Différences entre les versions de « Loi programmation militaire et neutralité réseau »

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Publié [https://www.april.org/loi-de-programmation-militaire-et-neutralite-du-reseau-thinkerview-2014 ici] - Août 2017
'''Titre :''' Loi de programmation militaire et neutralité du réseau, vie privée.
 
 
 
'''Intervenants :''' Fabrice Epelboin - Jean-Manuel Rozan - Éric Leandri - Journaliste _
 
 
 
'''Lieu :''' ThinkerView
 
 
 
'''Date :''' Janvier 2014
 
 
 
'''Durée :''' 37 min 39
 
 
 
'''Lien vers la vidéo :''' [http://thinkerview.com/interview/loi-de-programmation-militaire-neutralite-du-reseau-vie-privee/]
 
 
 
 
 
==00' ''transcrit MO'' ==
 
 
 
'''Journaliste :''' Fabice Epelboin, bonjour.
 
 
 
'''Fabice Epelboin :''' Bonjour.
 
 
 
'''Journaliste :''' Je vous interviewe aujourd'hui pour un site Internet qui s'appelle ThinkerView. Qui êtes-vous ? Présentez-vous.
 
 
 
'''Fabice Epelboin :''' Je suis journaliste, je suis entrepreneur dans les nouvelles technologies et je suis aussi enseignant à Science-Po où j'enseigne l'impact de la surveillance sur la gouvernance.
 
 
 
'''Journaliste :''' On a vu récemment la loi de programmation militaire débarquer sur les réseaux. Qu'est-ce que vous en pensez ? Est-ce que vous pouvez nous résumer de votre point de vue ce que c'est ?
 
 
 
'''Fabice Epelboin :''' De mon point de vue c'est le ''Patriot Act'' version française avec dix ans de retard. Donc c'est finalement assez cohérent avec le retard chronique français sur les nouvelles technologies. Je pense qu'on a enfin rattrapé notre retard sur les Américains et puis on va pouvoir montrer à la NSA qu'on sait faire, nous aussi. Et on sait faire, on est bon, on est super bon en matière de surveillance. Après le souci c'est pour la démocratie, mais bon, tant pis !
 
 
 
'''Journaliste :''' Quel souci ?
 
 
 
'''Fabice Epelboin :''' C'est qu'on peut difficilement être en démocratie et éliminer la vie privée des citoyens. Parce que, grosso modo, cette loi de programmation militaire, l'article 20 pour être précis, ça élimine la possibilité pour les citoyens français d'avoir une vie privée au regard de l’État, ni plus ni moins. Donc à partir du moment où les citoyens n'ont plus de secrets pour l’État, alors c'est sûr que pour lutter contre les vilains terroristes ça va être plus facile, mais en même temps on va sacrifier la démocratie. C'est un peu dommage. Le pacte de base, pour ceux qui l’auraient oublié, dans la démocratie et plus précisément dans la république, le pacte de base c'est que votre vote est anonyme. L'anonymat, la confidentialité absolue, tout un tas de choses, pas juste le vote, mais tout un tas de choses des citoyens vis-à-vis de leur État, c'est vraiment le pacte de base de la démocratie, et là, on l'a clairement éliminé.
 
 
 
'''Journaliste :''' Fabice Epelboin, bonjour.
 
 
 
'''Jean-Manuel Rozan :''' Bonjour.
 
 
 
'''Journaliste :''' Qui êtes-vous ?
 
 
 
'''Jean-Manuel Rozan :''' Je suis le cofondateur et président de Qwant et avant cela j'ai travaillé pendant trente ans dans la finance. J'ai arrêté il y a trois ans lorsqu'on a décidé de créer Qwant avec Éric Leandri.
 
 
 
'''Journaliste :''' Pourquoi vous avez créé Qwant ?
 
 
 
'''Jean-Manuel Rozan :''' L’époque où on a commencé à réfléchir à Qwant est une époque assez datée où on s'est aperçu que, finalement, qu'il était définitivement acté que la direction initiale de l'Internet qui était d’être un instrument de pouvoir et de savoir égalitaire, neutre, et honnête pour tous, était totalement terminée avec la direction à la fois prise par les États, comme Fabrice vient de dire d'utiliser la technologie pour envahir la vie privée des gens, sans suffisamment de gardes-fous, et aussi, pour les sociétés commerciales présentes dans l'Internet, pour que les contenus soient exclusifs, pour que ce que les gens font et disent sur Internet soit vendu, manipulé de tout un tas de façons, et pour que, au fond, l'intention initiale soit totalement oubliée et donc, nous nous pensons qu'il y a besoin de rafraîchir un peu tout ça, de rétablir une liberté de naviguer, de rétablir l'absence de filtres, de rétablir tout un tas de choses qui sont celles auxquelles nous croyons. Donc nous avons fait Qwant, en gros, contre un état de fait et pour une rénovation de la façon dont les gens se servent d’Internet.
 
 
 
'''Journaliste :'''  Éric qui êtes-vous ?
 
 
 
'''Éric Leandri :''' Bonjour. Je suis cofondateur de Qwant avec Jean-Manuel. Je suis responsable de la technique chez Qwant et l’idée générale, pour reprendre ce que disait Jean-Manuel, c'est, à l'époque où on a démarré Qwant, il se passait déjà quelque chose d'assez étonnant, les grandes firmes...
 
 
 
'''Journaliste :'''  Vous avez démarré Qwant depuis combien de temps déjà ?
 
 
 
'''Éric Leandri :'''  Il y a trois ans, oui, ça va faire trois ans et demi maintenant.
 
 
 
'''Journaliste :'''  D’accord !
 
 
 
'''Éric Leandri :''' Ça fait bien trois ans et demi qu'on discute puisque, quelques mois avant, on s'était déjà rencontré avec Jean-Manuel pour un autre projet qui était un site social.
 
 
 
'''Journaliste :''' Comment vous voyez l’accélération des lois de l'encadrement de métadata, métadonnées, tout ce charabia. Vous en tant que développeur qu'est-ce que vous en pensez ?
 
 
 
'''Éric Leandri :'''  Plusieurs choses. Premièrement, en tant qu’utilisateur de plusieurs services sur Internet, je me rappelle d'une époque qui n’était pas si lointaine, elle a moins de dix ans, dans laquelle il n'y avait pas besoin d’être traqué sur absolument tout ce que je faisais, où que j'aille, quoi que je fasse, quoi que j'utilise, mon téléphone, Internet ou la télé, pour me donner une réponse de quel est le dernier site où j'ai quelque chose à récupérer, que ce soit pour du search, que ce soit simplement pour aller acheter quelque chose sur Internet. Jusqu'à preuve du contraire je suis relativement capable de savoir où j'ai envie d'aller, de savoir à peu près ce que je cherche. J'essaye en tout cas de revenir à cette époque et elle n’était vraiment pas très lointaine, et surtout dans cette époque-là on gagnait déjà beaucoup d'argent sans avoir à vous traquer tous les jours.
 
 
 
'''Journaliste :''' Donc en fait, vous voulez plaquer sur la vision de Qwant ce que nous on appelle sur les réseaux l'Internet ''all's cool'', c'est-à-dire où il y avait un peu plus de liberté et des choses comme ça. C'est ça ?
 
 
 
'''Éric Leandri :'''  Il y avait plus qu'un peu plus de liberté, en fait. Le principe c’était on créait le web, on créait les choses à mettre dans le web, on rajoutait l'Internet avec le W3C des autres, avec comme idée de partager, permettre de connecter. Internet ça veut dire interconnecter des networks donc à partir de là, le principe c’était ça, et de faire que tout se lie que tout puisse se partager et s’ouvrir.
 
 
 
'''Journaliste :''' Vous êtes pour la neutralité des réseaux ?
 
 
 
'''Éric Leandri :''' On est pour la neutralité des réseaux, ça c'est plus que sûr. Est-ce que seuls on peut y arriver, ça m'étonnerait, ça c'est encore autre chose.
 
 
 
'''Journaliste :''' Vous avez décidé de sortir du bois, de prendre position par rapport à la vie privée des gens. Qu’est-ce que vous êtes prêt à faire pour ça ? Est-ce que vous êtes prêt à un choc frontal avec les politiques ? Est-ce que vous êtes prêt à vous expatrier ?
 
 
 
'''Éric Leandri :''' Déjà on va commencer par le début. On a été prêt à un choc frontal avec des investisseurs financiers qui ont accepté de mettre de l'argent dans une idée qui consiste à retourner à la base, ramener un service aux gens, et utiliser ce service afin que les gens puissent, au travers de ce service, chercher, trouver, et, gagner un peu d'argent grâce à ce type de service, mais le gagner sans avoir besoin de traquer les gens.
 
 
 
'''Journaliste :''' Faire  un business responsable.
 
 
 
'''Éric Leandri :''' Exactement. Essayer de faire un business responsable, le plus éthique possible. Et franchement, ça a très bien réussi à d'énormes firmes à travers la planète, pendant des années. Donc, après tout, peut-être que c'est moins bien aujourd’hui parce qu'on veut gagner encore plus, encore plus, encore plus, mais j'ai l'impression que ça marchait très bien avant déjà.
 
 
 
'''Journaliste :''' Fabrice j'ai une question pour vous. On a entendu un point de vue d'entrepreneur, chef d'entreprise, moi j'ai une question pour vous sur le big data, sur le fait que plein de moteurs de recherche, je ne vais pas les citer, mais on les connaît tous, plein de logiciels, plein de services sur Internet proposent d'accumuler vos propres données. Qu'est-ce que vous pouvez nous dire sur l’utilisation de ces données. Qu'est-ce qu'on peut en faire ? Jusqu'où on peut aller avec nos données ?
 
 
 
'''Fabice  Epelboin :''' Absolument n'importe où. Je pense que la réponse un peu criante c'est de s’intéresser à une boîte qui s'appelle Palantir et qui est probablement la boîte qui fait les choses les plus bluffantes avec de la big data.
 
 
 
'''Journaliste :''' Concrètement ?
 
 
 
'''Fabice Epelboin :''' Concrètement vous pouvez prendre toutes les données de la Sécurité sociale, les recouper avec des données bancaires, des données sur la délinquance que vous allez choper chez nos amis les policiers, mélanger tout ça et lutter contre la fraude à la sécu. C'est assez facile, Palantir est prévu pour ça.
 
 
 
'''Journaliste :''' C'est positif !
 
 
 
'''Fabice Epelboin :''' Oui. Oui, ça peut être très positif. Vous pouvez, par exemple, prendre tout un tas de données et repérer qui fait partie de l'opposition politique par exemple dans un pays comme l'Ukraine ou en France, peu importe. En France on a des manifestations diverses et variées, assez mal identifiées, les jours de colère, les bonnets rouge, les machins, tout ça ce sont des choses que l’État ne comprend pas bien, il n'y pas que l’État d'ailleurs, mais c’est une nouvelle forme de contestation politique, on ne sait pas d'où ça vient, on ne sait pas comment ça s'organise, ça n'a rien à voir avec les modèles classiques de protestation politique qui étaient un jeu de connivence droite gauche, avec une alternance dans l'opposition et dans la majorité. Aujourd’hui on a besoin de comprendre ce qui se passe et donc, il est indispensable pour les services de l’État, même si ce n'est pas très éthique, d'aller espionner tous ces gens et de comprendre comment ils communiquent, comment ils transmettent des messages, comment ils s'organisent. Ça, ça passe de la big data sur ces populations-là et sur les populations dans leur ensemble, vu que, grosso modo, ce qu'on voit là en France, j'insiste sur le terme français parce que ça nous parle à tous, ce qu'on voit en France qui est une espèce de renouvellement complet des mouvements qui protestent, très concrètement, il va vraiment falloir qu'on le comprenne et d'autre part ça entraîne visiblement une très large partie des Français, à différents niveaux. Entre le monsieur qui n’est pas content de payer des impôts et qui gueule sur Facebook et celui qui brûle une préfecture et il y a toute une marge. Mais malgré tout, tout ça fait partie d'une nébuleuse qu'il va falloir...
 
 
 
'''Journaliste :''' Est-ce que vous craignez pour le secret médical, le secret de l'instruction ?
 
 
 
'''Fabice Epelboin :''' Ça n’existe plus. Prenons-les dans l'ordre. Le secret médical. Prenons le secret de l'instruction. Prenons un secret qui n'existe plus. Au regard de la loi de programmation militaire, ça n'existe plus. Le secret des sources , le secret de l'instruction n’existent plus.
 
 
 
'''Journaliste :''' Le secret des sources pour les journalistes ?
 
 
 
'''Fabice Epelboin :''' Ça n'existe plus. Ça a été éliminé par l'article 20. A partir du moment où vous êtes journaliste, vous faites une investigation sur une affaire qui concerne l’État, l’État peut, de façon parfaitement discrétionnaire, sans aucune autorité de contrôle ni de surveillance, décider de vous mettre sous surveillance et dans ce cas-là toutes vos données numériques sont aspirées par l’État et confiées au Premier ministre ou à tout un tas d'administrations. Donc ça n'existe plus. Il n'y a plus de secret des sources en France. Ça n’existe plus ; il faut être très clair là-dessus. C'est dommage que les journalistes ne s'en aperçoivent pas maintenant. Mais c'est comme le temps des fadettes, ils vont mettre quelques années avant de s’apercevoir que, en fait, les bases du métier ont disparu, mais le secret des sources ça n'est accessible exclusivement qu'aux journalistes qui maîtrisent la technologie. À personne d'autre.  Personne d'autre.
 
 
 
'''Journaliste :''' D'accord. Jean-Manuel Rozan, quand vous entendez Fabrice nous dire que le secret de l'instruction, le secret de la correspondance, le secret médical, a disparu. Qu’est-ce que vous en pensez ?
 
 
 
'''Jean-Manuel Rozan :''' C'est exact. Il est indéniable, l'histoire du monde est remplie d'exemples qui prouvent la chose suivante : si un abus est possible, il est commis. La question c'est combien de temps ça va prendre et par qui. L'argument de dire, quand on fait une loi, nous ne commettrons pas un abus, n'est hélas pas bon parce que, à partir du moment où la loi existe, il y aura peut-être, vraisemblablement, voire sûrement un jour des pouvoirs qui commettront l'abus. Il est évident que plus les technologies existent plus les abus sont possibles, et ce monde, je dis une fois de plus, privé comme public, utilise la technologie avec, si je puis dire, un temps d'avance sur les citoyens. Et on est dans une forme de course où on essaye de rattraper les choses et les citoyens essayent de rattraper ce qu'ils ont abandonné, souvent, sans même s'en rendre compte, Il y a un temps de prise de conscience et après, on espère, une phase de rattrapage.
 
 
 
'''Journaliste :''' Éric, en tant que chef d'entreprise, qu'est-ce que font les entreprises pour rattraper leur retard face à ça ?
 
 
 
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Dernière version du 10 août 2017 à 18:34


Publié ici - Août 2017