Différences entre les versions de « Priorité au logiciel libre - Une lecture politique - Véronique Bonnet - PSESHSF2016 »

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Deuxième exemple. Ce fameux article premier bis qui est nouveau. Voici la version adoptée par l'Assemblée nationale. Ça c'est une avancée qui est très importante parce que maintenant le code source est considéré comme document administratif communicable. Il y a une instance qui s'appelle la CADA, qui lorsqu’un citoyen n’obtient pas gain de cause, intervient. Donc ça s'est passé. Vous avez entendu parler d'Etalab, de ce qui s'est passé chez Mozilla concernant le code source du calcul des impôts. Là, dans la loi, est désormais inscrite la notion de code source qui fait partie des documents administratifs communicables.
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Alors c'est la version du Sénat, donc la version de l'article premier bis. Il se trouve que là, une exception intervient. Pourquoi ? Parce qu’on se demande ce qui se passe lorsqu'on est dans un secteur exposé à la concurrence. Or, peut-être que tous les secteurs sont exposés à la concurrence. Peut-être qu'on vit dans un monde qui est dans une tension perpétuelle, dans un rapport de rivalité qui est extrêmement fort. Et donc ce que souhaiterait l'April c'est que soit abrogée cette exception, parce que, de toutes façons, cette exception est déjà prise en compte par d'autres textes. Vous voyez bien que là, l'exception risque de neutraliser en grande partie cette avancée considérable qui fait du code source un document administratif qui est communicable.
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Pourquoi est-ce que je dirais ces combats qui sont un peu des combats d'aménagement ne sont pas tout à fait étonnants ? Parce que dès sa délibération de fin 2015, déjà le Conseil d’État avait dit à quel point le contenu du projet de loi était sans commune mesure, ne se donnait pas les moyens du titre qui était le sien. Parce que si on veut en effet honorer la notion de République qui, comme son nom l'indique, est un commun qui est agencement, une sorte de régulation des existences. Donc il y a besoin à la fois de rendre transparents les processus d'agencement et de laisser opaque la dimension privée. Très tôt le Conseil d’État avant même que ces textes soient examinés en séance dans les deux assemblées avait dit à quel point cette démarche lui paraissait irréaliste étant donné l'absence d'ambition des contenus.
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Ce que je vais faire, je vais maintenant essayer d’expliciter ce que j'ai appelé <I>GNU against gun</I>. Pourquoi sommes-nous libristes dans cette position extrêmement délicate, qui consiste, puisque nous sommes aussi délicats au sens de respectueux à ne pas vouloir faire de « rentre dedans », ne pas utiliser les mêmes rapports intrusifs, la même forme dissymétrique de celle qui est manifestée par les GAFAM qui sont en position dominante ? Tout simplement, alors c'est peut-être un résumé de cet argumentaire qui va être le mien, il me semble que l'informatique privatrice s'impose : des choses écrites en tout petit, des clauses qu'on ne peut même pas lire, parce que si on veut pouvoir regarder telle vidéo, alors il faut accepter les conditions. C'est comme si on nous demandait de livrer absolument tout ce qui nous concerne, puisque par avance, on s'engage, on prend acte sans même le savoir que les photos qu'on va poster ne seront plus notre propriété et autres choses de ce genre. Il me semble qu'il faudrait très fortement dissocier l'informatique privatrice qui s'impose, qui nous happe, qui est dans une sorte d'attente de ce qui va être lâché par nous, dont elle va éventuellement pouvoir s'emparer, alors que l'informatique libre se propose. C'est-à-dire que l'utilisateur peut dire non, l'utilisateur peut choisir. Jamais on n'aura vu des logiciels du projet GNU être dans un rapport clandestin dans une forme invasive. Ceci est complètement exclu. Donc vous voyez bien que cette dissymétrie-là, entre une informatique qui y va carrément, sans prendre de gants, et une informatique délicate, dans les deux sens du terme, va faire que peut-être cette informatique libre va être dans un rapport défavorable ou va être toujours en train d'avoir le dessous, alors que l'informatique privatrice aura le dessus. Tout simplement parce que l'informatique libre ne peut pas utiliser les mêmes outils violents, intrusifs et clandestins que l'informatique privatrice.
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On pourrait dire d'une autre façon. On pourrait dire que l'informatique privatrice y va à coups de lobbying, étant donné le trésor de guerre qui est le sien. Et à côté les fonds souverains ne sont pas grand-chose parce qu'elle peut, sans sourciller, racheter tel procédé ou tel autre. Alors que l'informatique est libre est du côté de l'<I>advocacy</I>, c'est-à-dire du plaidoyer, c'est-à-dire de l'exposé pacifique, de l'exposé qui peut-être sera extrêmement cohérent mais qui n'aura pas avec lui la force de frappe ou la puissance qui est celle de l'informatique privatrice. Et donc la question pourrait être que faire ?
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Vous avez entendu parler des quatre dangers de l’informatique privatrice. Vous voyez bien que comme elle y va à coups de brevets logiciels, à coups de DRM ou encore à coups de vente forcée, cette informatique qu'on appelle déloyale, parce qu'effectivement là tous les coups sont permis, va être d'une pointure telle que peut-être jamais celle qui essaie d’être loyale, celle qui essaie de mettre l’humain au centre, va être disqualifiée avant même qu'elle ait ouvert la bouche. Pourquoi ? Parce que son plaidoyer va être un argumentaire délicat, qui va mettre les formes, qui va essayer de se donner le droit de dire ce qu'il dit. Alors il y aura de l'humour. Et j'ai eu une grande émotion lors de l'exposé précédent : il va y avoir de l'inventivité et vos exposés cet après-midi ont manifesté des formes extrêmement créatrices de manières de se présenter et d'avancer. Mais peut-être que jamais il n'y aura de possibilité de lutter contre ces démarches-là.
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Comme j'ai tout à l'heure utilisé une métaphore de Benjamin Bayart, nous sommes un petit peu comme des gentils face à des chars d'assaut. Alors là vous avez carrément le premier char d'assaut qui a été dessiné de l'histoire de l'humanité, c'est-à-dire celui de Léonard de Vinci, qui a été réalisé. Alors attention, parce que si vous regardez le panorama, ça va aller très mal pour vous. Surtout que là c'est le panorama d'un château de la Renaissance, j'en dirai quelques mots tout à l'heure. Vous avez ici ce char d'assaut qui est maintenant au Clos Licé, qui a fait un petit peu le tour des différents châteaux de la Loire et qui permet à, métaphore bien sur, à l'informatique déloyale de s'avancer en étant certaine, à chaque fois, d'éviter les égratignures que nos tentatives d'opposition pourront éventuellement lui faire.
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Alors on peut en rajouter pour penser cette dissymétrie. Là c'est le premier rouleau compresseur de l'inventeur du rouleau compresseur, donc c’est au milieu du 19e siècle. Vous avez aussi bien la moissonneuse-batteuse. Quand on regarde les manières de prospecter de l'informatique privatrice, on se sent une sorte de frêle fétu de paille puisque, de toutes façons, si on veut écouter les sirènes de l'informatique privatrice, de nous, il ne restera pas grand-chose.
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Cette informatique s'avance avec ses gros sabots. Pourquoi ces sabots-là ? Non seulement parce que la licence est libre, non seulement ce sont les gros sabots de Wikipédia, mais parce que j'aime à faire le lien entre ces gros sabots-là et ce tableau qui est un tableau de Magritte qui s'appelle <I>Le modèle rouge</I>. Alors je vous raconte l'histoire épouvantable, le conte de fées épouvantable qui mène à ces souliers qui sont en même temps des pieds dont on ne sait plus bien s'ils sont faits de chair ou de cuir. On dit que ce qui a inspiré Magritte c'est qu'il y a des souliers enchantés. Si on chausse ces souliers qui sont ensorcelés, on va danser, on va danser encore, sans jamais pouvoir arrêter la danse et les pieds vont se trouver en sang et les danseurs du fait du sortilège, ne peuvent plus être maîtres de leurs mouvements. <
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J'aime assez à me représenter l'utilisateur de l'informatique privatrice chaussant des logiciels qui, par les portes dérobées, accomplissent, sans même qu'il le sache, à son insu, des procédés qui siphonnent, qui confisquent, qui mettent de côté des données qui pourraient servir. Il me semble, et ça je ne le fais plus jamais depuis alors seulement trois ans, il me semble qu'utiliser ce type de logiciels c'est être un petit peu dans la posture du danseur qui a chaussé ce qui a permis, selon lui, telle aisance du pas, telle élégance du saut, et qui en réalité est en train de manger, sans qu'il le sache, quelque chose de lui, quelque chose de sa chair. Il paye de sa personne.
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Que faire ? Alors évidemment on pourrait en rire

Version du 7 juillet 2016 à 13:52


Titre : Priorité au logiciel libre ? Une lecture politique.

Intervenant : Véronique Bonnet

Lieu : PSESHSF - Choisy-le-Roy

Date : Juillet 2016

Licence : Verbatim

Durée : 56 min 15

Pour visionner la vidéo


00' Transcription MO

C'est bon ? Bien. Eh bien écoutez je suis Véronique Bonnet. Je suis administratrice de l'April et étant donné le titre Priorité au logiciel libre ? Une lecture politique, vous pensez peut-être que je vais parler du projet de loi « pour une République numérique ». Il se trouve que hier la commission paritaire s'est réunie. Puisque comme ce projet de loi n'a pas été adopté dans les mêmes termes à l'Assemblée nationale et au Sénat, dans ce cas-là l'usage est que sénateurs et députés pour harmoniser, pour voir ce qu'il va rester comme amendements, ce qu'il va devoir compléter. Est-ce qu'il va y avoir des annonces de décrets ? Est-ce qu'on va charger le Conseil d’État de préciser tel terme ou tel terme de la loi.

Je pense que tous ici, autant que vous êtes vous, avez idée de l'enjeu qui a été celui de la question de la priorité au logiciel libre dans le domaine public. Vous avez certainement entendu parler du partenariat entre l'Assemblée nationale et Microsoft, par exemple, ce qui va strictement à l'encontre de ce type de démarche. Il y a eu une consultation en ligne. Les amendements qui sont arrivés en premier, qui ont été les plus plébiscités, aussi bien donc ceux de l'April que je représente ici que de la Quadrature n'ont pas semble -t-il eu des effets décisifs dans la rédaction actuelle de la loi. Parce que plutôt que de parler de priorité au logiciel libre, il est question de l'encourager. Alors évidemment, ce terme n'est pas du tout le même, parce que si on dit encourager, dans ce cas-là il n'y a pas de valeur normative. Peut-être que la teneur qui impose, n'est pas du tout précisée. L'April, pour son 1er avril, a décidé de fonder un groupe de travail de pom-pom gnous, puisque encourager c'est aussi bien danser, c'est aussi bien troller le logiciel privateur pour donner idée de ce qui n'est pas lui.

Tel ne sera pas mon propos d’aujourd’hui. Pourquoi ? Alors le sous-titre est je dirais plus philosophique. Bon c'est la discipline qui est la mienne. Pourquoi GNU against Gun ? Je vais essayer de montrer que nous sommes dans une position qui et délicate. Délicate dans les deux sens du terme. Aussi bien nous sommes dans une délicatesse, nous sommes dans un respect, et peut-être que nous respectons tellement l'utilisateur, l’environnement de l'utilisateur, son autonomie, que nous n'osons pas aller d'une façon intrusive vers ce qui s'oppose à cette autonomie ou ce qui s'oppose à cette liberté qui voudrait être déclinée par exemple dans ses quatre libertés, aussi bien d'exécuter, aussi bien d'étudier, de modifier, d’améliorer, de distribuer des copies modifiées qui sont les quatre libertés du logiciel libre.

Je dirais que nous sommes dans une délicatesse, au sens où on dit aussi qu'on est en délicatesse avec, parce que du coup notre posture est extrêmement délicate. C'est comme si on passait notre temps à nous excuser de demander pardon, d'une certaine façon. Parce que, comme nous sommes dans un respect et comme nous ne pouvons pas adopter les armes de ceux qui non seulement se permettent dans les circuits marchands d'imposer ce qui s'appelle la vente liée, qu'on appelle aussi la vente forcée. Comme nous ne sommes pas à happer les utilisateurs, à siphonner en permanence leurs données pour en faire une marchandise sonnante et trébuchante, c'est vrai que nous sommes en même temps « en délicatesse », nous sommes dans une posture qui est délicate, parce qu'elle ne peut pas relever de l'artillerie lourde.

Et donc ce que je vais essayer de montrer aujourd'hui c'est comment la notion de priorité au logiciel libre, étant donné cette double délicatesse, à la fois nous sommes respectueux et en même temps ceci nous met en position délicate parce que nous ne pouvons pas y aller avec des rouleaux compresseurs comme le font ceux auxquels on s'oppose, comme nous ne pouvons pas y aller, et là je reprends les termes de Bayart, de Benjamin Bayart, nous sommes un peu dans la posture de ceux qui enverraient des lance-pierre à des chars d'assaut, nous sommes à peu près dans cette démarche-là. Délicatesse. Est-ce que ceci signe notre impuissance ? Est-ce que notre respect, la recherche d’être en cohérence avec nous-mêmes, nous barre la route d'une réplique.

C'est vrai que les métaphores que je vais utiliser sont des métaphores assez guerrières, parce que j'aime bien lire Klaus ??? et que de temps en temps chez ???, il y a une notion qui intervient d'une façon souveraine, qui est la notion de polarité, de principe polaire, parce que quand vraiment on veut mettre le paquet dans un combat, dans un idéal, c'est vrai que la plupart du temps, si on veut faire le poids face à l'adversaire, on va avoir la tentation d'utiliser ses armes à lui.

Or, ce que je vais essayer de montrer c'est comment, dans la démarche du projet GNU, il y a quelque chose qui n'est pas de l'ordre de l'artillerie lourde qui n'est pas de l'ordre de l'intrusion, de la violence faite à l’utilisateur, mais quelque chose qui est absolu et qui prévaut sur le caractère relatif, intéressé, affairiste. Les activistes que nous sommes, nous ne sommes pas des affairistes et ceci, je crois fait toute la différence.

Je vais commencer par un préalable, parce que je vais quand même dire quelque chose, quelques mots de ce projet de loi « pour une République » qui a occupé donc hier et c’était le commencement et ça va se poursuivre demain. Il va y avoir, donc, une harmonisation de ce qui a été voté par l'Assemblée et de ce qui a été voté par le Sénat.

Alors d'une façon scandaleuse, si j'essaie de résumer ce qu'il en est du projet de loi « pour une République numérique », en gros il y a deux volets. C'est-à-dire il y a un volet, le titre 1, le titre 3, qui essaie de faire toute la lumière sur ce que les citoyens ont besoin de connaître, c'est-à-dire les algorithmes qui régissent leur vie, et là il faut qu'il y ait une transparence. Il ne faut pas que nos existences soient vouées à des instances de décision qui sont de plus en plus numérisées et qui sont de plus en plus opaques. Ça je dirais que c'est le premier volet du projet de loi « pour une République numérique ».

Il y en un autre, c'est le titre 3 qui là, respecte qui fait toute l'ombre. Les deux premiers points font toute la lumière parce qu'il y a de procédures qui ont besoin d’être transparentes dans une démocratie. Le point 2, le titre 2, il fait, je dirais, toute l'obscurité, ou du moins il devrait faire toute l'obscurité, c'est-à-dire séparer nettement ce qui relève de la vie publique et de la vie privée. Or il y a une porosité de plus en plus dangereuse entre la vie publique et la vie privée.

Je vais donner un exemple, parce que encore une fois ce n'est pas mon objet d'aujourd'hui, je vais vous monter donc comment dans le titre premier qui est La circulation des données et du savoir – Économie de la donnée – Ouverture de l'accès aux données publiques, c'est sur quoi je vais parler, comme il y a de plus en plus de processus informatisés, qui régissent nos existences aussi bien fiscales, aussi bien scolaires, aussi bien citoyennes, alors ce projet de loi, par le titre ronflant qui est le sien, laissait espérer que la transparence serait faite.

J'attire votre attention sur l'article 9 ter qui a beaucoup préoccupé l'April, par exemple. Là on parle des services de l’État qui « encouragent l'utilisation des logiciels libres », donc pas priorité mais encouragement. Là c'est la version qui est adoptée par l'Assemblée nationale. Voici la version qui a été adoptée par le Sénat, qui est très semblable. Ce que souhaiterait l'April, et ceci reste ouvert, ce qui est complètement fermé c'est la priorité au logiciel libre. Terminé ! Parce que comme les deux assemblées ont voté l'encouragement, ça veut dire qu'il ne peut plus être question de priorité. Par contre, si on parle d'un encouragement, ce à quoi l'April souhaiterait encourager donc nos élus c'est que dans cet article 9 ter se trouve un renvoi à un décret, décret qui serait fait par le Conseil d’État et qui pourrait rendre beaucoup plus normatif, beaucoup plus contraignant, et en tout cas donner un contenu, parce que sinon le Conseil constitutionnel va dire que ça ne peut pas être validé étant donné la caractère tout à fait flou, là on est dans le flou conceptuel, encourager c'est quoi ? Exemple, ce que souhaiterait l'April, c'est qu'il y ait dans cet article 9 ter quelque chose qui soit un renvoi à décret. Décret qui serait formulé par le Conseil d’État qui pourrait donc donner du poids à ce qui n'en a pas. Parce que là on est dans le léger, on est dans le tout et n'importe quoi. Encore une fois on est dans le pom-pom gnous. Tant que la priorité a été écartée, on veut au moins donner corps à ce qui s'appelle encouragement.

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Deuxième exemple. Ce fameux article premier bis qui est nouveau. Voici la version adoptée par l'Assemblée nationale. Ça c'est une avancée qui est très importante parce que maintenant le code source est considéré comme document administratif communicable. Il y a une instance qui s'appelle la CADA, qui lorsqu’un citoyen n’obtient pas gain de cause, intervient. Donc ça s'est passé. Vous avez entendu parler d'Etalab, de ce qui s'est passé chez Mozilla concernant le code source du calcul des impôts. Là, dans la loi, est désormais inscrite la notion de code source qui fait partie des documents administratifs communicables.

Alors c'est la version du Sénat, donc la version de l'article premier bis. Il se trouve que là, une exception intervient. Pourquoi ? Parce qu’on se demande ce qui se passe lorsqu'on est dans un secteur exposé à la concurrence. Or, peut-être que tous les secteurs sont exposés à la concurrence. Peut-être qu'on vit dans un monde qui est dans une tension perpétuelle, dans un rapport de rivalité qui est extrêmement fort. Et donc ce que souhaiterait l'April c'est que soit abrogée cette exception, parce que, de toutes façons, cette exception est déjà prise en compte par d'autres textes. Vous voyez bien que là, l'exception risque de neutraliser en grande partie cette avancée considérable qui fait du code source un document administratif qui est communicable.

Pourquoi est-ce que je dirais ces combats qui sont un peu des combats d'aménagement ne sont pas tout à fait étonnants ? Parce que dès sa délibération de fin 2015, déjà le Conseil d’État avait dit à quel point le contenu du projet de loi était sans commune mesure, ne se donnait pas les moyens du titre qui était le sien. Parce que si on veut en effet honorer la notion de République qui, comme son nom l'indique, est un commun qui est agencement, une sorte de régulation des existences. Donc il y a besoin à la fois de rendre transparents les processus d'agencement et de laisser opaque la dimension privée. Très tôt le Conseil d’État avant même que ces textes soient examinés en séance dans les deux assemblées avait dit à quel point cette démarche lui paraissait irréaliste étant donné l'absence d'ambition des contenus.

Ce que je vais faire, je vais maintenant essayer d’expliciter ce que j'ai appelé GNU against gun. Pourquoi sommes-nous libristes dans cette position extrêmement délicate, qui consiste, puisque nous sommes aussi délicats au sens de respectueux à ne pas vouloir faire de « rentre dedans », ne pas utiliser les mêmes rapports intrusifs, la même forme dissymétrique de celle qui est manifestée par les GAFAM qui sont en position dominante ? Tout simplement, alors c'est peut-être un résumé de cet argumentaire qui va être le mien, il me semble que l'informatique privatrice s'impose : des choses écrites en tout petit, des clauses qu'on ne peut même pas lire, parce que si on veut pouvoir regarder telle vidéo, alors il faut accepter les conditions. C'est comme si on nous demandait de livrer absolument tout ce qui nous concerne, puisque par avance, on s'engage, on prend acte sans même le savoir que les photos qu'on va poster ne seront plus notre propriété et autres choses de ce genre. Il me semble qu'il faudrait très fortement dissocier l'informatique privatrice qui s'impose, qui nous happe, qui est dans une sorte d'attente de ce qui va être lâché par nous, dont elle va éventuellement pouvoir s'emparer, alors que l'informatique libre se propose. C'est-à-dire que l'utilisateur peut dire non, l'utilisateur peut choisir. Jamais on n'aura vu des logiciels du projet GNU être dans un rapport clandestin dans une forme invasive. Ceci est complètement exclu. Donc vous voyez bien que cette dissymétrie-là, entre une informatique qui y va carrément, sans prendre de gants, et une informatique délicate, dans les deux sens du terme, va faire que peut-être cette informatique libre va être dans un rapport défavorable ou va être toujours en train d'avoir le dessous, alors que l'informatique privatrice aura le dessus. Tout simplement parce que l'informatique libre ne peut pas utiliser les mêmes outils violents, intrusifs et clandestins que l'informatique privatrice.

On pourrait dire d'une autre façon. On pourrait dire que l'informatique privatrice y va à coups de lobbying, étant donné le trésor de guerre qui est le sien. Et à côté les fonds souverains ne sont pas grand-chose parce qu'elle peut, sans sourciller, racheter tel procédé ou tel autre. Alors que l'informatique est libre est du côté de l'advocacy, c'est-à-dire du plaidoyer, c'est-à-dire de l'exposé pacifique, de l'exposé qui peut-être sera extrêmement cohérent mais qui n'aura pas avec lui la force de frappe ou la puissance qui est celle de l'informatique privatrice. Et donc la question pourrait être que faire ?

Vous avez entendu parler des quatre dangers de l’informatique privatrice. Vous voyez bien que comme elle y va à coups de brevets logiciels, à coups de DRM ou encore à coups de vente forcée, cette informatique qu'on appelle déloyale, parce qu'effectivement là tous les coups sont permis, va être d'une pointure telle que peut-être jamais celle qui essaie d’être loyale, celle qui essaie de mettre l’humain au centre, va être disqualifiée avant même qu'elle ait ouvert la bouche. Pourquoi ? Parce que son plaidoyer va être un argumentaire délicat, qui va mettre les formes, qui va essayer de se donner le droit de dire ce qu'il dit. Alors il y aura de l'humour. Et j'ai eu une grande émotion lors de l'exposé précédent : il va y avoir de l'inventivité et vos exposés cet après-midi ont manifesté des formes extrêmement créatrices de manières de se présenter et d'avancer. Mais peut-être que jamais il n'y aura de possibilité de lutter contre ces démarches-là.

Comme j'ai tout à l'heure utilisé une métaphore de Benjamin Bayart, nous sommes un petit peu comme des gentils face à des chars d'assaut. Alors là vous avez carrément le premier char d'assaut qui a été dessiné de l'histoire de l'humanité, c'est-à-dire celui de Léonard de Vinci, qui a été réalisé. Alors attention, parce que si vous regardez le panorama, ça va aller très mal pour vous. Surtout que là c'est le panorama d'un château de la Renaissance, j'en dirai quelques mots tout à l'heure. Vous avez ici ce char d'assaut qui est maintenant au Clos Licé, qui a fait un petit peu le tour des différents châteaux de la Loire et qui permet à, métaphore bien sur, à l'informatique déloyale de s'avancer en étant certaine, à chaque fois, d'éviter les égratignures que nos tentatives d'opposition pourront éventuellement lui faire.

Alors on peut en rajouter pour penser cette dissymétrie. Là c'est le premier rouleau compresseur de l'inventeur du rouleau compresseur, donc c’est au milieu du 19e siècle. Vous avez aussi bien la moissonneuse-batteuse. Quand on regarde les manières de prospecter de l'informatique privatrice, on se sent une sorte de frêle fétu de paille puisque, de toutes façons, si on veut écouter les sirènes de l'informatique privatrice, de nous, il ne restera pas grand-chose.

Cette informatique s'avance avec ses gros sabots. Pourquoi ces sabots-là ? Non seulement parce que la licence est libre, non seulement ce sont les gros sabots de Wikipédia, mais parce que j'aime à faire le lien entre ces gros sabots-là et ce tableau qui est un tableau de Magritte qui s'appelle Le modèle rouge. Alors je vous raconte l'histoire épouvantable, le conte de fées épouvantable qui mène à ces souliers qui sont en même temps des pieds dont on ne sait plus bien s'ils sont faits de chair ou de cuir. On dit que ce qui a inspiré Magritte c'est qu'il y a des souliers enchantés. Si on chausse ces souliers qui sont ensorcelés, on va danser, on va danser encore, sans jamais pouvoir arrêter la danse et les pieds vont se trouver en sang et les danseurs du fait du sortilège, ne peuvent plus être maîtres de leurs mouvements. <

J'aime assez à me représenter l'utilisateur de l'informatique privatrice chaussant des logiciels qui, par les portes dérobées, accomplissent, sans même qu'il le sache, à son insu, des procédés qui siphonnent, qui confisquent, qui mettent de côté des données qui pourraient servir. Il me semble, et ça je ne le fais plus jamais depuis alors seulement trois ans, il me semble qu'utiliser ce type de logiciels c'est être un petit peu dans la posture du danseur qui a chaussé ce qui a permis, selon lui, telle aisance du pas, telle élégance du saut, et qui en réalité est en train de manger, sans qu'il le sache, quelque chose de lui, quelque chose de sa chair. Il paye de sa personne.

23' 00

Que faire ? Alors évidemment on pourrait en rire