Différences entre les versions de « Place du logiciel libre dans la société - Capitole du Libre - Table ronde »

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'''Titre :''' La place du logiciel libre dans la société
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Publié [https://www.april.org/la-place-du-logiciel-libre-dans-la-societe-capitole-du-libre-2017 ici] - Juin 2018
 
 
'''Intervenants :''' Adrien Blind - Sébastien Dinot . Pierre-Yves Gosset - Jean-Baptiste Kempf - Christophe Sauthier - David ???
 
 
 
'''Lieu :'''  Toulouse - Capitole du Libre
 
 
 
'''Date :''' novembre 2017
 
 
 
'''Durée :''' 1 h 35 min 27
 
 
 
'''[https://2017.capitoledulibre.org/programme/#la-place-du-logiciel-libre-dans-la-societe Visionner la vidéo]'''
 
 
 
'''Licence de la transcription :''' [http://www.gnu.org/licenses/licenses.html#VerbatimCopying Verbatim]
 
 
 
'''NB :''' <em>transcription réalisée par nos soins. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas forcément celles de l'April.</em>
 
 
 
'''Statut :''' Transcrit MO
 
 
 
==Transcription==
 
 
 
<b>David : </b>Allez, c’est parti. Bonjour à tous. Je suis heureux d’être là avec vous aujourd’hui. Je me présente très rapidement et on va surtout laisser la place aujourd’hui aux intervenants sur cette table ronde. Je vous rappelle le thème de cette table ronde, c’est donc « La place du logiciel libre dans la société ». Je m’appelle David ???, je suis le fondateur d’une société qui s’appelle CityMeo et dans mon quotidien j’utilise Android, Tyson, Microsoft Office, Mac OS X, Slack, Google Apps, mais aussi VLC. Donc je suis un peu un utilisateur du Libre, mais aussi là pour faire réagir les intervenants autour de cette table et je vais laisser Christophe se présenter.
 
 
 
<b>Christophe Sauthier : </b>Merci. Vous pouvez l’applaudir quand même.
 
 
 
[Applaudissements]
 
 
 
Il faut en profiter parce qu’après, ses questions, on ne va pas les aimer. Donc Christophe Sauthier. Je suis le fondateur d’une société qui s’appelle Objectif Libre. Comme le nom indique on travaille dans le logiciel libre avec uniquement, quasiment, de la transformation vers le cloud. J’ai un passif et un passé de libriste convaincu puisque j’ai été président d’Ubuntu-FR pendant huit ans et je suis un des co-fondateurs de Capitole du Libre.
 
 
 
[Applaudissements]
 
 
 
<b>Jean-Baptiste Kempf : </b>Ils ne vont pas applaudir à chaque fois ! Donc moi je suis, comme vous voyez, avec le chapeau. Je suis le président de VideoLAN ; je bosse sur VLC depuis 12 ans et j’ai géré le projet, guidé le projet. Je suis plutôt geek, mais, pour survivre dans le Libre, moi j’ai monté une start-up autour du Libre.
 
 
 
[Applaudissements]
 
 
 
<b>Adrien Blind : </b>Pour ma part je m’appelle Adrien Blind, je travaille dans une grande banque comme ???, en gros un évangéliste technologique. À côté de ça, je suis Docker Captain et j’anime plusieurs <em>meet-up</em> ou co-anime comme les <em>meet-up</em> Docker, ???, Serveurs ??? sur la place parisienne.
 
 
 
[Applaudissements]
 
 
 
<b>Sébastien Dinot : </b>Bonjour. Sébastien Dinot. Au niveau professionnel, je conseille mon entreprise, une ESN, qui s’appelle C-S, sur le Libre dans ses quatre dimensions technique, économique, juridique et communautaire. Et, au niveau privé, j’ai été pendant 13 ans au conseil d’administration de l’April, j’en ai été vice-président et je suis un contributeur massif d’OpenStreetMap.
 
 
 
[Applaudissements]
 
 
 
<b>Pierre-Yves Gosset : </b>Je suis le dernier. Donc Pierre-Yves Gosset. Je suis directeur et délégué général de l’association Framasoft qui promeut le logiciel libre et la culture libre et coordinateur des campagnes Dégooglisons Internet et de la campagne Contributopia.
 
 
 
[Applaudissements]
 
 
 
<b>David : </b>Pierre-Yves, on va profiter que tu aies le micro, tu as déjà c’est bon, tu viens juste de le retrouver. Pour commencer, tout d’abord, on va parler logiciel libre. Inévitablement le terme va être à définir. On va parler aussi open source pendant ce moment. Est-ce que tu peux rapidement nous donner toi ta définition de l’open source, du logiciel libre, pour qu’on commence à discuter dessus.
 
 
 
<b>Pierre-Yves Gosset : </b>Du coup la définition pour moi va être très simple. Le logiciel libre c’est l’open source plus des valeurs éthiques et sociales. Ce qui veut dire que l’open source c’est du logiciel libre moins des valeurs éthiques et sociales.
 
 
 
<b>David : </b>Très bien. On va continuer avec Jean-Baptiste. Jean-Baptiste, tout à l’heure tu me disais que VLC c’était bien parce que personne ne sait que c’est libre. Est-ce que je peux te lancer dessus et pour qu’on commence à parler de qu’est-ce que c’est que le logiciel libre vraiment dans la société avec le nombre d’utilisateurs que peut avoir VLC ?
 
 
 
<b>Jean-Baptiste Kempf : </b>Tu tapes directement tout de suite, toi ! Cash ! En fait, ouais, c’est vrai que je dis ça souvent. En fait les gens utilisent VLC parce que VLC c’est bien et après, ils savent que c’est libre ou la plupart du temps ils ne savent pas du tout. Je pense que 99,9999 % de nos utilisateurs n’ont aucune idée que c’est libre. Et c’est vraiment important, c’est qu’il faut qu’on ait un niveau de qualité qui ne soit pas aussi bien mais au moins assez proche. Aujourd’hui, il manque beaucoup d’alternatives à plein de logiciels propriétaires, logiciels qui sont parfois juste des services internet complètement propriétaires. Et surtout, pire que propriétaires, il y a les propriétaires dans lesquels on n’a pas nos données et on n’a pas accès à nos données. C’est parfois difficile de vivre de logiciels libres, mais je pense que c’est vraiment important d’aller vers plus de logiciels libres, comme ça, et surtout de faire comprendre aux gens l’utilité du soft. Mais pour arriver à une comparaison avec l’utilité du soft, il faut vraiment qu’on arrive au moins à un niveau de performance qui soit aussi bon. Et ça, c’est vraiment galère.
 
 
 
<b>David : </b>Et du coup, la sécurité des données c’est quelque chose qui est le plus important, qui pousse à faire du Libre ? Ou est-ce que c’est juste indépendant et un des volets ?
 
 
 
<b>Jean-Baptiste Kempf : </b>Pour moi c’est indépendant. Parce que, en fait, aujourd’hui, il y a plein de gens qui font du Libre, qui utilisent du Libre dans du cloud et en fait, c’est encore pire parce qu’ils utilisent le travail des gens du Libre, ils font tout contre la philosophie ; ils n’ont pas les valeurs comme on venait de dire et on ne peut pas récupérer les données. Et puis, comme, en fait, tu récupères juste le service, ils trichent complètement. C’est-à-dire que tu te fais complètement avoir et, en plus, tu ne peux pas récupérer tes données, je pense à Google, mais ils ne sont pas les seuls-.
 
 
 
<b>David : </b>Tout à l’heure, Christophe, tu me parlais du paradoxe du pro avec les données libres. Est-ce que tu peux étayer ça parce que ça va dans ce sens ?
 
 
 
<b>Christophe Sauthier : </b>C’est un peu ça. Je trouve qu’aujourd’hui on n’a jamais eu autant d’utilisation du logiciel libre en entreprise. Toutes les entreprises utilisent du logiciel libre ou même en produisent, pour beaucoup, et pourtant, d’un point de vue utilisateur final, plus personne ne s’y intéresse. La majorité des utilisateurs finaux, aujourd’hui, délaisse complètement le côté libre et le côté éthique par simplicité, parce qu’ils se disent de toutes façons j’ai un logiciel, j’ai Chrome aujourd’hui, ça marche bien ; je l’ai sur ma tablette, je l’ai sur mon téléphone, je l’ai sur mon ordinateur, ça me va, alors que c’est tout sauf libre aussi et c’est le vrai problème qu’on peut rencontrer pour tous les utilisateurs qui n’utilisent, eux, plus de logiciel libre en tant qu’utilisateur final, alors que tous ces logiciels qu’ils utilisent sont eux bâtis sur des briques open source et beaucoup de logiciel libre.
 
 
 
<b>David : </b>Avant d’être un utilisateur pro on est un utilisateur particulier Sébastien, tout à l’heure, tu m’expliquais que, à titre personnel, tu étais militant mais que dans ta société, toutes les données ne se reflétaient pas. Est-ce que tu peux détailler ça ?
 
 
 
<b>Sébastien Dinot : </b>Disons que je distingue ma position personnelle, qui est une motivation éthique, de ma motivation professionnelle où là, j’ai un devoir de conseil et je suis un mercenaire dans le niveau professionnel. Donc je ne vais pas forcément forcer les gens qui ne veulent pas faire du Libre à en faire. Je veux qu’ils aient une expérience positive du Libre. Si je sens une volonté, si je sens une ouverture, je vais leur montrer que c’est une carte à jouer et puis, quand je sens que les gens ne veulent pas, je ne vais pas les contraindre ; ça serait un échec, ils auraient une mauvaise expérience parce qu’ils auraient, finalement, tous les mauvais côtés sans bénéficier, puisqu’ils ne joueraient pas pleinement le jeu, ils n’auraient pas les côtés positifs. Donc je saisis toutes les opportunités, mais quand je sens que ce n’est pas la peine, je ne joue pas cette carte-là.
 
 
 
<b>David : </b>OK ! Comment on lutte sans pour autant générer sa propre mort ? On parlait tout à l’heure de communiquer sur les réseaux sociaux. On évoquait le cas de Diaspora et notamment de Framasoft qui communiquait dessus. Comment aujourd’hui on arrive à communiquer, à rendre pérenne le logiciel libre tout en communiquant sur ce type de réseaux ?
 
 
 
<b>Pierre-Yves Gosset : </b>Je fais une réponse violente : on n’y arrive pas ou très difficilement. Non. Le logiciel libre est un bien commun et donc il faut en prendre soin et évidemment, on est beaucoup moins nombreux sur un réseau social comme Diaspora. Framasphère qui est notre instance de Diaspora, il doit y avoir à peu près 40 000 inscrits et en gros 10 000 utilisateurs actifs qui viennent vraiment régulièrement poster des informations et échanger dessus. Évidemment c’est <em>peanuts</em> par rapport aux 2 milliards 500 millions d’utilisateurs de Facebook. La question, après, c’est est-ce qu’on fait bien de continuer ou est-ce qu’on laisse tomber ? Et ma réponse est on doit continuer, même si on n’est pas très nombreux, même si c’est plus difficile parce que, encore une fois, sinon on part du principe que Facebook qui est un énorme contributeur à l’open source, et non pas au logiciel libre, propose à travers React et compagnie des solutions libres qui fonctionnent et donc autant tous aller chez Facebook quand bien même c’est un captateur de données absolument monstrueux au niveau planétaire. L’intérêt c’est que chacun va pouvoir choisir quelles vont être les plateformes qui l’intéressent suivant les sujets qui l’intéressent, suivant ce qu’il veut mettre dessus. Et, finalement, c’est ce qu’on a tendance à dire à Framasoft que dans le logiciel libre on s’en fiche que le logiciel soit libre, mais il faut que l’utilisateur le soit et l’utilisateur, sur un réseau social libre, est beaucoup du libre de ses paroles, de ce qu’il peut dire, dans les échanges qu’il va avoir avec les autres, que sur un réseau tiers comme Facebook. Même si on n’est pas nombreux, venez, rejoignez-nous, pas forcément sur Framasphère mais sur d’autres réseaux et c’est comme ça que petit à petit on fera en sorte que le Libre fonctionne.
 
 
 
<b>David : </b>Tu rejoins un petit peu ce que disait Sébastien tout à l’heure, c’est de dire quand il rencontre ; c’est la même position que toi Seb là-dessus ?
 
 
 
<b>Sébastien Dinot : </b>Quand je rencontre des gens qui ne vont pas être convaincus ou pour qui le logiciel libre ne serait pas adapté, parce qu’il y a des cas dans lesquels ce n’est pas adapté, il ne faut pas leur imposer. Parce que, au contraire, tu vas les dégoûter !
 
 
 
<b>Pierre-Yves Gosset : </b>Je propose aux gens de venir. Nous sommes une association d’éducation polaire, nous n’imposons aucun choix et même, nous ne jugeons pas. Je veux dire, les gens qui sont sur Facebook, ils peuvent être sur Facebook. L’idée n’est pas du tout de les insulter et de leur dire « quittez Facebook ». On essaye de mettre en valeur quels sont les mécanismes de l’économie de un régime de "notification et retrait" qui ne nécessite pas 
 
de notification
 
l’attention, de ce qu’on appelle le capitalisme de surveillance, qui font fonctionner Facebook, de façon à ce que les gens puissent un choix éclairé. Après ils viennent sur Framasphère ou ils viennent sur Mastodon ; ils font ce qu’ils veulent. On ne force pas.
 
 
 
<b>Sébastien Dinot : </b>Juste si je peux me permettre, toi je sais que je ne vais rien t’apprendre, mais le logiciel libre c’est une condition nécessaire, ce n’est pas une condition suffisante. Parce qu’on peut imaginer qu’un jour tous les grands opérateurs, les GAFAM et compagnie, utilisent tous du logiciel libre. Il y a la notion de qui héberge la donnée est-ce que c’est moi ou est-ce que c’est un opérateur de confiance ou est-ce que c’est une entité que je ne connais pas absolument pas ? Et ce sont des questions différentes et vous luttez, je crois, sur ce point-là à Framasoft. Vous invitez les gens à s’auto-héberger. ce n’est pas qu’une question de ???
 
 
 
<b>David : </b>Et comment on arrive à atteindre la masse critique qui va permettre d’être une société qui va compter et qui va permettre de devenir pérenne et vraiment d’amener les utilisateurs sur notre réseau ?
 
 
 
==11’ 33==
 
 
 
<b>Pierre-Yves Gosset : </b>Je peux être radical ? Je peux dire il ne faut pas atteindre une masse critique, il faut atteindre des masses critiques et les mettre en réseau. C’est-à-dire que si on veut lutter contre la centralisation des données, si un Google du libre qui arrive demain ou si Google même libère l’ensemble de ses outils, ça ne changera rien vu que son modèle, enfin son <em>business model</em> est basé sur un modèle de captation et d’exploitation financière des données et je ne vois pas comment est-ce qu’on pourrait avoir un Google du Libre ; ce serait absolument stupide. L’idée est plutôt d’utiliser l’intelligence collective des personnes qui sont dans cette salle et ailleurs, et qui sont volontaires et militantes dans le milieu du logiciel libre pour construire plein de petits réseaux fédérés. Si c’est pour faire un Airbus numérique du Libre, si je comprends le sens de ta question, comment est-ce qu’on fait pour avoir un acteur qui atteindrait une telle taille ? Je ne crois pas dans l’Airbus numérique du Libre. Je pense qu’il faut plutôt plein de petits acteurs qui sont capables de fonctionner ensemble. Ça gagnera sans doute beaucoup moins d’argent, mais je suis très content : Christophe et Jean-Baptiste sont la preuve vivante qu’on peut être fondateur de société de logiciel libre et vivre ainsi.
 
 
 
<b>David : </b>Justement, sans parler de Google, qui va avoir énormément de braquets et d’activités, un VLC aujourd’hui qui pour a pour principale activité un lecteur vidéo, comment on devient aujourd’hui pérenne et comment on continue à grossir ?
 
 
 
<b>Jean-Baptiste Kempf : </b>C’est la blague que je fais habituellement, notamment quand je vois des politiques en France, je me présente en disant que je suis l’éditeur du logiciel français le plus utilisé au monde et le moins rentable.
 
 
 
[Applaudissements]
 
 
 
Si on parle en termes d’art pur, c’est absolument une catastrophe. Et en plus on a la difficulté, il n’existe pas de <em>business model B to C</em> open source et libre. Ça n’existe pas. Il y a juste un exemple qui était Mozilla, qui a réussit à faire de la pub pour Google pendant dix ans et récupérer 400 millions d’euros par an, à part ça, ça n’existe pas. Donc résultat tu fais des trucs <em>B to B</em> et résultat tu fais des briques technologiques et donc, finalement, le Libre est invisible. Donc c’est très difficile aujourd’hui. Moi j’ai trouvé des solutions. Elles marchent parce que VLC. Elles marchent parce que j’ai profité un petit peu de la partie start-up et donc ,auprès des pouvoirs publics, etc., je dis que je suis une start-up alors qu’en fait, ce que je fais, je suis un éditeur de Libre. Ce n’est pas toujours marrant mais ça ne marche pas trop mal, et surtout j’ai des services qui sont <em>B to B</em> autour. Mais c’est très compliqué et, en plus quand on est dans le multimédia où il y a des gens, d’autres méchants qui sont encore plus méchants que les GAFAM et mes potes d’HADOPI, c’est encore plus dur quoi !
 
 
 
<b>Sébastien Dinot : </b>Non, mais ils vont nous voir ! HADOPI !
 
 
 
<b>David : </b>Très bien, ça réveille tout le monde.
 
 
 
<b>David : </b>Ça marche HADOPI ? Et quand le logiciel commence à grossir, est déjà relativement gros et très gros même, comment on recrute des gens qui ont envie de bosser et de continuer à développer un produit comme VLC ?
 
 
 
<b>Jean-Baptiste Kempf : </b>Mais on ne le fait pas ! En fait, VLC ça date de bien avant moi, même s’il y a des gens qui aiment bien dire que je suis le créateur. Le problème c’est que moi, quand je suis arrivé, j’ai créé l’association pour sortir du projet étudiant qui était à l’école. Justement, c’était déjà trop gros pour juste des étudiants. En fait, le modèle a marché de 2008 à 2012 et après on a eu le même problème, c’est-à-dire comment on passe à l’étape d’après, parce qu’il faut des gens professionnels. Et donc c’est ça qui est difficile. Moi, jusqu’à il y a quelques années, avant j’allais faire des confs et j’allais voir des étudiants et ils me disaient : « Ah c’est trop bien VLC, etc. » Je dis « Eh bien, venez ». Moi, quand j’étais étudiant, les cadors c’étaient les mecs qui faisaient du Libre mais c’étaient de gros tueurs. Et quand je vais voir dans plein d’écoles, ce qu’ils veulent c’est faire le nouveau Flappy Bird parce que, tu comprends, ils vont faire un million d’euros par jour, ou alors le Uber de la farine. Ça peut marcher ! Ou le Uber des pierres tombales, je pense que ça marche encore mieux ! On peut en parler après s’il y a des gens qui veulent discuter. Bref, pour revenir au sujet, c’est hyper difficile. Et donc moi, c’est vrai qu’on fait des trucs techniques et il faut payer, etc. Mais des mecs qui bossent sur VLC, quand ils vont chez Facebook ou chez YouTube, on multiplie le salaire par six, huit, dix. Les étudiants n’ont pas envie d’aller se faire chier !
 
 
 
<b>David : </b>Du coup est-ce qu’il faut une société systématiquement derrière un logiciel libre pour y arriver ? Je prends le cas Docker par exemple.
 
 
 
<b>Adrien Blind : </b>Je ne sais pas s’il faut nécessairement une société, mais je pense qu’il y a de bonnes synergies, en fait, qui peuvent se créer entre ces mondes-là parce que, du coup, ça permet d’une part de faire en sorte d’avoir une structure qui permet d’avoir de l’animation et qui permet de sortir un produit qui va séduire un public complémentaire dans les entreprises parfois, mais aussi au-delà. Je pense surtout que cette complémentarité va permettre, finalement, d’aller au-delà, justement, d’un produit fermé d’entreprise, de lui donner un peu plus de valeur, de lui trouver un public plus large et voilà !
 
 
 
<b>Christophe Sauthier : </b>Dans ce cas-là, est-ce que la description que tu as faite de la société, est-ce qu’elle ne pourrait pas être remplie par une fondation ? Parce que ce que tu décris de la société, par exemple par rapport à Docker, eh bien le monde dans lequel j’évolue, OpenStack, c’est la fondation Open Stack qui fait ça ; alors qui va après s’appuyer sur les différentes sociétés qui peuvent participer, mais c’est une fondation qui le fait.
 
 
 
<b>Adrien Blind : </b>Je ne dis que ça soit impossible. Le cas de Docker est un peu particulier parce que son histoire c’est celle, au départ, d’un hébergeur de solutions de pass, de cloud et finalement, un jour, ils se sont mis à partager leur outil et je trouvais déjà que la démarche était très intéressante d’open sourcer les codes et ils se sont rendu compte justement qu’ils avaient un <em>asset</em> de grande valeur et je trouve que c’était une très bonne chose de l’ouvrir, justement de ne pas le garder pour eux et d’en faire une solution éditeur traditionnel. Après, la réalité, c’est que Docker, dans leur cas, ils étaient déjà une entreprise. Ils se sont rendu que leur outil avait plus de valeur que leur business historique. Donc ils ont pivoté, ils se sont recentrés sur l’outil. Après, vu que c’est une entreprise, elle a besoin de trouver un public, de gagner de l’argent parce qu’elle n’a pas les mêmes attendus ; elle ne s’est pas construite autour de la même finalité au départ. Pour autant, ce que je trouve intéressant, autant je suis d’accord avec ce que tu dis sur le fait que des fondations remplissent très bien ce genre de rôle et tu le cites, avec grande justesse, sur OpenStack ; autant là c’est intéressant de voir que finalement une entreprise s’est mise justement à changer de paradigme, à s’ouvrir, mais après, vu qu’elle part du principe qu’elle était déjà une entreprise, elle a besoin de continuer à fonctionner, à gagner de l’argent pour vivre.
 
 
 
<b>Sébastien Dinot : </b>Si vous permettez, je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous. Parce qu’on a l’impression que d’un côté il y a des fondations, comment dire, qui essaieraient de faire évoluer, créer et d’entretenir les communautés, et des entreprises qui se soucieraient essentiellement de marketing, à la limite. Or, par exemple, l’entreprise pour laquelle je travaille développe certains de ses logiciels et les publie sous licence libre et ce dont nous nous rendons au fil du temps, c’est que notre trésor, ce qui est le plus précieux, c’est une autre communauté. Et donc actuellement nos efforts visent à entretenir cette communauté, à se montrer bienveillants, à lui permettre de se développer. Dans dix jours, il y a une rencontre à Toulouse qui va réunir tout un tas d’acteurs, utilisateurs et contributeurs du monde entier. Et même pour les entreprises, la communauté quand vous avez vraiment compris ce qu’est le Libre, la communauté devient une valeur centrale.
 
 
 
<b>David : </b>Je pense que la situation que tu poses, Christophe, c’est est-ce que, aujourd’hui, supporter un logiciel par une société c’est systématiquement être mauvais éthiquement parlant ?
 
 
 
<b>Sébastien Dinot : </b>Non. Non, parce que si vous êtes mauvais éthiquement, vous avez la sanction. Il y a plein d’histoires dans le Libre d’entreprises qui ont commencé à faire du Libre et puis, tout d’un coup, elles ont trouvé qu’elles avaient un problème économique. Si vous refermez un petit peu, on va refermer et ça on va le vendre en propriétaire. Et tout de suite qu’est-ce qui se passe ? La réaction de la communauté est violente, parce qu’elle se sent flouée. Elle a contribué à un projet qui était annoncé comme communautaire et, tout d’un coup, elle se retrouve avec des composants qui sont fermés. Et ça, c’est la mort des projets.
 
 
 
<b>David : </b>Est-ce que, pour autant, ça suffit à être la mort des projets ?
 
 
 
<b>Christophe Sauthier : </b>Je ne suis pas d’accord avec toi Seb. J’ai une société en tête clairement, que je ne citerai pas. J’ai une société en tête. Non c’est vrai, Oracle était une hypothèse aussi, mais non, j’ai une société en tête où moi j’ai été clairement menacé par le PDG de la boîte parce qu’il me disait : « Attends, tu fais du logiciel libre, tu vends des services sur les logiciels libres que nous on édite ». J’ai dit : « Ouais, d’ailleurs je respecte ta marque et compagnie. — Oui, mais ce n’est pas pareil, c’est mon gagne-pain ! » Voilà ! Je veux dire il y a des boîtes, et ils ont toujours pignon sur rue et ils continuent à le faire. Maintenant, le côté éthique, ce n’est pas parce que tu fais du Libre que tu as une éthique derrière.
 
 
 
<b>Sébastien Dinot : </b>Oui ! Dans ce cas-là, je rejoins. Il faut faire la distinction entre les margoulins de l’open source et les gens qui essayent d’être dans le mouv et qui ont compris les défis, mais qui ont aussi compris la richesse et les codes, ce qu’on doit faire et ce qu’on ne doit pas faire.
 
 
 
<b>David : </b>Vas-y Adrien.
 
 
 
<b>Adrien Blind : </b>Je pense aussi, si on reprend l’exemple de Docker, c’est une structure qui est partie en ouvrant finalement son outil au départ et qui, ensuite, a commencé à chercher un <em>business model</em> pour pouvoir, justement, fructifier autour de ça. À un moment donné, je me souviens, elle commençait justement à se recentrer beaucoup plus fortement sur ces aspects-à et puis la communauté a commencé à être moins derrière elle, à moins suivre, et ils ont fait pas mal de choses, notamment autour du projet Moby pour relancer de la dynamique, pour remettre l’open source au premier plan parce qu’il y a de grosses synergies évidemment ; parce que quand eux ils entretiennent cette ouverture, cette porosité, évidemment ils peuvent profiter de tout l’essor des communautés pour faire vivre ces projets sur lesquels ils adossent leurs produits. Mais dans l’autre sens, ça permet aussi à ces produits d’entretenir plus de dynamique et peut-être avec un peu plus de force aujourd’hui.
 
 
 
<b>Christophe Sauthier : </b>Dans le cas de Docker, est-ce qu’ils n’ont pas été, quelque part je dirais, poussés et forcés à le faire, effectivement pour continuer cette dynamique, parce que, justement, il y avait d’autres je dirais entités bien plus grosses qu’eux qui ont créé une dynamique, un petit peu, je dirais, parallèle à la leur et donc ils ont trouvé cette alternative de dire eh bien finalement on va pousser notre ouverture un peu plus loin, on va relancer une dynamique parce qu’en fait ils la perdaient ?
 
 
 
<b>Adrien Blind : </b>Peut-être. Après, moi je ne suis porte-parole de Docker, mais le fait est que je pense que ce qui est intéressant c’est que c’est une entreprise qui est très jeune. Contrairement à des acteurs très établis, qui avaient une force de frappe pour comprendre le marché dans lequel ils évoluaient, se positionner, je pense que ce qui a été intéressant c’est qu’ils ont dû plusieurs fois évoluer et changer de stratégie. Et justement, effectivement au début, il n’y avait pas forcément l’open ??? dans leur initiative qui s’est créée effectivement par le jeu d’un certain nombre d’acteurs qui sont intervenus à un moment donné aussi. Et je pense qu’aujourd’hui il y a différentes phases qui ont évolué. Le projet Moky en est peut-être le dernier aboutissement avec, finalement, la « componétisation » en différents projets de Docker, procédure d’autant de communautés de ce produit qui peuvent en ressortir. Mais ce qui est intéressant là-dedans, je pense, c’est que ça évolue et c’est une entre prise qui essaye de se chercher pour trouver justement une bonne interaction avec les communautés. Et je pense qu’il n’y a pas de recette toute faite et qu’il n’y a pas de cas de solution absolue. Tu citais le fait que ça peut être porté par des fondations comme chez OpenStcak. Oui, bien sûr que ça marche très bien ! Docker est une entreprise, elle essaye de trouver sa voie avec d’autres acteurs et je trouve que c’est intéressant parce que pour moi c’est une espèce de laboratoire, j’ai l’impression, où on peut voir, justement, un petit peu différents modèles, différents types d’interactions avec les communautés émergées et je pense que ça va continuer à évoluer.
 
 
 
==23’ 54==
 
 
 
<b>David : </b>Et pour reprendre un peu, pour remonter un tout petit peu, un peu plus haut, sur la place du logiciel libre dans la société et revenir sur le thème de départ ; je me permets de remonter un peu d’un cran, pas le niveau évidemment, on l’a compris.
 
 
 
<b>Sébastien Dinot : </b>Non, non. Je pense qu’on est ???
 
 
 
<b>David : </b>C’est quoi la barrière militante à laquelle je dois m’arrêter quand je veux utiliser du Libre ? Est-ce que l’OS de mon téléphone ? L’OS de mon ordinateur ? Ça c’est facile de changer, mais ça devient quoi quand c’est dans notre domotique, dans notre maison, dans les enceintes connectées ?
 
 
 
<b>Sébastien Dinot : </b>Je vais me risquer à une réponse. Je suis un militant du Libre. J’en voudrais partout, à tous les étages, à toutes les sauces. J’ai même acheté à une époque une carte mère parce qu’on pouvait mettre un firmware libre dessus, et puis je me suis aperçu que pour flasher la carte mère il fallait que je dessoude un composant. Dessouder un composant, non ! Donc finalement, j’ai dit je vais faire avec un firmware proprio. Il y a un moment il faut être pragmatique. On peut porter les valeurs, mais il faut transiger, nous avons tous des besoins. Aujourd’hui, vous pouvez faire quasiment tout ce que voulez avec du Libre. Ça ne s’est pas créé du jour au lendemain. Au début il y a eu un compilateur, puis il y a eu un éditeur ; il y a eu différentes briques. Il faut toujours avoir en vision la direction. Le Libre on en veut toujours plus, partout, mais à un instant donné il faut savoir faire avec la réalité et c’est valable aussi pour les systèmes de communication.
 
 
 
Typiquement oui, il y a du décentralisé. Oui, il y a Diaspora. Oui, il y a tous ces outils, mais, à un moment, si vous voulez communiquer et attirer du monde à vous, eh bien vous allez dire peut-être que les gens communiquent sur Twitter, ils communiquent sur LinkedIn ou sur Meetup.com. Bon, eh bien allons chercher ces gens sur ces plateformes, ayons l’intelligence de les ramener vers nous.
 
 
 
<b>Pierre-Yves Gosset : </b>Évidemment, c’est une démarche. Nous, on rapproche ça souvent de la métaphore avec l’écologie : on peut être militant écologiste et prendre sa voiture, quand il faut faire 90 bornes, un jour ; on peut les faire en vélo, mais c’est un peu compliqué ; des fois c’est plus simple de prendre une voiture. Il n’y a pas de barrière. En fait, l’important c’est, effectivement, une démarche et c’est une conviction et c’est pour ça que nous on affirme que le logiciel libre est quelque chose de politique – l’open source n’est pas politique, l’open source c’est la qualité, l’efficacité, la transparence ; c’est très bien ; ce sont des qualités tout à fait valables ; c’est quelque chose de politique.
 
 
 
Maintenant, le logiciel libre, le problème c’est qu’on est indigents. Je parle du logiciel libre pas de l’open source. Je suis content de savoir que Docker se porte bien, que VLC se porte bien, qu’OpenStack se porte bien. C’est évidemment une base importante pour que de plus en plus de gens utilise du libre. Mais il y a un pote, Lunar, qui prenait cet exemple et qui disait : « Ça sert à quoi si jamais il y a un drone qui balance des bombes dans un pays quelconque et que ce drone tourne sous Linux ? Est-ce qu’on a fait avancer le sujet ? » Encore une fois, je suis très content que l’open source se porte très bien, mais le logiciel libre se porte très mal. VLC qui est le logiciel, du coup, libre le plus utilisé dans le monde, quasiment – je pourrais dire Apache, etc., mais le logiciel grand public utilisé dans le monde avec Firefox, à peu près équivalent en termes d’utilisateurs, pas très loin en tout cas­ –, du coup c’est quoi ? Dix développeurs. Alors pas tous dans ta boîte, il y a des contributeurs, j’imagine, bénévoles. Le corps c’est dix développeurs.
 
 
 
<b>Jean-Baptiste Kempf : </b>Le corps c’était cinq.
 
 
 
<b>Pierre-Yves Gosset : </b>Est-ce que vous savez combien il y a de gens ? Par exemple qui, ici dans la salle, a déjà utilisé du Pad, que ça soit Framapad ou un autre ? Levez la main. Merci. Donc quasiment tout le monde. Est-ce que vous savez combien il y a de développeurs qui ont fait plus de 50 contributions sur les 12 derniers mois sur Etherpad ? Zéro ! C’est vite fait ! Combien il y a de développeurs, du coup, qui ont travaillé sur Gimp et qui ont fait plus de 50 contributions ces12 derniers mois ? Il y en a 4. Bénévoles.
 
 
 
Si on parle de la place de l’open source dans le logiciel libre, je pense que globalement, Christophe ouvrait là-dessus, effectivement, ça se porte bien et c’est chouette. Le problème c’est qu’on voit la part de l’éthique et des valeurs sociales du logiciel libre se réduire, parce que finalement les logiciels que vous vous utilisez en tant qu’utilisateurs finaux et en tant que logiciels finaux, eh bien ils ne se portent pas très bien. Et c’est pour ça que nous on a lancé une campagne qui s’appelle Contributopia. On essaye de favoriser, on veut essayer de favoriser la contribution au logiciel libre, parce que, excusez-moi, mais c’est la merde !
 
 
 
<b>Jean-Baptiste Kempf : </b>Nous on est un peu schizophrènes là-dessus. C’est-à-dire que ça c’est un vrai truc : VideoLAN, on utilise uniquement du logiciel libre, sur tout, tout, tout ! Et ça c’est un truc qu’il y a plein d’autres communautés open source et libres qui ne le font pas. Ouais ce n’est pas grave d’utiliser Slack, c’est pas grave d’utiliser plein d’autres softs. Par exemple ???, qui est une communauté qui est proche de VLC, eux ils n’utilisent que des logiciels pas libres. Ils n’en ont rien à péter.
 
 
 
<b>Pierre-Yves Gosset : </b> Ils utilisent Framateam.
 
 
 
<b>Jean-Baptiste Kempf : </b>Ils utilisent Framateam, peut-être. Mais en tout cas, ils font vraiment… Nous on a toujours forcé à faire ça, mais souvent nous, on nous a reproché l’inverse. C’est-à-dire que nous on utilise Windows pour rester VLC ; c’est con ! On compile tout sous Linux, évidemment même les versions en Mac et Windows. On nous a reproché en fait de dire « oui mais vous n’aidez pas la cause du logiciel libre en ayant VLC qui tourne sur des plateformes non libres ». C’est peut-être stupide, mais tu vois, c’est un peu embêtant. Nous on dit toujours on utilise que du tout libre, à part les plateformes de communication Twitter et Facebook, ça c’est vrai et c’est difficile. Et c’est une question, il n’y a pas de bonne réponse. Moi je peux leur dire non, moi j’introduis les gens au libre, mais en même temps ce n’est pas vrai : comme je disais, personne ne sait que VLC est open source, est libre. C’est très compliqué, en fait, sur ce point-là.
 
 
 
<b>David : </b>Tout à l’heure, Sébastien, tu disais quelque chose d’intéressant, tu disais : « On peut tout faire avec du Libre ». La question c’est à quel prix on peut tout faire avec du Libre et à quel moment, en fait, on a une rentabilité nécessaire parce que quand on parle du monde du particulier, on peut être, à ses temps perdus, heureux de perdre quelques minutes pour faire gagner la cause du Libre. Quand on est une entreprise et qu’on ne fait pas que de l’humanitaire et du social, à quel moment, en fait, on doit utiliser que du Libre ?
 
 
 
<b>Sébastien Dinot : </b>Ça c’est très intéressant comme question, parce que est-ce que la rentabilité doit être la mesure de toute chose ? Y compris pour une entreprise. ?
 
 
 
[Applaudissements]
 
 
 
Je connais une entreprise que je ne citerai pas, qui est un opérateur minier, opérateur minier donc il exploite des ressources premières. Combien y a-t-il eu de guerres, combien y a-t-il des coups fourrés pour des ressources, pour des matières premières ? Eh bien cette société, j’ai rencontré récemment un de ses informaticiens qui m’a dit : « C’est super : on a migré tout la messagerie sur Google. On utilise Office 365, ce sont des clouds, on ne s’occupe plus de rien ! » Non seulement j’ai trouvé ça étrange parce que j’ai trouvé qu’il sciait un peu la branche sur laquelle il était ; c’est bien, bientôt ton patron va comprendre qu’il n’a plus besoin de toi. Mais surtout ça m’a choqué : il est content, enfin ils sont contents, ils ont transféré toutes leurs données à des entreprises américaines, sachant que le <em>Patriot Act</em> contraint les entreprises américaines à collaborer avec le gouvernement. Donc à un moment, s’il y a un enjeu géopolitique, le gouvernement américain dira aux entreprises en question : « Donnez-nous accès aux données, nous voulons savoir quels sont leurs plans. » Ça c’est grave ! Dans mon entreprise, l’utilisation des moyens fournis par Google est interdite, est proscrite. Les gens peuvent se prendre un avertissement et s’ils ne les comprennent pas, ça peut aller plus loin. S’il y a des besoins, dites-le-nous et nous montons en interne des outils. Ils ne seront pas aussi sexy, ils ne seront pas aussi intégrés, ils vous demanderont peut-être plus d’efforts, mais nous maîtriserons l’information. Et ça, pour l’entreprise dans laquelle je travaille, c’est crucial.
 
 
 
<b>Christophe Sauthier : </b>Vous avez un côté défense, dans la boîte ? À minimum.
 
 
 
<b>Sébastien Dinot : </b>Il y a un côté défense. Il y a un côté, aussi, enfin concurrence économique, voilà !
 
 
 
<b>Christophe Sauthier : </b>Tu parles d’éthique. Pierre-Yves tout à l’heure en parlait. On en a parlé tout à l’heure. Je connais une des plus grosses en Europe qui fait du logiciel libre et qui se vante, justement, de faire du logiciel libre par rapport à tout ça. Ils sont en train de basculer toute leur messagerie à Google, moi ça me choque ! Moi ça me choque !
 
 
 
<b>Pierre-Yves Gosset : </b>Du coup tu posais la question de la rentabilité. Je rejoins Sébastien, tout n’a pas à être rentable économiquement, mais admettons qu’il faille l’être parce qu’il y un business à faire tourner, pour moi ça peut complètement s’entendre. Mais du coup, pourquoi est-ce que le logiciel libre pour les utilisateurs finaux est moins rentable ? C’est parce qu’il y a des coûts, du coup, de formation ; il y a des coûts d’adaptation, mais il y a aussi des coûts d’installation, de maintenance qui peuvent être potentiellement plus élevés. Si, encore une fois, il y avait des gens qui contribuaient ! Par exemple, si vous travaillez avec des graphistes ils vont vous dire oui mais Inkscape, Gimp, la couche CNJN pour le <em>print</em>, machin – ce qui n’est pas vrai mais admettons –, c’est compliqué pour imprimer des documents avec Gimp, etc. Mais forcément, ils sont quatre ! Bénévoles ! Ils font ça quand ils ont couché les enfants, ou ils sont au RSA depuis des années. Si on contribuait un petit peu plus, tous, au logiciel libre potentiellement il ferait plus de choses et il deviendrait économiquement beaucoup plus intéressant d’utiliser du logiciel libre pour tout le monde, y compris l’utilisateur final. Vas-y.
 
 
 
<b>Jean-Baptiste Kempf : </b>Oui, mais les gens s’en foutent quoi !
 
 
 
<b>Pierre-Yves Gosset : </b>Non, non !
 
 
 
<b>Jean-Baptiste Kempf : </b>Ça c’est un truc.
 
 
 
<b>Pierre-Yves Gosset : </b>C’est une très bonne question.
 
 
 
<b>Jean-Baptiste Kempf : </b>Moi, j’ai le problème régulièrement, quand je dis que VLC d’abord ce n’est pas américain et que c’est français, et ensuite qu’on n’est pas une grosse boîte avec plein de gens derrière, les gens regardent avec des gros yeux. Parce que, aujourd’hui, sur Internet et ça c’est un des vrais problèmes, les gens ils n’en ont rien à péter du <em>business model</em>. Ils te disent : « Mais de toutes façons Facebook c’est gratuit ; Google c’est gratuit ; Twitter c’est gratuit ; VLC c’est gratuit ! Donc eux ils sont 10 000, vous devez être 500 ! » Les gens, en fait, ils ne veulent pas payer sur Internet parce que tout est gratuit et ils ne comprennent pas comment ils payent aujourd’hui.
 
 
 
<b>Pierre-Yves Gosset : </b>Justement, nous notre boulot, en tant qu’association, et en tant qu’entreprise, c’est peut-être de leur expliquer que ce n’est pas gratuit. Effectivement, tu ne payes pas pour accéder à Twitter, mais ça ne veut pas dire que c’est gratuit pour autant. Tu ne payes pas pour accéder à Facebook, sauf qu’on voit bien qu’avec 100 000 dollars tu peux influencer une élection américaine. Il y a un moment donné où il faut peut-être être conscient du coût caché. Si on n’explique pas aux gens quels sont ces coûts, les coûts cachés de ces plateformes, évidemment ils vont avoir cette impression-là. Je suis d’accord que l’immense majorité s’en fout ! Ça c’est évident, je te rejoins complètement là-dessus. Maintenant, est-ce qu’on n’a pas intérêt à travailler avec la minorité qui ne s’en fout pas et à s’intéresser et nous on essaye. Framasoft a été pendant longtemps porte d’entrée du logiciel libre, on veut devenir porte de sortie pour permettre aux développeurs et aux militants du logiciel libre de se mettre au service, de mettre leurs compétences et leurs savoirs au service de ce que nous on appelle la société de contribution. C’est-à-dire des gens qui ont envie de changer la société et de faire que si tu t’en fous, eh bien ce n’est pas grave, tu peux utiliser Twitter ou tu peux utiliser Diaspora, tu es le bienvenu des deux côtés, tant mieux. Mais si tu t’intéresses vraiment à vouloir changer des choses, eh bien viens plutôt à la fois nous aider à travailler avec le logiciel libre et nous on va aller essayer d’écouter quels sont tes besoins. Parce qu’aujourd’hui, dans le logiciel libre, enfin moi je passe mon temps à faire des conférences dans des MJC, des bibliothèques, etc., les gens ne s’en foutent pas du tout du logiciel libre. C’est juste que c’est trop compliqué pour eux de comprendre ce que c’est et de venir contribuer. Et si on travaillait un petit peu ces points-là, peut-être qu’on arrivait à faire plus de choses.
 
 
 
[Applaudissements]
 
 
 
==36’ 00==
 
 
 
<b>Christophe Sauthier : </b>Je pense, Pierre-Yves, que les GAFA aujourd’hui…
 

Dernière version du 22 juin 2018 à 16:44


Publié ici - Juin 2018