Open Source : un levier stratégique pour la souveraineté numérique européenne

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Titre : Open Source : un levier stratégique pour la souveraineté numérique européenne

Intervenant·e·s : Ophélie Coelho - Stéfane Fermigier - Vincent Niebel - Bastien Guerry - Ludovic Dubost

Lieu : Paris - Open Source Experience 2022

Date : 8 novembre 2022

Durée : 46 min 30

Vidéo


Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : Déjà prévue

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

L’Open Source a un rôle majeur à jouer pour la souveraineté numérique européenne. Comment l’Open Source peut-il porter cet enjeu stratégique ? Lors de cette table ronde avec des experts de l’écosystème numérique, des entreprises utilisatrices et des éditeurs nous aborderons l’importance de la souveraineté numérique, l’apport de l’Open Source à cette problématique, le rôle des communautés et des communs numériques, suivi de la position des grandes entreprises et du rôle des éditeurs Open Source.

Transcription

Ludovic Dubost : Bonjour. Bienvenue à tous.
Je suis Ludovic Dubost, président de la société XWiki. Aujourd’hui, pour cette table ronde, nous allons parler de l’open source comme levier stratégique pour la souveraineté numérique.
Comme vous le savez, comme vous l’avez entendu ce matin pendant les keynotes, la souveraineté numérique est un problème important aujourd’hui. Nous avons invité un petit groupe d’experts qui s’intéressent aussi à ce sujet.

Je souhaite la bienvenue à Ophélie Coelho qui est chercheuse indépendante en géopolitique du numérique affiliée à l’Institut Rousseau et à l’Observatoire de l’éthique publique, qui a donc beaucoup étudié cette problématique de souveraineté numérique. Ensuite Stéfane Fermigier qui est chef de l’entreprise Abilian et qui est coprésident du CNLL, une institution qui représente les acteurs du logiciel libre en France, qui est aussi président de l’APELL [Association Professionnelle Européenne du Logiciel Libre], une association équivalente au niveau européen, donc très active pour mettre en contact les acteurs européens. Nous avons ensuite Vincent Niebel qui est DSI-Groupe EDF et pilote du groupe de travail du « cloudde confiance » au Cigref. Merci d’être là pour cette table ronde et représenter les grandes entreprises qui s’intéressent à ce sujet. Nous avons Bastien Guerry qui est responsable de la mission logiciel libre à Etalab, à la DINUM [Direction interministérielle du numérique]. Je le remercie aussi de représenter la DINUM et l’État, pas tout l’État mais déjà la DINUM qui est un acteur important de l’État sur cette problématique de logiciel libre. Merci beaucoup à tous nos invités. J’espère que cette table ronde sera active et intéressante.

On va commencer directement. On parle de souveraineté numérique, mais de quoi parle-t-on exactement ?
Ophélie, vous avez étudié ces problématiques de souveraineté numérique. Qu’est-ce que c’est exactement la souveraineté numérique et quels sont les problèmes associés ? Est-ce que le logiciel est un point important pour cette problématique de souveraineté numérique ?

Ophélie Coelho : Merci beaucoup, Ludovic, pour cette introduction.
Ce que je vais essayer de faire comme première intervention c’est à la fois de présenter, évidemment, la souveraineté, mais aussi les liens qu’on peut voir avec l’open source qui sont, pour moi, évidents, mais peut-être pas pour tout le monde.
Concernant la souveraineté, je pense qu’aujourd’hui c’est un sujet qui est vraiment revenu, ce n’est pas du tout un sujet nouveau en fait, il était là depuis assez longtemps et ce sont des choses qui, même avant la guerre froide, à la fin de la Seconde guerre mondiale, étaient déjà là, cette idée de souveraineté informatique d’abord et ensuite on parle de souveraineté numérique. C’est en fait très ancien cette idée qu’il faut contrôler nos moyens informatiques vis-à-vis de dépendances depuis la fin de la Seconde guerre mondiale à des grandes entreprises américaines avec IBM d’abord puis toutes celles qu’on connaît. Cette peur, en quelque sorte, de perdre notre souveraineté a été entraînée par le mouvement de globalisation qui fait qu’on parle de dépendance de nos états et de nos entreprises vis-à-vis de grandes multinationales, d’interdépendance à la fois des chaînes d’approvisionnement, des ressources, d’interdépendance, évidemment, dans le numérique, ça nous parle énormément à la fois en termes d’infrastructures physiques mais en termes de logiciels, on sait très bien qu’il y a une grande multitude d’acteurs qui jouent là-dedans et qui sont interdépendants.
Aujourd’hui le problème et ce qui est relié avec l’open source, évidemment, c’est notre sujet de dépendance à des logiciels propriétaires qui est particulièrement forte. On a une étude très intéressante de la part de la Commission européenne, que vous pouvez retrouver sur Eurostat, de 2021, le sujet des dépendances revenant sur le devant de la scène, qui montre qu’au niveau du cloud nous sommes extrêmement dépendants, en France, des clouders américains, je ne vous apprends rien, on en parle quand même beaucoup depuis un certain temps, mais sur des technologies qu’on dit sophistiquées, c’est-à-dire sur la sécurité, sur les plateformes de développement, etc., donc sur des logiciels sophistiqués et, en fait, critiques pour l’activité des entreprises et des États.

Du coup on dit souvent, j’ai beaucoup entendu que le sujet de la souveraineté numérique serait un sujet franco-français. En fait pas du tout ! En 2019, par exemple, le ministère de l’Intérieur allemand faisait une étude, un audit dans ses administrations pour voir quelles sont les dépendances logicielles de ses administrations. Sans grande surprise, les dépendances les plus fortes, de très loin, étaient à Microsoft. On sait très bien que c’est la même chose en France, bien sûr, mais ils ont fait cet audit-là. Ça a poussé chez eux un nouvel élan qui n’était pas nouveau dans le sens parti de rien, from scratch, non, il était déjà existant, mais ça lui a redonné un coup de boost. Si vous avez entendu parler par exemple du projet Phoenix, je pense que les autres pourront aussi en parler plus, de la Suite Phoenix qui est portée par Dataport. Ce qui est intéressant et la raison pour laquelle j’en parle : là on ne parle pas de souveraineté individuelle, souveraineté d’un individu, mais de la souveraineté collective, celle d’un État, d’une nation, d’une entreprise, d’une institution publique comme un hôpital, etc. Le rôle de l’État est majeur là-dedans.
Dataport n’est pas une entreprise venant du privé, c’est une entreprise, en Allemagne, qui est venue de l’État fédéral, des États fédéraux, qui montre qu’en Allemagne en tout cas, il y a quelque chose qui est venu de l’administration et qui est allé chercher des acteurs privés et des associations pour travailler sur une suite open source qui est la suite Phoenix. C’est assez intéressant à voir comme projet et ce n’est pas le seul projet qui se tourne vers l’open sourcepour répondre aux dépendances .
Au Brésil, on a un projet qui était le portail de logiciels publics, qui n’existe plus aujourd’hui, en tout cas qui existe mais de manière extrêmement différente de ses débuts où c’était tout open source. Au Brésil c’était un projet également porté par l’État et qui a permis également à certains pays d’Amérique du Sud de se fournir en logiciels open source face à l’entrée des logiciels américains sur le terrain.
En fait on voit un certain nombre de terrains où l’open source peut, en effet, apporter quelque chose. Pourquoi apporte-t-elle quelque chose ? C’est parce que l’open source, avant d’être une vision de liberté, comme on parle de logiciel libre en France, c’est avant tout ce que Stallman nomme une méthodologie de développement, c’est vraiment Richard Stallman qui fait le premier la différence entre logiciel ouvert, open source, et logiciel libre où il dit qu’en fait le logiciel ouvert est avant tout une méthodologie de développement. Cette méthodologie de développement est un outil stratégique sur lequel nous pouvons, du coup, prendre part et que nous pouvons utiliser pour conquérir une forme d’indépendance, pas une indépendance sur tout, mais une forme d’indépendance numérique comme le font d’autres.
C’est assez intéressant de voir les projets en Allemagne comme la suite Phoenix. Ce ne sont pas les seuls à le faire. On pourrait regarder ce qui se fait en Corée, en Chine. En France on a aussi, évidemment, des initiatives, mais elles sont organisées différemment, Bastien pourra nous en parler.C’est un petit départ.

Simplement sur cette question de souveraineté, je terminerai par cela. J’ai parlé de globalisation au départ. Vous voyez probablement un mouvement qui va vers la déglobalisation, en tout cas dans le discours. On entend de plus en plus « déglobalisation », etc. Ça voudrait dire qu’on partirait from scratch, en gros, et qu’on inventerait tout. Ce qu’il faut qu’on fasse c’est partir de l’existant, comme quand on doit transformer un logiciel, sauf si vous voulez partir sur un autre logiciel vous devez faire avec l’existant et le transformer en amélioration continue, en mieux.
Du coup, cette idée de déglobalisation n’est pas possible, à mon sens, dans le numérique, pas aujourd’hui. C’est pour ça que la souveraineté numérique n’est pas une souveraineté absolue aujourd’hui. C’est un long chemin à parcourir avec des projets qui doivent être from scratch et des projets qui doivent prendre en compte l’existant, c’est-à-dire l’immense dépendance que nous avons vis-à-vis de certaine entreprises, donc ça se joue au niveau juridique, ça se joue au niveau technique et ça se joue par une grande prise de conscience de la part des politiques et du droit.

Ludovic Dubost : Merci beaucoup. Merci Ophélie de cette introduction.
Stéfane, sur ces problématiques de souveraineté, est-ce que les groupes du CNLL ou de l’APELL se sont appropriés cette problématique et en quoi l’open source est justement une réponse tout à fait intéressante sur ces problématiques de souveraineté numérique ?

9’ 35

Stéfane Fermigiert : Le logiciel libre s’est effectivement emparé du sujet, comme l’a dit Ophélie, je dirais depuis l’origine, depuis que le terme logiciel libre, free software, a été prononcé par Richard Stallman, peut-être pas avec la notion moderne de souveraineté numérique, en tout cas avec l’idée qu’il fallait, pour les utilisateurs de l’informatique et du logiciel en particulier, reprendre une certaine forme d’indépendance.
Ce mot indépendance est probablement celui qui a été utilisé dans un premier temps. On peut le retrouver, par exemple, dans la loi Lemaire qui date de 2016, dans l’article 16 de la loi Lemaire qui dit : « Les administrations veillent à préserver la maîtrise, la pérennité et l’indépendance de leur système d’information » et ensuite « elles encouragent l’utilisation des logiciels libres et des formats ouverts ». Il y a des mots-clés maîtrise, pérennité et indépendance et on pourrait dire que ce sont des synonymes,en tout cas des mots qu’on pourrait les substituer aujourd’hui à souveraineté numérique en prenant la souveraineté numérique comme une notion d’autonomie stratégique, c’est-à-dire le fait d’avoir des systèmes qui fonctionnent, qui continuent à fonctionner en présence d’aléas, d’aléas qui peuvent être diplomatiques, qui peuvent être technologiques, qui peuvent être des incidents de sécurité, qui peuvent être la disparation d’un prestataire, qui peuvent être l’émergence de nouvelles technologies, l’émergence de menaces. Donc on voit que la loi, dès 2016 en France, et c’est le fruit d’une réflexion qui est beaucoup plus ancienne puisque le sénateur Laffitte avait fait une proposition de loi qui était assez similaire dès 1999, le dit, avec la question de comment mettre en œuvre ces grands principes.
On pourrait citer, par exemple dès 2006, le ministère de la Défense qui, dans une directive, disait « outre les avantages liés à la disponibilité du code source, les logiciels libres permettent de vérifier le respect des standards et favorisent l’interopérabilité. Du coup à coût global, risque et efficacité opérationnelle comparables, le logiciel libre est privilégié », donc dès 2006, le ministère de la Défense. C’est vrai que souvent, quand on parle de souveraineté, on pense en premier à des organisations, tout ce qui tourne autour de l’armée. On peut donc penser qu’il y a une réflexion et on constate qu’en France il y a eu cette réflexion dès 2006.
On va retrouver cette phrase, « à coût global risque et efficacité », au niveau européen. La Commission européenne en 2020, dans la Communication de la Commission, donc un document extrêmement important, pas un petit rapport qu’on met au fond d’un tiroir, non !, un document extrêmement important disait : « Les solutions open source seront privilégiées lorsqu’elles sont équivalentes en matière de fonctionnalités, coût total et cybersécurité ». En fait c’est pratiquement la même phrase qui a été reprise 14 ans après ; on a remplacé sécurité par cybersécurité, mais ça revient au même.

Il y a donc ce constat global que, par construction, le logiciel libre, par exemple ses fondements juridiques dans les licences, licences reconnues comme libres ou open source par la Free Software Foundation et l’Open Source Initiative représentent une garantie à la fois de large diffusion, évidemment, mais aussi d’indépendance de la part des utilisateurs de ces logiciels.
On a ce cadre juridique. On a la notion de transparence, la visibilité du code source qui n’est pas, comme chacun le sait évidemment, synonyme d’open source, mais qui, en tout cas, est quand même un des critères majeurs, la visibilité du code source permet des audits et les recommandations qu’on peut lire en ce moment en Allemagne sont qu’il faut être capable d’auditer les codes sources dans les infrastructures de cloud, par exemple, pour pouvoir garantir l’absence de logiciels espions, pour pouvoir garantir l’interopérabilité, etc.

Le mot interopérabilité. Ça fait AUSSI plus de 20 ans qu’on se bat autour de cette notion-là, que la Commission européenne a fait des travaux. En France on a eu le RGI, le Règlement général d’interopérabilité qui est également un document important. L’ensemble de ces notions est déjà là, comme le soulignait Ophélie, depuis 20, 25, 30 ans. Le terme souveraineté numérique est apparu en France, il y a eu des pionniers, mais c’est vrai qu’il nous est revenu principalement via les Allemands qui se sont emparés de la question il y a trois/quatre ans, notamment depuis le Covid et depuis les crises actuelles. On voit que c'est devenu un vrai sujet.

Ludovic Dubost : Justement qu’est-ce qu’a changé le Covid ?

Stéfane Fermigiert : Je dirais une prise de conscience. Dans un premier temps, pendant le Covid, on a pu voir que ça augmentait, au contraire, nos dépendances à des fournisseurs de cloud clés en mains, qui avaient des solutions magiques qui fonctionnaient. Et puis on s’est retrouvé avec le scandale des Zom, par exemple le Zoom de la Commission européenne ou des ministres des Affaires étrangères où n’importe qui pouvait s’incruster dans une conversation à priori hautement confidentielle. Donc des sujets de sécurité d’un côté et des sujets d’indépendance et d’autonomie technologique de l’autre qui sont un peu différents, d’un côté les données, on veut que nos données soient sécurisées, que des puissances étrangères n’aillent pas regarder dedans. Ça peut être regardé sous un angle juridique, mais, comme on l’a vu avec l’exposé de Max Schrems ce matin, ça n’est vraiment pas suffisant. Après il y a l’idée que si on n’a pas, de notre côté, en France et en Europe, une industrie du logiciel et, en particulier, du logiciel libre performante, capable de répondre à la plupart des besoins du marché, que ce soit du secteur public, du secteur privé ou même des citoyens, on n’aura pas cette autonomie stratégique.
Donc nous, encore une fois, APELL, CNNL, militons évidemment pour que ça soit un sujet pris en compte et on milite également pour que, dans la perception des gens qui s’intéressent à ce sujet, la notion de logiciel libre soit un atout évident.

Dernière remarque, le rapport Latombe, le député Philippe Latombe qui, l’an dernier, a fait un rapport typiquement sur ce sujet et, parmi la soixantaine de propositions, il y en a une qui est de dire « imposons le logiciel libre », en France parce que c’est un rapport français. Il y a cette notion évidente d’encourager très fortement et peut-être plus que ce qui est fait à l’heure actuelle, l’utilisation du logiciel libre et des PME européennes de façon à développer un véritable écosystème.

Ludovic Dubost : Merci.
Je voudrais m’adresser un peu aux grandes entreprises, est-ce que, aujourd’hui, la problématique de souveraineté numérique est un sujet pour les grandes entreprises du Cigref en particulier, ou même pour la vôtre, EDF, et est-ce que vous investissez dans l’open source ? Quels sont les avantages que l’open source peut apporter pour vous ?

Vincent Niebel : Le numérique aujourd’hui, pour les grandes entreprises, est effectivement un enjeu évident, est au cœur de ces enjeux de compétitivité, d’agilité, de performance et d’innovation. Au regard de ces enjeux-là, la relation entre les grandes entreprises et les fournisseurs en numérique est aujourd’hui cruciale, mais cette relation a évolué, ça a été rappelé à l’instant. La plupart des fournisseurs sont aujourd’hui en train de cloudifier leur offre, suppriment leur offre en matière de solution <erm>on-premise et, d’un autre côté, la période qu’on vient de vivre a objectivement encore accru la dépendance des grandes entreprises à pas mal d’offres aujourd’hui et, en particulier, des offres d’éditeurs, d’éditeurs américains dans le cloud.
Une réponse assez simple aurait été de dire l’open source constitue évidemment une solution pour éviter cette dépendance, pour la limiter de fait et pour construire un numérique de confiance.

Pour revenir à cette définition de souveraineté numérique de confiance, on peut la définir finalement autour de trois notions, trois principes : la liberté de choix, la maîtrise technologique et la réversibilité. La souveraineté peut finalement se définir comme un niveau d’autonomie, une aptitude à choisir et non pas à subir sa nature et son degré de dépendance. Si on regarde toute la chaîne de valeur, être totalement indépendant aujourd’hui, comme le disait Ophélie, c’est un chemin au long cours et je pense que ça prendra effectivement plusieurs années et plusieurs réglementations successives qui devront se renforcer.

Ophélie Coelho : Voire, dans certains domaines, c’est juste impossible et ce n’est pas souhaitable

Vincent Niebel : Oui, d’ailleurs ! Je pense qu’il ne faut pas mélanger autarcie et autonomie sur ces notions-là.
D’ailleurs en termes de cloud, vous faisiez référence au groupe de travail que je pilote, on a essayé de définir cette notion de « cloud de confiance » avec un référentiel dont la deuxième version vient d’être publiée, en essayant de caractériser un certain nombre d’exigences autour de quatre piliers : la cybersécurité, la maîtrise de la dépendance, l’immunité aux lois extra-européennes, qui fait écho à la conférence d’ouverture de ce matin, et le dernier, qu’on a rajouté, c’est la maîtrise de l’impact environnemental qui, aujourd’hui, est également un point critique à prendre en compte.
Finalement, pour répondre à l’ensemble de ces critères, l’open source est évidemment une solution. Objectivement elle n’est peut-être pas la seule, il faut être complet, je pense, sur cette analyse. S’il y a des domaines où il y a de la concurrence utilisant des standards ouverts avec des garanties de sécurité et de réversibilité, je pense qu’il y a des solutions, notamment de type éditorial, qui peuvent apporter certaines garanties également sans être complètement dans des logiques open source ou libres.
Ceci étant, ce sont des points qu’il faut mesurer et, pour ce faire, il faut qu’on mette en place des grilles d’analyse extrêmement précises, j’y reviendrai.

Par ailleurs, autre point important, les entreprises n’ont peut-être pas non plus les moyens de s’investir dans l‘ensemble des domaines de l’open source, mais elles peuvent, et je pense qu’elles doivent, aujourd’hui, définir une politique open source et en faire une politique prioritaire de sourcing en matière de SI et d’IT. Pour les grandes entreprises, l’open source apporte des solutions en termes de renforcement de maîtrise de son système d’information, c’est évident, de nouveaux modèles économiques : on n’a pas d’effet d’échelle et on a une liberté d’usage assez large ; ça permet d’accélérer les changements et aussi la transformation et ça permet surtout d’augmenter l’attractivité dans un contexte où la compétition en matière de ressources humaines est extrêmement contrainte également dans le domaine du numérique.

Pour être complet dans l’analyse, il faut dire aussi que l’open source présente quelques risques, points d’attention qu’il faut prendre en compte, notamment en fonction soit de la communauté, soit de modèles de gouvernance de la communauté, soit du modèle de licence qui est associé. Pour ce faire, il faut qu’on analyse s’il y a un risque d’étiolement des ressources dans la communauté, si l’entreprise est en capacité d’investir complètement et également si elle a la culture, car il faut l’accompagner préalablement pour avoir recours au logiciel libre, si elle a bien mis en place toutes les conditions pour le faire.

Stéfane Fermigiert : Je voudrais insister sur un point : le logiciel libre n’est pas produit que par des communautés. Il y a également tout un écosystème d’éditeurs de logiciels libres, dont plusieurs représentants sont dans la salle.

Vincent Niebel : J’y reviendrai.

Ludovic Dubost : J’avais entendu la même chose, la dynamique éditoriale s’adresse aussi aux acteurs du logiciel libre. Il y a des éditeurs chez les ??? [21 min 40]

Vincent Niebel : On est bien d’accord et ça tombe très bien. Un des risques que je mettais en avant c’est le changement de modèle que ces éditeurs peuvent apporter en rajoutant progressivement des briques qui deviennent payantes, qui nous imposent ensuite de changer de stratégie. Ça arrive malheureusement aussi et on a quelques exemples.

Il y a aussi un petit risque en matière de sécurité, il est aussi côté éditorial, c’est vrai, je pense qu’il faut qu’on l’ait collectivement en tête. Quand on voit, par exemple, le Cyber Resilience Act qui prévoit explicitement, pour les communautés libres, une exception parce qu’ils ne peuvent appliquer les mêmes contraintes, par exemple 2,5 % d’amende en cas de non-respect d’un certain nombre d’exigences. Ce n’est pas complètement illogique, mais, de fait, il faut qu’on trouve une autre solution pour se garantir que finalement les communautés puissent répondre à des enjeux sur des briques qui peuvent être largement déployées. On le voit sur OpenSSL, il y a encore eu récemment une faille importante ; il y a eu Log4j, il y a eu ces sujets-là. Pour tous ces environnements-là il faut aussi qu’on ait des garanties pour les entreprises, pour garantir cette sécurité.

Ludovic Dubost : Il y a justement une conférence demain sur le financement des briques critiques qui pourra intéresser les gens qui s’intéressent à ce sujet.

Vincent Niebel : Dernier point peut-être, qui peut également faire débat, c’est le volet expérience utilisateur, IHM [Interface homme-machine]. C’est souvent un péché de jeunesse des premières briques, ça l’est de moins en moins, c’est vrai, je l’admets, mais ça l’est encore en partie, ce qui fait qu’une fois que des entités, des grandes entreprises en particulier, ont mis le doigt dans l’usage d’outils et ont acculturé tout un écosystème à l’usage de ces outils et à une certaine ergonomie, la conduite du changement est extrêmement lourde. C’est également un point à avoir en tête.

On a bien en tête tous ces éléments-là et pour EDF, juste pour éclairer avec l’exemple d’EDF, on a mis en place une politique open source depuis 2016. On a aujourd’hui plus de 300 outils qui sont référencés, partagés avec l’ensemble des DSI métiers. On a dix principes dont celui d’examiner systématiquement, préalablement, l’existence d’une brique logiciel libre, ça revient à peu près à ce qu’il y a au niveau de l’État. On mène en commun des études et un comité se réunit chaque mois pour évaluer quelles sont les nouvelles briques qui pourraient intégrer ce référentiel-là. Et, avec six autres entreprises, il y a 17 membres aujourd’hui, on a constitué une association qui s’appelle TOSIT [The open source I Trust], qui est là d’abord pour partager des retours d’expérience, des veilles, des études dans le domaine du logiciel libre, de sécuriser des briques critiques et, sur la base de partenariats spécifiques, de construire également des briques spécifiques. On en a monté une dans le domaine du management, des identités et des authentifications qui s’appelle Tosiem ??? [24 min 18] ; on en a monté une autour de l’assistant vocal qui s’appelle Tock ; il y en a une dernière, qu’on vient de lancer, justement dans un cadre d’évolution du cadre d’usage de certaines distributions sur Hadoop 3, pour faire en sorte que Trunk Data Platform, c’est le projet, puisse voir le jour et constituer une solution libre pour Hadoop 3 dans les mois et années à venir.

Ludovic Dubost : D’accord. Merci beaucoup pour toutes ces informations et ces investissements dans l’open source, c’est très intéressant.
Tout à l’heure Stéfane nous a parlé de textes de loi, d’interventions publiques. La question c’est est-ce que c’est suivi d’actes au niveau de l’État ? Bastien, est-ce que tu peux nous en parler un peu ? Que fait l’État pour essayer de mettre en œuvre ce qui est indiqué dans certaines lois, dans certains textes ou dans certaines déclarations politiques. J’avais aussi entendu Bruno Le Maire dire « pas de souveraineté politique sans souveraineté numérique ». Est-ce que ça fait aussi partie des missions de la Mission logiciels libres de traiter des problématiques de souveraineté numérique et que vous faites-vous au niveau de la DINUM ?

25’ 30

Bastien Guerry : Merci beaucoup.