Protection des données personnelles - Faut-il bruler Facebook

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Titre : Protection des données personnelles - Faut-il brûler Facebook ?

Intervenant : Arthur Messaud -

Lieu : Émission Le téléphone sonne

Date : mars 2018

Durée : 38 min 43

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Licence de la transcription : Verbatim

NB : transcription réalisée par nos soins. Les positions exprimées sont celles des intervenants et ne rejoignent pas forcément celles de l'April.

Statut : Transcrit MO

Transcription

Fabienne Sintes : France Inter – Le 18-19

Fabienne Sintes : Nous avons tous collectivement trouvé ça d’abord ludique, les réseaux sociaux, Facebook en tête, puisque tout de suite il a séduit la planète entière. On y trouvait des amis, on y racontait les petites banalités de la vie, on y partageait quelques photos et puis des opinions et puis des liens et puis on nous a parlé des algorithmes qui vous connaissent mieux que vous-même, des pubs ciblées dès que vous allez sur un site ou sur un autre. Bref, nous avons fini par réaliser, au fil du temps, que nus laissions des petits bouts de nous-même sans trop savoir où mais que d’autres savent très bien s’en servir. À un moment ou à un autre nous sommes devenus des fichés volontaires et aujourd’hui tout ce la prend des proportions énormes avec une accélération vertigineuse peut-être ces derniers mois, les fake news, la campagne américaine, l’ingérence russe. Facebook et les réseaux sociaux sont devenus utiles au fil des temps, bien sûr, mais aussi peut-être dangereux. L’impact politique est là, l’influence, donc la propagande, et des geeks à très grande échelle plus malins que les autres qui savent très bien détourner le réseau social de son but, l’utiliser à d’autres fins et c’est bien, peut-être, ce qui se passe avec Cambridge Analytica.

Alors est-ce que les réseaux sociaux, est-ce que Facebook ne maîtrise plus le monstre tentaculaire qu’il a lui-même créé ? Est-ce que ça veut dire que la seule issue c’est de partir, de quitter le réseau ? Peut-on leur tordre le bras, en faire un outil qui restera pratique, ludique et utile ? C’est à vous de nous le dire. Ce soir pas d’appels sur France Inter, mais le site internet franceinter.fr qui vous attend avec vos remarques, avec vos questions.

Voix off : Fabienne Sintes – Le téléphone sonne ce soir

Fabienne Sintes : La première question, avant de présenter les invités, c’est Virginie qui la pose et qui nous a écrit sur franceinter.fr depuis Marseille : « Où sont les fameuses données qui ont été collectées par Cambridge Analytica ? Est-ce qu’il y a eu des copies ? Est-ce qu’on risque de les retrouver encore ailleurs et plus tard ? C’est comme ça qu’on entame ce débat dans Le téléphone sonne ce soir. Et pour répondre à toutes les questions que vous nous posez par écrit et sur franceinter.fr, Arthur Messaud est là, bonsoir.

Arthur Messaud : Bonsoir.

Fabienne Sintes : Vous êtes juriste à La Quadrature du Net, l’association de défense des droits et des libertés fondamentales à l’ère du numérique. Bonsoir Giuseppe De Martino. Vous êtes fondateur de Loopsider, le média en ligne, et vous êtes président de l’Association des services associatifs communautaires.

Giuseppe de Martino : Bonjour.

Fabienne Sintes : Et bonjour Gwendal Le Grand, vous êtes directeur des technologies et de l’innovation à la CNIL.

Gwendal Le Grand : Bonsoir.

Fabienne Sintes : Arthur Messaud, c’est pour vous la première question, celle de Virginie : elles sont où ces données collectées par Internet ?

Arthur Messaud : D’abord il faut se réjouir qu’on se pose enfin la question, parce qu’il a fallu qu’on ait un sujet politique qui parle de Trump et du Brexit pour qu’on s’y intéresse et tant mieux parce qu’en fait, ces questions-là, on se les pose depuis le début et on manquait un peu d’éléments concrets pour que les gens s’inquiètent vraiment. Donc là on se pose cette question-là pour Cambridge Analytica.

Fabienne Sintes : On manquait d’éléments disant à quoi ça sert effectivement de prendre les données, pour en faire quoi ?

Arthur Messaud : Effectivement, quand c’est politique, ça nous parle, mais en fait, quand c’est publicitaire ça va être les mêmes formes de conditionnement que la population va subir, donc conditionnement économique mais pas que, politique évidemment : Facebook filtre les contenus que vous pouvez lire, il hiérarchise, il va mettre en avant certains contenus et ça, ça a évidemment une influence sur le débat public.

Pour répondre à la question de Virginie, les données qu’a collectées par Cambridge Analytica sont probablement dans les mains d’énormément d’autres applications qui, de la même de façon, ont collecté autant d’informations si ce n’est plus, parce que Facebook, depuis le début, permet ça. Il n’y a pas du tout un détournement de Facebook, il n’y a pas du tout quelque chose qui échapperait aux mains de Facebook. Facebook est très clair dans ses conditions générales d’utilisation : elle permet aux applications que vous utilisez d’accéder aux like de vos amis.

Fabienne Sintes : On pourra revenir à ce qu’on pourrait faire nous, effectivement, pour éviter que tout cela ne se répande. Pour en revenir à ce que disait Giuseppe De Martino, peut-être à ce que demandait Virginie, les journalistes, par exemple, qui ont fait les papiers sur Cambridge Analytica, en ont vu certaines de ces données. Est-ce que ça veut dire que ça fonctionne comme lorsque vous donnez votre numéro de téléphone une fois, à l’ancienne, et qu’il se retrouve après dans des publicités ici et là avec des gens qui vous appellent. Elles sont déjà partout ces 50 millions de données ? Ou pas ?

Giuseppe de Martino : C’est le risque. Vous avez eu la très bonne expression : les usagers de ces services se transforment en fichiers volontaires. Il n’y a pas eu de vol. C’est vraiment chaque utilisateur qui a donné sciemment des informations qu’il a partagées volontairement et, au fil de l’eau, toutes ces informations continuent à se diffuser de la manière la plus large possible. On revient donc au point de départ : c’est comment empêcher de se transformer en fichier volontaire ?

Fabienne Sintes : Mais alors, avant cela, ça veut dire que ça ne s’arrêtera jamais ? C’est-à-dire ces données-là, maintenant qu’elles sont quelque part, on va les retrouver pendant combien de temps ?

Giuseppe de Martino : Indéfiniment, indéfiniment !

Gwendal Le Grand : Oui.

Fabienne Sintes : Gwendal Le Grand.

Gwendal Le Grand : Oui, tout à fait. En fait, ce qui se passe avec Facebook, c’est qu’en répondant à des questions, des petits quiz que vous récupérez, non seulement vous donnez des réponses à celui qui a posé le quiz et vous expliquez ce que vous pensez mais, en plus, vous donnez accès des informations qui concernent les amis. En fait, c’est ça la particularité du cas Cambridge Analytica, c’est qu’il y a un nombre limité de personnes qui ont répondu à des questionnaires et que, comme ils ont été en contact avec celui qui a posé la question, ils ont également donné accès à des informations qui étaient dans les profils des amis.

Arthur Messaud : Ce n’est pas spécifique à cette application-là ; toutes les applications fonctionnaient pareil.

Gwendal Le Grand : Tout à fait. Et c’est pour ça que c’est absolument essentiel, quand vous utilisez ce type d’outil-là, de bien regarder les paramètres de confidentialité pour décider quel est le niveau de visibilité que vous allez donner aux informations qui sont dans votre profil.

Fabienne Sintes : Mais alors attendez ! Qu’est-ce que ça veut dire pour l’instant Arthur Messaud ? Est-ce que ça veut dire que, en fait, ce n’est même pas du hacking, ce n’est as du siphonnage. Tout ça c’est fait de manière extrêmement légale du début jusqu’à la fin ?

Arthur Messaud : Non, ce n’est pas légal. On va en parler. Le souci, c’est fait de façon volontaire par Facebook. Facebook a organisé ça pour attirer des applications sur sa plateforme, pour rendre Facebook le plus intéressant pour le public. Donc c’était un échange. Il vendait nos données, enfin il laissait un accès à nos données, en échange de services qui venaient sur Facebook type Tender, Airbnb quand vous allez vous connecter via Facebook, etc., ça permettait de faire grossir Facebook. Est-ce que c’est légal ?

Fabienne Sintes : Donc pour comprendre. Je voudrais qu’on comprenne vraiment bien de quoi on parle. Airbnb par exemple, pour parler de choses que les gens connaissent, à quoi ils ont accès sur ma page Facebook ?

Arthur Messaud : Normalement Facebook vous demande, au moment de vous inscrire, d’accepter que Airbnb ait accès à tout ce qui est public chez vous, à la liste de vos amis, à votre bio, à votre localisation, à ça, et aussi aux like, à la liste des pages qu’auraient aimées vos amis. Donc vous, à cause de vous, quand vous vous inscrivez sur Airbnb, Airbnb peut accéder à tout ça. On ne parle pas de technique, là, on parle de ce que Facebook vous demande d’accepter quand vous vous inscrivez à Facebook. Et toute l’illégalité est là parce qu’en fait Facebook ne vous laisse pas le choix. Elle vous dit : « Pour accéder à mes services vous devez vendre vos données personnelles à moi, à Facebook, et à tous mes partenaires ». Et ça, cette obligation de vendre vos données, c’est illégal. Vos données personnelles ce sont des libertés fondamentales, on ne peut pas les vendre. Ce ne sont pas des biens, ce n’est pas de l’argent ; vous ne pouvez pas céder une liberté fondamentale contre un service ; c’est interdit.

Fabienne Sintes : Gwendal Le Grand, là pour la CNIL, pour le coup, c’est effectivement interdit ? Cette pratique-là est purement interdite et donc sanctionnable par des gens comme vous ?

Gwendal Le Grand : Il y a une loi informatique et libertés en France, qui est là depuis 1978, avec des règles à respecter. On peut traiter des données personnelles, la loi n’est pas là pour interdire le traitement de données personnelles, elle est là pour l’encadrer. Et une des choses fondamentales, quand on traite vos données, c’est qu’on vous informe correctement. Donc vous devez savoir ce qui est traité, par qui, comment et pendant combien de temps. Et l’idée c’est de donner le contrôle à l’utilisateur pour qu’il puisse décider avec qui il partage l’information.

Fabienne Sintes : Giuseppe De Martino, qu’est-ce qu’on peut cocher et qu’est-ce qu’on peut décocher ? C’est-à-dire il y a un certain nombre de choses qu’on maîtrise : à qui on montre un certain nombre de statuts, à qui on ouvre nos contacts, comme on l’expliquait à l’instant. Quelles sont les choses que, en revanche, on ne peut pas décocher ? Donc de fait, dès que nous sommes sur Facebook, on les donne.

Giuseppe de Martino : Il y a un besoin essentiel d’identification des utilisateurs, même en cas dérapage, pour que la plateforme puisse donner des informations, par exemple aux autorités répressives. Donc tout ce qui est adresse mail, tout ce qui est adresse IP.

Arthur Messaud : C’est interdit ça aussi mais bon, on reparle après.

Giuseppe de Martino : L’identité nationale, en quelque sorte numérique, de chaque utilisateur. Mais ce qui est quand même important, pardonnez-moi d’y revenir, c’est qu’il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain numérique. Ces services sont gratuits.

Arthur Messaud : Non, ils ne sont pas gratuits ! Pardon, ils ne sont pas gratuits !

Giuseppe de Martino : Attendez, ne dites pas n’importe quoi !

Arthur Messaud : Wikipédia est gratuit.

Fabienne Sintes : Attendez !

Giuseppe de Martino : Vous m’avez coupé. Facebook est gratuit.

Arthur Messaud : Non, non tout le monde est courant. N’importe quel auditeur sait très bien que Facebook n’est pas gratuit. On renonce à une liberté fondamentale pour accéder.

Giuseppe de Martino : C’est totalement faux. Vous êtes juriste, merci d’être rigoureux de ne pas dire n’importe quoi.

Arthur Messaud : D’accord. Je pense que tout le monde sera d’accord avec moi !

Fabienne Sintes : D’accord. Ce que vous êtes en train de dire, excusez-moi, ce que vous êtes en train de dire c’est qu’effectivement on ne paye pas pour entrer sur Facebook.

Arthur Messaud : Voilà. On ne donne pas de l’argent. D’accord, il ne faut pas confondre le fait de ne pas donner d’argent avec gratuit.

Giuseppe de Martino : Quelle est votre définition de payer ? On ne donne pas d’argent.

Arthur Messaud : On perd quelque chose quand on va sur Facebook. On perd quelque chose donc ce n’est pas gratuit.

Giuseppe de Martino : Vous perdez votre temps, sûrement vous, mais il y a plein de gens qui découvrent des choses, qui s’amusent, qui se divertissent. C’est une ouverture sur le monde, c’est une ouverture sur ses amis. Ces plateformes représentent un gain formidable en termes de liberté d’expression et ça vous l’oubliez !

Arthur Messaud : Mais non !

Giuseppe de Martino : Vous l’oubliez. Il y a trente ans, il y a vingt ans quand on n’avait pas ces plateformes.

Arthur Messaud : C’est Internet. Vous confondez Internet et Facebook. C’est Internet qui apporte la liberté des réseaux.

Giuseppe de Martino : Je vous parle d’expression en général.

Arthur Messaud : Facebook filtre les programmes.

Giuseppe de Martino : Facebook donne la possibilité à tout un chacun de découvrir…

Fabienne Sintes : L’un après à l’autre s’il vous plaît ; je ne vois pas l’intérêt de parler en même temps, sincèrement, sinon personne ne s’entend.

Giuseppe de Martino : Bien sûr.

9’ 27

Fabienne Sintes : En quoi Facebook savait-il la fragilité de ces données ? Sait-il lorsque Zuckerberg, pour dire les choses clairement, il s’excuse de quoi ? Puisque vous nous expliquez que tout ça est parfaitement légal et que nous le savons même nous-même lorsqu’on s’inscrit sur Facebook ?

Gwendal Le Grand : En fait, ce qui se passe c’est que quand vous vous inscrivez sur Facebook, par défaut il y a un certain nombre des données qui sont échangées, qui sont rendues visibles. La question, finalement, c’est quelle est l’étendue des données qui sont rendues visibles ? Est-ce que c’est tout ce que vous avez mis sur votre profil ? Est-ce que c’est visible par tout le monde ? Ou est-ce que c’est seulement un sous-ensemble ? Au moment de Cambridge Analytica, les paramètres par défaut étaient extrêmement larges. Depuis, d’ailleurs, ils ont refermé un petit peu l’accès par défaut aux données qui sont dans les profils et, ce qui est très important, c’est de passer suffisamment de temps, quand vous vous inscrivez sur ces services-là, pour aller regarder les paramètres de confidentialité. Parce qu’effectivement, sur ces réseaux, on paye comment ? On paye avec ses données, d’une certaine manière. Il y a une expression consacrée qui est « si c’est gratuit c’est vous le produit. »

Eh oui, ces réseaux-là utilisent vos données, ils savent vous profiler exactement et ce qu’ils vont vendre, ils vont vendre à des annonceurs ou à des tiers le fait qu’ils connaissent une personne avec un profil particulier et ils vont vendre ce profil-là en disant : « Qui veut afficher une publicité à cette personne que je connais bien ? » Et si la publicité est ciblée, en général la logique économique derrière c’est de dire que l’annonceur est prêt à payer plus cher que si, évidemment, la publicité n’est pas ciblée. Et c’est comme ça qu’ils se rémunèrent.

Fabienne Sintes : Éric est dans le Nord. Il nous demande : « Peut-on fermer Facebook pour le sanctionner ? » Il y a un hashtag qui court en ce moment DeleteFacebook. Un État a-t-il le moyen de fermer le réseau. Alors un État c’est peut-être un peu plus compliqué, Giuseppe De Martino ?

Giuseppe de Martino : Encore une fois, c’est une liberté de chacun. Chacun est libre de ne pas aller sur Facebook. Aujourd’hui il y a à peu près trente millions de Français qui ont un compte Facebook ; il y a à peu près vingt millions de Français qui vont tous les jours. Personne n’interdit à tous ces Français de couper leur compte. On vote avec ses pieds, on vote avec son clavier, on peut décider de ne plus être actif sur ces réseaux. Après, la question essentielle, c’est comment apporter une pédagogie plus grande pour comprendre véritablement à quoi mène un usage un peu trop facile, un peu trop libre de ces plateformes ?

Fabienne Sintes : Mais au-delà de la pédagogie, pardon, pourquoi ça marcherait dans ce sens-là ? C’est-à-dire il faudrait faire de la pédagogie pour éviter d’être sanctionné, d’une certaine façon, par les réseaux sociaux. Est-ce qu’on n’a pas nous les moyens d’obliger de tordre le bras des réseaux sociaux ? Est-ce qu’on a les moyens de faire ça ?

Giuseppe de Martino : En fait, nous l’État…

Arthur Messaud : Vous n’êtes pas l’État vous ! Les citoyens oui ont les moyens, en tout cas.

Fabienne Sintes : Arthur Messaud, comment on fait ?

Arthur Messaud : Juste pour revenir sur cette question de transparence, on nous appelle à la transparence. Si moi je vous donne un contrat très transparent où je vous dis vous allez travailler pour moi 16 heures par jour, contre 3 euros par jour. Vous êtes dans la misère, vous allez accepter. C’est complètement transparent, vous avez accepté en liberté. Mais non ! Heureusement qu’on ne fonctionne pas comme ça. On a le droit du travail pour vous empêcher de vous soumettre comme ça et de brader votre temps de travail. Pour les libertés fondamentales, les données personnelles, c’est pareil. Vous ne pouvez accepter n’importe quoi. Vous ne pouvez pas accepter de vendre vos données à Facebook ; ça c’est interdit. Alors comment on peut forcer Facebook à arrêter de faire ça ?

Dès le 25 mai prochain, on a une nouvelle loi européenne, très importante, qui va entrer en application et qui va avoir pour effet presque principal de donner des nouveaux pouvoirs de sanction à la CNIL, des amendes au-delà de 4 % du chiffre d’affaires mondial. Donc ça ce sont des vrais moyens pour la CNIL d’agir. Sauf que la CNIL, on l’a vu depuis un moment, elle n’est pas forcément très courageuse tout le temps pour s’en prendre à des choses aussi fondamentales. Alors là ce sont les citoyens qui peuvent se mobiliser, agir ensemble, pour bouger la CNIL, pour mettre la pression sur Facebook avec une nouvelle arme qui va être l’action de groupe. Nous, à La Quadrature du Net, on peut faire des actions de groupe, donc on va en faire contre Facebook évidemment et pas du tout que sur ce sujet de Cambridge Analytica et pas que contre Facebook. Parce que là, ce qui se passe sur Facebook, c’est exactement le même modèle économique que vont avoir tous les GAFAM – Google, Apple, Amazon – qui reposent tous sur les mêmes choses, donc il faudra s’attaquer à tous.

Ce qu’on peut faire nous, beaucoup plus que fermer son compte qui est juste procéder tout seul et ne se protéger qu’à moitié parce qu’en fait Facebook, tel un petit renard, va vous traquer sur tous les autres sites du moment qu’il y aura un bouton like ou quoi que ce soit.

Fabienne Sintes : Vous nous demandez aussi ce que deviennent les données quand on ferme son compte. Les données elles sont quelque part ?

Arthur Messaud : Oui, elles restent là. Facebook le dit, aussi longtemps qu’elles seront utiles à ce à quoi Facebook en a besoin, c’est-à-dire vous tracer. Et même quand vous n’avez pas de compte, Facebook s’est encore fait sanctionner il y a quelques semaines par la CNIL en Belgique, parce qu’elle traçait sur Internet même les gens qui n’avaient pas de compte. Donc fermer son compte, aujourd’hui, hélas, n’est pas suffisant. C’est un peu égoïste parce qu’il faut protéger aussi les gens qui resteront sur Facebook, qui sont contraints pour des raisons familiales, professionnelles. Et la seule façon d’agir, comme toujours en politique, c’est collectivement. Et là ça tombe bien, on a une arme toute faite c’est l’action de groupe. Donc dans quelques semaines, La Quadrature annoncera et invitera à chacun à rejoindre ces actions de groupe contre ces géants-là pour ces problèmes-là et pour mettre la pression sur la CNIL.

Fabienne Sintes : Et pas seulement en France, ceci dit, les actions de groupe, il y en a qui sont en train de se monter un peu partout pour l’instant.

Arthur Messaud : Heureusement !

Fabienne Sintes : Gwendal Le Grand pour la CNIL.

Déjà dans chaque pays européen il y a l’équivalent de la CNIL, donc il y a une CNIL et on a déjà mené, par le passé, beaucoup d’actions de mises en conformité vis-à-vis des gens de l’Internet. Donc il y a eu une action de la part des CNIL européennes qui touche les grands acteurs américains et Facebook a d’ailleurs fait l’objet deGwendal Le Grand : s sanctions de la CNIL. Ce qui est très important effectivement en 2018, c’est que les pouvoirs de sanction des autorités changent complètement. Pendant très longtemps, la sanction maximum que la CNIL pouvait donner c’était 150 000 euros d’amende. Depuis 2016 c’est passé à trois millions d’euros. Mais avec cette loi européenne, qui est le règlement européen sur la protection des données, on passe à 20 millions d’euros ou 4 % du chiffre d’affaires mondial consolidé de l’entreprise ; c’est le chiffre le plus élevé qui compte. Et 4 % des géants de l’Internet, c’est quelque chose de dissuasif et qui les incite, évidemment, à respecter la loi.

Fabienne Sintes : Écoutez si c’était vraiment dissuasif, de toutes façon, même à l’époque des 150 000 euros, cette amende a déjà été payée ou pas ?

Gwendal Le Grand : L’amende a déjà été payée. Il y a un certain nombre de géants de l’Internet qui ont fait l’objet d’amendes de la part de la CNIL qui montaient à 150 000 euros. 150 000 euros, rapporté à leur chiffre d’affaires, c’est une goutte d’eau ! Donc vraiment ça donne un instrument nouveau qui crédibilise la question de la protection des données en Europe. Ce règlement européen c’est vraiment un instrument fondamental qui va renforcer les droits des citoyens en Europe.

Fabienne Sintes : Je pense qu’il faut faire un peu de pédagogie avec cette question sur franceinter.fr : « Je ne comprends pas très bien – nous dit cet auditeur – mes données Facebook ne sont pas publiques sauf si je le décide, puisqu’elles ne sont accessibles que par mes amis. »

Arthur Messaud : Non, c’est faux ça. Par défaut énormément de choses sont publiques.

Gwendal Le Grand : Soyez précis ; soyez précis.

Arthur Messaud : Toutes les pages que vous suivez, toutes les personnes que vous suivez, toutes les listes que vous suivez, par défaut sont publiques ; ça c’est dans les conditions générales d’utilisation et vous allez le voir. Et ensuite, par défaut, si vous allez voir vos paramètres dans l’onglet applications, vous allez dans paramètres ensuite applications, là vous avez la liste pré cochée de toutes les informations qui vont être transmises aux applications de vos amis. Là vous allez avoir votre bio, votre localisation, votre parcours scolaire, vos centres d’intérêt, etc. , vous allez voir, tout ça est pré coché par défaut, ce qui est complèterment illégal au passage.

Fabienne Sintes : Comment on fait ? Est-ce qu’on peut décocher ce « par défaut » ?

Gwendal Le Grand : Bien sûr ! Et surtout, il faut prendre conscience que tout ce qu’on peut indiquer sur ces réseaux laisse une trace. Donc encore une fois, pardonnez-moi d’insister mais la pédagogie, la prise de conscience, est essentielle. Et ce ne sont pas des petites associations libertaires comme La Quadrature du Net qui vont changer quoi que ce soit.

Arthur Messaud : C’est la CNIL qui va sanctionner, ce n’est pas nous.

Gwendal Le Grand : Elles ne vont pas aller très loin, alors que la CNIL a fait un travail énorme de pédagogie et nous souhaitons rendre hommage à la CNIL et à son travail depuis 1978.

Arthur Messaud : Contre Facebook, elle n’est pas la seule.

Gwendal Le Grand : La CNIL n’est pas contre l’usage de ces instruments sur Internet. Je pense qu’il y a plein de choses qui sont extrêmement utiles pour les citoyens à travers les usages numériques. Par contre, nous, ce à quoi on veille, on veille au fait que les gens, ce qu’on appelle les responsables de traitement, donc les entreprises qui traitent vos données, respectent la loi européenne. Et encore une fois, l’information, le consentement, est quelque part derrière la notion de contrôle par le citoyen est vraiment au cœur ; c’est le principe fondamental que vous trouvez dans la loi informatique et libertés.

Fabienne Sintes : Cette question de Dominique, on l’a déjà évoquée, ça revient très régulièrement sur France Inter : « Pourquoi on n’arrive jamais à se désinscrire réellement de Facebook. Comment peut-on se désinscrire pour ne plus figurer du tout sur leurs fichiers ? » Une question du même acabit qui vient de Didier à Nogent-sur-Marne qui nous dit : « Est-il vrai qu’il faut 90 jours, en général, pour supprimer réellement ce qui a été publié ? »

Arthur Messaud : Ces 90 jours c’est très précis, ça, ça va être sur les traceurs qui vont être installés sur votre navigateur, type cookies, cookies ou pixels invisibles, quand vous allez naviguer en dehors de Facebook. Ça c’est le seul chiffre que donne Facebook dans ses conditions générales d’utilisation, c’est 90 jours. En vrai, le vrai chiffre est bien plus long, il n’est pas donné explicitement c’est « tant que Facebook a besoin de vos informations, il va les garder. » Et si vous avez mis une information publique par exemple en commentaire sur un article ou une émission de France Inter, normalement ce commentaire va rester associé à votre nom, ce commentaire va rester jusqu’à ce que Facebook existe, jusqu’à ce que la page de France Inter existe.

Fabienne Sintes : Ça c’est moins grave.

Arthur Messaud : C’est moins grave sauf que Cambridge Analytica a utilisé ce genre d’informations-là qui, en fait, sont très graves et révèlent énormément de choses sur vous : à quelle heure vous avez commenté ; quel genre de site ; à quelle fréquence. Ça révèle votre opinion politique, votre état de santé psychique ou même corporel. Ce sont les données qui sont utilisées par le scandale dont on parle aujourd’hui, donc c’est grave en fait.

Fabienne Sintes : Est-ce qu’il peut y avoir un avant et après, quand même, Cambridge Analytica pour Facebook, pas seulement, pour les réseaux sociaux d’une manière générale ? Est-ce qu’il y a une prise de conscience aujourd’hui ? Je le disais tout à l’heure, il y a eu les fake news, il y a eu Trump, il y a tout ce qui était politique, maintenant il y a Cambridge Analytica, est-ce qu’il peut vraiment y avoir un avant et un après ? Gwendal Le Grand.

Gwendal Le Grand : Je pense que ça a fait prendre conscience du pouvoir que ces réseaux sociaux ont sur nous à travers les informations qui sont présentées aux individus. Et c’est en ça qu’il est important que tout cela soit le plus transparent possible, que les gens comprennent que les informations qui sont présentées peuvent être ciblées. Donc l’information n’est pas forcément complètement neutre. Donc il faut qu’on comprenne quelles sont les données collectées, comment elles sont collectées, comment elles sont traitées derrière et comment se passe le ciblage et qu’on puisse contrôler le ciblage. Parce que derrière c’est, finalement, la neutralité de l’information qui vous est présentée qui est en jeu.

19’ 35

Fabienne Sintes : Mais là pour le coup,