Différences entre les versions de « Table ronde : l’Open Source comme levier de souveraineté numérique - Paris Open Source Summit »

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<b>Frédéric Simottel : </b>On va parler maintenant de souveraineté, vous savez c’est un mot qui est très employé aujourd’hui à l’international et même en France ; on va le voir avec nos invités ; je vous remercie de les accueillir. Je vais les inviter à me rejoindre sur scène : Paula Forteza, Véronique Torner, Bernard Duverneuil, Vincent Strubel, Henri Verdier et Jean-Noël de Galzain. Vous êtes les bienvenus sur scène. On peut les applaudir. Henri va être sur le canapé ou sur le fauteuil voilà allez-y, on est bien tous ensemble.<br/>
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Dans l’ordre d’apparition sur scène : Bernard Duverneuil qui est président du Cigref et aussi DSI du groupe Essilor. Bonjour Bernard, merci d’être avec nous. Véronique Torner qui est administratrice de Syntec Numérique et coprésidente d’Alter Way, Véronique bonjour. Paula Forteza vous êtes députée, rapporteure du groupe de travail sur la démocratie numérique et les nouvelles formes de participation citoyenne à l’Assemblée nationale, bonjour. Vous avez aussi dirigé Etalab.
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<b>Paula Forteza : </b>Inaudible.
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<b>Frédéric Simottel : </b>Ce n’était pas vous, c’est Henri.
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<b>Paula Forteza : </b>J’ai travaillé à Etalab.
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<b>Frédéric Simottel : </b>Vous avez travaillé à Etalab. N’oubliez pas de prendre les micros. Henri Verdier, ambassadeur pour le numérique et puis ancien patron, c’est encore tout récent, de la DINSIC et justement on verra un peu toutes ces histoires de plateformes de l’État, vous allez comprendre tout cela avec nous. À vos côtés Jean-Noël de Galzain, vice-président du Pôle Systematic Paris-Région et CEO [<em>Chief Executive Officer</em>] de Wallix, bonjour Jean-Noël. Et puis à ma droite Vincent Strubel, sous-directeur expertise de l’ANSSI [Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information]. Merci à tous d’être avec nous.<br/>
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Ce mot souveraineté, je vous l’ai dit, il apparaît dans beaucoup de discours. Je ne vais pas vous faire Donald Trump : « Ce qui nous protège c’est notre souveraineté, l’exercice souverain de nos forces au service du progrès. C’est ça l’indépendance des nations ». Emmanuel Macron y va aussi de son couplet là-dessus. Si on devait définir un peu cette souveraineté numérique, Paula Forteza, s’il fallait donner une définition de ce mot « souveraineté numérique ».
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<b>Paula Forteza : </b>J’aime bien prendre le mot « souveraineté » pas en termes régaliens, mais en termes de ce qu’on peut voir dans notre Constitution. Dans notre Constitution, à l’article 3, on définit la souveraineté comme appartenant au peuple. Donc pour moi la souveraineté c’est vraiment la maîtrise par les individus eux-mêmes du numérique, de leurs outils. Je crois qu’il faut remettre le citoyen au cœur de la souveraineté et que, dans ce sens-là, l’<em>open source</em> a toute sa place parce que ça permet justement de maîtriser les usages, de collaborer ; ça permet plus de transparence. Déjà, à partir de la protection des données personnelles, on commence à voir cette définition de la souveraineté numérique en termes individuels avec cette idée d’autodétermination informationnelle et ça commence à pénétrer les esprits petit à petit.
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<b>Frédéric Simottel : </b>Véronique, un mot sur la souveraineté.
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<b>Véronique Torner : </b>Du coup moi je vais prendre la position en tant qu’entrepreneur. Je pense que la souveraineté, pour une entreprise, c’est maîtriser sa trajectoire. Maîtriser sa trajectoire c’est porter une vision, être capable de se donner les moyens de cette vision, et puis également dans les moyens c’est de toujours avoir le choix. Nous chez Alter Way on a fait le choix de l’<em>open source</em> pour tous les atouts que représente l’<em>open source</em> que ce soit l’innovation, la collaboration, les domaines éthiques aussi qui sont importants à nos yeux et ça pour nous-mêmes mais également pour nos clients.
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<b>Frédéric Simottel : </b>Bernard pour le côté entreprise, le Cigref que vous représentez, 140 grandes entreprises qui débattent, qui sortent des rapports sur le numérique et notamment le dernier rapport qui a été présenté hier soir par Stéphane Rousseau autour de l’<em>open source</em> dans l’entreprise.
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<b>Bernard Duverneuil : </b>Absolument. L’<em>open source</em> aide à l’indépendance. La souveraineté, pour nous, c’est une définition un peu ouverte, mais c’est être maître de son destin, c’est être indépendant. L’<em>open source</em> peut nous y aider, on y reviendra, mais c’est maîtriser nos choix, maîtriser les solutions qu’on acquiert dans les entreprises, être capable de les supporter, de les faire évoluer à sa guise et ne pas être dépendant de fournisseurs ou d’un écosystème beaucoup plus restrictif.
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<b>Frédéric Simottel : </b>Vincent, vous êtes de l’ANSSI, donc quand on parle souveraineté, on va relier ça avec la cybersécurité. Vous, selon votre prisme, quelle est votre définition de la souveraineté ?
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<b>Vincent Strubel : </b>Par définition moi j’aurais une orientation très centrée sur la sécurité et sur le volet régalien de ce qui est entendu par l’article 3 de la Constitution. Pour nous la souveraineté c’est la capacité d’avoir les moyens de sécuriser, ou d’apporter les garanties de sécurité nécessaire à l’exercice de cette souveraineté ; ça passe par la maîtrise de solutions, évidemment, et l’<em>open source</em>est une des voies pour faire ça.
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<b>Frédéric Simottel : </b>Henri, autour de cette souveraineté justement, est-ce qu’on peut être innovant aujourd’hui sans passer par les GAFA et sans avoir ce côté souveraineté un peu mis à mal ?
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<b>Henri Verdier : </b>On a déjà dit beaucoup de choses effectivement la souveraineté c’est être son propre souverain donc ne pas plier le genou devant un autre. Pour moi et pour beaucoup d’informaticiens ça devrait être la capacité, le maximum de capacité d’agir. Ce qui m’a souvent frappé c’est que parfois un patron de PME a une vision de souveraineté plus précise et plus spontanée que quelques certains hauts fonctionnaires, c’est-à-dire si je suis dans une dépendance totale, si je ne peux pas ouvrir mon code, corriger un bug, comprendre si j’ai une <em>backdoor</em>, eh bien j’ai perdu beaucoup de degrés de liberté. Et puis Paula l’a rappelé, on a une démocratie donc celui qui est souverain c’est le peuple et la souveraineté de l’État c’est pour protéger l’autonomie du sujet, sa liberté d’information, d’action, d’entreprendre pour chaque citoyen.<br/>
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Effectivement, pour arriver à la question de l’<em>open source</em>, moi je crois qu’une des choses que nous devons regarder en face c’est que nous sommes entrés dans une monde dans une économie plateformisée, dans laquelle il est extrêmement difficile d’innover sans s’appuyer sur ces grandes plateformes et je pense que la plupart des innovateurs qui sont dans cette salle, précisément peut-être pas dans cette salle, mais en général dans l’État ou dans les entreprises, si vous faites un produit génial, probablement que vous avez signé des conditions générales d’utilisation avec Apple ou avec Google Play, probablement avec PayPal, avec Google Maps, avec Facebook Connect, et vous vous êtes installé dans une sorte de dépendance qui n’est pas toujours dramatique mais qui est une véritable dépendance. On a pu voir cet été des API dont le coût a été multiplié par 140 sur décision unilatérale.
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<b>Frédéric Simottel : </b>Google Maps.
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<b>Henri Verdier : </b>On vient de voir ce matin que les Anglais dévoilent des <em>fails</em> qui montrent que Facebook avait un certain nombre d’accords avec certains fournisseurs et pas d’autres et c’était organisé pour écouter les conversations téléphoniques pour vous proposer des amis plus précis en regardant votre répertoire. Tout ça, si on ne le sait pas, si on ne l’opère pas, si on ne le tient pas, eh bien on est moins souverain.
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<b>Frédéric Simottel : </b>Jean-Noël, souveraineté. Est-ce que cette souveraineté de l’angle soit Systematic soit Wallix. On a eu tout à l’heure cette vidéo Red Hat, c’est quand même l’une des grosses actualités de ces derniers jours. Est-ce que là ça met à mal cette idée de souveraineté ce rapprochement ou, au contraire, ça peut permettre d’étendre un peu plus cette culture <em>open source</em> ?
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<b>Jean-Noël de Galzain : </b>Oui. Je pense que ça ne fait que montrer une étape supplémentaire où aujourd’hui l’<em>open source</em> rencontre un leader de l’industrie ou les leaders de l’industrie et ça montre aussi que les questions de souveraineté et d’<em>open source</em> ne sont peut-être pas le lien le plus évident qu’on peut faire. Je parlerais plutôt de liberté et d’<em>open source</em>. Pour ça je me souviens, il y a quelques années, il se trouve que quand on a lancé à l’époque l’Open World Forum qui était le prédécesseur du POSS, justement, on parlait beaucoup de logiciel libre, d’<em>open source</em>. Et en fait la quintessence de l’<em>open source</em> c’est le logiciel libre et au fond le logiciel libre c’est ménager des espaces de liberté, comme l’a très bien dit Henri, dans un monde où l’IT [<em>Information Technology</em>] a énormément changé et de quelque chose qui touchait l’informatique de gestion c’est devenu quelque chose d’universel. Dans cet environnement numérique universel, il faut préserver ses espaces de liberté qui permettent l’innovation, la disruption et qui permettent par exemple, comme l’a dit Véronique, à des entrepreneurs de changer l’ordre des choses.<br/>
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En revanche, là où il ne faut pas être naïf, c’est que le monde a également beaucoup changé c’est-à-dire que l’IT est devenu industrielle, les entreprises n’ont pas exactement les mêmes attentes qu’un développeur individuel ou qu’un groupe de développeurs qui développent soit pour eux soit pour inventer quelque chose, donc il faut sans doute travailler sur la notion de souveraineté en ce sens qu’il faut permettre de conserver ces espaces de liberté. Donc il faut défendre à tout prix le logiciel libre, l’approche du logiciel libre, au même titre que ne pas mélanger ces questions de souveraineté et de liberté.
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<b>Frédéric Simottel : </b>Mais là, avec Red Hat IBM, l’innovation, l’infrastructure, le cloud ?
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<b>Jean-Noël de Galzain : </b>Red Hat IBM c’est l’innovation. C’est-à-dire qu’aujourd’hui les GAFAM ont effectivement porté la bataille sur le cloud. Il y a énormément de progrès, on voit bien que l’informatique va aller dans le nuage pour une grande partie et c’est pour faire un saut quantique, on va dire, sur les technologies du cloud face à Amazon, face à Google, face aux nouveaux concurrents de l’informatique. Le monde a changé, ce n’est plus forcément les fabricants de matériel ou seulement les fabricants de logiciels, c’est une nouvelle <em>appliance</em> dans laquelle on retrouve l’infrastructure, le logiciel et évidemment la communauté de développeurs qui est prête à l’utiliser pour créer des nouvelles applications. Donc c’est effectivement un saut dans l’innovation et le logiciel libre restera libre, existera toujours.
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<b>Frédéric Simottel : </b>Bernard, du côté des entreprises, on regarde comment ce type de rapprochement, les Microsoft GitHub, les Red Hat IBM ?
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<b>Vincent Strubel : </b>Les grandes entreprises donc le Cigref mais aussi les administrations sont extrêmement vigilantes sur les rachats par ces grands du logiciel de structures qui étaient initialement extrêmement innovantes parce qu’on a pu constater, par le passé, que ces grands éditeurs avaient tendance <em>in fine</em> à tuer l’innovation ou en tout cas cette innovation-là, donc on est assez vigilants. On est inquiets sur le fait que ces grands éditeurs puissent, aujourd’hui, continuer à laisser l’innovation se développer au sein de ces structures-là. Donc pour l’instant on est vigilants, bien évidemment, mais il ne nous semble pas que la concentration soit facteur d’innovation.
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<b>Frédéric Simottel : </b>Henri Verdier, souveraineté, on pense souveraineté nationale, on pense souveraineté aussi européenne, est-ce qu’il y a une contradiction dans l’univers évidemment dans lequel nous sommes autour de l’<em>open source</em> et des technologies ?
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==11’ 13==
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<b>Henri Verdier : </b>Non, pas du tout.

Version du 30 décembre 2018 à 10:36


Titre : Table ronde : l’Open Source comme levier de souveraineté numérique

Intervenants : Paula Forteza - Véronique Torner - Bernard Duverneuil - Vincent Strubel - Henri Verdier - Jean-Noël de GALZAIN - Frédéric Simottel

Lieu : Paris Open Source Summit

Date : décembre 2018

Durée : 49 min

Visionner la table ronde

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration :

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Statut : Transcrit MO

Transcription

Frédéric Simottel : On va parler maintenant de souveraineté, vous savez c’est un mot qui est très employé aujourd’hui à l’international et même en France ; on va le voir avec nos invités ; je vous remercie de les accueillir. Je vais les inviter à me rejoindre sur scène : Paula Forteza, Véronique Torner, Bernard Duverneuil, Vincent Strubel, Henri Verdier et Jean-Noël de Galzain. Vous êtes les bienvenus sur scène. On peut les applaudir. Henri va être sur le canapé ou sur le fauteuil voilà allez-y, on est bien tous ensemble.
Dans l’ordre d’apparition sur scène : Bernard Duverneuil qui est président du Cigref et aussi DSI du groupe Essilor. Bonjour Bernard, merci d’être avec nous. Véronique Torner qui est administratrice de Syntec Numérique et coprésidente d’Alter Way, Véronique bonjour. Paula Forteza vous êtes députée, rapporteure du groupe de travail sur la démocratie numérique et les nouvelles formes de participation citoyenne à l’Assemblée nationale, bonjour. Vous avez aussi dirigé Etalab.

Paula Forteza : Inaudible.

Frédéric Simottel : Ce n’était pas vous, c’est Henri.

Paula Forteza : J’ai travaillé à Etalab.

Frédéric Simottel : Vous avez travaillé à Etalab. N’oubliez pas de prendre les micros. Henri Verdier, ambassadeur pour le numérique et puis ancien patron, c’est encore tout récent, de la DINSIC et justement on verra un peu toutes ces histoires de plateformes de l’État, vous allez comprendre tout cela avec nous. À vos côtés Jean-Noël de Galzain, vice-président du Pôle Systematic Paris-Région et CEO [Chief Executive Officer] de Wallix, bonjour Jean-Noël. Et puis à ma droite Vincent Strubel, sous-directeur expertise de l’ANSSI [Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information]. Merci à tous d’être avec nous.
Ce mot souveraineté, je vous l’ai dit, il apparaît dans beaucoup de discours. Je ne vais pas vous faire Donald Trump : « Ce qui nous protège c’est notre souveraineté, l’exercice souverain de nos forces au service du progrès. C’est ça l’indépendance des nations ». Emmanuel Macron y va aussi de son couplet là-dessus. Si on devait définir un peu cette souveraineté numérique, Paula Forteza, s’il fallait donner une définition de ce mot « souveraineté numérique ».

Paula Forteza : J’aime bien prendre le mot « souveraineté » pas en termes régaliens, mais en termes de ce qu’on peut voir dans notre Constitution. Dans notre Constitution, à l’article 3, on définit la souveraineté comme appartenant au peuple. Donc pour moi la souveraineté c’est vraiment la maîtrise par les individus eux-mêmes du numérique, de leurs outils. Je crois qu’il faut remettre le citoyen au cœur de la souveraineté et que, dans ce sens-là, l’open source a toute sa place parce que ça permet justement de maîtriser les usages, de collaborer ; ça permet plus de transparence. Déjà, à partir de la protection des données personnelles, on commence à voir cette définition de la souveraineté numérique en termes individuels avec cette idée d’autodétermination informationnelle et ça commence à pénétrer les esprits petit à petit.

Frédéric Simottel : Véronique, un mot sur la souveraineté.

Véronique Torner : Du coup moi je vais prendre la position en tant qu’entrepreneur. Je pense que la souveraineté, pour une entreprise, c’est maîtriser sa trajectoire. Maîtriser sa trajectoire c’est porter une vision, être capable de se donner les moyens de cette vision, et puis également dans les moyens c’est de toujours avoir le choix. Nous chez Alter Way on a fait le choix de l’open source pour tous les atouts que représente l’open source que ce soit l’innovation, la collaboration, les domaines éthiques aussi qui sont importants à nos yeux et ça pour nous-mêmes mais également pour nos clients.

Frédéric Simottel : Bernard pour le côté entreprise, le Cigref que vous représentez, 140 grandes entreprises qui débattent, qui sortent des rapports sur le numérique et notamment le dernier rapport qui a été présenté hier soir par Stéphane Rousseau autour de l’open source dans l’entreprise.

Bernard Duverneuil : Absolument. L’open source aide à l’indépendance. La souveraineté, pour nous, c’est une définition un peu ouverte, mais c’est être maître de son destin, c’est être indépendant. L’open source peut nous y aider, on y reviendra, mais c’est maîtriser nos choix, maîtriser les solutions qu’on acquiert dans les entreprises, être capable de les supporter, de les faire évoluer à sa guise et ne pas être dépendant de fournisseurs ou d’un écosystème beaucoup plus restrictif.

Frédéric Simottel : Vincent, vous êtes de l’ANSSI, donc quand on parle souveraineté, on va relier ça avec la cybersécurité. Vous, selon votre prisme, quelle est votre définition de la souveraineté ?

Vincent Strubel : Par définition moi j’aurais une orientation très centrée sur la sécurité et sur le volet régalien de ce qui est entendu par l’article 3 de la Constitution. Pour nous la souveraineté c’est la capacité d’avoir les moyens de sécuriser, ou d’apporter les garanties de sécurité nécessaire à l’exercice de cette souveraineté ; ça passe par la maîtrise de solutions, évidemment, et l’open sourceest une des voies pour faire ça.

Frédéric Simottel : Henri, autour de cette souveraineté justement, est-ce qu’on peut être innovant aujourd’hui sans passer par les GAFA et sans avoir ce côté souveraineté un peu mis à mal ?

Henri Verdier : On a déjà dit beaucoup de choses effectivement la souveraineté c’est être son propre souverain donc ne pas plier le genou devant un autre. Pour moi et pour beaucoup d’informaticiens ça devrait être la capacité, le maximum de capacité d’agir. Ce qui m’a souvent frappé c’est que parfois un patron de PME a une vision de souveraineté plus précise et plus spontanée que quelques certains hauts fonctionnaires, c’est-à-dire si je suis dans une dépendance totale, si je ne peux pas ouvrir mon code, corriger un bug, comprendre si j’ai une backdoor, eh bien j’ai perdu beaucoup de degrés de liberté. Et puis Paula l’a rappelé, on a une démocratie donc celui qui est souverain c’est le peuple et la souveraineté de l’État c’est pour protéger l’autonomie du sujet, sa liberté d’information, d’action, d’entreprendre pour chaque citoyen.
Effectivement, pour arriver à la question de l’open source, moi je crois qu’une des choses que nous devons regarder en face c’est que nous sommes entrés dans une monde dans une économie plateformisée, dans laquelle il est extrêmement difficile d’innover sans s’appuyer sur ces grandes plateformes et je pense que la plupart des innovateurs qui sont dans cette salle, précisément peut-être pas dans cette salle, mais en général dans l’État ou dans les entreprises, si vous faites un produit génial, probablement que vous avez signé des conditions générales d’utilisation avec Apple ou avec Google Play, probablement avec PayPal, avec Google Maps, avec Facebook Connect, et vous vous êtes installé dans une sorte de dépendance qui n’est pas toujours dramatique mais qui est une véritable dépendance. On a pu voir cet été des API dont le coût a été multiplié par 140 sur décision unilatérale.

Frédéric Simottel : Google Maps.

Henri Verdier : On vient de voir ce matin que les Anglais dévoilent des fails qui montrent que Facebook avait un certain nombre d’accords avec certains fournisseurs et pas d’autres et c’était organisé pour écouter les conversations téléphoniques pour vous proposer des amis plus précis en regardant votre répertoire. Tout ça, si on ne le sait pas, si on ne l’opère pas, si on ne le tient pas, eh bien on est moins souverain.

Frédéric Simottel : Jean-Noël, souveraineté. Est-ce que cette souveraineté de l’angle soit Systematic soit Wallix. On a eu tout à l’heure cette vidéo Red Hat, c’est quand même l’une des grosses actualités de ces derniers jours. Est-ce que là ça met à mal cette idée de souveraineté ce rapprochement ou, au contraire, ça peut permettre d’étendre un peu plus cette culture open source ?

Jean-Noël de Galzain : Oui. Je pense que ça ne fait que montrer une étape supplémentaire où aujourd’hui l’open source rencontre un leader de l’industrie ou les leaders de l’industrie et ça montre aussi que les questions de souveraineté et d’open source ne sont peut-être pas le lien le plus évident qu’on peut faire. Je parlerais plutôt de liberté et d’open source. Pour ça je me souviens, il y a quelques années, il se trouve que quand on a lancé à l’époque l’Open World Forum qui était le prédécesseur du POSS, justement, on parlait beaucoup de logiciel libre, d’open source. Et en fait la quintessence de l’open source c’est le logiciel libre et au fond le logiciel libre c’est ménager des espaces de liberté, comme l’a très bien dit Henri, dans un monde où l’IT [Information Technology] a énormément changé et de quelque chose qui touchait l’informatique de gestion c’est devenu quelque chose d’universel. Dans cet environnement numérique universel, il faut préserver ses espaces de liberté qui permettent l’innovation, la disruption et qui permettent par exemple, comme l’a dit Véronique, à des entrepreneurs de changer l’ordre des choses.
En revanche, là où il ne faut pas être naïf, c’est que le monde a également beaucoup changé c’est-à-dire que l’IT est devenu industrielle, les entreprises n’ont pas exactement les mêmes attentes qu’un développeur individuel ou qu’un groupe de développeurs qui développent soit pour eux soit pour inventer quelque chose, donc il faut sans doute travailler sur la notion de souveraineté en ce sens qu’il faut permettre de conserver ces espaces de liberté. Donc il faut défendre à tout prix le logiciel libre, l’approche du logiciel libre, au même titre que ne pas mélanger ces questions de souveraineté et de liberté.

Frédéric Simottel : Mais là, avec Red Hat IBM, l’innovation, l’infrastructure, le cloud ?

Jean-Noël de Galzain : Red Hat IBM c’est l’innovation. C’est-à-dire qu’aujourd’hui les GAFAM ont effectivement porté la bataille sur le cloud. Il y a énormément de progrès, on voit bien que l’informatique va aller dans le nuage pour une grande partie et c’est pour faire un saut quantique, on va dire, sur les technologies du cloud face à Amazon, face à Google, face aux nouveaux concurrents de l’informatique. Le monde a changé, ce n’est plus forcément les fabricants de matériel ou seulement les fabricants de logiciels, c’est une nouvelle appliance dans laquelle on retrouve l’infrastructure, le logiciel et évidemment la communauté de développeurs qui est prête à l’utiliser pour créer des nouvelles applications. Donc c’est effectivement un saut dans l’innovation et le logiciel libre restera libre, existera toujours.

Frédéric Simottel : Bernard, du côté des entreprises, on regarde comment ce type de rapprochement, les Microsoft GitHub, les Red Hat IBM ?

Vincent Strubel : Les grandes entreprises donc le Cigref mais aussi les administrations sont extrêmement vigilantes sur les rachats par ces grands du logiciel de structures qui étaient initialement extrêmement innovantes parce qu’on a pu constater, par le passé, que ces grands éditeurs avaient tendance in fine à tuer l’innovation ou en tout cas cette innovation-là, donc on est assez vigilants. On est inquiets sur le fait que ces grands éditeurs puissent, aujourd’hui, continuer à laisser l’innovation se développer au sein de ces structures-là. Donc pour l’instant on est vigilants, bien évidemment, mais il ne nous semble pas que la concentration soit facteur d’innovation.

Frédéric Simottel : Henri Verdier, souveraineté, on pense souveraineté nationale, on pense souveraineté aussi européenne, est-ce qu’il y a une contradiction dans l’univers évidemment dans lequel nous sommes autour de l’open source et des technologies ?

11’ 13

Henri Verdier : Non, pas du tout.