera dans deux semaines pour débattre justement de ce qu’est un numérique acceptable, je vais en reparler aujourd’hui. N’hésitez pas à vous inscrire à ce débat, on sera sur un autre modèle puisque tout le monde pourra participer. On pourra être quatre participants sur scène en même temps, l’idée sera de reprendre le principe des débats ??? [3 min 45], d’être au maximum quatre sur scène, dès que la quatrième personne arrive, la première qui était arrivée s’en va pour qu’on fasse tourne un petit peu la discussion.
Ces trois conférences sont tout public. L’idée, comme je disais, c’est de faire un travail de vulgarisation. On va évidemment voir beaucoup de choses, peut-être que certaines d’entre elles vous seront déjà familières ou peut-être, au contraire, qu’on verra des choses trop techniques, plus poussées que ce que vous auriez voulu voir et qu’on n’aura pas le temps de voir. Il y aura forcément de la frustration, je vous préviens.
Les trois rencontres sont partagées sous licence libre Creative Commons Attribution et Partage à l’identique, c’est rappelé sur mon site. Donc n’hésitez pas à réutiliser ces matériaux, que ce soit le support de présentation, les ressources, ou la vidéo elle-même en rediffusion.
Enfin, elles sont proposées à prix libre, j’y reviendrai, c’est quelque chose que je teste : permettre aux personnes qui ont suivi ces conférences de me soutenir par un don parce que, évidemment, c’est un travail qui a été très important mais absolument bénévole, très important, je le redis maintenant que j’arrive au bout et je n’ai pas encore fini de documenter, je confirme que ça aura été un énorme travail.

Lançons-nous maintenant sur cette troisième conférence : transformer le numérique.

5‘ 02

Conclusion précédente

Je vais rappeler rapidement, notamment pour celles et ceux qui n’étaient pas là, ce qu’avait été la conclusion de la conférence précédente sur la critique du numérique.
On est sur un ensemble de technologies qui sont protéiformes, c’est un des éléments essentiels : il faut toujours rappeler que quand on parle de numérique on parle d’énormément de choses très différentes, c’est donc difficile, d’ailleurs, de critiquer, de débattre de choisir quel numérique sans ensuite détailler de ce dont on parle : est-ce qu’on parle de terminal, d’équipement, de logiciel, d’un service, etc. ? On est donc sur un ensemble de technologies protéiformes, par forcément méga-complexes, en tout cas individuellement, mais dont l’ensemble présente un parcours atypique, donc un certain nombre d’effets sur la société et les humains qui, eux, sont complexes.
La conclusion c’était qu’aujourd’hui cet ensemble de technologies est largement confisqué par ceux qu’on appelle les GAFAM – Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft – ou BATIX, les géants chinois et asiatiques, et plus généralement les Big Tech qui composent ce que j’appelle un numérique dominant et largement toxique.
Elles sont aussi confisquées de plus en plus par des gouvernements technocratiques dans le sens où une « dématérialisation », entre guillemets, est en œuvre. Une modernisation, une simplification, une numérisation – il y a plusieurs termes – de la société sont mises en place par des personnes, des experts, des technocrates, des technologues, etc., mais qui se fait sans suffisamment, en tout cas à mon sens, de débats et de discussions citoyennes.
La conclusion c’est que le problème ce n’est pas le numérique – le numérique ça ne veut pas dire grand-chose –, en revanche le problème c’est une absence criante de démocratie technique, on y reviendra. On est face à un numérique, à un ensemble de choses, de plateformes numériques largement dominantes et toxiques et c’est largement inacceptable, une sorte d’absence de limites actuellement, même si on commence à parler de numérique responsable, et j’y reviens, et on est toujours face à un très gros solutionnisme technologique dans le sens où on se dit que les problèmes que peuvent poser certaines technologies numériques, même, de manière générale, les problèmes auxquels on fait face en tant qu’êtres humains, vont être résolus par des solutions numériques et technologiques. Ce mythe, cette croyance est tenace.

Il y a deux niveaux de critique et de débat, je l’avais dit il y a deux semaines : un premier niveau où on pourrait débattre de transformer le numérique en étant un peu déconnecté et philosophe, en ignorant les limites économiques, environnementales et sociales qui s’imposent à nous. Il y a un second niveau, et c’est celui sur lequel je vais être aujourd’hui, plus réaliste et politique puisqu’il s’avère que nous sommes dans un état d’urgence environnemental et social, je lisais encore à l’instant un article du Monde sur le fait qu’on commence à se planifier pour des hausses de température de plus 4 degrés en France et que ça impose un grand débat démocratique, on est en plein dedans. C’est pareil pour le numérique qui joue là-dedans et qui va devoir suivre, en fait, et bénéficier du même genre de débat, il me semble.

Enfin, il y avait un peu la critique d’un terme que je vais reprendre ici, le terme « numérique responsable » qui, je pense, a fait son temps, a été très utile pour commencer à sensibiliser aux impacts du numérique, mais qui, aujourd’hui, malheureusement sémantiquement est pris au piège du fait que, d’une part, c’est un oxymore : le numérique ne peut pas être responsable au sens où il n’aurait pas d’impact environnemental, il serait respectueux. Quand on comprend la chaîne de vie de nos objets numérique c’est juste pas possible, en fait ça n’a aucun sens d’y faire croire.
Pareil cet oxymore rentre dans un imaginaire plus global : la croissance verte, le développement durable, l’énergie propre, le capitalisme vert et on voit bien, en tout cas d’un point de vue politique, que ces choix se questionnent : aujourd’hui on parle plutôt de post-croissance, voire de décroissance. C’est donc plutôt dans ces angles-là que, pour ma part, je me positionne. Je pense que le terme numérique responsable reste trop flou, reste sur une question de jugement moral – être responsable –, masque le caractère radical. Par ailleurs, quand on parle du numérique et de l’environnement, je trouve souvent qu’on rentre un peu dans l’idée qu’en ayant un numérique responsable, le numérique sera, au contraire, une solution aux problèmes environnementaux et là on revient au problème du solutionnisme technologique que je viens d’évoquer qui, à mon sens, est très dangereux et peut occasionner pas mal d’effets rebonds. Je viens de finir un article sur cette critique du numérique responsable, que je partagerai un peu plus tard dans la semaine, qui revient un peu sur mes arguments là-dessus, encore une fois, l’idée c’est d’ouvrir le débat. C’est pour cela que je propose le numérique acceptable. Je vais y revenir sur l’heure. Je vais aller assez vite.

Le numérique acceptable c’est déjà l’idée que, finalement le numérique a beaucoup d’impacts, mais , s’il a un certain nombre de bénéfices, on peut estimer qu’on peut l’accepter, on peut accepter ses impacts environnementaux, humains, cette pollution, etc.
Comment l’accepter ? C’est un début de proposition d’une grille de lecture.
Il faut, a minima, que ce numérique soit émancipateur et non aliénant ; il faut qu’il soit choisi et non subi et il faut qu’il soit soutenable humainement et environnementalement. Soutenable est aussi un terme qui peut dire ce qu’on veut : ça veut dire qu’on accepte qu’on va détruire notre environnement pour avoir des objets numériques, mais la question c’est qu’est-ce qui est soutenable ? Par exemple, est-ce que c’est soutenable d’avoir des smartphones pour tous les humains ou pas ? Est-ce qu’il est soutenable, en revanche, d’avoir des ordinateurs qu’on peut louer ou mutualiser et ce à l’échelle de la planète ? Est-ce que c’est soutenable ? Il y a aura beaucoup de travail, des calculs d’ingénieur, que je ne suis pas, pour savoir, compte-tenu des terres rares qui nous restent, des minerais, de l’énergie, qu’est-ce qui est soutenable.

Transformer le numérique à l’échelle individuelle

Donc transformer le numérique, il y a certain nombre de tensions sur lesquelles je vais essayer de revenir. Il y a l’éternelle tension entre le geste individuel et le geste collectif, les écogestes et les gestes plus politiques. Je trouve que là-dessus il y a pas mal d’analogies avec la situation environnementale, entre écogestes individuels, et gestes plus collectifs, plus politiques, qui auraient plus d’effet levier.
Il y a la question de l’incitation versus la régulation, le fait d’inciter les gens versus passer par la régulation, par la loi.
Il y a évidemment les tensions entre le local et le global, sachant que le numérique est évidemment quelque chose d’intrinsèquement global.
Il y a les tensions entre l’économie et le politique, l’économie étant aussi beaucoup de lobbies et, en matière de numérique, on sait qu’ils sont très puissants.

Si on commence, commençons à l’échelle individuelle. Là on va entrer dans la galaxie des petits gestes. Pour transformer le numérique ça en fait partie d’autant que l’impact environnemental du numérique se fait beaucoup sur nos terminaux et sur nos pratiques plus que sur les infrastructures réseau puisqu’il y a énormément de terminaux numériques en circulation. Donc, de fait, nos actions individuelles ont quand même beaucoup d’impact.

Émancipateur et non aliénant

Je vais reprendre le triptyque. Si on veut un numérique émancipateur et non aliénant, je pense qu’il faut commencer par développer ce qu’on appelle son hygiène numérique. Je n’étais pas très fan de ce terme au début, je le reconnais, là encore on peut peut-être débattre de ce terme. En fait, en y réfléchissant et en lisant quelques auteurs, je me suis rendu compte qu’en matière de santé publique – là, pareil, s’il y a des experts ou expertes de la santé publique, j’espère que je ne dis pas de bêtises –, ils constatent que ce qui a produit des effets incroyables sur la santé des gens ce n’est pas tant la médecine, mais c’est l’hygiène, c’est le fait d’avoir popularisé des règles d’hygiène de base, de se laver les mains, de mieux manger, de mieux s’alimenter, en fait une hygiène de vie. Du coup, je trouve que le fait de reprendre ça dans l’hygiène numérique, pourquoi pas !

Développer son « hygiène numérique »

Qu’est-ce que c’est une hygiène numérique du coup ? C’est pareil, c’est un peu reprendre le contrôle sur nos outils. L’hygiène de manière générale, c’est un peu reprendre le contrôle de son corps pour éviter de ne faire confiance qu’à un corps de professionnels que seraient les médecins. L’hygiène numérique c’est pareil, c’est essayer de reprendre un peu de pouvoir sur les experts du numérique que seraient les développeurs, les techniciens, les informaticiens. Comme on dit, le numérique est devenu trop important pour le laisser aux seules mains des informaticiens. Il faut donc reprendre le contrôle.

Après, la question : comprendre la machine, mais jusqu’où on doit aller ? C‘est vrai qu’utiliser un outil dont on ne comprend même pas les bases, je pense que ça doit nous interroger. Je pense qu’utiliser aujourd’hui ChatGPT sans comprendre les bases de ce que c’est, ce que c’est que ce language learning model, de ce que c’est une « intelligence artificielle », entre guillemets, je pense que ça se questionne, car, si on ne comprend la base de ce qu’est une machine, on n’en est plus du tout le maître, on en est plutôt l’esclave.

Dans l’hygiène numérique il y a souvent, aussi, la question de maîtriser ses données, faire attention à où vont ses données. C’est pareil, reprendre une sorte de maîtrise un peu intellectuelle, mais aussi concrètement au quotidien : où vont mes données, quelles sont un peu les règles des plateformes sur lesquelles je les héberge et où que je les partage ? Est-ce que je les connais ou pas du tout ?

Il y a question de chiffrer et sécuriser, notamment quand on a des risques liés à ses activités. Ça peut être le cas quand on est journaliste, militant, quand on travaille dans une entreprise : sécuriser ses informations en fonction de son niveau de risque.

Enfin il y a la question de la sauvegarde. C’est très intéressant de réfléchir à la sauvegarde de ses données numériques. On a un peu cette chose bizarre avec le numérique : d’un côté on a l’impression que c’est un peu dans les nuages, un peu éthéré, et, en même temps, c’est très physique et c’est très éphémère parce que si vous avez toutes vos données dans un ordinateur sans sauvegarde, vous pouvez tout perdre si vous perdez l’ordinateur. Il y a une question de rapport à la sauvegarde des données que je trouve être passionnante. Il y a même des gens qui vont jusqu’à faire trois sauvegardes, une sur un nuage, une sur un disque dur externe, bref !, ça peut aller assez loin, en se disant sauvegarder ce qui doit l’être et sauvegarder pour qui ? Pour transmettre quoi ? Il y a aussi une question de transmission. On va commencer à arriver à des générations qui vont se transmettre des choses numériques là où les générations de nos grands-parents ne nous transmettaient que des affaires physiques. Comment on transmet les mots de passe. Je trouve qu’il va y avoir un certain nombre de choses très intéressantes.

Enfin, il y a la question de penser ses besoins et sa résilience. Qu’est-ce que je fais si demain je ne peux plus accéder à des services américains parce que tensions commerciales avec les États-Unis, donc quelle est ma résilience par rapport à cela ? Qu’est-ce qui se passe si demain je suis tagué par un GAFAM qui n’a pas aimé ce que j’ai fait et hop !, je perds mon compte, c’est arrivé à des gens. Je trouve que c’est intéressant et ça fait partie de cette hygiène numérique.

16’ 33

(Re)découvrir le logiciel libre