Penser le sens du code source

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Lien vers la vidéo : https://rmll.ubicast.tv/videos/sens_code_source_32101/

00' transcrit Odile

Mon nom est Stéphane Couture, je suis professeur en communication à l'université York au Canada.

On m'a approché pour faire une présentation sur Gilbert Simondon, ou plutôt en hommage à Gilbert Simondon.

Gilbert Simondon est un philosophe de la technique qui est décédé en 1989 et qui est né à St Étienne, donc St Étienne comme vous savez c'est cette ville-ci. C'est pour cela qu'on m'a demandé de parler de Simondon. Comme j'avais travaillé sur ce philosophe-là et sur le logiciel libre, c'est pour cela qu'on m'a demandé d'en parler.

Ceci dit, cela fait assez longtemps que j'ai travaillé là-dessus, donc j'ai récupéré des documents d'archives, en quelque sorte, pour vous présenter ça.

Qui connaît ici Simondon ? 3 personnes ? Bon.

Donc ma présentation va être assez pédagogique. Je vais surtout présenter des extraits de vidéos de Simondon et des citations de lui, pour m ontrer un peu l'esprit du philosophe, l'esprit de l'auteur, et je vais essayer de voir comment il aurait analysé le logiciel libre, le code source et tout cela.

Je vais essayer de faire ça ouvert un petit peu, peut-être que ça va vous interpeller aussi, et comment vous voyez en fait son approche, sa réflexion sur le code source.

Vous pouvez visiter ma page web si vous voulez.

Comme j'ai mentionné, Gilbert Simondon, on l'attribue beaucoup philosophe de la technique mais son œuvre est beaucoup plus large en fait. Il a cherché à penser le concept d'individuation - comment des êtres, des êtres techniques ou des êtres vivants viennent à se différencier d'autres êtres et deviennent des individus.

Un exemple facile ce serait un bébé. Un fœtus, lorsqu'il est dans le ventre de sa mère, il n'y a pas de différence entre la mère et l'enfant , même avant, et progressivement l'enfant est devenu un individu au point d'être complètement séparé de sa mère. C'est un peu cela qu'il pen se, pas seulement la question du fœtus mais l'ensemble des individus, autant techniques que biologiques.

Il est né à Saint-Étienne en 1924, mort le 7 févier 1989 à Palaiseau près de Paris. Il a défendu sa thèse de doctorat en 1958, qui s'appelai t « L'individuation à la lumière des notions de forme et d'information ». C'est surtout une réflexion nous poussant à la cybernétique, s'il y en a qui connaissent la cybernétique. Il a réalisé plusieurs autres publications jusqu'en 69.

Simondon est mort en 1989, mais en fait il est mort dans la solitude, cela arrive souvent pour des intellectuels, et sa pensée a été redécouverte dans les années 2000. À partir des années 2000 on a commencé à republier ses œuvres, mais ensuite on a trouvé dans ses greniers, dans sa maison, certaines notes de cours qu'on a republiées.

Il a commencé d'être traduit en anglais vers 2010-2015, donc c'est tout récent et souvent, ça va aux États-Unis, ça revient ensuite, donc ça se peut que dans quelques années il va être très populaire.

Ceci dit, il a influencé des philosophes très connus, influents comme Gilles Deleuze ou Bernard Stiegler que vous connaissez peut-être aujourd'hui.

Je vais me concentrer ici sur un de ses livres, qui est comme la deuxième partie de sa thèse de doctorat, qui a fait l'objet d'une publication immédiate suite à sa thèse de doctorat, en 1958.

Je ne vais pas entrer dans les détails de toute sa théorie. Pour les personnes qui étaient présentes à la présentation de Coline [Ferrarato] il y a deux jours, elle a présenté plus en détail ce que c'est qu'un objet technique.

Moi ce qui m'interpelle bcp chez S c'est son objectif que je dirais politique (il ne parle pas de politique lui-même mais je le définis comme ça).

Qu'on peut voir Dès la première phrase de son ouvrage, il dit : « cette étude est animée par l'intention de susciter une prise de conscience du sens des objets techniques »

Et même dans le paragraphe suivant, il dit que cet objectif lui apparaît aussi important que l'émancipation des esclaves. Donc il prend ça très au sérieux, c'est la critique qu'on peut faire à Simondon : c'était ptet pas aussi important que de libérer les esclaves, son projet. Mais c'est un projet qui parle beaucoup aux techniciens, aux gens qui ont une sensibilité technique.

Donc deux choses avant - les personnes dont je pensais qu'elles seraient là ne sont pas là - deux choses sur lesquelles je voudrais insister :

Simondon n'aborde pas beaucoup les enjeux politiques, économiques, sociaux, donc je ne vais pas bcp les aborder ici, je pourrais les aborder dans d'autres présentations ou discussions mais ce n'est pas l'objet de ma discussion.

Ensuite, c'est de la philosophie, donc ce n'est pas facile à instrumentaliser. On peut avoir une réflexion à quoi ça sert S, mais pour moi ça sert à comprendre le monde, ça sert pas à faire un logiciel libre en tant que tel ou à changer des politiques.

5'46

Je vais vous monter un extrait de Simondon. C'est la seule entrevue avec S, qui a été réalisée par les Québécois en 1968, et ça vous donne un peu une idée du personnage. Je vais passer une minute.

Q : Et vous vous situez à votre sens de quelle façon dans ce courant mécanologique ? Vers quoi entendez vous le faire déboucher ?

GS : Oui. Je voudrais aller surtout, surtout vers quelque chose de culturel, ce qui maintenant me préoccupe le plus. Ce n'est pas une étude froide et objective (que je crois nécessaire). Une étude froide et objective des choses, Je ne veux pas faire un musée, encore que j'en reconnaisse la nécessité et l'utilité. Je voudrais surtout éveiller culturellement mes contemporains en ce qui concerne la civilisation technique, ou plutôt les différents feuillets historiques et les différentes étapes d'une civilisation technique, car j'entends des grossièretés qui me découragent.

Particulièrement, l'objet technique est rendu responsable de tout. « Nos civilisations sont techniciennes, il n'y a pas assez d'âme... » ou bien la civilisation de consommation est rendue responsable des désastres de nos jours et du désagrément de vivre.

Elle n'est pas tellement technicienne, notre civilisation, mais quand elle l'est, elle l'est quelquefois très mal. Autrement dit, je crois bien qu'il faudrait apporter un tempérament, qu'il faudrait modifier l'idée que nous vivons dans une civilisation qui est trop technicienne. Simplement, elle est mal technicienne.

7'40

Voyez, son objectif, c'est de changer le tempérament, la culture, donc c'est vraiment ça que je retiens, que je veux retenir ici. Donc, l'une des choses que Simondon constate dès les premières pages, dès l'introduction, il note un peu comme on le mentionnait dans la vidéo, que la culture, en particulier la culture occidentale, est déséquilibrée, parce qu'elle reconnaît certains objets comme des objets esthétiques, comme des objets qui ont du sens, une certaine signification culturelle, mais d'autres objets, surtout les objets techniques, seraient en fait sans structure, n'auraient pas de signification, ce seraient des individus qui seraient morts, inertes. Et c'est contre cela qu'il s'oppose.

Pour S, ce qu'il appelle ce déséquilibre ou ce malaise de la technique a pour conséquence ou a pour symptôme deux attitudes différentes face à la technique : d'une part l'idolâtrie, les personnes qui sentent la signification, qui sentent qu'il y a un sens aux obj tech, qu'un objet technique peut être beau, peuvent avoir une certaine poésie mais ne sont pas capables de l'exprimer en tant que poésie parce que ce n'est pas reconnu dans la société, donc ils vont idolâtrer les objets techniques, il y a une idolâtrie de la technologie.

Vous avez sûrement entendu ça, une technophilie ambiante : les gens croient que Facebook, ou n'importe quelle technologie ... va sauver le monde. Et d'autre part un dénigrement, l'objet technique n'est que purement fonctionnel, sans signification. C'est d'aucun intérêt, on ne va pas l'étudier d'un point de vue anthropologique ou culturel ou quelque chose comme ça.

En fait, Simondon réagissait à plusieurs autres auteurs de son époque, notamment Jacques Ellul et Heidegger, qui notaient que la technologie envahissait le monde et qu'on devenait un monde de plus en plus froid et inhumain.

Ce que S dit c'est que, au contraire, la technologie n'est pas un nouveau dieu, ce n'est non plus un monde inerte mais c'est quelque chose d'humain, il faut l'appréhender comme quelque chose d'humain de façon très humble, ni plus ni moins que ça.

Une des choses - on en a parlé avant hier dans la présentation - S définit l'objet technique de par sa genèse. Donc l'OT est un objet qui a une genèse, qui s'inscrit dans une espèce de généalogie technique, donc il y avait un OT plus ancien, qui devient plus nouveau, d'autres objets récents qui émergent.

11'06

Moi Ce qui m'intéresse beaucoup dans S c'est de voir l'objet technique comme une médiation. S ne voit pas seulement l'objet comme un instrument, il s'oppose à une vision instrumentale, à savoir que c'est un instrument, mais il le voit plutôt comme une médiation : l'OT c'est un point de rencontre entre deux milieux, il doit être intégré à deux milieux à la fois, mais ces milieux ne sont pas compatibles.

Ce qui l'intéresse, lui, c'est tout le travail qu'il appelle de concrétisation, le travail que les humains doivent faire pour adapter l'objet technique à deux milieux.

Si on prend l'exemple d'un marteau, simplement c'est des exemples de ce qu'il appelle un individu technique. Au début, un marteau c'était une technique, on utilisait les mains en fait pour clouer qqch, pour assembler, et progressivement, on extrait des bouts de matière, du bois, on travaille le bois, on attache la roche, et tout ce travail là qui est progressivement faite de manière historique va constituer une médiation, donc on change la nature, et l'objet technique devient certains sociologues diraient un mix stable d'humain et de naturel. Et le processus de concrétisation c'est cette idée-là de stabiliser l'objet pour qu'il soit fonctionnel, et dans le processus, ce qui l'intéresse c'est le processus qui fait que les gens vont travailler, vont construire un objet et vont essayer de le rendre compatible entre les besoins humains et les besoins naturels, et c'est dans ce sens-là qu'il y a une dimension culturelle.

Donc en fait, dans tout, je vais revenir là-dessus. Suivant cette question-là de voir l'objet technique comme une médiation entre l'humain et le naturel, lui fait une analyse en disant, il critique bcp la robotique, on a une fixation sur les robots, on va les sacraliser aujourd'hui, les robots vont être vus comme la perfection technique.

Mais S dit que la perfection technique ce n'est pas l'automatisme, en fait c'est l'indétermination, c'est le fait qu'une machine, ou un objet, va être facilement associé à différents usages ou a différents environnements, va pouvoir être adapté.

Il écrit : « une machine purement automatique, complétement fermée sur elle même, dans un fonctionnement prédéterminé, ne pourra que donner des résultats sommaires. Le véritable perfectionnement des machines correspond au fait que le fonctionnement d'une machine recèle une certaine marge d'indétermination », ce qu'il va appeler une machine ouverte contrairement à une machine fermée. La machine ouverte va être plus propice à faire cette médiation-là et se tranformer progressivement, arriver à faire différents liens entre la nature et l'humain mais plus généralement entre les machines entre elles, la nature et l'humain.

14'34

S s'est bcp penché justement pourquoi notre culture est en quelque sorte déséquilibrée, et il a travaillé le concept d'aliénation, ce sentiment de déséquilibre pa rapport aux technologies, il appelle ça l'aliénation : donc les gens sont aliénés prp à la technologie.

Dans ce sens là il reprend en quelque sorte Marx. Vous avez déjà entendu parler de Karl Marx ? Un peu. Je ne suis pas spécialiste de Marx, peut-être les gens vont me rappeler mais pour Marx, l'idée c'est que les travailleurs étaient aliénés dans leur travail car ils n'étaient pas propriétaires de leurs moyens de production, il n'y avait pas la propriété collective - individuelle ou collective, mais ce qui l'intéressait c'est surtout la propriété collective, donc autrement dit ils travaillaient, mais le fruit de leur travail leur était aliéné dans le sens qu'ils ne le possédaient pas.

Simondon critique Marx et propose une définition plutôt de que j'appellerais _psycho-cognitive_ de l'aliénation. Pour S, l'aliénation c'est le fait de ne pas avoir conscience des schèmes de fonctionnement, de ne pas prendre conscience du sens des objets techniques. L'aliénation serait une non-conscience du fonctionnement.

Par exemple, à travers la chaîne de production, il reconnaît que les travailleurs sont aliénés, mais pas parce qu'ils n'ont pas la propriété de la production mais parce qu'ils sont dans une chaîne, qu'ils ne sont pas capables de voir l'ensemble du fonctionnement technique. Ils vont seulement travailler pour un individu. Mais il note aussi que la relation de propriété, il critique le fait que les banquiers ne seraint pas aliénés, il mentionne que les banquiers sont autant aliénés que les travailleurs par rapport à la machine car les banquiers voient la machine comme quelque chose d'instrumental, quelque chose qu'on peut maîtriser mais ne cherchent pas à comprendre, à être des psychologues des machines, à voir comment elles fonctionnent ensemble.

Même chose, la relation d'usage c'est pour S une relation instrumentale par rapport aux technologies, et le fait d'utiliser un ordinateur, par exemple, ou un autre objet sans comprendre, au minimum sans avoir conscience du fonctionnement de la machine voient une relation aliénée avec la technologie.

Pour S une relation non-aliénée avec les machines serait une espèce d'ingénieur des organisations ou un psychologue des machines qui va vivre au milieu des machines, les regarder entre elles et tout cela.

Ce qu'il perçoit, la relation non-aliénée aux OT, il demande que l'humain devienne comme un organisateur permanent des objets techniques. Plutôt que de voir les OT et les technologies comme qqch de fermé, l'humain serait comme un chef d'orchestre au milieu d'une société des technologies, qu'il va mettre en relation continuellement les autres, et va en prendre soin.

Son écriture est très belle : « La machine qui est douée d'une haute technicité est une machine ouverte, et l'ensemble des machines ouvertes pose l'homme ou l'humain comme organisateur permanent, comme interprète vivant des machines les unes par rapport aux autres, et qui ont besoin de lui comme les musiciens ont besoin d'un chef d'orchestre. »

La relation que S voit avec les techniques, c'est celle du chef d'orchestre par rapport à ses musiciens, qui va essayer d'animer des OT pour les faire fonctionner entre eux.

18'50

J'ai travaillé dans la programmation et dans le mouvement du logiciel libre avant de commencer à utiliser ça et cela m'a beaucoup interpellé, parce que j'essayais de voir toujours quel était le sens du mouvement du logicile libre ? R Stall va dire que c'est des questions éthiques, de donner le droit de coopérer, d'autres vont dire que la collaboration va être plus efficace.

Si on interprète S on peut voir le mvt du logiciel libre comme un mouvement qui revendique accès à l'expressivité du code.

C'est de voir le fonctionnement interne du logiciel comme quelque chose de culturel et pas seulement quelque chose de technique. Qqch qui est humain en soi, et pour cette raison ne devrait pas être enfermé dans une machine.

Une des choses qu'aiment beaucoup les acteurs du ll, c'est de garder une certaine notion de modularité dans les objets, de façon à pouvoir les assembler contieullement et les retravaille. Dans l'esprit du ll, un logiciel doit être toujours d'une certaine façon en évolution jusqu'à ce qu'il soit abandonné, donc va toujours être en constant changement. Dans ce sens là le programmeur va être en quelque sorte un chef d'orchestre qui va rassembler les bouts d'OT ensemble et les faire travailler ensemble pour que ça donne un ensemble technique.