Numérique Libre à l'ère du Cloud : se résigner à vivre dans écosystème Google - Tristan Nitot

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Titre : Le numérique Libre à l'ère du Cloud : faut-il se résigner à vivre dans l'écosystème Google ?

Intervenant : Tristan Nitot

Lieu : Capitole du Libre - Toulouse

Date : novembre 2017

Durée : 54 min 35

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Licence de la transcription : Verbatim

Statut : Transcrit MO

Description

Avec l'avènement du SaaS (Software as a Service), du cloud et du smartphone, quelle place reste-t-il au logiciel libre et à la bidouille ? Peut-on espérer répandre le libre auprès de tous alors que Google et Facebook semble rafler la mise ? À quoi pourrait ressembler un cloud libre pour tous ? Faut-il vraiment s'inquiéter d'une hégémonie des GAFAM alors que nous n'avons rien à cacher ? Voici les réponses auxquelles Tristan Nitot va répondre lors d'une conférence qui a des vrais morceaux de cochons dedans.

Transcription

Bonjour. Oh la vache ! [Prononcé avec une voix caverneuse] On dirait la voix de Dieu, mais c’est juste moi. Voilà !

En fait, je suis bien prévu pour parler aujourd’hui à 14 heures, sauf qu’on est en retard parce qu’on a eu des petits soucis techniques, comme quoi il ne faut pas du tout avoir confiance en la technologie ! Par contre j’ai décidé de changer. Je devais parler du Meilleur des mondes et de Google et finalement je vais vous parler de Matrix et de Facebook. Sinon c’est le même sujet, comme vous allez le voir.

Quel rapport entre les réseaux sociaux et Matrix ?

Nous sommes donc à Toulouse, Capitole du Libre 2017 et je vais vous parler du rapport entre les réseaux sociaux et Matrix, Matrix le film.

Moi brièvement. Je m’appelle Tristan Nitot. J’ai passé 17 ans sur le projet Mozilla qui donne Firefox, le logiciel libre que vous voyez là sur la gauche ; normalement le logo est rond, mais là il est râblé. Quand j’ai quitté Mozilla j’ai écrit un livre qui s’appelle Surveillance:// qui est sorti il y a treize mois maintenant. Et maintenant je travaille pour une start-up française qui fait du logiciel libre qui s’appelle Cozy dont le site web est cozy.oi et c’est une solution de cloud personnel. Vous allez voir c’est en rapport avec le sujet dont on va discuter aujourd’hui.

Déjà, puisque forcément on va parler du film Matrix, il convient de faire un léger rappel de ce que c’est que Matrix sinon vous allez être perdus. Qu’est-ce qu’on voit là ? C’est extrait du film et ce que vous voyez, ces choses oranges, il y en a ici, on ne voit pas bien, mais il y en a en haut à droite aussi, ce sont des capsules qui enferment des corps humains vivants et c’est dans quoi vit l’humanité.

En fait l’humanité vit dans une réalité virtuelle qui lui est injectée, mais physiquement les corps humains sont tous enfermés dans ces capsules. Pourquoi ? Parce que les machines ont gagné la bataille, la guerre contre les humains et donc utilisent les humains. Ils ont enfermé et utilisent les humains pour produire de l’énergie vitale qui est indispensable au bon fonctionnement des machines. C’est une dystopie, c’est-à-dire le contraire d’une utopie, c’est un futur qui a mal tourné ; les machines ont gagné et les humains, aujourd’hui, sont réduits à produire juste de l’énergie vitale et ne sont pas libres.

Je ne crois pas qu’on soit objectivement dans la matrice aujourd’hui, mais c’est difficile à dire, on n’est jamais totalement certain, par contre il y a un certain nombre de points communs entre le film Matrix et ce que nous vivons nous, aujourd’hui, au XXIe siècle.

Avant de vous expliquer pourquoi, on va faire un rapide crochet par de la chimie. Je vous présente la dopamine, une substance qui est assez extraordinaire. La dopamine c’est un neurotransmetteur. Donc c’est une substance qui est dans le cerveau et qui est libérée dans un certain nombre de cas dans le cerveau et qui a un effet sur les sensations de l’humain. En particulier la dopamine donne du plaisir donne, en fait, une récompense à la perspective de quelque chose qui est nécessaire pour l’humain. Je m’explique. Je vais vous donner des exemples pour être très concret.

En fait la dopamine c’est lié, en quelque sorte, ça sert à récompenser l’humain quand il fait ce qu’il faut faire pour perpétrer le genre humain. Donc vous voyez un bon burger ou un bon plat de nouilles comme il y a dehors au food truck, vous voyez ça, et là vous avez un pic de dopamine qui est généré. Il y a de la dopamine qui est relâchée dans le cerveau, ça monte puis ça redescend et ce pic de dopamine signale en fait au corps : ça c’est bien il faut manger. Eh oui, il faut manger pour survivre et permettre la survie de l’espèce. En fait, la dopamine permet de récompenser quand on fait la bonne chose pour permettre la survie de l’espèce.

Il ne suffit pas de bouffer pour la survie de l’espèce, c’est une condition nécessaire mais pas suffisante, il faut aussi se reproduire. Et c’est pour ça que quand vous flashez sur quelqu’un vous avez un pic de dopamine. La perspective d’avoir une relation intime avec quelqu’un génère des pics de dopamine. C’est indispensable puisque ça va permettre de vous reproduire, de vous inciter à vous reproduire. C’est quand même compliqué la reproduction. Enfin, le premier quart d’heure ça va ; c’est quand vous avez des enfants à élever que c’est compliqué. Moi j’en ai deux donc je peux vous en parler. Donc voilà ! Il y a des pics de dopamine pour vous encourager à le faire, alors qu’objectivement, si on devait vraiment faire le calcul, bref ! On a la dopamine pour nous encourager à le faire.

Qu’est-ce qu’il y a d’autre ? Ah oui, il y a être proche des autres. C’est important. C’est important aujourd’hui, je pense que c’est structurellement humain de vouloir être proche des autres, mais historiquement, du temps de la Préhistoire, au temps où on était physiquement en danger bien plus souvent qu’on ne l’est aujourd’hui, être dans le groupe, faire partie de la tribu, était quelque chose qui était essentiel à la survie de l’espèce. Donc se rapprocher des autres, sentir la communauté autour de soi, provoque aussi des pics de dopamine.

Et des pics de dopamine on en retrouve dans d’autres cas : un, par des réactions chimiques, quand on prend de la coke on a des pics de dopamine. Je ne sais pas moi, c’est juste qu’on me l’a dit, je l’ai lu dans des communications scientifiques. Et puis autre chose qui est là aussi lu dans une communication scientifique, c’est quand on reçoit des like, quand on reçoit de retwette, quand on reçoit des commentaires sur quelque chose qu’on a fait, une vidéo de chatons ou une photo de bébé ou d’un bon petit plat, hop !, on reçoit des pics de dopamine parce qu’on fait partie du groupe.

Du coup il y a eu des études qui ont été faites eh oui, quand vous êtes accro à Facebook, quand vous cherchez du like en permanence eh bien vous avez des pics de dopamine en rafales et inévitablement c’est comme la coke quand on arrête brusquement, on a un syndrome de manque, on est en sevrage et c’est douloureux..

Donc ce n’est pas hyper cool, mais c’est un fait, quand compulsivement vous consultez Facebook c’est que vous êtes à la recherche de dopamine. Et d’ailleurs, Sean Parker, premier président de Facebook, l’expliquait le 10 novembre dernier donc très récemment. Il expliquait on vous donne, on, c’est Facebook et les autres réseaux sociaux, on vous donne un pic de dopamine à intervalles réguliers. En fait il dit qu’il est un hacker de la nature humaine et qu’il a trouvé un moyen, une faille, une vulnérabilité dans l’humain, pour générer des pics de dopamine en fait en exigeant de lui qu’il utilise Facebook. Donc c’est une faiblesse de la psychologie humaine. Il l’explique : « On l’a compris consciemment et on l’a quand même fait… Dieu sait ce que ça fait au cerveau des enfants. On est désolés, mais comme on a fait un max de blé ce n’est pas grave », en substance. Ça c’était il y a juste une semaine.

Déjà on le savait pour la dopamine et il y a quelques années l’American Marketing Association titrait « l’utilisation des réseaux sociaux déclenche une hausse de dopamine ». Et ils se demandent en bas là « voilà comment ça fonctionne et voilà ce que les marketeux peuvent faire à ce propos ». On se demande qu’est-ce qu’ils vont faire, ils vont arrêter ça forcément ! Et vous regardez l’adresse, l’URL là-haut, voilà, ils veulent nourrir l’addiction. Voilà ! Ces gens-là ne sont jamais décevants. C’est formidable. Ils sont là où on les attend, exactement. Donc littéralement, l’American Marketing Association veut nourrir l’addiction à la dopamine. Bravo les mecs !

Les consultants ne sont pas en reste puisque voici le livre de Nir Eyal [Hooked] qui est la bible du domaine. En français son titre c’est  Accroc , direct ! Il tape là où ça fait mal. Le sous-titre c’est : « Comment construire des produits qui créent des habitudes » et ensuite, les trois étoiles sont tirées toujours de la page d’accueil du bouquin, ce sont les trois promesses : comment créer des habitudes dont on ne peut plus se débarrasser ; comment construire des produits que les gens aiment et qu’ils ne peuvent plus arrêter d’utiliser ; et troisièmement, technique comportementale utilisée par Twitter, Instagram, Pinterest et les autres. Le mec, c’est clair, il tape là où ça fait mal pour faire du blé, lui aussi.

Et ça me rappelle cette citation de Steve Jobs qui, avant de faire des systèmes fermés faisait des choses assez extraordinaires comme l’Apple 2 qui était complètement ouvert avec des assembleurs pour comprendre comment était structurée la machine, avec le schéma électrique et électronique de la machine pour qu’on puisse la hacker comme on voulait. Il disait : « L’ordinateur est une bicyclette pour l’esprit. » Vingt ans plus tard il invente l’iPhone et là ce n’est plus tellement une bicyclette pour l’esprit c’est plutôt une zone érogène qu’on n’arrête pas de tripoter pour créer du plaisir. Je ne vous fais pas la traduction parce qu’il y a des gros mots dedans, ma mère m’a interdit !

Là normalement c’est l’idée. Vous êtes Neo, le héros de Matrix, et vous vous réveillez, weuuh !, et vous voyez la réalité de ce qu’on vit aujourd’hui. C’est-à-dire qu’on est immergés dans ces réseaux sociaux, on ne réalise pas et, en fait, on est shootés à la dopamine et on ne le réalise pas tant qu’on ne nous l’a pas expliqué.

Vous allez me dire, bon d’accord ils nous tiennent par la dopamine, mais heureusement ils n’en sont pas à prendre notre énergie vitale. Non, c’est vrai. Mais alors qu’est-ce qu’ils nous prennent ? Ils nous prennent notre travail, ce qu’on appelle le digital labor et nos données personnelles. On va commencer par les données personnelles.

11’ 08

Comment Google prend nos données personnelles.