Moins de libertés, moins de fun - Arthur Messaud

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Titre : Moins de libertés, moins de fun

Intervenant : Arthur Messaud

Lieu : Pas Sage en Seine - Choisy-le-Roi

Date : juin 2019

Durée : 56 min 30

Visionner ou télécharger la conférence

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration :

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription - MO

Description

Vous vous souvenez quand on disait : « Si on ne s’oppose pas à cette loi, elle sera utilisée demain pour tous nous censurer » ? Nous sommes demain.
L’époque où La Quadrature du Net s’en prenait à ses adversaires à coup d’images rigolotes et de chats est lointaine. Aujourd’hui, notre quotidien est fait de prétexte « terroriste », de répression policière, d’alliance entre l’État et les GAFAM, d’encore pires États privés.
Certes, Internet offre encore un paquet d’espoirs d’émancipation, d’utopies concrètes, de belles voies de sortie… Mais nous n’en parlerons pas ici. Nous ne venons que pour maudire et jurer.

Transcription

Bonjour à tous. Je suis Arthur de La Quadrature du Net. J’ai deux options à vous proposer pour ce dont on va parler dans l’heure.
Soit la première option, qui est peut-être la plus simple pour tout le monde, c’est que je vous fasse un exposé de toutes les raisons qui font qu’on a moins de raisons de s’amuser aujourd’hui, en fait une liste de toutes les défaites de l’année en matière de libertés sur Internet et on va très rapidement évoquer les semi-victoires qui ne sont pas des vraies victoires, en matière de surveillance et de censure, enfin de censure puis de surveillance. En matière de surveillance on a quand même beaucoup de choses à dire parce qu’on a quand même beaucoup de fronts différents à aborder, notamment tout ce qui est la surveillance d’État, l’avancée de nos contentieux, ce qui va être surveillance privée, pareil, où est-ce qu’on en est au niveau RGPD, au niveau CNIL. Et aussi un autre troisième gros volet nouveau à La Quadrature qui est la surveillance dans les villes, ce qu’on appelle « technopolis ». Ça fait trois sujets. Ce que je vous propose en deuxième option c’est qu’on ne parle que de censure, en gros censure ça sera directive copyright, règlement terroriste et loi anti-haine, et aussi nos propositions sur l’interopérabilité et que je m’arrête et après on débat. Je passe un peu plus de temps sur ça et après on débat avec vous parce que je pense qu’il y a quand même pas mal d’idées intéressantes à partager entre nous.
Qu’est-ce que vous préférez ? On parle de censure et surveillance et c’est en mode assez vertical où je balance plein d’infos ? Ou on ne parle que censure et on débat ? Qui est pour l’option 1 où on parle de tout ? Voilà. Qui est l’option 2, on parle surtout de censure et on débat plus ? D’accord. Vous me voulez pas débattre, vous êtes très fatigués, vous voulez juste dormir.
Donc pour l’enregistrement vidéo sachez que c’est l’option 1 qui a remporté un franc succès.

Première partie censure et va voir trois textes important auxquels on va s’intéresser.
Le premier, ce n’est pas le premier chronologiquement mais ce sera plus simple comme ça, je vais vous parler du règlement terroriste, donc un texte européen qui a pris beaucoup d’énergie de La Quadrature dans l’année. Ensuite on parlera de la directive copyright sur laquelle on a moins été, sur laquelle on a moins travaillé mais qui était en parallèle du règlement terroriste et qui est, ne serait-ce qu’à cet effet, très intéressant à discuter et après on parlera de la loi actuellement débattue à l’Assemblée nationale, au Parlement français en tout cas, qui est la loi contre la haine.

Le règlement terroriste est un texte qui a été proposé en septembre par la Commission européenne. C’était un texte demandé par les ministères de l’Intérieur français et allemand, en septembre 2018, le même jour, d’ailleurs, petite blague, où la directive copyright avait un vote extrêmement important au Parlement européen, donc dans la conclusion de la directive copyright paf ! la Commission européenne dépose un règlement terroriste. Il a été débattu extrêmement rapidement et, au final, huit mois plus tard, le texte était adopté en première lecture au Parlement européen avec assez peu de modifications. Donc la première lecture était terminée, le texte a été mis en pause le temps de faire les élections. Maintenant que le Parlement est reconstitué, on va avoir les « trilogues », ces fameux moments assez ambigus où, derrière des rideaux fermés, le Parlement, les États membres et la Commission négocient comment modifier le texte. Là on risque de rentrer dans cette étape-là. Ça c’est le contexte du temps, donc en ce moment on n’est pas à fond sur ce dossier-là.
Le contenu du texte, je vais le répéter rapidement, ce n’est pas une conférence sur ça, donc je vous invite vraiment à aller voir sur notre site, vous verrez maintenant que sur le site, en haut, il y a des dossiers assez explicites – Censure, Surveillance, Données personnelles, Télécoms –, donc si vous allez sur la page Censure vous aurez un dossier détaillé sur le règlement terroriste. En deux mots, pour vous donner envie d’aller le voir, c’est l’obligation pour les hébergeurs, tous les hébergeurs, les petits comme les gros, de censure en une heure un contenu terroriste, que la police en tout cas considère comme étant terroriste, sans contrôle judiciaire et une très forte incitation, entre les lignes ou parfois explicitement, à ce que les hébergeurs utilisent de l’intelligence artificielle, on ne sait pas laquelle mais c’est une pensée magique en tout cas, pour détecter à l’avance, avant même que les contenus soient signalés, avant même qu’ils soient mis en ligne en fait, les contenus qui seraient terroristes. Parce que ces méthodes-là ont été soi-disant développées ou en tout cas beaucoup vendues par Facebook, Google, ces trois dernières années, qui ont réussi, Facebook et Google, à faire croire à tous les États membres qu’ils avaient la solution miracle pour modérer Internet et aujourd’hui, comme on le verra pendant encore quelques années, tous non gouvernements disent : « Il faut que le reste d’Internet utilise les solutions miracles des géants », alors que ces solutions ne marchent pas. On a vu avec l’attentat de Christchurch que Facebook lui-même admet que le jour de l’attentat il y a eu 1,5 millions de copies de la vidéo de l’attentat qui ont été sur sa plateforme, que sa méthode magique a réussi à en supprimer quelques-unes et qu’il y en a quand même 300 000 qui sont passées complètement au travers de son filet. Donc 300 000 sur 1,5 million ! Surtout que les gens qui ont fait cette diffusion de la vidéo ce n’étaient pas des bots surentraînés russes, c’était des connards amateurs, en fait, qui n’étaient pas plus compétents que vous à mon avis. Voilà, ce sont quelques connards une après-midi qui ont réussi à mettre parterre la grande solution magique de Facebook pour réguler Internet, ça devrait calmer un peu les ardeurs des gouvernements et, sans surprise, ça ne le fait pas du tout.
Donc voilà, ça c’est pour aller assez vite sur ce texte. On a vraiment besoin de beaucoup d’aide dans l’année qui vient, je pense, pour lutter contre. C’était très dur de lutter contre le texte en première en première lecture, parce qu’il avait beaucoup d’attention focalisée sur la directive copyright, sur laquelle je vais dire trois mots. Les médias, évidemment, ont très peu parlé de ce texte-là parce qu’ils étaient pris dans la directive copyright pour la défendre, pour le coup. Du coup, s’opposer à un texte qui ressemblait un peu, en tout cas parler ou évoquer des oppositions qu’il y avait au règlement terroriste, qui ressemblait un peu trop à la directive copyright, peut-être que ça les a dissuadés d’en trop parler. Dans l’ensemble, on a quand même des gens qui ont réussi à se mobiliser énormément et c’est cool parce qu’on a quand même réussi à faire pas mal de pression au Parlement européen et en gros on a échappé à un début de victoire ; à trois voix près, il y avait un amendement pour faire tomber le délai d’une heure, pour le faire transformer en un délai raisonnable, ce qui était un peu mieux. Et, en plénière au Parlement européen, à trois voix près, cet amendement n’est pas passé. Ça montre qu’on a encore des moyens d’action et pour la seconde manche de la bataille il y a vraiment des choses.
Ça c’est pour le positif du futur, mais en tout cas le passé c’est de la défaite, pour rester sur la ligne rouge de la conférence qui est le négatif.

Maintenant la directive copyright qui elle, pour le coup, son débat au niveau européen est fini, vous ne l’avez pas raté. Les petits points de comparaison avec le règlement terroriste je trouve que c’est toujours utile. D’abord la directive copyright ne s’applique pas à tous les acteurs, elle ne va s’appliquer qu’aux acteurs qui ont une certaine taille, qui ont un rôle actif dans la façon de diffuser les œuvres, et c’est vrai que ça ressemble beaucoup à une loi qui a été faite sur mesure pour viser Google, Facebook, Twitter et les gros avec qui les ayants droit ont déjà des accords de partage de revenus, partage de revenus de la publicité ciblée, et nous on considère que cette directive a pour but de renforcer ces accords au bénéfice de l’industrie culturelle.
On trouve que cette directive a des effets assez limités, par contre elle a un effet symbolique dramatique qui est de venir mettre dans la roche l’accord qui existe depuis dix ans, en fait, entre l’industrie culturelle, qu’elle soit européenne ou étasunienne, avec cet accord-là avec YouTube ou Facebook pour partager les bénéfices de la publicité ciblée, ces bénéfices qui sont faits de façon illicite et sur notre dos !
Donc plutôt que de sanctionner ces accords qui sont illicites, plutôt que de sanctionner la publicité ciblée qui est illicite, vu que la CNIL ne fait pas son travail, le droit vient le reconnaître comme étant légitime. Ça c’est vraiment ce qui nous a dérangés. Aujourd’hui le texte doit être transposé au niveau français. Il y avait deux parties qui nous inquiétaient ??? dans la directive, c’était la première partie sur ce qui a été au final l’article 15 sur un nouveau droit voisin pour les éditeurs de presse qui, en gros, forcerait encore un peu plus Google News à partager ses revenus avec les journaux qui sont cités dans Google News, c’est ça l’objectif. Aujourd’hui la transposition en France de cette partie-là est extrêmement avancée, on arrive aux étapes finales du débat législatif français. C’est assez inquiétant parce que c’est allé beaucoup trop vite ; il y a eu très peu de débat public sur ça, à part Next INpact, je pense que personne n’a dû parler du texte ; même nous, je crois qu’on n’a pas pu trop parler, on n’a pas eu l’occasion de parler du texte français qui est assez lamentable parce que, évidemment, il ne reprend même pas les deux trois garanties qu’il y a derrière la directive, donc ça il faudra le corriger. Après, tout ce qui est la partie article 17 qui nous inquiétait beaucoup plus, donc il y a la partie partage des revenus sur les œuvres diffusées ou alors censure des œuvres en cas d’absence d’accord commercial, donc la partie Content ID, ça ce n’est pas encore dans les textes qui ont été déposés en France, ça va venir dans la loi audiovisuelle qui va être débattue plutôt en 2020 à priori et sur laquelle il faudra être pas mal actifs, mais on a déjà des petits plans de stratégie pour foutre un peu la merde, donc ça sera chouette aussi.
C’est l’aspect copyright, je suis allé vite dessus parce que je pense que vous aurez des questions pour discuter de ça. Donc voilà, on reviendra au moment des questions.

9’ 32

On va venir à un moment plus d’actualité qui est la loi contre la haine, donc une loi qui a été déposée par Laetitia Avia qui est une députée En Marche, proche d’Emmanuel Macron, donc une loi qui est vraiment demandée par Macron lui-même, il ne s’est pas caché, c’est tout à fait explicite, qui a pour but de prendre le troisième sujet, après le terrorisme et le copyright, le troisième sujet assez classique, ce sont les sujets de harcèlement, de haine, de racisme, de sexisme qui est un sujet qu’on a vu être utilisé à maintes reprises, en France en tout cas, pour accroître la censure sur Internet, ce n’est pas très surprenant.
La particularité du texte, la première partie qu’il faut bien garder en tête, pour l’instant le texte n’est taillé que pour les grandes plateformes. Donc ça ressemble un peu à la situation qu’on peut retrouver en matière de directive copyright. Le problème c’est que, dans les plateformes, ils n’ont pas pensé à préciser que ce sont les grandes plates-formes commerciales, du coup, pour nous, Wikipédia serait concernée vu que ça reste une grande plateforme, par contre tout ce qui est Fediverse, tout ce qui est petit forum isolé, tout ça, à priori, ce ne sont pas les cibles actuelles de ce texte-là, même si, évidemment, le texte va évoluer dans les mois ou les années à venir et qu’on ne sait pas ce qu’il va devenir à la fin. Ça reste intéressant de voir que, pour l’instant, la volonté du gouvernement c’est, en fait, de serrer la vis de Twitter et peut-être aussi de serrer la vis de Facebook et, pour l’instant, son ambition ne va pas beaucoup plus loin.

Là on va retrouver un peu la même chose sur un autre aspect, la même chose qu’on avait en matière de règlement terroriste, c’est qu’en fait ce texte a été pas mal écrit main dans la main avec Facebook et Google, surtout Facebook, pour le coup, Facebook qui, depuis un an, dit explicitement et publiquement collaborer avec la France pour améliorer le droit et, en échange, le gouvernement français se félicite de collaborer avec Facebook pour améliorer le droit français.

Si vous avez des questions… Vous avez des questions à poser maintenant ? Sur ça ? OK.
Donc on a aujourd’hui une communication partagée où vous allez avoir littéralement En Marche qui, cette semaine, a publié une vidéo où on a d’un côté Laetitia Avia, la députée qui défend la loi, et ???, je crois que c’est ??? ou Tabaka, je ne sais plus, un lobbyiste de Google, qui expliquent ensemble à quel point leur vision de comment modérer Internet est la même. Donc on a, comme en matière de règlement terroriste, les solutions miracles vendues par Facebook et Google qui vont se retrouver dans la loi. C’est quoi ces solutions miracles ? En fait, dans la loi, elles sont dites de façon assez cheap, c’est obligation pour les grandes plateformes de censurer en 24 heures les contenus qui leur ont été signalés par le public ou par la police et quand ces contenus sont manifestement illicites. Cette notion de « manifestement illicite », en droit français on la connaît bien, je pense qu’on en a débattu sur cette scène un paquet de fois, c’est un truc qui existe depuis 15 ans, c’est une notion juridique qui est très floue, qui est faite pour être floue, et depuis 15 ans si aujourd’hui vous êtes hébergeur en France et qu’on vous signale un contenu quel qu’il soit vous devez le retirer, s’il est manifestement illicite, de façon prompte.
Aujourd’hui on n’a pas un délai fixe de 24 heures, mais un délai prompt, au cas par cas, et qui ne marche pas trop mal. Par contre la notion de « manifestement illicite », ça a toujours été un casse-tête on ne sait pas ce que ça veut dire.
Bref ! Ce problème-là, profond, qu’il y a dans le droit français, personne aujourd’hui ne propose de le corriger, au contraire, on poursuit sur des sols un peu boueux, on poursuit pour aller plus loin, cette fois-ci c’est le délai de 24 heures, c’est ça la grande nouveauté. Évidemment, tous les membres du gouvernement ou les députés En Marche font le tour des plateaux de télé ou des tribunes de presse pour dire que c’est une grande nouveauté, que c’est génial. En fait, ça ne va rien changer de fondamental. Facebook, aujourd’hui, fait déjà de son mieux pour supprimer en 24 heures tout ce qui lui est signalé, YouTube aussi, même Wikipédia aussi, les membres de la communauté font de leur mieux pour que dans le quart d’heure une connerie ne soit pas maintenue sur un article important. Il y a juste Twitter, on nous explique que Twitter c’est le vilain petit canard ; enfin on nous explique, c’est En Marche qui nous explique que Twitter c’est le vilain petit canard des GAFAM, ce n’est même pas un GAFAM d’ailleurs, et qu’il faudrait que Twitter fasse aussi bien que Facebook. En fait, la grande lubie de Laetita Avia c’est ça, c’est que Twitter aille faire un stage de modération chez Facebook : elle ne l’a pas dit comme ça, mais c’est comme ça qu’elle le pense.
On comprend pourquoi ils ont ce discours-là parce que ça marche assez bien dans la presse, c’est facile. Elle-même, Laetita Avia, a une expérience personnelle, si vous ne voyez pas qui c’est c’est, c’est une femme noire qui a été harcelée gravement sur Twitter, du coup eh bien oui, sa situation personnelle, de façon assez sincère, elle veut que Twitter s’améliore.
Le problème, pour nous, c’est que ça ne changera rien, ça sera complètement inefficace, parce que vouloir que Twitter soit aussi bien que Facebook, c’est une ambition de merde, parce que Facebook c’est tout pourri, ils sont nuls, en fait. Facebook, en modération, eh bien non, ça ne marche pas ! Sur Facebook vous avez bien plus de violence, bien plus de harceleurs, bien plus de lourds que sur les petits forums sur lesquels on a pu grandir, en tout cas sur les petits forums il y en avait moins. Aujourd’hui si vous êtes harceleur, si vous avez accès à une plateforme où il y a deux milliards de victimes potentielles, vous êtes content. Vous êtes bien plus content que si vous vous retrouvez sur jeuxvideo.com où, mine de rien, il y a beaucoup moins de gens ou, si vous voulez harceler sur le Fediverse, par exemple sur Mastodon, où là, mine de rien, la diversité d’instances et la modération de certaines instances vous freinent, en fait, dans vos stratégies de harcèlement.

Nous, ce qu’on dit, c’est que c’est le modèle économique de ces géants qui est la source du problème qu’essaye de régler la loi, ce problème-là ça serait l’anxiété, la haine, le harcèlement qu’il y a sur Internet, qu’on ne nie pas du tout, on ne nie pas ce problème-là, mais on dit que la source de ce problème c’est notamment, la vraie source c’est qu’il y a beaucoup d’humains qui sont des connards, mais, une des autres sources qui aggrave cette situation, c’est que Facebook et YouTube sont beaucoup trop gros et qu’il n’y aura jamais aucune une intelligence artificielle qui pourra compenser leur taille immense.
Et ça, en plus, En Marche ils sont d’accord avec nous. Avia elle-même, dans des rapports plus anciens, reconnaissait que le modèle économique de ces plateformes était problématique, mais ils n’ont juste pas le courage de proposer des vraies solutions, en général. L’autre chose qu’on reproche à ces géants c’est leur économie de l’attention, c’est comme ça qu’on appelle ça, ou la culture du buzz, qui est de nous maintenir le plus longtemps sur les plates-formes, nous faire interagir le plus, nous faire révéler le plus de données personnelles, nous pousser, nous mettre en avant les contenus qui provoquent le plus d’émotion et ces contenus, on manque encore pas mal d’études pour avoir une vision parfaite dessus, mais les premières études, les premières impressions, c’est que les contenus mis en avant de cette façon renforcent les conflits, renforcent les caricatures et censurent par enterrement, au final, les discussions les plus subtiles, les plus à même d’apaiser les situations.
L’un dans l’autre nous on dit : « OK, le sujet de la haine en ligne c’est un vrai sujet, c’est grave, mais vous ce que vous faites ce n’est pas une solution. Vous vous foutez un peu de la gueule des vraies victimes en leur faisant croire que vous allez les aider mais surtout, vous refusez les vraies solutions ».
Nous, les vraies solutions qu’on propose ce ne sont pas des solutions qui sont suffisantes en elles-mêmes, mais au moins elles sont sincères et on ne se fout pas de la gueule des gens entièrement, c’est de permettre avant tout aux victimes et à tout le monde de pouvoir fuir Facebook, Twitter et YouTube, en forçant ces plateformes à devenir interopérables. Je ne vais pas m’étaler dix ans dessus, parce que je pense que vous êtes déjà nombreux à voir ce dont je parle, je vous renvoie vers le site de La Quadrature pour voir ce que ça veut dire. En deux morts, quand même, vraiment pour les personnes qui n’auraient pas eu l’occasion de voir ça, forcer Facebook à devenir interopérable ça veut dire que Facebook doit implémenter les outils, qui ne sont pas très compliqués à implémenter, pour que vous puissiez, demain, partir de Facebook, aller sur une autre plateforme, par exemple une instance Mastodon de La Quadrature, Mamot, et pouvoir continuer à échanger des messages depuis Mamot, sans être sur Facebook, avec vos amis qui sont restés sur Facebook.
On pense que cette impossibilité aujourd’hui de pouvoir partir de Facebook en gardant le contact avec ses amis de Facebook explique que beaucoup de gens restent sur Twitter et Facebook, alors qu’ils détestent ces plateformes, alors qu’ils sont harcelés sur ces plates-formes, alors qu’ils considèrent que la modération qu’il y a sur ces plateformes est excessive ou insuffisante et que, si on veut que ça marche, il faut permettre aux personnes de partir librement.

Voilà. Ça c’est la partie sur laquelle j’aurais aimé débattre longuement avec vous, mais on pourra aussi le faire en off, parce que c’est assez nouveau de mettre ça dans la loi, c’est dur de bien le penser. On a bien pris un an, quand même, pour chercher mille solutions pour proposer ça. Aujourd’hui on arrive à avoir des propositions précises. Les amendements qui ont été déposés, tant par le Centre que par la Gauche, au Parlement pour proposer ça, pour l’instant les amendements n’ont pas été recevables, mais on continue et on a espoir qu’au moins cette loi sur la haine soit l’occasion de faire parler de la solution qu’est l’interopérabilité, qui est une bonne solution contre la haine et qui est aussi une très bonne solution pour plein d’autres problèmes. Donc on espère que ce débat sera bien et c’est encore une lutte sur laquelle votre aide va être utile à un moment ou à un autre.

Je ferme le sujet censure qui, globalement, ressemble à pas mal d’échecs pour le passé, copyright terrorisme, ce sont vraiment des échecs, mais même ces deux dossiers ne sont pas entièrement clos parce que copyright va être transposé, terrorisme il faut qu’il y ait une deuxième lecture, et nos échecs passés, finalement, n’étaient pas des échecs à 100 % et nous laissent penser qu’on pourra gagner peut-être l’année prochaine ou dans deux ans. En tout cas c’est cool.

Maintenant on va parler de la surveillance, on va passer à la surveillance, il reste une demi-heure pour parler de ça. La surveillance, comme je vous l’ai dit, je vais diviser ça en trois sujets. Désolé, on passe du coq à l’âne, bon courage pour suivre, mais c’est notre travail de tous les jours de passer du coq à l’âne, donc je partage ça.
On va faire trois sujets, surveillance d’État, donc en gros tout ce qui va être le renseignement, surveillance privée, tout ce qui va être RGPD, et enfin surveillance dans les villes.

Surveillance d’État, les activités qu’il y a eues dans l’année ne sont pas folles. L’actualité principale, qui est une bonne nouvelle, et comme ce n’est pas tout en fait en accord avec le thème de la conférence qui sont les mauvaises nouvelles, je vais aller vite dessus, mais en gros nos questions, enfin nos arguments qui disent que le renseignement français, que la loi renseignement où différentes mesures de surveillance de masse ne sont pas conformes au droit de l’Union européenne, ces arguments ont été validés d’abord par le Conseil d’État qui a reconnu que, dans le fond, on avait probablement raison, mais le Conseil d’État pense que le droit européen se trompe et devrait changer, que ce n’est pas le droit français qui doit changer ! En effet, le droit français n’est pas conforme au droit européen, mais c’est le droit européen qui doit changer ! Là, précisément, ça veut dire quoi, en fait, quand je parle de droit européen ? Ce ne sont pas des textes écrits très précis, ce sont plus des jurisprudences de la Cour de justice de l’Union Européenne, la Cour de justice c’est la Cour suprême de l’Union européenne. Dans sa jurisprudence la Cour de justice a dit des choses qui, en effet, ne sont pas compatibles avec le droit français, on est tous d’accord ; le Conseil d’État a demandé à la Cour de justice de changer sa position pour que sa position devienne compatible avec le droit français. Nous, ça nous va très bien comme débat, parce qu’on veut que la Cour de justice maintienne sa position et dise, explicitement, enfin à la France : « Vous êtes en violation de notre droit et vous faites de la merde », pour changer, nous ça nous va très bien. Ça c’était il y a déjà plus de six mois. Je pense que ces questions-là, que ces débats-là ont été transmis au niveau européen et je pense que dans le cours de l’année on aura des audiences devant la Cour de justice de l’Union européenne, du coup, on devra défendre notre position et continuer contre la loi renseignement. Donc ça c’était bien, donc je vais vite.

L’autre aspect qui était moins bien, je pense tout le monde dans la salle ne l’a pas vu passer, même nous on n’a pas pu beaucoup en parler, c’est donc la LPM 2019. Les LPM ce sont les lois de programmation militaire qui sont prises en France tous les cinq ans et qui sont un peu fourre-tout, on va retrouver les budgets de l’armée, on va retrouver tout ce qui a trait de près ou de loin à l’armée, du coup il n’y a pas de ligne précise dans ces lois-là. On y retrouve souvent des conneries, des conneries mises un peu à la dernière minute, un peu petit article discret qui, en fait, change tout.
En 2013, juste avant la loi renseignement, c’était la LPM 2013 qui avait initié tout le chamboulement qu’il allait y avoir en afit dans les années à venir pour ouvrir les pouvoirs des services de renseignement. À l’époque, on n’avait pas vu dans la LPM 2013 ce problème-là, on ne l’avait pas vu tout de suite, on avait pris beaucoup de temps à le voir, et quand on s’est aperçu de la merde que c’était, eh bien le processus avait déjà beaucoup avancé, on s’était fait un peu écraser et c’était un peu dur. Après la loi renseignement est arrivée, donc ce n’était pas grave.
Là on est en 2019, pareil, une loi très dense, dans laquelle pareil, se cache un truc qu’on met un peu de temps à repérer et qui, du coup, est passé sans vrai débat.

22’ 02

Ce truc c’est quoi ?