Moins de libertés, moins de fun - Arthur Messaud

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Titre : Moins de libertés, moins de fun

Intervenant : Arthur Messaud

Lieu : Pas Sage en Seine - Choisy-le-Roi

Date : juin 2019

Durée : 56 min 30

Visionner ou télécharger la conférence

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration :

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription - MO

Description

Vous vous souvenez quand on disait : « Si on ne s’oppose pas à cette loi, elle sera utilisée demain pour tous nous censurer » ? Nous sommes demain.
L’époque où La Quadrature du Net s’en prenait à ses adversaires à coup d’images rigolotes et de chats est lointaine. Aujourd’hui, notre quotidien est fait de prétexte « terroriste », de répression policière, d’alliance entre l’État et les GAFAM, d’encore pires États privés.
Certes, Internet offre encore un paquet d’espoirs d’émancipation, d’utopies concrètes, de belles voies de sortie… Mais nous n’en parlerons pas ici. Nous ne venons que pour maudire et jurer.

Transcription

Bonjour à tous. Je suis Arthur de La Quadrature du Net. J’ai deux options à vous proposer pour ce dont on va parler dans l’heure.
Soit la première option, qui est peut-être la plus simple pour tout le monde, c’est que je vous fasse un exposé de toutes les raisons qui font qu’on a moins de raisons de s’amuser aujourd’hui, en fait une liste de toutes les défaites de l’année en matière de libertés sur Internet et on va très rapidement évoquer les semi-victoires qui ne sont pas des vraies victoires, en matière de surveillance et de censure, enfin de censure puis de surveillance. En matière de surveillance on a quand même beaucoup de choses à dire parce qu’on a quand même beaucoup de fronts différents à aborder, notamment tout ce qui est la surveillance d’État, l’avancée de nos contentieux, ce qui va être surveillance privée, pareil, où est-ce qu’on en est au niveau RGPD, au niveau CNIL. Et aussi un autre troisième gros volet nouveau à La Quadrature qui est la surveillance dans les villes, ce qu’on appelle « technopolis ». Ça fait trois sujets. Ce que je vous propose en deuxième option c’est qu’on ne parle que de censure, en gros censure ça sera directive copyright, règlement terroriste et loi anti-haine, et aussi nos propositions sur l’interopérabilité et que je m’arrête et après on débat. Je passe un peu plus de temps sur ça et après on débat avec vous parce que je pense qu’il y a quand même pas mal d’idées intéressantes à partager entre nous.
Qu’est-ce que vous préférez ? On parle de censure et surveillance et c’est en mode assez vertical où je balance plein d’infos ? Ou on ne parle que censure et on débat ? Qui est pour l’option 1 où on parle de tout ? Voilà. Qui est l’option 2, on parle surtout de censure et on débat plus ? D’accord. Vous me voulez pas débattre, vous êtes très fatigués, vous voulez juste dormir.
Donc pour l’enregistrement vidéo sachez que c’est l’option 1 qui a remporté un franc succès.

Première partie censure et va voir trois textes important auxquels on va s’intéresser.
Le premier, ce n’est pas le premier chronologiquement mais ce sera plus simple comme ça, je vais vous parler du règlement terroriste, donc un texte européen qui a pris beaucoup d’énergie de La Quadrature dans l’année. Ensuite on parlera de la directive copyright sur laquelle on a moins été, sur laquelle on a moins travaillé mais qui était en parallèle du règlement terroriste et qui est, ne serait-ce qu’à cet effet, très intéressant à discuter et après on parlera de la loi actuellement débattue à l’Assemblée nationale, au Parlement français en tout cas, qui est la loi contre la haine.

Le règlement terroriste est un texte qui a été proposé en septembre par la Commission européenne. C’était un texte demandé par les ministères de l’Intérieur français et allemand, en septembre 2018, le même jour, d’ailleurs, petite blague, où la directive copyright avait un vote extrêmement important au Parlement européen, donc dans la conclusion de la directive copyright paf ! la Commission européenne dépose un règlement terroriste. Il a été débattu extrêmement rapidement et, au final, huit mois plus tard, le texte était adopté en première lecture au Parlement européen avec assez peu de modifications. Donc la première lecture était terminée, le texte a été mis en pause le temps de faire les élections. Maintenant que le Parlement est reconstitué, on va avoir les « trilogues », ces fameux moments assez ambigus où, derrière des rideaux fermés, le Parlement, les États membres et la Commission négocient comment modifier le texte. Là on risque de rentrer dans cette étape-là. Ça c’est le contexte du temps, donc en ce moment on n’est pas à fond sur ce dossier-là.
Le contenu du texte, je vais le répéter rapidement, ce n’est pas une conférence sur ça, donc je vous invite vraiment à aller voir sur notre site, vous verrez maintenant que sur le site, en haut, il y a des dossiers assez explicites – Censure, Surveillance, Données personnelles, Télécoms –, donc si vous allez sur la page Censure vous aurez un dossier détaillé sur le règlement terroriste. En deux mots, pour vous donner envie d’aller le voir, c’est l’obligation pour les hébergeurs, tous les hébergeurs, les petits comme les gros, de censure en une heure un contenu terroriste, que la police en tout cas considère comme étant terroriste, sans contrôle judiciaire et une très forte incitation, entre les lignes ou parfois explicitement, à ce que les hébergeurs utilisent de l’intelligence artificielle, on ne sait pas laquelle mais c’est une pensée magique en tout cas, pour détecter à l’avance, avant même que les contenus soient signalés, avant même qu’ils soient mis en ligne en fait, les contenus qui seraient terroristes. Parce que ces méthodes-là ont été soi-disant développées ou en tout cas beaucoup vendues par Facebook, Google, ces trois dernières années, qui ont réussi, Facebook et Google, à faire croire à tous les États membres qu’ils avaient la solution miracle pour modérer Internet et aujourd’hui, comme on le verra pendant encore quelques années, tous non gouvernements disent : « Il faut que le reste d’Internet utilise les solutions miracles des géants », alors que ces solutions ne marchent pas. On a vu avec l’attentat de Christchurch que Facebook lui-même admet que le jour de l’attentat il y a eu 1,5 millions de copies de la vidéo de l’attentat qui ont été sur sa plateforme, que sa méthode magique a réussi à en supprimer quelques-unes et qu’il y en a quand même 300 000 qui sont passées complètement au travers de son filet. Donc 300 000 sur 1,5 million ! Surtout que les gens qui ont fait cette diffusion de la vidéo ce n’étaient pas des bots surentraînés russes, c’était des connards amateurs, en fait, qui n’étaient pas plus compétents que vous à mon avis. Voilà, ce sont quelques connards une après-midi qui ont réussi à mettre parterre la grande solution magique de Facebook pour réguler Internet, ça devrait calmer un peu les ardeurs des gouvernements et, sans surprise, ça ne le fait pas du tout.
Donc voilà, ça c’est pour aller assez vite sur ce texte. On a vraiment besoin de beaucoup d’aide dans l’année qui vient, je pense, pour lutter contre. C’était très dur de lutter contre le texte en première en première lecture, parce qu’il avait beaucoup d’attention focalisée sur la directive copyright, sur laquelle je vais dire trois mots. Les médias, évidemment, ont très peu parlé de ce texte-là parce qu’ils étaient pris dans la directive copyright pour la défendre, pour le coup. Du coup, s’opposer à un texte qui ressemblait un peu, en tout cas parler ou évoquer des oppositions qu’il y avait au règlement terroriste, qui ressemblait un peu trop à la directive copyright, peut-être que ça les a dissuadés d’en trop parler. Dans l’ensemble, on a quand même des gens qui ont réussi à se mobiliser énormément et c’est cool parce qu’on a quand même réussi à faire pas mal de pression au Parlement européen et en gros on a échappé à un début de victoire ; à trois voix près, il y avait un amendement pour faire tomber le délai d’une heure, pour le faire transformer en un délai raisonnable, ce qui était un peu mieux. Et, en plénière au Parlement européen, à trois voix près, cet amendement n’est pas passé. Ça montre qu’on a encore des moyens d’action et pour la seconde manche de la bataille il y a vraiment des choses.
Ça c’est pour le positif du futur, mais en tout cas le passé c’est de la défaite, pour rester sur la ligne rouge de la conférence qui est le négatif.

Maintenant la directive copyright qui elle, pour le coup, son débat au niveau européen est fini, vous ne l’avez pas raté. Les petits points de comparaison avec le règlement terroriste je trouve que c’est toujours utile. D’abord la directive copyright ne s’applique pas à tous les acteurs, elle ne va s’appliquer qu’aux acteurs qui ont une certaine taille, qui ont un rôle actif dans la façon de diffuser les œuvres, et c’est vrai que ça ressemble beaucoup à une loi qui a été faite sur mesure pour viser Google, Facebook, Twitter et les gros avec qui les ayants droit ont déjà des accords de partage de revenus, partage de revenus de la publicité ciblée, et nous on considère que cette directive a pour but de renforcer ces accords au bénéfice de l’industrie culturelle.
On trouve que cette directive a des effets assez limités, par contre elle a un effet symbolique dramatique qui est de venir mettre dans la roche l’accord qui existe depuis dix ans, en fait, entre l’industrie culturelle, qu’elle soit européenne ou étasunienne, avec cet accord-là avec YouTube ou Facebook pour partager les bénéfices de la publicité ciblée, ces bénéfices qui sont faits de façon illicite et sur notre dos !
Donc plutôt que de sanctionner ces accords qui sont illicites, plutôt que de sanctionner la publicité ciblée qui est illicite, vu que la CNIL ne fait pas son travail, le droit vient le reconnaître comme étant légitime. Ça c’est vraiment ce qui nous a dérangés. Aujourd’hui le texte doit être transposé au niveau français. Il y avait deux parties qui nous inquiétaient ??? dans la directive, c’était la première partie sur ce qui a été au final l’article 15 sur un nouveau droit voisin pour les éditeurs de presse qui, en gros, forcerait encore un peu plus Google News à partager ses revenus avec les journaux qui sont cités dans Google News, c’est ça l’objectif. Aujourd’hui la transposition en France de cette partie-là est extrêmement avancée, on arrive aux étapes finales du débat législatif français. C’est assez inquiétant parce que c’est allé beaucoup trop vite ; il y a eu très peu de débat public sur ça, à part Next INpact, je pense que personne n’a dû parler du texte ; même nous, je crois qu’on n’a pas pu trop parler, on n’a pas eu l’occasion de parler du texte français qui est assez lamentable parce que, évidemment, il ne reprend même pas les deux trois garanties qu’il y a derrière la directive, donc ça il faudra le corriger. Après, tout ce qui est la partie article 17 qui nous inquiétait beaucoup plus, donc il y a la partie partage des revenus sur les œuvres diffusées ou alors censure des œuvres en cas d’absence d’accord commercial, donc la partie Content ID, ça ce n’est pas encore dans les textes qui ont été déposés en France, ça va venir dans la loi audiovisuelle qui va être débattue plutôt en 2020 à priori et sur laquelle il faudra être pas mal actifs, mais on a déjà des petits plans de stratégie pour foutre un peu la merde, donc ça sera chouette aussi.
C’est l’aspect copyright, je suis allé vite dessus parce que je pense que vous aurez des questions pour discuter de ça. Donc voilà, on reviendra au moment des questions.

9’ 32

On va venir à un moment plus d’actualité