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'''Titre :''' « Le numérique est politique plus que technologique »
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Publié [https://www.april.org/le-numerique-est-politique-plus-que-technologique-emmanuelle-roux ici] - Mai 2018
 
 
'''Intervenants :''' Emmanuelle Roux - Blaise Mao - Vincent Lucchese
 
 
 
'''Lieu :''' Usbek & Rica, podcast#20
 
 
 
'''Date :''' avril 2018
 
 
 
'''Durée :''' 53 min 53
 
 
 
'''[https://usbeketrica.com/article/le-numerique-est-politique-plus-que-technologique Écouter le podcast]'''
 
 
 
'''Licence de la transcription :''' [http://www.gnu.org/licenses/licenses.html#VerbatimCopying Verbatim]
 
 
 
'''NB :''' <em>transcription réalisée par nos soins. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas forcément celles de l'April.</em>
 
 
 
'''Statut :''' Transcrit MO
 
 
 
==Description==
 
 
 
Pionnière du mouvement des fablabs en France, Emmanuelle Roux est sur tous les fronts pour oeuvrer à la démocratisation de ce qu'elle appelle la « culture numérique ». Une mission d'autant plus urgente et complexe qu'elle estime que ce ne sont pas 20% mais bien 90% des Français qui sont « des illetrés numériques ».
 
 
 
Combien de Français savent ce qu'est une API ? Combien d'entre eux ont déjà consulté le code source d'un logiciel ? Et combien ont une idée ne serait-ce qu'approximative de ce qu'est une blockchain ? Depuis plus de vingt ans qu'elle oeuvre à la diffusion de la culture numérique, Emmanuelle Roux a pu constater à quel point l'illetrisme en la matière transcende les générations, les milieux sociaux et les secteurs professionnels.
 
 
 
==Transcription==
 
 
 
<b>Voix off : </b>Usbek & Rica le podcast qui explore le futur.
 
 
 
<b>Blaise Mao : </b>Salut les « turfos ». Salut les « turfoses ». Bienvenue dans cette nouvelle émission du podcast d’Usbek & Rica, le podcast qui explore le futur. Aujourd’hui on va parler d’ordinateurs, on va parler de cartes Arduino, on va parler d’imprimantes 3D, bref, on va parler de machines et d’outils numériques, mais on va aussi et surtout parler de l’enseignement du code à l’école, des promesses et des limites d’Internet et de la culture <em>maker</em>, ainsi que du basculement possible de la société de consommation à la société de contribution.
 
 
 
Autrement dit, plus que d’outils numériques, aujourd’hui on va parler surtout de culture numérique et on va en parler avec une femme qui consacre justement tout son temps et toute son énergie à œuvrer à la diffusion de cette culture numérique. Cette femme est une pionnière du mouvement des <em>fab labs</em> en France. Elle est à l’origine, notamment de la création du FacLab de l’université de Cergy-Pontoise. Elle a créé aussi, tout récemment, Le Chaudron, un accélérateur de compétences numériques pour favoriser l’apprentissage du code et des nouvelles technologies au sein des entreprises et auprès des particuliers. Elle a ouvert aussi tout récemment zBis, un <em>fab lab</em> de 400 m² dans la zone industrielle de Saint Georges de Montaigu, en Vendée, pour faire de ce territoire, la Vendée, un laboratoire de la démocratisation numérique. Bref, un CV bien chargé pour une femme qui croit dur comme fer que nous sommes déjà entrés dans la troisième révolution industrielle, qui ne croit pas à la notion de <em>digital native</em>, qui n’aime pas trop de se définir comme technophile, on va y revenir, et qui pense que ce ne sont pas 15 % mais 90 % des Français qui sont analphabètes numériquement parlant. Cette femme c’est Emmanuelle Roux. Bonjour Emmanuelle Roux.
 
 
 
<b>Emmanuelle Roux : </b>Bonjour.
 
 
 
<b>Blaise Mao : </b>À mes côtés, pour vous interroger aujourd’hui, Vincent Lucchese, journaliste à la rédaction d’Usbek & Rica. Salut Vincent.
 
 
 
<b>Vincent Lucchese :</b>Salut Blaise.
 
 
 
<b>Blaise Mao : </b>On va tout de suite rentrer, j’ai ouvert plein de portes possibles, on va tout de suite rentrer dans la première, c’est votre grande mission, celle que vous vous êtes assignée, c’est celle de la démocratisation du numérique. Vous avez dit un jour, dans une interview, que le numérique n’est pas un outil mais une culture qui exige des pratiques. Ça veut dire quoi exactement ? En quoi consiste cette grammaire du numérique ?
 
 
 
<b>Emmanuelle Roux : </b>Le numérique, je le dis aujourd’hui, parfois autrement, le numérique n’est pas technologique, il est d’abord politique et culturel. Politique et culturel, car il réinvente à la fois la manière de vivre ensemble, et on pourra en échanger, et, en même temps, culturel, parce que c’est une manière de faire, c’est une manière de produire, c’est une manière d’être, c’est une manière de construire son rapport au monde. Donc vraiment un sens culturel au sens de celui du rapport au monde à construire et à bâtir. C’est un rapport au monde dans lequel je suis passée, enfant, comme vous l’avez précisé effectivement, d’un moment où j’avais un ordinateur et un livre à, dix ans plus tard, j’avais accès à tous les codes sources de tous ceux qui avaient publié sur Internet, en faisant un clic droit, afficher le code source, et être capable de pouvoir étudier, utiliser, copier et redistribuer ce code, mondialement, pour faire ensemble. Et donc cette culture du partage, cette culture de l’exploration, je crois qu’on est bien placé ici pour en parler, cette culture, effectivement, du faire d’abord, c’est tout ça qui est derrière ça.
 
 
 
<b>Blaise Mao : </b>Le numérique vous dites souvent que c’est un terrain hostile au départ, un peu comme un espace naturel hostile. Ça veut dire quoi exactement ? Ce numérique n’est pas facile à appréhender ? Au départ c’est vraiment un territoire sauvage ?
 
 
 
<b>Emmanuelle Roux : </b>Oui. Pour des gens comme vous et moi, à priori, c’est un espace où on s’y est trouvé naturellement rapidement, mais en fait, pour une très grande partie de la population, ce que j’ai pu observer ces différentes années et particulièrement à travers l’ouverture de nombreux lieux, de nombreux <em>fab labs</em>, c’est que pour la majorité de la population, ce monde est hostile. Il est hostile parce qu’on a peur de s’y perdre. On le trouve compliqué. On a peur d’y mal faire ; on a peur de s’y blesser numériquement ; on a peur de se tromper, évidemment, on ne sait pas par où commencer et donc, pour beaucoup, beaucoup de nos concitoyens, arrêtons de croire que c’est un monde magique et que la technologie résoudra tout. C’est un monde anxiogène et c’est un monde qui leur parait hostile et je pense qu’on a un devoir de leur faciliter la route pour se l’approprier.
 
 
 
<b>Blaise Mao : </b>Est-ce que vous avez des exemples de cette hostilité ? Est-ce que vous avez des exemples d’expériences – et ça touche d’ailleurs pas forcément des populations âgées ou des classes sociales défavorisées – de gens qui sont analphabètes numériquement ? Ça veut dire quoi ?
 
 
 
<b>Emmanuelle Roux : </b>Le mot analphabète ou illettré. Je distinguerais les deux.
 
 
 
<b>Blaise Mao : </b>Oui il y en certains qui parlent d’illectronisme, d’ailleurs. C’est un terme pour dire analphabétisme numérique. C’est un terme qui vous convient ?
 
 
 
<b>Emmanuelle Roux : </b>Oui. L’analphabétisme, on va être sur des gens qui sont vraiment très éloignés voire en incapacité de décrypter les premiers signes. L’illettrisme, c’est quelqu’un qui n’est pas en capacité d’interpréter ce qu’il sait lire, en fait ; je ne suis pas une spécialiste de la question.
 
 
 
<b>Blaise Mao : </b>La distinction est importante.
 
 
 
<b>Emmanuelle Roux : </b>La distinction est importante. La statistique qu’on nous renvoie régulièrement, de 20-23 % de la population qu’on dit habituellement en illettrisme, mais c’est, en fait, une population en analphabétisme, c’est-à-dire en incapacité d’aller au bout d’un formulaire administratif. La population dont je parle, c’est plutôt la plupart des gens dans l’arrondissement parisien dans lequel nous sommes qui ont l’impression presque de s’en sortir parce que, parfois, ils ont un compte Facebook, et je crois qu’on est dans l’actualité cette semaine, ou qu’ils savent faire une recherche sur Internet et ils ont un smartphone dans la poche et ils ont peut-être même un ordinateur portable. Pour autant, aujourd’hui, si on leur parle API, si on parle blockchain, si on parle intelligence artificielle, si on parle du poids de la data, si on leur demande, quand ils sont dirigeants d’entreprise comme j’en fréquente beaucoup et que je leur demande systématiquement en conférence « est-ce que vous êtes propriétaire du code source des logiciels qui font tourner vos usines », ils pilotent des millions, mais ils n’en savent rien ! Donc ils n’ont pas fait le choix d’un code source libre ou d’un code source propriétaire ; ils ne savent juste pas en fait !
 
 
 
Ce que j’appelle une population en situation d’illettrisme technologique ce sont ces professeurs, que j’adore en parallèle, j’aime beaucoup tout ce qui est la pédagogie, mais qui, pour autant, ne se battent pas contre le fait de demander aux enfants, qui sont acteurs d’un système dans lequel on a mis en place un cartable électronique. Et donc on est en train d’enseigner à nos gosses le fait que oui, il est normal qu’une autorité donne leurs notes, sans leur avis, à leurs parents. Et si vous voulez, la plupart des profs le font de manière très volontaire pour faciliter la vie des parents pour accéder aux notes. Mais ils ne se sont jamais dit que le poids éducatif c’est qu’on est en train d’apprendre aux enfants que leurs données ne leur appartiennent pas. Quand nous, on remettait ou pas le bulletin de notes à nos parents, voire on le planquait, voire on le truquait, eh bien nos enfants, on ne leur donne plus le choix de se bâtir une relation à l’autorité, une relation au monde. On leur vole ça et on donne leurs données à un tiers sans même leur demander leur consentement. Et ça, la majorité des profs ne l’ont jamais vu comme étant un sujet ni politique ni pédagogique. Et donc, ils sont en situation d’illettrisme puisqu’ils ne sont pas capables de comprendre et décrypter les enjeux qui se cachent derrière les outils que nous utilisons tous au quotidien, tous ou presque.
 
 
 
<b>Vincent Lucchese :</b>Justement. Bonjour Emmanuelle Roux.
 
 
 
<b>Emmanuelle Roux : </b>Bonjour.
 
 
 
<b>Vincent Lucchese :</b>Vous parlez du cas des écoles et des enfants. Il y a le terme qu’on utilise beaucoup et que vous n’acceptez pas, vous, c’est celui de <em>digital native</em>. On a l’impression, souvent, que les nouvelles générations naissent avec des tablettes dans les mains. Les parents donnent facilement une tablette pour se faciliter la vie, pour distraire leurs enfants. Pourtant, ça ne vous semble pas être un élément pertinent pour parler d’une génération qui soit facilement acculturée ou naturellement acculturée au numérique. Pour vous c’est pas quelque chose de très concret aujourd’hui.
 
 
 
<b>Emmanuelle Roux : </b>Exact. Exact sur deux plans. Le premier plan c’est quand j’entends des gens, alors que ce soit dans les ministères, dans les entreprises, dans les universités, j’ai la chance de fréquenter les trois mondes, qui ont la cinquantaine et qui me disent : « Écoutez Emmanuelle, pas de problème, de toutes façons les <em>digital natives</em> arrivent, ils vont faire le monde, ils vont prendre les sujets en main, ce n’est pas la peine qu’on s’y mette. » Donc va parler d’abord du <em>digital native</em> qui a plutôt 25-30-20, voilà, qui arrive dans la vie active.
 
 
 
<b>Vincent Lucchese :</b>Millénium, le fameux millénium.
 
 
 
<b>Emmanuelle Roux : </b>Voilà, le fameux. La réalité c’est quoi ? Il a grandi dans la même école et dans le même rapport autorité que nous, plutôt que nous, ici. C’est-à-dire que, littéralement, il a rendu des copies individuelles. Moi, mes gamins de six ans, on continue à leur dire, quand le petit rentre de l’école et dit à son frère : « Éloi ce n’est pas bien, tu as copié, tu as triché ! » C’est-à-dire qu’à nos gosses, en ce moment, on apprend encore que faire une copie à plusieurs, partager, mettre en commun, participer, contribuer au travail de l’autre, en fait, c’est mal. Vous voyez ! Celui qui a 20 ans, si mon gamin, maintenant il en 10, mais si mon gamin est encore impacté par ça, celui qui a 20-25 ans, quand il sort en ce moment à 25 ans des grandes écoles françaises, quand il sort de l’ordre des experts comptables ou autre, il a appris le monde d’avant. Donc ça, effectivement, croire que les <em>digital natives</em> auraient un autre rapport au monde, à la propriété, à la capacité de faire ensemble, au partage, à la mondialisation, etc., c’est faux !
 
 
 
<b>Vincent Lucchese :</b>Il y a quand même une acculturation en dehors de l’école. Il n’y a pas que l’école qui donne cette culture, potentiellement, de monde open, libre et de collaboratif.
 
 
 
<b>Emmanuelle Roux : </b>Oui. Et du coup on va prendre le petit, mais aussi effectivement l’ado qui a un usage à la maison. Quand j’ai eu mon MO5 Thomson, en l’occurrence dans cette école primaire, il n’y avait rien dedans. Nous avons été obligés de rentrer dedans et de coder, de faire, de fabriquer de créer. L’ordinateur est devenu un outil créatif. Quand un gamin de deux ou trois ans consomme toute la journée une tablette dans laquelle il y a une myriade d’applications à consommer, il devient un consommateur numérique et rien d’autre. Donc nos gamins, nos ados, les miens en premier par la même occasion, mais nos ados sont dans une posture de consommation numérique. Donc ils consomment du contenu non linéaire, multimédia, parfois interactif, tout ce que vous voulez. Mais mettre des tablettes à l’école, par exemple, c’est l’un des pires choix possibles, puisque, finalement, ce sont des outils dans lesquels on peut le moins créer et interagir.
 
 
 
Donc oui ils ont quand même, parfois, un rapport au réseau social, mais, encore une fois, sans l’écriture et sans compréhension, la plupart du temps, des enjeux derrière et sans personne pour les y guider.
 
 
 
<b>Vincent Lucchese :</b>En d’autres termes ça veut dire qu’il ne faut pas laisser le monopole de l’éducation au numérique à des acteurs comme les GAFA ? Justement, on voit beaucoup, en ce moment d’initiatives comme Messenger Kids avec Facebook, comme YouTube Kids avec YouTube et Google, l’idée ou en tout cas le danger ce serait de laisser à ces acteurs privés-là une espèce de monopole sur la façon dont les enfants viennent au numérique ?
 
 
 
==11’ 20==
 
 
 
<b>Emmanuelle Roux : </b>Oui. Je pense. De toutes façons, ce qui sera multiple est toujours meilleur. Donc il faut ouvrir le plus d’initiatives possibles pour créer autant de chemins possibles qu’il y a de choses à faire avec le numérique. Ce qu’il faut comprendre, je pense, de manière très importante, c’est que l’ordinateur a le même pouvoir qu’un stylo. On peut faire ses comptes avec ; on peut dessiner une maison avec ; on peut écrire des notes sur une partition, sauf qu’en plus l’ordinateur va jouer la partition ; on peut aussi écrire un poème. Et donc à quel moment on se rend compte que savoir utiliser pleinement un ordinateur et donc y compris en comprendre la grammaire, y compris en comprendre ses limites, être capable de coder et d’écrire du code, aussi, fait partie du même champ que de savoir lire et écrire ? Donc comment on apprend aux jeunes et au moins jeunes, parce que nous dans ce que nous faisons et particulièrement avec Le Chaudron on s’adresse à la population active, comment on réapprend à s’approprier cet outil comme étant un outil créatif avec lequel chacun fera ce qu’il veut. Ce n’est pas en faisant des développeurs de tout le monde, ça n’a pas d’intérêt ! Par contre, donnons à tous donnons à tous la capacité d’utiliser pleinement l’outil qu’il a dans les mains et d’en comprendre les différentes écritures.
 
 
 
<b>Vincent Lucchese :</b>Est-ce que ça passe aussi, comme le proposait Mounir Mahjoubi, par passer, pourquoi pas, une épreuve de code au bac ? Aller jusqu’à ce genre d’institutionnalisation de l’épreuve de codage dans toute la filière secondaire ?
 
 
 
<b>Emmanuelle Roux : </b>Pourquoi pas ! Pourquoi pas si c’est bien fait ! Et aujourd’hui, là-dessus, j’aimerais, je profiterais y compris de votre invitation, pour sonner quand même un peu un bout d’alerte. La plupart des cours de Scratch qui sont faits à l’école en ce moment, on pourrait se dire c’est plutôt une bonne nouvelle. Sauf qu’ils sont faits par qui ? Ils sont faits par les profs de maths et par les profs de techno, dans le meilleur des cas. Moi je vois les devoirs que ramène mon gamin, celui qui est au collège, ce sont des devoirs d’abord de maths faits avec Scratch. Donc on est en train de dire aux enfants et je dirais même plutôt aux gamines, généralement, si tu n’es pas à l’aise avec les maths ou si tu n’aimes pas la techno eh bien, en fait, l’ordinateur ce n’est pas pour toi. Et ça, c’est le pire scénario qu’on puisse faire. Qu’est-ce que nous nous proposons ? Et on le fait à parti de la rentrée dans un établissement vendéen qui s’appelle Saint-Gabriel qui est basé à Saint-Laurent-sur-Sèvre.
 
 
 
À la rentrée 2018, 2019, excusez-moi, non, on est en 2018, c’est bien ça, septembre prochain, qu’on se comprenne bien, septembre prochain, nous ouvrons une classe qui s’appelle @rchimède et cette classe @rchimède s’adresse à des gamins de 6ᵉ pour leur donner 5 heures de culture numérique par semaine, à la manière d’un sport en sport-étude, où à la manière d’un instrument de musique dans une classe à horaire aménagé pour la musique. On est en train de créer la première, à ma connaissance, classe à horaire aménagé pour le numérique dans un établissement qui est l’établissement Saint-Gabriel, en espérant pouvoir en faire une vraie filière un jour et qu’elle se duplique dans d’autres territoires, parce que je pense que la solution est aussi là. On a tous fait du sport au collège et c’est bien, ça permet à des gamins qui n’ont jamais accédé au sport d’en faire ; ça permet d’avoir un minimum de culture sportive ; c’est très bien. Pour autant, ça ne suffit pas à faire des gens qui vont faire du sport leur métier ou qui vont devenir des acteurs de l’écosystème sportif ; ou en musique ça ne suffit pas : faire une heure de flûte à l’école, ne vous permet de devenir un acteur majeur de l’écosystème musical.
 
 
 
<b>Vincent Lucchese :</b>Ça veut dire qu’on va apprendre quoi à l’école Saint-Gabriel ? On va apprendre de l’histoire du numérique aussi, j’imagine ? On ne va pas apprendre seulement du langage de développeur ?
 
 
 
<b>Emmanuelle Roux : </b>Oui. Exact.
 
 
 
<b>Vincent Lucchese :</b>Sans nous dévoiler l’emploi du temps précis des futurs collégiens, est-ce que vous pouvez déjà nous dire un petit peu ce qu’on apprendra dans cette école ?
 
 
 
<b>Emmanuelle Roux : </b>Oui, très bien. Effectivement, à travers ces 5 heures par semaine, on l’a construit d’abord, on est en train de le construire avec une équipe pédagogique dédiée, donc des professeurs traditionnels d’histoire-géo, de français, de maths, de techno, et autres, de langues, qui acceptent de rentrer comme équipe pédagogique de cette classe particulière et qui sont prêts, par exemple à se dire, par exemple, qu’une carte du monde et des migrations dans le monde en ce moment peut être rendue sous forme d’une copie A4 double mais peut aussi se rendre sous la forme d’une carte interactive faite en Scratch ; et que savoir aller sélectionner la bonne information, la mettre en scène, l’animer, savoir ce qu’on rend interactif, être capable de sourcer et de valider ses sources, ça fait pleinement partie d’un travail d’un collégien, premièrement. Donc déjà, c’est comment nous introduisons l’écriture numérique dans les disciplines traditionnelles.
 
 
 
<b>Vincent Lucchese :</b>Comme une option possible, comme un mode d’écriture possible.
 
 
 
<b>Emmanuelle Roux : </b>Comme une autre manière d’écrire ; c’est exactement ça. Comment on peut faire une adaptation de <em>Pierre et le Loup</em>, y compris avec des primaires, en se disant eh bien on va utiliser tout le potentiel du numérique pour faire une adaptation ensemble de <em>Pierre et le Loup</em>. Donc on va peut-être en faire des enregistrements audio, on va peut-être pouvoir, effectivement, animer ; on va peut-être pouvoir même faire des figurines : on va faire une découpe laser en marionnettes par la suite, etc.
 
 
 
<b>Vincent Lucchese :</b>D’accord.
 
 
 
<b>Emmanuelle Roux : </b>Le deuxième point c’est que dans ces heures on introduit de l’histoire du numérique. On introduit une connaissance des grands acteurs du numérique et des enjeux qui sont derrière. On introduit des rapports particuliers à la data et on introduit, évidemment quand même, un petit peu de code, c’est-à-dire quelques heures de temps en temps de <em>coding</em> pur, leur permettant peu à peu d’explorer des compétences, comme quand vous rentrez, je n’aime pas le mot de conservatoire de musique parce que c’est ce qu’il renvoie en termes d’imagerie, mais une école de musique, vous y rentrez pour faire de la contrebasse, à un moment donné il faut faire un peu de solfège, eh bien pensons que le code est une forme de solfège.
 
 
 
<b>Vincent Lucchese :</b>Je vais me faire un petit peu l’avocat du diable sur cette histoire de codage.
 
 
 
<b>Emmanuelle Roux : </b>Bien sûr.
 
 
 
<b>Vincent Lucchese :</b>Il y a certains commentateurs des évolutions numériques comme Laurent Alexandre mais pas seulement, il y a aussi Pedro Santa-Clara, qui est président de la Chaire Finance de la Nova School of Business and Economics, qui parlait au Web Summit et qui disait que c’était un peu contre-productif, finalement, d’apprendre le code à l’école parce que bientôt les intelligences artificielles pourront elles-mêmes coder de nouvelles machines et tout ce qu’on appelle <em>machine learning</em> ou <em>deep learning</em>fonctionne de telle façon que, finalement, l’être humain n’a plus besoin de coder : la machine apprend par elle-même ; ça peut même donner des sortes de boîtes noires dans lesquelles on ne comprend pas très bien ce qui se passe. Donc finalement, est-ce que l’être humain n’est pas voué à rester un petit peu à la traîne s’il se met en concurrence avec la machine pour coder ? Est-ce qu’il ne vaut pas mieux qu’il apprenne plutôt à se développer en complémentarité de la machine c’est-à-dire à non pas faire du code, mais à développer des facultés typiquement humaines comme la créativité, les liens sociaux ? Voilà. En tout cas, c’est une parole qu’on entend dans cette critique du code à l’école. Qu’est-ce que vous en pensez, vous ?
 
 
 
<b>Emmanuelle Roux : </b>Je pense que c’est une question de savoir où est-ce qu’on place l’homme dans son rapport à la machine. Et que si on veut des citoyens qui soient capables de comprendre le monde et de comprendre les enjeux qui sont derrière, ils doivent pouvoir comprendre ce que veut dire une machine, ce qu’est un algo, ce qu’est une donnée, ce qu’est une base de données, ce qu’est un stockage, ce qu’est du cloud, etc. Le comprendre, comprendre les concepts clefs, c’est les avoir pratiqués au moins une fois, les avoir mis en œuvre au moins une fois. Je ne dis pas « on fait de tous des développeurs », je dis bien « on apporte à tous une culture suffisante du code pour leur permettre d’être capables d’exercer demain leur métier ». C’est un premier élément de réponse ; je pense qu’il est important. Avec Le Chaudron, une des toutes premières missions qu’on a menée, c’était chez Décathlon. Quand vous avez des salariés trentenaires, chez Décathlon, vous êtes dans l’une des plus belles boîtes qui soit de mon point de vue.
 
 
 
<b>Vincent Lucchese :</b>Une des préférées de Français aussi, je crois. L’entreprise préférée des Français ou la deuxième préférée des Français.
 
 
 
<b>Emmanuelle Roux : </b>C’est au moins la mienne, ça c’est sûr, et je ne dois pas le dire, j’ai d’autres clients, mais pour autant il est vrai que j’ai un attachement particulier à cette entreprise qui est une très belle entreprise, qui est en train de faire un travail de transformation absolument exceptionnel. Ils recrutent sur le sport, ils recrutent des compétiteurs, vous avez des gens qui ont un mental fort, voilà, vous avez l’archétype du compétiteur quand même, dans une boîte qui a les moyens et dans une boîte qui est leader en innovation et en relation clients. On pourrait se dire tout va bien ! Eh bien dans les couloirs vous entendez quoi ? Vous entendez ces jeunes hommes et ces jeunes femmes qui ont 30-40, qui vous disent : « Moi j’ai été chef produit – on va dire – vélos ou casques, je suis un des meilleurs et pour autant je pense que je suis obsolète pour mon métier, parce que tout devient technologique et je suis censé intégrer de la technologie dans mon vélo ou dans mon casque et je ne comprends pas de quoi ça parle. Je n’arrive plus à imaginer le vélo de demain ; je ne suis plus capable de le penser. »
 
 
 
<b>Vincent Lucchese :</b>Des profils de chefs de produit, par exemple.
 
 
 
<b>Emmanuelle Roux : </b>Des profils de chefs de produit, très exactement. Des profils de chefs de produits.
 
 
 
<b>Vincent Lucchese :</b>Des métiers de chef de produit, par exemple, quoi.
 
 
 
<b>Emmanuelle Roux : </b>On ne va pas les amener, eux, à coder, ils n’en ont pas le temps. Par contre les réarmer, leur redonner la capacité de dialoguer avec soit une SI soit des prestataires, leur redonner la capacité d’imaginer le monde, d’imaginer 100 possibilités, de savoir s’ils ont envie d’embarquer ou pas de l’IA dedans par exemple, ça c’est absolument essentiel.
 
 
 
L’autre sujet, dans la complémentarité que vous abordez très bien homme-machine, je pense qu’on touche de là la question de la dépossession du savoir-faire. C’est-à-dire que si on se dit les machines vont aller tellement vite que ce n’est même pas la peine d’acculturer les hommes parce que de toutes façons ils seront en situation de dépendance et laissons les machines faire et laissons une techno-élite s’installer, permettant à quelques-uns de créer ou de guider des machines semi-autonomes et les autres laissons-les complètement consommateurs du monde dans lequel ils vivent et ils n’auront qu’à subir les services que nous, techno-élite, nous mettrons, je pense que nous allons dans un monde dans lequel je n’ai pas envie d’être. Et donc je n’ai pas envie de finir comme dans ??? ; je n’ai pas envie que l’humain soit avachi, obèse.
 
 
 
<b>Vincent Lucchese :</b>Avachi, obèse, dans une chaise avec un Coca, dans une station ???
 
 
 
<b>Emmanuelle Roux : </b>Dans une chaise, entouré d’écrans dans lesquels il n’a strictement plus rien à faire car tout a été géré et piloté pour lui, il n’a plus son plus son mot à dire dans rien. Et si on ne veut pas ??? on doit s’engager maintenant parce qu’il n’y a pas grand monde, on en discutera peut-être, qui comprenne les sujets ; ce sont des sujets qui ne sont pas assez sur la table. Et c’est la question vraiment de la compétence de l’homme et de la compétence de l’homme à inventer son avenir qui est au cœur de notre sujet aujourd’hui.
 
 
 
<b>Vincent Lucchese :</b>Compétence de la femme aussi.
 
 
 
<b>Emmanuelle Roux : </b>Et de la femme, bien sûr.
 
 
 
==21’ 42==
 
 
 
<b>Vincent Lucchese :</b>Vous évoquiez des petites filles à l’école.
 

Dernière version du 10 mai 2018 à 15:52


Publié ici - Mai 2018