Place de l'homme dans et par l'informatique libre - V. Bonnet - Radio RMLL

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Titre : La place de l'homme dans et par l'informatique libre

Intervenants : Véronique Bonnet - Luc Fievet - Quesch

Lieu : RMLL2015 - Beauvais

Date : Juillet 2015

Durée : 39 min 33

Lien vers le son


00' transcrit MO

Quesch : Retour aux RMLL. On est toujours à l'antenne universitaire UPJV de Beauvais pour les RMLL 2015. Nous sommes avec Véronique Bonnet. C'est bien ça ?

Véronique Bonnet : C'est bien ça, absolument.

Quesch : Et nous allons parler de ?

Véronique Bonnet : Nous allons parler de « La place de l'homme », alors si certains préfèrent qu'on dise être humain, on peut dire « La place de l’être humain dans le Libre et par le Libre ».

Quesch : Vaste sujet.

Luc Fievet : Il faut préciser que Véronique, tu es philosophe.

Quesch : Donc il y a un niveau.

Véronique Bonnet : Oui, je suis professeur de philosophie. J'ai rejoint l'April il y a deux ans. Je suis au conseil d'administration de l'April, et il me semble que les outils de la philosophie sont intéressants, à la fois pour faire l'inventaire des problématiques du logiciel libre, aussi bien pour commenter des événements qui se passent dans le monde du Libre, que pour susciter des axes d'interrogation. Et c'est mon intention.

Quesch : Donc, tu as fait plusieurs conférences aux RMLL ?

Véronique Bonnet : Alors c'est vrai, ça c’était mardi dernier, donc j'en ai fait une le matin, c’était « Humanisme et informatique libre », et j'avais précisé que c’était une lecture philosophique, pour qu'il n'y ait pas de malentendu, parce que je ne suis pas informaticienne.

Quesch : Oui.

Véronique Bonnet : Et l'après-midi. j'ai fait une conférence qui s'appelait « GNU pour faire société », qui développait, d'une certaine façon, cette question de la place donc de l’être humain qui, dans le Libre, est respecté, puisque l'utilisateur n'est pas un outil.

Quesch : L'utilisateur est au centre, en théorie.

Véronique Bonnet : Voilà, ce qui change assez radicalement la donne, parce que, si on se rappelle bien de l'origine du projet GNU de Richard Stallman, ça n'est pas simplement une histoire de dysfonctionnement d'imprimante, même si, en effet, c'est l'occasion, mais je dirais que c'est le dysfonctionnement, c'est la situation complètement absurde, ubuesque, où quelqu’un qui est utilisateur d'un driver, d'un programme pour commander au driver, s’aperçoit qu'il ne peut ni réparer, ni améliorer, il ne peut pas implémenter, et on lui dit qu'il n'a pas accès au code source, et on lui interdit d'avoir accès au code source. Et je pense qu'à partir du moment où on comprend bien que les menottes numériques sont aussi des verrous existentiels, sont aussi des empêchements d’être utilisateur jusqu’au bout, de se construire comme être humain jusqu'au bout, je crois qu'on comprend bien que cette histoire qui, apparemment, est une histoire informatique, est aussi une histoire qui engage les rapports des humains entre eux. Et « GNU pour faire société », parce qu'il n'en va pas du tout des humains comme des objets, si on les pose les uns à côté des autres, les objets eux, ils restent intacts, ils restent eux-mêmes, mais les humains sont tout à fait affectés par des rapports de domination, des rapports de privation, et il semblerait que l'informatique non libre fasse partie de ces obstacles-là.

Quesch : C'est pour ça qu'on parle, et moi je préfère toujours parler de logiciel privateur, même si j'utilise beaucoup propriétaire. En fait, c’est le logiciel qui prend la main sur les informations, sur les données de l’utilisateur / utilisatrice.

Luc Fievet : Du coup est-ce que les deux termes ne sont pas intéressants ? Pour moi il y a des logiques différentes ; effectivement il y a la logique privatrice qui vise à orienter, s’accaparer au niveau des pratiques, des comportements, des possibilités des gens, donc pour moi cette idée de pouvoir sur les personnes, et, des fois, c'est purement propriétaire, c'est-à-dire que « c'est mon code je le revends, je ne le partage pas » et, effectivement, on est dans l'idée de propriété, sans nécessairement avoir un logiciel. On peut avoir un logiciel propriétaire qui n'est pas conçu pour pourrir la vie de son utilisateur, ou pour essayer de l’orienter, de le presser comme un citron, il y a des effets de bord, des conséquences à cet aspect propriétaire, mais, pour moi, c'est quand même intéressant de distinguer les deux logiques, parce que ce n'est pas nécessairement la même intention derrière.

Véronique Bonnet : C'est sûr. Et c'est pour ça que j'aime bien un des couplets de la Free Software Song, de Richard Stallman, qui dit que les spéculateurs font des piles d'argent avec des licences. Donc il y a cette image de la verticalité, de cette sorte d'obstacle qui fait qu'on ne peut pas aller vers l'autre, par exemple, on ne peut pas aller vers le voisin pour l'aider, là c’est ce que dit le couplet, et il me semble que l'une des grandes destinations du Libre, c'est d'aider les humains à aller les uns vers les autres, de façon, donc, à écrire du code ensemble, c'est ce par quoi le projet GNU a commencé, mais pas seulement, parce que tous ne sont pas informaticiens, et ceux qui sont informaticiens, lorsqu’ils écrivent des logiciels privateurs, d'une certaine façon se servent de cette incapacité de beaucoup de savoir ce qui est écrit dans le code, peut-être pour manipuler ; et je dirais que, même ceux qui ne sont pas informaticiens, et, là c'est la grande idée du Free Software, sont appelés, aussi bien à proposer des images, des formes créatives. D'ailleurs, je crois qu'après moi va intervenir une artiste américaine.

Quesch  : Tout à fait. Une artiste américaine, pour parler d'art libre.

Véronique Bonnet : Qui a compris à quel point il est important de libérer son art, de se libérer elle-même de l'impression qu'elle était dépossédée de son art, si elle le plaçait sous Creative Commons Libre, dans le domaine public. Et donc il me semble qu'il y a une possibilité pour faire société, je dirais même pour faire humanité, on sort là de la communauté libriste qui serait renfermée sur elle-même, ce qui est absurde, ce n'est pas du tout le cas de la communauté libriste, il me semble que ça va très très loin, puisque, par l'informatique qui est tellement présente dans nos existences, c'est sûr que de deux choses l'une, soit on vit des humanités séparées, et là ce n'est peut-être pas tout à fait une manière satisfaisante d’être avec les autres, chacun est dans son trip, face à son écran, face à son clavier, il ne se passe pas grand-chose, soit il y a des pads qui se mettent en place, des blogs qui se mettent en place, et qui peuvent être des pièges si ce sont des réseaux sociaux qui récoltent simplement des métadonnées, mais qui peuvent, aussi, être des aventures existentielles, collectives, extraordinaires.

Quesch : OK. Là on a vu la place de l'humain en fait, un début d'humain qui vit en société, dont les besoins sont justement des interactions.

Véronique Bonnet : Absolument.

Quesch : On a remarqué qu'avec du logiciel libre, si l'interaction ne se faisait pas, il était possible de modifier, et qu'avec des logiciels privatifs, eh bien, s'il n'y a pas d'interaction prévue, il n'y a pas d'interaction possible, on ne peut pas demander à quelqu’un de les modifier, et on a ce besoin, en tant qu'humains, de ne pas avoir les limites et de se créer ses propres limites.

Luc Fievet : Pour moi, l’interaction, ce qui est intéressant c'est que, dans le monde propriétaire et / ou privateur, ce n'est pas uniquement que les interactions n'ont pas lieu si elles ne sont prévues, c'est aussi qu'elles vont avoir lieu sous une forme qui était pré-pensée à l'avance.

Quesch : Oui, aussi.

Luc Fievet : C'est ça, c'est le côté, quand Véronique, tout à l'heure, tu disais que quand on met des humains côte à côte, ils se, comment dire, ils ne sont pas juste identiques.

Véronique Bonnet : Pas comme des objets qui sont inertes.

Luc Fievet : Voilà, ils se modifient les uns des autres. Ils se modifient, tu avais cité des rapports de domination, mais ils se modifient aussi dans des rapports plus positifs et le Logiciel Libre en fait partie. Et donc, du coup, voilà, quand on est dans un système qui est verrouillé, on a aussi cette idée qu'un acteur extérieur va choisir la façon dont les gens vont se modifier les uns les autres. Évidemment, ça va souvent dans le sens de les mettre dans des dispositions pour acheter, enfin déjà, réussir à capter leur argent.

Quesch : Faire des consommateurs.

Luc Fievet : Mais aussi, réussir à orienter leur comportement pour qu'ils restent dans cette position-là.

Véronique Bonnet : Et pour qu'ils soient des outils et pas des utilisateurs. Moi, je pense à la métaphore récente de Tristan Nitot, qui disait que les utilisateurs de Google étaient un petit peu comme des animaux dans une ferme. Les animaux dans une ferme ce ne sont pas des clients. C'est la future saucisse, futur jambon, etc. Quelle comparaison avec les utilisateurs de Google ? Eh bien, c’est sûr que le sociographe, c'est-à-dire l'ensemble des correspondants de quelqu’un, est éminemment intéressant pour le profiler, pour savoir quelle publicité lui renvoyer, pour savoir que faire de lui, et là, on passe d'un statut de sujet à un statut d'objet, davantage, un statut, même, de denrée.

Luc Fievet : C'est quand même après son argent qu'on en a, quoi !

Véronique Bonnet : Oui.

Luc Fievet : Enfin, qui un peu comme la définition du client, après ça tu peux avoir, effectivement, différentes approches du client à qui on va essayer de prendre un maximum de pognon, etc. Tu peux avoir une vision du client un peu plus positive qui est « je m'engage à lui fournir un service » et puis à payer un prix, parce que c'est le principe du boulot. Donc la notion de client, en elle-même, elle peut être assez variable. Il y a cette expression qui est souvent utilisée, qui est « si c'est gratuit, c'est vous le produit ».

Véronique Bonnet : Oui. C'est très clair

Luc Fievet : Du coup, pour toi, produit ou outil, parce que tu dis aussi que les gens sont des outils.

Véronique Bonnet : Des moyens.

Luc Fievet : Du coup, des moyens d'atteindre quoi ?

10'30

Véronique Bonnet : Je dirais des moyens