Qui contrôle internet et les médias sociaux - Divina Frau-Meigs

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Titre : Qui contrôle internet et les médias sociaux ?

Intervenante : Divina Frau-Meigs

Lieu : MAIF numérique tour - Lons-le-Saunier

Date : octobre 2018

Durée : 1 h 6 min 20

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Licence de la transcription : Verbatim

Illustration :

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcrit : MO

Transcription

Merci à tous d’être ici si nombreux ce soir, je sais que c’est un jour de semaine, sur un sujet qui est un peu aride. L’histoire de ce sujet avec la MAIF c’est une discussion exactement dans l’esprit évoqué par Michel Trinquet, c’est-à-dire comment est-ce qu’on comble le déficit de culture générale des gens sur ce qui se passe sur Internet, sans en faire un sujet trop technique, mais justement un sujet que les gens puissent s’approprier, parce qu’une fois qu’ils se seront appropriés ce sujet, ils vont pouvoir exercer leur intelligence. L’idée c’est de ne pas avoir peur du numérique, mais d’en voir les opportunités, de voir les limites et puis de se dire comment est-ce qu’on peut continuer à agir.
Je suis effectivement professeur, mais je suis aussi activiste, donc dans les présentations vous verrez que de temps en temps je tombe la casquette, je prends l’autre. Je suis activiste au niveau, justement, de tout ce qui est la gouvernance d’Internet. Cette idée de gouvernance est un mot nouveau dans le paysage français, parce que la France est un pays de gouvernement. Nous sommes une vieille démocratie qui est beaucoup ancrée dans l’idée de la représentation, de l’élection, etc., ce qui est très bien, mais quand les enjeux deviennent extrêmement complexes et que, pour les politiques, c’est difficile de rester au niveau de l’expertise, on en vient à des situations multipartites sur des thématiques nouvelles comme celle de l’Internet qui n’a pas plus d’une vingtaine, une trentaine d’années ; l’Internet commercial naît aux États-Unis en 1996. C’est un phénomène récent, c’est nouveau, il faut qu’on se pardonne de ne pas tout comprendre, mais simplement, maintenant, c’est devenu notre espace public partagé et certainement l’espace public partagé de nos jeunes. Donc, dans ces cas-là, nous avons une responsabilité aussi de les accompagner, de s’assurer que cet espace public soit un espace public dans lequel ils s’épanouissent. C’est l’idée que je développe en disant savoir devenir, c’est-à-dire savoir utiliser tout ce qu’offre numérique pour se projeter dans l’avenir, pour ne pas avoir peur et en même temps ne pas se mettre en danger, ni soi, ni les autres.
Donc essayons de comprendre ensemble ce dont il s’agit. Je vais essayer de ne pas être trop technique, mais, de temps en temps, il faudra que je le sois en essayant d’être légère. On va essayer de comprendre l’histoire déjà, parce que l’histoire c’est toujours un moyen de nous dire qu’on n’est pas dans la rupture mais dans la suture, dans la continuité de certaines choses, notamment de certaines démarches humaines.
Ensuite on ira vers les enjeux culturels, les enjeux des données. La MAIF a effectivement une position très claire sur les données, une position française que nous essaierons de développer aussi, sur la trace, la traçabilité.
Et puis évidemment, toujours, puisque nous sommes actionnaires militants, les possibilités d’action.

Premier truc technique – il y en a déjà qui se disent mon Dieu mais qu’est-ce que je fais ici ? Quand on essaye de comprendre l’Internet, souvent on a du mal à mettre une réalité sur un mot comme Internet ou comme numérique. Moi je dis que le numérique n’existe pas. Ce qui existe c’est Internet et il faut penser à Internet comme à un mille-feuilles, en couches et au milieu il n’y a pas de crème mais c’est à vous de la mettre.
La façon dont Internet s’est créé historiquement, c’est qu’il a d’abord fallu une couche physique, il a fallu des serveurs, des câbles, de l’électricité, des terminaux, c’est toute la question de l’accès, notamment dans des régions comme les vôtres qui ne sont pas nécessairement centrales. Sans la couche physique qui est maintenant la couche des opérateurs de téléphonie, etc., Internet ne pourrait pas fonctionner.
Et puis, et c’est ça qui fait qu’Internet est très spécial et qu’il n’est pas un média ni une technologie comme les autres, il y a une couche intermédiaire, qui est cette couche logique ; c’est en fait la couche informatique. Le numérique c’est avant tout de l’informatique. Et cette couche informatique c’est celle qui permet de développer des logiciels, des applications, des protocoles qui donnent des adresses. C’est une couche qui est ouverte. La chose la plus remarquable de l’Internet c’est que ceux qui ont inventé Internet, ils sont quatre ou cinq pionniers, ils ont décidé de ne pas le breveter. Ils ont fait comme ceux qui ont inventé l’écriture, ils l’ont laissé ouvert et accessible ce qui fait qu’on peut tous se brancher dessus. C’est un très grand acte de générosité dont il faut se souvenir maintenant qu’on va vers des systèmes plus propriétaires et des systèmes qui sont plus fermés. Pour le moment les inventeurs d’Internet sont toujours là, y compris un Français qui s’appelle Louis Pouzin, mais on parle aussi de Vin Cerf, de Tim Berners-Lee, donc des gens vraiment extraordinaires qui ont fait passer l’intérêt général avant le leur, de manière à ce que nous, les usagers habituels que nous sommes, on puisse bénéficier d’Internet pour sa couche socio-culturelle, c’est-à-dire tous les contenus de la culture, de la connaissance, auxquels nous avons accès. Une énorme démocratisation de la connaissance et de la créativité nous est donnée par ce biais au-delà de nos propres frontières. C’est vraiment l’idée du village global avec à la fois du copyright mais aussi des licences libres, des choses en accès libre comme celles que fait la MAIF avec le MAIF Social Club.
Donc pensez à ces trois couches, c’est une façon très claire de comprendre comment s’organise Internet et le numérique. Le numérique c’est un mille-feuilles. Quand vous mangerez un mille-feuilles, tout à l’heure, vous y penserez.
Cette couche logique fait que c’est un média différent des autres puisque c’est un média extrêmement ouvert, extrêmement opérable, extrêmement agile comme on dit en informatique, c’est-à-dire qui bénéficie à chaque fois de l’amélioration apportée par les usagers. L’idée d’Internet c’est qu’on vous écoute, on regarde ce que vous faites, vos suggestions sont prises en compte, on améliore le produit en continuité par l’usage.
Cette couche logique donne beaucoup de pouvoirs à ceux qui maîtrisent Internet. Par exemple monsieur Zuckerberg qui possède Facebook, qui l’a créé en tant que média social, a pu, lors des évènements tragiques en France, les attentats en novembre 2015, créer ce filtre bleu blanc rouge, dans la nuit, pour montrer sa solidarité avec la France, en disant à ses usagers « ceux d’entre vous qui veulent exprimer leur solidarité, vous pouvez mettre ce filtre sur votre image Facebook ». Plus de cinq millions de personnes l’ont utilisé. Il a fait ça dans la nuit, en jouant sur la couche logique. Il l’a affecté à des contenus : l’émotion, l’empathie, le soutien politique, tout ce que vous voulez. Donc il faut voir à quel point c’est puissant cette dimension des applications.

Maintenant je vais vous promener de votre côté et de ce qui vous arrive quand vous êtes là-haut en train d’appuyer sur votre ordinateur, votre smartphone ou autre, ce qui se passe. Il faut que vous ayez le sentiment de ces couches et de cette profondeur sur laquelle nous reposons. Cette image du surf, de la légèreté de l’Internet, en fait, elle repose sur beaucoup de profondeur.
Vous avez plusieurs types d’action en tant qu’usager. Vous pouvez adhérer à ISOC [Internet Society] qui a des chapitres dans chaque pays et qui vous explique comment fonctionne Internet. C’est une instance intéressante qui finance et qui norme Internet. Mais en général vous allez plutôt être quelqu’un qui a besoin d’acheter une connexion avec un fournisseur d’accès ou quelqu’un qui a besoin d’acheter un nom de domaine. Il y en a dans la salle qui sont concernés, qui ont déjà acheté des noms de domaine ? Voilà, ça me rassure d’avoir des gens qui sont avec moi quand même là-dessus, sur ce type d’expérience qui est toujours intéressante. On peut avoir des noms de domaine maintenant à son nom. Les noms de domaine ce sont les .org, les .fr, donc à la fois les noms de pays, mais aussi les secteurs économiques et industriels qui donnent une sorte de cartographie d’Internet, une sorte de carte, mais qui permet aussi, qui exige aussi d’avoir des adresses, parce que sinon on se perd dans la masse et on ne peut pas se retrouver. C’est très important d’avoir cette possibilité, d’avoir des adresses avec des protocoles internet, des protocoles IP.
Quand vous êtes en train de vous abonner, de payer votre abonnement, vous avez souvent besoin d’un câblo-opérateur. Il y en a plusieurs en France, SFR et compagnie, qui viennent dans la couche physique vous permettre à vous, ensuite, d’avoir accès à votre ordinateur et à toute la couche socio-culturelle.

Là on arrive à la question de qui contrôle tout ça. Parce que, pour voir accès à des adresses individuelles, il faut que qu’un organisme centralise tout ça et vous les donne, parce que sinon on pourrait donner à plusieurs personnes la même adresse. Il faut bien quelque chose qui régule et l’instance qui régule s’appelle ICANN [Internet Corporation for Assigned Names and Numbers ] avec IANA [Internet Assigned Numbers Authority], avec le « A » de « adressage », dans les deux cas. C’est cette instance-là qui contrôle Internet en termes de territoires, en termes d’adressage, en termes de votre vie quotidienne pour pouvoir avoir une place, pour exister sur le Web.
Ce qui est intéressant quand on regarde qui contrôle celui qui nous contrôle, celui qui contrôle Internet, c’est de voir que nous avons à faire, en fait, à un État, les États-Unis, et à une législation particulière celle de Californie. Les autres États ne sont pas particulièrement présents. Donc l’instance importante pour nous à suivre, il y en a plusieurs, il y a l’IETF [Internet Engineering Task Force], etc., mais ce sont des instances très techniques, l’instance qui nous intéresse aujourd’hui pour comprendre, c’est l’ICANN.

11’ 55

Quand on regarde ICANN de près,