Différences entre les versions de « Logiciels et ressources éducatives libres à l’université : où en sommes-nous - JdLÉ »

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<b>Bertrand Mocquet : </b>Avant de laisser
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<b>Bertrand Mocquet : </b>Avant de laisser la parole à David, le domaine d’intervention de l’Agence de mutualisation c’est l’informatique de gestion, donc la scolarité, la finance, les RH. On est déjà là-dessus, on n‘est pas dans la classe, on est dans le fonctionnement des universités qui, si jamais, vous ne l’avez pas entendu assez de fois, sont sur un principe d’autonomie. On travaille comme ça à délivrer l’opérationnalisation d’un service public qui est la formation et la recherche pour la France.
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<b>David Rongeat : </b>Juste pour compléter sur la question des acteurs de l’enseignement supérieur et, admettons, l’Agence de mutualisation, mais ce n’est qu’un exemple. Quand on travaille, quand on veut faire de la transformation pour passer sur de l’<em>open source</em> par exemple, on le fait en communauté, c’est-à-dire qu’on ne fonctionne qu’en communauté. Nativement, dans l’enseignement supérieur et la recherche, on ne travaille qu’en réseau, en groupe, via d’autres associations, etc., qu’on met autour de la table. Par exemple pour faire les choix technologiques des logiciels libres à utiliser pour les futures solutions, on le fait en communauté, on travaille avec des associations de professionnels, on travaille avec la DINUM, on prend le Socle interministériel du logiciel libre, on ne fonctionne que dans cette nature-là. Et quand on se pose des questions de forge, c‘est la même chose.
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<b>Louis Derra : </b>Dans cet exemple qui est pilote, par exemple ?
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<b>David Rongeat : </b>Dernièrement ??? j’animais un groupe de travail, mais j’étais juste l’animateur, je faisais le passage de parole. La décision était collective.<br/>
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Quand on avait un argumentaire et qu’après on allait voir les instances de décision pour savoir si vraiment on allait utiliser du Libre et faire de l’<em>open source</em>, là il y avait les patrons de toutes les grandes instances, que ça soit la conférence des présidents d’université, l’Amue, les associations professionnelles, etc. C’est dans ce mécanisme-là qu’on a pu faire cette transformation-là.<br/>
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Après, pour nous, les questions de forges ne sont que des questions très techniques. On va prendre le Gitlab de qui ? Le tien ? Le mien ? Ce n’est pas très important parce qu’on a l’habitude de le faire. On va en choisir, un, on va mettre notre code sur code.gouv.fr pour que ça soit encore plus ouvert que dans notre communauté et puis ça finira dans Software Heritage quand ce sera plus ancien et puis voilà ! Là on est dans un domaine qu’on maîtrise et on ne se pose pas tellement de questions, en fait, sur ces sujets-là.
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<b>Louis Derra : </b>Je vois que le temps avance, comme à chaque fois. Je vais me tourner vers toi, Élise. Comme je le disais tu as travaillé sur un projet très concret, pour le coup là on va aller dans la pratique, le projet LudiMoodle. D’où est venu ce projet ? Peut-être revenir un peu sur sa genèse. Et toi, concrètement, comment as-tu vécu la mise en place d’un projet basé sur Moodle, un MMS <em>open source</em> et sa promotion, comme on en discutait, le fait de prêcher la bonne parole au sein de l’enseignement supérieur et de la recherche pour proposer et promouvoir ce travail que vous avez fait.
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<b>Élise Lavoué : </b>LudiMoodle est un projet qui a été financé par le ministère en 2016. Ils avaient comme volonté de transférer les travaux issus de la recherche dans le monde scolaire, finalement du primaire jusque dans les lycées. Travaillant sur la ludification, on s’est dit on va faire un projet, on va chercher à ludifier des ressources dans les collèges. C’est une aventure qui a duré cinq ans, qui a été extrêmement riche puisqu’on a travaillé à la fois université, avec l’université de Lyon, une université où il y avait un pôle à la pédagogie numérique qui a pu accompagner des enseignants de collège avec lesquels on a travaillé pendant ces cinq années et également les laboratoires de recherche en informatique, en science de l’éducation, et puis une entreprise qui développait la solution elle-même.<br/>
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Je pense que c’est un assez rare d’avoir des projets comme ça où on a autant de monde autour de la table. On s’était engagés, dès le début du projet, à fournir à la fin des ressources libres, accessibles à tous, en <em>open source</em>, en l’occurrence sous Moodle. On a vraiment travaillé ensemble avec ces enseignants de collège pour créer les contenus. C’était sur l’enseignement de l’algèbre, plus précisément du calcul littéral. Ils ont fait l’ensemble des quiz, les parties de cours, la scénarisation pédagogique, pendant que nous dessinions, on a designé tous les éléments de l’édification qui allaient avec. On a même choisi comment paramétrer l’application qui était développée. C’était vraiment une collaboration.<br/>
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Là on veut peut-être, en tout cas j’espère, répondre à un appel à projet pour repartir pour deux ans, parce que le seul point vraiment négatif, à la fin, c’est qu’aujourd’hui on a deux outils : un outil Ludialgèbre dédié à l’enseignement de l’algèbre en classe de quatrième et puis plugin sous Moodle, un plugin de ludification. Aujourd’hui ce plugin est accessible par tout le monde. On peut l’utiliser, c’est génial. Sauf que pour qu’un plugin vive il faut qu’il y ait une communauté autour qui s’en empare et qui le mette à jour régulièrement suivant les versions de Moodle en l’occurrence. Une des problématiques aujourd’hui, c’est d’arriver à le faire connaître et à faire en sorte qu’il perdure. C’est quelque chose qu’on veut, il faut qu’on accentue la dissémination, le fait de le faire connaître.<br/>
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L‘autre aspect, c’est l’autre outil, Ludialgèbre qui est vraiment dédié aux mathématiques. Les enseignants avec lesquels on a travaillé nous disent que c’était une super expérience, on a fait des expérimentations dans les classes pour montrer que ça augmente la motivation des élèves, surtout ceux qui sont les moins motivés initialement. Et maintenant est-ce qu’on peut l’utiliser ? Là on est très gênés parce que le développement c’est un prototype qui n’est pas encore vraiment totalement utilisable. Dans ce nouvel appel à projets on va justement essayer de pouvoir finaliser le développement et réellement pouvoir faire un transfert dans le monde scolaire et vraiment délivrer l’outil aux enseignants. C’est toujours ce passage aux usages vraiment réels pour les enseignants et à la finalisation de ces prototypes qui est toujours compliqué.
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<b>Louis Derra : </b>Oui. Ça montre que ce n’est pas qu’une histoire de ressources éducatives libres, c’est aussi la capacité qu’on a, le financement qu’on a aussi, les moyens toujours, les moyens économiques qu’on a pour valoriser sur un temps suffisamment long, pour essaimer, pour créer une communauté qui contribue aussi. On voit que ce n’est pas simple.
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<b>Élise Lavoué : </b>En tout cas, pour le coup, je voudrais vraiment dire qu’au niveau de l’académie, dans la mise en relation entre universitaires, chercheurs et les collèges, les chefs d’établissements, les enseignants, ils ont été vraiment moteurs et j’ai appris à travailler avec différents représentants de l’académie et ça a été une très bonne expérience.
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<b>Louis Derra : </b>Merci. Encore une fois le temps avance trop vite. Avant de laisser la parole à la salle et à vos questions, j’aimerais peut-être repasser sur un mode un peu comparaison internationale et peut-être aussi pistes d’amélioration, pas des solutions clés en main, en tout cas ce qui, pour vous, peut à la fois vraiment transformer la question dans le monde universitaire mais aussi être appliqué, pourquoi pas, dans le monde scolaire, puisqu’on voit que sur la question du partage de ressources entre enseignants, il y a quand même des sujets qui sont semblables. Peut-être commencer par toi, Perrine. Au sein de ton association, Open Education, tu as une vue globale, mondiale sur ce qui se passe. Je sais que Colin pourra renchérir, puisqu’on en a parlé, des pays ont mis en place des politiques un peu plus volontaristes. On revient sur la question des moyens. Au sein du groupe que vous êtes, comme tu disais, avec un grand parterre de pays, avez-vous des points de comparaison ?
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<b>Perrine de Coëtlogon : </b>D’abord je salue Colin parce qu’il a la chaire Unesco sur les ressources éducatives libres et l’intelligence artificielle. Il organise au mois de mai, du 23 au 25 mai Open Education Global qui est la grande conférence, le grand évènement mondial de l’association et, pour la première fois, dans un pays francophone, en l’occurrence la France à Nantes. Venez tous, je vous invite à venir voir les personnes qui auront réussi à se déplacer pare que, malgré tout, on est encore dans des situations assez complexes avec la pandémie sans parler, évidemment, de la guerre.<br/>
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Si je devais donner mon point de vue mondial, je suis toujours assez modeste, mais je vois aussi la différence entre des initiatives visibles et la réalité du terrain. Je considère que la plupart des universités françaises produisent déjà énormément de ressources éducatives libres parce que, en fait, elles ont compris cette question-là il y a 20 ans, ce sont les ingénieurs pédagogiques qui le font, c’est dans Moddle, en licence libre, on demande aux personnes.<br/>
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Ceci dit, dans le primaire ou dans le secondaire c’est pareil, il y a beaucoup d’enseignants qui font des ressources éducatives libres, comme monsieur Jourdain faisait de la prose, c’est-à-dire sans le savoir. Ils mixent, ils remixent, ils prennent des choses, ils les réinterprètent, ils en refont un document et souvent ils se posent des questions sur les droits d’auteur, mais il y en a un certain nombre qui arrivent à surmonter ces questions-là et à publier et sur Internet on trouve beaucoup de ressources.<br/>
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D’une part, au niveau mondial, les 230 membres sont très loin de représenter des pays entiers, des stratégies <em>open education</em> se confrontent tout de suite à la question du livre scolaire.
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<b>Louis Derra : </b>Tu veux dire, par exemple, que si on a une université ou une grande école d’un pays qui est membre de l’association, ce n’est pas représentatif du pays ?
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<b>Perrine de Coëtlogon : </b>Le MIT et l’OpenCoursWare n’est représentatif ni des universités américaines ni de tous les collèges du MIT. Il y a une différence. En revanche beaucoup de gens qui en font. J’ai été secrétaire générale du groupement d’intérêt public dédié à la santé et au sport, je vois bien qu’il fallait gérer 37 universités adhérentes, il n’y avait pas que le ministère qui adhérait, il y avait aussi 37 universités, il y a toujours d’ailleurs, pour favoriser ça. En revanche, aujourd’hui, les modèles sont différents. Ça a favorisé, parfois, juste l’émergence des Océanie, par exemple, et pas tellement des ressources éducatives libres. Il se passe quand même des choses intéressantes aussi au sein des ENT et souvent avec des groupes, des communautés actives qui fédèrent beaucoup d’acteurs et qui donnent lieu à des ressources éducatives qui peuvent être reprises soit dans Moodle, comme c’est le cas parfois, soit sur YouTube comme on a le cas à Lyon, très beau, de l’anatomie 3D pour les sciences du sport et les professions paramédicales. Si vous voulez allez voir l’anatomie 3D de Lyon 1, c’est vraiment très bien.<br/>
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Pour revenir à des choses très simples. Ce qu’on a fait aujourd’hui à plusieurs quand j’ai été élue, on était en pleine pandémie, j’ai commencé à faire des webinaires sur la blockchain au mois de juin 2020. Il y a eu une opportunité énorme : au lieu d’avoir la conférence mondiale à Taipei elle va être en ligne, eh bien moi je propose de faire une conférence francophone. Comme il y avait énormément de réseaux – Colin, l’Amue, bien d’autres – tout le monde a fait savoir qu’il y avait cet événement, chaque personne a rappelé une ou deux personnes. J’ai appelé un prestataire en webmarketing et on a fait du démarchage parce qu’on partait quand même de zéro ; tout en connaissant les réseaux ce n’est pas suffisant, il y a peut-être d’autres personnes qui sont intéressées. Sur les réseaux sociaux on a défini les cibles, quels étaient mes objectifs, c'était un nouveau métier. Finalement les 12 et 13 novembre 2020 on a été 641 participants uniques pour 21 webinaires de 38 pays différents avec, par exemple, une table ronde européenne ou francophone qui réunissait des participants, des personnes de Bulgarie, d’Égypte, de Tunisie, de Dakar avec Mona Laroussi qui animait ce premier évènement. Depuis il y a un webinaire tous les mois, chaque dernier jeudi du mois. Hier c’était sur la création d’une sorte de réplique d’Open Education Global en Europe, en France en l’occurrence, par ce réseau d’abord francophone, mais qui sera basée en France, en Europe.<br/>
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C’est là où on en est. Il y a beaucoup de choses qui se passent, mais il n’y a pas de visibilité globale. On ne sait pas encore bien où les trouver. Oui, il faut documenter, oui il faut comprendre les licences, oui il faut acculturer. Ce n’est pas une question de logiciel libre, c’est une question un peu juridique d’avoir cette culture numérique. L’absence de culture numérique coûte chaque année des milliards d’euros, donc c'est vraiment intéressant d’aller dans cette direction
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<b>Louis Derra : </b>Je vais prendre la balle au bond et finir avec Colin. Après on prendra une ou deux questions dans la salle avant qu’on se fasse virer.<br/>
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Je sais, Colin, que tu es un petit peu moins enthousiaste. Je me pose une question très simple. Il m’arrive, effectivement, de voir des supports de cours parfois avec un petit Creative Commons à la fin, mais je ne sais pas où les trouver concrètement. Parfois c’est quand même aussi bête que ça, c’est où trouver ces ressources dans un format modifiable, on en avait parlé, juste un PDF c’est déjà pas mal, mais si je ne peux pas le modifier, c’est quand même très limité.
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<b>Colin de la Higuera : </b>On est d’accord.

Version du 28 mai 2022 à 13:25


Titre : Table ronde : « Pourquoi et comment les collectivités peuvent-elles aider à l’adoption du libre à l’école ? »

Intervenant·e·s : Colin de la Higuera - Perrine de Coëtlogon - Élise Lavoué - Bertrand Mocquet - David Rongeat - Louis Derra

Lieu : Lyon - Journée Du Libre Éducatif 2022

Date : 1er avril 2022

Durée : 51 min 31

Vidéo

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À prévoir

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Louis Derra : Comme ça a un petit tourné depuis tout à l’heure, même si on n’est pas nombreux, je vais refaire ma petite étude, levez la main ou pas : qui parmi vous est à l’aise, très à l’aise avec la distinction Libre et open source ? Plus que tout l’heure. En fait seuls les libristes sont restés ! D’accord ! Donc si vous étiez là tout à l’heure, je ne vous pose pas les autres questions.

Public : Il faut donner la réponse maintenant !

Louis Derra : J’allais la donner sur cette introduction. Je redonne l’intitulé de cette table ronde « Logiciels et ressources éducatives libres à l’université : où en sommes-nous ? ». C’est vrai que je me suis un peu senti obligé d’introduire la table ronde en revenant, de manière peut-être un peu trop hasardeuse, sur l’histoire de l’informatique et du numérique, parce que, sans entrer dans les détails et puissent les experts me pardonner si c’est un peu trop simplifié, mais les liens entre l’informatique, la création de l’informatique, l’avènement du numérique et le monde universitaire et de la recherche sont quand même évidents, il faut le rappeler. C’est quand même bien, à la base, des universitaires qui ont utilisé, avec les militaires, les premiers supers ordinateurs, c’étaient deux besoins. Peut-être que Colin me corrigera un peu plus tard sur cette partie, mais globalement, si on veut simplifier, c’était dans le monde de la recherche et dans le monde universitaire qu’on avait besoin de puissance de calcul. C’est aussi dans le monde universitaire que se sont créés, collectivement, la plupart des différents réseaux d’Internet basés à chaque fois sur des briques qui étaient à l’époque libres et open source, pareil pour le Web créé au CERN [Conseil européen pour la recherche nucléaire] en Europe. Ce qui est intéressant quand on se rappelle un peu de cette histoire, c’est vrai qu’à cette époque, jusqu’aux années 80 à peu près, le Libre et l’open source surtout du coup l’open source, et ça m’amènera à dire la différence entre les deux étaient « by design », entre guillemets. À l’époque les gens créaient collectivement Internet, codaient les premiers ordinateurs et, en fait, le système propriétaire n’existait propriétaire. C’était intéressant de rappeler ça parce que qu’on s’était dit que dans les valeurs, et c’est un peu pareil avec les tables rondes précédentes, il y a des liens très forts et très évidents entre le monde de l’éducation au sens large et, à fortiori, le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche avec le logiciel libre et open source.
Pour vous répondre, pour simplifier, le logiciel libre c’est le logiciel open source plus la vision politique. Le logiciel open source c’est la version très technique où on optimise, en tout cas on pense que c'est une manière optimale de développer en ayant une communauté : moins de bugs, plus de mutualisation. Le Libre c’est une vision plus militante, plus politique qui est de dire qu’on a besoin de comprendre le système qu’on utilise. Si on va dans le détail des liens qu’il y avait entre le monde universitaire, effectivement ce serait un petit plus compliqué.
Voilà pour cette introduction. C’est vrai que quand on a eu notre temps de préparation on a commencé par se dire que les liens entre le monde universitaire et le Libre sont anciens. On verra qu’ils sont quand même assez forts.
Je vous propose qu’on rentre directement dans le sujet déjà en dressant un peu le tableau de la situation : ce qui a été fait ? Où on en est ? D’abord, peut-être pour notre salle, juste nous mettre d’accord sur quelques définitions parce que, au-delà de la question open source et Libre, il y en a quand même quelques autres. Ça me permettra aussi de vous présenter.
Colin de la Higuera, tu enseignes à l’université de Nantes, tu es cofondateur du projet Class’Code et tu diriges la chaire Unesco IA et REL. Peux-tu nous dire ce qu’est une REL ?

Colin de la Higuera : J’ai une question qui me va, parce que sinon, sur les autres questions sur lesquelles tu t’adressais à moi comme si je savais, en fait tu t’adresses à moi surtout parce que j’ai plus de cheveux blancs que les autres.
Sur les REL, je reprends en fait la même chose que celle que tu viens de dire.

Louis Derra : Je précise juste, Ressources éducatives libres.

Colin de la Higuera : Justement. On enlève le « source » et on a la différence entre « open » et « libre ».
Pour les REL, les ressources éducatives, c’est-à-dire ce qu’on fait quand on crée des cours, en fait moi j’aime bien faire la distinction de la manière simple suivante, c’est que c’est une question de point de vue. C’est-à-dire que quand je vais les utiliser, je veux être libre de les utiliser, c’est-à-dire je veux qu’on me donne des libertés. La liberté c’est la liberté de l’usage. « Open », en fait, c’est la manière de conférer ces libertés, c’est-à-dire que j’ouvre la ressource en tant qu’enseignant, en tant que créateur, de façon à dire explicitement à l’autre « tu as la liberté de le faire ». En fait les deux vont de pair. C’est-à-dire que la liberté de celui à qui il n’est pas explicitement dit que c’est ouvert est nécessairement affectée. Il peut probablement récupérer la ressource parce qu’elle est quand même quelque part sur Internet, il va la trouver, mais il ne peut plus en faire grand-chose. Il ne peut pas, par exemple, se mettre en visio devant ses élèves et l’utiliser puisque, finalement, on lui a pas dit qu’il allait pouvoir le faire. C’est essentiel de voir les deux ensemble, pas juste « j’utilise ce que je trouve » parce que ça c’est sympa. C’est vraiment l’autre effort qui est nécessaire, c’est-à-dire je dois donner cette liberté, c’est-à-dire je dois ouvrir et l’ouverture passe par un certain nombre de choses, en particulier par la question des licences. La meilleure manière de dire « oui tu as le droit de faire avec mon cours ce que tu as envie de faire en tant qu’enseignant » c’est de mettre une licence qui le dise explicitement.

Louis Derra : Merci.
Je continue mon petit tour de table. Perrine de Coëtlogon, tu es chargée de mission blockchain et open education à la Direction de l’innovation pédagogique de l’université de Lille. Je sais que tu es aussi au board de l’Open Education Global. Est-ce que, de ton côté, tu peux nous réexpliquer ce que c’est que l’éducation ouverte ou l’open education.

Perrine de Coëtlogon : Un petit mot sur Open Education Global. Tu as rappelé que les chercheurs en informatique contribuaient naturellement tous ensemble à créer du code et c’est comme ça qu’il y a eu une telle accélération de l’informatique dans le monde. Au MIT Media Lab ils ont aussi eu l’idée, tout à fait à la fin des années 90, d’ouvrir leurs cours. Ça a créé un mouvement qui a fêté ses 20 ans l’année dernière l’OpenCourseWare, mais qui étai limité aux enseignants-chercheurs du MIT. Il fallait aller au-delà. Ils ont créé une association qui s’appelle Open Education Global, qui s’appelait jusqu’à en 2019 Open Education Consortium, qui est constitué de 230 membres dans le monde entier.

Louis Derra : Des membres qui sont des universités ?

Perrine de Coëtlogon : Pas seulement des universités, des écoles aussi, des community colleges aussi dont on parle beaucoup aux États-Unis qui sont intermédiaires entre l’école et l’université.
C’est une association qui permet d’animer toute la communauté mondiale qui s’intéresse aux ressources éducatives libres, qui sont promues depuis 2002 par l’UNESCO comme la façon vertueuse de donner accès à tous à l’éducation grâce aux contenus éducatifs mis sous licence libre et grâce à l’informatique qui permet de faire des copier-coller.
J’ai été élue en avril 2020, il y a deux ans, au board de cette association mondiale. Quand les membres du board se réunissent avec le directeur exécutif, posté ici, on couvre 23 fuseaux horaires parce que ça va de Vancouver aux Îles Fidji. Le board a tourné, donc ça sera un peu moi, mais ça reste très international et j’ai été réélue, je l’ai appris par mail hier, à nouveau pour deux ans.

Louis Derra : Ce sera intéressant, effectivement, de voir un peu ta vision sur ce qui se fait à l’échelle mondiale. On est d’accord que open education est un concept qui inclut, du coup, les ressources éducatives libres et les licences Creative Commons entre autres.

Perrine de Coëtlogon : Absolument. C’est ça C’est le pendant à l’open science, à l’open gov, à l’open data pour l’éducation. Quand on dit « éducation ouverte » en français, il y a toujours cette question : au-delà de libre, ouvert, gratuit, qu’est-ce que ça veut dire ? L’éducation ouverte ça fait penser – je suis en relation avec de nombreux libristes y compris du ministère l’Éducation nationale – à l’éducation dehors ou à l’éducation populaire. En fait quand on parle d’open education on est bien sur les contenus éducatifs et leur ouverture, puisqu’il y a une capacité énorme et intéressante à libérer, en fait, l’éducation et la rendre beaucoup plus accessible en travaillant sur les droits d’auteur. C’est vrai que je ne suis pas enseignante ni chercheuse, mais j’ai été avocate et je suis très intéressée par les questions de licence et de droit d’auteur.

Louis Derra : Merci beaucoup.
Pour aller vers le bout de notre tour de table et terminer un peu sur les concepts, Élise et Bertrand ici vous êtes nos deux enseignants-chercheurs.
Élise Lavoué, tu es maître de conférences à l‘université Lyon 3, tu t’occupes, tu t’es occupée, on en parlera, du projet e-FRAN LudiMoodle et tu es également au CNRS, au labo LIRIS, sur les interactions homme-machine.
Bertrand Mocquet, tu es chercheur au laboratoire MICA, expert numérique à l’Amue, tu nous en parleras.
Je pose la question à vous deux : que met-on derrière le mot open science ?

Élise Lavoué : Open science, on va dire que ça va être open data et open software, hardware. C’est un mouvement qui est quand même assez récent en France puisqu’on nous demande quasiment dans tous les appels à projet aujourd’hui et par l’Agende nationale de la recherche, l’ANR, de nous engager à l’issue du projet à diffuser l’ensemble du code, des données qui vont être produites. Ce sont surtout les données qui sont partagées aujourd’hui. Quand on parle de données c’est notamment quand on conduit des expérimentations avec des utilisateurs, nous conduisons par exemple des expérimentations dans les écoles, dans les collèges et on nous demande de partager ces données tant que possible et bien évidemment totalement anonymisées, pour que d’autres chercheurs puissent ensuite s’en emparer, les analyser à leur tour. En plus, c’est une manière pour les chercheurs, de montrer de manière transparente les données sur lesquelles ils se sont appuyés pour faire leurs analyses. Ça donne aussi plus de crédibilité à ce qu’on a fait. D’ailleurs on a beaucoup parlé de l’ open science dans le monde médical , encore récemment.

Bertrand Mocquet : Ce qui, du coup, provoque un changement assez complet. Mes recherches sont plutôt sur la transformation numérique des universités, de se mettre dans la trajectoire et de voir les dynamiques. On voit bien que la donne change, ce qui va provoquer des interrogations de pratiques professionnelles. Le collègue qui, avant, gardait ses données simplement pour des publications – et le modèle est encore comme ça dans des revues qui n’étaient pas du tout ouvertes, au contraire propriétaires – et aura sa qualification et son évolution de carrière aussi là-dessus. On se retrouve effectivement avec un changement et peut-être que certains de mes collègues sentent un peu gênant ce paradoxe d’avoir une obligation d’aller vers l’ouverture et une obligation d’aller vers un modèle de fermeture qui les ferait monter en carrière. Peut-être parce que c’est très récent, certains collègues sont sûrement dans ces interrogations.

Élise Lavoué : Si je peux juste compléter, il y a vraiment une tendance inverse aujourd’hui. Là on est dans une carrière d’enseignant-chercheur. Aujourd’hui partager les données, mettre en open source le code va être valorisé. Ça participe quand même à ce mouvement d’open science aujourd’hui, on le valorise. Il y a les données effectivement, mais, je ne l’ai pas dit, on a ordre aujourd’hui de diffuser les publications vraiment en libre accès, ce qui est assez récent aussi.

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Louis Derra : D’ailleurs ça nous permet de faire un premier parallèle, on en parlera dans la deuxième partie, sur le fait que dans le cadre de l’enseignement scolaire on sait que les enseignants ne sont pas toujours valorisés ou encouragés, même dans leur formation, au fait de partager leurs ressources. On voit que dans l’université il y a des mécanismes et de changement du paradigme qui aident à faire avancer le sujet.
Je termine mon tour de table avec David puisqu’ils sont venus à deux de l’Amue, l’Agence de mutualisation des universités et des établissements. Toi, David, tu t’occupes notamment des sujets open data et open source. Tu nous a as promis de nous faire une histoire ultra rapide des valeurs de l’open source au sein de l’université. Tu as trois à quatre minutes, montre en main, pour nous donner le panorama et l’histoire avant qu’on enchaîne.

David Rongeat : Je vais plutôt faire en deux temps très rapides.
Je vais remonter pas très loin en 1789, Déclaration universelle des droits de l’homme, j’ai toujours mes antisèches pour être sûr de ne pas me tromper sur les dates ou les déclarations. Dans l’article 15 il est marqué : « La société – la société c’est nous tous – a le droit de demander des comptes à tout agent public de son administration ». C’est un élément qui date d’il y a 200 ans. Et puis 1998, il y a la CADA, dont vous avez peut-être entendu parler, on peut interroger cet organisme, la Commission d’accès aux documents administratifs, pour récupérer des informations propriété de l’État, on l’a fait exprès, qui vous concernent. Donc vous pouvez demander à récupérer des documents.
Et puis ça c’est accéléré. Fin des années 90, l’État a commencé à faire des appels politiques pour ouvrir les données publiques essentielles, c’était le terme. C’était un peu le début de l’open data qui commençait à arriver dans la sphère publique, au-delà de la recherche ou en complètement de la recherche.
Le mouvement a continué. 2011, la création d’Etalab. Le mouvement a continué, continué. La loi de 2016, la loi dite numérique [loi pour une République numérique] donne comme « injonction », entre guillemets, aux opérateurs publics d’ouvrir les données, ça semblait assez évident, les documents, ça semblait assez évident, et puis le code logiciel. Le code était considéré comme une donnée produite par des opérateurs d’État ou des entreprises d’État ou des acteurs de l’État et tout ceci devenait à ouvrir par défaut. Je voulais juste rappeler ça : nous tous, en tant qu’acteurs publics, nous avons cette sorte d’injonction ou cette réglementation qui nous incite à ouvrir tout ce qu’on produit à destination des citoyennes et des citoyens.

Louis Derra : C’est la théorie.

David Rongeat : C’est la théorie mais c’est quand même le cadre réglementaire dans lequel on est. C’est important de le rappeler, ce ne sont pas que des choix politiques et des individus de dire on y va, c’est aussi l’aspect un peu réglementaire qui n’est pas sanctionné, on ne va pas aller en prison parce qu’on n’ouvre pas son code. En tout cas il y a cet aspect-là et on retrouve par exemple dans ce que tu disais sur l’ ???.
Juste deux mots sur la partie enseignement supérieur et recherche. Il y a des valeurs de partage de la recherche qui sont importantes. On partageait ses publications, on partageait sa recherche, on partageait ses résultats. On partage maintenant de plus en plus son code logiciel, c'est de plus en plus vrai, avec un petit bémol : les organes qui font de la valorisation sont un peu frileux à ce qu’on fasse de l’open source quand on fait de la valorisation en même temps parce qu’il y a un modèle économique qui est un peu compliqué ; ll y a eu des débats, il n’y a pas très longtemps, sur ce sujet-là. Là on est dans une sphère, enseignement supérieur et recherche, où les valeurs de partage sont vraiment importantes et on va retrouver plein d’acteurs qui font de l’open source depuis longtemps. Je vais citer nos collègues de ESUP-Portail, une association qui fait des ENT pour l’enseignement supérieur et la recherche en open source, sur la base de solutions libres, depuis une vingtaine d’années ; l’association Cocktail avec qui l’Amue travaille pour fabriquer des solutions logicielles, pareil, ils font de l’open source depuis très longtemps.
Je signale juste qu’un établissement comme l’Agence de mutualisation des universités qui, pendant de nombreuses années a utilisé des solutions propriétaires, a fermé son code, a fait cette transformation, est en train de faire cette transformation à la fois pour les nouvelles versions de ses nouvelles solutions – ce n’est pas pour faire de la pub à nos solutions. Les futures solutions de gestion de scolarité de trous les étudiants des universités, grandes écoles en France ça ne va s’appuyer que sur des technologies libres et le code va être ouvert. C’est un peu nouveau parce qu’avant c’était du Forms Reports Oracle avec des codes propriétaires. Ces transformations sont en train d’arriver. Dans notre univers enseignement supérieur et recherche on a beaucoup de libristes et beaucoup de gens qui sont dans cette logique de développement, de partage des connaissances et de partage du code.

Louis Derra : Merci.
Maintenant qu’on a un peu posé les bases et fait un petit retour historique, je vous propose de refaire un petit tour de table sur vos sujets. Chacun, on en reparlera, a abordé l’éducation ouverte avec un angle différent. Colin, comme on le disait, tu es particulièrement défenseur des ressources éducatives libres. Où en est-on sur ce sujet ? On en a discuté ensemble, est-ce qu’il y a des progrès, est-ce qu’il y a encore des marges de progrès, est-ce qu’il y a des mécanismes à mettre en place facilement qui permettraient de passer un petit peu à l’échelle supérieure ? Quels ont les points de blocage ? Je te laisse commencer ce petit tour d’échanges avec plusieurs questions.

Colin de la Higuera : C’est dangereux, parce que je peux partir pour longtemps. Je vais essayer de dire deux/trois trucs.
Vraie différence entre supérieur et secondaire. Je sais que là on est quand même plus dans un environnement secondaire. Si je reste sur le supérieur, l’enseignant du supérieur est propriétaire de ses cours, donc il fait ce qu’il veut. S’il a envie d’aller voir un éditeur et de vendre un bouquin, il vend un bouquin, il a le droit. S’il a envie de publier son cours en tant que ressource éducative libre il a le droit de le faire, il peut le faire. Il y a quand même là chose d’important.
Par contre, il y a une incompréhension de la différence entre Libre et ouvert dont je parlais tout à l’heure. il a juste l’impression qu’à partir du moment où il a mis son cours à disposition, qu’il a mis son cours sur le Web, c’est bon. Or ce n’est pas vrai. Quelqu’un d’autre qui prend ça, je l’ai dit tout à l’heure, va être mal à l’aise à faire cours devant ses élèves, sur une plateforme vidéo par exemple ; toute une série de droits ne sont pas accordés, il sera mal à l’aise pour y changer des choses. Donc il y a un décalage.
Quand je discute de ces choses-là, je pense que neuf fois sur dix les gens sont convaincus, ils disent « c’est très bien » et puis quand je leur montre qu’en fait eux-mêmes ne pratiquent pas, parce que simplement ils n’ont pas compris, ça coince. Donc il y a des choses qui coincent. Il faut effectivement donner une culture de ces choses-là pour que les enseignants comprennent qu’ils ont le droit de poser, typiquement Creative Commons, dessus. Il faut former, il faut former les jeunes maîtres de conférences, il faut être dans les écoles de préparation. Il y a toute une série d’endroits où il faut former pour arriver là.
Le constat n’est pas très bon. Il y a un constat top down qui est très bon. En France on a des universités numériques thématiques, je laisserai Perrine en dire du bien et avec raison, c’est-à-dire que ce sont des initiatives top down qui viennent de l’État, qui ont mis en place des structures, qui ont été capables de développer des cours. Par contre, sur le terrain, ce n’est pas ça qui est en train de se passer. Dans l’éducation ouverte il y a quand même un double phénomène, certes c’est de trouver des cours, mais c‘est aussi d’encourager chaque enseignant à être en posture de partager lui-même. C’est-à-dire que si c’est simplement quelques-uns qui ont été sélectionnés pour pouvoir partager leurs connaissances, on passe à côté. Dans l’open source c'est le fait que tout le monde a le droit de participer à la création qui est intéressant, ce n’est pas juste le fait que tout le monde peut prendre. D’ailleurs, à la limite, en payant on peut prendre. C’est cette capacité de création de tout un chacun qui, aujourd’hui, n’est pas exercée, n’est pas exercée pour toutes sortes de raisons. Il faut aller dan cette direction-là. Quand on gratte un peu et qu’on regarde ce qui se passe vraiment dans les universités, en fait il y a très peu de ressources bien partagées, bien partagées = j’ai mis la licence qui va bien, qui permet de le faire. Par contre, il y a une vraie volonté de le faire. Il faut qu’on avance. Je pense quand même, et si je suis enregistré tant mieux, qu’il manque un discours politique. On ne l’a pas entendu. Il a été entendu dans d’autres pays, par exemple un ministre qui dise « je vous encourage à, c’est important de », c’est vraiment quelque chose qui manque à ce stade des choses. Ensuite il va manquer de l’infrastructure, de l’information, des choses comme ça, mais il manque peut-être, plus que d’autres choses, un discours politique.

Louis Derra : Une vision stratégique qui se traduise par un discours politique et par de la formation, de l’accompagnement.

Colin de la Higuera : Bien sûr, c’est ça. C’est en ça que le discours du directeur de la DNE de ce matin était important parce que c’est un début de discours. On aimerait que ça monte ensuite encore d’un cran au-dessus, mais c’est important d’avoir ce genre de discours.

Louis Derra : Sachant que ce matin on a parlé de logiciel libre, mais on n’a pas trop parlé, il me semble, de ressources éducatives libres, je ne crois pas.

Colin de la Higuera : Des choses comme Wikipédia vont par exemple dans ce sens-là, le splendide projet.

Louis Derra : Mais dans les mots justement de la parole politique, après c’est du détail.

Élise Lavoué : Ça a été prononcé à plusieurs reprises, j’ai fait très attention, parce que c'est bien le point 38, la résolution 38 issue des états généraux du numérique éducatif.

Louis Derra : Favoriser le logiciel libre.

Élise Lavoué : Non. Les ressources et le logiciel libre ou le logiciel et les ressources libres.

Louis Derra : OK. Merci pour cette précision. C’est vrai que c’est important.

Élise Lavoué : C‘est dedans et c’est très important. Ça a été fait aussi parce qu’en 2020, avec 47 autres personnes de toute la France et francophones, on a créé une initiative à peu près au même moment et ça a été un moment important, on me l’a dit à la DNE, pour bien repenser à reboucler sur ces ressources éducatives libres. Donc c'est très important que ça soit dans le point 38 et ça a été souligné par le directeur.

Bertrand Mocquet : En fait, ce sont des éléments de définition même du numérique universitaire. La loi de 2013 dit « ressources et usages, accès aux ressources et usages » et elle définit dès le début, c'est en fait la même chose, c’est vraiment compris comme cela. Après effectivement les mécanismes, c'est peut-être la prochaine question, on résout à notre façon. C’est vrai que l’enseignement supérieur et la recherche a une modalité de fonctionnement, notamment pour l’informatisation, qui date de son histoire d’il y a 30 ans où il n’y a pas de DSI national, donc on n’a pas un point central qui va diffuser la bonne pratique, les bonnes solutions, etc., mais l’organiser par ces opérateurs. Et quand ces opérateurs ne savaient pas le faire tout seuls ils se sont regroupés en GIP – Renater, Amue –, donc on est vraiment toujours sur ce mécanisme et même encore. Je pense que le mécanisme des ENT, c'est à peu près la même façon, c’est provoquer une action ; il y a des financements, des instruments de gestion qui nous provoquent à nous organiser et on sait le résoudre en communautés ou en micros communautés. Et ça se répète assez souvent.

Louis Derra : Et l’Amue rentre aussi dans cette logique d’être une agence qui permet de mutualiser.

Bertrand Mocquet : Tout à fait. Nous avons trois misions : être éditeur logiciel de solutions dans tous les domaines des universités ; l’accompagnement, quand on arrive dans une université qu’on va installer nos solutions et la formation. Quand on installe une solution, on a fait une nouvelle solution c’est généralement que le métier a évolué donc on assure aussi la formation des personnels. Une action qui est toujours, on va dire, techno-sociale.

Louis Derra : C’est ça. Du point de vue de ce type d’agence est-ce que, comme le disait Colin, on est sur quelque chose qui progresse mais où on voit aussi des rebonds, des revers ? Est-ce qu’on avance aussi sur la mise en place d’une solution qui serait technique ou socio-technique du style des forges ? On en a parlé quand on a préparé, parce que quand on dit « il faut partager les ressources, il faut créer les conditions de les créer en commun », il faut aussi avoir l’outil qui peut permettre d’y contribuer. Est-ce que c’est quelque chose qui a existé, existe, est en projet ?

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Bertrand Mocquet : Avant de laisser la parole à David, le domaine d’intervention de l’Agence de mutualisation c’est l’informatique de gestion, donc la scolarité, la finance, les RH. On est déjà là-dessus, on n‘est pas dans la classe, on est dans le fonctionnement des universités qui, si jamais, vous ne l’avez pas entendu assez de fois, sont sur un principe d’autonomie. On travaille comme ça à délivrer l’opérationnalisation d’un service public qui est la formation et la recherche pour la France.

David Rongeat : Juste pour compléter sur la question des acteurs de l’enseignement supérieur et, admettons, l’Agence de mutualisation, mais ce n’est qu’un exemple. Quand on travaille, quand on veut faire de la transformation pour passer sur de l’open source par exemple, on le fait en communauté, c’est-à-dire qu’on ne fonctionne qu’en communauté. Nativement, dans l’enseignement supérieur et la recherche, on ne travaille qu’en réseau, en groupe, via d’autres associations, etc., qu’on met autour de la table. Par exemple pour faire les choix technologiques des logiciels libres à utiliser pour les futures solutions, on le fait en communauté, on travaille avec des associations de professionnels, on travaille avec la DINUM, on prend le Socle interministériel du logiciel libre, on ne fonctionne que dans cette nature-là. Et quand on se pose des questions de forge, c‘est la même chose.

Louis Derra : Dans cet exemple qui est pilote, par exemple ?

David Rongeat : Dernièrement ??? j’animais un groupe de travail, mais j’étais juste l’animateur, je faisais le passage de parole. La décision était collective.
Quand on avait un argumentaire et qu’après on allait voir les instances de décision pour savoir si vraiment on allait utiliser du Libre et faire de l’open source, là il y avait les patrons de toutes les grandes instances, que ça soit la conférence des présidents d’université, l’Amue, les associations professionnelles, etc. C’est dans ce mécanisme-là qu’on a pu faire cette transformation-là.
Après, pour nous, les questions de forges ne sont que des questions très techniques. On va prendre le Gitlab de qui ? Le tien ? Le mien ? Ce n’est pas très important parce qu’on a l’habitude de le faire. On va en choisir, un, on va mettre notre code sur code.gouv.fr pour que ça soit encore plus ouvert que dans notre communauté et puis ça finira dans Software Heritage quand ce sera plus ancien et puis voilà ! Là on est dans un domaine qu’on maîtrise et on ne se pose pas tellement de questions, en fait, sur ces sujets-là.

Louis Derra : Je vois que le temps avance, comme à chaque fois. Je vais me tourner vers toi, Élise. Comme je le disais tu as travaillé sur un projet très concret, pour le coup là on va aller dans la pratique, le projet LudiMoodle. D’où est venu ce projet ? Peut-être revenir un peu sur sa genèse. Et toi, concrètement, comment as-tu vécu la mise en place d’un projet basé sur Moodle, un MMS open source et sa promotion, comme on en discutait, le fait de prêcher la bonne parole au sein de l’enseignement supérieur et de la recherche pour proposer et promouvoir ce travail que vous avez fait.

Élise Lavoué : LudiMoodle est un projet qui a été financé par le ministère en 2016. Ils avaient comme volonté de transférer les travaux issus de la recherche dans le monde scolaire, finalement du primaire jusque dans les lycées. Travaillant sur la ludification, on s’est dit on va faire un projet, on va chercher à ludifier des ressources dans les collèges. C’est une aventure qui a duré cinq ans, qui a été extrêmement riche puisqu’on a travaillé à la fois université, avec l’université de Lyon, une université où il y avait un pôle à la pédagogie numérique qui a pu accompagner des enseignants de collège avec lesquels on a travaillé pendant ces cinq années et également les laboratoires de recherche en informatique, en science de l’éducation, et puis une entreprise qui développait la solution elle-même.
Je pense que c’est un assez rare d’avoir des projets comme ça où on a autant de monde autour de la table. On s’était engagés, dès le début du projet, à fournir à la fin des ressources libres, accessibles à tous, en open source, en l’occurrence sous Moodle. On a vraiment travaillé ensemble avec ces enseignants de collège pour créer les contenus. C’était sur l’enseignement de l’algèbre, plus précisément du calcul littéral. Ils ont fait l’ensemble des quiz, les parties de cours, la scénarisation pédagogique, pendant que nous dessinions, on a designé tous les éléments de l’édification qui allaient avec. On a même choisi comment paramétrer l’application qui était développée. C’était vraiment une collaboration.
Là on veut peut-être, en tout cas j’espère, répondre à un appel à projet pour repartir pour deux ans, parce que le seul point vraiment négatif, à la fin, c’est qu’aujourd’hui on a deux outils : un outil Ludialgèbre dédié à l’enseignement de l’algèbre en classe de quatrième et puis plugin sous Moodle, un plugin de ludification. Aujourd’hui ce plugin est accessible par tout le monde. On peut l’utiliser, c’est génial. Sauf que pour qu’un plugin vive il faut qu’il y ait une communauté autour qui s’en empare et qui le mette à jour régulièrement suivant les versions de Moodle en l’occurrence. Une des problématiques aujourd’hui, c’est d’arriver à le faire connaître et à faire en sorte qu’il perdure. C’est quelque chose qu’on veut, il faut qu’on accentue la dissémination, le fait de le faire connaître.
L‘autre aspect, c’est l’autre outil, Ludialgèbre qui est vraiment dédié aux mathématiques. Les enseignants avec lesquels on a travaillé nous disent que c’était une super expérience, on a fait des expérimentations dans les classes pour montrer que ça augmente la motivation des élèves, surtout ceux qui sont les moins motivés initialement. Et maintenant est-ce qu’on peut l’utiliser ? Là on est très gênés parce que le développement c’est un prototype qui n’est pas encore vraiment totalement utilisable. Dans ce nouvel appel à projets on va justement essayer de pouvoir finaliser le développement et réellement pouvoir faire un transfert dans le monde scolaire et vraiment délivrer l’outil aux enseignants. C’est toujours ce passage aux usages vraiment réels pour les enseignants et à la finalisation de ces prototypes qui est toujours compliqué.

Louis Derra : Oui. Ça montre que ce n’est pas qu’une histoire de ressources éducatives libres, c’est aussi la capacité qu’on a, le financement qu’on a aussi, les moyens toujours, les moyens économiques qu’on a pour valoriser sur un temps suffisamment long, pour essaimer, pour créer une communauté qui contribue aussi. On voit que ce n’est pas simple.

Élise Lavoué : En tout cas, pour le coup, je voudrais vraiment dire qu’au niveau de l’académie, dans la mise en relation entre universitaires, chercheurs et les collèges, les chefs d’établissements, les enseignants, ils ont été vraiment moteurs et j’ai appris à travailler avec différents représentants de l’académie et ça a été une très bonne expérience.

Louis Derra : Merci. Encore une fois le temps avance trop vite. Avant de laisser la parole à la salle et à vos questions, j’aimerais peut-être repasser sur un mode un peu comparaison internationale et peut-être aussi pistes d’amélioration, pas des solutions clés en main, en tout cas ce qui, pour vous, peut à la fois vraiment transformer la question dans le monde universitaire mais aussi être appliqué, pourquoi pas, dans le monde scolaire, puisqu’on voit que sur la question du partage de ressources entre enseignants, il y a quand même des sujets qui sont semblables. Peut-être commencer par toi, Perrine. Au sein de ton association, Open Education, tu as une vue globale, mondiale sur ce qui se passe. Je sais que Colin pourra renchérir, puisqu’on en a parlé, des pays ont mis en place des politiques un peu plus volontaristes. On revient sur la question des moyens. Au sein du groupe que vous êtes, comme tu disais, avec un grand parterre de pays, avez-vous des points de comparaison ?

Perrine de Coëtlogon : D’abord je salue Colin parce qu’il a la chaire Unesco sur les ressources éducatives libres et l’intelligence artificielle. Il organise au mois de mai, du 23 au 25 mai Open Education Global qui est la grande conférence, le grand évènement mondial de l’association et, pour la première fois, dans un pays francophone, en l’occurrence la France à Nantes. Venez tous, je vous invite à venir voir les personnes qui auront réussi à se déplacer pare que, malgré tout, on est encore dans des situations assez complexes avec la pandémie sans parler, évidemment, de la guerre.
Si je devais donner mon point de vue mondial, je suis toujours assez modeste, mais je vois aussi la différence entre des initiatives visibles et la réalité du terrain. Je considère que la plupart des universités françaises produisent déjà énormément de ressources éducatives libres parce que, en fait, elles ont compris cette question-là il y a 20 ans, ce sont les ingénieurs pédagogiques qui le font, c’est dans Moddle, en licence libre, on demande aux personnes.
Ceci dit, dans le primaire ou dans le secondaire c’est pareil, il y a beaucoup d’enseignants qui font des ressources éducatives libres, comme monsieur Jourdain faisait de la prose, c’est-à-dire sans le savoir. Ils mixent, ils remixent, ils prennent des choses, ils les réinterprètent, ils en refont un document et souvent ils se posent des questions sur les droits d’auteur, mais il y en a un certain nombre qui arrivent à surmonter ces questions-là et à publier et sur Internet on trouve beaucoup de ressources.
D’une part, au niveau mondial, les 230 membres sont très loin de représenter des pays entiers, des stratégies open education se confrontent tout de suite à la question du livre scolaire.

Louis Derra : Tu veux dire, par exemple, que si on a une université ou une grande école d’un pays qui est membre de l’association, ce n’est pas représentatif du pays ?

Perrine de Coëtlogon : Le MIT et l’OpenCoursWare n’est représentatif ni des universités américaines ni de tous les collèges du MIT. Il y a une différence. En revanche beaucoup de gens qui en font. J’ai été secrétaire générale du groupement d’intérêt public dédié à la santé et au sport, je vois bien qu’il fallait gérer 37 universités adhérentes, il n’y avait pas que le ministère qui adhérait, il y avait aussi 37 universités, il y a toujours d’ailleurs, pour favoriser ça. En revanche, aujourd’hui, les modèles sont différents. Ça a favorisé, parfois, juste l’émergence des Océanie, par exemple, et pas tellement des ressources éducatives libres. Il se passe quand même des choses intéressantes aussi au sein des ENT et souvent avec des groupes, des communautés actives qui fédèrent beaucoup d’acteurs et qui donnent lieu à des ressources éducatives qui peuvent être reprises soit dans Moodle, comme c’est le cas parfois, soit sur YouTube comme on a le cas à Lyon, très beau, de l’anatomie 3D pour les sciences du sport et les professions paramédicales. Si vous voulez allez voir l’anatomie 3D de Lyon 1, c’est vraiment très bien.
Pour revenir à des choses très simples. Ce qu’on a fait aujourd’hui à plusieurs quand j’ai été élue, on était en pleine pandémie, j’ai commencé à faire des webinaires sur la blockchain au mois de juin 2020. Il y a eu une opportunité énorme : au lieu d’avoir la conférence mondiale à Taipei elle va être en ligne, eh bien moi je propose de faire une conférence francophone. Comme il y avait énormément de réseaux – Colin, l’Amue, bien d’autres – tout le monde a fait savoir qu’il y avait cet événement, chaque personne a rappelé une ou deux personnes. J’ai appelé un prestataire en webmarketing et on a fait du démarchage parce qu’on partait quand même de zéro ; tout en connaissant les réseaux ce n’est pas suffisant, il y a peut-être d’autres personnes qui sont intéressées. Sur les réseaux sociaux on a défini les cibles, quels étaient mes objectifs, c'était un nouveau métier. Finalement les 12 et 13 novembre 2020 on a été 641 participants uniques pour 21 webinaires de 38 pays différents avec, par exemple, une table ronde européenne ou francophone qui réunissait des participants, des personnes de Bulgarie, d’Égypte, de Tunisie, de Dakar avec Mona Laroussi qui animait ce premier évènement. Depuis il y a un webinaire tous les mois, chaque dernier jeudi du mois. Hier c’était sur la création d’une sorte de réplique d’Open Education Global en Europe, en France en l’occurrence, par ce réseau d’abord francophone, mais qui sera basée en France, en Europe.
C’est là où on en est. Il y a beaucoup de choses qui se passent, mais il n’y a pas de visibilité globale. On ne sait pas encore bien où les trouver. Oui, il faut documenter, oui il faut comprendre les licences, oui il faut acculturer. Ce n’est pas une question de logiciel libre, c’est une question un peu juridique d’avoir cette culture numérique. L’absence de culture numérique coûte chaque année des milliards d’euros, donc c'est vraiment intéressant d’aller dans cette direction

Louis Derra : Je vais prendre la balle au bond et finir avec Colin. Après on prendra une ou deux questions dans la salle avant qu’on se fasse virer.
Je sais, Colin, que tu es un petit peu moins enthousiaste. Je me pose une question très simple. Il m’arrive, effectivement, de voir des supports de cours parfois avec un petit Creative Commons à la fin, mais je ne sais pas où les trouver concrètement. Parfois c’est quand même aussi bête que ça, c’est où trouver ces ressources dans un format modifiable, on en avait parlé, juste un PDF c’est déjà pas mal, mais si je ne peux pas le modifier, c’est quand même très limité.

40’ 06

Colin de la Higuera : On est d’accord.