Séverine Dusollier au 1er festival du domaine public

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Titre : Pour un régime positif du domaine public

Intervenant : Séverine Dusollier - Professeur à Sciences Po Paris

Lieu : 1er festival du domaine public - ENS

Date : Janvier 2015

Durée : 19 min 07

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Séverine Dusollier : Bonjour. Merci beaucoup de l'invitation. J'ai préparé une petite présentation, mais c'est plus pour vous montrer les enjeux, vraiment aller dans les détails d'un régime positif pour le domaine public. Je vais essayer de ne pas rendre ça trop juridique, mais essayer, un peu, expliquer où je me situe par rapport au domaine public et pourquoi il y a vraiment un enjeu de rendre le domaine public beaucoup plus visible et de lui accorder, dans le droit, un régime positif.

Je vais commencer par une définition du domaine public. En droit d'auteur le domaine public n'est, en fait, pas défini. Vous n'avez pas de mention du domaine public dans les lois sur le droit d'auteur, enfin c'est assez rare. Je connais peu de lois nationales qui mentionnent le domaine public. C'est un concept qui est présent dans la définition du droit d'auteur mais qui est, vraiment, un peu invisible. Il est invisible parce que, comme il n'est pas défini, il se définit négativement, c'est-à-dire qu'on considère que le domaine public c'est ce qui n'est pas protégé par le droit d'auteur, soit parce que les droits ont expirés, donc ce n'est plus protégé par le droit d'auteur. Mais, notamment en France, ça ne vaut que pour les droits patrimoniaux, le droit moral subsiste de manière perpétuelle. Ce n'est pas le cas dans d'autres pays, donc ce n'est pas non plus quelque chose de complètement, ce n'est pas quelque chose d'intangible, ça pourrait aussi changer en France, effectivement. Ou bien ce sont des informations, des contenus, des œuvres qui ne sont pas protégées par le droit d'auteur, soit parce qu’elles ne sont pas des œuvres de l’esprit, elles relèvent des idées, des simples informations, soit parce qu'elles manquent de l'originalité requise pour être protégées par le droit d'auteur, soit qu'elles sont exclues du droit d'auteur, c'est le cas notamment de textes de loi, des décisions de jurisprudence, etc.

Donc, de toutes façons, la définition du domaine public est toujours, toujours, elle est, en tout cas dans les lois sur le droit d'auteur, tout à fait négative. C'est l'envers du droit d'auteur et elle ne se définit que par opposition à ce qui est le droit d'auteur, elle ne se définit pas un tant que telle. Donc le domaine public ne fait pas l'objet d'une consistance particulière, parce qu'il n'est constitué que de ce qui n'est pas pris par le droit d'auteur. Vous avez plein de choses qui peuvent être protégées par le droit d'auteur et ce qui n'est pas protégé, ça va être le domaine public. Mais évidemment, ce qu'on va voir et ce qu'on va définir, ce qu'on va calculer, ce sont les îles de cet archipel mais ce n'est jamais l'étendue d'eau qu'il y a autour. Or c'est une aberration puisque le principe de la propriété intellectuelle et du droit d'auteur c'est d’être une exception à la liberté de copie. La liberté de copie c'est le principe fondamental et tous les droits intellectuels qui se ??? ne sont que des exceptions. Or le discours qu'on a élaboré autour du droit d'auteur et des autres droits intellectuels, c'est qu'en fait, les droits de propriété sont le principe et le domaine public est l’exception, est la négation de ce principe. Or on devrait revenir, en fait, au discours originel.

Ce n'est pas juste une vue de l'esprit ou une manière d'approcher les choses, cette définition négative a des conséquences qui empêchent une véritable préservation du domaine public. Parce que ça fait en sorte que le domaine public est relatif, c'est le mot que j’utilise, pour différentes raisons. Une première raison, c'est que, comme il n'est défini que par l'absence de droit d'auteur, eh bien, ce n'est pas pour ça qu'il ne peut pas être protégé par un autre droit privatif. Donc vous pouvez avoir des choses qui ne sont pas protégées par le droit d'auteur et qui donc, en droit d'auteur, sont dans le domaine public, mais qui vont être protégées par le brevet, ou qui vont être protégées comme marque, ou qui vont être protégés simplement par un droit de propriété classique, tangible. Donc ce n'est qu'une relation par rapport à la présence ou non de droit d'auteur, donc c'est très relatif.

Autre raison de la relativité, je vais y venir, c'est l'étendue territoriale du domaine public. Je vais y aller tout de suite, c'est le slide suivant et puis je reviendrai à celui précédent. Donc la territorialité c'est le fait que les droits intellectuels ne sont définis que pour des territoires précis, c'est-à-dire que le doit d'auteur est défini, donc on définit ce qui appartient au droit d'auteur pays par pays. Donc en France, ce qui appartient au droit d'auteur, c'est ce que détermine la loi française. C'est notamment pour ça que les héritiers de Louis Feuillade invoquent le doit moral en disant « même si l’œuvre est dans le domaine public, le droit moral subsiste toujours », ils peuvent le faire en France. Or, dans d'autres pays, le droit moral s'éteint en même temps que les autres droits et donc ils ne pourraient pas le faire dans d'autre pays. Donc le droit d'auteur est régi par cette règle de territorialité. Comme le domaine public n'est que le négatif de ce droit d'auteur, eh bien, là-aussi, il subit une règle de territorialité. Donc le domaine public ne va pas avoir la même consistance dans tous les pays.

Voyez ici une carte du monde avec les différentes durées du droit d'auteur, donc ce qui est en rouge, vous voyez que c'est quand même la plupart, c'est soixante-dix après la mort de l'auteur. C'est l'entièreté de l'Europe, plus la Russie, plus toute une série d'autres pays. Puis vous avez des pays, qui sont en jaune, qui sont cinquante ans après la mort de l'auteur, ce qui est la durée minimale selon la Convention de Berne, et puis vous avez des cas très particuliers, vous avez par, exemple, les États-Unis où il y a à la fois une combinaison de règles soixante-dix ans après la mort de l'auteur mais également d'autres règles, enfin c'est très complexe. Et alors, le champion toutes catégories, c'est le Mexique qui protège le droit d'auteur pendant cent ans après la mort de l'auteur, c'est le petit trait mauve. Donc en fait, la même œuvre ne va pas avoir le même statut qu'elle passe d'un pays à un autre pays, ce qui est évidemment complètement aberrant. Je vais poursuivre la réflexion dans un instant pour vous montrer que, alors, les particularités nationales sont aussi importantes.

Autre conséquence de la négativité, c'est que ça empêche, évidemment, le domaine public d'avoir un véritable statut qui lui permette d’empêcher, d’être rattrapé, par des nouvelles réappropriations, soit par le droit d'auteur, Lionel a invoqué le fait qu'on a étendu la durée du droit d'auteur. À chaque fois qu'on a allongé la durée du droit d'auteur, on récupéré des œuvres qui étaient dans le domaine public ou qui allaient entrer dans le domaine public pour les remettre dans la protection. Et puis on peut reconstituer des exclusivités par une toute une série de mécanismes. Le droit moral, qui est une exclusivité un peu particulière, mais peu importe, et d'autres droits. En fait, le domaine public lui-même n'a aucune règle qui lui permet de résister à tout cela. Tout ce qu'il peut faire c'est, en tout cas, résister à une prétention de l'auteur de continu à exercer ses droits. Mais il ne peut, en tant que tel, résister à aucune autre prétention, si elle est légitime.

Par exemple, cette territorialité, pour vous donner un exemple, je vais vous donner un exemple d'auteurs décédés en 1941, donc James Joyce et Virginia Woolf, tous les deux décédés en 1941. Leur œuvre, en France, est entrée dans le domaine public au premier janvier 2012. Mais ce n'est qu'en France. Par exemple, si je compare plusieurs livres de ces auteurs, si je prends en Europe, en effet, ils sont tous dans le domaine public. Par contre, si on va voir du côté des États-Unis, les États-Unis ont des règles très particulières en matière de durée, ce qui a été publié avant 1923 est dans le domaine public. C'est le cas d'Ulysses, de James Joyce, qui a été publié en série de 1918 à 1920, et du livre de Virginia Woolf, The voyage out , qui a été publié aux États-Unis en 1920. Par contre, Mrs Dalloway a été publié aux États-Unis après 1923, ce qui fait en sorte qu'elle est toujours sous copyright aux États-Unis, jusqu'en 2019, parce qu'il y a des règles un peu particulières qui s'appliquent. Je n'ai pas choisi la facilité, parce que ce sont deux auteurs qui ne sont pas américains, donc il y a encore d'autres règles qui s'appliquent, qui viennent un peu compliquer les choses, mais peu importe. Donc vous voyez que la même œuvre n'est pas soumise au même régime. Quand on met une œuvre de Virginia Woolf sur Internet comme le fait, par exemple, le projet Gutenberg aux États-Unis, il y a des œuvres de Virginia qui sont sur le projet Gutenberg qui sont librement téléchargeables, et d'autres qui ne le sont pas, parce qu'ils ont considéré qu'elles n'étaient pas dans le domaine public aux États-Unis, alors qu'en Europe il n'y aurait pas de problème à mettre cette œuvre sur Internet. Mais ça c'est quand on applique les règles classiques de la durée.

Si en plus, dans les règles de la durée, il y a des petites particularités, alors là ça commence à devenir très complexe. En France, il y a une règle qui a fait en sorte qu'on allonge la durée du droit d'auteur pour compenser le fait que les auteurs n'aient pas pu exploiter leur œuvre pendant les deux guerres mondiales. Ce qui rajoute, en fait, des délais supplémentaires. Et il y a en plus trente ans supplémentaires pour les auteurs morts pour la France. Les auteurs morts pour la France sont consacrés par un arrêté ministériel, je pense, qui les met dans une liste officielle. Ce qui fait en sorte qu’Apollinaire, bien qu'il soit décédé en 1918, son œuvre n'est rentrée dans le domaine public qu'il y un an, déjà, ça va vite et que Saint-Exupéry, mais ça a été un des thèmes de ce festival du domaine public, est décédé en 1944, il entre dans le domaine public partout en Europe, sauf en France, parce qu'il est mort pour la France et que donc ça lui donne un bonus de trente ans. Sauf que c'est plus compliqué que ça puisqu'on doit calculer les prorogations, le fait que ce bonus commençait à courir en 95 quand la directive européenne est entrée en vigueur, et alors là, je peux vous faire un cours de droit, et vous allez tous quitter la salle, donc je vais arrêter là. En tout cas, Saint-Exupéry n'est pas dans le domaine public en France. Il l'est en Belgique, le 7 févier, en Belgique, on organise la journée du domaine public où on va numériser Saint-Exupéry, mettre des dessins d'enfants sur Saint-Exupéry, on va mettre tout ça sur Internet et on va permettre, à tout le monde, d'aller télécharger ça sur le serveur belge qui abritera ces œuvres. Sauf que les Français devront répondre à certaines questions pour voir s'ils sont bien français, pour éviter, surtout, que vous alliez télécharger les œuvres de Saint-Exupéry en ligne, parce que, en Franc,e vous n'avez pas le droit de le faire. Donc vous voyez que c'est un petit absurde à l'heure d'Internet.

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Autre particularité nationale, c'est en Angleterre,