Pourquoi défendre le logiciel libre - Véronique Bonnet

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Titre : Pourquoi défendre le logiciel libre ?

Intervenantes : Véronique Bonnet - Emmanuelle Huisman Perrin

Lieu : France Culture - Émission « Divers aspects de la pensée contemporaine »

Date : mai 2018

Durée : 18 min

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Licence de la transcription : Verbatim

NB : transcription réalisée par nos soins. Les positions exprimées sont celles des intervenants et ne rejoignent pas forcément celles de l'April.

Statut : Transcrit MO

Description

Comment promouvoir une informatique plus libre et plus indépendante des GAFAM, ces sociétés qui se nourrissent de nos données? Comment garantir une réelle liberté d'expression et une vraie indépendance politique ? Une émission proposée par l'Union rationaliste.

Transcription

« Divers aspects de la pensée contemporaine » aujourd’hui l’Union rationaliste, une émission proposée par Emmanuelle Huisman Perrin.

Emmanuelle Huisman Perrin : Véronique Bonnet, bonjour. Vous êtes professeure de philosophie en classes préparatoires au lycée Janson de Sailly et depuis longtemps vous réfléchissez et militez pour promouvoir une informatique plus libre et plus indépendante des GAFAM – acronyme, je le rappelle, pour Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft –, ces sociétés privées qui se nourrissent de nos données, ce que j’appelle personnellement les données volées, parce que vous pensez que l’indépendance vis-à-vis des moyens scientifiques et techniques est le garant d’une réelle liberté d’expression et d’une vraie indépendance politique.

Vous êtes donc vice-présidente de l’April, dont j’ignore si les auditeurs de France Culture connaissent l’existence, acronyme pour dire l’Association pour la promotion et la recherche en informatique libre. La question de la protection et de l’utilisation inappropriée de nos données est d’une actualité brûlante à l’heure où Mark Zuckerberg a présenté toutes ses excuses aux utilisateurs de Facebook pour l’insuffisance de protection des données, et au moment où la réglementation européenne de protection va être appliquée en Europe au cours de ce mois de mai.

Je voudrais que vous expliquiez aux auditeurs de France Culture quand vous avez choisi de vous engager contre ce que vous appelez, en formulant un joli adage quasi cartésien « la servitude qui s’avance masquée », et pourquoi vous avez choisi de vous engager à l’April, Véronique Bonnet ?

Véronique Bonnet : J’ai toujours été très attachée à la philosophie des Lumières et il se trouve qu’il y a cinq ans, j’ai découvert le potentiel de lumière du logiciel libre, au sens où c’est une proposition contemporaine qui donne à la raison, à l’autonomie, sa place, en la nourrissant, en lui permettant d’être partagée, d’être publiée et de produire des œuvres de l’esprit, de produire des formes qui vont être diffusées, qui vont être copiées, améliorées et qui vont permettre à la communauté libriste de manifester peut-être ce que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen appelait cette possibilité la plus précieuse de l’être humain de diffuser sa pensée, de parler, d’imprimer ; et nous y sommes.

Pourquoi l’April ? Pourquoi suis-entrée à l’April ? Parce que cette servitude qui s’avance masquée – alors en effet on peut penser à de Descartes, « je m’avance masqué ».

Emmanuelle Huisman Perrin : Larvatus prodeo.

Véronique Bonnet : Absolument. On peut penser à La Boétie, au Discours de la servitude volontaire , La Boétie qui montre à quel point les tyrans sucrent la servitude, ce que font exactement les GAFAM, parce que ce sont des compagnies qui se présentent comme conviviales, qui se présentent comme facilitatrices de l’existence, alors que, comme vous l’avez dit, les données sont siphonnées, elles sont ensuite commercialisées d’une façon tout à fait indue. Et il me semble que l’April c’est, pour l’espace francophone, l’association qui est la plus rigoureuse, la plus tenace en matière de suivi des dossiers nationaux, européens et même internationaux. Et c’est vrai qu’il y a à l’April un travail de veille qui est remarquablement effectué par notre délégué général, Frédéric Couchet, et les trois autres permanents. Nous avons plus de 4 000 adhérents dont des personnes morales, par exemple la Ville de Paris, Toulouse, Grenoble ; nous avons des régions qui sont adhérentes de l’April, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Auvergne-Rhône-Alpes ; nous avons des syndicats, des syndicats enseignants, parce que c’est vrai que les syndicats enseignants sont assez inquiets de la formation de ces futurs internautes que sont leurs élèves.

Emmanuelle Huisman Perrin : Très bien. Très clair. Il me semble que l’April, votre association, l’association dont vous êtes vice-présidente, va dans deux directions. Un, la dénonciation des procédures qui conduisent au vol, au siphonnage de nos données, sans que nous en soyons toujours clairement conscients, et la recommandation de la prudence par rapport aux applications utilisées par les internautes, car, je vous cite : « On ne voit plus les verrous qui sous-tendent les logiciels, ni le profilage qu’ils effectuent, ni le dépeçage des données qu’ils opèrent. » Est-ce bien cela les deux orientations principales d l’April ?

Véronique Bonnet : Je dirais deux directions parmi beaucoup.

Emmanuelle Huisman Perrin : Oui.

Véronique Bonnet : Puisque le corps de métier de l’April, donc pour l’espace francophone c’est la promotion, la défense du logiciel libre en fonction, évidemment, des contextes nouveaux qui se présentent, selon les projets de loi nationaux, européens ; selon les discussions d’accords internationaux, je pense à CETA et à TAFTA par exemple.

Peut-être faudrait-il que je précise ce qu’il en est du logiciel libre, de l’informatique libre. Je dirais que l’acte de naissance c’était aux États-Unis. Il y a un programmeur, mathématicien qui s’appelle Richard Stallman, c’était en 1983, qui s’est heurté à ce que j’appellerais l’irrationalité de la mise sous licence systématique qui l’avait même empêché de réparer une imprimante. Ça c’est le comble, il veut réparer une imprimante…

Emmanuelle Huisman Perrin : Il ne peut pas !

Véronique Bonnet : Comme cette imprimante est sous copyright, la société Xerox lui dit qu’elle ne livrera pas le code source et là il décide de fédérer autour de lui des programmeurs pour écrire du code et il prend la précaution très, très vite de mettre ce code sous licence libre, ce qu’on appelle un copyleftcopyleft c’est l’envers du copyright – et donc c’est le fameux projet GNU, qui va trouver donc en 96, date de naissance de l’April en France, c’est à saint-Denis, c’est à l’université de Paris 8, qui va trouver un groupe de cofondateurs qui vont donc essayer de défendre ce qu’on appelle les quatre libertés du logiciel libre, c’est-à-dire pouvoir étudier le code, réparer – ça n’a pas été possible pour Richard Stallman –, copier le code source, améliorer, distribuer.

Pour ceux d’entre nous qui ne savent pas ce que c’est qu’on code source, c’est tout simplement une recette de logiciel, le logiciel qui va donc exécuter telle fonction ou telle fonction.

Emmanuelle Huisman Perrin : Faire en sorte qu’il y ait comme une démocratie informatique et non pas une captation du pouvoir par les GAFAM ?

Véronique Bonnet : Je crois que c’est exactement ça, c’est-à-dire que la plupart du temps, avec l’informatique propriétaire, l’informatique non libre qui s’avance masquée, d’une façon très indue, qui prend nos données, on s’aperçoit qu’en réalité l’utilisateur est davantage le moyen que la fin. C’est-à-dire que c’est davantage son ordinateur qui fait de lui une source à données alors que lui devrait évidemment en avoir la maîtrise.

Emmanuelle Huisman Perrin : Je pose ici une question à l’éducatrice que je suis et que vous êtes aussi, comment faire entendre aux enfants, aux jeunes gens et aux jeunes filles, qui piratent de la musique, des films, des séries, sans peut-être en avoir plein conscience, que ces gestes-là sont catastrophiques par rapport aux créateurs, aux musiciens, aux artistes ? Et comment expliquer cette illusion de la gratuité dans laquelle, au fond, tous les internautes se bercent ?

9’ 03

Véronique Bonnet : Je suis également éducatrice.