Monétisation des données : la data aux œufs d’or - La méthode scientifique

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Titre : Monétisation des données : la data aux œufs d’or

Intervenant·e·s : Valérie Peugeot - Olivier Ertzscheid - Natacha Triou - Jounalises et cofondateur TaData, voix off - Nicolas Martin

Lieu : Émission La Méthode scientifique - France Culture

Date : novembre 2020

Durée : 59 min

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Présentation de l'émission

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration :

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Nicolas Martin : On n’a presque plus à vous le répéter, ce qui est devenu aujourd’hui un axiome d’Internet : « quand c’est gratuit, c’est que c’est vous le produit ! ». Et de fait, de nombreuses entreprises numériques – les réseaux sociaux au premier chef – vivent du commerce des informations que vous leur délivrez, plus ou moins à votre insu. Le RGPD, le Règlement Général pour la protection des données, a tenté de mettre de l’ordre dans tout ça en faisant de la délivrance des données personnelles un « acte conscient », mais cela a-t-il vraiment changé quoi que ce soit ? Et si, après tout, nous étions tous rémunérés pour le fait de transmettre ces informations aux entreprises ? Et jusqu’à quel niveau ? La monétisation des données pourrait-elle, in fine, retomber dans notre poche ?
« Monétisation des données : la data aux œufs d’or », c’est le programme financier qui est le nôtre pour l’heure qui vient. Bienvenue dans La Méthode scientifique/em>.
Et pour évoquer cette exploitation et cette transformation de nos données individuelles en monnaie presque sonnante et trébuchante, j’ai le plaisir de recevoir aujourd’hui Valérie Peugeot. Bonjour.

Valérie Peugeot : Bonjour.

Nicolas Martin : Vous êtes membre du collège des commissaires de la CNIL – la Commission nationale informatique et libertés – en charge des données de santé, et chercheuse en sciences sociales au département de recherche SENSE pour Sociology and Economics of Networks and Services à Orange Labs et Olivier Ertzscheid. Bonjour.

Olivier Ertzscheid : Bonjour.

Nicolas Martin : Vous êtes enseignant chercheur en sciences de l’information à Nantes.
On commence par celle qui a vendu, il y a déjà très longtemps, son âme à Instagram, c’est Natacha Triou pour Le journal des sciences. Bonjour Natacha.

Natacha Triou : C’est faux. Bonjour Nicolas.

Nicolas Martin : On commence ce journal par un fait d’actualité qui vous aura difficilement échappé, ce sont les élections présidentielles, problématiques d’ailleurs, aux États-Unis qui continuent encore aujourd’hui. Or la dernière ordonnance de Donald Trump inquiète la communauté scientifique américaine. Natacha.

Natacha Triou : On n’a pas de rappeler tout ce que Trump a fait à la science en quatre ans de mandat, entre les réductions drastiques des budgets, le blocage de publications ou encore la dévalorisation du discours scientifique.
Le 21 octobre, le président américain a émis un dernier décret qui vise les institutions scientifiques gouvernementales qui emploient environ deux millions de personnes. Cette ordonnance crée une catégorie d’emplois pour les fonctionnaires, tels que les chercheurs, pour ceux qui exercent des rôles, je cite, « confidentiels, déterminant les politiques et défenseurs des politiques ». Ce décret faciliterait le licenciement des chercheurs en place et simplifierait l’embauche sur des critères politiques. On peut donc s’inquiéter pour la NOAA [National Oceanic and Atmospheric Administration] qui surveille le climat, les tempêtes et la pêche ou encore le PA qui réglemente la pollution de l’air et de l’eau des usines et de centrales électriques. Cette ordonnance pourrait être un coup fatal pour l’indépendance de la science dans l’ensemble du gouvernement fédéral.

Nicolas Martin : On suit évidemment les élections américaines dans les journaux de la rédaction de France Culture et puis on suit Le journal des sciences sur les ondes, également sur notre fil Twitter @lamethodefc, sur le site de France Culture, franceculture.fr.
On passe aux brèves.
Selon une étude parue hier dans la revue Cell Reports, la cornée de l’œil serait résistante aux SARS-CoV-2.

Natacha Triou : On sait que la transmission du virus passe par la bouche et le nez. Concernant la transmission oculaire cela serait biologiquement possible, mais, à vrai dire, on n’en sait trop rien. Des chercheurs américains se sont intéressés à cette question. Ils ont utilisé des tissus cornéens de souris mais aussi de 25 donneurs humains. Ils les ont exposés à trois virus, le Zika, l’herpès et le nouveau coronavirus. Contrairement au Zika et à l’herpès, il n’y a aucun signe de réplication du SARS-CoV-2 dans la cornée. Mais, comme le reconnaissent eux-mêmes les auteurs, ce ne sont que des résultats préliminaires, cela ne veut pas nécessairement dire que toutes les données sont résistantes à ce virus.

Nicolas Martin : Et après huit mois de silence la NASA a réussi à communiquer de nouveau avec la sonde Voyager 2.

Natacha Crance : Lancée en 1977, la sonde voyage à présent à l’extérieur de notre système solaire, à 19 milliards de kilomètres de notre planète. Depuis le mois de mars la sonde naviguait en solo, car la seule antenne radio sur terre capable d’envoyer des commandes devait être rénovée. Le 29 octobre la NASA a testé l’antenne remise à neuf et tout s’est bien passé. Voyager 2 a bien reçu et exécuté les commandes sans aucun problème.

Nicolas Martin : Et enfin, selon une étude parue dans le British Medical Journal, un implant cérébral a permis à deux personnes paralysées de contrôler des ordinateurs avec leur cerveau.

Natacha Crance : Il s’agit d’un implant sans fil, de la taille d’un trombone, qui vient se loger juste au-dessus des sinus, à côté du cortex moteur primaire. Les chercheurs de l’université de Melbourne l’ont essayé sur deux patients atteints de sclérose latérale amyotrophique, la maladie de Stephen Hawking. Cette interface directe avec l’ordinateur a été combinée avec un eyes tracker, un suivi oculaire, pour déplacer un curseur. Les patients ont pu accomplir différentes tâches : envoyer des SMS, naviguer sur le Web ou faire des opérations bancaires. Comme cette intervention ne nécessite pas de chirurgie à cerveau ouvert, des essais cliniques de plus grande taille sont prévus en Australie.

Nicolas Martin : Merci Natacha. On vous retrouve demain pour le prochain Journal des sciences.
Et si nous reprenions la main sur nos données personnelles, pour les protéger, bien sûr, mais aussi pour en faire, finalement, ce que bon nous semble ? Et si je décidais, en pleine conscience, de vendre mes données individuelles ou de santé à des acteurs qui me proposent, contre leur échange, une rémunération directe ? Si, au lieu d’être ciblé avec un consentement, somme toute très limité, par des publicités individualisées en fonction de mon profil, je décidais de vendre mes goûts et mes couleurs à des annonceurs qui me payeraient en échange ? Et si, en fait, l’État m’autorisait à considérer mes données comme des marchandises ? C’est un peu le pari qu’a fait une société, nous en avions d’ailleurs parlé dans Le journal des sciences, la société TaData qui a été considérée en conformité juridique et informatique par la CNIL vis-à-vis du RGPD et c’est notre archive du jour.

Voix off : Une application a retenu notre attention ce matin. C’est une application qui concerne les jeunes et qui propose de les rémunérer en échange de leurs données personnelles. Excusez-moi, dans l’actualité, tout ça. Est-ce que c’est bien sérieux cette application ? Vous avez enquêté.

Voix off : Ça vient de sortir, ça s’appelle TaData et c’est réservé aux 15-25 ans, pas plus pas moins et on vous promet une rémunération partant de trois à cinq euros pouvant monter, nous dit-on, à 10 voire 15 euros par mois en échange de données personnelles qui seront ensuite revendues à des marques intéressées, c’est complètement assumé. On a rencontré les deux fondateurs de cette application, ce sont des experts en communication et aussi des experts sur le monde étudiant. On leur a demandé : est-ce que ce n’est pas un peu risqué de laisser nos jeunes, comme ça, vendre leurs données personnelles et surtout de quelles données personnelles on parle ? Écoutez leur réponse.

Cofondateur de TaData, voix off : On refuse d’aller sur de la donnée qui est sensible du type santé, orientation sexuelle, politique, religion. Si on trouve des annonceurs qui s’intéressent à leur profil on leur propose, très simplement, de les mettre en relation en échange d’une rémunération. Aujourd’hui les données sont commercialisées, captées, et l’utilisateur n’en voit jamais la couleur.

Nicolas Martin : Voilà le concept de cette société TaData. Peut-être simplement une réaction, l’un et l’autre, à ce petit bout, ce petit extrait de chaîne info que vous venez d’entendre et au concept qui, pour le moment, peut se développer sur le territoire français. Valérie Peugeot.

Valérie Peugeot : Merci. Déjà, je voudrais réagir à votre propos introductif parce que la CNIL n’a pas autorisé TaData, donc je voudrais corriger ça.

Nicolas Martin : Ce n’est pas ce que j’ai dit, j’ai dit que c’était considéré en conformité juridique et informatique.

Valérie Peugeot : Non plus.

Nicolas Martin : Je vais vous laisser me corriger.

Valérie Peugeot : En fait, c’est la communication qu’en a fait TaData mais ce qui s’est passé c’est qu’en réalité, quand on les a contrôlés, en réalité ils n’avaient pas encore commencé à partager les données avec leurs clients. Donc, de fait, on ne risquait de les trouver en situation illégale puisqu’ils n’avaient pas commencé véritablement leur activité. Maintenant on continue d’échanger avec eux et d’essayer de cadrer leur activité pour que ça soit le plus conforme possible aux RGPD.
Maintenant il y a un débat ouvert et qui est en discussion en ce moment à l’échelle européenne dans le cadre de ce qu’on appelle CEPD, le Comité européen de la protection des données à caractère personnel qui est l’instance qui réunit les différentes CNIL des différents pays, pour regarder comment cette approche par la monétisation des données peut ou ne peut pas être compatible avec le RGPD. Ce sont des travaux en cours.
Maintenant sur le fond, si vous me demandez ce que je pense de cette initiative, je pense que c’est une très mauvaise initiative pour être tout à fait claire et pour différentes raisons. D’abord parce qu’en fait les gens qui font cela revendiquent, prétendent que cela va mieux protéger nos données de toute réglementation ou régulation, c’est le discours habituel d’un libéralisme économique qui considère que le marché marche mieux que la réglementation, c‘est toujours une manière d’éviter toute forme de contrainte. Mais surtout c’est une fausse bonne idée, parce que, d’une part, il y a une asymétrie sur ce marché, c’est-à-dire que la personne qui va, entre guillemets, « vendre ses données », est en position de faiblesse. Comme par hasard vous voyez que TaData s’adresse à des jeunes, ce n’est pas complètement un hasard, et quand on regarde d’un peu plus près ce que TaData leur rapporte, j’ai vu certains reportages qui montrent que c’est 15 euros par mois, voire moins, évidemment vous pensez bien que ça n’intéresse que des personnes qui sont en grande précarité économique.
De fait, cette idée-là n’est pas nouvelle, ce n’est pas la première personne qui s’y essaye, et la plupart des startups précédentes se sont cassé les dents, ont arrêté leur activité parce que, de toute façon, ça ne marche pas ça n’intéresse pas les gens.
Au-delà du côté pragmatique, de toute façon il y a des problèmes de fond beaucoup plus graves.
Un premier problème c’est que ces données n’appartiennent à l’une ou l’autre personne. La plupart des données que nous produisons sont le fruit de nos interactions, de nos conversations, de notre sociabilité, donc allez déterminer à qui elles appartiennent ? Quand vous mettez un « like » sur un post d’une personne sur Facebook, est-ce que ce like vous appartient ? Est-ce qu’il appartient à la personne dont vous avez approuvé le post ?
Parlons maintenant des données génétiques. Les données génétiques parlent de vous mais elles racontent aussi votre fratrie, toute votre parentèle, c’est ce qu’on appelle des données pluripersonnelles.
Donc il y a une illusion et ce discours est à mon avis très néfaste parce qu’il contribue à naturaliser l’idée que la trace serait un bien matérielle, commercialisable, et ça va vraiment, et je m’arrêterai là, à l’encontre, je dirais, de toute la philosophie qui est derrière la protection des données à caractère personnel aujourd’hui, qui est une philosophie d’un droit qui est relié à l’essence même de la personne, qui est au foncement de sa dignité, au fondement du développement de sa personnalité. Donc de fait il y a un antagonisme philosophique entre cette approche de patrimonialisation de la donnée et la philosophie de la protection de la vie privée et de nos libertés d’une manière plus générale.

Nicolas Martin : C’est intéressant les termes que vous employez Valérie Peugeot, on y reviendra, cette notion d’antagonisme philosophique quand on a le sentiment que, de plus en plus aujourd’hui, la structure du réseau, notamment des réseaux sociaux, est absolument fondée sur ce type d’organisation économique et de marchandisation des données personnelles et de voir comment on peut passer de cet antagonisme philosophique à ces structures ontologiques, si on peut l’appeler comme ça. On y reviendra. Un mot, j’aimerais entendre Olivier Ertzscheid là-dessus puisque vous aviez des mots un peu durs sur ce type de démarche ou, en tout cas, de volonté de commercialisation de données individuelles comme le propose TaData. Vous parlez carrément, et ce sont vos termes, Olivier Ertzscheid, je vais vous laisser les commenter, de « prostitution pour mineurs ».

12’ 50

Olivier Ertzscheid : Oui, j’avais effectivement utilisé