Politique du logiciel libre Sébastien Broca Place de la toile

De April MediaWiki
Aller à la navigationAller à la recherche


Titre : La Politique du logiciel libre.

Intervenants : Sébastien Broca, Xavier de la Porte

Lieu : Émission Place de la Toile _ France Culture

Date : 28 décembre 2013

Durée : Première partie 19 min - Deuxième partie

Lien vers la vidéo : [1]


00' transcrit Marie-Odile

Xavier de la Porte : Bonsoir à toutes et à tous. Bienvenue dans Place de la Toile, le magazine des cultures numériques. Nous sommes ensemble jusqu’à dix-neuf heures. Au sommaire de cette émission, plongé dans son ordinateur, Thibaut Henneton répondra à la question « Tout réseau est-il conscient ? », Thibaut que l'on retrouvera à la fin de l'émission pour son complément d’enquête. Le son ce sera « Une utopie en chansons ». Quand à notre invité, Sébastien Broca pour parler de la politique du logiciel libre.

Je ne compte pas le nombre d'émissions que nous avons conclues par un tonitruant « La solution, de toutes façons, c'est le logiciel libre ». Bien sûr on a souvent parlé du logiciel libre dans cette émission, un peu plus en détail. On a invité certains de ses praticiens et de ses défenseurs en France. On a évoqué aussi, souvent, les grandes figures de son histoire à commencer par Richard Stallman, évidemment, mais je ne crois pas que nous ayons consacré une émission entière à comprendre la logique profonde du logiciel libre, à expliquer comment était née cette idée qu'il fallait que le logiciel libre soit libre, à bien distinguer, par exemple, le logiciel libre et l'open source, à expliciter la logique politique à l’œuvre dans le logiciel libre et à montrer comment ses ambitions et d’ailleurs ses filiations dépassaient largement le champ de l'informatique. Alors peut-être que si nous ne l'avons pas fait c’est parce que l'occasion nous avait manqué et bien elle se présente aujourd'hui, elle se présente avec un livre qui est paru tout récemment aux Éditions du Passager clandestin, un livre qui est intitulé « Utopie - au singulier - du logiciel libre », et qui est sous-titré « Du bricolage informatique à la réinvention sociale ». Bonsoir Sébastien Broca.

Sébastien Broca : Bonsoir !

Xavier de la Porte : Vous êtes sociologue au Centre d’étude des techniques, des connaissances et des pratiques de la Sorbonne, et vous êtes l’auteur de ce livre et c'est vous qui nous fournissez donc l'occasion de cette émission sur le logiciel libre. Et alors je suis content d’avoir attendu, six ans, presque, parce que votre livre est très intéressant, très bien fait et d'ailleurs, juste en préambule, je le conseille à quiconque s'intéresse non seulement au logiciel libre mais aux cultures numériques en général tant le travail que vous avez fourni est informé. Il est clair, il est politique au sens où il inscrit cette histoire du logiciel libre dans une histoire politique qui est beaucoup plus large comme on essaiera de le voir. Alors maintenant que je vous ai mis la pression il va falloir être à la hauteur de ces compliments. Sébastien Broca on va commencer par essayer de raconter, alors évidemment ce sera très vite, on va faire cette histoire à grands pas, mais dans la première partie de l'émission j'aimerais quon raconte un peu cette histoire et donc pour la raconter, pour comprendre pourquoi a germé dans des esprits l’idée qu'il faillait que le logiciel soit libre. Il faut quon revienne un petit peu en arrière, dans un temps reculé, où on ne parle pas encore de logiciel libre parce que tout simplement on ne parle pas encore de logiciel propriétaire, comment Sébastien Broca est-ce qu'on fabriquait des logiciels dans les années soixante-dix ou au début des années quatre-vingt.

Sébastien Broca : Pour comprendre ça, je pense qu'il faut revenir au fait que l'informatique a été développée en tant que discipline dans un contexte public, universitaire surtout, à partir de l'après-guerre et donc après si on se place dans les années soixante-dix, l'informatique à cette époque-là c’était des gros ordinateurs, des grosses machines dans les entreprises, les administrations et les logiciels en fait c’était souvent fourni par les fabricants de matériel, donc gratuitement, comme une sorte de garniture pour donner plus de saveur à leurs coûteux systèmes, coûteux hardware.

Xavier de la Porte : Donc pas de distinction software - hardware, en tout cas du point de vue industriel.

Sébastien Broca : En tout cas du point de vue industriel, il n'y avait pas d'économie du logiciel autonome, il n'y avait pas de marché vraiment pour le logiciel. L'autre chose à rappeler c'est que les informaticiens sont issus d'une culture développée essentiellement au centre des universités américaines, qui repose vraiment sur le partage du savoir, sur la collaboration et donc sur le fait qu'ils pouvaient s'échanger des bouts de code, sans problème, comme on s'échange, c'est ce qu'ils disent parfois, comme on s'échangeait du sel ou du poivre entre voisins. Donc ce système-là est encore en vigueur dans les années soixante-dix et puis il y a un événement quand même considérable, qui vient bouleverser tout ça à la fin de la décennie, au début des années quatre-vingt, c'est l'apparition de l'ordinateur personnel, du PC qu'on connaît bien aujourd'hui, et donc à ce moment-là c'est là qu'en fait se crée la possibilité d'un marché du logiciel autonome et qui va donc toucher le grand public en fait très rapidement, puisqu'en quelques années le micro-ordinateur entre dans les familles dans les foyers avec la classe moyenne. C'est là qu'il faut faire intervenir ce personnage majeur de cette histoire qu'est Richard Stallman qui est le père vraiment du logiciel libre, qui dans les années soixante-dix était un informaticien au MIT, la grande université américaine.

Xavier de la Porte : Massachusetts Institute of Technology

Sébastien Broca : Tout-à-fait, et qui du coup est vraiment issu de cette culture de l’informatique qui mettait en avant le partage de l'information. Sauf que donc avec l'apparition de l'ordinateur personnel, cette culture est battue en brèche, si vous voulez. Lui vraiment il expérimente au sein du MIT le départ d'un grand nombre d'informaticiens qui vont intégrer les entreprises, pour éventuellement gagner très bien leur vie mais moyennant un renoncement à ces principes de publicité du savoir puisqu'ils vont par exemple signer des clauses de confidentialité qui les empêchent de partager leur travail avec leurs pairs, avec leurs collègues et donc le code source des logiciels, ce qu'on appelle le code source, pour dire très simplement ce que c'est, c'est un peu la recette de cuisine du logiciel, ce sont les instructions qui déterminent l'exécution du programme, et donc ce code source qui auparavant était public, était librement accessible à tous, quand se créée cette industrie du logiciel, il va être fermé, privatisé, propriétarisé, pour que les entreprises comme Microsoft et d'autres, puissent tirer un bénéfice commercial de ces logiciels.

Xavier de la Porte : Justement est-ce qu'on peut dire deux mots, quand même, du rôle de Bill Gates. Ce n'est pas qu'il faut forcément mettre toujours des grands personnages dans l'histoire, l'histoire ne se fait pas qu'avec des grands personnages, comme nous l'a appris l'historiographie depuis quelques temps déjà, mais enfin quand même. Bill Gates a un rôle dans cette histoire. Il appartient quand même au départ à cette espèce de communauté des programmeurs qui s'entraident, etc, et puis il y a un moment où lui, il envoie sur la Newsletter du Homebrew, c'est ça, Computer Club, il appartient à cette sorte de club de programmeurs et il envoie, alors qu’il est tout jeune, une lettre, qui va être partagée, dans laquelle il dit « Non mais attendez, on est en train de récupérer mes bouts de code, de fabriquer des trucs avec, moi je veux que ça ne se passe pas comme ça. »

Sébastien Broca : Exactement et c'est un événement qui est souvent cité par les gens du libre. En 1976, il publie cette lettre ouverte qui s'appelle An Open Letter to Hobbyists et donc là il accuse les hobbyistes, ceux qui font de l'informatique pour le loisir, pour le plaisir, d'utiliser le code qu'il écrit sans lui verser aucune rémunération et il dit « C'est un scandale ce travail que je fais mérite rémunération comme n'importe quel travail et donc il faut vraiment cesser de considérer le code comme quelque chose qui n'a pas de valeur commerciale qui peut juste s'échanger. Moi je veux gagner de l'argent sur le travail que je fais en tant qu'informaticien. »

Xavier de la Porte : Et il a réussi !

Sébastien Broca : Et il a ensuite très bien réussi !

Xavier de la Porte : Puisque très vite il s'associe, il crée Microsoft, il s'associe avec IBM et il devient le fournisseur officiel. Donc il y a cette branche-là, on vous l'a expliqué, Bill Gates et puis tous les autres qui vont rejoindre les entreprises privées, créer leur propre entreprise, etc, puis de l'autre côté, il y a Stallman, donc chercheur au MIT en intelligence artificielle, mais très vite intéressé par le bidouillage. Quel va être le déclic ? Qu'est-ce qu'il va créer Stallman ?

Sébastien Broca : Lui voit à un moment donné, à ce moment-là, la communauté qu'il avait connue au MIT complètement se disloquer parce que les informaticiens partent faire du business et à un moment donné il dit en gros ah non, je ne suis pas d'accord ! Je m'oppose à cette évolution, je veux vraiment maintenir vivante cette culture, qui est la culture hacker aussi, on reviendra peut-être sur ce terme, la culture de la bidouille informatique justement de ce rapport un peu créatif, ludique aux technologies. Il dit je ne suis pas d’accord avec les nouvelles valeurs qui sont charriées par l'industrie du logiciel et donc je vais résister en créant le mouvement du logiciel libre pour faire en sorte de maintenir pour les utilisateurs la possibilité d'avoir accès au code source et aussi pour faire vivre cette culture de la collaboration, de l’échange du savoir entre informaticiens.

Xavier de la Porte : Là on est au tout début des années ?

Sébastien Broca : On est au tout début des années quatre-vingt, On est en 1983 quand vraiment il lance ce qui s'appelle le projet GNU.

Xavier de la Porte : Qu'est-ce que c'est GNU ?

Sébastien Broca : GNU c'est le projet qu'il lance en 1983 pour créer un système d'exploitation qui serait entièrement libre.

Xavier de la Porte : Un système d'exploitation c'est le logiciel le plus fondamental d'un ordinateur. C'est celui à partir duquel on va pouvoir greffer tous les logiciels, etc, et faire fonctionner la machine vraiment.

Sébastien Broca : Exactement. A ce moment il dit je me lance dans ce projet. Au début ça parait complémentent pharaonique, voire complètement irréaliste, il dit je veux recréer quasiment de zéro un système d'exploitation qui serait entièrement libre, dont le code source serait disponible et donc il pourrait être librement modifié, copié, utilisé, distribué.

Xavier de la Porte : Vous venez, comme ça, au fil de la parole de donner quand même quelque chose qui est fondamental qui sont les quatre règles qui garantissent la liberté d'un logiciel. C'est quoi ces quatre libertés du logiciel libre ?

09'23 transcrit Paul

Sébastien Broca : C'est une grande question. Qu'est-ce que veut dire ce « libre » dans logiciel libre ? En fait, d'après Richard Stallman, ça suppose quatre libertés qui vont être octroyées à tous les utilisateurs de logiciels, qui sont la liberté d'utiliser le logiciel, de le copier, de le modifier et d'en distribuer des versions modifiées. Et donc voilà.

Xavier de la Porte : D'accord, ça c'est vraiment les quatre...

Sébastien Broca : Ça, c'est la base, c'est les quatre libertés du logiciel libre et Stallman insiste toujours pour dire que ce combat, c'est un combat qui porte sur la liberté et non pas sur la gratuité, parce qu'une confusion fréquente, c'est de dire que les logiciels libres sont des logiciels gratuits, ce qui est vrai dans la plupart des cas. Mais pour Stallman, ce n'est pas ça qui est important, son combat, ce n'est pas un combat pour que les logiciels soient gratuits, c'est un combat pour qu'ils soient libres et donc il dit souvent : « Il ne faut pas confondre free speech, free beer » ; parce que c'est vrai qu'en anglais, on a cette équivoque sur le terme free, c'est-à-dire à la fois libre et gratuit et logiciel libre, il faut comprendre « libre » au sens de free speech et non pas au sens de free beer.

Xavier de la Porte : Mmmh. Donc, à partir de ces quatre règles fondamentales, il commence à créer GNU, qui est un travail absolument gigantesque et qu'il ne fait pas seul.

10' 27 MO

Sébastien Broca : Au début il est quand même assez seul, c'est pour cela que le projet au départ parait vraiment assez utopique au mauvais sens du terme pour le coup, irréaliste, chimérique. Donc il commence et c'est vrai que ça commence assez doucement. Ça commence en 83 et puis jusqu'au début des années quatre-vint-dix, il arrive à créer quelques logiciels mais on est très très loin d'avoir un système d'exploitation vraiment complet et fonctionnel. Ensuite l'histoire prend une nouvelle tournure au début des années quatre-vingt-dix parce que là apparaît un deuxième personnage central dans cette histoire qu'est Linus Torvalds, qui est donc un informaticien finlandais.

Xavier de la Porte : Jeune type à l'époque.

Sébastien Broca : Qui est un jeune type à l'époque, oui, étudiant, à Helsinki, et qui lui se met un peu, avec des ambitions assez modestes à la base finalement, à créer le logiciel qui va s'appeler ensuite Linux, qui est en fait le noyau du système d'exploitation, à savoir le cœur d'un système d'exploitation et qui est justement un élément qui manque à ce moment-là à GNU. Donc le projet de Linus Torvalds très rapidement prend une ampleur assez insoupçonnée, parce que, grâce à l'ouverture du code source, il y a plein d'informaticiens à travers le monde puisqu'à ce moment-là on est aussi aux débuts d'internet, qui se mettent à collaborer pour enrichir l'esquisse, l'ébauche qu’avait faite Linus Torvalds dans sa chambre d’étudiant. Donc au bout de quelques années, en 93-94, quelque chose comme ça, là Linux est vraiment devenu un logiciel tout à fait fonctionnel et là on a cet attelage qui se crée, si vous voulez, entre le projet GNU de Stallman et le noyau Linux qui donne GNU-Linux et à ce moment-là on a pour la première fois un système d'exploitation entièrement libre et là le projet de Stallman qui paraissait fou dix ans auparavant a vraiment une concrétisation.

Xavier de la Porte : Mais, Sébastien Broca, en même temps on a la concrétisation d'une utopie fondamentale du logiciel libre à travers ce système d'exploitation entièrement libre qui est GNU-Linux, pour une part, donc grande réussite pour une part, mais de l'autre on a aussi un début de, alors ce n’est pas vraiment une dissociation, mais en tout cas d'une distinction qui s'opère entre les partisans de ce qu'on pourrait appeler une ligne dure du logiciel libre et ceux qui sont plus dans la voie de Linus Torvadls qu'on appelle l'open source. Alors c'est très compliqué parce quand on parle à Stallman il crie sur la moindre personne qui utilise le mot d'open source à la place de logiciel libre, de loin ce n'est pas forcément très simple parce que ce sont des mouvements qui sont assez convergents par ailleurs, est-ce que vous pouvez nous expliquer ce qui distingue logiciel libre et open source, justement ce qui distingue Stallman de Torvalds ?

Sébastien Broca : On va essayer de faire ça en quelques mots. Stallman a toujours dit si je défends le logiciel libre c'est pour une raison de principe, c'est pour défendre des valeurs et c'est même un combat qui a une dimension éthique. Il dit, vraiment, pour moi ce n'est pas éthique d’utiliser du logiciel propriétaire. Il n'y a aucune bonne raison d'utiliser du logiciel propriétaire. Pour lui c'est quelque chose qui est éthiquement indéfendable.

Torvalds a toujours eu un propos un peu différent. Il dit voila j'aime beaucoup le logiciel libre, je fais du logiciel libre, mais non pas pour des raisons de valeur ou des raisons éthiques, mais parce que « just for fun », essentiellement pour m'amuser, parce que c'est plus intéressant, parce que j'apprends des choses et puis parce que ça permet, en ouvrant comme ça le code source, ça permet des larges collaborations qui permettent de produire des logiciels meilleurs, tout simplement, plus performants, plus efficaces, et donc avec Torvalds on a un discours autour du libre qui émerge, qui est centré beaucoup plus sur la performance des logiciels, sur le fun, l'amusement qu'on peut éprouver à programmer dans des circonstances assez agréables pour des informaticiens avec une certaine dose de liberté. Ce discours-là tranche avec le discours beaucoup plus normatif, beaucoup plus sur les valeurs qui a toujours été celui de Stallman.

On commence à voir apparaître un peu cette distinction-là au début des années quatre-vingt-dix et elle va vite en fait se radicaliser à la fin de la décennie quand là c'est le moment où les entreprises commencent à s'intéresser au logiciel libre. C'est à ce moment-là qu’apparaît le vocabulaire open source qui va finalement finir par désigner un discours autour du logiciel libre beaucoup plus favorable aux entreprises, cette volonté d'aller... Je digresse un peu. mais il faut aussi peut-être que les gens visualisent un peu à quoi ressemble Richard Stallman. Richard Stallman c'est vraiment un personnage incroyable, qui a une dégaine de hippy, barbu, bedonnant.

Xavier de la Porte : Encore aujourd’hui !

Sébastien Broca : Encore aujourd'hui ! Alors que l'open source ce sont plutôt des gens qui vont se présenter bien coiffés, bien rasés en costume et qui vont aller voir les entreprise pour leur tenir un discours sur la réduction des coûts, sur la performance des logiciels, pour essayer de les amener à l'open source par ce biais-là et pas du tout par le discours sur les valeurs de Stallman.

Xavier de la Porte : Et pourquoi est-ce que les entreprises, au cours des années quatre-vingt-dix, donc très vite en fait, à partir du moment où sort GNU-Linux en 93-94, qu'est-ce qui intéresse les entreprises dans le logiciel libre ?

Sébastien Broca : Schématisons un peu, c'est toujours pareil, ce qui les intéresse, c’est la réduction des coûts déjà.

Xavier de la Porte : C'est-à-dire utiliser des morceaux qui sont déjà fabriqués par d'autres C'est ça la réduction des coûts ?

Sébastien Broca : Ouais tout-à-fait. Par exemple IBM s'est lancé assez tôt dans le logiciel libre, alors que pourtant ce n'est spécialement une entreprise qu'on associe à la promotion de l'informatique libertaire, mais à un moment donné, donc oui à la fin des années quatre-vingt-dix, à un moment où IBM était un peu en difficultés justement, ils se sont lancés dans l'open source avec cette idée que finalement ils allaient pouvoir soit profiter de contributions parfois faites par des bénévoles, mais sinon aussi mutualiser leur R & D, leur recherche et développement avec d'autres entreprises. Ce que permet l'open source c'est ça, c'est, à partir du moment où on ouvre le logiciel, on peut avoir un logiciel qui est utilisé par plusieurs entreprises et qui donc est développé collaborativement par ces entreprises, ce qui du coup représente une économie substantielle en terme de recherche et développement par rapport à la situation où elles auraient développé ce logiciel toutes seules.

Xavier de la Porte : Par exemple en quoi est-ce que Google est une entreprise qui doit quelque chose à l'open source ?

Sébastien Broca : Google doit quelque chose à l'open source parce qu'elle utilise énormément de logiciels open source pour propulser ses services et parce que, effectivement, ça lui fait faire des économies considérables. Google, mais on pourrait citer tous les géants du web, tous les Facebook, les Amazon et puis maintenant toutes les entreprises informatiques, Intel, Oracle, IBM, toutes ces entreprises-là utilisent de l'open source parce que ces logiciels sont devenus extrêmement robustes et performants et surtout parce qu'ils coûtent moins cher que de payer pour tous ces développements informatiques en interne.

Xavier de la Porte : C'est une sorte d'ironie de l'histoire assez forte ce retournement, Sébastien Broca ?

Sébastien Broca : Oui ! C'est un peu l'histoire bien connue qui se répète finalement de la récupération par le capitalisme des mouvements qui à un moment donné peuvent sembler avoir une portée subversive et critique. Et puis le capitalisme a cette force énorme de réussir à récupérer, à intégrer finalement, en tout cas très souvent, ce qui pouvait paraître le contester dans un premier temps.

Xavier de la Porte : Ça on pourrait l'analyser comme une forme de victoire de l'open source sur, si tant est qu'il y ait un combat entre les deux, une sorte de victoire de l'open source sur le mouvement du logiciel libre tendance canal historique, si on peut dire ? Non ?

Sébastien Broca : Oui, oui ! Surtout que même au niveau du vocabulaire, c'est encore plus sensible aux États-Unis qu'en France, mais le terme open source a vraiment triomphé en fait. Aux États-Unis vous parlez essentiellement d'open source beaucoup plus que de free software, ce qui fait évidemment enrager Richard Stallman, mais c'est comme ça.

Xavier de la Porte : Est-ce que du coup ça a marginalisé Stallman et le logiciel libre ?

Sébastien Broca : Je pense que ça l'a marginalisé à un certain moment mais après, la force aussi du free software canal historique, c'est qu'il a réussi justement en étendant son discours à d'autres objets que les logiciels, à garder sa portée plus critique et subversive, notamment en s'engageant sur toutes les questions de propriété intellectuelle, en dehors du logiciel. C'est vrai qu’aujourd’hui par exemple, les libristes comme on les appelle, ceux qui sont vraiment sur cette pigne plutôt fidèle à Richard Stallman et au free software, ce sont des gens qui sont extrêmement engagés sur des combats comme on l'a vu avec HADOPI en France, ACTA plus récemment, là ils sont en train de se mobiliser sur le traité transatlantique TAFTA, toutes les questions en fait liées à la propriété intellectuelle et à la circulation de l'information et des connaissances dans le monde numérique sont devenues des questions centrales pour le mouvement du logiciel libre et c'est aussi comme ça qu'il a eu un second souffle

Xavier de la Porte : Justement Sébastien Broca, c'est ce qu'on va regarder en deuxième partie d'émission c'est-à-dire comment la question du logiciel libre à la fois s’articule et sort de l'informatique en amont d'ailleurs et en aval de son histoire. Tout de suite Thibaut Henneton qui s'est plongé cette semaine dans son ordinateur pour répondre à la question « Tout réseau est-il conscient ? »

19'00

24' 26 MO

Xavier de la Porte : Vous écoutez France Culture et Place de la Toile, le magazine des cultures numériques où nous parlons aujourd'hui du logiciel libre avec Sébastien Broca qui est auteur de « Utopie du logiciel libre - Du Bricolage informatique à la réinvention sociale », un ouvrage qui vient de paraître aux Éditions du Passager clandestin, Nous avons fait, au pas de course, une histoire du logiciel libre. Venons-en à une sorte de thématisation de l'aspect plus politique de cette histoire, où on reviendra forcément sur des éléments de l'histoire. Rassemblant quelques pistes que vous avez déjà ébauchées tout à l'heure et peut-être commençons, parce que c'est d’ailleurs la thématique par laquelle vous commencez, mais quelque chose qui est très immédiat, qui est la question du travail. Est-ce que ce qui a fait et ce qui fait encore la force de ce mouvement du logiciel libre, ce n'est pas simplement une manière, pour commencer, de travailler différemment, d'investir le travail différemment, et tout simplement dans la question de la collaboration, Sébastien Broca ?

Sébastien Broca : Oui. Ce qui caractérise les projets de développement libres, en général, après il y a quand même plusieurs modèles, c'est que la plupart des contributeurs sont très libres, très autonomes dans la manière dont ils gèrent leur travail. On n'a pas des hiérarchies managériales rigides comme on peut trouver encore dans les entreprises. Cette question du travail est très importante. Elle a été théorisée notamment par le philosophe finlandais Pekka Himanen, dont vous avez dû parler ici. Il dit quelque chose de très simple, qui est intéressant, qui permet de bien comprendre les choses, il dit les développeurs de logiciel libre, leur rapport au travail est un rapport qui est fondé vraiment sur la passion, sur l’intérêt personnel pour la tâche qu'ils accomplissent et pas du tout, comme dans l'éthique protestante théorisée par Max Weber, sur le devoir moral et sur l’intérêt financier. Vraiment ce qui compte pour les hackers, pour les développeurs, c'est que le travail qu'ils font a pour eux un intérêt intrinsèque et qu'ils prennent du plaisir à programmer.

Xavier de la Porte : Tout ça s'inscrit aussi dans une vielle histoire, enfin quand je dis vielle, ce n'est pas vieille, c'est une histoire récente de la critique du travail, celle qu'on connaît dans les années soixante, soixante-dix, aux États-Unis notamment mais dans l'ensemble des gauches occidentales.

Sébastien Broca : Oui c'est ça. Après ce que j'essaie de montrer un peu dans le livre, c'est que finalement toutes ces thématiques autour de l'éthique hacker et de cette volonté de promouvoir une autonomie dans le travail, finalement c'est un discours qui est très proche de ce qu'on avait en 68, en France notamment, toutes ces revendications de mettre à bas les hiérarchies, justement d’être plus libres, et puis tout ce qui donnera aussi ensuite tout le mouvement pour l'autogestion, toutes ces choses-là. Et finalement les informaticiens ont retrouvé ça quelque part par un autre biais et finalement ils défendent des choses assez similaires sur le travail comme devant permettre la réalisation de soi, devant permettre de développer toutes ses dispositions créatrices, et donc cette revendication vraiment de liberté dans la manière dont on accomplit ce travail. Ce qui est intéressant aussi, c'est vrai que l'histoire évidemment est toujours compliquée, c'est que toutes ces thématiques-là elles ont bien entendu aussi été récupérées par tout le discours de management, notamment tout ce qu'on a appelé le nouveau management, et c'est vrai que le management aujourd'hui n'est plus le management tel qu'il se présentait en 1968, et ce discours du nouveau management, lui-même finalement, a repris ces thématiques-là en disant qu'il fallait sortir de ces hiérarchies rigides, de ces bureaucraties et laisser aux salariés plus de liberté pour justement leur permettre d'exprimer leurs dispositions créatrices, leur créativité, parce que à mesure que le travail devient de plus en plus un travail intellectuel, un travail créatif, c'est ça qui devient aussi important pour les entreprises.

Xavier de la Porte : Oui l'archétype de ça, Sébastien Broca, vous l'évoquez dans votre livre ce sont les vingt pour cent de temps que Google accorde à ses salariés pour des projets personnels et créatifs, qui est en fait quelque chose qui est très compliqué parce que ça n'est pas ou ça n'était pas accordé à l'ensemble du personnel mais simplement à ceux dont on considérait qu'ils pouvaient être les plus créatifs. Par ailleurs toutes les études un peu sérieuses qui ont pu être menées, mais qui étaient un peu compliquées à mener parce que Google n'est pas forcément ouvert à la venue de sociologues et d’ethnologues dans ses bureaux, ont montré qu'ils s’accompagnaient d'une très forte pression exercée sur des salariés parce que c’est aussi le moment, donc ces vingt pour cent, on est censé montrer qu'on est créatif, que c'était beaucoup plus compliqué que ça. Mais ça donne quand même des choses !

Es-ce que des grands projets qui, d'une manière ou d'une autre doivent au logiciel libre comme par exemple Wikipedia, ça crée quand même des hiérarchies. Ce n’est pas parce qu'on s'organise différemment qu'on ne hiérarchise pas et même parfois on est obligé d'hyper hiérarchiser parce qu'on met en branle des gens qui travaillent un peu à leur manière pour le fun, à des heures bizarres et voila.

Sébastien Broca : Oui. C'est tout à fait vrai. Il y a un texte assez célèbre qui s'appelle « La Cathédrale et le Bazar, d’Éric Raymond », qui présentait le modèle donc du logiciel libre, modèle d'organisation du travail avec cette métaphore du bazar qui connote vraiment quelque chose qui serait vraiment anarchique où il n'y aurait vraiment aucune hiérarchie. C'est en fait pas vraiment comme ça que ça se passe. Il y a effectivement dans les projets, en tout dans les projets importants, des formes de hiérarchie qui se recréent. Après ce qui est intéressant c'est que souvent elles se recréent a posteriori. C'est-à-dire que chaque contributeur va être libre de travailler sur ce qui lui plaît et de la façon qui lui agrée, mais par contre, ensuite il y a quelqu’un qui va passer derrière et qui va corriger ou dire est-ce que cette contribution est pertinente, est-ce que je décide de l'intégrer ou pas au projet ? Il va y avoir une forme de hiérarchie mais qui va s'exercer plutôt en aval, le travail lui-même restant accompli de manière assez libre et autonome,

Xavier de la Porte : Par exemple Wikipedia, on ne va pas détailler complètement les fonctionnement de Wikipedia, mais par exemple en quoi est-ce que Wikipedia c'est quelque chose quoi provient dans l’idée du logiciel et comment ça va s'architecturer cette organisation du travail, Sébastien Broca ?

Sébastien Broca : Wipedia provient du libre de plusieurs façons. D'une part parce que ce modèle de collaboration par internet est un modèle qui a été expérimenté pour la première fois par les informaticiens du libre, notamment autour de Linux. C'est vraiment ces formes de collaboration qui ont inspiré Wikipedia. Et après, si vous voulez, la culture ou l'idéologie de Wikipedia, enfin la philosophie de Wikipedia peut-être plutôt, ça vient aussi du libre avec cette idée que le savoir doit circuler, doit être ouvert et que tout le monde doit pouvoir collaborer. Ensuite pour revenir à l'organisation du travail au sein de Wikipedia, c'est vrai qu'on a cette image d'une encyclopédie complètement ouverte, que n'importe qui peut modifier, etc, ce qui est vrai, mais sauf qu'il faut vair aussi qu'il y a aussi en quelque sorte la partie immergée de l'iceberg où là il y a quand même des procédures de régulation qui s'accumulent, il y a des postes très précis, il y a le poste d'administrateur, le poste, bon je ne vais pas tous les faire, de masqueur de modifications, le comité d'arbitrage, bref il y a des gens dans Wikipedia qui sont investis quand même d'un pouvoir supérieur à celui du contributeur lambda.

Xavier de la Porte : D'ailleurs c'est intéressant parce que récemment il y a eu une série de textes parus dans la presse américaine et je crois notamment dans la MIT Technology Review, arguant du fait que le Wikipedia américain, donc Wikipedia en langue anglaise, était précisément en train de mourir, ou en tout cas s'épuisait de sa propre bureaucratie. C'est intéressant l'idée qu'on est obligé de créer des modes d'organisation différents mais qui deviennent aussi des bureaucraties et qui peuvent, au bout d'un moment, se scléroser dans leur propre bureaucratie. Il y a aussi une autre critique qui est intéressante sur cette organisation du travail, c'est que ça repose aussi, d'une certaine manière, sur l'idée que les gens travaillent quand ils veulent, etc, et ne sont pas forcément rémunérés pour leur travail. Il y a une autre forme de critique qui est apparue, parce que cet espèce de modèle où tout le monde travaille quand il veut, etc, il s'est un peu répandu à d'autres choses notamment à tout le mouvement qu'on appelle le crowdsourcing, donc faire appel à une sorte de sagesse de foules enfin des individus dans la foule pour fournir du contenu etc, et que là il y a aussi des sortes d'économie qui sont nées, se reposant sur un travail gratuit, fourni par des gens qu'ils soient développeurs ou pas développeurs d'ailleurs Sébastien Broca et donc là on a aussi une sorte de critique du logiciel libre, du mode d'organisation du logiciel libre qui provient de sa gauche, si j'ose dire.

Sébastien Broca : Oui tout à fait. C'est vrai que des fois ça ressemble un peu à des jeux de dupes parce qu'on a des gens qui évidemment font du code ou d'autres choses, Wikipedia, tout un tas d'activités parce que justement ils y trouvent un intérêt intrinsèque. que ça leur plaît, donc très bien, et puis ils considèrent ça plutôt comme du loisir que comme du travail, sauf que c'est vrai qu'on ne peut pas non plus occulter le fait que derrière les entreprises qui vont être très habiles pour retirer une valeur économique de tout cela. C'est vrai que ça on le voit très bien dans le logiciel libre où on a notamment un des modèles économiques qui existent dans le libre, c'est le modèle du service, tout ce qu'on appelle notamment les SS 2L.

Xavier de la Porte : C'est-à-dire ? C'est quoi ce modèle-là ?

Sébastien Broca : Ce sont les sociétés de service en logiciel libre. Donc ça va être des entreprises qui, vu qu'elles ne peuvent pas vendre le logiciel puisque celui-ci du fait des quatre libertés est gratuit, elles proposent des services aux entreprises donc d'installation, de personnalisation, de maintenance autour du logiciel et dons elles font payer ces services. Sauf que ces services, enfin la fourniture de ces services par l'entreprise suppose que le logiciel ait déjà été écrit en amont et bien souvent que des gens, qui n'ont pas été payés, aient écrit ce logiciel à partir duquel l’entreprise va ensuite construire un modèle de service qui parfois peut être extrêmement lucratif.

33'13 MO

Xavier de la Porte : Il y a quand même des formes de rétribution, vous l'évoquez comme ça très très marginalement dans votre libre, mais il y a quand même des formes de rétributions symboliques pour ce type de personnes. En terme de notoriété, non ?

Sébastien Broca : Oui. Ça c'est sûr. D'ailleurs sinon les gens ne le feraient pas. S'ils le font c'est aussi qu'ils y trouvent des formes de rétribution donc effectivement en terme soit d'apprentissage, de reconnaissance par la communauté, ça effectivement c'est très important, ou tout simplement d'amusement, ça c'est vrai que ça existe. Après la question c'est est-ce, que quand bien même les gens prendraient du plaisir et trouveraient une forme de reconnaissance et d'amusement, est-ce que ce n'est quand même pas un petit peu injuste d'avoir ce modèle où des entreprises font des bénéfices conséquents derrière. Du coup ça a donné lieu d'ailleurs, je précise juste que ça a donné lieu à tout un courant assez critique justement, une critique de gauche qui porte sur ce qu'on appelle le digital labor.

Xavier de la Porte : On en avait parlé ici cette critique un peu marxiste de ce modèle-là, estimant qu'il y avait une forme d’exploitation du travailleur puisqu'il n’était pas rémunéré pour sa production. Par ailleurs on peut faire aussi une critique de cette critique-là. Est- ce que le marxisme est la catégorie....

Sébastien Broca : Moi je trouve que le terme d'exploitation en fait est assez mal choisi. Il est parlant évidemment, exploitation, argumentativement c'est un terme qui marche bien. Après je trouve que ce n'est pas exactement ça, notamment parce que dans le cadre du libre et de l'open source, le produit de ce travail n’est pas privatisé. Dans l'exploitation au sens de Marx, vous avez, en vertu de la propriété privée des moyens de production et du contrat de travail classique, eh bien le produit du travail est complètement approprié par l'entreprise. Dans le logiciel libre et open source ce n'est pas le cas, vu que le produit de ce travail, à partir du moment où le code source reste ouvert, il reste librement accessible à tout le monde. Donc c'est quand même un peu différent de la situation classique d'exploitation selon Marx.

Xavier de la Porte : Une autre chose que l'idée, la politique du logiciel libre engendre, de manière très forte évidemment, c'est un rapport à la technique. Comment on pourrait qualifier d'ailleurs le rapport à la technique qui est le substrat de la politique du logiciel libre, Sébastien Broca ? C'est quoi ? C'est la créativité ? C'est la bidouillabilité ? C'est quoi ?

Sébastien Broca : Oui, c'est ça. Historiquement ça vient de cette idée, de cette culture en fait du hacking. Hacking qu'est-ce que ça veut dire ? On traduit en français, c'est un peu maladroit, mais on dit effectivement que c'est la bidouille quoi. C'est cette idée, c'est un terme qui est apparu au MIT, justement, mais un peu avant Stallman dans les années soixante, chez les étudiants en informatique qui revendiquaient d'avoir ce rapport un peu créatif, ludique, espiègle à la technique, c'est-à-dire d'ouvrir le capot, de bidouiller leurs logiciels ou leurs objets techniques en général et puis comme ça d'avoir ce côté un peu ludique, créatif, par rapport aux objets techniques. Du coup en fait c'est cette culture-là qui se perpétue dans le discours du libre jusqu'à aujourd'hui qui est de dire, par exemple, on a fait des gens, en tout cas de la plupart des gens, des consommateurs de technologie qui sont dans une passivité totale par rapport aux objets qu'ils utilisent, qui sont capables de les faire marcher mais qui ne comprennent pas une seconde comment ils marchent et qui seraient aussi bien incapables de faire la moindre modification, la moindre bidouille sur leurs objets et donc les gens du libre essayent un peu de faire vivre ou de retrouver cette culture historique du hacking.

Xavier de la Porte : Donc l'ennemi c'est Apple ?

Sébastien Broca : Oui clairement aujourd’hui c'est Apple. C’était Microsoft pendant longtemps, maintenant vraiment c'est Apple.

Xavier de la Porte : Pourquoi est-ce que c'est Apple ? Parce que Apple c'est quoi ? C'est fermé ? Je ne sais plus dans votre livre il y a une phrase assez jolie de quelqu'un qui dit, je me demande si ce n'est pas Doctorow ou quelqu'un comme ça.

Sébastien Broca : Oui je le cite.

Xavier de la Porte : Vous le citez, qui dit Apple, c'est comment est-ce que changer les piles devient un exploit technologique ou quelque chose comme ça.

Sébastien Broca : Oui exactement. Il dit « Offrir un produit Apple à vos enfants, c'est leur dire que même changer .les piles ça doit être fait par un expert qui ne va même pas faire ça C'est peut-être un peu exagéré mais en tout cas cette idée c'est que ce sont des produits très beaux, très ergonomiques, très simples à utiliser mais qui sont complètement fermés, complètement opaques et les gens comme Doctorow disent mais si j’avais eu des produits Apple je ne me serais mis, comme eux ils l'ont fait il y a vingt ou tente ans, à bidouiller mon ordinateur et du coup à apprendre comme ça par la pratique à devenir codeur.

Xavier de la Porte : C'est quelque chose qui est assez beau et qui préside depuis le début dans cette histoire du logiciel libre. C'est un rapport au fond assez beau à la technique, je trouve, qui est un rapport de non soumission totale à la technique. C'est-à-dire que Stallman, depuis le début, il dit Ok, construire des logiciels qui soient hyper efficaces, excellents, etc, ce n'est pas le but. Ce n'est pas le but ultime. Le but ultime on va être dépassé par la technique, etc, ce qu'il faut c'est nous la maîtriser, la maîtriser au prix parfois qu'elle ne soit pas superbe, brinquebalante, bidouillable, bricolée. Au fond tous ces gens qui sont des informaticiens de génie, parce que Stallman c'est un informaticien de génie, qui sont très très forts en informatique eh bien dans leur travail, dans leur manière de faire, ils postulent le fait qu'il faut qu'on la domine cette technique. C'est quelque chose que je trouve très beau dans toute cette histoire du logiciel libre.

Sébastien Broca : Oui c'est intéressant. C'est ça aussi qui m'a beaucoup intéressé c’est que c'est un mouvement de techniciens qui a quand même un discours un peu critique par rapport à la technique, ce qui en fait est assez rare. Et Stallman a une phrase assez jolie qu'il dit souvent. Il dit je suis content que les logiciels libres soient performants mais en fait je m'en fiche parce que je ne brade pas ma liberté pour des questions de convenance. Donc quand bien même ça n'aurait pas été efficace ou ça aurait été moins efficace que le logiciel propriétaire, peu importe, j'aurais quand même continué à utiliser des logiciels libres. Donc du coup c'est vrai que ça donne à ce mouvement du libre aujourd’hui une portée critique qui est assez grande. On est quand même dans un monde où on est entouré par ces objets technologiques, plus ou moins gadgets, mais parfois très bien, très efficaces, très beaux, mais c'est vrai qu'il y a en même temps une absence de culture technique du grand public qui me semble assez nette et c'est contre ça que le libre essaie de lutter.

39'03 MO

Xavier de la Porte : Donc le libre va aussi donner tout ce qu'on connaît qui commence à affleurer dans les médias les plus généralistes qui sont ces fablabs.