Logiciel libre - économie solidaire - conditions de la rencontre - François Poulain

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Titre : Logiciel libre et économie solidaire : les conditions de la rencontre

Intervenant : François poulain

Lieu : RMLL2015 - Beauvais

Date : Juillet 2015

Durée : 42 min 02

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Présentation

Alors que l’éthique des structures de l’économie solidaire est très aligné avec celle du mouvement du logiciel libre, on ne peut que constater que les deux mondes se côtoient et se regardent en chiens de faïence.

C’est paradoxal, car les « grands comptes » et parmi eux ceux qui ne s’embarrassent pas d’éthique ont depuis des années su s’approprier à leur profit l’immense bouillonnement intellectuel innovant et créatif qui gît dans les communautés du libre et de l’Internet « libéré ». De fait, la plupart des geeks mettent leur intelligence au profit de ces gens là.

Parallèlement, les petites structures de l’économie solidaire ou les associations sont souvent mal équipées en informatique, même relativement à leur moyens. Les situations sont souvent médiocres, avec des « installations précaires », des machines récalcitrantes, qui tombent en marche de temps en temps mais qui sont régulièrement sources de stress et de perte de temps.

L’informatique libre serait elle réservée en pratique à ceux seuls qui disposent en masse du capital financier et culturel ? C’est la question qui est posée au cours de cette conférence, avec une discussion sur les pistes possibles pour sortir de cette situation.

Transcription

00' transcrit MO

Bonjour. Moi c'est François Poulain. Je vais me présenter juste après. Je viens parler logiciel libre et économie solidaire, en essayant de faire un peu une analyse sur ce que j'appelle les conditions de la rencontre. Pour cadrer rapidement, j'appelle économie solidaire tout ce qui est le pan de l'économie qui est respectueuse à la fois de l’humain et de la planète, sachant que la planète c'est un moyen pour l'humain. On parle souvent d'économie sociale et solidaire. Pour faire simple, pour les gens qui ne sont pas au courant, il y a un peu de la dichotomie entre économie sociale et économie solidaire qu'il y a entre le logiciel libre et open source. Donc c'est en peu, en gros, est-ce que vous vous concentrez sur les moyens ou sur les finalités. En logiciel libre, la finalité c'est de libérer les gens et, éventuellement l'open source, c'est un moyen, mais si on se concentre uniquement sur les moyens, on peut perdre de vue les finalités, ce qui est, des fois, embêtant. Ça c'est un peu la description à l'emporte-pièce.

Donc, moi je suis avant tout un geek. J'ai des tendances vim, amateur de Bobby Lapointe. Je suis aussi un militant, dans le logiciel libre, depuis un peu plus de dix ans. Dans l'éducation populaire. Comment ?

Public : Inaudible.

François Poulain : Oui, je suis un petit jeune, Fred.

Public : Inaudible (référence à Bobby Lapointe)

François Poulain : Oh ! Excuse-moi. Je ferai vite fait. Donc dans l'éducation populaire, notamment sur le biais de l'informatique, vulgarisation des sciences, etc. Je m'intéresse aussi à tout ce qui est contrainte climat/carbone. On peut en parler autour d'une bière, quand vous voulez. Et je suis aussi un bidouilleur. J'ai un background scientifique, j'ai fait une thèse scientifique, etc. J'ai fait du développement informatique. Je fais du bricolage, en ce moment je m'amuse avec des rabots, des trucs comme ça, pour bricoler une yourte. Et, ça reviendra un peu dans la présentation, mais j'ai une éthique personnelle qui est complexe, mais notamment, un point d'éthique personnelle qui est important, c'est de pas être au service de ses ennemis. Moi je ne cherche pas à imposer mes volontés politiques aux autres, mais, par contre, j'essaye de ne pas me mettre au service des gens qui sont politiquement mes ennemis. Mes ennemis politiques, les caricatures c'est Monsanto et Microsoft, si vous voulez comprendre.

Donc la problématique que je posais dans la description de cette conférence, c'est de voir qu'il y a entre l'économie solidaire et le mouvement du logiciel libre, il y a un peu des mouvements qui sont colinéaires, en tout cas qu'il y a une certaine surface de points communs. Autour, par exemple, de choses comme l'émancipation de l'individu, la justice sociale, le partage de la connaissance, etc. Je ne vais pas m’étendre là-dessus, je pense que vous êtes, à peu près, tous convaincus. Malheureusement, on ne peut que constater qu’ils se regardent, pour beaucoup, en chiens de faïence. C'est-à-dire que l'appropriation réciproque, elle existe, mais elle est trop rare, trop exceptionnelle. Je ne sais pas, par exemple, même aux RMLL, qui, parmi tous les visiteurs, se revendique de l'économie solidaire, mais ce n'est pas évident qu'il y en ait beaucoup. A contrario, lorsque je fréquente des mouvements un peu plus alternatifs, il n'est pas évident de rencontrer des libristes ; il y en a, il y en a heureusement, mais c'est encore trop rare. On constate, sur le terrain, que beaucoup d'associations militantes, de collectifs, d'entreprises d'économie solidaire, etc, ne s'approprient pas assez le Libre. On peut constater, il y a des mouvements sympas, il y a des mouvements émergents, mais que la plupart des entreprises qui se revendiquent du logiciel libre, sont rarement des entreprises d'économie solidaire. La plupart de mes potes geeks bossent pour des banquiers, pour des agences de marketing, pour faire simple. Voilà. Donc ça, ça froisse un peu nécessairement mon éthique personnelle, comme je le disais, de ne pas se mettre au service de mon ennemi.

Il y a aussi des problématiques d'alignement entre les discours et les pratiques, donc de crédibilité. Je pense que c'est vrai, à plus forte raison, au niveau des structures d'économie solidaire qui, régulièrement, n'ont aucun problème de claquer plusieurs milliers d'euros dans des logiciels privateurs. Enfin, à tort ou à raison, peu importe, mais ça crée un désalignement entre les discours et les pratiques. Et l'ironie aussi de tout ça c'est que tous ceux qui ne s'embarrassent pas d'éthique, on peut citer des noms comme Facebook, etc, eux, ils profitent très bien du Libre. Ils n'ont aucun problème avec ça. Le bouillonnement culturel, intellectuel, de l'informatique libre et du mouvement du Libre, eux, ils en profitent très bien. Donc c'est un petit peu gênant. Enfin, de mon point de vue, c'est un petit peu gênant.

Tout ça, ça arrive, malgré de la documentation qui est exhaustive, des conférenciers. Si je voulais me moquer un peu, en fait, moi quand j’étais au début, que je m'impliquais pour le Libre, je faisais beaucoup d'install-parties. J'étais technicien, je me sentais utile à faire ça. J'allais voir les gens, je leur disais « eh bien, tiens, on est prêt à consacrer quelques heures pour dépanner les gens ». Et puis, avec le temps, on se lasse un peu, et puis on se rend compte qu'on a passé quatre heures à souffrir sur une machine. La personne repart, elle a un truc installé à peu près proprement, on ne sait même pas si elle va l'utiliser. Ce n'est pas toujours évident d'avoir du retour, et du coup on se dit « tiens, ça serait intéressant de trouver un moyen de toucher plus les gens ». On se dit « eh bien on va faire des conférences » . Les conférences, on y consacre un peu moins de temps, et on touche plus de gens. Donc c'est cool. Sauf que, d'expérience, en tout cas mon analyse a posteriori de la situation, c'est que, que ce soit de faire de la documentation, de la vulgarisation, des Guides Libre Association comme on fait avec l'April, ou qu'on fasse des conférences, ce sont des très bons outils de prise de conscience, ça participe beaucoup à la prise de conscience, il n'y a aucun doute là-dessus, par contre ce sont très peu, je pense, des outils qui font changer les comportements. Il y a plein de gens qui se sont intéressés à ça, en psychologie sociale ou quoi, les comportements, ce ne sont pas des choses qui s'alignent sur les convictions. C'est nécessaire d'avoir des convictions pour pouvoir changer les comportements, mais ça ne suffit pas. On peut trouver plein d'exemples.

Bien sûr, tout ce qui est moraliseur zélé, ça n'aide pas à faire avancer la cause. Moi, combien de fois j'ai vu des gens de bonne volonté faire des choses qui avancent plutôt dans le bon sens, plutôt que dans le mauvais, et se faire tacler sur une liste de diffusion en disant « ah, ça pue, ce n'est pas libre, ton truc ». Ça, ce n'est pas forcément très pratique, mais bon, ce n'est pas le sujet de la conf. Et le tout, aussi, malgré une certaine bonne volonté. Moi je suis assez optimiste sur la nature humaine, etc, donc je pense qu'il y a plus de gens de bonne volonté que de gens de mauvaise volonté. Alors j'essaie d’être avec les gens de bonne volonté, et puis de voir comment, avec tous ces gens de bonne volonté, on peut faire des choses, parce que je constate qu'il y en a plein.

Une partie du problème, je liste un peu des choses que j'ai recensées, qui m'ont aidées à essayer de structurer une solution, on va dire, que je vous soumets à réflexion, c'est que, déjà, le marché du Libre, souvent il ne répond pas aux besoins de ces structures. Un exemple de chose qui arrive c'est que, si vous étiez à la conf de Jean-Michel Armand hier soir, qui était très bien, vous verrez que les libristes se spécialisent. La plupart des boîtes qui font du Libre, et la plupart des gens que je connais, que je serais prêt, à payer sur mes deniers personnels, pour faire du logiciel pour moi, ce sont des gens qui sont extrêmement spécialisés.

Quand une asso a une problématique du style « mon Thuderbird, il ne veut pas marcher », il n'y a pas beaucoup de boîtes qui offrent du service à ce niveau-là, on va dire. Les gens vous font Framework de dev, machin, Jumbo truc, mais les problématiques de terrain sont souvent délaissées. Et des contre-exemples, il y a Lucien qui est là, il y en a d'autres, il y a Demo-TIC, il y a des contre-exemples trop rares. Mais voilà, la plupart des libristes sont très spécialisés.

Une autre chose que j’ai vue, que j'ai vécue, c’est que les libristes sont très probes, c'est très bien, mais du coup ils ne se mouillent pas en terrain hostile. Quand vous avez une asso qui est dans une situation où elle est en 100 % propriétaire, ou presque, et que, si on veut la faire avancer vers du Libre, eh bien, il faut bien partir continuement de la situation où elle est. On ne peut pas arriver en disant, en claquant des doigts « tac, on va changer toutes les machines, on change toutes les habitudes, on change tous les logiciels », ça ne marche pas. Quand on regarde des processus de migration un peu sérieux, ça prend des années, quoi. Et donc, il y a une phase transitoire, qu'il faut être prêt à accepter.

Moi j'ai vu des cas où des assos ont sollicité des entreprises qui font du Libre, en leur disant « on a ça, on a ces besoins-là, est-ce que vous pouvez répondre à nos besoins ? ». Le libriste dit « non, non. Moi je veux bien vous installer un serveur Apache, mais alors, le reste, je ne m'en occupe pas ». Voilà, ce sont des choses qui existent.

Un autre problème aussi, c'est que les petites structures, que ce soit associatives, petites entreprises, que ce soit d'ailleurs, que ce soit de l'économie solidaire ou non, elles sont très friandes de composants sur étagère. Donc un composant sur étagère, c'est j’achète le logiciel Sage ou EBP compta ou je ne sais pas quoi, ça me coûte deux bras, mais ce n'est pas grave, il est dispo, il s'installe en trois clics, et il marche. Et le libre est assez mauvais pour fournir ça. C'est-à-dire, qu'en général, soit il y a des composants sur étagère, libres, qui existent et qui sont gratuits, et c'est génial, tout le monde est content, exemple Mozilla Firefox, LibreOffice, Apache, etc, soit il n'y en a pas, et alors là, c'est extrêmement difficile d'en faire émerger un. Voilà.

Donc, la conclusion de tout ça, c’est que eh bien bonne nouvelle, si le marché ne s'occupe pas de ces points-là, on va le faire hors marché. Enfin, moi c'est mon point de vue.

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Une autre partie du problème, je pense, c'est la compétence des gens.