Open bar de données et nuages magiques, l'Éducation sous contrat - Plénière RMLL2018 - Emmanuel Charpentier - Harmonie Vo Viet Anh

De April MediaWiki
Révision datée du 31 juillet 2018 à 14:40 par Morandim (discussion | contributions) (Page créée avec « Catégorie:Transcriptions '''Titre :''' Plénière - Open bar de données et nuages magiques, l'Éducation sous contrat '''Intervenants :''' Emmanuel Charpentier - H... »)
(diff) ← Version précédente | Voir la version actuelle (diff) | Version suivante → (diff)
Aller à la navigationAller à la recherche


Titre : Plénière - Open bar de données et nuages magiques, l'Éducation sous contrat

Intervenants : Emmanuel Charpentier - Harmonie Vo Viet Anh

Lieu : Rencontres mondiales du logiciel libre 2018 - Strasbourg

Date : juillet 2018

Durée : 54 min

Visualiser la vidéo

Licence de la transcription : Verbatim

NB : transcription réalisée par nos soins. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas forcément celles de l'April.

Statut : Transcrit MO

Description

Le grand marché de l'éducation et ses ressorts. Comment les multinationales du numérique conquièrent-elles leurs positions, quels avantages proposent-elles et à quels prix ? Du côté du Libre, d'autres modèles se dessinent et se construisent dans le monde.

Transcription

Je vous propose de démarrer malgré tout parce que le sujet est énorme, il y a peut-être quand même des choses à en dire ; on a l’amphithéâtre jusqu’à 19 h 30, ce qui est plutôt sympa. Comme c’est un sujet qui est majeur, pour vous dire on va parler de l’Éducation nationale et des accords qui ont été faits et qui sont en train d’être faits en ce moment pour utiliser du logiciel non libre et surtout géré et hébergé par des grands acteurs de l’informatique comme Microsoft.

Je ne sais pas si vous avez suivi le sujet exactement. C’est un sujet qui a un peu défrayé la chronique mais qui commence à avoir quelques mois, ça fait peut-être même quelques années qu’il a été mis en place. Il y a même eu un reportage qui a été fait par Cash Investigation où ils ont essayé d’aller poser des questions au ministère. L’Éducation nationale est liée avec tout cela d’une manière ou d’une autre parce que l’Éducation nationale, tout comme le ministère de la Défense, ont fait un accord avec Microsoft Irlande pour gérer leur informatique, sous un format qu’ils appellent open bar et qui permet à tous les personnels du ministère d’utiliser tous les logiciels qu’ils veulent, à volonté, tous les logiciels dont ils pensent avoir besoin et qui sont dans le portefeuille de logiciels de Microsoft. Donc c’est quelque chose de gigantesque. Microsoft c’est une des plus grosses entreprises au monde, on peut le dire, ça fait partie des plus grosses capitalisations, et ils ont un portefeuille de logiciels, que ce soit pour les ordinateurs portables, les tablettes, les téléphones mais aussi les serveurs, et ce portefeuille de logiciels est accessible librement, gratuitement dans la mesure où, en tout cas, les gens qui les mettent en place et qui les choisissent n’ont pas besoin de débourser de l’argent. Vous êtes un administrateur système de l’Éducation nationale, vous avez besoin d’une base de données, vous ne vous posez pas de questions vous pouvez prendre celle de Microsoft, l’installer sur un serveur, l’utiliser à volonté et, au bout d’un certain cycle, au bout d’un certain temps, Microsoft va aller voir l’Éducation nationale et va lui faire : « Ah ! On s’était mis d’accord ; je revois à peu près ce que vous faites comme usage de mes logiciels, eh bien en fonction de cet usage -là, je vous fais payer telle somme. »

Alors c’est quelque chose d’assez énorme, ça c’est le mécanisme open bar et avec l’Éducation nationale ce mécanisme a été mis en place de manière assez bizarre, c’est-à-dire que c’est Microsoft qui a payé l’Éducation nationale 13 millions d’euros pour que l’Éducation nationale utilise les logiciels de Microsoft.

Ça fait terriblement original, parce qu’il n’y a pas ce type de paiement ; normalement l’utilisateur paye le fournisseur du service ou du logiciel, surtout si c’est un service et un logiciel privateur, mais là il se trouve, non ! L’Éducation nationale est payée pour utiliser et mettre en place ces logiciels. Ça va encore plus loin que ça : les professeurs de l’Éducation nationale en France, on leur propose dans les locaux de Microsoft, d’utiliser les locaux de Microsoft pour faire des formations aux professeurs. Donc à Paris il y a un grand bâtiment que l’on peut voir quand on prend le périphérique, sur la partie sud, c’est un bâtiment plutôt joli, plutôt original, c’est le bâtiment Microsoft, il y a l’Éducation nationale d’après ce que l’on me dit qui n’est pas très loin, en tout cas il y a des bâtiments de l’Éducation nationale qui sont à quelques centaines de mètres, eh bien les professeurs, en quelque sorte, se prennent par la main et ils vont suivre des formations dans les salles de Microsoft. C’est quelque chose de très sympathique, c’est très gentil de la part de cette multinationale qui est de mettre en avant et de favoriser l’éducation des professeurs, mais c’est une éducation de nos professeurs qui se fait avec leurs logiciels. Et ce n’est pas une éducation libératrice, c’est le moins qu’on puisse dire, c’est une éducation qui les éduque aux logiciels de Microsoft et seulement aux logiciels de Microsoft.

Ça va encore plus loin que ça, je ne sais pas si vous avez entendu, ça a fait scandale, ça a fait un gros brouhaha, mais Apple a proposé et ça a été bien entendu, de faire des visites organisées, favorisées, dans les Apple Stores. Donc l’Éducation nationale, aujourd’hui, on leur propose facilement et de manière assez sympathique parce que, après tout, les Apple Stores c’est un lieu très festif, c’est un lieu agréable ; quand vous rentrez dans un Apple Store, on me dit, les employés se mettent à l’entrée et vous font une haie d’honneur. Quand vous achetez des matériels Apple, les premières fois, on me dit vous pouvez être applaudi. Donc les gens sont vraiment favorisés, sont poussés à aller là-dedans et là, les professeurs on les encourage à aller avec leur classe dans les Apple Stores. Donc ils débarquent gentiment ; on va leur monter comment ça fonctionne ; on leur montre le matériel Apple ; il est très joli ; les logiciels Apple sont très faciles, c’est ce qu’on vous dit, c’est ce qu’on vous propose. Et surtout, c’est que tout ça c’est très sexy, c’est très à la mode et on encourage d’autant plus les gamins, qui sont à priori des cibles faciles, on les encourage encore plus à s’approprier et à apprécier ces logiciels et il semblerait, le soir, quand les gamins rentrent chez eh bien ils vont dire à leurs parents : « Apple c’est génial ; j’en veux ; c’est vraiment bien. » Alors je veux bien croire que Apple n’a pas forcément besoin de cette publicité, ils sont tellement à la mode depuis déjà quelque temps !

Public : Inaudible.

Emmanuel : Alors ça peut-être, effectivement. On a quelqu’un dans la salle qui fait une remarque et c’est pertinent.

Public : Je ne suis pas tout à fait ce sujet. Mais je pense que ça a été interdit par le ministère récemment.

Emmanuel : Je sais que ça a fait hurler. Le ministère, je ne sais pas si ça été interdit ; ils ont peut-être envoyé une petite directive interne, un règlement, un changement de règlement parce qu’effectivement il y a plein de gens, y compris des journalistes et ça c’est très embêtant quand les journalistes s’y mettent, qui ont fait remarquer que c’était favoriser une entreprise de manière pernicieuse et bien trop forte et que l’Éducation nationale n’avait pas cette vocation.

Harmonie : Cependant il ne faut pas oublier. Je ne sais pas si vous vous rappelez un peu du titre de la plénière de ce soir « Open bar de données et nuages magiques, l’Éducation sous contrat » . L’Éducation nationale française a signé un contrat avec Microsoft pour pouvoir avoir ce qu’on appelle un contrat open bar ; ce qu’ils appellent comme ça c’est que vous avez le droit d’utiliser autant de fois la licence Microsoft sur des postes, mais nous, dans le cadre des RMLL, on a ajouté open bar de données, parce que bien évidemment pour Microsoft cela a intérêt de pouvoir récupérer toutes les données des étudiants. En tant que juriste j’ai étudié plus précisément le contrat en question qui date de 2014 si mes souvenirs sont bons.

Emmanuel : Trois ans. Je sais qu’on en avait parlé. Je m’occupe d’un podcast, d’une revue de presse à l’April et on en avait parlé. Oui, ça doit être dans ces eaux-là.

Harmonie : En gros, il était précisé que Microsoft gérerait, du coup, les données des étudiants en garantissant à l’Éducation une certaine sécurité, mais qu’en échange Microsoft aurait le droit d’utiliser ces données éventuellement à des fins éducatives, pour pouvoir proposer des meilleurs programmes éducatifs aux enfants en fonction de leurs profils.

Emmanuel : Pour faire du data mining à priori, pour en retirer des informations, des informations travaillées à partir des data qui sont les notes des gamins et de peut-être leurs appréciations. Il doit y avoir moyen de retirer des choses très utiles et, effectivement, ça fait jaser beaucoup de gens parce que ces données-là elles sont, aujourd’hui, considérées un petit peu comme privilégiées parce que cela concerne des mineurs. Et ces mineurs, le jour où ils arrivent dans le monde du travail ou dans le monde social des adultes, peut-être dans des relations amicales ou amoureuses, eh bien les notes qu’on a eues à l’école peuvent être influentes de manière assez négative ou positive ; mais quand c’est négatif, eh bien là on perd le contrôle complètement.

Public : Avec le RGFD, ce n’est pas complètement interdit maintenant puisque la finalité du traitement des données est complètement différente de ce que à quoi ça sert à l’origine ?

Harmonie : J’ai oublié de me présenter. Je m’appelle Vo Viet Anh Harmonie, je suis juriste en droit numérique ; je suis aussi présidente des Rencontres mondiales 2018 de cette année et, du coup, c’est un honneur pour moi de vous avoir ce soir.

Emmanuel : Et on a de la chance nous aussi !

Harmonie : Et du coup ! Normalement dans le cadre du RGPD, effectivement tout ce qui est données concernant des mineurs est censé être des données plus sensible. Mais après, il faut savoir que dans le RGPD il y aussi énormément d’exceptions qui ont été obtenues par la force des lobbies et une de ces exceptions, dont pourrait éventuellement bénéficier Microsoft, c’est de dire que le traitement de ces données est nécessaire dans le cadre d’un contrat. Et du coup, éventuellement, ils pourraient argumenter que dans le cadre de son contrat avec l’Éducation nationale française, étant donné que dans le contrat il y a marqué que Microsoft est censé pouvoir utiliser ces données à ces fins éducatives pour proposer des programmes plus adaptés, ainsi le traitement du coup serait justifié.

Emmanuel : on peut aussi rajouter que Microsoft pourra se targuer d’être prestataire à destination de l’Éducation nationale et que c’est l’Éducation nationale qui est responsable des données qui peut-être sont déléguées ensuite, dans leur gestion, à une entreprise, ça c’est quelque chose que l’on a droit de faire, mais c’est l’Éducation nationale qui risque d’être responsable. Or, en tant qu’Éducation nationale, connaître les notes des élèves, connaître les appréciations, connaître le parcours, ça paraît être la primauté importante de leur objectif. Et donc là-dessus il n’y a pas de problème ; je pense que le RGPOD ils vont pouvoir passer dessous ; sans oublier que c’est une administration d’un État fort et cette administration, si elle veut quelque chose, elle doit pourvoir courber les réglemente, même s’ils sont européens.

9’ 58

Public : Quand bien même