Différences entre les versions de « Logiciels et ressources éducatives libres à l’université : où en sommes-nous - JdLÉ »

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<b>Louis Derra : </b>Comme ça a un petit tourné depuis tout à l’heure, même si on n’est pas nombreux, je vais refaire ma petite étude, levez la main ou pas : qui parmi vous est à l’aise, très à l’aise avec la distinction Libre et <em>open source</em> ? Plus que tout l’heure. En fait seuls les libristes sont restés ! D’accord ! Donc si vous étiez là tout à l’heure, je ne vous pose pas les autres questions.
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<b>Public : </b>Il faut donner la réponse maintenant !
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<b>Louis Derra : </b>J’allais la donner sur cette introduction. Je redonne l’intitulé de cette table ronde « Logiciels et ressources éducatives libres à l’université : où en sommes-nous ? ». C’est vrai que je me suis un peu senti obligé d’introduire la table ronde en revenant, de manière peut-être un peu trop hasardeuse, sur l’histoire de l’informatique et du numérique, parce que, sans entrer dans les détails et puissent les experts me pardonner si c’est un peu trop simplifié, mais les liens entre l’informatique, la création de l’informatique, l’avènement du numérique et le monde universitaire et de la recherche sont quand même évidents, il faut le rappeler. C’est quand même bien, à la base, des universitaires qui ont utilisé, avec les militaires, les premiers supers ordinateurs, c’étaient deux besoins. Peut-être que Colin me corrigera un peu plus tard sur cette partie, mais globalement, si on veut simplifier, c’était dans le monde de la recherche et dans le monde universitaire qu’on avait besoin de puissance de calcul. C’est aussi dans le monde universitaire que se sont créés, collectivement, la plupart des différents réseaux d’Internet basés à chaque fois sur des briques qui étaient à l’époque libres et <em>open source</em>, pareil pour le Web créé au CERN [Conseil européen pour la recherche nucléaire] en Europe. Ce qui est intéressant quand on se rappelle un peu de cette histoire, c’est vrai qu’à cette époque, jusqu’aux années 80 à peu près, le Libre et l’<em>open source</em> surtout du coup l’<em>open source</em>, et ça m’amènera à dire la différence entre les deux étaient « by design », entre guillemets. À l’époque les gens créaient collectivement Internet, codaient les premiers ordinateurs et, en fait, le système propriétaire n’existait propriétaire. C’était intéressant de rappeler ça parce que qu’on s’était dit que dans les valeurs, et c’est un peu pareil avec les tables rondes précédentes, il y a des liens très forts et très évidents entre le monde de l’éducation au sens large et, à fortiori, le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche avec le logiciel libre et <em>open source</em>.<br/>
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Pour vous répondre, pour simplifier, le logiciel libre c’est le logiciel <em>open source</em> plus la vision politique. Le logiciel <em>open source</em> c’est la version très technique où on optimise, en tout cas on pense que c'est une manière optimale de développer en ayant une communauté : moins de bugs, plus de mutualisation. Le Libre c’est une vision plus militante, plus politique qui est de dire qu’on a besoin de comprendre le système qu’on utilise. Si on va dans le détail des liens qu’il y avait entre le monde universitaire, effectivement ce serait un petit plus compliqué.<br/>
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Voilà pour cette introduction. C’est vrai que quand on a eu notre temps de préparation on a commencé par se dire que les liens entre le monde universitaire et le Libre sont anciens. On verra qu’ils sont quand même assez forts.<br/>
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Je vous propose qu’on rentre directement dans le sujet déjà en dressant un peu le tableau de la situation : ce qui a été fait ? Où on en est ? D’abord, peut-être pour notre salle, juste nous mettre d’accord sur quelques définitions parce que, au-delà de la question <em>open source</em> et Libre, il y en a quand même quelques autres. Ça me permettra aussi de vous présenter.<br/>
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Colin de la Higuera, tu enseignes à l’université de Nantes, tu es cofondateur du projet Class’Code et tu diriges la chaire Unesco IA et REL. Peux-tu nous dire ce qu’est une REL ?
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<b>Colin de la Higuera : </b>J’ai une question qui me va, parce que sinon, sur les autres questions sur lesquelles tu t’adressais à moi comme si je savais, en fait tu t’adresses à moi surtout parce que j’ai plus de cheveux blancs que les autres.<br/>
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Sur les REL, je reprends en fait la même chose que celle que tu viens de dire.
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<b>Louis Derra : </b>Je précise juste, Ressources éducatives libres.
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<b>Colin de la Higuera : </b>Justement. On enlève le « source » et on a la différence entre « open » et « libre ».<br/>
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Pour les REL, les ressources éducatives, c’est-à-dire ce qu’on fait quand on crée des cours, en fait moi j’aime bien faire la distinction de la manière simple suivante, c’est que c’est une question de point de vue. C’est-à-dire que quand je vais les utiliser, je veux être libre de les utiliser, c’est-à-dire je veux qu’on me donne des libertés. La liberté c’est la liberté de l’usage. « Open », en fait, c’est la manière de conférer ces libertés, c’est-à-dire que j’ouvre la ressource en tant qu’enseignant, en tant que créateur, de façon à dire explicitement à l’autre « tu as la liberté de le faire ». En fait les deux vont de pair. C’est-à-dire que la liberté de celui à qui il n’est pas explicitement dit que c’est ouvert est nécessairement affectée. Il peut probablement récupérer la ressource parce qu’elle est quand même quelque part sur Internet, il va la trouver, mais il ne peut plus en faire grand-chose. Il ne peut pas, par exemple, se mettre en visio devant ses élèves et l’utiliser puisque, finalement, on lui a pas dit qu’il allait pouvoir le faire. C’est essentiel de voir les deux ensemble, pas juste « j’utilise ce que je trouve » parce que ça c’est sympa. C’est vraiment l’autre effort qui est nécessaire, c’est-à-dire je dois donner cette liberté, c’est-à-dire je dois ouvrir et l’ouverture passe par un certain nombre de choses, en particulier par la question des licences. La meilleure manière de dire « oui tu as le droit de faire avec mon cours ce que tu as envie de faire en tant qu’enseignant » c’est de mettre une licence qui le dise explicitement.
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<b>Louis Derra : </b>Merci.<br/>
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Je continue mon petit tour de table. Perrine de Coëtlogon, tu es chargée de mission blockchain et <em>open education</em> à la Direction de l’innovation pédagogique de l’université de Lille. Je sais que tu es aussi au <em>board</em> de l’Open Education Global. Est-ce que, de ton côté, tu peux nous réexpliquer ce que c’est que l’éducation ouverte ou l’<em>open education</em>.
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<b>Perrine de Coëtlogon : </b>Un petit mot sur Open Education Global. Tu as rappelé que les chercheurs en informatique contribuaient naturellement tous ensemble à créer du code et c’est comme ça qu’il y a eu une telle accélération de l’informatique dans le monde. Au MIT Media Lab ils ont aussi eu l’idée, tout à fait à la fin des années 90, d’ouvrir leurs cours. Ça a créé un mouvement qui a fêté ses 20 ans l’année dernière l’OpenCourseWare, mais qui étai limité aux enseignants-chercheurs du MIT. Il fallait aller au-delà. Ils ont créé une association qui s’appelle Open Education Global, qui s’appelait jusqu’à en 2019 Open Education Consortium, qui est constitué de 230 membres dans le monde entier.
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<b>Louis Derra : </b>Des membres qui sont des universités ?
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<b>Perrine de Coëtlogon : </b>Pas seulement des universités, des écoles aussi, des <em>community colleges</em> aussi dont on parle beaucoup aux États-Unis qui sont intermédiaires entre l’école et l’université. <br/>
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C’est une association qui permet d’animer toute la communauté mondiale qui s’intéresse aux ressources éducatives libres, qui sont promues depuis 2002 par l’UNESCO comme la façon vertueuse de donner accès à tous à l’éducation grâce aux contenus éducatifs mis sous licence libre et grâce à l’informatique qui permet de faire des copier-coller.<br/>
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J’ai été élue en avril 2020, il y a deux ans, au <em>board</em> de cette association mondiale. Quand les membres du <em>board</em> se réunissent avec le directeur exécutif, posté ici, on couvre 23 fuseaux horaires parce que ça va de Vancouver aux Îles Fidji. Le <em>board</em> a tourné, donc ça sera un peu moi, mais ça reste très international et j’ai été réélue, je l’ai appris par mail hier, à nouveau pour deux ans.
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<b>Louis Derra : </b>Ce sera intéressant, effectivement, de voir un peu ta vision sur ce qui se fait à l’échelle mondiale. On est d’accord que <em>open education</em> est un concept qui inclut, du coup, les ressources éducatives libres et les licences Creative Commons entre autres.
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<b>Perrine de Coëtlogon : </b>Absolument. C’est ça C’est le pendant à l’<em>open science</em>, à l’<em>open gov</em>, à l’<em>open data</em> pour l’éducation. Quand on dit « éducation ouverte » en français, il y a toujours cette question : au-delà de libre, ouvert, gratuit, qu’est-ce que ça veut dire ? L’éducation ouverte ça fait penser – je suis en relation avec de nombreux libristes y compris du ministère l’Éducation nationale – à l’éducation dehors ou à l’éducation populaire. En fait quand on parle d’<em>open education</em> on est bien sur les contenus éducatifs et leur ouverture, puisqu’il y a une capacité énorme et intéressante à libérer, en fait, l’éducation et la rendre beaucoup plus accessible en travaillant sur les droits d’auteur. C’est vrai que je ne suis pas enseignante ni chercheuse, mais j’ai été avocate et je suis très intéressée par les questions de licence et de droit d’auteur.
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<b>Louis Derra : </b>Merci beaucoup.<br/>
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Pour aller vers le bout de notre tour de table et terminer un peu sur les concepts, Élise et Bertrand ici vous êtes nos deux enseignants-chercheurs.<br/>
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Élise Lavoué, tu es maître de conférences à l‘université Lyon 3, tu t’occupes, tu t’es occupée, on en parlera, du projet e-FRAN LudiMoodle et tu es également au CNRS, au labo LIRIS, sur les interactions homme-machine.<br/>
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Bertrand Mocquet, tu es chercheur au laboratoire MICA, expert numérique à l’Amue, tu nous en parleras.<br/>
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Je pose la question à vous deux : que met-on derrière le mot <em>open science</em> ?
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<b>Élise Lavoué : </b><em>Open science</em>, on va dire que ça va être <em>open data</em> et <em>open software</em>, <em>hardware</em>. C’est un mouvement qui est quand même assez récent en France puisqu’on nous demande quasiment dans tous les appels à projet aujourd’hui et par l’Agende nationale de la recherche, l’ANR, de nous engager à l’issue du projet à diffuser l’ensemble du code, des données qui vont être produites. Ce sont surtout les données qui sont partagées aujourd’hui. Quand on parle de données c’est notamment quand on conduit des expérimentations avec des utilisateurs, nous conduisons par exemple des expérimentations dans les écoles, dans les collèges et on nous demande de partager ces données tant que possible et bien évidemment totalement anonymisées, pour que d’autres chercheurs puissent ensuite s’en emparer, les analyser à leur tour. En plus, c’est une manière pour les chercheurs, de montrer de manière transparente les données sur lesquelles ils se sont appuyés pour faire leurs analyses. Ça donne aussi plus de crédibilité à ce qu’on a fait. D’ailleurs on a beaucoup parlé de l’ <em>open science</em> dans le monde médical , encore récemment.
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<b>Bertrand Mocquet : </b>Ce qui, du coup, provoque un changement assez complet. Mes recherches sont plutôt sur la transformation numérique des universités, de se mettre dans la trajectoire et de voir les dynamiques. On voit bien que la donne change, ce qui va provoquer des interrogations de pratiques professionnelles. Le collègue qui, avant, gardait ses données simplement pour des publications – et le modèle est encore comme ça dans des revues qui n’étaient pas du tout ouvertes, au contraire propriétaires – et aura sa qualification et son évolution de carrière aussi là-dessus. On se retrouve effectivement avec un changement et peut-être que certains de mes collègues sentent un peu gênant ce paradoxe d’avoir une obligation d’aller vers l’ouverture et une obligation d’aller vers un modèle de fermeture qui les ferait monter en carrière. Peut-être parce que c’est très récent, certains collègues sont sûrement dans ces interrogations.
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<b>Élise Lavoué : </b>Si je peux juste compléter, il y a vraiment une tendance inverse aujourd’hui. Là on est dans une carrière d’enseignant-chercheur. Aujourd’hui partager les données, mettre en <em>open source</em> le code va être valorisé. Ça participe quand même à ce mouvement d’<em>open science</em> aujourd’hui, on le valorise. Il y a les données effectivement, mais, je ne l’ai pas dit, on a ordre aujourd’hui de diffuser les publications vraiment en libre accès, ce qui est assez récent aussi.
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<b>Louis Derra : </b>D’ailleurs

Version du 28 mai 2022 à 09:54


Titre : Table ronde : « Pourquoi et comment les collectivités peuvent-elles aider à l’adoption du libre à l’école ? »

Intervenant·e·s : Colin de la Higuera - Perrine de Coëtlogon - Élise Lavoué - Bertrand Mocquet - David Rongeat - Louis Derra

Lieu : Lyon - Journée Du Libre Éducatif 2022

Date : 1er avril 2022

Durée : 51 min 31

Vidéo

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À prévoir

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Louis Derra : Comme ça a un petit tourné depuis tout à l’heure, même si on n’est pas nombreux, je vais refaire ma petite étude, levez la main ou pas : qui parmi vous est à l’aise, très à l’aise avec la distinction Libre et open source ? Plus que tout l’heure. En fait seuls les libristes sont restés ! D’accord ! Donc si vous étiez là tout à l’heure, je ne vous pose pas les autres questions.

Public : Il faut donner la réponse maintenant !

Louis Derra : J’allais la donner sur cette introduction. Je redonne l’intitulé de cette table ronde « Logiciels et ressources éducatives libres à l’université : où en sommes-nous ? ». C’est vrai que je me suis un peu senti obligé d’introduire la table ronde en revenant, de manière peut-être un peu trop hasardeuse, sur l’histoire de l’informatique et du numérique, parce que, sans entrer dans les détails et puissent les experts me pardonner si c’est un peu trop simplifié, mais les liens entre l’informatique, la création de l’informatique, l’avènement du numérique et le monde universitaire et de la recherche sont quand même évidents, il faut le rappeler. C’est quand même bien, à la base, des universitaires qui ont utilisé, avec les militaires, les premiers supers ordinateurs, c’étaient deux besoins. Peut-être que Colin me corrigera un peu plus tard sur cette partie, mais globalement, si on veut simplifier, c’était dans le monde de la recherche et dans le monde universitaire qu’on avait besoin de puissance de calcul. C’est aussi dans le monde universitaire que se sont créés, collectivement, la plupart des différents réseaux d’Internet basés à chaque fois sur des briques qui étaient à l’époque libres et open source, pareil pour le Web créé au CERN [Conseil européen pour la recherche nucléaire] en Europe. Ce qui est intéressant quand on se rappelle un peu de cette histoire, c’est vrai qu’à cette époque, jusqu’aux années 80 à peu près, le Libre et l’open source surtout du coup l’open source, et ça m’amènera à dire la différence entre les deux étaient « by design », entre guillemets. À l’époque les gens créaient collectivement Internet, codaient les premiers ordinateurs et, en fait, le système propriétaire n’existait propriétaire. C’était intéressant de rappeler ça parce que qu’on s’était dit que dans les valeurs, et c’est un peu pareil avec les tables rondes précédentes, il y a des liens très forts et très évidents entre le monde de l’éducation au sens large et, à fortiori, le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche avec le logiciel libre et open source.
Pour vous répondre, pour simplifier, le logiciel libre c’est le logiciel open source plus la vision politique. Le logiciel open source c’est la version très technique où on optimise, en tout cas on pense que c'est une manière optimale de développer en ayant une communauté : moins de bugs, plus de mutualisation. Le Libre c’est une vision plus militante, plus politique qui est de dire qu’on a besoin de comprendre le système qu’on utilise. Si on va dans le détail des liens qu’il y avait entre le monde universitaire, effectivement ce serait un petit plus compliqué.
Voilà pour cette introduction. C’est vrai que quand on a eu notre temps de préparation on a commencé par se dire que les liens entre le monde universitaire et le Libre sont anciens. On verra qu’ils sont quand même assez forts.
Je vous propose qu’on rentre directement dans le sujet déjà en dressant un peu le tableau de la situation : ce qui a été fait ? Où on en est ? D’abord, peut-être pour notre salle, juste nous mettre d’accord sur quelques définitions parce que, au-delà de la question open source et Libre, il y en a quand même quelques autres. Ça me permettra aussi de vous présenter.
Colin de la Higuera, tu enseignes à l’université de Nantes, tu es cofondateur du projet Class’Code et tu diriges la chaire Unesco IA et REL. Peux-tu nous dire ce qu’est une REL ?

Colin de la Higuera : J’ai une question qui me va, parce que sinon, sur les autres questions sur lesquelles tu t’adressais à moi comme si je savais, en fait tu t’adresses à moi surtout parce que j’ai plus de cheveux blancs que les autres.
Sur les REL, je reprends en fait la même chose que celle que tu viens de dire.

Louis Derra : Je précise juste, Ressources éducatives libres.

Colin de la Higuera : Justement. On enlève le « source » et on a la différence entre « open » et « libre ».
Pour les REL, les ressources éducatives, c’est-à-dire ce qu’on fait quand on crée des cours, en fait moi j’aime bien faire la distinction de la manière simple suivante, c’est que c’est une question de point de vue. C’est-à-dire que quand je vais les utiliser, je veux être libre de les utiliser, c’est-à-dire je veux qu’on me donne des libertés. La liberté c’est la liberté de l’usage. « Open », en fait, c’est la manière de conférer ces libertés, c’est-à-dire que j’ouvre la ressource en tant qu’enseignant, en tant que créateur, de façon à dire explicitement à l’autre « tu as la liberté de le faire ». En fait les deux vont de pair. C’est-à-dire que la liberté de celui à qui il n’est pas explicitement dit que c’est ouvert est nécessairement affectée. Il peut probablement récupérer la ressource parce qu’elle est quand même quelque part sur Internet, il va la trouver, mais il ne peut plus en faire grand-chose. Il ne peut pas, par exemple, se mettre en visio devant ses élèves et l’utiliser puisque, finalement, on lui a pas dit qu’il allait pouvoir le faire. C’est essentiel de voir les deux ensemble, pas juste « j’utilise ce que je trouve » parce que ça c’est sympa. C’est vraiment l’autre effort qui est nécessaire, c’est-à-dire je dois donner cette liberté, c’est-à-dire je dois ouvrir et l’ouverture passe par un certain nombre de choses, en particulier par la question des licences. La meilleure manière de dire « oui tu as le droit de faire avec mon cours ce que tu as envie de faire en tant qu’enseignant » c’est de mettre une licence qui le dise explicitement.

Louis Derra : Merci.
Je continue mon petit tour de table. Perrine de Coëtlogon, tu es chargée de mission blockchain et open education à la Direction de l’innovation pédagogique de l’université de Lille. Je sais que tu es aussi au board de l’Open Education Global. Est-ce que, de ton côté, tu peux nous réexpliquer ce que c’est que l’éducation ouverte ou l’open education.

Perrine de Coëtlogon : Un petit mot sur Open Education Global. Tu as rappelé que les chercheurs en informatique contribuaient naturellement tous ensemble à créer du code et c’est comme ça qu’il y a eu une telle accélération de l’informatique dans le monde. Au MIT Media Lab ils ont aussi eu l’idée, tout à fait à la fin des années 90, d’ouvrir leurs cours. Ça a créé un mouvement qui a fêté ses 20 ans l’année dernière l’OpenCourseWare, mais qui étai limité aux enseignants-chercheurs du MIT. Il fallait aller au-delà. Ils ont créé une association qui s’appelle Open Education Global, qui s’appelait jusqu’à en 2019 Open Education Consortium, qui est constitué de 230 membres dans le monde entier.

Louis Derra : Des membres qui sont des universités ?

Perrine de Coëtlogon : Pas seulement des universités, des écoles aussi, des community colleges aussi dont on parle beaucoup aux États-Unis qui sont intermédiaires entre l’école et l’université.
C’est une association qui permet d’animer toute la communauté mondiale qui s’intéresse aux ressources éducatives libres, qui sont promues depuis 2002 par l’UNESCO comme la façon vertueuse de donner accès à tous à l’éducation grâce aux contenus éducatifs mis sous licence libre et grâce à l’informatique qui permet de faire des copier-coller.
J’ai été élue en avril 2020, il y a deux ans, au board de cette association mondiale. Quand les membres du board se réunissent avec le directeur exécutif, posté ici, on couvre 23 fuseaux horaires parce que ça va de Vancouver aux Îles Fidji. Le board a tourné, donc ça sera un peu moi, mais ça reste très international et j’ai été réélue, je l’ai appris par mail hier, à nouveau pour deux ans.

Louis Derra : Ce sera intéressant, effectivement, de voir un peu ta vision sur ce qui se fait à l’échelle mondiale. On est d’accord que open education est un concept qui inclut, du coup, les ressources éducatives libres et les licences Creative Commons entre autres.

Perrine de Coëtlogon : Absolument. C’est ça C’est le pendant à l’open science, à l’open gov, à l’open data pour l’éducation. Quand on dit « éducation ouverte » en français, il y a toujours cette question : au-delà de libre, ouvert, gratuit, qu’est-ce que ça veut dire ? L’éducation ouverte ça fait penser – je suis en relation avec de nombreux libristes y compris du ministère l’Éducation nationale – à l’éducation dehors ou à l’éducation populaire. En fait quand on parle d’open education on est bien sur les contenus éducatifs et leur ouverture, puisqu’il y a une capacité énorme et intéressante à libérer, en fait, l’éducation et la rendre beaucoup plus accessible en travaillant sur les droits d’auteur. C’est vrai que je ne suis pas enseignante ni chercheuse, mais j’ai été avocate et je suis très intéressée par les questions de licence et de droit d’auteur.

Louis Derra : Merci beaucoup.
Pour aller vers le bout de notre tour de table et terminer un peu sur les concepts, Élise et Bertrand ici vous êtes nos deux enseignants-chercheurs.
Élise Lavoué, tu es maître de conférences à l‘université Lyon 3, tu t’occupes, tu t’es occupée, on en parlera, du projet e-FRAN LudiMoodle et tu es également au CNRS, au labo LIRIS, sur les interactions homme-machine.
Bertrand Mocquet, tu es chercheur au laboratoire MICA, expert numérique à l’Amue, tu nous en parleras.
Je pose la question à vous deux : que met-on derrière le mot open science ?

Élise Lavoué : Open science, on va dire que ça va être open data et open software, hardware. C’est un mouvement qui est quand même assez récent en France puisqu’on nous demande quasiment dans tous les appels à projet aujourd’hui et par l’Agende nationale de la recherche, l’ANR, de nous engager à l’issue du projet à diffuser l’ensemble du code, des données qui vont être produites. Ce sont surtout les données qui sont partagées aujourd’hui. Quand on parle de données c’est notamment quand on conduit des expérimentations avec des utilisateurs, nous conduisons par exemple des expérimentations dans les écoles, dans les collèges et on nous demande de partager ces données tant que possible et bien évidemment totalement anonymisées, pour que d’autres chercheurs puissent ensuite s’en emparer, les analyser à leur tour. En plus, c’est une manière pour les chercheurs, de montrer de manière transparente les données sur lesquelles ils se sont appuyés pour faire leurs analyses. Ça donne aussi plus de crédibilité à ce qu’on a fait. D’ailleurs on a beaucoup parlé de l’ open science dans le monde médical , encore récemment.

Bertrand Mocquet : Ce qui, du coup, provoque un changement assez complet. Mes recherches sont plutôt sur la transformation numérique des universités, de se mettre dans la trajectoire et de voir les dynamiques. On voit bien que la donne change, ce qui va provoquer des interrogations de pratiques professionnelles. Le collègue qui, avant, gardait ses données simplement pour des publications – et le modèle est encore comme ça dans des revues qui n’étaient pas du tout ouvertes, au contraire propriétaires – et aura sa qualification et son évolution de carrière aussi là-dessus. On se retrouve effectivement avec un changement et peut-être que certains de mes collègues sentent un peu gênant ce paradoxe d’avoir une obligation d’aller vers l’ouverture et une obligation d’aller vers un modèle de fermeture qui les ferait monter en carrière. Peut-être parce que c’est très récent, certains collègues sont sûrement dans ces interrogations.

Élise Lavoué : Si je peux juste compléter, il y a vraiment une tendance inverse aujourd’hui. Là on est dans une carrière d’enseignant-chercheur. Aujourd’hui partager les données, mettre en open source le code va être valorisé. Ça participe quand même à ce mouvement d’open science aujourd’hui, on le valorise. Il y a les données effectivement, mais, je ne l’ai pas dit, on a ordre aujourd’hui de diffuser les publications vraiment en libre accès, ce qui est assez récent aussi.

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Louis Derra : D’ailleurs