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'''Titre :''' Les petits secrets de la redevance copie privée
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Publié [https://www.april.org/petits-secrets-de-la-redevance-copie-privee-marc-rees ici] - Mai 2018
 
 
'''Intervenant :''' Marc Rees, Next INpact
 
 
 
'''Lieu :'''  Toulouse Hacker Space Factory
 
 
 
'''Date :''' Mai 2017
 
 
 
'''Durée :''' 59 min 44
 
 
 
'''[https://thsf.tetalab.org/2017/ Visionner la vidéo]'''
 
 
 
'''Licence de la transcription :''' [http://www.gnu.org/licenses/licenses.html#VerbatimCopying Verbatim]
 
 
 
'''Statut :''' Transcrit MO
 
 
 
==Description==
 
 
 
230 millions d'euros prélevés chaque année en France sur les supports vierges d'enregistrement et depuis peu, sur certains services clouds. Ce joli filon pourrait concerner demain l'univers de l'impression 3D. Découvrez les rouages de ce mécanisme si précieux pour les sociétés de gestion collective.
 
 
 
 
 
==Transcription==
 
 
 
NB : il n'y a pas de son pendant les six premières minutes, cependant il y a une interprétation LSF. On recherche une personne susceptible de traduire en français.
 
 
 
==05’ 30==
 
 
 
d’abord à demander l’autorisation de Pascal Nègre lorsqu’il était aux manettes et en échange de quoi ils payent une petite compensation lors de l’achat de supports vierges. C’est bon pour tout le monde ?
 
 
 
Quand on parle de redevance, eh bien il y a forcément des barèmes. Lorsqu’on vous dit qu’il y a des barèmes, eh bien ces barèmes sont extrêmement compliqués, parce qu’ils diffèrent selon les supports : vous avez des barèmes qui sont propres aux disques durs, aux clefs USB, aux tablettes, etc. Et le calcul même de la redevance pour chacun de ces barèmes est propre aussi à chaque support. On a des calculs par taux, on a des calculs par frais fixes, on a des calculs par giga, par seconde, par minute, par heure, etc. Et quand vous regardez le barème que vous trouvez sur le site du ministère de la Culture, celui-ci fait six pages. Il y a six pages de données, comme ça, qui vous détaillent un petit peu ce que vous, vous allez payer lorsque vous allez acheter des supports vierges. Et cette notion de six pages, gardez-la en mémoire parce que je vais y revenir après. Ça va être assez intéressant.
 
 
 
Le résultat c’est quoi ? C’est qu’en 90 la redevance copie privée permettait aux bénéficiaires — parce qu’il y a une particularité —, lorsque je vous ai dit que ce n’était pas une taxe, c’est que cette redevance est aspirée par une société civile qui s’appelle Copie France, qui est appartient aux sociétés de gestion collective, type SACEM, SACD, etc., et c’est elle qui va aspirer l’ensemble de ces sommes. OK ? Et après ces sommes-là vont se répartir en deux groupes : il y a un groupe qui va être conservé par les sociétés de gestion collective et il y a un autre groupe qui va réparti en fonction des titulaires de droit, les chanteurs, etc.
 
 
 
Dans les années 90, c’était quelques dizaines de millions d’euros. En 2000, avec l’explosion du numérique, on est passé à 160 millions d’euros par an, et aujourd’hui, dans les années 2010, même derniers chiffres en 2017 qu’on a obtenus, on en est à une moyenne de 230 millions d’euros qui sont prélevés par ce dispositif. Donc 230 millions d’euros qui sont prélevés par les sociétés de gestion collective grâce à vous. Je ne sais pas si elles vous ont déjà dit merci ? Non ? Mais pourquoi ?
 
 
 
J’ai une photo de chat. Grégoire tout à l’heure disait on n’a pas mis de photo de chat. Moi je n’ai pas mis de photo de Jean-Vincent Placé, mais j’ai mis une photo de chat.
 
 
 
Pourquoi on est arrivés à ce mécanisme-là. Il y a plein de raisons qui expliquent l’explosion de cette manne financière. Je vais essayer de vous les détailler et de chapitrer.
 
 
 
La première raison, c’est que la redevance copie privée, les barèmes et l’assiette, c’est-à-dire quels sont les supports qui vont être assujettis à ce mécanisme-là, est décidée dans une commission administrative qui est rattachée au ministère de la Culture, au hasard, et dans cette commission administrative, on a deux collèges. Il y a trois morceaux dans le camembert, mais en fait il y a deux collèges. Il y a le collège des bénéficiaires, ce sont les sociétés de gestion collective qui siègent dans cette commission administrative et, de l’autre côté, on a des redevables. Mais il y a un principe qui est de diviser pour mieux régner. Le collège des redevables est divisé en deux. C’est hasardeux. Donc on a 12 ayants droit, 12 sociétés de gestion collective. On a 6 représentants des consommateurs et 6 représentants des industriels. Évidemment l’intérêt des industriels n’est pas absolument pas le même que celui des consommateurs. Et même entre les industriels, ceux-ci n’arrivent pas toujours à s’entendre parce qu’ils ont des intérêts qui sont, eux-mêmes, très spécifiques ; dedans on a distributeurs, des fabricants, des importateurs, etc. Résultat des courses, on a donc 12 voix qui sont unies, qui parlent la même langue, et en plus de ça on a des personnes qui sont archi-spécialisées dans la perception de cette somme, qui font face à 6 voix de consommateurs et 6 voix d’industriels qui ne parlent pas la même langue. En plus de ça l’histoire récente a montré que parmi les 6 et 6 il y avait des voix qui étaient très sensibles aux intérêts des ayants droit. C’est le hasard des nominations qui sont décidées au fil des ministères de la Culture.
 
 
 
Conclusion, qu’est-ce qui se passe dans ce cadre-là ? Eh bien les sociétés de gestion collective ont finalement une majorité : on est dans le cas d’une démocratie un petit peu contrariée où les sociétés de gestion collective sont quasiment assurées de faire voter tout ce qu’elles veulent, donc aussi bien les barèmes que les supports qui seront assujettis à la redevance copie privée. Et dans la mesure où ce sont elles qui vont percevoir les sommes sur lesquelles elles vont travailler, par darwinisme elles ont plutôt tendance à demander beaucoup que moins. C’est un peu comme vous : si vous étiez maître de votre salaire en tant que salarié et si vous étiez comptable en même temps et gérant de la société qui vous emploie, vous auriez plutôt tendance à demander plus que moins. Voilà ! Elles, c’est un petit peu le constat qu’on peut faire. Après je ne sais pas si c’est leur volonté, c’est peut-être accidentel, mais en tout cas c’est ce qui se passe !
 
 
 
Raison numéro deux. Pourquoi ça a augmenté, pourquoi les barèmes ont explosé comme ça avec le numérique ?
 
 
 
Évidemment, ça a été aussi lié à l’explosion du numérique, mais pourquoi ça a explosé ? Tout à l’heure je vous ai dit que dans le droit européen la copie privée est intimement liée à ces copies réalisées par des particuliers pour leur usage privé. Mais quand on dit ça, on ne comprend dans le spectre de la copie privée que les copies licites. Pourquoi je vous dis ça ? Parce que pour établir les barèmes, c’est là où il y a une alchimie qui est un petit peu compliquée à comprendre— moi-même je n’ai toujours pas compris alors que j’ai beaucoup travaillé la chose — c’est que pour établir des barèmes, d’abord ce que va faire la commission privée, c’est qu’elle va lancer une étude d’usage. En fait, ils font un sondage auprès d’un cheptel de consommateurs, de personnes, et ils vont mettre comme ça un thermomètre au bout d’un micro et ils vont mesurer les pratiques de copie chez mille personnes on va dire. Et de là ils vont savoir que Mme Michu a copié, je ne sais, cinq MP3, trois films, etc. OK ! Sauf que jusqu’à présent, jusqu’en 2007/2008 les sociétés de gestion collective, lorsqu’elles lançaient ces études d’usage — parce qu’elles participaient intimement au financement de ces études d’usage — les sociétés de gestion collective avaient oublié dans leur questionnaire que la question des sources illicites soient exclues du périmètre des études d’usage. J’explique.
 
 
 
Si, par exemple, je vous dis qu’est-ce que vous avez copié ce mois-ci ? Vous allez me dire j’ai copié 300 MP3. Bon ! Maintenant si je vous dis qu’est-ce que vous avez copié de manière licite, c’est-à-dire des fichiers que vous avez achetés à gauche et copiés à droite. Ça pourrait être peut-être éventuellement moins ; je ne vous traite pas de pirates, mais ça pourrait être éventuellement moins. D’accord ?
 
 
 
Cet oubli, là, ces questions qui étaient mal posées, eh bien c’était le lieu commun jusqu’à 2007/2008, en commission copie privée. Et à l’époque c’était l’époquee DADVSI, loi DADVSI, la loi HADOPI aussi, où tous les politiques nous disaient que le piratage caracolait en tête et effectivement beaucoup de personnes peut-être, je n’ai pas fait d’études sociologiques là-dessus, mais beaucoup de personnes copiaient des œuvres récupérées sur Napster, eMule ou ce que vous voulez et ensuite les copiaient partout. Donc lorsqu’on interrogeait une personne pour savoir si elle copiait beaucoup elle disait : « Eh bien oui » et point barre.
 
 
 
Résultat des courses, on a eu des pratiques de copie comme ça qui ont été maximisées lors des études de sondage, en commission copie privée, ce qui a fait monter les aiguilles de tous les côtés et conclusion, les sociétés de gestion collective ont pu demander des barèmes nettement plus élevés que si on s’était limité à la seule copie de sources licites. Vous avez compris ?
 
 
 
Par ce biais-là, elles ont pu gagner des cents et des mille. Je n’ai pas pu faire le calcul parce que je ne sais pas quelle était la part d’illicite dans les études d’usage pour savoir quelles étaient les sommes qui étaient prévues en trop.
 
 
 
Après il y a eu autre chose qui est arrivé, c’est le paiement de la redevance copie privée par les professionnels qui ne réalisent pas de copie privée. Alors qu’est-ce que j’entends par là ? J’ai dit que c’est un sujet compliqué, mais on va essayer de le simplifier.
 
 
 
En France, la copie privée, on a une commission administrative qui va élaborer assiettes et barèmes et ensuite, on va appliquer ces assiettes et barèmes qui vont être publiés au <em>Journal officiel</em> et l’ensemble des distributeurs, des Rue du Commerce, des Apple, ce que vous voulez, des Surcouf si ça existe encore, Auchan, tel ou tel magasin de la rue Montgallet, c’est une rue parisienne où il y a beaucoup de magasins informatiques, va devoir normalement prélever la copie privée et déclarer cette sortie de stock auprès des ayants droit et ils doivent payer en fonction des barèmes.
 
 
 
Le seul souci c’est qu’en France on a fait le choix de prélever la copie privée au plus haut de la chaîne commerciale, grosso modo en sortie de paquebot. Vous avez un paquebot qui arrive, qui va déverser des palettes de disques durs, de tablettes, venus de Taïwan ou autre pour inonder le marché français et c’est à ce niveau-là, c’est lors de l’introduction en France, qu’on va prélever la copie privée. Évidemment, en sortie de paquebot ou de camions qui franchissent la frontière, on ne sait pas si telle palette va aller chez un professionnel ou va aller chez un particulier. Et bizarrement, on a fait le choix de faire payer tout le monde. Donc tout le monde paye et ensuite il revient aux professionnels de réclamer le remboursement de cette somme-là.
 
 
 
S’ajoutent à cela des contraintes administratives pour obtenir le remboursement. C’est-à-dire que lorsque je ne sais pas moi, vous passez une IRM, vous avez déjà passé une IRM ? Je ne sais pas, ou une radio, le cabinet de radiologie va vous filer un DVD avec dessus la copie de l’image numérique de votre IRM. Eh bien sur le DVD, vous avez de grandes chances d’avoir 90 centimes de redevance copie privée. Alors que c’est un cabinet de radiologie, il n’est pas censé graver l’intégrale de je ne sais pas quel chanteur de base, il est plutôt censé faire un travail professionnel et pas de copie privée. Ce n’est pas un particulier, il ne fait pas de copie privée. Donc on est hors des clous des conditions de la Directive européenne de 2001 que je présentais tout à l’heure et, malgré tout, il a eu à payer la redevance copie privée-.
 
 
 
Ce mécanisme-là s’explique par le fait qu’on prélève la copie privée au plus haut de la chaîne commerciale et ensuite, lorsque les cartons vont arriver partout et dans les magasins et dans les cabinets de radiologie et dans les églises et chez les avocats et dans les hôpitaux, etc., enfin toutes les boîtes, toutes les entreprises, toutes les églises, les assos, eh bien ceux-ci vont devoir supporter de la redevance copie privée alors même qu’ils vont graver dessus des radios, des IRM, des bilans, des mémoires pour des procédures en cours, etc. Donc c’est totalement illogique, totalement absurde. On est totalement à l’écart de ce que nous dit la Directive de 2001 présentée tout à l’heure, mais malgré tout c’est comme ça que ça marche.
 
 
 
==16’ 50==
 
 
 
En France, depuis 2011, ces professionnels ont la possibilité de se faire rembourser la redevance copie privée. C’est-à-dire qu’ils ont à payer et ensuite à aller réclamer le remboursement auprès des ayants droit. Le souci c’est que — je vais montrer une facture, voilà. Le souci c’est que lorsque la loi a été mise à jour pour permettre à ces entreprises de demander remboursement de ces flux, eh bien le ministère de la Culture a publié un arrêté d’application qui a conditionné le remboursement des professionnels à la fourniture d’une facture indiquant le montant de la redevance copie privée payée.
 
 
 
Là je vais vous demander un travail cérébral assez puissant, je vais vous demander de vous rappeler ce que je vous ai dit tout à l’heure, c’est que les barèmes faisaient six pages, avec des barèmes très compliqués par taux, par assiette, par échelon, par heure, etc.
 
 
 
Ça signifie donc que lorsque vous achetez des supports vierges dans une boutique, c’est que la boutique en question, là on va parler de la vraie vie, elle a mis à jour son système de paiement, sa caisse enregistreuse, avec l’ensemble du barème des ayants droit. Et je peux vous garantir qu’il y a très peu de distributeurs qui font ça. Résultat des courses : on se trouve avec des avocats, des églises, des cabinets de radiologie, des associations qui achètent des supports vierges ; ils vont payer la copie privée, mais ils ne peuvent pas fournir une facture. Là, par exemple, j’ai une facture d’Office Depot qui date de 2013, où on n’a pas le montant de la RCP. On a la TVA, on a le montant TTC, etc., on n’a rien du tout quoi ! Moi, quand je me récupère une telle facture, il y a pour 246 euros de supports vierges, dessus il y a plus d’une centaine d’euros de copie privée qui ont été prélevés, quelque part, et donc moi je grave ça, j’ai acheté dans un cadre professionnel, je ne peux pas réclamer remboursement parce que je ne suis pas dans les clous des textes !
 
 
 
Si vous voulez. dans un système comme ça qui permet d’assujettir la quasi-totalité de la population française, dont les entreprises et les associations, et si, en plus de quoi, vous créez un formulaire qui empêche ceux-là d’obtenir remboursement, eh bien l’argent qui est récolté par la SACEM et ses amis n’est pas remboursé ! Parce que eux ne sont pas censés savoir que telle église, tel hôpital a acheté des supports vierges.
 
 
 
Est-ce que quelqu’un a acheté un <em>bundle</em> de 100 DVD récemment ? Personne ! Il y a deux ans, trois ans, quatre ans ? Ah ! Deux. Il y a longtemps. Moi je ne m’en souviens plus non plus. En l’occurrence, on arrive à une étrangeté où on a des pratiques de consommation culturelle qui ont basculé sur le <em>stream</em>, sur YouTube, Dailymotion, ce que voulez, et pour autant la copie privée monte chaque année, chaque année !
 
 
 
<b>Public : </b> Inaudible.
 
 
 
<b>Marc : </b>Tout à l’heure. J’en parle tout à l’heure. L’une de mes explications c’est qu’il y a justement le fait que les professionnels participent à ce pot commun alors qu’ils n’ont pas à le faire. Juridiquement ils n’ont pas à le faire. Mais la France a fait le choix, a fait un choix qui est extrêmement généreux, de maximaliser, de maximiser, de sécuriser l’ensemble de ces flux pour que la SACEM puisse ne manquer de rien.
 
 
 
Et ce qui est rigolo c’est qu’il y a eu pas mal de barèmes qui ont été annulés. Un barème, lorsque vous avez une commission administrative qui produit un barème, un barème c’est une décision administrative, c’est un acte administratif. Et si jamais cet acte administratif n’est pas conforme à la loi, eh bien il est possible de l’attaquer devant le Conseil d’État. Et c’est ce qui a été fait plusieurs fois. Notamment il y a eu des industriels qui ont attaqué les barèmes de la commission copie privée parce que justement ils avaient oublié d’exclure les sources illicites des études d’usage qui permettaient de justifier les montants et parce qu’aussi on avait oublié d’exclure les copies de sources professionnelles, les copies professionnelles, les études usages aussi. Donc ces barèmes ont été annulés. Et le truc drôle là-dedans —  enfin drôle je ne sais pas, mais il faut mieux en rire parce que la vie est courte — c’est que le Conseil d’État se retrouve dans une situation où il a annulé effectivement l’acte administratif qui servait de socle à la ponction, mais il n’a pas pu exiger le remboursement des sommes de la part de la SACEM.
 
 
 
Si vous avez un acte administratif qui est annulé, pour lequel vous avez touché de l’argent, si l’acte administratif est annulé, il n’a jamais existé, donc l’argent que vous avez touché grâce à cet acte administratif, en toute logique vous devez rembourser ce que vous n’auriez pas dû percevoir. Sauf qu’en matière de copie privée ça ne marche pas comme ça. Parce que les sommes qui ont été prélevées, ont été prélevées sur une très longue période ; les sommes ont été consommées, elles ont été réparties auprès de l’ensemble des titulaires de droits — Johnny, Céline Dion, ce que vous voulez — et finalement le Conseil d’État s’est retrouvé avec un os c’est qu’il n’a pas pu demander le remboursement de ces sommes-là. Et les sommes en question, on n’est pas dans le neutre ; quand je vous dis ça, on peut avoisiner le demi-milliard d’euros depuis 2001, voire plus même. On est entre un demi-milliard d’euros et un milliard d’euros aspirés en trop depuis 2001, de part ces pratiques illicites.
 
 
 
Le Conseil d’État n’a annulé que pour l’avenir l’acte administratif qui était vicié. Ce n’est pas mal ! Je rappelle juste que ce sont les ayants droit qui siègent en commission copie privée et qui décident quasiment, par la puissance de cette répartition en trois parties avec 12 ayants droit, 6 consommateurs et 6 industriels, ce sont eux qui décident finalement des barèmes qu’ils vont percevoir eux-mêmes. Et en plus de ça, lorsqu’ils font absolument n’importe quoi, évidemment pas en conscience, eh bien ils sont assurés d’avoir un parapluie : c’est le Conseil d’État qui ne peut pas leur exiger de rembourser ces sommes-là. Ce n’est pas mal comme système, non ! Moi je me dis j’aurais du être ayant droit dans la vie, mais j’ai raté.
 
 
 
Donc ce que je vous disais, il y a eu une non-rétroactivité des annulations. Malgré le fait que ce soit illégal, ils ont pu garder le blé !
 
 
 
 
 
Les études d’usage. Tout à l’heure je vous ai parlé des études d’usage. Je vous disais que pour établir les barèmes de commission copie privée on prend un cheptel de 1000 consommateurs et on va leur demander ce qu’ils font comme pratique de copie. Combien tu as copié de musiques ? Combien tu as copié de films ? Combien tu as copiés d’œuvres, de livres, par exemple d’e-books, tout ça. Et de ces études-là après on en arrive à ébaucher un taux.
 
 
 
Ce qui est rigolo, c’est qu’il faut imager la scène. Vous êtes chez vous, vous vous appelez Mme Michu ou M. Michu, il y a une personne qui vient pour vous sonder, pour réaliser une étude d’usage. Ce qui est rigolo c’est que dans le questionnaire des études d’usage qui évidemment n’est pas public — moi j’en ai eu copie par accident, mais le questionnaire n’est pas public — c’est que parmi les questions il est demandé à Mme Michu, Mme ou M. Michu, d’abord de bien vouloir accepter d’ouvrir son disque dur aux yeux curieux de cet agent qui vient chez lui pour les besoins de la commission copie privée. L’agent qui vient avec une carte tricolore, ministère de la Culture et tout ça. Il demande s’il accepte d’ouvrir son disque dur ; beaucoup acceptent. Il fouille, il compte le nombre de fichiers mp3, par exemple, donc il fait *.mp3 enter ; il fait peut-être ça pour les films, pareillement, et cinq ou six pages après on va demander à la personne si elle télécharge sur les réseaux illicites. À votre avis quel est le biais, quel est le risque de biais ici ?
 
 
 
Moi j’ai un agent comme ça, je ne connais rien, j’ai un agent comme ça qui vient chez moi, qui fouille mon disque dur, qui, trois ou quatre minutes après me pose une question, me demande est-ce que je télécharge sur je ne sais pas eMule, Napster ou autres qui sont considérés comme des zones à risque aux jeux de SPRD, des sociétés de perception. Eh bien j’ai plutôt tendance à travestir la réalité en disant « non, non, c’est bon ! J’ai acheté ça sur iTunes. J’ai 10 000 mp3, ça m’a coûté un bras, mais j’ai tout acheté. » Donc je me protège. Mais le problème c’est qu’en mentant sur cette réalité-là, finalement je baisse les pratiques de sources illicites et j’augmente les pratiques de sources licites. Et en faisant ça, ça justifie aux yeux des sociétés de gestion collective la possibilité de demander des barèmes très élevés. C’est malin !
 
 
 
Après il y a un gap, il y a un saut, il y a une technique que je n’ai toujours pas comprise, c’est le passage d’une quantité de fichiers copiés à 90 centimes d’euros de redevance sur un DVD. Je ne comprends pas ça ; je ne comprends pas le mécanisme. Je ne sais pas comment techniquement c’est fait et sur quelle justification. Si vous avez une explication, je veux bien.
 
 
 
Petite précision aussi parce qu’il y a plein de charmes dans ce système-là. C’est que lorsque la redevance copie privée est appliquée sur les supports que vous allez acheter, eh bien c’est une redevance qui va s’appliquer sur le chiffre hors taxe. Ça veut dire par là-dessus, dans une logique de chat perché, Bercy va arriver avec sa TVA et vous avez, sur les 90 centimes qui visent les DVD, vous avez en plus 20 % de TVA qui va s’appliquer sur la redevance que vous allez payer. Ça fait beaucoup. Sachant que, je rappelle les derniers chiffres, 236 millions d’euros. Quand je vous ai dit que les sociétés de gestion collective ont aspiré 236 millions d’euros, là-dessus il faut rajouter 20 % de TVA qui sont, cette fois-ci, allés dans les poches de Bercy. Donc autour de 50 millions quoi !
 
 
 
==26’ 55==
 
 
 
Ce n’est pas fini. Si je recommence, si je reprends cette logique de copie privée, donc vous avez une redevance qui est décidée par une commission administrative, avec des barèmes qui sont décidés démocratiquement dans cette instance, sous des formules assez magiques et des doigts tout mouillés, les sommes qui sont prélevées, je vous ai dit tout à l’heure qu’il y a une partie qui va dans les poches des créateurs, ceux qui sont derrière les micros, derrière les caméras ou devant les caméras, ceux qui sont derrière les guitares, enfin les artistes et les créateurs, mais il y a aussi une partie qui est gardée par les sociétés de gestion collective et cette partie n’est pas neutre : c’est 25 %. Donc il a un quart de 230 millions d’euros qui est gardé par la SACEM, par la SACD [Société des auteurs et compositeurs dramatiques], par toutes les autres, par la force de la loi. C’est-à-dire que le code de la propriété intellectuelle leur dit : « Gardez 25 %. » Et ces 25 % servent à eux, à financer, d’ailleurs ils doivent le faire, à financer le spectacle vivant, les manifestations culturelles, mais aussi les défenses d’intérêts catégoriels, pourquoi pas les actions de lobbying. Tout ça ils peuvent le faire avec la copie privée ; ils doivent même le faire avec la copie privée. Et c’est 25 %, en fait, c’est une manière très vicieuse d’entretenir un lien avec des élus locaux.
 
 
 
On va rebasculer dans la vraie vie. Je suis société de gestion collective, je vais balancer, je ne sais pas moi, 500 000 euros sur l’organisation d’un festival, à Cannes par exemple. Je peux vous garantir que le député-maire de la ville de Cannes ou de Pétaouchnok, peu importe, eh bien il va être bien content d’avoir cette somme-là. Et donc, quand moi je suis député-maire, eh bien parfois je suis maire, mais parfois je suis député, j’aurai peut-être une certaine attention lorsque les sociétés de gestion collective vont venir dans mon bureau faire une action de lobbying — le lobbying ce n’est pas sale, ça arrive, tout le monde le fait —, donc j’aurai en tout cas une certaine attention, une attention peut-être plus aiguisée à écouter leurs arguments sachant que ceux qui sont en face de moi pour me vendre leur soupe ils ont balancé 500 000 euros dans l’organisation d’un festival que moi je n’ai pas eu à payer. Donc ça cré un lien fort.
 
 
 
Ce que je dis là, vous pouvez considérer ça comme une espèce de concurrence déloyale avec l’économie sicilienne, mais n’en rigolez pas, en fait c’est Jean-Noël Tron qui l’a ouvertement dit lors d’une rencontre que j’ai filmée. Il ne savait pas que j’étais là, mais bon j’ai pu le filmer, filmer de manière honorable, c’est-à-dire qu’il était sur scène, devant du public, il a ouvertement dit — Jean-Noël Tron c’est le numéro un de la SACEM — il a ouvertement dit que grâce aux lobbies de la copie privée on pouvait entretenir, comme ça, un lien de solidarité avec les élus.
 
 
 
Il y a autre chose. C’est un droit qui arrange aussi le ministère de la Culture. Pourquoi ? Toujours pareil. Quand le ministère de la Culture voit que la SACEM and Co va arroser tel ou tel festival avec des sommes qui sont prélevées grâce à vous et grâce aux cabinets de radiologie, c’est autant d’argent que la SACEM [le ministère de la Culture, NdT] ne va pas balancer. Donc la SACEM [le ministère de la Culture, NdT] a tout intérêt aussi à protéger cette manne parce que son budget n’est pas extensible malheureusement à l’infini.
 
 
 
Et en plus de quoi, c’est que tous les textes qui concernent la propriété intellectuelle, je peux vous garantir qu’ils sont passés entre les mains de sociétés de gestion collective ; je ne dis pas que ce sont leurs textes, mais en tout cas ils étaient dans le lit le jour où ça a été conçu. Si, si je vous assure !
 
 
 
Donc les 25 % copie privée ça sert à arroser pas mal de festivals, Cannes, Avoriaz, les festivals de BD, etc. Il y a 1500 manifestations, c’est le chiffre qui revient à chaque fois, culturelles qui sont comme ça arrosées par ces 25 % de la redevance copie privée et qui donnent comment ça un pouvoir d’influence extrêmement fort au secteur culturel. C’est bien pour eux, moi je suis content pour eux, franchement je suis très content pour eux ! Mais en tout cas ça peut expliquer aussi qu’on obtienne des résultats, des bons résultats, lors des votes de textes « cultureux » à l’Assemblée nationale ou au Sénat, où on peut obtenir 103 % de résultats positifs et 0 voix contre. Ce n’est pas arrivé, mais on a eu des textes qui ont été votés par l’unanimité des députés sauf un ; qui n’était pas député-maire. Je ne dis pas que ces 25 % ont permis ça. En tout cas ça crée une attention chez les parlementaires.
 
 
 
Après je vous mets ce machin-là [photo de chemises cartonnées contenant des documents]. Moi il y a un truc que j’aime bien aussi parce que je suis un journaliste un petit peu hargneux, militant, j’aime bien la transparence et il y a une procédure que j’utilise beaucoup, ce sont les procédures CADA. Les procédures CADA ce sont les procédures qui se réalisent devant une commission administrative, encore une autre, et qui s’appelle la Commission d’accès aux documents administratifs et qui est là pour décider de la communicabilité d’un document administratif auprès d’un administré. Ce qui est intéressant c’est que dans le code de la propriété intellectuelle il est dit que chaque année les sociétés de gestion collective doivent fournir au ministère de la Culture un rapport détaillant toutes les manifestations culturelles qui ont été arrosées avec les 25 % de la copie privée et on a le montant à chaque ois.
 
 
 
Et moi, ce que je me suis amusé à faire. Tout bêtement : « Bonjour madame la ministre, est-ce qu’il serait possible d’avoir copie de ces rapports d’affectation ? » Je n’ai demandé pas une année, j’ai demandé sept ou huit ans. Un peu gourmand, voilà, donc j’ai demandé huit ans de copies. Je m’attendais à avoir dans le cadre de cette procédure CADA, je m’attendais à avoir, je ne sais pas, huit fois le nombre de sociétés de gestion collective PDF par mail, donc un gros mail tout rond, comme ça. Et en fait, le ministère de la Culture, au terme de cette procédure, m’a dit que les rapports d’affectation qui sont envoyés chaque année par les sociétés de gestion collective étaient effectivement communicables, donc ce n’est pas secret Défense, ouf ! Par contre il y a une toute petite problématique c’est que, dans la mesure où ils n’ont qu’une version papier, c’est à moi de me déplacer au ministère de la Culture pour aller consulter ces documents.
 
 
 
Là j’avais en tête la musique de <em>Brazil</em>, et quand on me demande de jouer au con, j’y arrive très bien. C’est un truc, j’y arrive très bien. Donc j’ai dit « OK ! Bingo », sachant que le ministère de la Culture savait que moi je n’habite pas Paris, j’habite au milieu des vaches et des champs, et donc j’ai dit : « Bingo, je vais venir, tant pis quoi ! » Eh bien j’y ai été. Donc j’ai été au ministère de la Culture avec ma lettre disant que j’avais accès à ce document. J’ai sonné, tout ça. Il y a un gentil vigile qui m’a ouvert et j’ai été reçu par un juriste, directeur du cabinet du ministère de la Culture ou de la DGMIC [direction générale des médias et des industries culturelles], je ne sais plus, peu importe, et une archiviste, donc trois personnes. Et ils m’ont amené dans une pièce quasiment ronde, entourée de grandes vitres, avec un lot de tables en plein milieu. Et puis ça [photo de chemises cartonnées contenant des documents] ; voilà l’<em>open data</em> version ministère de la Culture.
 
 
 
Si vous allez sur le ministère de la Culture, vous tapez <em>open data</em>, vous allez voir ils parlent d’<em>open data</em>, ça existe. Mais ça existe ça aussi. Ils m’ont dit vous avez trois heures. Pendant trois heures, j’ai commencé par l’année numéro un, les premières sociétés de gestion collective et j’avais mon téléphone, appareil photo tout ça, et je prenais des photos. Mais c’est absurde quoi ! Mais là-dessus j’avais cette gentille archiviste qui était assise à un mètre de moi et qui, pendant trois heures, n’a pas pu bouger. À un moment donnée les nécessités de la nature ont fait que… je vous passe les détails, elle a dû bouger, mais pendant trois heures elle est restée à côté de moi et c’était assez rigolo. Et donc j’ai fait une actu sur Next Inpact où j’ai expliqué <em>On a testé la transparence de la copie privée</em>.
 
 
 
Ce qui est rigolo c’est que cette procédure-là, qui était complètement délirante et absurde, finalement elle a eu un écho, puisque Aurélie Filippetti qui alors était ministre de la Culture m’a dit que dans sa loi création, parce qu’elle était en phase de rédaction de la loi création, m’a dit qu’il y avait un article qui portait mon nom, suite à cette procédure CADA, parce qu’elle trouvait ça exécrable. Peu après, ce n’est pas à cause de moi évidemment, mais peu après Filippetti est partie, elle a été remplacée par Fleur Pellerin et lorsque Fleur Pellerin a repris le bébé de son projet de la loi création, de son avant-projet de loi création, lorsque l’avant-projet est devenu projet de loi création et déposé sur le site du Sénat ou de l’Assemblée nationale, eh bien l’article en question que j’attendais, mon petit bébé, eh bien pouf ! Il a disparu. Bizarre ! Finalement j’ai fait des pieds et des mains et il y a un amendement qui a été adopté au fil des débats qui impose, cette fois-ci, l’<em>open data</em> dans un format ouvert, interopérable, tout ce que vous voulez, sur une plate-forme identique de toutes les données. Voilà !
 
 
 
[Applaudissements]
 
 
 
Non, non, attendez ! Parce qu’il n’y a pas de sanction s’ils ne le font pas ! Voilà ! [Rires] Eh ben oui, ce n’est pas drôle sinon, donc il n’y a pas de sanction s’ils ne le font pas. Il y aura peut-être une procédure qui sera envisageable, mais pour l’instant ça n’y est pas, cette plateforme n’existe pas.
 
 
 
Et ce qui était rigolo, en plus, c’est que chaque société gestion collective a sa façon à elle de présenter les choses. Et un budget vous le présentez de mille façons différentes si vous avez une certaine dextérité comptable, enfin moi ce n’est pas mon cas, et donc c’était difficilement exploitable.
 
 
 
En tout cas voilà, le texte existe aujourd’hui ; j’attends sa mise en œuvre.
 
 
 
Je vous parle aussi de la question de transparence. Je parle d’une transparence en béton de la commission copie privée, parce que cette commission copie privée, évidemment les débats ne sont pas en direct, il ne faut quand même pas déconner, et on a des comptes-rendus qui sont rédigés et qui sont diffusés sur le site du ministère de la Culture.
 
 
 
Tous les compte-rendus antérieurs à 2007 n’existent pas, pourtant la commission avait une activité, mais ces compte-rendus on ne peut pas les avoir ; enfin il faut faire une procédure CADA. Ils n’existent pas. Donc tous les compte-rendus, toutes les discussions qui ont permis l’extension de la redevance copie privés à tous les supports numériques, eh bien on n’a pas les rouages du comment, du pourquoi. De même, les débats qui ont lieu dans cette commission ne sont pas retranscrits en temps réel. Sur le site de l’Assemblée nationale et du Sénat, vous avez une retranscription en temps réel, quasiment en temps réel : c’est-à-dire que le lendemain vous savez exactement, par écrit, tout ce qui a été dit au micro. Là il faut attendre des semaines et des semaines voire des mois pour qu’on ait une connaissance de ce qui a été dit.
 
 
 
==37’ 22==
 
 
 
Transparence robotisée du site Copie France. Alors qu’est-ce que je raconte ?
 

Dernière version du 16 mai 2018 à 17:22


Publié ici - Mai 2018