Différences entre les versions de « Numérique et Effrondrement - Gee et pyg - Framasoft »

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===Crises, système et boucles de rétroaction===
 
===Crises, système et boucles de rétroaction===
  
<b>Pierre-Yves Gosset : </b>Je vais revenir sur différentes choses.
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<b>Pierre-Yves Gosset : </b>Je vais revenir sur différentes choses. On n’a pas précisé, mais on n’est pas du tout, contrairement à Alexandre, des gens qui travaillent sur les questions de l’effondrement, on n’est pas du tout collapsologues, moi en tout cas. Tu pourras dire ce que tu veux. Par contre, ça nous paraissait intéressant de décrire comment ça peut impacter le numérique, notamment le numérique libre, on est quand même aux JDLL. Je ne sais pas dessiner, donc j’ai récupéré des dessins ! Qu’est-ce que c’est qu’une boucle de rétroaction ? vous avez de la data, ça passe dans un système, il y a des sorties. Une boucle de rétroaction permet d’avoir un effet feed-back sur un système. Pourquoi je précise ça ? Pour ceux qui ne voient pas du tout ce qu’est une boucle de rétroaction. Imaginez le Larsen : si vous mettez un ampli et un micro trop proches – spéciale dédicace aux ingénieurs du son au fond – ça fait beaucoup de bruit et on entre dans des choses qui deviennent assez difficilement contrôlable et c’est exactement ce que fait le Larsen.<br/>
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Pourquoi je vous parle de boucle de rétroaction ? On a un certain nombre de systèmes qui ont été présentés par Gee tout à l’heure. J’en en ai regroupé, j’ai fait ma tambouille, ce n’est pas du tout validé scientifiquement. Du coup on a un certain nombre de systèmes qui, pour moi, sont à la fois des systèmes on va dire pères ou naturels, à savoir le système climatique et le système des ressources naturelles qui, pour moi, comprend à la fois la question des ressources et la question de la biodiversité. Et j’ai mis trois systèmes plus humains, système sanitaire, système économique/politique et système financier.<br/>
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Pour ceux qui ne voient pas ce qu’est un système, je rappelle, j’ai pris juste le système climatique. Sur le système climatique, c’est ce qu’on apprend à l’école, il y a un certain nombre de choses qui peuvent se passer dans la nature et qui peuvent expliquer, je ne sais pas, une période de glaciation, une période de réchauffement et tout ça fonctionne en cycles, il y a une forte interdépendance dans les différents sous-éléments de ce système, les sous-systèmes d’un système. Par exemple l’acidification des océans qui peut entraîner des variations de température de l’eau qui, elles-mêmes peuvent entraîner un certain nombre d’impacts sur les sols, qui eux-mêmes peuvent entraîner d’autres interactions et d’autres conséquences sur l’énergie et sur, on va dire, le système carboné.<br/>
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Ce n’est pas tant ça qui m’intéresse, c’est de revenir sur les crises un peu systémiques qu’on est en train de vivre en ce moment.<br/>
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On voit bien que les crises climatiques posent, je n’ai pris que des exemples qui me sont venus à l’esprit, libre à vous d’aller en creuser d’autres. Par exemple les crises climatiques entraînent des crises géopolitiques, évidemment, notamment par exemple les crises migratoires qui sont supposément nous inquiéter parce qu’on se ferait envahir.<br/>
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Les problèmes, évidemment, d’agriculture, de récolte, etc.<br/>
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Les ressources naturelles avec l’épuisement des ressources, la disparation de la biodiversité qui est, à mon avis, un des problèmes qu’on se prend là maintenant, tout de suite, et on n’aura pas à attendre 40 ans pour en subir les effets.<br/>
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Je mets l’augmentation des prix, là je pense un petit peu aux Gilets jaunes, sur le fait de la raréfaction du pétrole, ce n’est pas forcément raréfaction, mais l’augmentation du coût d’extraction du pétrole entraîne assez mécaniquement une augmentation des prix.<br/>
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Les crises sanitaires, je vais y revenir.<br/>
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Les crises économiques et politiques, encore la question du pouvoir d’achat, la montée des extrémismes. Là on n’est pas du tout dans le logiciel libre. On va y venir, promis !<br/>
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Et des crises financières à savoir l’hyper-financiarisation sur laquelle on pourra revenir tout à l’heure et le fait que le système s’est complètement emballé. Pour moi qui ai une formation d’économiste, à aucun moment dans ma formation – et pourtant j’ai été formé dans une des rares facs d’économie de gauche en France – on ne m’a dit « quand tu as un système de production, il faudrait prendre en compte la valeur, plutôt le coût, de l’extraction des ressources naturelles » . Tout ça rentrait absolument pas en compte dans le cerveau d’un économiste. On ne pense pas à l’impact que va avoir le fait d’extraire des ressources naturelles. On est vraiment dans une économie complètement extractiviste, comme s’il n’y avait pas de coût puisqu’on a considéré, à un moment donné, je ne sais pas quand, tout simplement que la ressource naturelle n’avait pas de coût puisqu’elle était disponible. L’eau n’a pas de coût. L’air n’a pas de coût qui va entrer dans le système de production. On commence à voir aujourd’hui des compensations, des choses comme ça, mais en tout à l’école on ne m’a pas appris ça.<br/>
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Et puis, comme le disait Gee tout à l’heure, on a forcément un problème sur la question de la croissance qu’on souhaiterait infinie, en tout cas que le capitalisme pense comme étant infinie, dans un monde où les ressources naturelles sont finies puisque le capitalisme s’appuie lui-même, évidemment, sur des ressources naturelles.
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===Crises systémiques ET interdépendantes===
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<b>Pierre-Yves Gosset : </b>Le véritable problème, selon moi, ce n’est pas forcément le véritable, en tout cas c’est quelque chose dans les facteurs aggravants, c’est le fait que ces crises sont systémiques et interdépendantes.<br/>
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Là je prends un cas complètement au hasard, mais je voudrais revenir sur la question des crises sanitaires. On pourrait penser qu’aujourd’hui, en 2019, si jamais on devait on devait avoir une crise type Ebola ou H1N1 qui arrivait, qui survenait demain, on la traiterait beaucoup mieux qu’il y a 20 ans.<br/>
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Si on prend ce modèle à la fois systémique et interdépendant, eh bien ce n’est pas si sûr, puisque aujourd’hui on a une mobilité qui est beaucoup plus forte, donc imaginer quelqu’un qui aurait, je ne sais pas, Ebola, qui arriverait en Europe, la mobilité étant beaucoup plus forte puisqu’on est capable de prendre une voiture, un avion, un Uber, beaucoup plus facilement qu’il y a 20 ans, potentiellement on peut contaminer un certain nombre de personnes beaucoup plus vite.<br/>
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L’autre problème c’est, par exemple, le système de santé qui n’est pas allé en s’améliorant ces dernières années, c’est-à-dire qu’on a regroupé des gros centres de santé, mais, du coup, les petits hôpitaux de campagne sont en train de fermer pour des raisons de rentabilité, donc on a cette problématique du fait de dire que si on met tous les gens qui sont malades au même endroit ce n’est pas dit que ça marche mieux. Il vaudrait mieux réussir à, on va dire, encadrer la diffusion d’une épidémie.
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Donc toute cette interdépendance fait qu’on a rendu le système extrêmement fragile et complètement hypertendu. On a un peu joué avec une pastèque et des élastiques. On voit bien une déformation du système et à un moment donné ça pète. Il est très difficile de savoir, quand vous commencez à jouer à ce jeu-là, au bout de combien d’élastiques ça pète, au bout de combien de temps ça pète – ça dépend des élastiques, ça dépend de combien vous en mettez, ça dépend du rythme auquel vous les mettez, ça dépend de la pastèque – et, en gros, paf ! Pastèque ! Comme on était aux JDLL j’ai quand même mis une petite roulette russe version code, soit vous faites clic, soit vous faites rm -rfv sur l’ensemble du système. Il ne faut quand même pas déconner !
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Donc, mon cher Gee, à qui donc dans la gueule c’est la faute tout ce bordel ?
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===C’est la faute à qui ce bordel ?===
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<b>Gee : </b>C’est quoi cette bouteille de lait ?<br/>
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Vous avez quelque chose qui revient assez souvent dans le discours, notamment de gens qui ont un intérêt à la préservation du système que, en tant que gauchiste de base, j’appelle le capitalisme, c’est « oh, c’est la nature humaine ! ». Ça veut dire l’être humain est destructeur, donc on détruit notre environnement, ce n’est quand même pas de chance ! » C’est quand même plutôt la faute à un système de production – on a parlé d’Anthropocène tout à l’heure – qui date à peu près de la révolution industrielle donc à partir du moment où on a commencé à produire beaucoup plus que ce qu’on pouvait consommer nous-mêmes dans le jour, dans l’année, peu importe. C’est un système, on l’a dit, qui repose sur une croissance infinie dans un monde fini.<br/>
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Quand on parle de croissance c’est rigolo parce que les gens pensent que ça veut dire que les choses vont bien et qu’on a produit suffisamment. En fait ce n’est pas ça, c’est qu’on a produit plus. Si on produisait suffisamment et qu’on restait, par exemple, au même niveau de population et au même niveau de vie, on pourrait avoir une croissance de zéro en permanence et ça suffirait. En fait, la croissance c’est qu’on produit de plus en plus et comme elle est exprimée en pourcentage de la production d’avant, c’est un système exponentiel, c’est-à-dire que même une croissance de 0,001 %, qui serait ridicule, si elle est constante sur un siècle, je n’ai pas le calcul en tête, ça fait beaucoup. En quelques années vous avez doublé votre richesse.<br/>
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Donc c’est un système qui repose sur cette espèce d’incohérence première et on pourrait aussi parler, je ne vais peut-être pas aborder le sujet, du système monétaire qui est basé là-dessus. En gros, le système monétaire est basé sur la création d’argent avec de la dette et, en gros, pour rembourser la dette, vous n’avez pas d’autre moyen que de créer plus de dette. Il n’y a pas d’argent qui existe à l’état initial, il n’y a pas une sorte de masse d’argent sur laquelle après on fait de la dette.<br/>
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Ce truc-là ne peut marcher que si vous êtes dans une croissance. À partir du moment où il n’y a plus de croissance, vous avez une explosion de la bulle, c’est ce qui s’est passé en 2008 avec la bulle immobilière aux États-Unis. Pour le moment on n’a eu que des explosions, entre guillemets, un peu « locales », celle de 2008 a été quand même assez violente. À ce moment-là, en général, qu’est-ce qu’on fait ? On contrevient aux règles du jeu qui étaient censées être inaltérables, on dit que finalement on a le droit de ne pas rembourser ça, on va renflouer ce qui a été perdu, ce genre de choses.<br/>
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Le problème c’est que ce système-là fait aussi qu’on ne peut pas en sortir, en fait. C’est-à-dire qu’on est entraîné dedans et quelqu’un, un pays qui dirait aujourd’hui on a compris que le problème c’est la croissance et sort de ce système-là, ce pays se casse la gueule dans la seconde. Donc c’est extrêmement compliqué de sortir de ce système et c’est tout le problème. On nous explique qu’il faudrait décarboner l’économie, là en l’occurrence ce qu’il faudrait faire, ce serait arrêter les bagnoles, arrêter tout ça, peut-être pas, comme ça, du jour au lendemain et, d’un autre côté, on valorise en permanence la croissance. On a toujours ce genre de discours qui nous dit il faut la croissance, on ne se pose même pas la question de pourquoi. La croissance n’est même plus un moyen c’est une fin. Il faut la croissance.<br/>
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Effectivement, dans le système monétaire actuel, il faut la croissance, c’est sûr, mais il faudrait peut-être se demander pourquoi et est-ce qu’il ne faudrait pas changer de système. C’est à quel moment on arrête ça ? Est-ce qu’on attend que ça pète pour l’arrêter ? C’est une fuite en avant qui est valorisée.<br/>
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Il y a un bouquin dont on n’a pas parlé, mais on aurait peut-être dû commencer par là, c’est celui de Pablo qui s’appelle <em>Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes</em>. Tout ce dont on a parlé, les crises, tout ça, si vous voulez des versions un peu plus sourcées avec un peu moins de conneries dedans, vous avez le bouquin de Pablo Servigne qui n’est pas mal. Il parle notamment d’une chose : on dit souvent qu’il y a l’explosion des inégalités, vous savez il y a 20 personnes qui possèdent autant que les 50 % les plus pauvres, ce ne sont pas les chiffres exacts mais c’est un truc du genre. Au passage, encore une fois désolé pour l’analyse gauchiste de base, mais ce n’est pas une dérive du capitalisme, c’est le résultat logique ; quand on accumule des richesses, plus on est riche plus on accumule de richesses, ça ne peut mener qu’à une distorsion de ce genre. Ça, en plus, ça a un effet pervers qui est qu’on a systématiquement tendance à vouloir imiter les classes supérieures, les classes immédiatement supérieures à nous-même et aussi les classes supérieures de base. C’est-à-dire qu’en fait cette ultra-richesse de certains nous pousse à adopter leurs comportements d’ultra-consommation. J’habite sur la Côte d’Azur, quasiment toutes les maisons ont une piscine. Je pense, sans me tromper, qu’il y a 50 ans ce n’était pas le cas. La piscine est un signe extérieur de richesse. Maintenant c’est accessible à la classe moyenne aisée qui a une petite maison : la piscine est devenue quelque chose d’accessible. C’est quelque chose qui vient d’une fuite en avant où on veut sans arrêt consommer plus pour ressembler, en gros, aux plus riches.<br/>
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C’est aussi une façon de nous faire adhérer à ce système, c’est-à-dire qu’aujourd’hui on a dit le capitalisme que c’est de la merde, on nous dit « tu as quand même iPhone – enfin moi je n’ai pas d’iPhone on s’en fout – tu en profites beaucoup ». En plus on habite en France, on fait partie des gagnants en fait du système. C’est de plus en plus le cas. Je prends tout ce qui est uberisation, Deliveroo, tout ça c’est aussi une façon de faire adhérer les classes moyennes à l’exploitation du capitalisme. C’est-à-dire qu’avant les riches avaient des domestiques et maintenant, en fait, on a tellement détricoté le code du travail pour les classes les plus faibles, on va dire, que vous pouvez vous payer des domestiques en tant que classe moyenne. Je connais pas mal de gens dans mon milieu d’ingénieur informatique, tout ça, pour qui, si demain Uber ou Deliveroo s’arrêtent, ils le verront comme une énorme régression. Après ils se donnent une bonne conscience en disant qu’il faudrait que les gens de Uber soient mieux payés, qu’ils aient plus de protection, mais je ne sais pas s’ils ne se rendent pas compte que si c’était le cas ils ne pourraient plus, eux, en profiter, en fait.<br/>
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Ça participe aussi d’une espèce de cercle vicieux qui fait qu’on crée une société qui, selon moi, est de plus en plus moche, tout en valorisant un système qui va nous péter à la gueule. Encore une fois parce que nous voyons ça de la lorgnette de Français ; on est, encore une fois, plutôt relativement les gagnants du capitalisme, il y a aussi des perdants chez nous, mais à l’échelle mondiale c’est quand même plutôt un désastre. Ce n‘est pas un hasard si le champion du capitalisme que sont les États-Unis est un pays qui s’est construit sur le génocide d’un peuple et l’esclavage d’un autre. Nous, on a eu aussi notre part avec la colonisation et aujourd’hui, en fait, on dépend encore des restes de la colonisation, ce qu’on appelle la France Afrique ce genre de chose.<br/>
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On parlait du nucléaire tout à l’heure. Quand on nous dit que c’est un facteur d’indépendance énergétique alors qu’on importe de l’uranium du Niger, c’est juste qu’on a le Niger dans la poche, c’est pour ça que c’est une indépendance énergique.<br/>
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Voilà ! Tout un tas de mécanismes qui ne sont pas franchement glorieux, qui font que, selon moi, on devrait vouloir sortir de ce système, en tout cas en prendre le chemin.
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Un autre gros problème de ce système c’est qu’il est complètement incapable d’autocritique.<br/>
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Je fais vous faire une petite citation, je pense que vous allez probablement la reconnaître, elle est un peu longue : « Je ne comprends pas que nous assistions globalement, les uns les autres, à une tragédie bien annoncée dans une forme d’indifférence. La planète est en train de devenir une étuve. Nos ressources naturelles s’épuisent. La biodiversité fond comme neige au soleil et ce n’est pas toujours appréhendé comme un enjeu prioritaire. Et surtout, pour être très sincère, ce que je dis vaut pour la communauté internationale. On s’évertue à entretenir un modèle économique marchand qui est la cause de tous ces désordres. » Est-ce que vous savez de qui c’est ? C’est Nicolas Hulot alors ministre de l’Écologie, c’était sur la fin puisque c’était le moment où il a annoncé sa démission sur France Inter.<br/>
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Là, clairement, Nicolas Hulot n’a pas utilisé le terme d’effondrement, mais il parle de ça, il parle du fait qu’on se dirige vers un désastre qui est causé par un système marchand, il n’utilise pas le terme capitalisme, mais c’est ça.<br/>
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Là où le système est absolument incapable d’autocritique c’est quelles ont été les réactions à cette annonce qui a fait quand même pas mal de bruit ? C’était ça : « Il n’avait prévenu personne qu’il démissionnait et sa femme n’était même pas au courant ! » Et vous avez aussi le petit truc qui fait plaisir : il n’avait pas les épaules pour le job, donc c’est normal, il se barre, il est dépassé. Du coup à la place on a mis qui ? de Rugy. Tu n’as qu’à voir dans quelle merde on est !<br/>
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Quand même ! Un type vous explique par A plus B qu’il va y avoir un désastre qui est causé par la politique actuelle suivie par le gouvernement, mais le gouvernement français n’est pas le seul, c’est mondial, et c’est qu’on en retient, c’est en tout cas ça que le système médiatique en retient. Du coup, le moment où il parle qu’on va tous crever, est-ce qu’on en parle ou pas ? C’est un sujet ou ce n’est pas un sujet ? Visiblement ce n’est pas un sujet !<br/>
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Je vais laisser Pierre-Yves vous parler du capitalisme de surveillance.
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==27’ 23==
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===Et le capitalisme de surveillance, dans tout ça ? !===
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<b>Pierre-Yves Gosset : </b>Vous sentez les transitions !

Version du 21 octobre 2020 à 07:56


Titre : Numérique et Effrondrement

Intervenants : Gee - pyg

Lieu : 22èmes Journées du Logiciel Libre, Lyon

Date : avril 2019

Durée : 1 h 45 min

Écouter l'enregistrement et visualiser le diaporama

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration :

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcrit : MO

Description

La bonne nouvelle, c'est que le capitalisme ne va pas tarder à crever ; la mauvaise, c'est qu'on risque fort de crever avec lui.
Est-il encore temps de faire du Libre sans vision politique et écologique ?

Transcription

Pierre-Yves Gosset : Juste pour dire qui on est, d’où on parle. La conférence qui n’est pas une conférence qui est plus une expression d’angoisse, va être plutôt complémentaire avec celle d’Alexandre Monin qui était beaucoup plus scientifique, on va essayer d’être plus politiques, on va dire ça comme ça.
Je m’appelle Pierre-Yves Gosset, je suis directeur d’une association qui s’appelle Framasoft qui est une association d’éducation populaire aux enjeux du numérique et juste pour préciser, j’ai un profil plutôt économiste de formation. J’essaierai de faire le lien avec les problèmes économiques et sociaux.

Gee : Bonjour. Vous me connaissez peut-être sous le pseudonyme de Gee. Je suis auteur et dessinateur de BD, vous avez peut-être vu un truc qui s’appelle Grise Bouille et quelques BD qui sont publiées sur le Framablog de temps en temps. Sinon, en dehors des heures de loisir, je suis développeur informatique du côté de Sophia-Antipolis. Je ne vous parlerai absolument pas de technique. Pour commencer… Oui.

Public : Inaudible.

Gee : Je peux parler peut-être parler plus loin, je ne sais pas. Comme ça c’est bon ?

Effondrement ?

Gee : On va commencer par une question : qui, ici, pense savoir de quoi on parle quand on parle d’effondrement ? Évidemment vous avez tous vu la conférence d’avant donc ça plante mon intro ! J’ai une façon de définir l’effondrement à laquelle tout le monde ne va pas forcément adhérer, c’est de dire qu’il y a deux nouvelles, une bonne et une mauvaise. La bonne nouvelle c’est que le capitalisme ne va pas tarder à crever. Vous pouvez ne pas être d’accord sur le fait que ce soit une bonne nouvelle. La mauvaise nouvelle c’est qu’il y a quand même des chances qu’on crève avec lui. C’est un sujet qui me travaille un peu et, comme je suis d’un naturel généreux, je suis venu partager mon angoisse avec vous.
Ce que vous allez voir ce sont des petits dessins que vous pouvez retrouver sur mon blog, ce sont les miens.
On va faire un petit résumé, vous en avez déjà entendu un petit peu parler dans la conférence d’avant. On fait face, en gros, à plusieurs crises systémiques.

  • La première c’est le déréglemente climatique. Le déréglement climatique, quand on a quelques degrés de plus ça fout la merde dans les cultures. Par exemple je suis allé à La Réunion, ils disaient que la culture de la vanille a été décalée de trois mois parce qu’il y a eu un changement de 0,5 degrés, je crois, quelque chose comme ça, par rapport aux températures normales. Si on est à deux trois degrés, au bout d’un moment on ne peut plus trop décaler dans l’année. Qu’est-ce qu’on fait pousser quand il y a trois degrés de plus ? On ne sait pas et, d’un autre côté, probablement que dans d’autres pays ce sera plus grave que chez nous. C’est un peu toujours les mêmes qui prennent. En gros en Afrique où c’est déjà quand même relativement aride, ça risque de devenir invivable.
    On attend, je ne sais plus combien de millions de réfugiés climatiques dans les prochaines décennies. Comment on fait pour se nourrir, simplement, un besoin comme ça qui va devenir peut-être pas simple pour tout le monde.
  • Ensuite on a l’épuisement des énergies fossiles, pétrole en premier mais pas seulement tout le reste, le charbon c’est déjà bien engagé. Charbon et également uranium.
    Vous avez le truc qui revient assez souvent c’est « ce n’est pas grave, on trouvera autre chose ». Et ça c’est un truc qui revient assez souvent, on y reviendra plus tard, c’est un mécanisme de déni, en fait. C’est de se dire que ce n’est pas grave parce qu’il y a les énergies renouvelables qui sont là et, en plus, comme on est très malins, l’humanité s’en est toujours sortie, on trouvera sans doute quelque chose qu’on ne connaît encore maintenant.
    Vous pouvez aussi mâtiner ça un peu de théorie du complot, on a déjà inventé un truc qui n’est pas polluant, un moteur à eau, je ne sais pas quoi. C’est juste que pour le moment c’est bloqué par les lobbies du pétrole mais quand le pétrole sera fini on sera tranquilles. Vous pouvez y croire. Moi j’appelle ça du scientisme, c’est une religion autour de la science qui va nous sauver et qui, en plus, n’a pas beaucoup de bases. Il y a des recherches autour des moteurs à eau, je ne dis pas qu’on est à zéro, mais pour le moment on est quand même loin de pouvoir remplacer quoi que ce soit avec. Donc c’est plutôt une religion. Pour le moment on n’a rien pour le pétrole et le pétrole ce ne sont pas juste les voitures, c’est aussi tout le transport de fret, sans parler aussi de ce qu’on utilise pour faire du plastique, ce genre de choses, mais on ne va pas y passer des plombes !
  • On a l’épuisement des matières premières, parce que les énergies c’est une chose, je parlais du plastique, le pétrole n’est pas utilisé que quand comme une énergie. Vous avez des gens qui vont nous dire « on fait du renouvelable, d’accord, mais quand vous faites de l’énergie par exemple pour les voitures électriques, eh bien vous avez aussi besoin d’une certaine quantité de matières premières pour les batteries qui ne sont pas renouvelables et ne sont absolument pas recyclables en plus.
    Par exemple, c’est un truc dont je n’ai plus la source, mais en gros le carnet de commande de Tesla, eh bien ça épuise ce qu’on est capable d’extraire en lithium à l’année, le carnet actuel, c’est-à-dire qu’on s’attend quand même à ce que les commandes de voitures électriques évoluent dans le sens positif dans les prochaines années.
    Est-ce que ça va passer à l’échelle ?
    Comme on voulait parler un peu de numérique je fais le lien avec ça, mais c’est pareil avec tout ce qui est dans nos circuits, le silicium et compagnie. Et pour ce qui est du recyclage des circuits électroniques, on est quasi nuls. Réussir à extraire le silicium que vous avez dans une micropuce, c’est pareil ça va coûter une énergie folle. On reviendra après à la rétroaction.
  • Des trucs sympas aussi comme l’extinction massive des espèces, vous en déjà entendu parler : 80 % d’insectes en moins en 10 ans, 60 % des vertébrés en moins en 40 ans. Ça c’est Einstein. Il n’a jamais dit que quand les abeilles disparaîtraient on en aurait pour quatre ans à vivre, c’est une citation apocryphe.
    Je fais de la pub pour mon blog, n’hésitez pas à aller dessus, il est vachement bien !
    Il ne faut pas être ingénu pour voir que c’est la merde intégrale, c’est une blague fabuleuse.
  • Et enfin, je crois que c’est la dernière, Last but nos least, la crise financière, on a un petit peu d’expérience, on a quand même déjà eu deux, trois. Le principe c’est qu’on base l’économie sur la dette, les intérêts seront remboursés par la dette suivante et tant qu’il y a de la croissance ça fonctionne. Quand il n’y a plus de croissance, eh bien voilà ! Vous pouvez essayer d’imaginer.
    Dans un monde aux ressources finies, quand il n’y aura plus de croissance – on peut imaginer qu’il y aura de la croissance pour toujours, c’est probablement une vision qui est défendue par pas mal d’économistes mais moi je ne trouve pas ça hyper-futé.
    On pourrait aussi parler de la crise de 2008, est-ce qu’on a corrigé le tir ? Non, plutôt pas, on a même plutôt aggravé les choses, parce que maintenant il y a des lois qui sont passées, ce qui fait que pour renflouer les banques on pourra même aller piocher dans vos comptes d’épargne, c’est plutôt sympa !
    ??? et Baisé sont sur bateau, ??? tombe à l’eau et les baisés c’est nous !

Toutes ces crises séparément sont suffisantes pour faire effondrer une civilisation, on va dire que la civilisation c’est la civilisation industrielle occidentale, en gros l’Europe, les États-Unis et puis, en fait, on a un peu emmené tout le monde là-dedans. Pour les crises on a des exemples d’effondrements de civilisations comme la civilisation Maya. Il y a plusieurs théories sur pourquoi ça c’est effondré. On pense plutôt à un effondrement écologique pour le coup. Les effondrements type financier, vous avez l’URSS dans les années les plus récentes.

On peut être toujours optimiste. On peut se dire David est vainqueur face à Goliath. OK, on est quand même l’humanité, on s’est sorti de trucs pires que ça. On va se remonter la chemise et ça va bien se passer !
Le problème c’est que là on a cinq Goliath et qu’ils nous arrivent tous dans la tronche en même temps, donc on peut encore être optimistes si vous voulez, mais moi j’aurais plutôt tendance à me dire qu’il faut se préparer à ce qui se passera si on n’arrive pas à battre ces cinq Goliath.
Je vais passer la parole à pyg maintenant.

Pierre-Yves Gosset : On s’est vachement calés pour la conférence, on vient de finir, il était 12 heures 30 après un petit rhum arrangé qui était parfait. Non ce n’est pas fini c’est encore à toi.

Gee : Improvisation totale. C’était juste pour renchérir, encore une fois, sur le déni total. On nous annonce depuis énormément d’années que ça va aller moins bien, le pic pétrolier c’est un truc dont on parle depuis, je ne sais pas 50 ans, 30 ans peut-être. Le fait qu’il ne passe rien, on se dit qu’il ne se passera rien après. C’est une façon de voir les choses. C’est un peu comme si vous êtes en train de tomber, pour le moment je n’ai pas mal donc ça va. C’est la citation du film La Haine : quelqu’un qui est en train de tomber et qui se dit « pour le moment tout va bien », sauf que l’important ce n’est pas la chute, c’est l’atterrissage !
Et là je pense que c’est vraiment à toi.

10’30

Crises, système et boucles de rétroaction

Pierre-Yves Gosset : Je vais revenir sur différentes choses. On n’a pas précisé, mais on n’est pas du tout, contrairement à Alexandre, des gens qui travaillent sur les questions de l’effondrement, on n’est pas du tout collapsologues, moi en tout cas. Tu pourras dire ce que tu veux. Par contre, ça nous paraissait intéressant de décrire comment ça peut impacter le numérique, notamment le numérique libre, on est quand même aux JDLL. Je ne sais pas dessiner, donc j’ai récupéré des dessins ! Qu’est-ce que c’est qu’une boucle de rétroaction ? vous avez de la data, ça passe dans un système, il y a des sorties. Une boucle de rétroaction permet d’avoir un effet feed-back sur un système. Pourquoi je précise ça ? Pour ceux qui ne voient pas du tout ce qu’est une boucle de rétroaction. Imaginez le Larsen : si vous mettez un ampli et un micro trop proches – spéciale dédicace aux ingénieurs du son au fond – ça fait beaucoup de bruit et on entre dans des choses qui deviennent assez difficilement contrôlable et c’est exactement ce que fait le Larsen.
Pourquoi je vous parle de boucle de rétroaction ? On a un certain nombre de systèmes qui ont été présentés par Gee tout à l’heure. J’en en ai regroupé, j’ai fait ma tambouille, ce n’est pas du tout validé scientifiquement. Du coup on a un certain nombre de systèmes qui, pour moi, sont à la fois des systèmes on va dire pères ou naturels, à savoir le système climatique et le système des ressources naturelles qui, pour moi, comprend à la fois la question des ressources et la question de la biodiversité. Et j’ai mis trois systèmes plus humains, système sanitaire, système économique/politique et système financier.
Pour ceux qui ne voient pas ce qu’est un système, je rappelle, j’ai pris juste le système climatique. Sur le système climatique, c’est ce qu’on apprend à l’école, il y a un certain nombre de choses qui peuvent se passer dans la nature et qui peuvent expliquer, je ne sais pas, une période de glaciation, une période de réchauffement et tout ça fonctionne en cycles, il y a une forte interdépendance dans les différents sous-éléments de ce système, les sous-systèmes d’un système. Par exemple l’acidification des océans qui peut entraîner des variations de température de l’eau qui, elles-mêmes peuvent entraîner un certain nombre d’impacts sur les sols, qui eux-mêmes peuvent entraîner d’autres interactions et d’autres conséquences sur l’énergie et sur, on va dire, le système carboné.
Ce n’est pas tant ça qui m’intéresse, c’est de revenir sur les crises un peu systémiques qu’on est en train de vivre en ce moment.
On voit bien que les crises climatiques posent, je n’ai pris que des exemples qui me sont venus à l’esprit, libre à vous d’aller en creuser d’autres. Par exemple les crises climatiques entraînent des crises géopolitiques, évidemment, notamment par exemple les crises migratoires qui sont supposément nous inquiéter parce qu’on se ferait envahir.
Les problèmes, évidemment, d’agriculture, de récolte, etc.
Les ressources naturelles avec l’épuisement des ressources, la disparation de la biodiversité qui est, à mon avis, un des problèmes qu’on se prend là maintenant, tout de suite, et on n’aura pas à attendre 40 ans pour en subir les effets.
Je mets l’augmentation des prix, là je pense un petit peu aux Gilets jaunes, sur le fait de la raréfaction du pétrole, ce n’est pas forcément raréfaction, mais l’augmentation du coût d’extraction du pétrole entraîne assez mécaniquement une augmentation des prix.
Les crises sanitaires, je vais y revenir.
Les crises économiques et politiques, encore la question du pouvoir d’achat, la montée des extrémismes. Là on n’est pas du tout dans le logiciel libre. On va y venir, promis !
Et des crises financières à savoir l’hyper-financiarisation sur laquelle on pourra revenir tout à l’heure et le fait que le système s’est complètement emballé. Pour moi qui ai une formation d’économiste, à aucun moment dans ma formation – et pourtant j’ai été formé dans une des rares facs d’économie de gauche en France – on ne m’a dit « quand tu as un système de production, il faudrait prendre en compte la valeur, plutôt le coût, de l’extraction des ressources naturelles » . Tout ça rentrait absolument pas en compte dans le cerveau d’un économiste. On ne pense pas à l’impact que va avoir le fait d’extraire des ressources naturelles. On est vraiment dans une économie complètement extractiviste, comme s’il n’y avait pas de coût puisqu’on a considéré, à un moment donné, je ne sais pas quand, tout simplement que la ressource naturelle n’avait pas de coût puisqu’elle était disponible. L’eau n’a pas de coût. L’air n’a pas de coût qui va entrer dans le système de production. On commence à voir aujourd’hui des compensations, des choses comme ça, mais en tout à l’école on ne m’a pas appris ça.
Et puis, comme le disait Gee tout à l’heure, on a forcément un problème sur la question de la croissance qu’on souhaiterait infinie, en tout cas que le capitalisme pense comme étant infinie, dans un monde où les ressources naturelles sont finies puisque le capitalisme s’appuie lui-même, évidemment, sur des ressources naturelles.

Crises systémiques ET interdépendantes

Pierre-Yves Gosset : Le véritable problème, selon moi, ce n’est pas forcément le véritable, en tout cas c’est quelque chose dans les facteurs aggravants, c’est le fait que ces crises sont systémiques et interdépendantes.
Là je prends un cas complètement au hasard, mais je voudrais revenir sur la question des crises sanitaires. On pourrait penser qu’aujourd’hui, en 2019, si jamais on devait on devait avoir une crise type Ebola ou H1N1 qui arrivait, qui survenait demain, on la traiterait beaucoup mieux qu’il y a 20 ans.
Si on prend ce modèle à la fois systémique et interdépendant, eh bien ce n’est pas si sûr, puisque aujourd’hui on a une mobilité qui est beaucoup plus forte, donc imaginer quelqu’un qui aurait, je ne sais pas, Ebola, qui arriverait en Europe, la mobilité étant beaucoup plus forte puisqu’on est capable de prendre une voiture, un avion, un Uber, beaucoup plus facilement qu’il y a 20 ans, potentiellement on peut contaminer un certain nombre de personnes beaucoup plus vite.
L’autre problème c’est, par exemple, le système de santé qui n’est pas allé en s’améliorant ces dernières années, c’est-à-dire qu’on a regroupé des gros centres de santé, mais, du coup, les petits hôpitaux de campagne sont en train de fermer pour des raisons de rentabilité, donc on a cette problématique du fait de dire que si on met tous les gens qui sont malades au même endroit ce n’est pas dit que ça marche mieux. Il vaudrait mieux réussir à, on va dire, encadrer la diffusion d’une épidémie.

Donc toute cette interdépendance fait qu’on a rendu le système extrêmement fragile et complètement hypertendu. On a un peu joué avec une pastèque et des élastiques. On voit bien une déformation du système et à un moment donné ça pète. Il est très difficile de savoir, quand vous commencez à jouer à ce jeu-là, au bout de combien d’élastiques ça pète, au bout de combien de temps ça pète – ça dépend des élastiques, ça dépend de combien vous en mettez, ça dépend du rythme auquel vous les mettez, ça dépend de la pastèque – et, en gros, paf ! Pastèque ! Comme on était aux JDLL j’ai quand même mis une petite roulette russe version code, soit vous faites clic, soit vous faites rm -rfv sur l’ensemble du système. Il ne faut quand même pas déconner ! Donc, mon cher Gee, à qui donc dans la gueule c’est la faute tout ce bordel ?

C’est la faute à qui ce bordel ?

Gee : C’est quoi cette bouteille de lait ?
Vous avez quelque chose qui revient assez souvent dans le discours, notamment de gens qui ont un intérêt à la préservation du système que, en tant que gauchiste de base, j’appelle le capitalisme, c’est « oh, c’est la nature humaine ! ». Ça veut dire l’être humain est destructeur, donc on détruit notre environnement, ce n’est quand même pas de chance ! » C’est quand même plutôt la faute à un système de production – on a parlé d’Anthropocène tout à l’heure – qui date à peu près de la révolution industrielle donc à partir du moment où on a commencé à produire beaucoup plus que ce qu’on pouvait consommer nous-mêmes dans le jour, dans l’année, peu importe. C’est un système, on l’a dit, qui repose sur une croissance infinie dans un monde fini.
Quand on parle de croissance c’est rigolo parce que les gens pensent que ça veut dire que les choses vont bien et qu’on a produit suffisamment. En fait ce n’est pas ça, c’est qu’on a produit plus. Si on produisait suffisamment et qu’on restait, par exemple, au même niveau de population et au même niveau de vie, on pourrait avoir une croissance de zéro en permanence et ça suffirait. En fait, la croissance c’est qu’on produit de plus en plus et comme elle est exprimée en pourcentage de la production d’avant, c’est un système exponentiel, c’est-à-dire que même une croissance de 0,001 %, qui serait ridicule, si elle est constante sur un siècle, je n’ai pas le calcul en tête, ça fait beaucoup. En quelques années vous avez doublé votre richesse.
Donc c’est un système qui repose sur cette espèce d’incohérence première et on pourrait aussi parler, je ne vais peut-être pas aborder le sujet, du système monétaire qui est basé là-dessus. En gros, le système monétaire est basé sur la création d’argent avec de la dette et, en gros, pour rembourser la dette, vous n’avez pas d’autre moyen que de créer plus de dette. Il n’y a pas d’argent qui existe à l’état initial, il n’y a pas une sorte de masse d’argent sur laquelle après on fait de la dette.
Ce truc-là ne peut marcher que si vous êtes dans une croissance. À partir du moment où il n’y a plus de croissance, vous avez une explosion de la bulle, c’est ce qui s’est passé en 2008 avec la bulle immobilière aux États-Unis. Pour le moment on n’a eu que des explosions, entre guillemets, un peu « locales », celle de 2008 a été quand même assez violente. À ce moment-là, en général, qu’est-ce qu’on fait ? On contrevient aux règles du jeu qui étaient censées être inaltérables, on dit que finalement on a le droit de ne pas rembourser ça, on va renflouer ce qui a été perdu, ce genre de choses.
Le problème c’est que ce système-là fait aussi qu’on ne peut pas en sortir, en fait. C’est-à-dire qu’on est entraîné dedans et quelqu’un, un pays qui dirait aujourd’hui on a compris que le problème c’est la croissance et sort de ce système-là, ce pays se casse la gueule dans la seconde. Donc c’est extrêmement compliqué de sortir de ce système et c’est tout le problème. On nous explique qu’il faudrait décarboner l’économie, là en l’occurrence ce qu’il faudrait faire, ce serait arrêter les bagnoles, arrêter tout ça, peut-être pas, comme ça, du jour au lendemain et, d’un autre côté, on valorise en permanence la croissance. On a toujours ce genre de discours qui nous dit il faut la croissance, on ne se pose même pas la question de pourquoi. La croissance n’est même plus un moyen c’est une fin. Il faut la croissance.
Effectivement, dans le système monétaire actuel, il faut la croissance, c’est sûr, mais il faudrait peut-être se demander pourquoi et est-ce qu’il ne faudrait pas changer de système. C’est à quel moment on arrête ça ? Est-ce qu’on attend que ça pète pour l’arrêter ? C’est une fuite en avant qui est valorisée.
Il y a un bouquin dont on n’a pas parlé, mais on aurait peut-être dû commencer par là, c’est celui de Pablo qui s’appelle Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes. Tout ce dont on a parlé, les crises, tout ça, si vous voulez des versions un peu plus sourcées avec un peu moins de conneries dedans, vous avez le bouquin de Pablo Servigne qui n’est pas mal. Il parle notamment d’une chose : on dit souvent qu’il y a l’explosion des inégalités, vous savez il y a 20 personnes qui possèdent autant que les 50 % les plus pauvres, ce ne sont pas les chiffres exacts mais c’est un truc du genre. Au passage, encore une fois désolé pour l’analyse gauchiste de base, mais ce n’est pas une dérive du capitalisme, c’est le résultat logique ; quand on accumule des richesses, plus on est riche plus on accumule de richesses, ça ne peut mener qu’à une distorsion de ce genre. Ça, en plus, ça a un effet pervers qui est qu’on a systématiquement tendance à vouloir imiter les classes supérieures, les classes immédiatement supérieures à nous-même et aussi les classes supérieures de base. C’est-à-dire qu’en fait cette ultra-richesse de certains nous pousse à adopter leurs comportements d’ultra-consommation. J’habite sur la Côte d’Azur, quasiment toutes les maisons ont une piscine. Je pense, sans me tromper, qu’il y a 50 ans ce n’était pas le cas. La piscine est un signe extérieur de richesse. Maintenant c’est accessible à la classe moyenne aisée qui a une petite maison : la piscine est devenue quelque chose d’accessible. C’est quelque chose qui vient d’une fuite en avant où on veut sans arrêt consommer plus pour ressembler, en gros, aux plus riches.
C’est aussi une façon de nous faire adhérer à ce système, c’est-à-dire qu’aujourd’hui on a dit le capitalisme que c’est de la merde, on nous dit « tu as quand même iPhone – enfin moi je n’ai pas d’iPhone on s’en fout – tu en profites beaucoup ». En plus on habite en France, on fait partie des gagnants en fait du système. C’est de plus en plus le cas. Je prends tout ce qui est uberisation, Deliveroo, tout ça c’est aussi une façon de faire adhérer les classes moyennes à l’exploitation du capitalisme. C’est-à-dire qu’avant les riches avaient des domestiques et maintenant, en fait, on a tellement détricoté le code du travail pour les classes les plus faibles, on va dire, que vous pouvez vous payer des domestiques en tant que classe moyenne. Je connais pas mal de gens dans mon milieu d’ingénieur informatique, tout ça, pour qui, si demain Uber ou Deliveroo s’arrêtent, ils le verront comme une énorme régression. Après ils se donnent une bonne conscience en disant qu’il faudrait que les gens de Uber soient mieux payés, qu’ils aient plus de protection, mais je ne sais pas s’ils ne se rendent pas compte que si c’était le cas ils ne pourraient plus, eux, en profiter, en fait.
Ça participe aussi d’une espèce de cercle vicieux qui fait qu’on crée une société qui, selon moi, est de plus en plus moche, tout en valorisant un système qui va nous péter à la gueule. Encore une fois parce que nous voyons ça de la lorgnette de Français ; on est, encore une fois, plutôt relativement les gagnants du capitalisme, il y a aussi des perdants chez nous, mais à l’échelle mondiale c’est quand même plutôt un désastre. Ce n‘est pas un hasard si le champion du capitalisme que sont les États-Unis est un pays qui s’est construit sur le génocide d’un peuple et l’esclavage d’un autre. Nous, on a eu aussi notre part avec la colonisation et aujourd’hui, en fait, on dépend encore des restes de la colonisation, ce qu’on appelle la France Afrique ce genre de chose.
On parlait du nucléaire tout à l’heure. Quand on nous dit que c’est un facteur d’indépendance énergétique alors qu’on importe de l’uranium du Niger, c’est juste qu’on a le Niger dans la poche, c’est pour ça que c’est une indépendance énergique.
Voilà ! Tout un tas de mécanismes qui ne sont pas franchement glorieux, qui font que, selon moi, on devrait vouloir sortir de ce système, en tout cas en prendre le chemin.

Un autre gros problème de ce système c’est qu’il est complètement incapable d’autocritique.
Je fais vous faire une petite citation, je pense que vous allez probablement la reconnaître, elle est un peu longue : « Je ne comprends pas que nous assistions globalement, les uns les autres, à une tragédie bien annoncée dans une forme d’indifférence. La planète est en train de devenir une étuve. Nos ressources naturelles s’épuisent. La biodiversité fond comme neige au soleil et ce n’est pas toujours appréhendé comme un enjeu prioritaire. Et surtout, pour être très sincère, ce que je dis vaut pour la communauté internationale. On s’évertue à entretenir un modèle économique marchand qui est la cause de tous ces désordres. » Est-ce que vous savez de qui c’est ? C’est Nicolas Hulot alors ministre de l’Écologie, c’était sur la fin puisque c’était le moment où il a annoncé sa démission sur France Inter.
Là, clairement, Nicolas Hulot n’a pas utilisé le terme d’effondrement, mais il parle de ça, il parle du fait qu’on se dirige vers un désastre qui est causé par un système marchand, il n’utilise pas le terme capitalisme, mais c’est ça.
Là où le système est absolument incapable d’autocritique c’est quelles ont été les réactions à cette annonce qui a fait quand même pas mal de bruit ? C’était ça : « Il n’avait prévenu personne qu’il démissionnait et sa femme n’était même pas au courant ! » Et vous avez aussi le petit truc qui fait plaisir : il n’avait pas les épaules pour le job, donc c’est normal, il se barre, il est dépassé. Du coup à la place on a mis qui ? de Rugy. Tu n’as qu’à voir dans quelle merde on est !
Quand même ! Un type vous explique par A plus B qu’il va y avoir un désastre qui est causé par la politique actuelle suivie par le gouvernement, mais le gouvernement français n’est pas le seul, c’est mondial, et c’est qu’on en retient, c’est en tout cas ça que le système médiatique en retient. Du coup, le moment où il parle qu’on va tous crever, est-ce qu’on en parle ou pas ? C’est un sujet ou ce n’est pas un sujet ? Visiblement ce n’est pas un sujet !
Je vais laisser Pierre-Yves vous parler du capitalisme de surveillance.

27’ 23

Et le capitalisme de surveillance, dans tout ça ? !

Pierre-Yves Gosset : Vous sentez les transitions !