Présentation du logiciel libre - Jean-Christophe Becquet

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Titre : Présentation du logiciel libre

Intervenant : Jean-Christophe Becquet

Lieu : OpenDay2021 - Université Lumière Lyon 2

Date : 3 février 2021

Durée : 44 min 7

Vidéo

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration :

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Bonjour à tous. Bonjour à toutes. Pour commencer je voudrais remercier et féliciter l’équipe d’étudiants qui est à l’initiative de l’organisation de cette matinée de conférences. Effectivement, je trouve que dans le contexte actuel, c’est une très bonne idée d’utiliser les outils de visio pour quand même pouvoir se retrouver autour d’un thème et, dans le cas présent, un thème qui me passionne qui est le logiciel libre. Donc bravo et merci pour l’organisation de cette conférence.

Peut-être, en regardant les annonces et le programme de la conférence, aviez-vous l’impression de venir voir une conférence d’informatique alors que ce n’est pas du tout le cas, en tout pour ma partie. En fait, je ne vais pas vous parler d’informatique. Je vais vous parler de liberté, je vais vous parler de partage et je vais vous parler de pollinisation.

Quelques mots pour me présenter rapidement. Je m’exprime ici avec deux casquettes. D’une part, je suis vice-président d’une association qui s’appelle l’April et, d’autre, part je suis directeur d’une entreprise qui s’appelle Apitux.
L’April est l’association francophone de promotion et de défense du logiciel libre. C’est une association qui existe depuis 1996, qui regroupe 4000 membres, à la fois des personnes physiques, des individus et des personnes morales – entreprises, associations, collectivités – autour d’un objectif commun à deux facettes :
la première facette c’est la promotion du logiciel libre. Ce qu’on est en train de faire ce matin par exemple, faire connaître le logiciel libre et ses enjeux ;
la deuxième facette c’est la défense du logiciel libre. Effectivement aujourd’hui, notamment d’un point de vue législatif, le logiciel libre est souvent menacé, donc l’April travaille au niveau institutionnel, au niveau politique pour assurer la défense du logiciel libre.
Ça c’est pour la casquette associative.
Pour la casquette professionnelle, dans le cadre d’Apitux, depuis 16 ans maintenant j’accompagne des associations, des entreprises, des collectivités dans leur prise en main des logiciels libres et des données ouvertes. Depuis quelques années je travaille beaucoup sur l’open data avec des collectivités, notamment sur une base de données cartographiques libre, mondiale, qui s’appelle OpenStreetMap, qui est un des projets majeurs du Libre. On dit parfois que OpenStreetMap est le Wikipédia de la cartographie.

Cette présentation étant faite, je vais rentrer dans le vif du sujet et je vais donc expliquer de manière un petit peu précise ce qu’est le logiciel libre et quels en sont les enjeux.

Un logiciel libre est un logiciel qui garantit à tout un chacun quatre libertés fondamentales. Ces quatre libertés c’est ce qui va constituer la définition du logiciel libre.
La première liberté du logiciel libre c’est la liberté d’utiliser le logiciel pour quelque usage que ce soit et sans restriction aucune. C’est-à-dire que pour qu’un logiciel soit un logiciel libre, il faut que sa licence vous autorise à l’utiliser absolument sans aucune restriction. Si vous avez un logiciel qui vous dit « vous pouvez l’utiliser gratuitement mais pendant une durée limitée et ensuite vous devrez payer pour continuer à l’utiliser » ; si vous avez un logiciel qui dit que vous ne pouvez pas l’utiliser à des fins commerciales ou que vous ne pouvez pas l’utiliser dans tel pays, ce n’est pas un logiciel libre, parce qu’une restriction à la liberté d’utilisation.
La deuxième liberté essentielle du logiciel libre, c’est la liberté de copier le logiciel, de le partager avec ses amis, de le télécharger sur Internet, de le proposer au téléchargement sur un site internet, de le copier sans restriction sur le nombre de copies, sur le type de support et sur la destination à laquelle est faite cette copie. Donc liberté de copier le logiciel sans restriction aucune.
Et puis, on pourrait croire que si vous n’êtes pas informaticien les deux autres libertés du logiciel libre ne vous concernent pas ou de loin. En fait, j’essaierai de vous convaincre tout à l’heure quand je détaillerai les enjeux du logiciel libre que même si vous n’êtes pas informaticien, cette liberté d’étudier le logiciel, d’aller voir à l’intérieur comment il fonctionne, vous concerne et le fait d’utiliser un logiciel libre dont vous allez pouvoir étudier le code source c’est-à-dire, en quelque sorte, la recette de fabrication, c’est un enjeu également très important.
La quatrième et dernière liberté du logiciel libre, c’est la liberté de modifier et de redistribuer le logiciel. Modifier le logiciel pour l’adapter à ses besoins ça peut être, par exemple, traduire en français un logiciel dont l’interface n’existe qu’en anglais ou adapter une interface d’un logiciel complexe dans une version simplifiée pour le rendre accessible à des novices ou à des enfants, ou encore corriger des problèmes dans le logiciel ou améliorer le logiciel en lui ajoutant des fonctionnalités, en le perfectionnant. Ça c’est la liberté de modifier le logiciel. La modification du logiciel se fait en agissant donc sur le code source, la fameuse recette de fabrication dont je parlais tout à l’heure. Une fois que vous avez modifié la recette, vous pouvez partager cette nouvelle recette, redistribuer la version modifiée du logiciel et cela en toute liberté.
Ce sont les quatre libertés fondamentales d’un logiciel libre. Un logiciel est libre si et seulement si il garantit à tout un chacun ces quatre libertés.
Ce qu’il est important de bien comprendre, c’est qu’on croit souvent qu’un logiciel libre serait un logiciel qui n’a pas de licence. En fait, ce n’est pas du tout ça. Les licences de logiciel libre ne s’opposent pas au droit d’auteur, mais elles s’appuient sur le droit d’auteur. Le droit d’auteur, rapidement, c’est un mécanisme juridique qui donne à celui qui produit une œuvre – ça peut être une photo, un texte, une musique, dans le cas qui nous intéresse c’est un logiciel, le code source d’un logiciel –, qui donne à celui qui a écrit le texte, composé la musique, pris la photo, développé le logiciel, un privilège exclusif sur son œuvre, c’est-à-dire le pouvoir, la possibilité de décider qui peut utiliser le logiciel, copier le logiciel, modifier le logiciel. Le principe des licences de logiciel libre c’est d’utiliser le droit d’auteur. Initialement, le droit d’auteur est plutôt prévu pour restreindre, en général on utilise le droit d’auteur pour dire « je suis l’auteur, vous n’avez pas le droit de copier, vous n’avez pas le droit de modifier ». Dans le cas du logiciel libre, on va utiliser le même mécanisme avec l’objectif inverse, c’est-à-dire qu’on va dire « je suis l’auteur et, parce que je suis l’auteur, c’est moi qui décide qui peut copier, qui peut modifier, s’il peut être étudié, et je décide d’utiliser ce droit pour l’accorder à tout un chacun et sans restriction ». Ça c’est très important parce que ça veut dire que le logiciel libre s’appuie sur un mécanisme juridique robuste et éprouvé qu’est le droit d’auteur et il détourne ce mécanisme du droit d’auteur qui, initialement, est prévu pour restreindre et il l’utilise, en fait, pour créer de la liberté. C’est pour ça que je dis que la licence c’est le gardien des libertés. Les libertés du logiciel libre sont inscrites dans une licence qui a valeur de loi, donc elles sont garanties, elles sont pérennes, elles sont claires et explicites.

Aux quatre libertés fondamentales du logiciel libre que j’ai énoncées précédemment s’ajoute parfois, dans certaines licences – c’est un choix de l’auteur, puisque c’est l’auteur qui, en vertu de son droit d’auteur va décider ce qu’il autorise et ce qu’il interdit – on rajoute parfois un cinquième critère dans les licences qui est ce qu’on appelle la notion de copyleft. La notion de copyleft est une clause qui se rajoute aux quatre libertés précédentes et qui consiste à dire « je vous autorise à modifier et à redistribuer le logiciel, par contre, si vous faites une version modifiée, ce que je demande c’est que vous partagiez à votre tour la version modifiée sous une licence libre ».
On appelle parfois le principe du copyleft l’hérédité de la licence ou la diffusion de la licence, c’est-à-dire qu’un logiciel libre sous licence copyleft pourra être modifié et redistribué, mais exclusivement en gardant la même licence. L’objectif étant que les logiciels libres existants enfantent de nouveaux logiciels libres à leur tour.
Donc dans les licences de logiciels libres, on va avoir, en fait, deux familles de licences : les licences avec copyleft, qui garantissent les quatre libertés et qui, en plus, exigent que les versions modifiées soient partagées sous la même licence, et puis les licences non-copyleft qui garantissent les quatre libertés mais qui n’exigent pas l’hérédité de la licence, c’est-à-dire qu’avec un logiciel qui serait partagé sous une licence non-copyleft on peut faire une version modifiée et la partager sous une licence non libre.

Le logiciel libre est un concept relativement ancien puisqu’il date de 1984 et c’est Richard Stallman un chercheur, développeur informatique américain qui a inventé le concept de logiciel libre, qui a dirigé la rédaction de la première licence de logiciel libre, la licence GPL [GNU General Public License], qui est une licence copyleft. Richard Stallman est donc aussi l’inventeur du mécanisme du copyleft.
Richard Stallman se bat depuis 1984 pour le logiciel libre. J’aime bien cette citation de Richard qui explique pourquoi le logiciel libre est important. Richard dit : « Toutes les libertés dépendent de la liberté informatique. La liberté informatique n’est pas plus importante que les autres libertés fondamentales, mais au fur et à mesure que les pratiques de la vie basculent sur l’ordinateur, on en aura besoin pour maintenir les autres libertés. »
Ce que Richard Stallman veut dire à travers cette citation c’est qu’aujourd’hui l’informatique s’est répandue vraiment dans tous les aspects de nos vies, dans nos vies personnelles, dans nos vies professionnelles, dans nos vies familiales, dans nos vies associatives aussi, donc les enjeux qui sont ceux du logiciel libre et de l’informatique vont, en fait, se propager à tous les aspects de nos vies. Des libertés comme la liberté d’expression, la liberté d’information, le droit au respect de la vie privée, vont évidemment être impactées fortement par l’informatique, donc les enjeux du logiciel libre vont se propager sur ces libertés fondamentales.

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Je vais maintenant passer en revue un petit peu les enjeux du logiciel libre, de manière assez rapide et synthétique, et après je vous proposerai qu’on passe à un échange en mode questions/réponses.
J’ai classé les enjeux en trois catégories de, on va dire, ce qui me semble, la moins importante à la plus importante.
Les premiers enjeux sont des enjeux techniques. La manière de développer les logiciels libres, le fait que leur code source, leur recette de fabrication soit ouverte, ça donne souvent des logiciels qui sont plus fiables, qui sont plus stables. Pourquoi ? C’est parce que sur le développement d’un logiciel libre, comme tout le monde peut aller regarder comment c’est fait et que tout le monde peut contribuer au logiciel, on a à chaque instant des dizaines ou des centaines de paires d’yeux et de doigts qui sont penchés sur le code source pour le vérifier, pour l’améliorer, donc ça donne en général des logiciels de grande qualité. Pour en citer un très connu et qui est vraiment reconnu pour ça, qui, en plus, a été développé au départ par des étudiants en France, c’est le logiciel VLC, le petit cône de travaux que vous utilisez probablement pour lire tous les formats vidéo et multimédias. Le lecteur VLC est connu et reconnu, on le trouve quasiment sur tous les ordinateurs parce qu’il fonctionne très bien et il lit tous les formats vidéo. C’est un logiciel de très grande qualité.
De la même manière, le fait que le code source puisse être vérifié par des dizaines de paires d’yeux, ça va permettre d’améliorer la sécurité du logiciel et le respect de la vie privée par ce logiciel. Quand on a un logiciel auquel on n’a pas accès au code source, qui ne peut pas être vérifié par d’autres développeurs, si une entreprise vous dit « je mets à disposition un logiciel qui n’est pas un logiciel libre et je vous garantis que ce logiciel est sécurisé, que ce logiciel respecte votre vie privée », la seule chose que vous pouvez faire c’est croire sur parole cette entreprise, mais vous ne pouvez pas vérifier la mise en œuvre de ces principes de sécurité et de respect de la vie privée ; dans le cas d’un logiciel libre, vous pouvez. Et c’est là que je disais tout à l’heure que la liberté d’étudier le logiciel vous concerne même si vous n’êtes pas développeur. En effet, si vous n’êtes pas développeur, probablement que le code source vous sera inaccessible, vous paraîtra illisible et vous ne pourrez pas vérifier si ce logiciel garantit votre sécurité et le respect de votre vie privée. Par contre, si ce logiciel est un logiciel libre, vous allez pouvoir demander à n’importe quel informaticien de votre choix et de confiance de vérifier pour vous que ce logiciel garantit la sécurité et le respect de la vie privée. Et là ça change tout, parce que, au lieu d’être dépendant d’une entreprise unique et monopolistique qui seule peut vérifier et analyser le logiciel, vous allez pouvoir choisir le développeur, l’équipe de développeurs, l’entreprise de votre choix et lui demander de vérifier pour vous, si vous n’en avez pas la compétence, que ce logiciel fait bien ce qu’il prétend faire et le fait correctement.
Il y a effectivement une idée erronée, très répandue, qui consiste à croire que le fait de rendre public le code source créerait des failles de sécurité dans le logiciel. En fait, c’est tout le contraire. Le fait de rendre public le code source et de proposer à tout un chacun de pouvoir contribuer pour l’améliorer produit des logiciels plus fiables, plus stables et mieux sécurisés.

La deuxième famille d’enjeux, et l’April agit énormément sur ces aspects-là, ce sont les questions d’indépendance et de liberté de choix et les questions d’interopérabilité ; je définirai ce terme un peu plus tard.
Premier aspect, effectivement, lorsque vous optez pour un logiciel libre, vous pouvez, si vous êtes une entreprise, une association, une mairie qui n’a pas forcément en interne les compétences en informatique pour adapter, modifier son logiciel, si le logiciel est un logiciel libre, vous pouvez, en toute indépendance, choisir n’importe quelle entreprise compétente pour faire ces travaux. Contrairement à un logiciel privateur ou propriétaire – un logiciel privateur c’est le contraire d’un logiciel libre, c’est un logiciel qui ne garantit pas certaines des quatre libertés ; si au moins une des quatre libertés n’est pas garantie alors ce n’est pas un logiciel libre –. dans le cas d’un logiciel privateur, en général vous êtes contraint de choisir une entreprise ou une entreprise parmi les entreprises membres d’un réseau de partenaires, de revendeurs, de distributeurs, pour assurer la maintenance, pour assurer les adaptations du logiciel, alors dans le cas d’un logiciel libre, vous avez tout latitude de choix et c’est votre jugement sur la compétence, le sérieux de cette entreprise, de ce prestataire, ses prix, sa manière de travailler qui déterminera votre choix.
Voilà pourquoi le logiciel libre garantit l’indépendance et la liberté de choix. De la même manière, si vous commencez à travailler avec une entreprise pour mettre en place un logiciel libre et que vous souhaitez, plus tard, changer de prestataire, avec un logiciel libre toutes les clefs sont disponibles et n’importe quelle entreprise peut acquérir la compétence nécessaire pour assurer pour vous la maintenance et le développement de ce logiciel libre.

Un autre aspect extrêmement important d’un point de vue stratégique, je sais qu’il y a des étudiants dans l’auditoire donc ça me parait vraiment important d’expliquer ça, c’est la notion d’interopérabilité et de pérennité des données.
Interopérabilité c’est un mot barbare pour désigner la possibilité que vous avez, ou que vous n’avez pas, de pouvoir ouvrir un fichier sur votre ordinateur avec un logiciel différent de celui avec lequel il a été conçu au départ.
Dans le cas d’un logiciel privateur, en général lorsque vous fabriquez ce fichier, les données qui sont dans le fichier sont codées au niveau informatique, on appelle ça le format de fichier, et les logiciels propriétaires ont la méchante habitude d’utiliser ce qu’on appelle des formats de fichiers fermés, c’est-à-dire qu’on ne sait pas comment les données sont codées à l’intérieur et seul le logiciel qui a été utilisé initialement pour fabriquer le fichier permettra de l’ouvrir par la suite.
L’inverse ce sont les formats ouverts et, lorsque vous utilisez des formats ouverts, vous avez l’assurance que vous pourrez retrouver les informations contenues dans votre fichier, parce que même si le logiciel qui a servi initialement à fabriquer le fichier n’est plus disponible ou n’est plus maintenu, on a toutes les clefs d’encodage des données donc on va pouvoir fabriquer un nouveau logiciel qui lise ce format de fichier. D’ailleurs, souvent, les formats ouverts sont lus par plusieurs logiciels libres. On connaît par exemple la suite bureautique LibreOffice qui utilise un format ouvert qui s’appelle le format OpenDocument. Le format utilisé par la suite bureautique LibreOffice, ce n’est pas le format LibreOffice, c’est le format ouvert OpenDocument et il existe plusieurs centaines de logiciels qui savent lire et écrire le format OpenDocument. Donc si vous avez fabriqué votre fichier dans le format OpenDocument, vous allez pouvoir passer facilement ce fichier d’un logiciel à l’autre. À l’inverse, si vous utilisez une suite bureautique privatrice, il faudra que vous retrouviez un accès au même logiciel pour pouvoir relire vos documents.
Ça pose des problèmes d’une part à l‘instantané lorsqu’on veut partager : lorsqu’on veut échanger des documents, partager des fichiers à plusieurs, si votre destinataire n’a pas le même logiciel que celui qui a servi à fabriquer votre document, il risque d’avoir des difficultés à le lire.
Ça pose aussi des problèmes dans le temps. Aujourd’hui vous produisez des travaux, vous fabriquez toutes sortes de fichiers et vous pourriez tout à fait vouloir relire ces fichiers dans cinq ans, dans dix ans, dans vingt ans. Si vous avez utilisé un logiciel privateur pour fabriquer votre fichier et que ce logiciel, comme ça arrive régulièrement, a disparu, vous aurez perdu la capacité à lire votre fichier.
Si vous utilisez un logiciel libre et des formats ouverts, alors vous vous assurez la possibilité de relire, même dans de très nombreuses années, les données contenues dans votre fichier.

Ce sont les enjeux stratégiques du logiciel libre. À la fois la notion d’indépendance et de liberté de choix et surtout, encore plus important selon moi, la notion de maîtrise de l’accès à ses données et la possibilité de les partager et de les relire plus tard.

Troisième famille d’enjeux, ce sont les enjeux citoyens. Effectivement, comme je l’ai dit en introduction, le logiciel libre n’est pas du tout un sujet informatique, en fait, ce n’est pas un sujet technique, c’est un sujet de société.
Les logiciels libres sont conçus selon des méthodes de développement qui sont, en fait, celles de la recherche universitaire. Un chercheur fait une première version du logiciel, il la partage, il la rend accessible et d’autres peuvent faire des observations, proposer des améliorations. Chacun utilise les morceaux de logiciel des autres pour améliorer progressivement ce qui constitue, en fait, une sorte de bien commun, de patrimoine logiciel partagé, accessible et réutilisable par tous.
C’est pour cette raison qu’on pense, à l’April, que c’est absolument essentiel d’enseigner l’informatique avec des logiciels libres pour permettre aux étudiants d’une part de bénéficier de toute cette base de savoirs qui a été produite par les prédécesseurs, par la communauté des développeurs de logiciels libres, et de pouvoir s’inspirer de ça pour progressivement apprendre à contribuer aux logiciels et à améliorer et enrichir ce pot commun.

Voilà donc pour les enjeux du logiciel libre. Si vous souhaitez en savoir plus ou rejoindre l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre, le site est april.org.
Mon entreprise c’est apitux.com.
La présentation ainsi que l’enregistrement, la captation vidéo de la présentation sera disponible sous licence libre. Je vous mettrai le lien dans le chat tout à l’heure pour télécharger le PDF de la présentation. Je sais que les organisateurs ont prévu de partager, plus tard, l’enregistrement des vidéos.
Je vous remercie pour votre attention libre.
Dans le monde du logiciel libre, on accorde énormément d’importance au respect des licences et au fait de citer les auteurs. J’ai mis sur les derniers transparents la liste des crédits, c’est-à-dire les auteurs et les licences des photos qui m’ont permis de réaliser cette présentation.

J’ai consommé 30 minutes. Il nous reste un petit quart d’heure pour les questions. Je vois qu’il y a déjà deux questions, observations dans le chat. Je n’ai pas encore pu les lire, je vais le faire tout de suite. Si vous envie de prendre la parole, n’hésitez pas à activer votre micro ou à taper vos questions dans le chat.

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Concernant le premier point sur la personnalité de RMS, Richard Stallman, controversé notamment parce qu’il lui a été reproché de tenir des propos misogynes – racistes, je ne sais pas –, mais misogynes ça lui a été effectivement reproché. À l’April en tant qu’association et à titre personnel, je pense qu’il faut vraiment distinguer les deux choses. Effectivement je n’idolâtre pas Richard Stallman, par contre je lui fais le crédit d’être le père fondateur du logiciel libre, l’inventeur du concept de logiciel libre, d’avoir formalisé le concept du logiciel libre avec les quatre libertés, d’avoir écrit la première licence et d’avoir inventé aussi la notion de copyleft.
Effectivement, Richard Stallman a fait l’objet de controverses et a démissionné, il y a quelque temps, de la FSF, la Free Software Foundation, la Fondation pour le logiciel libre, qui est la structure qu’il a fondée pour porter les principes du logiciel libre qu’il avait énoncés.
Je n’ai pas de commentaires sur les positions ou les propos politiques de Richard Stallman. Je suis d’accord que, d’un point de vue médiatique, cette affaire a eu un retentissement qui n’est pas forcément très positif pour le logiciel libre. Je le regrette. Je crois aussi savoir que certains propos ont été déformés ou interprétés. Une partie des faits qui sont reprochés à Richard Stallman, par exemple le fait d’avoir affiché sur la porte de son bureau des inscriptions misogynes, sembleraient fabriqués si ce n’est de toute pièce en tout cas en grande partie.

Pour les formats fermés de Microsoft c’est à moitié vrai car que le format est tellement connu maintenant qu’il est lisible par d’autres logiciels à la fois privateurs comme Google Docs et open source comme OnlyOffice.
Effectivement, les logiciels libres comme LibreOffice parviennent aujourd’hui à lire et à enregistrer des fichiers dans les formats fermés de Microsoft. Comment ça marche ? Ça marche avec une méthode de développement qui est la méthode du reverse engineering ou ingénierie inverse. En fait, comme on n’a pas, pour les formats de fichiers fermés, la recette de fabrication, on ne sait pas comment sont codées les informations, les développeurs prennent un fichier, ils écrivent un mot dans ce fichier, ils regardent à quoi ressemble le fichier. Ensuite ils modifient le fichier, ils mettent le mot en gras. Ils regardent la différence entre les deux et ils essayent d’en déduire comment on fait pour dire, dans ce format de fichier, « ce mot est en gras ». Ils vont faire ça pour toutes les fonctionnalités par exemple du traitement de texte, en gras, en italique, souligné, etc.
D’une part, c’est une tâche qui est extrêmement chronophage et peu intéressante, peu valorisante pour un développeur, c’est une mécanique extrêmement rébarbative et consommatrice de temps. D’autre part, on ne pourra jamais aller au bout et couvrir toutes les fonctionnalités. Aujourd’hui, la dernière version de LibreOffice qui est sortie récemment a fait des progrès, encore des progrès, pour la lecture et l’ouverture des formats de fichier de Microsoft Office et c’est, ma foi, plutôt un atout pour la suite libre LibreOffice de lire le mieux possible les formats fermés de Microsoft, mais ça reste, je pense, un handicap. Et surtout, la solution du format ouvert est tellement simple et tellement efficace ! On a la recette du format qui est connue de tous, n’importe qui peut développer un logiciel qui lit et qui écrit ces fichiers. Comme je l’ai dit, il existe plusieurs centaines de logiciels qui lisent le format OpenDocument et c’est pareil pour d’autres formats ouverts, notamment les formats du Web. Quand vous naviguez sur le Web, vous pouvez utiliser n’importe quel navigateur de votre choix et, si le site a été développé en respectant les standards ouverts de l’Internet, vous pourrez accéder à l’information.

« Que peut-on dire de certains logiciels qu’on doit payer sur certaines fonctionnalités ? »
Merci pour cette question parce qu’elle va me permettre de préciser un point. Effectivement, je ne l’ai pas dit explicitement dans la présentation : un logiciel libre n’est pas forcément gratuit. En effet, à aucun moment dans la définition du logiciel libre, je n’ai dit que pour pouvoir parler d’un logiciel libre il fallait qu’il soit gratuit. Il faut qu’il respecte les quatre libertés fondamentales.
Certains logiciels libres peuvent être payants dans la mesure où l’accès à la première copie du logiciel peut faire l’objet d’une facturation. Et surtout, ce qu’on aime dire dans le monde du logiciel libre, c’est que le logiciel libre est gratuit une fois qu’il a été payé. C’est-à-dire que fabriquer un logiciel, ça demande du temps, ça demande du travail, donc ça coûte de l’argent. Le principe du logiciel libre ce n’est pas du tout de dire que les développeurs doivent tous être volontaires, bénévoles. Il y a des développeurs de logiciels libres rémunérés et on trouve ça très bien que des gens puissent gagner leur vie en développant des logiciels libres. Donc il peut arriver qu’un logiciel libre nécessite de payer.
Ceci dit, un logiciel libre mais payant, une fois que vous avez payé pour l’acquérir, vous avez bien la liberté de le copier, la liberté de l’étudier. On ne va pas vous demander, par exemple, de payer en fonction d’un nombre de postes. En général, ce qu’on doit payer quand on paye un logiciel libre, c’est plutôt des services d’installation, de paramétrage, de maintenance, d’hébergement.
Après, il existe des logiciels pour lesquels effectivement il y a une version limitée gratuite et si on veut la version complète on doit payer. Ces logiciels sont ce que les Québécois appellent gratuiciels, en anglais on dit des freewares, à la différence du Free Software. Le Free Software, c’est le logiciel libre, les quatre libertés. Le freeware est un logiciel qui est juste gratuit. On a la liberté de l’utiliser, éventuellement cette liberté peut être restreinte soit dans le temps – par exemple on vous dit « vous pouvez l’utiliser pendant 30 jours ensuite vous devez payer –, soit dans la richesse fonctionnelle. Comme il est dit dans la question « vous avez accès seulement certaines fonctionnalités, vous devez payer pour avoir accès à la totalité des fonctionnalités ». Il s’agit de logiciels gratuits et pas de logiciels libres. En général, vous n’avez pas l’accès au code source, vous n’avez pas la possibilité d’étudier le logiciel, vous n’avez pas la possibilité de le modifier. De toute façon, dès lors que la liberté d’utiliser le logiciel est restreinte d’une manière ou d’une autre, alors on ne peut pas parler d’un logiciel libre.
Ce sont deux catégories de logiciels. Si on voulait, en fait, caractériser du plus libre au moins libre les quatre types de logiciels qui existent, on a donc le logiciel libre ou Free Software en anglais ; on a le freeware ou logiciel gratuit en français ; on a les sharewares qui sont aussi des logiciels non libres, mais parfois mis à disposition gratuitement dans une version limitée ; et puis, à l’autre extrémité du spectre, on a les logiciels privateurs ou propriétaires qui sont des logiciels qui utilisent le droit d’auteur pour restreindre et non pas pour favoriser le partage, la copie et la liberté d’utilisation.
« Les différents types de licences libres et les quatre libertés garanties par le logiciel sont contradictoires. Pouvez-vous mieux expliquer à quoi servent les licences libres ? »
Les licences libres, effectivement comme c’est dit par Paul, servent à protéger légalement les libertés. Il faut bien comprendre que le mécanisme du droit d’auteur est un mécanisme qui interdit par défaut. C’est-à-dire que si l’auteur n’a rien dit tout est interdit, à part quelques exceptions mais qui sont vraiment restreintes à une portion congrue dans le cas du logiciel, mais ça s’applique aussi à d’autres types de contenus. Quand vous avez un site qui met à disposition des textes, des images, des musiques, tout type de contenus, s’il n’est pas précisé de licence alors quasiment tout est interdit. La seule chose que vous avez la possibilité de faire c’est de lire ces textes dans votre salon, d’écouter cette musique dans votre salle de bains et dans l’intimité familiale, mais vous ne pouvez absolument pas utiliser ces contenus pour les copier, que ce soit à des fins éducatives, pour créer une exposition ou un documentaire, pour faire tout type de présentation. Prendre des contenus, textes images ou logiciels quand bien même ils sont accessibles sur Internet, si l’auteur n’a pas précisé de licence, c’est rigoureusement interdit et la seule chose qui va être autorisée c’est ce qu’on appelle la copie privée, c’est-à-dire l’utilisation dans le cercle restreint de la famille, pour un usage personnel, et quelques exceptions comme le droit de citation qui va vous permettre de citer un extrait de texte.
Il n’est pas nécessaire, pour que le doit d’auteur s’applique, que ce soit marqué en bas de la page « tous droits réservés, copie interdite. » S’il n’est rien marqué alors « tous droits réservés, copie interdite ».
La licence libre sert à dire, à la différence de ce qui se pratique habituellement et de ce qui se pratique par défaut si on n’a rien dit, « il est permis d’utiliser, il est permis de copier, il est permis d’étudier, il est permis de modifier. »
Effectivement, il est nécessaire d’expliciter ces libertés à travers une licence, parce que s’il n’y a pas de licence, alors c’est le régime de la restriction qui s’applique par défaut et il n’est pas permis de copier.
Après, c’est un débat dans la communauté du logiciel libre : certains considèrent que la clause copyleft crée un cercle vertueux qui va permettre à chaque logiciel libre, comme je le disais tout à l’heure, d’enfanter de nouveaux logiciels libres. Eben Moglen, un juriste américain qui a travaillé avec Richard Stallman sur les premières versions de la GPL dit, à propos du copyleft, que ça crée un pot commun auquel chacun peut ajouter mais duquel personne ne peut rien retirer. En effet, dès lors qu’un logiciel libre a été mis à disposition, il reste libre de manière définitive. Et c’est aussi ça que va garantir la licence. D’autres personnes considèrent que cette clause copyleft est une entrave à la liberté et préfèrent les licences non-copyleft, que certains, du coup, appellent des licences permissives au sens où, à la différence des licences avec la clause copyleft elles vous permettent aussi de faire un logiciel privateur dérivé d’un logiciel libre.
Je rejoins complètement la remarque de Paul dans le chat. Les licences servent à protéger les libertés des utilisateurs des logiciels parce que bien sûr, dès lors qu’on vous a accordé une licence sur un logiciel, on ne peut en aucun cas vous la retirer par la suite. La licence concédée est inaliénable et définitive.

J’arrive au bout de mon temps. S’il y a quelques questions, observations, je peux encore les prendre en compte. Sinon je vais laisser la place aux autres intervenants.
Je m’excuse par avance auprès des organisateurs et des autres intervenants, je ne pourrai pas rester jusqu’à la fin de la matinée puisque j’ai une autre réunion. Ça me fait vraiment super plaisir d’avoir pu intervenir dans cet évènement. Je fais chaque année quelques heures d’enseignement à l’IUT de Dignes où je vis. J’aime bien le partage avec les étudiants et surtout je pense que vous, la jeune génération, vous êtes l’avenir des libertés informatiques. Il faut que vous vous empariez de ces enjeux, c’est ultra important. Restez, suivez attentivement les présentations qui vont suivre par des développeurs de logiciels libres et les copains de Oisux qui vont vous présenter des vraies bidouilles libres. Ça va être passionnant, je les verrai en différé. Je pense que vous avez une fin de matinée enthousiasmante et riche qui s’offre à vous. Bonne continuation et merci encore de m’avoir écouté.