Différences entre les versions de « Open Data : les données au secours de la démocratie »

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<b>Diverses voix off : </b>Punaise, j’ai trop hâte de ce nouvel épisode.<br/>
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Encore une bière. C’est <em>open bar</em> !<br/>
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Thibaut, tu bois encore une bière ? C’est <em>open bar</em>. On y va.<br/>
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Les gars, aujourd’hui c’est <em>open data</em> et ça, c’est vraiment d’utilité publique. <br/>
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<em>open data</em> d’accord, <em>open data</em>.
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<b>Diverses voix off, série <em>Silicon Valley</em> : </b>On pourrait construire une version absolument décentralisée de notre Internet actuel. Ça veut dire pas de <em>firewalls</em>, ni de restrictions, ni de mainmise par des gouvernements. Aucune limite, que de l’information, totalement libre et gratuite dans tous les sens du terme.<br/>
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Tu veux construire un nouvel Internet ?
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<b>Voix off : </b><em>Trench Tech</em>. Esprits Critiques pour Tech Éthique.
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<b>Cyrille Chaudoit : </b>Hello. Cyrille Chaudoit au micro. Oui, vous êtes bien dans <em>Trench Tech</em>avec bien sûr, à mes côtés, Thibaut le Masne.
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<b>Thibaut le Masne : </b>Hello ! Hello !
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<b>Cyrille Chaudoit : </b>Et Mick Levy.
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<b>Mick Levy : </b>Yo ! Yo !
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<b>Cyrille Chaudoit : </b>D’abord un petit mot pour toi qui nous écoutes. Merci. Vous êtes de plus en plus nombreuses et nombreux à nous écouter, alors continue, toi, toi et toi aussi, de partager nos épisodes pour partager l’esprit critique pour une tech éthique.<br/>
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Messieurs, qui a reconnu l’extrait qu’on vient d’entendre ?
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<b> Thibaut le Masne : </b> La série <em>Silicon Valley</em>.
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<b>Cyrille Chaudoit : </b>Bravo Thibaut ! Et pourquoi cet extrait, à votre avis ?
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<b>Mick Levy : </b>Parce que notre invitée y a débuté sa carrière, peut-être.
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<b>Cyrille Chaudoit : </b>Exact, du coup ça tombe à pic, pas vrai Mick ? Oui je sais !, parce que dans cet épisode on va se demander quelle place pourrait jouer l'<em>open data</em> dans la construction d’un numérique au service de l’émancipation citoyenne et cela en contrepoint, ou pas, de la mainmise des Big Tech sur toutes nos données.<br/>
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Laure Lucchesi a donc d’abord été envoyé dans la Silicon Valley pour le compte de l’ambassade de France aux USA, avant de mener des projets d’innovation dans les télécoms, les médias et la banque en Afrique et en Inde puis de devenir directrice d’Etalab, pendant sept ans, de 2016 à 2023. Rappelons qu’Etalab est le département du Premier ministre chargé de l’innovation et de la transformation numérique du service et de l’action publique et grâce aux données. Puisque Laure aide désormais les entreprises à accélérer leur transformation data et IA, on peut dire que c’est l’invitée idéale, car elle maîtrise les deux facettes, publique et privée.<br/>
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C’est vrai après tout l’esprit critique, c’est, d’un côté, questionner cette manie que les géants de la tech ont de privatiser la mise en données de toute chose en ce bas monde, mais aussi de se demander en quoi les données publiques sont un bien commun comme un autre, qu’il faudrait mettre à la disposition de tous, y compris, d’ailleurs, d’acteurs privés, y compris les géants de la tech. Vous me suivez ? Ça va ?
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<b>Mick Levy : </b>On va quand même approfondir tout ça !
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<b>Cyrille Chaudoit : </b>Bref ! Nous commencerons donc par revenir sur le parcours de Laure pour voir quels liens elle fait entre les stratégies observées dans la Silicon Valley et celles poursuivies par l’État français en matière de données ouvertes. Ensuite, nous tenterons un état des lieux du numérique public, pour enfin nous demander en quoi mettre à disposition la data redonne du pouvoir à la société civile. Mais ce n’est pas tout, deux chroniques que vous adorez viendront compléter le décor : « Débats en Technocratie » de Virginie Matins de Nobrega et le fameux « Patch Tech » de Fabienne Billat.
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<b>Mick Levy : </b>Ça fait longtemps qu’on ne l’a pas entendue.
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<b>Cyrille Chaudoit : </b>Grand retour, exactement, c’est pour cela qu’on se rejouit. Et dans maintenant moins d’une heure, chers amis, nous débrieferons juste entre vous et nous, cher public, des idées clés partagées avec Laure dans cet épisode. Restez donc jusqu’au bout. Vous êtes prêts ?
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<b>Mick Levy : </b>Je suis méga prêt, carrément.
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<b>Cyrille Chaudoit : </b>Alors, sans plus tarder, accueillons la dompteuse de données publiques, comme l’a nommée le JDD. Bonjour Laure.
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<b>Laure Lucchesi : </b>Bonjour !
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<b>Mick Levy : </b>Salut Laure.
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<b>Thibaut le Masne : </b>Bonjour Laure.
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<b>Cyrille Chaudoit : </b>Laure, nous sommes ravis de t’accueillir. On se tutoie ?
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<b>Laure Lucchesi : </b>Avec plaisir.
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<b>Cyrille Chaudoit : </b>Alors c’est parti pour notre grand entretien, vous êtes bien dans Trench Tech et ça commence maintenant.
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<b>Voix off : </b><em>Trench Tech</em>. Esprits Critiques pour Tech Éthique.
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==De la Silicon Valley à l’innovation publique 3’56==
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<b>Mick Levy : </b>Laure, on l’a dit, tu as expérimenté la culture de l’innovation de la Silicon Salley puis, de retour en France, tu cherches finalement à appliquer ses stratégies innovantes au service public de la France. Laure, finalement, comment la Silicon Valley a-t-elle influencé ta vision de l’innovation ? Grande question.
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<b>Laure Lucchesi : </b>Ça a été vraiment marquant pour moi. En fait, je suis sortie d’école en 2001, juste après le 11 septembre, la crise, et j’ai eu l’occasion de travailler pour le département économique de l’ambassade de France en Californie, à San Francisco, où je couvrais le secteur des médias et de l'<em>entertainment</em> comme on dit aux États-unis. C’était juste après l’éclatement de la bulle internet aussi, c’était donc vraiment une phase de transition. J’ai pu prendre la mesure de l’ampleur avec laquelle la technologie disruptait, percutait de plein fouet tout un secteur et toute une industrie, puisque c’était à la fois le moment où il y avait la numérisation des réseaux, on commençait à voir la distribution des contenus sur le câble numérique ou les réseaux satellites, l’arrivée de nouveaux acteurs. À l’époque, un acteur envoyait des DVD par la poste, qui s’appelait Netflix.
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<b>Mick Levy : </b>Laurent Guérin nous a fait une jolie chronique, « Un moment d’égarement », il n’y a pas si longtemps avec le <em>fail</em>, qui s’en est suivi sur cette activité. Intéressant que tu le rappelles.
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<b>Laure Lucchesi : </b>C’était très compliqué. J’avais rencontré Reed Hastings et on savait déjà que sa vision c’était de devenir une <em>tech company</em> et de faire de la vidéo à la demande sur Internet. C’était aussi les <em>User Generated Contents</em> qui changeaient aussi complètement la façon dont les contenus étaient produits et distribués, percutaient le modèle des studios. Bref, je me suis rendu compte que la technologie disruptait complètement l’économie, la société et les rapports de pouvoir. Ça m’a évidemment profondément marquée. Après deux ans, je suis rentrée en France et là j’ai eu l’occasion de travailler sur des grands projets de transformation dans les médias, dans les télécoms, dans les services financiers aussi, à la fois en France et un peu partout dans le monde. Après avoir eu toute cette expérience, j’ai eu l’occasion de mettre ce savoir-faire et ces compétences au service de la transformation de l’action publique, de l’action de l’État, en entrant par ce qui était ce petit sujet de l'<em>open data</em>.
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<b>Mick Levy : </b>Finalement la Silicon Valley, tu l’as dit, cherchait à disrupter tout un tas d’industries, je mets « industries » entre guillemets, et parmi toutes les industries que cherchait à disrupter la Silicon Valley, il y a aussi le service public, l’action publique, il y a plein de fois où ils sont venus un peu en percussion avec la façon dont se faisait l’action publique. Toi, finalement, qu’est-ce que tu as souhaité prendre ? Quelles sont les leçons, finalement, que tu as apprises et que tu as voulu ensuite appliquer pour l’action publique en particulier chez Etalab ?
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<b>Laure Lucchesi : </b>Ce sont vraiment beaucoup de choses. Ce qui était fascinant, c’est, évidemment, cette capacité à agir vite, à tester, à itérer, à partir petit et à développer plus largement des services, donc, à la base, ce sont des méthodes agiles qu’on a ensuite appliquées dans l’administration, c’est un premier sujet. Il y avait aussi, qui est né aux États-Unis entre le début des années 2000 et 2010, cette théorie d’agir comme une plateforme et ça a été vraiment fondateur et c’est ce qu’on a amené en entrant par le sujet de l'<em>open data</em> : se dire que les stratégies gagnantes, à l’heure d’Internet, ce sont celles des plateformes qui ont plus de valeur qu’une application puisqu’elles attirent dans un écosystème, dans un environnement qu’elles maîtrisent, la capacité de contribution, la création de valeur selon des règles qu’elles définissent.<br/>
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Le parallèle a été fait aussi avec ce que peut être l’action publique, l’action d’un gouvernement, qui, lui-même, peut agir comme une plateforme et amener à lui de la contribution, de la capacité d’innovation.
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<b>Thibaut le Masne : </b>Je ne peux pas m’empêcher de te poser quand même cette question : quand on parle d’agilité et de scalabilité on va dire des start-ups ou des Big Tech et de l’agilité, de la souplesse d’un État, je ne peux pas m’empêcher de dire que ce n’est pas tout à fait la même chose !
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<b>Laure Lucchesi : </b>Bien sûr. Évidemment que l’administration est tenue par des règles, par des obligations aussi qui lui sont propres : la continuité du service public, l’égalité devant le service public, typiquement, elle ne peut pas choisir ses clients comme pourrait le faire, justement, une start-up ou une entreprise. Mais elle est aussi tenue par un troisième principe du service public qui est celui de l’adaptation et de la mutabilité. Elle, doit donc à la fois fournir et produire le service public correspondant, d’un côté, aux attentes de la société, mais aussi au progrès technique. Ça a été vrai pour un certain nombre de révolutions par le passé, et c’est vrai aussi pour l’adaptation de la technologie.<br/>
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En fait, l’administration a aussi le devoir de mettre à jour son propre logiciel et de saisir les opportunités du numérique pour agir différemment.
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<b>Mick Levy : </b>Justement, Laure, j’ai une petite question là-dessus : tu as évoqué la notion de plateforme. Déjà, la notion de plateforme, pour les Big Tech, n’est pas toujours bien comprise, il y a beaucoup d’éléments. Finalement ce sont des services, c’est le fait de fournir des services racines, qui sont racines de plein d’autres services, c’est le fait d’une espèce de coopétition avec beaucoup d’acteurs, c’est le fait de donner des services élémentaires qui peuvent être réutilisés d’une autre manière. Est-ce que tu peux le définir et puis surtout comment on le transcrit dans la notion de l’État plateforme, sur laquelle tu arrives derrière ?
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<b>Laure Lucchesi : </b>Justement, tu parles de services, mais, finalement, c’est presque l’inverse, c’est-à-dire que souvent les grandes plateformes, Facebook, Amazon, ont commencé par un service et, petit à petit, elles s’en sont écartées pour fournir une infrastructure, des règles, notamment des modèles économiques, pour attirer l’innovation à l’intérieur d’un écosystème et d’un environnement qui étaient à leurs mains et qu’elles contrôlaient. C’est ça qui fait la différence. Si on transpose ça à ce que ferait un État, et ça a été théorisé en 2010 par Tim O'Reilly dans <em>Government as a Platform</em>, c’est vraiment cette notion de fournir une infrastructure et des règles dans le monde numérique, sur laquelle des services, y compris des services créés par des tiers, qui ne sont pas l’administration, peuvent venir s’installer. Si on fait le parallèle, c’est comme si, à l’échelle d’une ville, on organisait l’infrastructure, on fournissait la route, on définissait les règles du code de la route et, par-dessus ça, vient se créer une infrastructure économique, des bâtiments.<br/>
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La notion d’état plateforme c’est celle-ci et ça veut dire qu’on considère que toutes les ressources numériques, les données, les API, le code, qui peuvent être, qui sont déjà produites par les systèmes d’information de l’État, tout ce qui peut être ouvert et rendu réutilisable, donc utilisable par d’autres, doit l’être ; ça doit être ouvert et partagé, parce que ça devient capacitaire, ça démultiplie la valeur et même, du coup, ça donne des nouvelles vies à des données qui sont déjà financées par l’impôt et produites par l’administration, sous réserve, bien sûr, des données qui sont confidentielles ou protégées par des secrets, on n’en parle pas, mais il y en a beaucoup qui ne sont absolument pas couvertes par toutes ces restrictions-là et qui créent donc de la capacité dans d’autres administrations mais aussi à l’extérieur de l’administration.
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<b>Cyrille Chaudoit : </b>Juste pour qu’on résume, parce ça me semble hyper fondateur pour ceux qui nous écoutent. Objectivement, l'<em>open data</em> ça me parlait, évidemment, mais je pense que je ne connaissais pas un dixième de ce que ça couvre exactement. Donc, là, on touche un point hyper important.<br/>
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On a reçu, il y a quelques émissions de cela, Henri Verdier qui nous parlait, justement, de l’État plateforme, tu t’en doutes, qui nous expliquait très bien que quand on est chez Facebook on n’est plus sur le Web, on est véritablement chez Facebook avec ses frontières, avec ses lois, etc. Ce que l’on comprend déjà là, en creux, c’est que l'<em>open data</em>, le fait de mettre à disposition les données publiques, c’est finalement un gage de partage et de liberté dans un sens. Maintenant que tu nous as posé la définition, en tout cas la philosophie de l'<em>open data</em>, j’aimerais bien que tu reviennes peut-être deux secondes sur le but, l’enjeu à la fin de tout cela et aussi comment ça marche un petit peu.
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<b>Laure Lucchesi : </b>Absolument. On peut le prendre sous plusieurs angles et c’est ça qui est intéressant.<br/>
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L’<em>open data</em>, encore une fois, et là on parle dans l’univers du service public et des données de l’administration, mais ça s’applique à n’importe quel type d’organisation, c’est une stratégie, ce n’est pas une obligation réglementaire ou légale en France.
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<b>Cyrille Chaudoit : </b>Une boîte privée peut mettre à disposition sa data ?, c’est ce que tu veux dire.
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<b>Laure Lucchesi : </b>Oui. On voit plein d’acteurs privés qui ouvrent, qui partagent leurs données, celles qu’ils choisissent, qui les rendent justement disponibles à d’autres, là encore pourra attirer un écosystème d’innovations qui vient compléter, augmenter, les services que cette organisation-là propose. C’est un premier angle de l'<em>open data</em>, c’est de dire : en partageant mes données, je vais pouvoir prolonger, amplifier, créer d’autres services qui vont venir compléter ce que je suis en train de faire dans ma stratégie d’écosystème.
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<b>Cyrille Chaudoit : </b>Oui. D’autres vont jouer jeu, vont innover, donc, quelque part, j’en retire quelque chose moi aussi.
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<b>Laure Lucchesi : </b>Exactement. C’est ce qu’on voit par exemple sous forme de <em>store</em> dans certaines applications. C’est donc un premier angle, c’est celui qui crée de l’innovation et qui crée aussi de la valeur économique dont l’acteur qui met à disposition ses données récupère une partie. C’est un premier angle.<br/>
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Il y a un autre angle qui est plutôt celui de la transparence ou de rendre compte. On rend disponibles sous forme de données, et ça change quand même un peu la donne, un certain nombre d’informations sur son activité. Là aussi, ça peut être fait par des entreprises qui publient un certain nombre de données sur leur activité et c’est fait aussi par l’État. C’est donc une façon de rendre compte et de donner à voir ce que fait l’administration et le service public. Par exemple, les données qui sont publiées sur les résultats des élections, sur la propagation de l’épidémie qu’on a connue avec le Covid, sur la vaccination. Ce sont aussi toutes les statistiques publiques qui sont un reflet de ce que fait l’État. Il y a donc un autre axe, qui est celui de la transparence, mais cette fois sous forme de ressources numériques ; c’est le fait que ce soient des données et pas seulement comme si on avait accès à un document administratif sur papier. C’est là que l’ère de la donnée change la donne : on peut croiser ces données, les analyser, en faire autre chose, donc ça donne un contre-pouvoir démocratique qui permet, notamment aussi à des journalistes, à des médias, de les vérifier et de réinterroger ce que fait l’État.
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<b>Cyrille Chaudoit : </b>Un État qui communiquerait sur son bilan ou sur des chiffres, mais avec un rapport tout fait, on peut le lire. Par contre, filer de la donnée brute, on peut en faire autre chose et vérifier qu’on ne nous raconte pas des carabistouilles.
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<b>Laure Lucchesi : </b>Exactement.
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<b>Mick Levy : </b>Justement. La France a été parmi les pays pionniers de l'<em>open data</em> et sur le podium des pays les plus avancés en termes de data depuis des années et des années. D’ailleurs cette année, depuis quelques semaines, nous sommes à nouveau le premier pays de l'<em>open data</em>. Pourquoi la France s’est-elle lancée dans une telle course ? Quels en sont les enjeux, les avantages ?
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<b>Thibaut le Masne : </b>Sommes-nous nombreux dans la course ?
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<b>Laure Lucchesi : </b>Nous sommes assez nombreux dans la course. Beaucoup de pays sont évalués dans ces classements. Ces classements internationaux donnent une image et un reflet. Quand la méthodologie ne change pas, ça peut quand même arriver, ça permet aussi, d’année en année, de voir justement des évolutions, des fermetures parce que tout cela n’est pas immuable, il y a quand même un vrai sujet aussi.<br/>
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On a effectivement un certain nombre de classements internationaux qui regardent comment les données publiques sont ouvertes par les administrations, donc, à la fois, quels sont les types de données qui sont mises à disposition, qui sont rendues accessibles, sous quelle forme, si ces données-là sont bien documentées, sont bien réutilisables, si elles sont sur un portail ou une plateforme avec une bonne expérience utilisateur, qui a un certain nombre de caractéristiques. Il y a beaucoup de classements qui sont très complets.<br/>
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La France ne fait pas forcément la course à la pole position même si c’est toujours agréable !
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<b>Cyrille Chaudoit : </b>On aime bien être les premiers de temps en temps.
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<b>Laure Lucchesi : </b>Exactement. Encore une fois, quand on régresse, on peut aussi se demander pourquoi, ça dit aussi quelque chose de l’état de la démocratie.
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<b>Mick Levy : </b>En même temps, une commission sur l’IA a été commandée par le gouvernement. Elle a remis son rapport il y a quelques jours, rappelons que nous sommes mi-mars 2024, qui dit qu’on ne fait pas assez d’efforts et qu’il faut encore accélérer sur ce sujet de l'<em>open data</em>. J’ai trouvé ça assez étonnant puisque nous sommes déjà les premiers.
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<b>Cyrille Chaudoit : </b>Maintenant il faut le rester ! C’est ça le truc !
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<b>Laure Lucchesi : </b>Il y a toujours plus à faire. Il y a quand même beaucoup de données qu’on considère comme des registres ou des données essentielles qui sont déjà disponibles, c’est à ce titre-là que la France est plutôt bien classée, mais il y a encore d’énormes bases de données, de gisements possibles qui ne sont pas encore ouverts ou qui ne le sont pas justement avec des qualités suffisantes de mise à disposition. Le travail est donc immense et, à fortiori aussi à l’heure de l’IA où il y a des choses nouvelles qui peuvent effectivement s’imaginer.
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<b>Mick Levy : </b>Tu nous sers une transition sur un plateau, puisque nous allons retrouver Virginie Matins de Nobrega pour Débats en Technocratie.
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==Débats en Technocratie – « En ligne comme Hors ligne » 18’50==
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<b>Mick Levy : </b>Alors, Virginie,

Version du 4 mai 2024 à 13:56


Titre : Les coulisses de Cause Commune

Intervenant·e·s : Laure Luchesi - Virginie Matins de Nobrega - Fabienne Billat - Cyrille Chaudoit - Mick Levy - Thibaut le Masne

Lieu : Trench Tech

Date : 17 avril 2024

Durée : 1 h 04 min 46

Podcast

Présentation du podcast

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À prévoir

NB : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.


Description

Et si l’Open Data nous permettait de réinventer le pouvoir politique face aux géants de la tech ?

Transcription

Diverses voix off : Punaise, j’ai trop hâte de ce nouvel épisode.
Encore une bière. C’est open bar !
Thibaut, tu bois encore une bière ? C’est open bar. On y va.
Les gars, aujourd’hui c’est open data et ça, c’est vraiment d’utilité publique.
open data d’accord, open data.

Diverses voix off, série Silicon Valley : On pourrait construire une version absolument décentralisée de notre Internet actuel. Ça veut dire pas de firewalls, ni de restrictions, ni de mainmise par des gouvernements. Aucune limite, que de l’information, totalement libre et gratuite dans tous les sens du terme.
Tu veux construire un nouvel Internet ?

Voix off : Trench Tech. Esprits Critiques pour Tech Éthique.

Cyrille Chaudoit : Hello. Cyrille Chaudoit au micro. Oui, vous êtes bien dans Trench Techavec bien sûr, à mes côtés, Thibaut le Masne.

Thibaut le Masne : Hello ! Hello !

Cyrille Chaudoit : Et Mick Levy.

Mick Levy : Yo ! Yo !

Cyrille Chaudoit : D’abord un petit mot pour toi qui nous écoutes. Merci. Vous êtes de plus en plus nombreuses et nombreux à nous écouter, alors continue, toi, toi et toi aussi, de partager nos épisodes pour partager l’esprit critique pour une tech éthique.
Messieurs, qui a reconnu l’extrait qu’on vient d’entendre ?

Thibaut le Masne : La série Silicon Valley.

Cyrille Chaudoit : Bravo Thibaut ! Et pourquoi cet extrait, à votre avis ?

Mick Levy : Parce que notre invitée y a débuté sa carrière, peut-être.

Cyrille Chaudoit : Exact, du coup ça tombe à pic, pas vrai Mick ? Oui je sais !, parce que dans cet épisode on va se demander quelle place pourrait jouer l'open data dans la construction d’un numérique au service de l’émancipation citoyenne et cela en contrepoint, ou pas, de la mainmise des Big Tech sur toutes nos données.
Laure Lucchesi a donc d’abord été envoyé dans la Silicon Valley pour le compte de l’ambassade de France aux USA, avant de mener des projets d’innovation dans les télécoms, les médias et la banque en Afrique et en Inde puis de devenir directrice d’Etalab, pendant sept ans, de 2016 à 2023. Rappelons qu’Etalab est le département du Premier ministre chargé de l’innovation et de la transformation numérique du service et de l’action publique et grâce aux données. Puisque Laure aide désormais les entreprises à accélérer leur transformation data et IA, on peut dire que c’est l’invitée idéale, car elle maîtrise les deux facettes, publique et privée.
C’est vrai après tout l’esprit critique, c’est, d’un côté, questionner cette manie que les géants de la tech ont de privatiser la mise en données de toute chose en ce bas monde, mais aussi de se demander en quoi les données publiques sont un bien commun comme un autre, qu’il faudrait mettre à la disposition de tous, y compris, d’ailleurs, d’acteurs privés, y compris les géants de la tech. Vous me suivez ? Ça va ?

Mick Levy : On va quand même approfondir tout ça !

Cyrille Chaudoit : Bref ! Nous commencerons donc par revenir sur le parcours de Laure pour voir quels liens elle fait entre les stratégies observées dans la Silicon Valley et celles poursuivies par l’État français en matière de données ouvertes. Ensuite, nous tenterons un état des lieux du numérique public, pour enfin nous demander en quoi mettre à disposition la data redonne du pouvoir à la société civile. Mais ce n’est pas tout, deux chroniques que vous adorez viendront compléter le décor : « Débats en Technocratie » de Virginie Matins de Nobrega et le fameux « Patch Tech » de Fabienne Billat.

Mick Levy : Ça fait longtemps qu’on ne l’a pas entendue.

Cyrille Chaudoit : Grand retour, exactement, c’est pour cela qu’on se rejouit. Et dans maintenant moins d’une heure, chers amis, nous débrieferons juste entre vous et nous, cher public, des idées clés partagées avec Laure dans cet épisode. Restez donc jusqu’au bout. Vous êtes prêts ?

Mick Levy : Je suis méga prêt, carrément.

Cyrille Chaudoit : Alors, sans plus tarder, accueillons la dompteuse de données publiques, comme l’a nommée le JDD. Bonjour Laure.

Laure Lucchesi : Bonjour !

Mick Levy : Salut Laure.

Thibaut le Masne : Bonjour Laure.

Cyrille Chaudoit : Laure, nous sommes ravis de t’accueillir. On se tutoie ?

Laure Lucchesi : Avec plaisir.

Cyrille Chaudoit : Alors c’est parti pour notre grand entretien, vous êtes bien dans Trench Tech et ça commence maintenant.

Voix off : Trench Tech. Esprits Critiques pour Tech Éthique.

De la Silicon Valley à l’innovation publique 3’56

Mick Levy : Laure, on l’a dit, tu as expérimenté la culture de l’innovation de la Silicon Salley puis, de retour en France, tu cherches finalement à appliquer ses stratégies innovantes au service public de la France. Laure, finalement, comment la Silicon Valley a-t-elle influencé ta vision de l’innovation ? Grande question.

Laure Lucchesi : Ça a été vraiment marquant pour moi. En fait, je suis sortie d’école en 2001, juste après le 11 septembre, la crise, et j’ai eu l’occasion de travailler pour le département économique de l’ambassade de France en Californie, à San Francisco, où je couvrais le secteur des médias et de l'entertainment comme on dit aux États-unis. C’était juste après l’éclatement de la bulle internet aussi, c’était donc vraiment une phase de transition. J’ai pu prendre la mesure de l’ampleur avec laquelle la technologie disruptait, percutait de plein fouet tout un secteur et toute une industrie, puisque c’était à la fois le moment où il y avait la numérisation des réseaux, on commençait à voir la distribution des contenus sur le câble numérique ou les réseaux satellites, l’arrivée de nouveaux acteurs. À l’époque, un acteur envoyait des DVD par la poste, qui s’appelait Netflix.

Mick Levy : Laurent Guérin nous a fait une jolie chronique, « Un moment d’égarement », il n’y a pas si longtemps avec le fail, qui s’en est suivi sur cette activité. Intéressant que tu le rappelles.

Laure Lucchesi : C’était très compliqué. J’avais rencontré Reed Hastings et on savait déjà que sa vision c’était de devenir une tech company et de faire de la vidéo à la demande sur Internet. C’était aussi les User Generated Contents qui changeaient aussi complètement la façon dont les contenus étaient produits et distribués, percutaient le modèle des studios. Bref, je me suis rendu compte que la technologie disruptait complètement l’économie, la société et les rapports de pouvoir. Ça m’a évidemment profondément marquée. Après deux ans, je suis rentrée en France et là j’ai eu l’occasion de travailler sur des grands projets de transformation dans les médias, dans les télécoms, dans les services financiers aussi, à la fois en France et un peu partout dans le monde. Après avoir eu toute cette expérience, j’ai eu l’occasion de mettre ce savoir-faire et ces compétences au service de la transformation de l’action publique, de l’action de l’État, en entrant par ce qui était ce petit sujet de l'open data.

Mick Levy : Finalement la Silicon Valley, tu l’as dit, cherchait à disrupter tout un tas d’industries, je mets « industries » entre guillemets, et parmi toutes les industries que cherchait à disrupter la Silicon Valley, il y a aussi le service public, l’action publique, il y a plein de fois où ils sont venus un peu en percussion avec la façon dont se faisait l’action publique. Toi, finalement, qu’est-ce que tu as souhaité prendre ? Quelles sont les leçons, finalement, que tu as apprises et que tu as voulu ensuite appliquer pour l’action publique en particulier chez Etalab ?

Laure Lucchesi : Ce sont vraiment beaucoup de choses. Ce qui était fascinant, c’est, évidemment, cette capacité à agir vite, à tester, à itérer, à partir petit et à développer plus largement des services, donc, à la base, ce sont des méthodes agiles qu’on a ensuite appliquées dans l’administration, c’est un premier sujet. Il y avait aussi, qui est né aux États-Unis entre le début des années 2000 et 2010, cette théorie d’agir comme une plateforme et ça a été vraiment fondateur et c’est ce qu’on a amené en entrant par le sujet de l'open data : se dire que les stratégies gagnantes, à l’heure d’Internet, ce sont celles des plateformes qui ont plus de valeur qu’une application puisqu’elles attirent dans un écosystème, dans un environnement qu’elles maîtrisent, la capacité de contribution, la création de valeur selon des règles qu’elles définissent.
Le parallèle a été fait aussi avec ce que peut être l’action publique, l’action d’un gouvernement, qui, lui-même, peut agir comme une plateforme et amener à lui de la contribution, de la capacité d’innovation.

Thibaut le Masne : Je ne peux pas m’empêcher de te poser quand même cette question : quand on parle d’agilité et de scalabilité on va dire des start-ups ou des Big Tech et de l’agilité, de la souplesse d’un État, je ne peux pas m’empêcher de dire que ce n’est pas tout à fait la même chose !

Laure Lucchesi : Bien sûr. Évidemment que l’administration est tenue par des règles, par des obligations aussi qui lui sont propres : la continuité du service public, l’égalité devant le service public, typiquement, elle ne peut pas choisir ses clients comme pourrait le faire, justement, une start-up ou une entreprise. Mais elle est aussi tenue par un troisième principe du service public qui est celui de l’adaptation et de la mutabilité. Elle, doit donc à la fois fournir et produire le service public correspondant, d’un côté, aux attentes de la société, mais aussi au progrès technique. Ça a été vrai pour un certain nombre de révolutions par le passé, et c’est vrai aussi pour l’adaptation de la technologie.
En fait, l’administration a aussi le devoir de mettre à jour son propre logiciel et de saisir les opportunités du numérique pour agir différemment.

Mick Levy : Justement, Laure, j’ai une petite question là-dessus : tu as évoqué la notion de plateforme. Déjà, la notion de plateforme, pour les Big Tech, n’est pas toujours bien comprise, il y a beaucoup d’éléments. Finalement ce sont des services, c’est le fait de fournir des services racines, qui sont racines de plein d’autres services, c’est le fait d’une espèce de coopétition avec beaucoup d’acteurs, c’est le fait de donner des services élémentaires qui peuvent être réutilisés d’une autre manière. Est-ce que tu peux le définir et puis surtout comment on le transcrit dans la notion de l’État plateforme, sur laquelle tu arrives derrière ?

Laure Lucchesi : Justement, tu parles de services, mais, finalement, c’est presque l’inverse, c’est-à-dire que souvent les grandes plateformes, Facebook, Amazon, ont commencé par un service et, petit à petit, elles s’en sont écartées pour fournir une infrastructure, des règles, notamment des modèles économiques, pour attirer l’innovation à l’intérieur d’un écosystème et d’un environnement qui étaient à leurs mains et qu’elles contrôlaient. C’est ça qui fait la différence. Si on transpose ça à ce que ferait un État, et ça a été théorisé en 2010 par Tim O'Reilly dans Government as a Platform, c’est vraiment cette notion de fournir une infrastructure et des règles dans le monde numérique, sur laquelle des services, y compris des services créés par des tiers, qui ne sont pas l’administration, peuvent venir s’installer. Si on fait le parallèle, c’est comme si, à l’échelle d’une ville, on organisait l’infrastructure, on fournissait la route, on définissait les règles du code de la route et, par-dessus ça, vient se créer une infrastructure économique, des bâtiments.
La notion d’état plateforme c’est celle-ci et ça veut dire qu’on considère que toutes les ressources numériques, les données, les API, le code, qui peuvent être, qui sont déjà produites par les systèmes d’information de l’État, tout ce qui peut être ouvert et rendu réutilisable, donc utilisable par d’autres, doit l’être ; ça doit être ouvert et partagé, parce que ça devient capacitaire, ça démultiplie la valeur et même, du coup, ça donne des nouvelles vies à des données qui sont déjà financées par l’impôt et produites par l’administration, sous réserve, bien sûr, des données qui sont confidentielles ou protégées par des secrets, on n’en parle pas, mais il y en a beaucoup qui ne sont absolument pas couvertes par toutes ces restrictions-là et qui créent donc de la capacité dans d’autres administrations mais aussi à l’extérieur de l’administration.

Cyrille Chaudoit : Juste pour qu’on résume, parce ça me semble hyper fondateur pour ceux qui nous écoutent. Objectivement, l'open data ça me parlait, évidemment, mais je pense que je ne connaissais pas un dixième de ce que ça couvre exactement. Donc, là, on touche un point hyper important.
On a reçu, il y a quelques émissions de cela, Henri Verdier qui nous parlait, justement, de l’État plateforme, tu t’en doutes, qui nous expliquait très bien que quand on est chez Facebook on n’est plus sur le Web, on est véritablement chez Facebook avec ses frontières, avec ses lois, etc. Ce que l’on comprend déjà là, en creux, c’est que l'open data, le fait de mettre à disposition les données publiques, c’est finalement un gage de partage et de liberté dans un sens. Maintenant que tu nous as posé la définition, en tout cas la philosophie de l'open data, j’aimerais bien que tu reviennes peut-être deux secondes sur le but, l’enjeu à la fin de tout cela et aussi comment ça marche un petit peu.

Laure Lucchesi : Absolument. On peut le prendre sous plusieurs angles et c’est ça qui est intéressant.
L’open data, encore une fois, et là on parle dans l’univers du service public et des données de l’administration, mais ça s’applique à n’importe quel type d’organisation, c’est une stratégie, ce n’est pas une obligation réglementaire ou légale en France.

Cyrille Chaudoit : Une boîte privée peut mettre à disposition sa data ?, c’est ce que tu veux dire.

Laure Lucchesi : Oui. On voit plein d’acteurs privés qui ouvrent, qui partagent leurs données, celles qu’ils choisissent, qui les rendent justement disponibles à d’autres, là encore pourra attirer un écosystème d’innovations qui vient compléter, augmenter, les services que cette organisation-là propose. C’est un premier angle de l'open data, c’est de dire : en partageant mes données, je vais pouvoir prolonger, amplifier, créer d’autres services qui vont venir compléter ce que je suis en train de faire dans ma stratégie d’écosystème.

Cyrille Chaudoit : Oui. D’autres vont jouer jeu, vont innover, donc, quelque part, j’en retire quelque chose moi aussi.

Laure Lucchesi : Exactement. C’est ce qu’on voit par exemple sous forme de store dans certaines applications. C’est donc un premier angle, c’est celui qui crée de l’innovation et qui crée aussi de la valeur économique dont l’acteur qui met à disposition ses données récupère une partie. C’est un premier angle.
Il y a un autre angle qui est plutôt celui de la transparence ou de rendre compte. On rend disponibles sous forme de données, et ça change quand même un peu la donne, un certain nombre d’informations sur son activité. Là aussi, ça peut être fait par des entreprises qui publient un certain nombre de données sur leur activité et c’est fait aussi par l’État. C’est donc une façon de rendre compte et de donner à voir ce que fait l’administration et le service public. Par exemple, les données qui sont publiées sur les résultats des élections, sur la propagation de l’épidémie qu’on a connue avec le Covid, sur la vaccination. Ce sont aussi toutes les statistiques publiques qui sont un reflet de ce que fait l’État. Il y a donc un autre axe, qui est celui de la transparence, mais cette fois sous forme de ressources numériques ; c’est le fait que ce soient des données et pas seulement comme si on avait accès à un document administratif sur papier. C’est là que l’ère de la donnée change la donne : on peut croiser ces données, les analyser, en faire autre chose, donc ça donne un contre-pouvoir démocratique qui permet, notamment aussi à des journalistes, à des médias, de les vérifier et de réinterroger ce que fait l’État.

Cyrille Chaudoit : Un État qui communiquerait sur son bilan ou sur des chiffres, mais avec un rapport tout fait, on peut le lire. Par contre, filer de la donnée brute, on peut en faire autre chose et vérifier qu’on ne nous raconte pas des carabistouilles.

Laure Lucchesi : Exactement.

Mick Levy : Justement. La France a été parmi les pays pionniers de l'open data et sur le podium des pays les plus avancés en termes de data depuis des années et des années. D’ailleurs cette année, depuis quelques semaines, nous sommes à nouveau le premier pays de l'open data. Pourquoi la France s’est-elle lancée dans une telle course ? Quels en sont les enjeux, les avantages ?

Thibaut le Masne : Sommes-nous nombreux dans la course ?

Laure Lucchesi : Nous sommes assez nombreux dans la course. Beaucoup de pays sont évalués dans ces classements. Ces classements internationaux donnent une image et un reflet. Quand la méthodologie ne change pas, ça peut quand même arriver, ça permet aussi, d’année en année, de voir justement des évolutions, des fermetures parce que tout cela n’est pas immuable, il y a quand même un vrai sujet aussi.
On a effectivement un certain nombre de classements internationaux qui regardent comment les données publiques sont ouvertes par les administrations, donc, à la fois, quels sont les types de données qui sont mises à disposition, qui sont rendues accessibles, sous quelle forme, si ces données-là sont bien documentées, sont bien réutilisables, si elles sont sur un portail ou une plateforme avec une bonne expérience utilisateur, qui a un certain nombre de caractéristiques. Il y a beaucoup de classements qui sont très complets.
La France ne fait pas forcément la course à la pole position même si c’est toujours agréable !

Cyrille Chaudoit : On aime bien être les premiers de temps en temps.

Laure Lucchesi : Exactement. Encore une fois, quand on régresse, on peut aussi se demander pourquoi, ça dit aussi quelque chose de l’état de la démocratie.

Mick Levy : En même temps, une commission sur l’IA a été commandée par le gouvernement. Elle a remis son rapport il y a quelques jours, rappelons que nous sommes mi-mars 2024, qui dit qu’on ne fait pas assez d’efforts et qu’il faut encore accélérer sur ce sujet de l'open data. J’ai trouvé ça assez étonnant puisque nous sommes déjà les premiers.

Cyrille Chaudoit : Maintenant il faut le rester ! C’est ça le truc !

Laure Lucchesi : Il y a toujours plus à faire. Il y a quand même beaucoup de données qu’on considère comme des registres ou des données essentielles qui sont déjà disponibles, c’est à ce titre-là que la France est plutôt bien classée, mais il y a encore d’énormes bases de données, de gisements possibles qui ne sont pas encore ouverts ou qui ne le sont pas justement avec des qualités suffisantes de mise à disposition. Le travail est donc immense et, à fortiori aussi à l’heure de l’IA où il y a des choses nouvelles qui peuvent effectivement s’imaginer.

Mick Levy : Tu nous sers une transition sur un plateau, puisque nous allons retrouver Virginie Matins de Nobrega pour Débats en Technocratie.

Débats en Technocratie – « En ligne comme Hors ligne » 18’50

Mick Levy : Alors, Virginie,