Logiciel Libre et Souveraineté numérique - Table ronde - Capitole du Libre

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Titre : Table ronde : Logiciel Libre et Souveraineté numérique

Intervenant·e·s : Gaël Duval - Stéphane Bortzmeyer - Philippe Latombe - Amandine Le Pape - Étienne Gonnu

Lieu : Toulouse - Capitole du Libre

Date : 19 novembre 2022

Durée : 1 h 21 min 23

Vidéo

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : à prévoir

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Guillaume Gasnier : Bonsoir à tous. On va démarrer la table ronde un petit en retard. On va la démarrer.
Notre première intervenante est Amandine Le Pape, cofondatrice de la fondation matrix.org et directrice d’exploitation d'Element.
Deuxième intervenant Philippe Latombe, député et rapporteur pour la mission d’information sur le thème « Bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne ».
Notre troisième intervenant Gaël Duval, à l’origine de l’initiative de l’OS « dégooglisé » Android, créateur de la fondation /e/ et également responsable de Murena. On peut dire ça comme ça ?
Notre quatrième intervenant, est-ce qu’on le présente ? Oui. Stéphane Bortzmeyer qui, aujourd’hui et pour ce week-end, est ingénieur spécialisé dans les réseaux informatiques.
Et, pour animer cette table ronde, Étienne Gonnu, qui est chargé affaires publiques à l’April.
Bonne table ronde à tous.

Étienne Gonnu : Bonjour à toutes. Bonjour à tous. Merci à l’organisation d’organiser cette très belle table ronde. Merci à nos invités d’être là pour échanger sur cette question de la souveraineté numérique, un terme à la mode qui recoupe différentes réalités. Je pense qu’on va essayer de clarifier, de proposer des grilles de lecture sur cette question.
Est-ce que vous souhaitez compléter le tour de présentation ? Ça vous a semblé complet ? On plonge direct dans le sujet ? Très bien.

Pour commencer je vous propose déjà de nous proposer votre lecture, votre vision de ce qu’est cette souveraineté numérique. Je propose peut-être à Philippe Latombe de commencer. Comme l’a dit Guillaume, vous avez rédigé un rapport parlementaire sur cette souveraineté numérique, où vous avez, on peut quand même le dire, recommandé la systématisation du recours au logiciel libre en faisant des logiciels privateurs, propriétaires, une exception dûment justifiée. Je tenais quand même à saluer ce rapport. Pour vous, que veut dire la souveraineté numérique ? Quelle réalité ça regroupe ?

Philippe Latombe : Dans la mission qu’on a conduite, la définition même de la souveraineté nous a pris un temps infini et nous ne sommes pas arrivés à une définition la plus exhaustive possible. La définition qu’on a proposée dans le rapport était insuffisante pour les juristes, insuffisante pour le monde économique, insuffisante pour tout le monde parce que, en fait, elle n’était pas totalement spécialisée.
Je laisserai les autres intervenants donner une partie de la définition, ce que je sens quand même, et vous l’avez dit dans votre introduction, c’est que le mot souveraineté a aujourd’hui le vent dans le dos, est à la mode. On en parle aussi et surtout, c’est ça qui est important, dans le cadre des décisions publiques. Le ministre de l’Économie et des Finances est aussi en charge de la souveraineté numérique. Le ministre de l’Agriculture est en charge de la souveraineté alimentaire. Il y a quand même une acception du mot souveraineté qui rentre dans le domaine des choix publics et il recouvre une sorte de concept qui est l’autonomie stratégique. C’est la capacité à pouvoir être autonome et à faire des choix en fonction de la situation dans laquelle on est. Et c'est d’autant plus vrai dans le contexte international d’aujourd’hui avec tout ce qui se passe, avec les conséquences de la guerre en Ukraine. Je pense que c’est peut-être comme ça que je poserais la définition de prime abord. C’est vraiment recourir à ce terme d’autonomie stratégique qui, lui, recouvre à la fois des champs à la fois juridiques et économiques.

Étienne Gonnu : Merci. Avant de proposer aussi des compléments de lecture à nos autres intervenants et vous pourrez compléter avec cette question complémentaire qui, je pense, pourrait être intéressante dans le cadre du Capitole du Libre : dans un cadre politique qui se veut démocratique, est-ce qu’on peut faire l’économie de la question de la place des libertés informatiques des citoyennes et citoyens quand on parle de politique publique, de souveraineté numérique ? J’ai l’impression que c’est parfois un angle mort dans les politiques publiques. J’aimerais déjà avoir votre lecture, Philippe Latombe, et peut-être également celle des autres intervenants et intervenante.

Philippe Latombe : Oui, c’est clairement un angle mort. Tout ce qui touche au numérique a toujours été vu de façon parcellaire jusqu’à présent. Chaque ministère aujourd’hui a sa vision du numérique, sa vision des libertés dans le numérique, sa façon de fonctionner et il n’y a pas de transversalité. On avait essayé de faire de la transversalité à une époque, il y a très longtemps, ça existe encore, mais ça fonctionne de façon un peu différente, par exemple avec la CNIL pour essayer de les protéger, mais on voit bien que l’accélération du numérique dans la société et dans les politiques publiques a pris le pas sur un certain nombre de considérations concernant les utilisateurs eux-mêmes. C’est-à-dire que dans les politiques publiques aujourd’hui ce sont essentiellement les ministères qui décident de comment on fait la numérisation du ministère pour eux et absolument pas pour nos concitoyens, donc le contrôle citoyen sur cette numérisation est insuffisant à bien des égards. Et renverser, aujourd’hui, le rapport de forces est très compliqué. On le voit bien avec la crise Covid, par exemple, le ministère de la Santé a absolument voulu tout numériser, tout digitaliser comme ils disent, sans vraiment s’intéresser à ce que pensaient nos concitoyens de l’utilisation du numérique en santé. Aujourd’hui c’est vraiment un angle mort et, pour me battre assez régulièrement contre la façon de fonctionner, la gouvernance du HDH [Health Data Hub] par exemple, c’est une muraille, c’est vraiment compliqué.
J’attends beaucoup notamment de décisions juridiques, judiciaires, du Conseil d’État qui a pris du poids, depuis quelques années, dans la défense des libertés et s’est emparé du domaine du numérique de plus en plus ce qui est vraiment un bon signe.

Étienne Gonnu : Merci à vous. Amandine, si vous souhaitez compléter, chacun pourra intervenir sur la question.

Amandine Le Pape : Quand on parle souveraineté on pense souvent au gouvernement, au secteur public, etc., on ne pense pas forcément à l’utilisateur lui-même, aux entreprises, aux organisations et, pour moi, c’est vraiment une autre approche. Pouvoir faire cette éducation auprès des utilisateurs aujourd’hui qui sont tellement habitués au numérique sous toutes ses formes sans nécessairement réussir à réfléchir à ce qu’il y a derrière. Le fait qu’ils puissent avoir ce choix, ce contrôle, c’est bien, comme disait Philippe c’est le vent dans le dos, qu’on ait des évènements dans le monde comme le rachat de Twitter, ce genre de choses, même la guerre en Ukraine qui montrent, qui font réaliser aux gens qui ne sont pas forcément très techniques, qu’il y a une possibilité de contrôle et que c’est notre devoir en tant que technologistes de la mettre à portée des gens, des citoyens.

Étienne Gonnu : J’aime bien cette expression de « technologistes », c’est intéressant.
Gaël ou Stéphane souhaitez-vous compléter sur cette question ? Gaël.

Gaël Duval: Compléter, oui. Je pense que la question de la souveraineté numérique, j’aime bien aussi l’autonomie stratégique, parce que le mot souveraineté est parfois connoté, il a été connoté, il l’est peut-être un petit moins, mais je pense que parler d’autonomie stratégique ou d’indépendance stratégique ça met un peu tout le monde d’accord sur ce petit problème de vocabulaire. C’est à tous les étages en fait. Je pense que la définition est ultra-vaste. Je pense que c'est vraiment une question de contrôle de nos outils, de nos données.
Je défends la notion de souveraineté numérique vraiment du matériel, des couches très basses, jusqu’aux données et, entre les deux, il y a toute la partie logicielle, évidemment système d’exploitation, tout ce qui est infrastructure, les réseaux et aussi tout ce qui peur tourner autour des applicatifs. C’est vraiment pouvoir contrôler comme on le souhaite un logiciel, ses données, et surtout sans dépendre d’un tiers, je pense que c’est un point fondamental. Aujourd’hui la question, on le voit bien pour le gaz, on n’est pas dans e le numérique, mais quand on dépend d’un tiers étranger pour se chauffer l‘hiver ou pour faire tourner les industries et les usines on se rend compte que parfois ça peut poser un problème. Je pense qu’on est en plein dedans et, pour le numérique, on est aussi en plein dedans.

Étienne Gonnu : Stéphane.

Stéphane Bortzmeyer : Peut-être ajouter que si on définit la souveraineté comme la liberté de prendre les décisions qu’on souhaite dans la mesure du possible, il y a plusieurs acteurs qui peuvent revendiquer cette souveraineté. Souvent c’est effectivement réduit à la souveraineté de l’État. Le problème, c'est que les différents acteurs peuvent avoir des intérêts différents, ne pas être d’accord sur ce qu’est la souveraineté. On peut imaginer des cas où il y aurait une souveraineté qui serait d’un acteur à un autre sans que les autres acteurs soient concernés. On a parlé de Twitter, c’est clair que grâce à Elon Musk des tas de gens ont vu que le réseau social dirigé par une seule personne qui pouvait, sur un caprice, tout casser c’est mal. D’un autre côté la question est maintenant complètement ouverte : qu’est-ce qui serait bien ? Si ce n’est pas Elon Musk, à qui faudrait-il transférer, par exemple, le pouvoir de décider pour des réseaux sociaux comme Twitter. Faut-il le transférer à la Commission européenne, à l’Arcom, à tel ou tel groupe, à Framasoft, ou à plusieurs ? Il y a tout un tas de débats ouverts. Une fois qu’on a vu les inconvénients de ne pas être souverain, il y a tout un débat ouvert sur comment faire mieux et comment laisser des possibilités. Gaël Duval parle de la liberté de la souveraineté pour un individu, mais un individu tout seul est aussi vulnérable et des fois la souveraineté est mieux assurée au sein d’un collectif. Après, le problème c’est que ce collectif peut lui-même confisquer la souveraineté. Bref ! On a des problèmes qui sont aussi anciens que la politique, qui n’ont pas été inventés par le numérique, mais qu’il faudrait se réapproprier maintenant.

Étienne Gonnu : Je pense que c’est important de rappeler ce côté collectif surtout quand on est libriste, quand on s’intéresse à cette éthique de partage. Je pense que le logiciel libre, finalement, est avant tout une logique de contrôle collectif, de contrôle populaire sur les technologies et, clairement, la démocratie c’est compliqué, mais on peut difficilement en faire, voire pas, sans logiciel libre. Du coup une question. Je pense qu’on sera tous d’accord ici : peut-on faire de la souveraineté, peut-on parler de souveraineté numérique sans logiciel libre, pourquoi non ? Oui mais, non mais, finalement. Qu’elles seront limites ? Quand on en a parlé avant on disait que c’est une condition nécessaire mais pas suffisante. Stéphane, si tu veux compléter.

Stéphane Bortzmeyer : Je pense surtout qu’ici on ne prend pas beaucoup de risques en disant que le logiciel libre c’est bien ou en disant que le logiciel libre c’est indispensable. Je pense que le risque que la salle se dresse contre nous et nous lance des tomates est assez faible. Il faudrait surtout discuter : une fois qu’on a cette précondition de logiciel libre, comment utilise-t-on et qu’est-ce qu’on en fait. On pourrait déployer des systèmes tout à fait négatifs du point de vue de la souveraineté avec uniquement du logiciel libre ; ça ne suffit pas en soi. Il faut donc insister sur le caractère effectivement central et stratégique du logiciel libre, mais aussi sur ce qu’on va en faire et comment on va l’utiliser, ce qui ne va pas de soi. Là, par contre, il y aura moins d’unanimité à Capitole du Libre.

12’ 40

Étienne Gonnu : Est-ce que c’est partagé sur ce panel ?

Philippe Latombe : Oui. C’est partagé, C’est une condition nécessaire et pas suffisante. La vraie question, de mon point de vue de parlementaire, c’est la question de la dépendance de l’État à différents acteurs. Pourquoi avoir le recours au logiciel libre au sein de la sphère de l’État ? C’est justement pour limiter ou éliminer totalement la dépendance, le fait d’être inféodé à des acteurs très spécifiques. On pense très clairement aujourd’hui notamment aux GAFAM. Je mets de côté certains de nos ministères, je prends par exemple Bercy, Bercy veut absolument numériser, digitaliser l’ensemble des entreprises de France et il a fait de la promotion d’un certain nombre d’acteurs de cloud, il a fait de la publicité sans même le dire. Il a ouvert les crédits de Bpi [Banque publique d'Investissement] pour digitaliser les entreprises et c’est très compliqué ensuite de pouvoir dire aux entreprises « vous devriez penser à du logiciel libre ». Si même des structures comme l’État, comme Bercy, ne le font pas dès le départ, on n’y arrivera pas. Or, c’est clairement quelque chose qu’il faudrait que l’État intègre aujourd’hui dans son ADN. C’est aussi, et on reviendra peut-être là-dessus, le rôle de l’État transversal de pouvoir faire ça. On a péché, malheureusement, on a eu pendant longtemps un problème avec la DINUM [Direction interministérielle du numérique]qui avait pris un certain nombre de décisions, dont le patron n’a pas été remplacé pendant neuf à dix mois. Ça manque, ça a manqué vraiment et ça manque d’une politique transversale.
J’aime beaucoup Jean-Noël Barrot, le ministre chargé de la Transition numérique et des Télécommunications, c’est un ami, je ne vais pas dire du mal de lui, mais il est à Bercy. On a bien vu, dans les derniers textes qu’on a pu avoir à l’Assemblée, que la mainmise de Bercy est assez forte sur le sujet, avec un tropisme très particulier et, malheureusement, un tropisme de dépendance aux solutions de type GAFAM et plutôt américaines.

Étienne Gonnu : Sentiment partagé ? Gaël.

Gaël Duval : Je voulais juste ajouter peut-être une chose pour rebondir sur ce qu’a dit aussi Stéphane. Est-ce que le logiciel libre est une condition nécessaire à la souveraineté numérique ? Juste pour rigoler un petit peu, on pourrait se dire qu’en fait pas forcément. Si l’État français possédait son propre OS, ses proches machins, etc., on pourrait faire du logiciel propriétaire à condition qu’il soit français, oi qu’il soit européen, allons-y, seulement ça n’est pas possible. Aujourd’hui on le voit bien, on est dans un monde ouvert, chaque pays ne peut pas avoir son OS propriétaire. Il y a quelques années cette idée circulait : on va faire un OS souverain. C’est quand même un truc un peu barré !
Aujourd’hui, justement grâce au logiciel libre, on peut s’affranchir de ça, de cette nécessité d’avoir son propre logiciel propriétaire grâce aux licences libres qui permettent le libre accès au code source ouvert, la faculté de pouvoir le modifier, de pouvoir l’améliorer. C’est intéressant de noter que c’est parce qu’on change de paradigme, on passe d’un paradigme de la propriété intellectuelle du code source à un paradigme de la connaissance, c’est-à-dire de la maîtrise de l’outil. Pour moi, la souveraineté numérique passe aujourd’hui aussi beaucoup par cette qualification à pouvoir comprendre l’outil, à pouvoir développer l’outil, l’améliorer. Je pense que c’est fondamental et, évidemment, ça va de pair avec le logiciel libre.

Étienne Gonnu : Amandine.

Amandine Le Pape : Je rajouterais que c’est bien de pouvoir faire tourner les choses soi-même, d’avoir la compréhension, etc., mais ça ne fonctionnera que s’il y a un moyen que ces outils communiquent entre eux, s’il y a une espèce de portabilité, une interopérabilité, si je peux dire, entre les différentes solutions qui existent. C’est bien beau d’avoir des OS libres, on peut en avoir cinq différents, si je ne peux pas porter mes documents de l’un à l’autre, ça ne va jamais marcher.

Étienne Gonnu : Ce n’est pas l’ordre que j’avais prévu mais qu’importe ! On peut partir sur cette question de l’interopérabilité qui est quand même consubstantielle de la souveraineté et je pense que c’est peut-être bien de rappeler ce que c’est, parce que ce n'est pas forcément une notion qui est évidente à qualifier. On sait que l’Union européenne semble vouloir chercher à adresser cette question, cet enjeu. Il y a notamment eu un paquet législatif avec notamment le Digital Markets Act, qui commence à poser cette question-là. Qu’en est-il ? Est-ce bien pris en compte, selon vous ? Quelle est votre lecture, votre définition de l’interopérabilité ?

Amandine Le Pape : La définition de l’interopérabilité c’est finalement pouvoir faire fonctionner différents systèmes les uns avec les autres. On peut regarder par exemple l’e-mail : on peut envoyer un message à quelqu’un qui utilise un fournisseur de service différent ; je peux envoyer un mail de Hotmail à Gmail, ça marche. Et, une fois que j’ai un compte Gmail, je peux y accéder soit depuis le browser, soit depuis une appli sur mon téléphone, soit depuis Outlook sur mon ordi, ça marche. C’est basé sur un protocole ouvert et toutes les différentes couches sont interopérables.
Avec le Digital Markets Act, l’Europe a essayé de casser ce marché qui est complètement monopolisé par des gros acteurs. Il y a différents angles : il y a les empêcher de faire, je ne sais pas trop comment on dit en français, de la préférence, de la préférabilité de leurs propres services. Si je prends mon téléphone Samsung, que je n’ai pas juste le browser local qui soit ouvert par exemple, notamment, pour tout ce qui est services de communication numérique, donc chat, voix sur IP, échange de fichiers, etc. Ça a forcé les gros acteurs à ouvrir leurs services de manière à ce que si un petit acteur vient les voir en disant « je veux me connecter à vous, je veux que mes utilisateurs puissent envoyer un message à vos utilisateurs », ils n’ont pas le choix, ils sont obligés de dire oui en préservant le chiffrement de bout en bout. C’était assez révolutionnaire de la part d’un régulateur. Est-ce que c’est bien ? Ça fait huit ans qu’on travaille à résoudre le problème. En effet, quand l’Europe est arrivée en disant « on veut faire exactement ce que Matrix essaye de faire depuis huit ans », nous étions très heureux.
Il y a différents aspects. Il y a l’aspect ouvrir le marché pour que d’autres petites entreprises puissent fleurir, puissent apporter de la diversité dans les offres. WhatsApp est très simple, beaucoup de personnes l’utilisent dans des contextes complètement différents. Plein de petites boîtes locales pourraient potentiellement monter leur propre service de messagerie, visent un marché complètement niche, ce qui permettrait de débloquer des cas d’usage qui sont très compliqués aujourd’hui à adresser.
D’un point de vue utilisateur, avoir aussi ce choix, choix de l’interface que j’utilise pour communiquer, choix du fournisseur à qui je fais confiance pour mes données.
Je n’ai pas envie de créer un compte chez WhatsApp et de donner toutes mes données à Meta, pas forcément, mais ça n’empêche pas que j’ai besoin de l’utiliser parce que, sinon, je ne peux pas gérer mes enfants à l’école parc e que c’est sur WhatsApp, eh bien je n’ai pas le choix !
Voilà un peu où nous mène l’interopérabilité. L’idée c’est que les logiciels libres aident tout ça, mais il faut cette espèce de glu entre les différents services avec des standards ouverts derrière.

Philippe Latombe : DSA Digital Services Act et DMA Digital Markets Act sont vraiment des avancées, il faut le noter, c’est quelque chose d’assez révolutionnaire pour l’Union européenne. C’était un paquet global, les deux allaient ensemble.
Là où je mettrais un bémol, qui n’est pas un bémol sur tout ce qui a été dit mais sur l’avenir, on a fait DSA et DMA avant la guerre en Ukraine. Ce qui m’inquiète, c’est un mouvement de balancier, un peu de retour en arrière où, pour des raisons géopolitiques, nous devons nous rapprocher des États-Unis et les États-Unis, comme d’habitude – c’est une critique que je leur fais, mais c’est dans leur ADN –, ils viennent nous aider militairement, ils viennent nous aider à chaque fois avec deux contreparties, une contrepartie diplomatique et une contrepartie économique. Depuis quelques mois, on voit bien qu’il y a un mouvement de reflux de la volonté régulatrice de la Commission européenne parce que la Commission européenne est coincée par le soutien nécessaire des Américains sur un certain nombre de sujets dont les sujets militaire et énergétique. Les choses ne sont pas déliées, il faut vraiment les lier. Quand Biden est venu et qu’il a négocié à la fois un accord gazier et un accord sur le transfert des données entre l’Union européenne et les États-Unis, ce n’était pas fait pour rien. L’accord de la Commission européenne sur le sujet n’est pas fait pour rien. Les deux étaient liés.
Il faut absolument qu’on se saisisse de ces deux réglementations, DSA et DMA, qu’on les mette en place le plus vite possible pour cranter ??? [22 min 08] les choses, pour éviter qu’il y ait derrière une volonté de ne pas les mettre en pratique le plus vite possible, pour qu’ils se détricotent et qu’ils s’effilochent dans le temps. Il faut vraiment maintenant que l’ensemble des acteurs, tous, les entreprises, la sphère publique quand elle pourra et qu’elle devra le faire, mais aussi les associations, tous les acteurs puissent vraiment s’appuyer sur le DSA et le DMA pour s’appuyer sur une consistance juridique et vraiment cranter les choses.
Je pense que c'est un des grands actes, une des deux grandes réglementations qu’on va pouvoir avoir de ce type-là pendant encore les prochains mois, tout le temps qu’on sera dans cette configuration géopolitique.
C’est aussi un appel à tout le monde pour qu’on arrive à cranter ça et faire en sorte de mettre en pratique.

Amandine Le Pape : La bonne nouvelle c’est que les États-Unis s’ouvrent aussi de ce côté-là. Il y a quelques avancées dans le domaine, qui vont dans la même direction, mais c’est sûr qu’ils ne sont pas aussi avancés qu’en Europe en termes de protection de données, gestion de la vie privée, ouverture des marchés, c’est un peu plus difficile. Je pense que ça avance quand même un peu.

Étienne Gonnu : Amandine, sur cette question de l’interopérabilité vous disiez que pour certaines personnes, et c’est vrai que je n’avais pas conscience de ça, ça ferait porter un risque pour la vie privée. Il y aurait effectivement des désaccords de fond sur la place de l’interopérabilité et ses risques. Est-ce que vous souhaitez développer sur cette question ?

Amandine Le Pape : Ce qui se passe quand on met en place de l’interopérabilité, d’un côté ça veut dire que j’ai le choix du service à qui je fais confiance, mais ça veut aussi dire que si je veux parler à quelqu’un qui utilise un autre service, forcément les messages que je lui envoie, certaines informations sur moi sont obligées d’être transmises à l’autre service.
Il faut que les gens utilisent le même protocole pour implémenter de l’interopérabilité en conservant du chiffrement de bout en bout et pousser les grands acteurs à utiliser un protocole commun ne va pas être une mince affaire.
Certains acteurs, dans le domaine notamment des communications, ont repoussé, par exemple WhatsApp a complètement repoussé le DMA en disant « ce n’est pas possible, on ne peut pas faire ça, ça va casser notre chiffrement de bout en bout ». Il y a des moyens pour faire que ça marche, mais c’était un de leurs arguments.
De mon point de vue déjà un, techniquement, il y a des moyens pour que ça marche, il suffit qu’on parle tous la même langue et qu’on se mette tous d’accord et deux, en termes d’utilisateur, il va y avoir un challenge : il faut qu’on trouve un moyen d’implémenter le DMA qui ne soit pas ce qu’on a fait pour le RGPD [Réglement général sur la protection de données] où on a tous ces popups dans tous les sens qui ne veulent rien dire, on clique sans même regarder de qu’on clique et où beaucoup de services ne respectent pas du tout ce qui est demandé par la régulation. Il va donc y avoir un gros travail autour des interfaces utilisateur qu‘on présente, comment on leur explique les choix qu’ils ont, qu’on leur permette de refuser de parler à quelqu’un sur un autre service s’ils ne veulent pas passer leurs données à ce service-là, etc.

Étienne Gonnu : Des réactions sur cette question ? Stéphane.

25’ 50

Stéphane Bortzmeyer : Je dirais