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'''Titre :''' Philippe Latombe : avec les JO, pensons à nos capacités de résilience
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Publié [https://www.librealire.org/philippe-latombe-avec-les-jo-pensons-a-nos-capacites-de-resilience ici] - Février 2024
 
 
'''Intervenant·e·s :''' Philippe Latombe  - Delphine Sabattier
 
 
 
'''Lieu :''' Podcast <em>Politiques Numériques</em>, alias POL/N
 
 
 
'''Date :''' 12 janvier 2024
 
 
 
'''Durée :''' 46 min
 
 
 
'''[https://audio.ausha.co/GAG7eUJv98lm.mp3 Podcast]'''
 
 
 
'''[https://podcast.ausha.co/politiques-numeriques/interview-du-depute-philippe-latombe Présentation du podcast]'''
 
 
 
'''Licence de la transcription :''' [http://www.gnu.org/licenses/licenses.html#VerbatimCopying Verbatim]
 
 
 
'''Illustration :''' À prévoir
 
 
 
'''NB :''' <em>transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.<br/>
 
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.</em>
 
 
 
==Transcription==
 
 
 
<b>Delphine Sabattier : </b>Bonjour. Je suis Delphine Sabattier. Vous écoutez <em>Politiques numériques</em>, alias POL/N, l'émission où l'on n'a pas peur de prononcer le mot technologie devant un politique et surtout pas devant mon invité du jour, n'est-ce pas Monsieur le député ?
 
 
 
<b>Philippe Latombe : </b>Bonjour.
 
 
 
<b>Delphine Sabattier : </b>Philippe Latombe, élu Modem de la première circonscription de Vendée, membre de la commission des lois, également de la CNIL, lieutenant-colonel de réserve au sein de l'Unité nationale cyber de la Gendarmerie. Vous êtes l'un des élus nationaux comptant parmi les meilleurs spécialistes du numérique, même si c'est un peu facile, finalement ? On n’a pas tant que ça des experts du numérique !
 
 
 
<b>Philippe Latombe : </b>nous ne sommes pas très nombreux, ça réduit la fraction.
 
 
 
<b>Delphine Sabattier : </b>Est-ce que c'est un problème ? Est-ce que je suis mauvaise langue quand je dis ça aujourd'hui ? Est-ce qu’on a vraiment un déficit de connaissances tech au sein du personnel politique, des décideurs publics ?
 
 
 
<b>Philippe Latombe : </b>Je pense que c'est une vraie inquiétude parce que nous avons des sujets numériques qui sont en train d'arriver vraiment tous azimuts, sur tous les sujets : l'intelligence artificielle, la transformation numérique de l'État, la numérisation des entreprises et de l'économie, la cybersécurité et on a besoin d'avoir ces compétences. Quand on fait la loi, savoir de quoi on parle, c'est quand même mieux ! Si on pouvait plus nombreux, ce serait bien !
 
 
 
<b>Delphine Sabattier : </b>Pour ça, j’imagine qu’il y a des conseillers : on s'entoure, on lit des rapports, on s’intéresse, on se fait sa propre culture ?
 
 
 
<b>Philippe Latombe : </b>Ça aide, mais ce n'est pas ça qui fait que 577 députés et plus de 300 sénateurs arrivent à mettre des choses dans la loi qui soient juste au bon niveau, avec la bonne appréciation et dans une discussion la plus la plus constructive et apaisée possible.
 
 
 
<b>Delphine Sabattier : </b>Du coup, vous voyez parfois des aberrations ?
 
 
 
<b>Philippe Latombe : </b>On a eu un épisode avec la loi SREN qui a été un peu particulière.
 
 
 
<b>Delphine Sabattier : </b>Épisode récent, automne dernier.
 
 
 
<b>Philippe Latombe : </b>Épisode récent. Sur les émeutes, la première question que l'ensemble de collègues ont posé c'est : est-ce qu'on peut couper les réseaux sociaux en appuyant sur un bouton ? Ça ne fonctionne pas comme ça, il faut faire un peu de pédagogie, ensuite il faut aussi remettre le numérique dans des perspectives de droit juridique, juridictionnel, jurisprudentiel, de vision du Conseil constitutionnel des réseaux sociaux qui, depuis la loi Avia, ont été consacrés. Tout cela nécessite d'avoir à la fois de la technique et à la fois du droit et du droit du numérique qui évolue quasiment tous les jours.
 
 
 
<b>Delphine Sabattier : </b>Vous êtes tombé en même temps dans le numérique et dans la politique, Philippe Latombe ?
 
 
 
<b>Philippe Latombe : </b>C'est à peu près au même moment : 2017, j'arrive à l'Assemblée, à la commission des lois, il y a un ensemble de textes et puis, dès la fin 2017, il y a une question qui est la transposition du RGPD, du paquet européen, j'ai levé le doigt en disant que ça m'intéressait et, une fois qu'on a mis le doigt dedans, on ne bouge plus !
 
 
 
<b>Delphine Sabattier : </b>Vous étiez le seul ?
 
 
 
<b>Philippe Latombe : </b>Nous n’étions pas très nombreux, effectivement !
 
 
 
<b>Delphine Sabattier : </b>Vous dites qu’une fois qu'on commence à se lancer sur ce sujet, on n’a pas envie d'en sortir. Pourquoi ? Qu’est-ce qui vous passionne ?
 
 
 
<b>Philippe Latombe : </b>Pour plein de raisons. La première c'est que quand on s'intéresse à un sujet qui est un nouveau sujet, on y met beaucoup d'envie, beaucoup de travail, donc on veut aller plus loin à chaque fois et puis c'est un monde en construction. La technologie numérique est en construction permanente, on le voit depuis 2017, il y a jamais eu autant de nouveautés, d'accélération, et le droit se construit autour. On a donc envie de participer au droit, on commence à comprendre comment ça fonctionne ; on voit certains travers arriver, on veut pouvoir les corriger par la réglementation ou, au contraire, dire « il faut laisser passer la technologie et on réglementera après ». On a donc eu, quand même, quelques sujets importants depuis 2017 ; j’ai toujours envie de continuer.
 
 
 
<b>Delphine Sabattier : </b>C'est donc plutôt un état d'esprit de vigilance, c'est ça ? Vous avancez avec vigilance sur ces sujets d'innovation, aujourd'hui ?
 
 
 
<b>Philippe Latombe : </b>Oui, toujours, parce qu’on est toujours dans la question, en tout cas je suis dans la question de : est-ce qu'il faut réglementer ? Est-ce qu'il faut laisser faire et voir comment ça fonctionne pour corriger les biais ? Si nous réglementons trop tôt, n'allons-nous pas brider la technologie ? N’y a t-il pas un avantage concurrentiel à ne pas légiférer, ce qui fait que d'autres pays pourraient nous imposer un certain nombre de technologies ? C'est cet équilibre permanent qu'il faut essayer de trouver et c'est toujours très intéressant de voir où on peut mettre le curseur.
 
 
 
<b>Delphine Sabattier : </b>C'est toujours très intéressant, toujours chaque année, d'autant plus cette année 2024, j'ai envie de dire, avec un florilège de décisions politiques à prendre autour du numérique ; il va y avoir aussi les élections européennes, tout est en train de bouger. Est-ce qu'on va avoir les bons décideurs en place ?, là on est en plein remaniement. On enregistre cette démission jeudi 11 janvier matin. Avez-vous des infos, Philippe Latombe ?
 
 
 
<b>Philippe Latombe : </b>Aucune.
 
 
 
<b>Delphine Sabattier : </b>Est-ce que ça pourrait bouger au ministère du Numérique ?, ministère délégué, bien sûr.
 
 
 
<b>Philippe Latombe : </b>Tout peut bouger. Ce que je souhaite c'est, quelle que soit la personne, qu'on ait un vrai ministère du Numérique, c'est le vœu que je forme depuis quasiment le début.
 
 
 
<b>Delphine Sabattier : </b>Pas un ministère délégué, c'est-à-dire qui sorte de Bercy ?
 
 
 
<b>Philippe Latombe : </b>Très honnêtement, j’aimerais bien qu'il sorte de Bercy. La première étape a eu lieu la première fois quand le ministre de l'Économie et des Finances était le ministre de la Souveraineté industrielle et numérique, ça a déjà été un premier signe.
 
 
 
<b>Delphine Sabattier : </b>On est aussi passé de secrétaire d'État à un ministre délégué.
 
 
 
<b>Philippe Latombe : </b>Il y avait vraiment quelque chose de l'ordre du signe qui est important. On a vu que le numérique prenait de plus en plus de place que ce soit dans les réseaux sociaux et la régulation, que ce soit au niveau européen dans les relations avec l'Union européenne, dans la numérisation de l'État, dans la numérisation de l'économie et la cybersécurité, c’est donc quelque chose de très transversal. Il serait logique, à l'instar d'un certain nombre de pays européens, même du Nord américain, du Canada en particulier, d'avoir un ministre qui soit totalement sorti de, simplement, la défense de l'écosystème pour aller vraiment driver l'intégralité de la politique numérique de l'état, du début jusqu'à cybersécurité.
 
 
 
<b>Delphine Sabattier : </b>Parce qu'en le laissant à Bercy, on a finalement le sentiment qu'on s'occupe principalement de créer des licornes, de nourrir le financement de cet écosystème. On en a quand même besoin, parce qu’on a toujours pas de géants du numérique en France ni même en Europe, donc ça reste quand même un sujet de préoccupation.
 
 
 
<b>Philippe Latombe : </b>C'est toujours un sujet de préoccupation. Il faudra absolument qu'on en ait. D'ailleurs, c'est toute la question du <em>cloud</em>, peut-être qu'on pourra y revenir plus tard, mais il nous faudra des acteurs de taille très importante sur le <em>cloud</em> pour préparer l'avenir, le quantique, l'intelligence artificielle, mais il nous faut aussi un ministre du Numérique avec une équipe et une administration dédiée, qui traite les données de l'État de la même façon, que ce soit du ministère de l'Intérieur, du ministère de la Culture, du ministère l'Éducation nationale. Il y a quelques spécificités, mais il faut qu'on ait une harmonisation et, aujourd'hui, on voit bien que chaque ministère a sa propre DSI, sa propre vision des choses et ça cloisonne. Il faudrait qu'on puisse le décloisonner.
 
 
 
<b>Delphine Sabattier : </b>Il y a des pays qui ont des ministres de la cyber, de la cybersécurité c'est intéressant ?
 
 
 
<b>Philippe Latombe : </b>Oui, c'est intéressant. Il faudrait faire en sorte, et Tariq Krim l'a dit récemment, je partage avec lui l'idée : la plupart des ministres du Numérique doivent avoir la partie cyber dans leur escarcelle. Qu'on le réduise à ça, non, mais un peu comme on réduit uniquement la défense de l'écosystème chez nous, il faut peut-être qu'on ouvre un peu et qu'on mette les deux ensemble.<br/>
 
On voit bien que le ministère de l'Intérieur s'est beaucoup préoccupé de la partie cyber en créant d'abord le COMCyberGEND, ensuite a créé l'équivalent, mais pour l'intégralité du ministère de l’Intérieur, avec aussi le la police. La protection des données, la cybersécurité, ne doivent pas rester qu’au ministère de l'Intérieur, c'est aussi du domaine de la justice, c’est aussi du domaine de la défense pour partie. Il faut donc qu'on ait quelque chose qui soit le plus transversal possible et pas simplement lié à la cybersécurité.
 
 
 
<b>Delphine Sabattier : </b>Alors, tous ceux qui nous disent qu'on a déjà trop de ministres, trop de ministères !, là on va en rajouter !
 
 
 
<b>Philippe Latombe : </b>La question c'est : on a eu un secrétaire d'État rattaché à trois ministères différents, ne nous faut-il pas, aujourd’hui, un ministère autonome avec sa propre administration qui peut vraiment être efficace ?
 
 
 
<b>Delphine Sabattier : </b>Avec les bonnes compétences à l'intérieur ?
 
 
 
<b>Philippe Latombe : </b>Avec les bonnes compétences.
 
 
 
<b>Delphine Sabattier : </b>Il faut les trouver.
 
 
 
<b>Philippe Latombe : </b>Ça sera vraiment l'enjeu des prochaines années, nous avons un vrai souci aujourd'hui sur l'intelligence artificielle par exemple : si nous voulons pouvoir proposer, au sein de l'État, des solutions d'intelligence artificielle ou même de réglementer l'intelligence artificielle, il va nous falloir des spécialistes. Et les spécialistes coûtent très cher en termes de salaire, ils sont hors grille de la fonction publique, donc il y a une vraie question, aujourd'hui, d'attraction des talents au sein de l'État sur ce sujet-là. Je pense que c'est un des plus gros chantiers à mettre en œuvre dans les mois qui viennent.
 
 
 
<b>Delphine Sabattier : </b>Sur cette question du ministère cyber, je crains, en fait, qu'on cantonne le numérique à cette question sécuritaire. Il y a évidemment une grosse tendance, vous avez fait référence, par exemple, à cette période des émeutes, tout de suite on se demande comment faire pour sécuriser tout ça, pour verrouiller les réseaux sociaux. Sur la loi SREN, on a vu aussi apparaître des amendements qui auraient aimé qu'on supprime, par exemple, la possibilité d'accéder à Internet via un VPN, ce qui permet, finalement, de dérouter un petit peu les enquêtes qui cherchent à remonter jusqu'à l'utilisateur final. On a vu aussi un amendement proposer la fin de l'anonymat. On voit, quand même, qu'il y a un souci sécuritaire montant, important, aussi sur les questions du numérique. Est-ce qu’on ne s’enferme pas un peu trop là-dedans, quand même ?
 
 
 
<b>Philippe Latombe : </b>Oui, c’est un peu la particularité, notamment française, de regarder toujours ce qui ne va pas plutôt que regarder ce qui va bien. Maintenant, il y a quand même eu un traumatisme, notamment aux États-Unis avec l'épisode du Capitole et l'influence des réseaux sociaux dans cette partie-là qui a montré que la démocratie pouvait être en danger par les réseaux sociaux, alors qu’il y a encore cinq ou six ans on pouvait dire que la démocratie était défendue par les réseaux sociaux parce que c'était un endroit d'expression, qu’on pouvait avoir une position libre, un avis libre qui était diffusé, et qu'on pouvait être minoritaire dans un courant mais l'exprimer quand même et être entendu. D'ailleurs, souvenons-nous de la joie que nous avions d'avoir des informations de ce qui se passait à Hong-Kong par les réseaux sociaux. Il y a une bascule à ce moment-là et les États-Unis ont fait cette bascule. Du coup, tous les pays européens se sont dit « ça pourrait nous arriver » et on a vu que ça pouvait arriver, notamment en France. Ce n'était pas une question politique, c'était vraiment une question d'utilisation des réseaux sociaux dans quelque chose qui pouvait heurter la société. Il y a donc eu un réflexe assez démocratique, français et européen de recroquevillement en se disant que les réseaux sociaux sont la lie de tout, c’est la raison de tous les maux, il faut donc les réglementer au maximum.
 
 
 
<b>Delphine Sabattier : </b>C'est la peur, finalement, qui a guidé le politique à ce moment-là.
 
 
 
<b>Philippe Latombe : </b>Oui, il y a eu une peur, sachant qu’il y avait même des volontés de solutions encore plus radicales qui étaient de couper les réseaux sociaux. On voit bien que ce n'est pas possible : juridiquement que ce n'est pas possible, techniquement que ce n'est pas possible et, même philosophiquement, c’est une aberration parce que ça veut dire qu'on reviendrait sur tout ce qui a fait notre démocratie, notre capacité d'expression. On a des podcasts comme aujourd'hui en numérique, on ne pourrait plus les avoir si on coupait les réseaux sociaux ! Plein de questions se posent derrière qu'on avait, dans ce temps-là, un peu oubliées, mais ça va revenir.
 
 
 
<b>Delphine Sabattier : </b>Que pensez-vous du RGPD, le Règlement européen sur la protection des données, que vous avez beaucoup défendu, pour lequel vous avez travaillé ? Aujourd'hui, quel est votre regard sur ce règlement ? Est-ce qu'il vous semble que ça y est, les choses sont acquises, tout le monde a pris les bonnes mesures, le citoyen, sur Internet, voit ses données personnelles protégées ? En vrai, on ne peut pas vraiment dire ça, on est d’accord. Qu'est-ce qu'on fait avec ce RGPD ? On doit encore le réformer ? Il n'est pas assez sévère ?
 
 
 
<b>Philippe Latombe : </b>Je ne sais pas si c'est une question de sévérité. Il y a plusieurs choses. La première c'est que le RGPD a montré à l'ensemble du monde qu'il y avait des données personnelles, qu’il y avait une philosophie européenne des données personnelles. Nous avons vraiment ancré, dans notre droit, le fait que les données personnelles nous appartiennent, ne sont pas là la propriété de celui qui les collecte et qu’il en fait ce qu’il veut. Une fois qu'on a dit ça, ce qui était très important, c'était la première phase des choses, la partie régulation pose encore un problème. On a fait une innovation avec le RGPD : chaque pays a sa « propre CNIL », entre guillemets, et, pour un certain nombre de sujets c'est une des CNIL qui réglemente ou qui contrôle pour l'ensemble des CNIL et on voit bien qu'il y a un souci d'équilibre entre les différentes organisations.
 
 
 
<b>Delphine Sabattier : </b>C’est une erreur à ne pas reproduire.
 
 
 
<b>Philippe Latombe : </b>C’est une erreur à ne pas reproduire. L'idée, au départ, était séduisante : une des organisations, pour l'ensemble des pays européens, s'occupera du dossier, ça va donc simplifier les choses. Le seul souci c'est qu'on avait vraiment oublié, à l'époque – c'était dans le règlement, donc on n'a pas pu faire autre chose, dans sa transmission, que de l'appliquer : un certain nombre d'entreprises sont installées en Europe dans un seul pays qui est l’Irlande et on comprend que l'autorité irlandaise soit assez réticente à sanctionner les entreprises qui représentent des milliards et des milliards de capitalisations mais aussi de revenus, donc les sanctions seraient de l'ordre de plusieurs milliards. Or, c'est l'endroit où la plupart font les résultats pour l'impôt sur les sociétés. Ça veut dire qu’il y a un hiatus qu'il aurait fallu corriger dès le départ, ce qui pose des problèmes de coordination entre les CNIL.
 
Et puis nous avons un vrai souci de lien entre l'Union européenne et les États-Unis en ce moment qui fait que l'accord d’adéquation, le fameux DPF avec les États-Unis, annihile beaucoup des travaux qui avaient été faits avant, notamment en France sur Google Analytics, par exemple, qui avait été interdit dans sa forme actuelle par la CNIL française et par deux autres CNIL européennes et le DPF vient invalider cette position de la CNIL, donc ça vient annuler la protection des données.
 
 
 
<b>Delphine Sabattier : </b>Que s’est-il passé ?
 
 
 
<b>Philippe Latombe : </b>Sur le DPF ? On a un accord qui est arrivé entre les États-Unis et l'Union européenne au moment où la crise ukrainienne commençait à arriver, au moment où l'économie européenne se posait la question de savoir si elle allait avoir suffisamment d'électricité et de gaz pour pouvoir faire fonctionner son économie, on avait besoin de fournir des armes massivement à l’Ukraine et le seul pays qui pouvait les fournir ce sont les États-Unis, dans un moment où les États-Unis, dans leur propre marché, sont déjà totalement numérisés ou quasiment, donc il n’y a plus de marge de manœuvre particulière ; la Chine se fermait, la Russie se fermait, l’Afrique est un endroit où la Chine est plutôt très forte en ce moment, ce n'est plus un marché, donc le seul marché pour les entreprises américaines, notamment les GAFAM c'est quand même l’Europe.
 
 
 
<b>Delphine Sabattier : </b>C’est intéressant, quand même, d'avoir toujours ça en tête, de rappeler que l’Europe c'est le plus gros marché, aujourd’hui, pour ces géants du numérique. Après, il y a une monnaie d'échange, effectivement.
 
 
 
<b>Philippe Latombe : </b>Voilà. C'est donc là aussi où on peut dire qu’un ministère du Numérique a son sens parce qu'il voit les choses de façon transversale et aussi en géopolitique et aussi en négociations avec l'Union européenne. Il ne faut pas oublier que l'Union européenne est le principal régulateur du numérique, en ce moment, sur notre territoire, puisque l'ensemble des dispositions, notamment dans le cadre de la loi SREN, était et est toujours sous le regard de l'Union européenne pour savoir ce qu'on a le droit de faire, ou pas, en fonction des différentes directives.
 
 
 
==15’ 07==
 
 
 
<b>Delphine Sabattier : </b>Je voulais aussi vous interroger sur cette pratique que le groupe Meta, a mise en place pour se mettre en conformité avec le RGPD récemment, pour obtenir un consentement explicite de ses utilisateurs sur Instagram et sur Facebook, eh bien il propose soit d'accepter d'être pisté, suivi à la trace au moindre clic, soit de payer et pas une petite somme, quand même, on est pratiquement à 20 euros par mois. Cela vous semble une bonne façon de proposer ce choix ? Vous semble-t-il qu’on est vraiment dans un choix où on a son libre arbitre ? Ça m'a totalement offusquée, je me suis dit « personne ne va vouloir payer 20 euros par mois pour utiliser son compte insta et Facebook alors que c’était gratuit juste avant !». On va tous dire « oui suivez-moi, continuez avec plein de cookies autour de mes navigations ! »
 
 
 
<b>Philippe Latombe : </b>Ça montre d'abord une première chose : <em>quand c'est gratuit c'est vous le produit</em>. C'est une maxime qui a l'air très simple comme ça, mais qui se vérifie quasiment à chaque fois et on le voit bien là, maintenant, c'est exactement ça.
 
Ensuite, ce que voulait Facebook, c'est se protéger juridiquement et pouvoir continuer à faire de l'argent sur, pour obtenir le consentement soit vous acceptez de payer et vous voyez bien qu'à ce moment-là Facebook devient un service payant, alors qu’il était gratuit avant parce que l'argent se faisait autrement sur votre dos, soit vous acceptez des publicités, c’est-à-dire qu'on revient au système ante.
 
 
 
<b>Delphine Sabattier : </b>Mais la somme est dissuasive !
 
 
 
<b>Philippe Latombe : </b>La somme est dissuasive, donc, le principe, c'est de biaiser le consentement. C'est là où le RGPD ne va pas forcément suffisamment loin, il faut qu'on arrive à revoir le RGPD, c'est d'ailleurs ce qu'il faudrait qu'on fasse sur chacune des législations, qu'elle soit européenne ou nationale ; il faudrait qu’on se mette des clauses de revoyure. On le fait sur des sujets sociétaux, il faut maintenant qu'on le fasse sur les sujets du type numérique parce que la technologie évolue beaucoup, les choses évoluent de façon très rapide, il faut qu'on se laisse la possibilité de revenir sur ces réglementations et que ce soit planifié à l'avance, dire « il faudra qu’on le revoie dans deux ans ». Si on ne le revoit pas, qu'on ne l'a pas planifié dans deux ans, en disant « c'est forcément avant mars 2025 », si on n'a pas de <em>deadline</em>, ça ne marche pas, parce qu'on est assez flemmard sur ce genre de sujet.
 
 
 
<b>Delphine Sabattier : </b>Max Schrems, que vous connaissez et, je pense, que nos auditeurs connaissent aussi, qui défend la protection des données personnelles en Europe, qui fait invalider le <em>Privacy Shield</em>, cet accord qui permettait aux États-Unis de fournir leurs services aux Européens tout en pouvant, éventuellement, transférer ces données européennes sur leur sol, Max Schrems s'est aussi levé contre cette pratique de Facebook et Insta de proposer ce « choix », on va dire entre guillemets, de payer ou d'être pisté. Est-ce que vous le suivez là-dessus ? Mon autre question c'est : que fait-on, en Europe, face à cette loi FISA qui est rediscutée et qui permet toujours aux États-Unis d'avoir ce pouvoir extraterritorial, finalement, sur la collecte des données ?
 
 
 
<b>Philippe Latombe : </b>Il y a deux sujets.<br/>
 
Je suis Max Schrems en termes intellectuels sur sa vision de ce qui se passe avec Facebook, je ne le suivrai pas sur le terrain juridique parce que ce n'est pas mon rôle et puis il va le faire très bien. J'ai un autre combat sur le DPF qui est, par ailleurs, le même que le sien et je pense que j'ai d'abord besoin de me concentrer sur ce sujet-là.<br/>
 
Maintenant, oui, le FISA nous pose un problème, on en discute avec Max, on en a discuté et on en rediscutera dans quelques jours. La prolongation du FISA, qui était, d'ailleurs, une des conditions de l’accord d’adéquation avec le DPF : le FISA arrivait à échéance, qu’il serait amoindri et on voit bien qu'il n'a pas été amoindri.
 
 
 
<b>Delphine Sabattier : </b>Vous y croyiez ? Vous pensiez que les Américains allaient revenir là-dessus, sur cette capacité de collecter, pour les renseignements, les données de tous les utilisateurs qu'ils suspecteraient d'avoir des pratiques dangereuses pour l'État ?
 
 
 
<b>Philippe Latombe : </b>Non, je ne le pensais pas, j’étais même convaincu que ça allait être prolongé, même, peut-être, prolongé plus. Ça a été renforcé, par ailleurs, puisqu'une autre section du FISA est en cours d'examen, qui élargit le spectre des possibilités pour les agences américaines.<br/>
 
Les Américains sont dans une forme de repli, ils sont dans la volonté de ne plus s'intéresser au monde de la même façon qu'ils le faisaient avant, ils ont donc besoin d'avoir des capacités de renseignement électronique. Ils ne mettent pas en jeu des soldats, des personnels, donc tout ce qu’ils vont pouvoir récupérer de façon électronique, ils vont continuer à le faire, ils vont même le renforcer au titre de l'intelligence économique. Chez eux l'intelligence économique est une défense de l'État américain, donc, forcément, c'est une des questions qui se posent avec les données personnelles ou les données des entreprises : quand on les met dans un <em>cloud</em> appartenant à une société américaine, est-ce que, derrière, il n'y a pas des risques de guerre économique, d'intelligence économique ? Comme on n'est pas forcément toujours prêt protéger par des brevets, notamment dans le domaine du numérique, est-ce qu’il n’y a pas de la récupération d'informations, de la récupération de savoir-faire, qui va servir aux Américains à nous contrer sur un certain nombre de marchés ?
 
 
 
<b>Delphine Sabattier : </b>Comment fait-on face à cela ?
 
 
 
<b>Philippe Latombe : </b>On n’a qu'une seule solution qui est de développer des solutions qu'on appelle souveraines. Quand je dis souveraines, ce n'est pas forcément simplement françaises, ce sont des solutions européennes avec des acteurs majeurs. La seule façon de donner un coup de fouet à ces acteurs majeurs c'est de faire ce que les États-Unis font très bien, c'est-à-dire confier des marchés publics à des entreprises qui ont la capacité à devenir de plus en plus grosses parce qu’elles ont un volume d'activité plus important.<br/>
 
Il faut se souvenir que les Américains ont cette protection-là, ils le font de façon très claire, assumée, et chaque fois que nous voulons essayer de le faire, ils nous traitent quasiment de communistes. À un moment, il faudra qu'on rééquilibre cette r§églementation.
 
 
 
<b>Delphine Sabattier : </b>Philippe Latombe, on a quand même essayé dans plusieurs domaines, dans le numérique, d'avoir nos géants, de les soutenir. Je pense au moteur de recherche Qwant, par exemple, je pense aussi au <em>cloud</em>. On a essayé à plusieurs reprises, avec de nombreuses initiatives mêlant des partenaires publics et privés, on n'a jamais réussi !
 
 
 
<b>Philippe Latombe : </b>Il y a Qwant et il y a, par exemple, GAIA. GAIA était une bonne idée au départ, franco-allemande, mais qu'on a transférée à l'européenne, comme on sait faire, parce qu'il fallait ménager tout le monde. On en a fait un imbroglio juridique particulièrement compliqué, avec une gouvernance européenne souveraine, mais des groupes de travail ouverts à tout le monde pour être le plus agnostique possible, dans laquelle on a laissé venir des entreprises étrangères avec des milliers et des milliers de juristes qui ont engorgé le système, donc on n'a rien produit.<br/>
 
Airbus c'est bien, mais on ne pourra pas tout faire en Airbus.<br/>
 
Il faut absolument qu'on arrive à donner à des acteurs, de façon individualisée, pas simplement en saupoudrant, trouver des bons acteurs qui nous permettent d'émerger. Dans le <em>cloud</em>, on peut certainement trouver en Europe deux ou trois grands acteurs à qui la Commission, un certain nombre de pays européens, des Allemands, des Français, peuvent confier des données d'État, dans un premier temps, et ensuite l'ouvrir en faisant monter en compétences ces <em>clouders</em>. Je pense qu'on a, aujourd'hui, la capacité de le faire. On est assez bridé par la position allemande, en ce moment, sur le sujet. C'est un des combats qui sera celui du prochain ministre du Numérique.
 
 
 
<b>Delphine Sabattier : </b>Est-ce qu’il y a un modèle, aujourd'hui, qui fonctionne en Europe. On dit « tiens regarde Airbus, ça fonctionne ». Est-ce que ça fonctionne si bien ? Est-ce que c’est cela qu’il faut faire dans le monde du numérique ?
 
 
 
<b>Philippe Latombe : </b>Airbus fonctionne parce que c'est Airbus. On construit des avions, c’est de l'industrie, il y a maintenant une partie de défense et de cybersécurité.<br/>
 
Maintenant sur du <em>cloud</em> on est sur des technologies que l'on connaît, simplement on n’a pas la surface et la profondeur d'un certain nombre d'acteurs américains. Il faut qu'on ait des accords, dans un premier temps, entre des hébergeurs, des gens qui proposent des solutions logicielles pour pouvoir proposer des choses qui servent à l'État. Aujourd'hui, l'État n'a pas forcément besoin de services complètement au niveau de ceux des entreprises privées, du CAC 40 ou ailleurs, parce qu’il est très en retard. Il faut quand même qu'on se mette d'accord : le ministère de la Culture ou le ministère de l'Éducation nationale ont besoin de choses, ils ont besoin d'un <em>cloud</em> solide avec des logiciels assez limités, ils n’ont pas forcément besoin de mettre de l'intelligence artificielle de très haut niveau tout de suite. Donc qu'on fasse monter ces entreprises par de la coopération, qu’elles aient la capacité de faire la recherche et développement, qu'elles répondent à des clients annexes, en plus, ce qui permet de monter en compétences, d'avoir l'ensemble de la profondeur de gamme de ce que peuvent proposer les Américains.
 
 
 
<b>Delphine Sabattier : </b>Donc vous nous dites « commande publique » et, comme cela, on commencera à avoir des acteurs nationaux un peu plus importants en taille.
 
 
 
<b>Philippe Latombe : </b>oui. C'est exactement ce qu'ont fait les Américains et ils le font d'ailleurs dans l'espace.
 
 
 
<b>Delphine Sabattier : </b>Les États-Unis c’est un peu plus grand que la France !
 
 
 
<b>Philippe Latombe : </b>Là, je ne parle pas que de la France, il faut qu'on fasse ça au niveau européen, ce n'est vraiment pas une question franco-française, c'est une question européenne.
 
 
 
<b>Delphine Sabattier : </b>C’est très difficile.
 
 
 
<b>Philippe Latombe : </b>C'est toute la question qui va se poser pour les prochaines élections européennes : est-ce qu'on peut avoir un <em>Small Business Act</em> et un <em>Buy European Act</em> ? C’est quelque chose qui est en germe au sein du Parlement européen, que la Commission n'a pas intégré parce que la Commission a un tropisme très particulier sur la concurrence pure, parfaite. On a des fonctionnaires européens, à la Commission, qui sont absolument économistes dans l'âme, théoriciens, qui ne voient que la concurrence pure et parfaite.
 
 
 
<b>Delphine Sabattier : </b> Vous mettez Thierry Breton dedans ?
 
 
 
<b>Philippe Latombe : </b>Je parlais des fonctionnaires, je ne parlais pas des commissaires. Thierry Breton a plutôt cette tendance-là, mais, parce qu'il a été aussi ministre de l'Économie en France, il y a quand même un réalisme de sa part. De l'autre côté, on a Margrethe Vestager qui, elle, est pour un marché pur et parfait, une concurrence libre, etc. Sauf que, remarquez, elle a changé un peu : elle a autorisé, il y a deux jours, la possibilité notamment pour les Allemands – toujours les Allemands, c'est un peu dommage – de mettre des subventions pour laisser une entreprise de production de batteries chez eux. C’est la première fois que la Commission européenne, sur des montants importants – je crois que ce sont 700 millions d'euros – autorise des aides publiques à l'installation d'une entreprise parce qu'elle est stratégique pour le développement de la voiture électrique en Europe. Eh bien, faisons-le pour le numérique, notamment pour le <em>cloud</em>, notamment pour l'IA et ensuite pour le quantique.
 
 
 
==25’ 30==
 
 
 
<b>Delphine Sabattier : </b>Je voulais qu'on parle
 

Dernière version du 6 février 2024 à 13:47


Publié ici - Février 2024