PLFR Amendement 290 Isabelle Attard

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Titre : PLFR pour 2014 - Amendement 290

Intervenants : Isabelle Attard - Rapporteure générale - Christian Eckert, Secrétaire d'État au Budget

Lieu :Assemblée Nationale

Date : 5 décembre 2014

Durée : quelques minutes

Lien vers la vidéo : [1] amendements 259 à 501 à partir de 1 min 35


==00' transcrit MO relu avec le son == relu sans le son par Véronique.

Président : Le 290, madame Attard.

Isabelle Attard : Monsieur le Président, monsieur le Ministre et madame la Rapporteure générale, notre amendement 290 répond simultanément à trois problèmes majeurs du marché du livre numérique. Chacun de ces problèmes est suffisamment sérieux pour justifier l'adoption de cet amendement.

Le marché du livre numérique en France est prisonnier d'opérateurs étrangers, Amazon avec Kindle, Apple avec Itunes et Google avec Google Play Books. Leurs clients croient acheter des livres numériques. C'est faux. Leurs clients souscrivent une licence de lecture extrêmement limitée. Si le client change de système de lecture, il ne peut plus accéder au livre qu'il croit avoir acheté. La solution s'appelle l'interopérabilité. Acheter un livre numérique doit donner accès à ce livre sur n’importe quel appareil, sans limitation. J'ai entendu effectivement beaucoup de discours en faveur de l’interopérabilité, il est temps aujourd'hui de passer aux actes.

Je vous propose de restreindre la TVA réduite aux ventes de vrais livres numériques, donc aux fichiers fournis sans verrou logiciel, sans DRM. Nous réglerions par la même occasion trois problèmes. Premièrement nous favoriserons les petits éditeurs et vendeurs qui optent pour des systèmes ouverts et nous leur donnerons les moyens de lutter à armes égales contre les systèmes fermés des multinationales. Si Hachette a tant souffert de son conflit avec Amazon, c'est qu'il n'est pas en position de se retirer. L'interopérabilité est une condition importante de limitation des monopoles. À ce titre l'éditeur français Bragelonne, leader français du livre numérique, qui n'applique aucun verrou logiciel à ses fichiers, n'a pas de problème.

Deuxièmement, nous inciterons au respect des lecteurs. Il n'est pas normal que l'on puisse vous priver des livres que vous avez achetés, par exemple si vous souhaitez changer de matériel. Et enfin, troisièmement, et ce n'est pas le moindre, nous offrirons un compromis acceptable à la procédure engagée par la Commission européenne contre la France. La Commission européenne prétend que les livres numériques ne sont pas des livres mais des services, ce qui impliquerait un taux de TVA normal à 20 %. La Commission a raison mais seulement à propos des licences de lecture limitées. La France prétend, de son côté, qu'un livre, numérique ou pas, est un livre, et que le taux de TVA réduit s'impose. La France a raison mais seulement pour les fichiers numériques librement réutilisables. Le Syndicat National de l’Édition vient de demander à ses membres de se préparer à la condamnation de la France et à la suppression en urgence de la TVA réduite sur le livre numérique.

Donc distinguons fiscalement les livres avec et sans verrou logiciel et nous obtiendrons tous les bénéfices que je vous annonce. Merci.

Président : Avis de la commission. Madame la Rapporteure générale.

Rapporteure générale : Avis défavorable. C'est un amendement que nous avions déjà rejeté lors du projet de loi de finance rectificatif, en juillet dernier. Alors deux points. Si effectivement nous supprimions l'éligibilité des livres numériques au taux de 5,5 %, nous risquerions de fragiliser notre position devant la Cour de justice européenne sur le livre numérique, puisque, effectivement, nous défendons la position que les textes dématérialisés puissent bénéficier du taux réduit, comme les livres papier, puisque nous estimons que leur contenu est de même nature. C’est la position que nous défendons auprès de la Cour de justice européenne. Ensuite vous soulevez un second point qui est l'interopérabilité des livres numériques. C’est vrai que ce point-là mérite, je crois, d’être approfondi et d’être traité notamment en liaison avec le ministère chargé de la Culture, mais il ne relève pas directement de la fiscalité, c’est-à-dire qu'il n’est pas directement lié au taux à 5,5 % de TVA. Donc pour ces deux raisons, la commission a rejeté votre amendement

Président : Avis du gouvernement. Monsieur le Ministre.

Christian Eckert : Les deux raisons évoquées par madame la Rapporteure générale sont partagées par le gouvernement. Nous sommes en procédure d'infraction devant la Communauté puisque nous avons décidé, en nous appuyant sur le principe de neutralité fiscale, c'est-à-dire considérer que le livre papier ou le livre sous forme numérique sont de même nature, nous avons décidé d'appliquer le taux réduit à 5,5 % sur les livres au format numérique. La Commission conteste cette position, et si nous restreignions, comme vous l'évoquez, aux seuls livres numériques chargés suivant un format libre, nous fragiliserions notre position par rapport à la Commission puisque nous appuyant sur un argument qui n'est pas celui que nous mettons en avant et qui nous semble plus solide. Et deuxièmement, comme l'a dit parfaitement la rapporteure générale, l'outil fiscal, sur un vrai sujet que vous évoquez, l'interopérabilité, l'outil fiscal ne nous semble pas approprié pour régler ce type de question. Donc le gouvernement est également défavorable à cet amendement si vous le mainteniez. Je pense que nous ne rendrions pas service à la cause poursuivie en adoptant cet amendement. Si vous le mainteniez, le gouvernement y est défavorable.

Président : Madame Attard.

Isabelle Attard : Monsieur le Ministre, je vous entend très bien, je vous entendais aussi très bien il y a un an, lorsque vous étiez rapporteur et que vous m'aviez répondu la même chose sur ce même amendement. Je me souviens également de ce qu'on nous a répondu, au niveau du groupe écologiste, sur cet amendement en juillet dernier et à chaque fois, c’était « oui c'est très intéressant, mais nous allons en discuter avec le ministère de la Culture ». Donc j'espère qu'il faut moins d'un an pour discuter d'un seul amendement avec un autre ministère et ce n’est pas une condition qui me satisfait. Je pense qu'un an pour discuter c'est largement raisonnable.

Ensuite, vous nous dites que cet amendement affaiblirait les positions de la France face à la Commission européenne. Nous devons déjà provisionner, pour tous les jours où nous enfreignons la réglementation de cette TVA à 20 % sur les livres numériques, avec verrou ou sans verrou, avec DRM ou sans DRM, donc nous sommes déjà face à un conflit. Et nous vous disons que, lorsque deux parties en conflit sont dans l'erreur, chacune a en partie raison, chacune a en partie tort. La première à le reconnaître et à proposer une solution mutuellement avantageuse est forcément en position de supériorité.

Effectivement, la Commission a raison : un livre numérique est un service et nous leur disons, plus intelligemment, que lorsque ce livre est avec un verrou c'est un service, mais lorsqu'il ne l'est pas c'est un vrai livre. Vous respectez et vous défendez l'exception culturelle face aux GAFA depuis deux ans et demi et je suis tout à fait d’accord avec vous contre Google, Amazon et Apple, vous avez raison. Ils sont en position de monopole et empêchent et censurent les éditeurs qui oseraient proposer des livres qui ne correspondent pas à leur éthique. Ce qui est complètement incroyable de censurer un livre, ça n'existe pas sur le marché du livre papier. Pour régler ce problème le mieux possible, parce qu'on va commencer à avoir des sommes à provisionner pour chaque jour en infraction, cette solution nous semble extrêmement raisonnable, de faire la distinction entre un vrai livre numérique et un faux livre numérique.

Président : Monsieur Le Ministre.

Christian Eckert : Oui, madame la Députée, j’entends bien votre argumentation. Premièrement, en ce qui me concerne, à titre personnel, je n'ai jamais été favorable à ce que nous nous mettions en infraction par rapport à la réglementation européenne. Le Parlement a adopté une disposition, il est bien évident que je m'y rallie. Ça c’est pour la première partie de votre intervention. Quand à la seconde partie de votre intervention, je pense que l'outil fiscal n'est effectivement pas la bonne solution. Il y avait plus de six cents amendements sur ce texte, madame la Députée, le Secrétaire d’État au Budget n'est pas le ministère de la Culture !

Président : Je mets aux voix cet amendement qui fait l'objet d'un avis défavorable. Qui est pour son adoption ? Contre ? Il est rejeté.