Quand le libre se mêle de démocratie plénière RMLL 2013

De April MediaWiki
Aller à la navigationAller à la recherche


Lien vers la vidéo : [1]

Intervenants : Lionel Allorge - Tangui Morlier - Nicolas ? - ???

Lieu : RMLL juillet 2013

Durée : 56 min 51


00' transcrit Marie-Odile

Tangui Morlier : Bonsoir à tous. Merci d’être venus pour cette table ronde qu'on a intitulée « Quand le libre se mêle de démocratie ? » Il se trouve que depuis nonante six et la création de l'April en gros, en France en tout cas, et dans un certain nombre de pays européens, la communauté du libre s'est organisée pour essayer d'adresser des peines démocratiques et les adresser auprès de décideurs publics. Et durant durant ces quasiment vingt de plaidoyer politique autour du libre, et bien on va déjà ce plaidoyer se professionnaliser à travers l'exemple plus précis de l'April, mais également investir des champs nouveaux. On a pu voir petit-à-petit les thèmes principaux du logiciel libre qui ont été un peu résumés par l'April autour des quatre dangers du logiciel libre, investir de plus en plus la problématique des biens communs ou par exemple de l'Open Data un petit peu plus récemment. On a vu aussi qu'en fait le logiciel libre avait des processus de prise des décisions qui n'avaient pas à pâlir des processus de prise de décision démocratiques dans la vie physique. Donc ce qu'on vous propose durant cette table ronde c'est de faire un petit historique ; déjà pourquoi le logiciel libre pourrait être bon pour la démocratie ; faire un petit tour de table de ce qui a été réalisé en France, au niveau européen et en Belgique autour des plaidoyers autour du logiciel libre. Et puis après on s’arrêtera autour de deux expériences. L’expérience de Memopol, un logiciel libre qui permet de mieux comprendre ce que font les parlementaires notamment au Parlement européen et puis après je vous parlerai de l’expérience de Regards Citoyens qui vise à utiliser de données publiques pour mieux expliquer comment fonctionnent les institutions démocratiques et peut-être commencer, à travers le logiciel libre, à faire une petite Update sur la démocratie et peut-être lui permettre de mieux interagir dans le monde numérique d'aujourd'hui.

Ce que je vous propose c'est qu'on commence par Lionel qui va peut-être nous expliquer un petit peu en quoi le logiciel libre est bon pour la démocratie parce que n'est peut-être pas forcément quelque chose qui est acquis par tout le monde et notamment par les décideurs publics qu'on peut rencontrer.


Lionel Allorge : Merci. En fait on peut essayer de revenir un peu sur la démarche de l'April. Quand l'April démarre c'est une association qui fait de la promotion du logiciel libre. C'est-à-dire, en gros, on essaye d'expliquer aux gens à quel point le logiciel libre nous semble intéressant, etc. Et assez rapidement cette démarche s'est heurtée au fait qu'il y avait au niveau européen puis français, puisque l'April est une association française, il y avait des décisions de prises, des lois, des règlements qui venaient empêcher l'utilisation légitime du logiciel libre. Et c'est à partir de ça et notamment d'une loi européenne qui s'appelle EUCD, qui date de 2005 si je ne me trompe pas, qu'on est arrivés à se dire qu'il fallait avoir une démarche auprès des responsables politiques, auprès de nos représentants, parce que c’étaient eux qui votaient des lois et ces lois, ils n'en ont même pas forcément conscience eux-mêmes, pouvaient avoir des effets très négatifs sur l'utilisation des logiciels libres. On se trouve aujourd'hui dans une situation où on a certains logiciels libres qui deviennent interdits d'utilisation à cause de certaines lois votées au niveau européen et qui ensuite deviennent des lois dans les différents pays de l'Union Européenne.


Tangui Morlier : En quoi c'est mal d'interdire le logiciel libre dans la démocratie ? En quoi le logiciel libre répond à des attentes démocratiques ?


Lionel Allorge : Le logiciel libre, vous l'avez peut-être entendu dire par celui qui a forgé le concept de logiciel libre qui s'appelle Richard Stallman, quand il vient en France il s'amuse à nous expliquer qu'il peut résumer le logiciel libre en trois mots. Il utilise la devise la République française qui est liberté, égalité, fraternité. On retrouve cette idée là dans le logiciel libre. Le logiciel libre est d'abord quelque chose qui permet de créer une égalité entre les utilisateurs et les développeurs, qui permet d'avoir la liberté d'utiliser le logiciel comme on le souhaite et qui permet en plus de partager le savoir entre ceux qui ont déjà acquis une certaine expérience et d'autres pas.

Et donc il y a un parallèle entre ce qui se veut être la démocratie, notamment telle qu'elle a été pensée en France et le logiciel libre. Et ça, au départ, c’était quelque chose qui pouvait être assez théorique et on a, je pense, vécu au niveau de l'April une espèce de révolution au sens où, à partir d'une association qui était surtout organisée pour des informaticiens, par des informaticiens, on a été obligés de s'intéresser à ce que faisait le monde politique. Et je pense que vraiment ça a été, moi ce que j'ai vu d'évolution majeure à l'April ces dernières années, ça a été de dire on ne peut pas juste rester dans notre coin, et faire nos logiciels et expliquer à quel point nos logiciels sont bien ; il va falloir qu'on aille dans le monde politique au sens large, c’est-à-dire la vie de la cité pour voir comment ça peut se faire qu'on ait nous des solutions qui peuvent être utiles à la démocratie.

C'est une démarche qui a mis un peu de temps à se faire, en tout cas chez nous, parce qu'au départ beaucoup de gens ne comprenaient pas pourquoi des informaticiens venaient se mêler de vie publique et donc ça a été une sorte de démarche de hacker de dire comment on peut rentrer dans le système démocratique, comment ça fonctionne. Beaucoup d'entre nous, moi le premier, ne savaient pas exactement comment fonctionnait le Parlement français, le Parlement européen. Il a fallu découvrir tout ça pour voir comment nous on pouvait apporter des solutions peut-être à ces gens-là sur la manière de faire fonctionner des lois, de décider les lois qui devaient être votées.


Tangui Morlier : Et du coup quels sont les sujets que l'April a pu adresser cette année, notamment, qui a été relativement riche il me semble aussi bien au niveau européen que français ?


Lionel Allorge : Tout-à-fait. Au niveau européen, on a surtout actuellement des décisions qui sont prises non pas directement en faveur des logiciels libres mais sur les formats de fichiers et ce qu'on appelle l'interopérabilité qui est un mot compliqué pour dire qu'on doit pouvoir, avec n'importe quel logiciel, pouvoir relire des données sans être lié avec un logiciel précis. Ça a beaucoup d'importance au niveau européen parce que c'est le seul moyen de garantir la pérennité des données à long terme, et donc d’être sûrs que si un logiciel disparaît, même un logiciel libre on pourra demain continer à lire les données qui ont été produites pas ce logiciel.

Donc là il y a des avancées au niveau du Parlement européen dans ce domaine, et puis au niveau français. Comme vous le savez il y a une nouvelle majorité en France depuis un peu plus d'un an maintenant. Il y a a eu plusieurs projets de lois qui ont été proposés aux parlementaires français et dans ces projets de lois on a vu apparaître des amendements qui ont été favorables au logiciel libre et notamment récemment dans des lois sur l’Éducation Nationale où on a vu les, alors en France ça marche avec deux chambres vous avez les députés et les sénateurs, et au niveau ds sénateurs vous avez des sénateurs qui ont demandé que soient inclus des logiciels libres dans la loi et que pour l’Éducation il y ait une préférence donnée au logiciel libre sur les autres logiciels.

C’était évidemment très favorable pour nous. Malheureusement cet amendement qui avait été déposé n'a pas été retenu par le gouvernement. Il l'a fait supprimer et il l'a remplacé par une version beaucoup plus légère qui ne donnait plus la préférence au logiciel libre.

Mais par contre, le deuxième projet de loi qui en train de se voter en ce moment qui est là sur l'Éducation supérieure, donc les universités, où là de nouveau les sénateurs ont demandé à ce qu'il y ait une priorité au logiciel libre dans l'enseignement supérieur en France. Et on espère bien et on a pris contact avec un certain nombre de députés et de sénateurs, en France, pour essayer de faire en sorte que cet amendement soit voté et qu'on puisse conserver dans la loi cette préférence au logiciel libre ce qui serait à ma connaissance une première en France.


Tangui Morlier : Sans doute une double première. Déjà que la loi fasse mention du mot logiciel libre, en donne une existence reconnue par les institutions ce qui va faciliter beaucoup de choses et puis après cet aspect préférentiel.


Lionel Allorge : Préférentiel parce qu'on se doute bien que si nos étudiants sont confrontés à de l’informatique préférentiellement libre, ça veut dire qu'ensuite ils pourront faire des choix on espère plus larges, plus éclairées, plutôt que ce qui se passe en ce moment où souvent ils sont confrontés, dès le départ, à des logiciels propriétaires ou privateurs et une fois qu'ils sont dans ce modèle-là, ils sont dans un modèle qui ne leur permet plus d'échanger le savoir comme on peut le faire avec des logiciels libres. On pense que ça pourra avoir un effet bénéfique ensuite sur, je dirais, tout l'ensemble de la société.

10' 17

Tangui Morlier : Alors Nicolas, toi tu agis plus précisément en Belgique. Est-ce que tu peux nous raconter un petit peu ton expérience de l'initiative lepacte.be ? Est-ce que ça a donné quelques résultats aussi positifs que ceux que vient de nous énoncer Lionel tout de suite ?


Nicolas : Quelques résultats. L'initiative lepacte.be a commencé en 2009. Pour résumer en quelques mots pour ceux qui ne connaîtraient pas, cette initiative a pris le pendant, adapté à la Belgique de ce qui s'appelle candidats.fr. Donc une initiative qui veut encourager les députés, ou les candidats aux postes de députés, à signer un engagement d'utilisation ou de mise en œuvre préférentielle de logiciels. Nous avons en 2009 introduit ceci dans le monde politique belge francophone sous le nom de candidats.be. Nous avons contacté presque tous les candidats aux élections et un grand nombre a signé à ce moment-là en particulier trois, les trois présidents des trois partis qui se sont retrouvés à former le gouvernement. Vous savez que le système belge à la différence du système français est un système proportionnel, donc on fait toujours des coalitions. En l’occurrence, pour être précis, il s’agissait du parti socialiste, du parti cdH et du parti Écolo. Nous n'avions pas obtenu la signature du président du parti réformateur et d'une certaine manière ce n'était pas trop grave puisqu'il s'est retrouvé dans l'opposition.


Tangui Morlier : Est-ce que c'est grâce au pacte tu penses ?


Nicolas : Non !


Tangui Morlier : Non ! OK ! C'est dommage !


Nicolas : Ce n'est sûrement pas grâce au pacte. Je crois qu'il n'y avait pas d'effet, mais ce qui s'est passé c'est que nous étions très étroitement en discussion, oui ?


Public : inaudible


Nicolas : Je n'ai parlé malheureusement que de la Belgique francophone. Je parlerai un petit peu après, si vous voulez, de ce qui s'est passé du côté néerlandais où il s'est passé beaucoup moins de choses, c’était beaucoup plus difficile.

Suite aux contacts que nous avions, avant les élections, avec les bureaux de ces trois partis, nous avons très activement permis, et c'est déjà une action à mon avis, que naisse un document favorable au logiciel libre et aux standards ouverts, en l’occurrence les déclarations politiques régionales et communautaires 2009 - 2014 qui sont les documents par lesquels les gouvernement s'engagent dans une politique de route pour la législature à venir. Donc pour les cinq années qui terminent l'année prochaine, le gouvernement de la région wallonne et le gouvernement de la communauté Wallonie-Bruxelles sont engagés à mettre en œuvre des logiciels libres à différents niveaux. L'engagement n'est pas très très précis, mais c'est un engagement global.

Vous savez qu'en Belgique on vote très souvent. On a remis le paquet en 2010 pour rappeler aux gens qu'on avait voté et que ceux qui s'étaient engagés ce serait bien qu'ils mettent en œuvre et qu'à d'autres niveaux de pouvoir ils s'engagent à nouveau parce qu'on vote à différents moments, à différents niveaux de pouvoir. Il y a de nouveau eu quelques personnes qui ont signé le pacte. Et puis en 2012 on a étendu le premier pacte des logiciels libres à un triple pacte. C'est pour cela qu'il a changé de nom ; il est passé de candidats.be à lepacte.be, incluant candidats.be pour ce qui concernait le logiciel libre, mais avec deux extensions, une concernant les données ouvertes et l'autre concernant, le troisième point, je ne me souviens plus tout d'un coup !


Tangui Morlier : Neutralité, Open Data ?


Nicolas : Voila, neutralité du net. Tout-à-fait. Donc c'est le point très important de la neutralité du net qui nous semblait à ce moment-là crucial et qui a vraisemblablement servi à sensibiliser les gens dans la démarche Acta qui a suivi.

Donc les résultats de 2012, qui étaient des élections au niveau fédéral, ont servi et ont permis qu'aujourd'hui cent quatorze élus sur un total de cent quarante élus au Parlement fédéral donc la section francophone, soient des gens qui aient signé un engagement vers le logiciel libre.

J'ai parlé des résultats. Sans doute le premier c'est donc cette déclaration de politique régionale. Est-ce qu'il en est sorti quelque chose de celle-là ? Sûrement une sensibilisation au terme de logiciel libre et de standards ouverts. Quand on retourne voir des politiques aujourd'hui, on s'appuie sur ces déclarations. Ce que je peux vous dire c'est que des conférences ont été organisées, une autre que celle-ci, « Open de source », qui a déjà été organisée deux fois par des acteurs proches des administrations et qui chaque fois se sont appuyés sur cette déclaration pour dire aux gens « eh bien voila des engagements ont été pris et maintenant où est-ce qu'on va ? Allons plus loin. »

Ça aide les administrations ou certaines parties des administrations à mettre en œuvre des logiciels libres en leur sein. Donc des informaticiens ou des décideurs dans le cadre de marchés publics s'appuient aussi sur ces déclarations pour dire regardez, ça a été fait. Souvent ils se heurtent d'après les échos que j'ai eus au fait que des niveaux de pouvoir très élevés sont sensibles aux sirènes du monde propriétaire mais les niveaux intermédiaires ou plus techniques s’appuient eux sur les déclarations pour dire « on ne peut pas utiliser le logiciel propriétaire comme certaines de nos directions le voudraient parce qu'on nous demande au niveau politique de le faire autrement ».

Quarante mille ordinateurs ont été installés dans les écoles depuis le début de la législature, donc depuis 2009, et ces ordinateurs, une des choses que nous avons obtenue et qui est vraisemblablement en grande partie liée d'après les contacts qu'on a obtenus, sont que ces ordinateurs étaient tous équipés en dual boot. Les écoles pouvaient choisir si elles voulaient des ordinateurs avec Windows et Ubuntu ou bien des Macintosh avec un dual boot Ubuntu. Et donc ces ordinateurs ont été déployés dans les écoles. Malheureusement ceux qui finançaient les ordinateurs n’avaient aucun rapport avec ceux qui finançaient les formations des utilisateurs des ordinateurs, ni sur Windows, ni sur Mac, ni sur les logiciels libres. Donc les ordinateurs de manière générale sont très peu utilisés et ceux qui sont utilisés avec du logiciel libre en démarrant sur Ubuntu sont encore moins utilisés donc ils sont presque toujours utilisés avec Windows. Par contre, ce que nous avons obtenu aussi, c'est que même les partitions propriétaires soient par défaut équipées de logiciels libres, autrement dit la suite bureautique était OpenOffice à cette époque-là, les logiciels de graphisme étaient des logiciels libres, Mozilla était le navigateur par défaut. Voilà !

Encore peut-être deux points si je peux ?


Tangui Morlier : Si tu es bref, oui !


Nicolas : Je serai très bref. Le premier c'est qu'un des partis qui a été contacté depuis et qui s'est très fort engagé, qui est celui qui s'est le plus engagé, le parti écolo, pour lequel près de trois quarts des signataires de 2012 étaient des membres de l'écolo, a décidé en interne de basculer, de faire une migration complète à l'usage de logiciels libres. Donc tout le bureau et tout ce qui concerne je dirais les organes administratifs d'Écolo aujourd'hui utilisent des logiciels libres. Ils mangent leur propre pain ce qui est à mon avis une bonne chose.

Et alors quelque chose qui est à la fois positif et négatif, qui est apparu en même temps, c'est une initiative, je ne connais pas d'équivalent en France mais je suppose qu'elle existe, elle s'appelle en Belgique SOCIALware . C'est une association qui est soutenue très activement par Microsoft, qui a commencé grosso modo vers 2009, à faire une promotion très active auprès des associations pour rendre tous les logiciels Microsoft disponibles gratuitement sauf frais administratifs qui se montent à une somme de l’ordre de cinq euros, coupant donc l'herbe sous le pied à l'idée que le logiciel libre est gratuit.

Donc l'argument économique a disparu pour un grand nombre d'associations. Ça leur a permis du même coup de se régulariser du point de vue des licences. Mais la partie intéressante, c'est qu'on constate aujourd'hui qu'un grand nombre d'associations, soutenues notamment pas des associations majeures dans le secteur culturel, commencent à réfléchir aux aspects idéologiques sous-jacents, et donc demandent maintenant à avoir des formations concernant le logiciel libre, plus pour des raisons économiques mais pour des raisons idéologiques, se rendant compte petit-à-petit des menaces qui sont associées à l'usage de logiciels propriétaires. Voila en quelques mots la situation belge associée au pacte.


Tangui Morlier : D'accord ! C'est effectivement très intéressant et on voit là qu'on a une initiative de quelques citoyens parce que je crois que vous n'étiez pas très très nombreux aussi bien en Wallonie qu'en Flandres. Donc toutes les bonnes volontés sont les bienvenues, surtout que, si j'ai bien noté, l'engagement va jusque 20014. Donc il y a deux choses à faire, c'est le suivi des engagements parce que c'est bien qu'ils nous disent qu'ils vont agir pour le logiciel libre, mais encore faut-il que les engagements soient mis en œuvre et comme il reste un an pour les mettre en œuvre peut-être qu'une mobilisation citoyenne pourrait les aider. Et puis après faire en sorte que ça ne reste pas que des engagements d'un mandat, mais ça s'inscrive un petit plus sur le long terme dans l'action politique.

Et ce qui est aussi intéressant avec cette expérience-là, c'est qu'en fait d'abord vous vous êtes inspirés de l’initiative de l'April à travers le logiciel de candidats.fr que vous avez adapté et là on voit qu'il y a une correspondance entre des volontés citoyennes et la rencontre d'un besoin aussi autour d'un logiciel libre. C'est une expérience à peu près identique qui est apparue à la Quadrature du Net et avec l'émergence du logiciel Memopol2 qui est en fait la récupération d'un logiciel qui existait déjà du temps des combats sur les brevets logiciels et des combats contre les DRM qui ont eu lieu en France en 2005.

Il me semble que toi, Laurent, tu es venu après ces combats-là et tu t'es dit j'aime bien cette idée de Memopol, que tu vas nous expliquer, puisque peut-être que tout le monde ne connaît pas encore ce logiciel. Et en quoi il pourrait être utile même bien plus largement qu'au sein de l'écosystème du logiciel libre et du libre en général ?

22' 02

Laurent : Oui effectivement. Écoutez je vais vous expliquer basiquement quelle est ma politique. C'est un site web assez simple en fait. Ça permet à une organisation, pour l'instant il n'y a que la Quadrature du Net qui s'en sert et Gérald Sédrati-Dinet qui met aussi les informations par rapport aux brevets logiciels, c'est un site...


Tangui Morlier : Il faut que tu parles un petit peu plus fort, le micro plus près.


Laurent : Ça va mieux ? Donc c'est un programme qui permet à une organisation de mettre en ligne les recommandations de vote qu'elle a envoyées à des élus. L'exemple typique c'est la Quadrature du Net qui a envoyé aux députés européens qu'il ne fallait pas voter pour ACTA parce que ce n’était pas un très très bon texte. Donc de mettre en ligne ces recommandations de vote et d'aller chercher les députés européens et d'aller prendre la façon dont ils ont voté, leur vote à eux, et de faire une comparaison entre les deux. Ce qui permet en fait de voir quel député a le mieux suivi ces votes, quel groupe a suivi, etc. C'est très intéressant pour des organisations comme la Quadrature du Net qui fait des campagnes sur ces sujets-là.

Mais là où c'est beaucoup plus intéressant c'est pour nous en tant que citoyens. Déjà c'est intéressant si vous pensez que la Quadrature du Net représente vos intérêts sur la défense des libertés fondamentales sur internet et sur la neutralité du net. Vous pouvez aller sur Memopol, donc sur le mémoire politique de la Quadrature du Net et voir lequel de vos élus a le mieux suivi les recommandations de la Quadrature du Net, donc vous a le mieux représenté sur ces sujets-là. Ce qui est quelque chose que pour l'instant on ne peut voir que dans ce cadre-là, ce qui extrêmement dommage. C'est une information que vous n'avez pas. C'est extrêmement dur aujourd'hui de se dire j'ai cet élu là, je vais voter pour lui, ou vais-je avoir des informations sur lui, c'est très dur de savoir sur quoi il a voté, si ce qu'il a voté, quand vous comprenez ce qu'il a voté, vous représente. C'est quelque chose qu'on n'a pas du tout et c'est quelque chose que ce logiciel permet.

Je trouve ça extrêmement passionnant. Seul problème c'est que pour l'instant il n'y a que la Quadrature du Net. Ce que j'aimerais bien c'est que tout le monde puisse facilement en monter un. Que des organisations comme Greenpeace, comme RSF, comme n'importe quoi qui représente vos intérêts, puissent s'amuser à monter un mémoire politique pour aussi mettre leurs recommandations de vote en ligne. Qu'on puisse après nous en tant que citoyens assembler l'ensemble de ces informations et pouvoir ainsi construire les profils des députés qui nous représentent le mieux, à la fois pour quand on va voter, pour voter en état de cause et pas simplement par rapport à la communication qu'ils ont faite, mais aussi pour mieux comprendre ce qui se passe dans la vie politique aujourd’hui, parce que c'est un peu, allez, vide d'angle, les textes sont compliqués, il y a énormément d'informations, c'est très dur de savoir ce que ce vote-là représente vraiment, en sachant déjà qu'on ait ce vote-là.

Moi je pense que c'est indispensable d'avoir ce genre d'outil-là en tout cas pour essayer de se réapproprier le discours politique et je vais vous faire un petit parallèle, en fait pour vous expliquer dans quel cadre, dans quelle idée s'inscrit ce mémoire politique et comment ce serait dommage de se limiter uniquement à ce cadre-là et enfin je ne vais pas vous dire comment étendre ce cadre-là. Vous avez une idée de qu'est-ce que ça implique vraiment ? Je vais vous faire un parallèle avec la réalité augmentée. Je ne sais pas si vous avez déjà vu la réalité augmentée. Ce sont des gars avec des lunettes qui ont des filtres qui rajoutent des informations dans ce qu'ils voient. La réalité augmentée, généralement cause des visions d'artistes de ce qu'est la réalité augmentée, vous avez plein de pubs en plus, plein de machins dans tous les sens et ce n'est pas vraiment une vision qui m'intéresse moi. Je pense que quand vous êtes un peu hacker et que vous réfléchissez, vous dites qu'avoir quinze mille pubs partout et des tas de fonctionnalités en plus ce n'est pas très intéressant. Et en réfléchissant un peu, en faisant un parallèle avec une extension que vous connaissez tous qui s'appelle Adblock Plus, on peut s’imaginer à mélanger de la réalité augmentée à Adblock Plus. C'est-à-dire on pourrait s'amuser à virer les pubs en vrai. Et quand on commence à réfléchir comme ça on se dit mais je peux rajouter des trucs, mais je peux aussi retirer des trucs. Ce que ça veut dire en fait, ça veut dire qu'avec la réalité augmentée vous pouvez choisir la façon dont vous, vous voulez voir le monde, pas la façon dont le monde vous est offert. Vous, vous voulez voir le monde d'une certaine manière. Il y a un certain monopole de la communication par les gens qui ont l'espace publicitaire, par les gens qui vous vendent des produits. C'est très difficile de se battre contre.

Quand vous voulez faire par exemple du boycott, parce que vous n’aimez pas une marque, en ce moment c'est Monsanto qu'on n'aime pas, c'est extrêmement dur. Il faut se rappeler des trucs, il faut savoir que ce produit-là a été fait par Monsanto. Avec une réalité augmentée comme ça., ce serait extrêmement plus simple : vous iriez dans le supermarché, vous auriez directement les produits en rouge qu'il ne faut pas acheter. Et le parallèle ne s’arrête pas là. L'idée qui est vraiment-là c'est de choisir comment on veut voir le monde, comment vous vous voulez voir le monde, quels moyens vous voulez vous donner de voir le monde.

Et le parallèle que je veux faire avec notre temps maintenant, enfin pour revenir en arrière, c'est qu'avec le mémoire politique, l'idée c'est que lorsque vous vous voulez voir des élus, de quelle manière vous voulez les voir ? A travers quel filtre vous voulez les voir ? Est-ce que vous voulez écouter leurs discours alors que ce sont des professionnels du discours ? Ou est-ce que vous voulez voir leurs actions ? La façon dont ils ont voté ? Comment est-ce qu'ils vous ont influencé ? Quels amendements ils ont déposé ?

Et pour moi c'est ça le véritable intérêt du mémoire politique et je pense qu'on peut étendre ça plus, je crois que ça arrivera dans le futur. Vous pouvez par exemple imaginer dire des sites de presse en sachant quel est le patron. Quel patron a quel lien avec quelle personne politique. Dans quelle industrie il travaille. Quel lien ce journaliste avec quelle chose. Il y a plein de domaines dans lesquels vous pouvez imaginer ça. Et pour moi c'est ça le véritable intérêt vers lequel on se dirige, le mémoire politique n'étant qu'une de premières pierres.

27' 05

Tangui Morlier : Il me semble effectivement que, c'est quelque chose, lorsqu'on pousse la logique du logiciel libre, c'est-à-dire se réapproprier la technologie pour que ce ne soit plus la technologie qui domine l'Homme mais l'Homme qui domine la technologie, on peut pousser ce parallèle-là effectivement dans la vraie vie. Il se trouve que le parallèle entre démocratie et la manière dont on fait du logiciel libre n'est pas si aberrant. La démocratie est équipée pour avoir une certaine transparence de la prise de décision publique. Lorsqu'on réfléchit, au début du XXe siècle, mettre en place une imprimerie nationale qui tous les matins édite un journal officiel, qui permet à chaque citoyen de connaître les prises de décision qui ont été réalisées au Parlement, l'ensemble des décrets qui ont été pris par l’ensemble des ministres, etc, au début du XXe siècle, c'est quelque chose qui extrêmement révolutionnaire. Le fait de se dire que l'ensemble des lois doivent être connues par l'ensemble des citoyens et qu'on met tout en œuvre pour que ces citoyens puissent s'approprier une prise de décision publique c'est quelque chose qui est révolutionnaire à l'heure du papier au début du XXe siècle.

Il se trouve que maintenant on rentre dans une nouvelle ère où l'ère du papier est un petit peu dépassée et où on peut avoir une granularité d'informations qui nous permettent de mieux comprendre ce que font nos représentants à l'Assemblée, dans les différents parlements, l’exécutif local ou national, etc. Il se trouve qu'en pratiquant la démocratie on a été un certain nombre de personnes à s’apercevoir qu'en fait le logiciel libre était déjà bien équipé pour expliquer ces prises de décision qui ont été réalisées sur les logiciels. Le fait qu'on ait des dépôts de versions, des dépôts de code source, GIT, SVM, etc, et qui permettent de savoir quel est l'impact de chacune des personnes dans le code source des logiciels. Le fait que, on l'oublie assez récemment, mais qu'il y ait des organismes internationaux comme l'IETF ou W3C qui rendent publics des standards, qui sont discutés largement et de manière très ouverte, montrent que l'internet s'est construit de manière relativement démocratique et en tout cas avec un objectif qui était d'expliquer les prises de décision qui ont permis la confection d'internet et la confection de l'ensemble des logiciels libres qui équipent internet.

À Regards Citoyens quand nous on est nés, de pratiquer le Parlement et de s'apercevoir qu'on avait oublié, parce qu'on est des praticiens du numérique et qu'on a oublié un petit peu l’apport que pouvait avoir le papier au début du XXe siècle, on s'est aperçu que les outils de transparence de la démocratie du XXe siècle pourraient être mis à jour pour permettre aux citoyens de mieux comprendre ce que font leurs représentants. Évidemment on s'est inspiré des réalisations de l'April, de mémoire politique, du pacte, etc, et on s'est dit pourquoi ces outils-là ne sont pour l'instant accessibles qu'au petit milieu du logiciel libre ou de la culture libre. C'est dommage qu'un outil comme mémoire politique, qui à l’époque agrégeait l'ensemble des prises de position des différents parlementaires, ne soit pas plus largement accessible à l'ensemble des militants. Pourquoi il n'y a pas un moteur de recherche sur le site de l’Assemblée Nationale française qui permette de recevoir tous les matins des mises à jour, par mail, les prises de position, les prises de parole de l'ensemble des représentants français. C'est de ce point de vue-là qu'on est parti pour créer Regards Citoyens et ont a créé en quelques mois, en utilisant des documents publics et en en transformant en données pour les mettre dans des bases de données un site tel que nosdéputés.fr. Ça nous a pris deux mois et demi pour le faire.

Et il y a un moment où on a commencé à discuter avec notamment des gens à Sciences Po et on s'est dit ça pourrait être très intéressant d'expliquer la démocratie aux gens du logiciel libre en utilisant les outils du logiciel libre. C'est comme ça qu'est né un projet qui s'appelle « La fabrique de la loi ». La fabrique de la loi essaye de représenter une discussion d'un projet de loi sous la forme d'un dépôt de versions, donc sous la forme d'un GIT dans lequel on pourrait, pour chacun des amendements qui auraient été adoptés à l’Assemblée Nationale, voir l'impact qu'il aurait sur les projets de loi. Et même à la fin des discussions on pourrait être capables de faire un « blame », donc de savoir quel est le parlementaire qui est responsable de tel ajout dans un projet de loi et donc comme ça de permettre à des militants, quels qu'ils soient, d’expliquer, de mieux comprendre les prises de décision publiques. C'est vrai que l'un des enjeux aussi de la démocratie c'est de rendre explicite la prise de décision publique et si on la rend transparente forcément il y a des jeux de pouvoir, il y a des complexités qui se font et on a besoin d'outils pour les exprimer. Notre conviction c'est que ces outils doivent être du logiciel libre, parce qu'on doit s'appliquer à nous-mêmes le devoir de transparence qu'on attend de nos élus. Donc nous-mêmes, développeurs, on doit faire du logiciel libre pour expliquer chacune de nos prises de décision, chaque condition qu'on rajoute dans le code source et qu'on doit mettre à disposition les données qu'on exploite pour répondre à cet impératif de transparence.

Il y a de très nombreux projets qui commencent à naître de cette prise de conscience-là, la prise de conscience qui est résumée sous un buzzword en ce moment de l'Open Data et c'est l'élément un peu révolutionnaire au sein des administrations publiques c'est de faire en sorte que chaque prise de décision soit alimentée d'informations factuelles qui puissent être mises en discussion et qu'un citoyen qui ne comprend pas une prise de décision soit capable de remonter dans cette prise de décision pour mieux l’expliquer.

Voila un petit peu l'expérience dans le temps. Un des trucs magiques en préparant un peu cette table ronde, c'est que moi j'ai commencé, Lionel m'a formé au plaidoyer et au logiciel libre à l'April, et grâce à toutes ces petites expériences de simplement aller au Parlement parce qu'on a passé une nuit à mettre des cartes postales envoyées aux parlementaires en 2005 pendant la DADVSI, moi je me suis dit c'est bien d'envoyer des cartes postales, maintenant je vais voir si les cartes postales ont eu un effet. Donc je suis allé au Parlement. Puis après on a créé candidats.fr qui a été récupéré en Belgique. On a vu monter les nouvelles versions de Memopol. Et comme ça de plus en plus d’initiatives naissent pour valoriser les valeurs qu'on a autour de la culture libre et faire en sorte que potentiellement notre démocratie puisse en utiliser les externalités positives.

Voila un petit peu pour tracer l'idée qu'il y avait derrière cette table ronde. Je ne sais pas combien de temps il nous reste parce que normalement je crois qu'on devait s’arrêter à dix-huit heures et qu'il est déjà dix-huit heures cinq. Est-ce qu'on a le temps de prendre quelques questions ou peut-être réactions ? Je crois qu'on n'a pas parlé de tout. On a oublié de parler des initiatives en Flandres et je pense que vous avez sans doute des questions ou des expériences personnelles à nous faire part. Ce que je vous propose c'est qu'on se donne un quart d'heure pour prendre les questions, essayer de créer un petit débat et je suis sûr qu'on aura des bières libres après et qu'on pourra continuer le débat en profitant du beau temps bruxellois. Est-ce qu'il y a des gens ? Eh bien voila il y a déjà une question sur la gauche là. C'est le micro jaune je crois, le micro sans fil ! A priori c'est bon ! Non, on ne t’entend pas. On va essayer le rouge du coup ! Ah voilà là le rouge ça marche, impeccable. On va prendre le rouge.

35'34

Public : Je voulais juste reprendre l'exemple