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'''Titre :''' Loi de programmation militaire et neutralité du réseau, vie privée.
 
 
 
'''Intervenants :''' Fabrice Epelboin - Jean-Manuel Rozan - Éric Leandri - Journaliste _
 
 
 
'''Lieu :''' ThinkerView
 
 
 
'''Date :''' Janvier 2014
 
 
 
'''Durée :''' 37 min 39
 
 
 
'''Lien vers la vidéo :''' [http://thinkerview.com/interview/loi-de-programmation-militaire-neutralite-du-reseau-vie-privee/]
 
 
 
 
 
==00' ''transcrit MO'' ==
 
 
 
'''Journaliste :''' Fabice Epelboin, bonjour.
 
 
 
'''Fabrice Epelboin :''' Bonjour.
 
 
 
'''Journaliste :''' Je vous interviewe aujourd'hui pour un site Internet qui s'appelle ThinkerView. Qui êtes-vous ? Présentez-vous.
 
 
 
'''Fabrice Epelboin :''' Je suis journaliste, je suis entrepreneur dans les nouvelles technologies et je suis aussi enseignant à Science-Po où j'enseigne l'impact de la surveillance sur la gouvernance.
 
 
 
'''Journaliste :''' On a vu récemment la loi de programmation militaire débarquer sur les réseaux. Qu'est-ce que vous en pensez ? Est-ce que vous pouvez nous résumer de votre point de vue ce que c'est ?
 
 
 
'''Fabrice Epelboin :''' De mon point de vue c'est le ''Patriot Act'' version française avec dix ans de retard. Donc c'est finalement assez cohérent avec le retard chronique français sur les nouvelles technologies. Je pense qu'on a enfin rattrapé notre retard sur les Américains et puis on va pouvoir montrer à la NSA qu'on sait faire, nous aussi. Et on sait faire, on est bon, on est super bon en matière de surveillance. Après le souci c'est pour la démocratie, mais bon, tant pis !
 
 
 
'''Journaliste :''' Quel souci ?
 
 
 
'''Fabrice Epelboin :''' C'est qu'on peut difficilement être en démocratie et éliminer la vie privée des citoyens. Parce que, grosso modo, cette loi de programmation militaire, l'article 20 pour être précis, ça élimine la possibilité pour les citoyens français d'avoir une vie privée au regard de l’État, ni plus ni moins. Donc à partir du moment où les citoyens n'ont plus de secrets pour l’État, alors c'est sûr que pour lutter contre les vilains terroristes ça va être plus facile, mais en même temps on va sacrifier la démocratie. C'est un peu dommage. Le pacte de base, pour ceux qui l’auraient oublié, dans la démocratie et plus précisément dans la république, le pacte de base c'est que votre vote est anonyme. L'anonymat, la confidentialité absolue, tout un tas de choses, pas juste le vote, mais tout un tas de choses des citoyens vis-à-vis de leur État, c'est vraiment le pacte de base de la démocratie, et là, on l'a clairement éliminé.
 
 
 
'''Journaliste :''' Fabice Epelboin, bonjour.
 
 
 
'''Jean-Manuel Rozan :''' Bonjour.
 
 
 
'''Journaliste :''' Qui êtes-vous ?
 
 
 
'''Jean-Manuel Rozan :''' Je suis le cofondateur et président de Qwant et avant cela j'ai travaillé pendant trente ans dans la finance. J'ai arrêté il y a trois ans lorsqu'on a décidé de créer Qwant avec Éric Leandri.
 
 
 
'''Journaliste :''' Pourquoi vous avez créé Qwant ?
 
 
 
'''Jean-Manuel Rozan :''' L’époque où on a commencé à réfléchir à Qwant est une époque assez datée où on s'est aperçu que, finalement, qu'il était définitivement acté que la direction initiale de l'Internet qui était d’être un instrument de pouvoir et de savoir égalitaire, neutre, et honnête pour tous, était totalement terminée avec la direction à la fois prise par les États, comme Fabrice vient de dire d'utiliser la technologie pour envahir la vie privée des gens, sans suffisamment de gardes-fous, et aussi, pour les sociétés commerciales présentes dans l'Internet, pour que les contenus soient exclusifs, pour que ce que les gens font et disent sur Internet soit vendu, manipulé de tout un tas de façons, et pour que, au fond, l'intention initiale soit totalement oubliée et donc, nous nous pensons qu'il y a besoin de rafraîchir un peu tout ça, de rétablir une liberté de naviguer, de rétablir l'absence de filtres, de rétablir tout un tas de choses qui sont celles auxquelles nous croyons. Donc nous avons fait Qwant, en gros, contre un état de fait et pour une rénovation de la façon dont les gens se servent d’Internet.
 
 
 
'''Journaliste :'''  Éric qui êtes-vous ?
 
 
 
'''Éric Leandri :''' Bonjour. Je suis cofondateur de Qwant avec Jean-Manuel. Je suis responsable de la technique chez Qwant et l’idée générale, pour reprendre ce que disait Jean-Manuel, c'est, à l'époque où on a démarré Qwant, il se passait déjà quelque chose d'assez étonnant, les grandes firmes...
 
 
 
'''Journaliste :'''  Vous avez démarré Qwant depuis combien de temps déjà ?
 
 
 
'''Éric Leandri :'''  Il y a trois ans, oui, ça va faire trois ans et demi maintenant.
 
 
 
'''Journaliste :'''  D’accord !
 
 
 
'''Éric Leandri :''' Ça fait bien trois ans et demi qu'on discute puisque, quelques mois avant, on s'était déjà rencontré avec Jean-Manuel pour un autre projet qui était un site social.
 
 
 
'''Journaliste :''' Comment vous voyez l’accélération des lois de l'encadrement de métadata, métadonnées, tout ce charabia. Vous en tant que développeur qu'est-ce que vous en pensez ?
 
 
 
'''Éric Leandri :'''  Plusieurs choses. Premièrement, en tant qu’utilisateur de plusieurs services sur Internet, je me rappelle d'une époque qui n’était pas si lointaine, elle a moins de dix ans, dans laquelle il n'y avait pas besoin d’être traqué sur absolument tout ce que je faisais, où que j'aille, quoi que je fasse, quoi que j'utilise, mon téléphone, Internet ou la télé, pour me donner une réponse de quel est le dernier site où j'ai quelque chose à récupérer, que ce soit pour du search, que ce soit simplement pour aller acheter quelque chose sur Internet. Jusqu'à preuve du contraire je suis relativement capable de savoir où j'ai envie d'aller, de savoir à peu près ce que je cherche. J'essaye en tout cas de revenir à cette époque et elle n’était vraiment pas très lointaine, et surtout dans cette époque-là on gagnait déjà beaucoup d'argent sans avoir à vous traquer tous les jours.
 
 
 
'''Journaliste :''' Donc en fait, vous voulez plaquer sur la vision de Qwant ce que nous on appelle sur les réseaux l'Internet ''all's cool'', c'est-à-dire où il y avait un peu plus de liberté et des choses comme ça. C'est ça ?
 
 
 
'''Éric Leandri :'''  Il y avait plus qu'un peu plus de liberté, en fait. Le principe c’était on créait le web, on créait les choses à mettre dans le web, on rajoutait l'Internet avec le W3C des autres, avec comme idée de partager, permettre de connecter. Internet ça veut dire interconnecter des networks donc à partir de là, le principe c’était ça, et de faire que tout se lie que tout puisse se partager et s’ouvrir.
 
 
 
'''Journaliste :''' Vous êtes pour la neutralité des réseaux ?
 
 
 
'''Éric Leandri :''' On est pour la neutralité des réseaux, ça c'est plus que sûr. Est-ce que seuls on peut y arriver, ça m'étonnerait, ça c'est encore autre chose.
 
 
 
'''Journaliste :''' Vous avez décidé de sortir du bois, de prendre position par rapport à la vie privée des gens. Qu’est-ce que vous êtes prêt à faire pour ça ? Est-ce que vous êtes prêt à un choc frontal avec les politiques ? Est-ce que vous êtes prêt à vous expatrier ?
 
 
 
'''Éric Leandri :''' Déjà on va commencer par le début. On a été prêt à un choc frontal avec des investisseurs financiers qui ont accepté de mettre de l'argent dans une idée qui consiste à retourner à la base, ramener un service aux gens, et utiliser ce service afin que les gens puissent, au travers de ce service, chercher, trouver, et, gagner un peu d'argent grâce à ce type de service, mais le gagner sans avoir besoin de traquer les gens.
 
 
 
'''Journaliste :''' Faire  un business responsable.
 
 
 
'''Éric Leandri :''' Exactement. Essayer de faire un business responsable, le plus éthique possible. Et franchement, ça a très bien réussi à d'énormes firmes à travers la planète, pendant des années. Donc, après tout, peut-être que c'est moins bien aujourd’hui parce qu'on veut gagner encore plus, encore plus, encore plus, mais j'ai l'impression que ça marchait très bien avant déjà.
 
 
 
'''Journaliste :''' Fabrice j'ai une question pour vous. On a entendu un point de vue d'entrepreneur, chef d'entreprise, moi j'ai une question pour vous sur le big data, sur le fait que plein de moteurs de recherche, je ne vais pas les citer, mais on les connaît tous, plein de logiciels, plein de services sur Internet proposent d'accumuler vos propres données. Qu'est-ce que vous pouvez nous dire sur l’utilisation de ces données. Qu'est-ce qu'on peut en faire ? Jusqu'où on peut aller avec nos données ?
 
 
 
'''Fabrice  Epelboin :''' Absolument n'importe où. Je pense que la réponse un peu criante c'est de s’intéresser à une boîte qui s'appelle Palantir et qui est probablement la boîte qui fait les choses les plus bluffantes avec de la big data.
 
 
 
'''Journaliste :''' Concrètement ?
 
 
 
'''Fabrice Epelboin :''' Concrètement vous pouvez prendre toutes les données de la Sécurité sociale, les recouper avec des données bancaires, des données sur la délinquance que vous allez choper chez nos amis les policiers, mélanger tout ça et lutter contre la fraude à la sécu. C'est assez facile, Palantir est prévu pour ça.
 
 
 
'''Journaliste :''' C'est positif !
 
 
 
'''Fabrice Epelboin :''' Oui. Oui, ça peut être très positif. Vous pouvez, par exemple, prendre tout un tas de données et repérer qui fait partie de l'opposition politique par exemple dans un pays comme l'Ukraine ou en France, peu importe. En France on a des manifestations diverses et variées, assez mal identifiées, les jours de colère, les bonnets rouge, les machins, tout ça ce sont des choses que l’État ne comprend pas bien, il n'y pas que l’État d'ailleurs, mais c’est une nouvelle forme de contestation politique, on ne sait pas d'où ça vient, on ne sait pas comment ça s'organise, ça n'a rien à voir avec les modèles classiques de protestation politique qui étaient un jeu de connivence droite gauche, avec une alternance dans l'opposition et dans la majorité. Aujourd’hui on a besoin de comprendre ce qui se passe et donc, il est indispensable pour les services de l’État, même si ce n'est pas très éthique, d'aller espionner tous ces gens et de comprendre comment ils communiquent, comment ils transmettent des messages, comment ils s'organisent. Ça, ça passe de la big data sur ces populations-là et sur les populations dans leur ensemble, vu que, grosso modo, ce qu'on voit là en France, j'insiste sur le terme français parce que ça nous parle à tous, ce qu'on voit en France qui est une espèce de renouvellement complet des mouvements qui protestent, très concrètement, il va vraiment falloir qu'on le comprenne et d'autre part ça entraîne visiblement une très large partie des Français, à différents niveaux. Entre le monsieur qui n’est pas content de payer des impôts et qui gueule sur Facebook et celui qui brûle une préfecture et il y a toute une marge. Mais malgré tout, tout ça fait partie d'une nébuleuse qu'il va falloir...
 
 
 
'''Journaliste :''' Est-ce que vous craignez pour le secret médical, le secret de l'instruction ?
 
 
 
'''Fabrice Epelboin :''' Ça n’existe plus. Prenons-les dans l'ordre. Le secret médical. Prenons le secret de l'instruction. Prenons un secret qui n'existe plus. Au regard de la loi de programmation militaire, ça n'existe plus. Le secret des sources , le secret de l'instruction n’existent plus.
 
 
 
'''Journaliste :''' Le secret des sources pour les journalistes ?
 
 
 
'''Fabrice Epelboin :''' Ça n'existe plus. Ça a été éliminé par l'article 20. A partir du moment où vous êtes journaliste, vous faites une investigation sur une affaire qui concerne l’État, l’État peut, de façon parfaitement discrétionnaire, sans aucune autorité de contrôle ni de surveillance, décider de vous mettre sous surveillance et dans ce cas-là toutes vos données numériques sont aspirées par l’État et confiées au Premier ministre ou à tout un tas d'administrations. Donc ça n'existe plus. Il n'y a plus de secret des sources en France. Ça n’existe plus ; il faut être très clair là-dessus. C'est dommage que les journalistes ne s'en aperçoivent pas maintenant. Mais c'est comme le temps des fadettes, ils vont mettre quelques années avant de s’apercevoir que, en fait, les bases du métier ont disparu, mais le secret des sources ça n'est accessible exclusivement qu'aux journalistes qui maîtrisent la technologie. À personne d'autre.  Personne d'autre.
 
 
 
'''Journaliste :''' D'accord. Jean-Manuel Rozan, quand vous entendez Fabrice nous dire que le secret de l'instruction, le secret de la correspondance, le secret médical, a disparu. Qu’est-ce que vous en pensez ?
 
 
 
'''Jean-Manuel Rozan :''' C'est exact. Il est indéniable, l'histoire du monde est remplie d'exemples qui prouvent la chose suivante : si un abus est possible, il est commis. La question c'est combien de temps ça va prendre et par qui. L'argument de dire, quand on fait une loi, nous ne commettrons pas un abus, n'est hélas pas bon parce que, à partir du moment où la loi existe, il y aura peut-être, vraisemblablement, voire sûrement un jour des pouvoirs qui commettront l'abus. Il est évident que plus les technologies existent plus les abus sont possibles, et ce monde, je dis une fois de plus, privé comme public, utilise la technologie avec, si je puis dire, un temps d'avance sur les citoyens. Et on est dans une forme de course où on essaye de rattraper les choses et les citoyens essayent de rattraper ce qu'ils ont abandonné, souvent, sans même s'en rendre compte, Il y a un temps de prise de conscience et après, on espère, une phase de rattrapage.
 
 
 
'''Journaliste :''' Éric, en tant que chef d'entreprise, qu'est-ce que font les entreprises pour rattraper leur retard face à ça ?
 
 
 
== 11' 14==
 
'''Éric Leandri :''' En fait il y a énormément de choses à faire face à ça parce que c'est plus complexe qu'on ne l'imagine, à tous les étages. Par exemple, on va prendre la nôtre, comme ça on parle d'une chose que l'on connaît, ce que nous on essaye de faire, on essaye de faire c'est de faire trois choses, premièrement sortir l'ensemble des trackers qu'on a mis, alors, des fois par mégarde.
 
 
 
'''Journaliste :''' C'est quoi un tracker ?
 
 
 
'''Éric Leandri :''' Un tracker ça peut être un cookie, mais ça peut être autre chose. Ça peut être côté serveur, c'est-à-dire qu'en fait vous ne verrez pas de cookie installé et puis côté serveur on va essayer de vous repérer, et une fois qu'on vous a repéré, on va passer cette information d'ordinateur en ordinateur pour vous retrouver au fur et à mesure de votre balade.
 
 
 
'''Journaliste :'''  Ça, ça se fait chez Qwant ou on ne le fait pas ?
 
 
 
'''Éric Leandri :''' Nous on ne le fait pas. Maintenant, par exemple, on a utilisé dès aujourd’hui des produits comme Google Analytics et c'est le genre de produit que je vais couper définitivement, à la fin du mois, début du mois prochain, afin d'éviter que d'autres utilisent notre site et des liens qu'on a mis pour prouver à Google en fait au départ qu'on était plutôt un site très sympa et qu’il y avait beaucoup de monde, pour ensuite les retrouver ailleurs. Donc, ce sont des choses, il faut les couper définitivement, il faut totalement les éliminer et c'est très difficile de les éliminer partout. Un exemple très concret : aujourd'hui on s'aperçoit que, même au  ministère des Finances ou ailleurs pour les impôts, les data peuvent être aussi traqués avec des Google Analytics ou des Xiti Analytics, ce qui est dommage, mais ce n'est pas forcément fait dans cette optique-là par la personne qui l'a installé. À la base, quand elle l'a installé, elle l'a installé pour obtenir un résultat, pour savoir combien de personnes venaient sur son site, pour savoir d'où elles venaient, et dìavoir les plus jolies statistiques. Ça se transforme en autre chose.
 
 
 
'''Journaliste :''' D'accord. Ça se transforme en tracker au sens pur du terme. J'aurais une question encore pour vous. Qu'est-ce que vous êtes prêt à faire, aller jusqu'où vraiment, pour préserver vos utilisateurs ?
 
 
 
'''Éric Leandri :''' Déjà on commencera par enlever l'ensemble des trackers que l'on a mis par erreur, si on en a mis par erreur. Deuxième chose, on utilise déjà énormément de choses comme des proxys et tout un tas de systèmes pour camoufler nos utilisateurs. Troisième chose, on ne retient pas les recherches de nos utilisateurs, on ne fait pas de lien entre ce qu'ils font chez nous et leur vie privée. Donc déjà on ne fait pas de liens chez nous. Donc déjà on a commencé par le début, on n'a pas besoin de prendre des data qui ne nous servent à rien. Donc, première chose, on ne le fait pas. Deuxième chose, sur les parties où on pourrait faire des erreurs, rajouter les cookies des autres ou les traçabilités des autres, eh bien, là aussi, on va couper et on n'aura plus de problème de ce côté-là. Troisième problématique, maintenant on revient à Fabrice tout à l'heure, un État décide de prendre l'ensemble des data à tout moment quand il le veut. Aujourd'hui, sur Qwant, l’État peut prendre l'ensemble des datas du Web, aucun problème. L’ensemble des data de nos index, aucun problème. Maintenant sur nos utilisateurs, nos quelques dizaines de milliers, centaines de milliers d'utilisateurs quotidiens, ce qu'on veut simplement c’est que, s'ils viennent s’inscrire chez nous, la partie qui concerne leur nom et inscription, qui est la seule chose qu'on va garder puisqu'ils nous ont donné l'autorisation de la garder, cette partie-là, on va la mettre tranquillement, à l'abri, dans une optique qui est très européenne, parce qu’aujourd’hui l'Europe défend, les CNIL(s) défendent, et la CNIL, même française l'a déclaré, veulent défendre la tranquillité de l'internaute. Eh bien nous également. Donc on va suivre ce que veut la CNIL, on va suivre ce que veut l'Europe, et ce n'est pas forcément, malheureusement, ce que veut la dernière loi de programmation militaire.
 
 
 
'''Journaliste :''' Et si l'Europe se rapproche, grâce aux accords transatlantiques, de législations beaucoup plus intrusives ou beaucoup plus prédatrices, vous êtes prêt ?
 
 
 
'''Éric Leandri :''' Quand je dis qu'on va suivre la CNIL et qu'on va suivre l'Europe, malheureusement aujourd'hui on est obligé de la suivre en dehors de l'Europe, pour pouvoir la suivre. Si nous devons arriver à ça, et nous allons arriver à ça, puisque aujourd'hui c'est là où on en est, déplacer les noms de nos utilisateurs ne nous pose aucun problème, dans des endroits totalement respectables ; il n'y a pas besoin de partir au fin fond des Balkans, ni au milieu de la Russie, parce que là on aurait d'autres problèmes, le but ce n'est pas de sortir de Charybde pour tomber en Scylla. Il y a des endroits du monde qui ont compris que protéger la data des administrés, des gens, était une façon merveilleuse de récupérer des milliers et des milliers de sociétés qui vont venir placer des serveurs pour protéger tout simplement l'anonymat, la vie privée de leurs utilisateurs. Donc ces endroits-là vont cartonner.
 
 
 
'''Journaliste :''' D'accord OK. Vous avez déjà prévu dans vos stratégies, d'accord.
 
 
 
'''Éric Leandri :''' Plus que ça, en fait. On a déjà carrément posé une partie des serveurs qui vous nous servir à finaliser ; mais tant que ce n’est pas finalisé je préfère tranquillement faire mon métier.
 
 
 
'''Journaliste :''' On reviendra vous voir, vous interviewer s'il le faut.
 
 
 
'''Jean-Manuel Rozan :''' D'un mot, je dirais d'un point de vue business, la France devrait se positionner exactement comme cela. La France devrait être le pays où la création d’emplois pour faire venir des investisseurs, et la France fait beaucoup d'efforts d'ailleurs pour essayer de faire ça, donc déjà si elle prenait ce positionnement c'est-à-dire d’être l'endroit au monde où le droit des citoyens, la protection des données, tout ça, est organisé d'une façon légale et systématique ce serait très positif pour notre pays.
 
 
 
'''Fabrice Epelboin :''' Ce ne serait pas super cohérent avec l'historique technologique du pays.
 
 
 
'''Jean-Manuel Rozan :''' Ce serait un changement radical, je t’arrête, un changement radical de politique, mais on en a vus récemment, qui ont été annoncés. Donc c'est possible. C'est possible.
 
 
 
'''Journaliste :''' Pourquoi cette légère petite boutade par rapport à la politique ?
 
 
 
'''Fabrice Epelboin :''' Parce que la France est ce qui se fait de pire en la matière. Si on prend l'histoire de l’informatique en France, et elle se résume très bien à une entreprise, iconique, qui est l'un des pionniers de l'informatique mondiale, qui s'appelle Bull. Bull, qui a commencé son histoire avant l'informatique moderne qu'on connaît, c'est-à-dire l'ordinateur électronique, celui qui a été inventé en 44, à Bletchley Park pour décrypter Enigma, avant il y avait la mécanographie, et il y avait deux leaders mondiaux de la mécanographie qui étaient IBM et Bull. Il se trouve que la France est, depuis le depuis début du 20ème, le leader mondial de l'informatique avec Bull et que Bull a fait de choses minables.
 
 
 
'''Journaliste :''' Le leader mondial de l'informatique sur quelle sorte ?
 
 
 
'''Fabrice Epelboin :''' Sur de la grosse informatique Et Bull a fait des choses qui sont très significatives de la vision que la France a de l'informatique. En 1941 ils ont fait le fichier juif, qui heureusement a été saboté par un haut fonctionnaire.
 
 
 
'''Journaliste :''' Un Snowden de l'époque ?
 
 
 
'''Fabrice Epelboin :''' Pas un Snowden, un type qui était en charge de la statistique, qui était un expert de la mécanographie de l'époque, qui s’appelle René Carmille, et qui a saboté pour être franc le projet de fichier juif.
 
 
 
'''Journaliste :''' Vous pensez qu'à l'heure actuelle, Bull ?
 
 
 
'''Fabrice Epelboin :''' Et Bull est derrière la surveillance au Moyen-Orient, la surveillance en Afrique du Nord, la surveillance en Afrique de l'Ouest.
 
 
 
'''Éric Leandri :''' Juste quelque chose, sans trahir aucun secret, j'ai quand même parlé avec des gens de Bull. Alors l'époque 1941, on ne va peut-être pas s'enraciner aujourd'hui, en tout cas ils n'en sont pas du tout responsables,  les nouveaux. Maintenant, la seule chose que je pourrais dire...
 
 
 
'''Fabrice Epelboin :''' Pas du tout. Mais contrairement à d'autres entreprises ils n'ont pas fait amende honorable non plus.
 
 
 
'''Éric Leandri :'''  Non, mais cela malheureusement, je ne suis pas sur le coup, mais j'espère qu'eux non plus ne sont pas sur le coup, je suis même sûr que les nouveaux ne sont pas sur le coup.
 
 
 
'''Fabrice Epelboin :''' Non, non, ils ne sont pas sur le coup.
 
 
 
'''Éric Leandri :''' Maintenant la société en elle-même, ça je veux bien y revenir quand tu veux. La seule chose que j'aie à dire aujourd'hui c'est ils font des super calculateurs, c'est là-dessus qu'ils sont fantastiques. Ils déclarent  avoir abandonné l'idée de gérer tout ce qui est surveillance.
 
 
 
'''Fabrice Epelboin :''' Ça c'est du pipeau, ce que tu dis. C'est un montage financier.
 
 
 
'''Éric Leandri :''' Je te raconte une histoire, tranquillement, mais tu vas voir laisse-moi juste finir.
 
 
 
'''Journaliste :''' Pas trop longue l'histoire.
 
 
 
'''Éric Leandri :''' Non, non, mais elle va être rapide en fait. Ils le déclarent en tout cas. Maintenant il y a juste un truc, ce n'est pas parce qu'on fait des armes qu'on a la guerre dans son pays. Ça veut dire qu'aujourd'hui, si on parle d'armes, parce là en fait on est en train de parler d'armes, de surveillance, d'armes de tir, d’armes et compagnie. Je pense que la France et les États-Unis sont les deux plus grands pourvoyeurs d'armes sur la planète
 
 
 
'''Fabrice Epelboin :''' Sur le numérique, sans doute.
 
 
 
'''Éric Leandri :''' C'est une partie d'armes, c'est une partie des armes j'imagine qu'ils peuvent vendre. Ça ne veut pas absolument pas dire qu'on ne doit pas s'occuper des gens dans son pays et on n'a pas à les traiter de la même façon.
 
 
 
'''Fabrice Epelboin :''' Là-dessus il faut quand même bien voir de quel type de conflit on parle. On parle de conflit avec la population civile. On ne parle pas d'une guerre conventionnelle qui oppose deux nations ou deux forces armées. On parle, dans ce cas, des armes électroniques qu'on évoque, clairement de conflit entre des gouvernances et de la population civile. Ce qui se passe en Ukraine, par exemple. On est sur un conflit entre une gouvernance et une population civile. Ce qui se passe, à peu près partout, si ce n'est que le conflit est la plupart du temps larvé et soft. Et pour l’instant, en France, on est dans dans un conflit larvé et soft. On est très très loin de la situation ukrainienne, mais ce n'est pas impossible qu'on arrive à la situation ukrainienne. Et dans cette optique-là, très concrètement, qu'est-ce qu'il s'est passé hier en Ukraine ? Tous les manifestants qui avaient été géolocalisés p est ar les services de l’État, dans une des manifestations, ont reçu un SMS leur expliquant qu'ils étaient sous le coup d'une inculpation pour participation à une émeute. Ça, la loi de programmation militaire permet parfaitement de faire ça.
 
 
 
'''Éric Leandri :''' Juste un truc Fabrice, que tu comprennes, j'ai juste défendu Bull dans ce qu'il fait aujourd'hui.
 
 
 
'''Fabrice Epelboin :''' Oui, oui.
 
 
 
'''Éric Leandri :''' Maintenant, juste que tu comprennes exactement mon problème.
 
 
 
'''Journaliste :''' Qu’on vous comprenne.
 
 
 
'''Éric Leandri :''' Exactement, mais le principe c'est le suivant selon moi, ce n'est pas parce qu'on a fusil à la maison qu'on va tirer sur son voisin. On peut tirer sur un lapin. Aujourd'hui, là où tu as entièrement raison, c'est qu'aujourd'hui, malheureusement, on utilise des fusils pour tirer sur des voisins, et en l’occurrence l’histoire du SMS de tous les gens géolocalisés dans une zone, qui reçoivent ça, c'est comment utiliser la big data à l'encontre de tout ce que ça pourrait faire de positif.
 
 
 
'''Fabrice Epelboin :''' Attends, attends. On ne va pas se mentir. Tu sais bien que dans un parcours de manifestation, aujourd'hui on raconte à la populace que la préfecture dit qu'il y a 7 000 manifestants, les organisateurs disent qu'il y en a 100 000, la réalité c'est que les services, peut-être pas de la préfecture mais d'autres services, savent qu'il y a très exactement 8 993 manifestants et ils ont le nom et l'adresse de chacun des manifestants, leur horaire d’arrivée à la manifestation et de la sortie. Et on le sait ça. On le sait très bien, c'est très facile.
 
 
 
'''Jean-Manuel Rozan :''' Je crois que le point fondamental, c'est celui qu'on évoquait plus tôt, c’est la possibilité de l'abus entraîne la certitude que l'abus sera commis, sauf à l'encadrer par des lois.
 
 
 
'''Fabrice Epelboin :''' Et elle n'est pas encadrée du tout.
 
 
 
'''Jean-Manuel Rozan :''' Et donc quand on commence dans une situation où l'abus possible, il faut que la société civile, les citoyens imposent un changement et des lois. Donc, je comprends très bien ce que dit Fabrice, on est d'accord, la situation d'aujourd'hui en France est telle que la possibilité d'abus existe. On va nous dire qu'il n'est pas commis, on est d'accord,
 
 
 
'''Fabrice Epelboin :''' Ou pas.
 
 
 
'''Jean-Manuel Rozan :''' Mais en tout cas ça ne prouve pas que l'ensemble de la société française soit totalement de connivence puisqu’il y a énormément de gens qui ne comprennent pas, ne savent pas, ne font pas, et il y en aussi qui ne sont pas d’accord.
 
 
 
'''Journaliste :'''  Moi je vais mettre mon grain de sel dans tout ça. Jean-Manuel, qu'est-ce que vous pensez que le Conseil d’État ait  fait passer la loi de programmation militaire très rapidement ?
 
 
 
'''Fabrice Epelboin :''' C'est le Conseil d’État ? Non. C'est le Conseil constitutionnel qui n'a pas été saisi.
 
 
 
'''Journaliste :'''  Le conseil d’État.
 
 
 
'''Fabrice Epelboin :''' Non, non. Il y a une procédure, quand il y a une loi qui semble non constitutionnelle,  qui consiste à saisir le Conseil constitutionnel ; pour ça il faut un certain nombre de députés, de mémoire soixante, et ils n'ont pas été foutus d'en réunir soixante pour saisir le Conseil constitutionnel, ce qui jette un très fort soupçon de complicité de l'opposition, enfin de l’opposition, qui n'a pas été foutue de rassembler soixante députés pour contester la constitutionnalité de cette loi. C'est cette espèce de jeu de dupes où on a tous les députés socialistes, y compris ceux qui ont défendu les libertés numériques, qui ont voté pour la loi de programmation militaire, et de l'autre côté, on a une opposition fantoche, qui fait semblant de s'opposer, mais en fait, dès qu'il s'agit vraiment de s'opposer, de saisir le Conseil constitutionnel n'est pas foutue de le faire, là, pour le coup, on tombe un masque. On tombe un masque qui est que cette loi est voulue par la droite comme par la gauche. Et mon interprétation de ça, c'est que la droite comme la gauche, s’apprêtent à vivre  un moment de confrontation assez musclée avec les populations civiles.
 
 
 
'''Journaliste :''' Moi je vais poser une question à Jean-Manuel. En tant que chef d'entreprise, de businessman, vous m'avez parlé de business éthique est-ce que vous pensez que la force étatique, c'est-à-dire ceux qui se revendiquent de la violence légitime sont tout à fait conscients du type de technologies qu'ils imposent en ce moment à la société civile ?
 
 
 
'''Jean-Manuel Rozan :'''  Je pense vraiment que le degré de conscience est extrêmement variable. Je vais vous donner un exemple. Dans les grandes entreprises qui manipulent Internet pour, on va dire, leurs axes commerciaux, on sait très bien qu'il y a des équipes à New-York qui sont très compétentes, des équipes à Paris qui sont moyennement compétentes, et puis cinq cents mètres plus loin, dans la même société, d'autres équipes qui sont complètement nulles et qui souvent ne comprennent rien à la façon dont ça fonctionne. Et quand on essaie de leur vendre des services on est confronté à ce problème. Je pense que dans la société politique, dans le gouvernement, parmi les ministres, parmi tous les gens concernés par ce sujet, c'est exactement la même chose. Il y a des gens qui sont, comme le dit Fabrice, totalement de connivence qui ont tout compris et qui sont pour ; il y a des gens qui n'ont absolument rien compris et qui n'ont pas vu le coup passer. Je crois qu'on en est là.
 
 
 
'''Fabrice Epelboin :''' Et il y a des gens qui n'ont rien compris qui sont contre aussi.
 
 
 
'''Jean-Manuel Rozan :'''  Il y a des gens qui sont contre. Donc on est dans un processus qui est, à mon sens, moi je suis optimiste et peut-être Fabrice est pessimiste, je pense moi qu'on est dans un processus mondial de prise de conscience qui va créer des alternatives et après on sera dans un monde dans lequel il y aura des alternatives dont certains vont se saisir, et d'autres ne vont pas voir, comme ils sont totalement happés dans cette nébuleuse, et donc en seront potentiellement les victimes.
 
 
 
== 24' 13==
 
 
 
'''Éric Leandri :''' Si je peux compléter ce que je disais tout à l’heure.
 

Dernière version du 10 août 2017 à 18:34


Publié ici - Août 2017