Différences entre les versions de « Logiciel Libre et Souveraineté numérique - Table ronde - Capitole du Libre »

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<b>Guillaume Gasnier : </b>Bonsoir à tous. On va démarrer la table ronde un petit en retard. On va la démarrer.<br/>
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Notre première intervenante est Amandine Le Pape, cofondatrice de la fondation matrix.org et directrice d’exploitation d'Element.<br/>
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Deuxième intervenant Philippe Latombe, député et rapporteur pour la mission d’information sur le thème « Bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne ».<br/>
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Notre troisième intervenant Gaël Duval, à l’origine de l’initiative de l’OS « dégooglisé » Android, créateur de la fondation /e/ et également responsable de Murena. On peut dire ça comme ça ?<br/>
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Notre quatrième intervenant, est-ce qu’on le présente ? Oui. Stéphane Bortzmeyer qui, aujourd’hui et pour ce week-end, est ingénieur spécialisé dans les réseaux informatiques.<br/>
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Et, pour animer cette table ronde, Étienne Gonnu, qui est chargé affaires publiques à l’April.<br/>
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Bonne table ronde à tous.
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<b>Étienne Gonnu : </b>Bonjour à toutes. Bonjour à tous. Merci à l’organisation d’organiser cette très belle table ronde. Merci à nos invités d’être là pour échanger sur cette question de la souveraineté numérique, un terme à la mode qui recoupe différentes réalités. Je pense qu’on va essayer de clarifier, de proposer des grilles de lecture sur cette question.<br/>
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Est-ce que vous souhaitez compléter le tour de présentation ? Ça vous a semblé complet ? On plonge direct dans le sujet ? Très bien.
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Pour commencer je vous propose déjà de nous proposer votre lecture, votre vision de ce qu’est cette souveraineté numérique. Je propose peut-être à Philippe Latombe de commencer. Comme l’a dit Guillaume, vous avez rédigé un rapport parlementaire sur cette souveraineté numérique, où vous avez, on peut quand même le dire, recommandé la systématisation du recours au logiciel libre en faisant des logiciels privateurs, propriétaires, une exception dûment justifiée. Je tenais quand même à saluer ce rapport. Pour vous, que veut dire la souveraineté numérique ? Quelle réalité ça regroupe ?
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<b>Philippe Latombe : </b>Dans la mission qu’on a conduite, la définition même de la souveraineté nous a pris un temps infini et nous ne sommes pas arrivés à une définition la plus exhaustive possible. La définition qu’on a proposée dans le rapport était insuffisante pour les juristes, insuffisante pour le monde économique, insuffisante pour tout le monde parce que, en fait, elle n’était pas totalement spécialisée.<br/>
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Je laisserai les autres intervenants donner une partie de la définition, ce que je sens quand même, et vous l’avez dit dans votre introduction, c’est que le mot souveraineté a aujourd’hui le vent dans le dos, est à la mode. On en parle aussi et surtout, c’est ça qui est important, dans le cadre des décisions publiques. Le ministre de l’Économie et des Finances est aussi en charge de la souveraineté numérique. Le ministre de l’Agriculture est en charge de la souveraineté alimentaire. Il y a quand même une acception du mot souveraineté qui rentre dans le domaine des choix publics et il recouvre une sorte de concept qui est l’autonomie stratégique. C’est la capacité à pouvoir être autonome et à faire des choix en fonction de la situation dans laquelle on est. Et c'est d’autant plus vrai dans le contexte international d’aujourd’hui avec tout ce qui se passe, avec les conséquences de la guerre en Ukraine. Je pense que c’est peut-être comme ça que je poserais la définition de prime abord. C’est vraiment recourir à ce terme d’autonomie stratégique qui, lui, recouvre à la fois des champs à la fois juridiques et économiques.
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<b>Étienne Gonnu : </b>Merci. Avant de proposer aussi des compléments de lecture à nos autres intervenants et vous pourrez compléter avec cette question complémentaire qui, je pense, pourrait être intéressante dans le cadre du Capitole du Libre : dans un cadre politique qui se veut démocratique, est-ce qu’on peut faire l’économie de la question de la place des libertés informatiques des citoyennes et citoyens quand on parle de politique publique, de souveraineté numérique ? J’ai l’impression que c’est parfois un angle mort dans les politiques publiques. J’aimerais déjà avoir votre lecture, Philippe Latombe, et peut-être également celle des autres intervenants et intervenante.
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<b>Philippe Latombe : </b>Oui, c’est clairement un angle mort. Tout ce qui touche au numérique a toujours été vu de façon parcellaire jusqu’à présent. Chaque ministère aujourd’hui a sa vision du numérique, sa vision des libertés dans le numérique, sa façon de fonctionner et il n’y a pas de transversalité. On avait essayé de faire de la transversalité à une époque, il y a très longtemps, ça existe encore, mais ça fonctionne de façon un peu différente, par exemple avec la CNIL pour essayer de les protéger, mais on voit bien que l’accélération du numérique dans la société et dans les politiques publiques a pris le pas sur un certain nombre de considérations concernant les utilisateurs eux-mêmes. C’est-à-dire que dans les politiques publiques aujourd’hui ce sont essentiellement les ministères qui décident de comment on fait la numérisation du ministère pour eux et absolument pas pour nos concitoyens, donc le contrôle citoyen sur cette numérisation est insuffisant à bien des égards. Et renverser, aujourd’hui, le rapport de forces est très compliqué. On le voit bien avec la crise Covid, par exemple, le ministère de la Santé a absolument voulu tout numériser, tout digitaliser comme ils disent, sans vraiment s’intéresser à ce que pensaient nos concitoyens de l’utilisation du numérique en santé. Aujourd’hui c’est vraiment un angle mort et, pour me battre assez régulièrement contre la façon de fonctionner, la gouvernance du HDH [Health Data Hub] par exemple, c’est une muraille, c’est vraiment compliqué.<br/>
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J’attends beaucoup notamment de décisions juridiques, judiciaires, du Conseil d’État qui a pris du poids, depuis quelques années, dans la défense des libertés et s’est emparé du domaine du numérique de plus en plus ce qui est vraiment un bon signe.
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<b>Étienne Gonnu : </b>Merci à vous. Amandine, si vous souhaitez compléter, chacun pourra intervenir sur la question.
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<b>Amandine Le Pape : </b>Quand on parle souveraineté on pense souvent au gouvernement, au secteur public, etc., on ne pense pas forcément à l’utilisateur lui-même, aux entreprises, aux organisations et, pour moi, c’est vraiment une autre approche. Pouvoir faire cette éducation auprès des utilisateurs aujourd’hui qui sont tellement habitués au numérique sous toutes ses formes sans nécessairement réussir à réfléchir à ce qu’il y a derrière. Le fait qu’ils puissent avoir ce choix, ce contrôle, c’est bien, comme disait Philippe c’est le vent dans le dos, qu’on ait des évènements dans le monde comme le rachat de Twitter, ce genre de choses, même la guerre en Ukraine qui montrent, qui font réaliser aux gens qui ne sont pas forcément très techniques, qu’il y a une possibilité de contrôle et que c’est notre devoir en tant que technologistes de la mettre à portée des gens, des citoyens.
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<b>Étienne Gonnu : </b>J’aime bien cette expression de « technologistes », c’est intéressant.<br/>
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Gaël ou Stéphane souhaitez-vous compléter sur cette question ? Gaël.
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<b>Gaël Duval: </b>Compléter, oui. Je pense que la question de la souveraineté numérique, j’aime bien aussi l’autonomie stratégique, parce que le mot souveraineté est parfois connoté, il a été connoté, il l’est peut-être un petit moins, mais je pense que parler d’autonomie stratégique ou d’indépendance stratégique ça met un peu tout le monde d’accord sur ce petit problème de vocabulaire. C’est à tous les étages en fait. Je pense que la définition est ultra-vaste. Je pense que c'est vraiment une question de contrôle de nos outils, de nos données.<br/>
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Je défends la notion de souveraineté numérique vraiment du matériel, des couches très basses, jusqu’aux données et, entre les deux, il y a toute la partie logicielle, évidemment système d’exploitation, tout ce qui est infrastructure, les réseaux et aussi tout ce qui peur tourner autour des applicatifs. C’est vraiment pouvoir contrôler comme on le souhaite un logiciel, ses données, et surtout sans dépendre d’un tiers, je pense que c’est un point fondamental. Aujourd’hui la question, on le voit bien pour le gaz, on n’est pas dans e le numérique, mais quand on dépend d’un tiers étranger pour se chauffer l‘hiver ou pour faire tourner les industries et les usines on se rend compte que parfois ça peut poser un problème. Je pense qu’on est en plein dedans et, pour le numérique, on est aussi en plein dedans.
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<b>Étienne Gonnu : </b>Stéphane.
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<b>Stéphane Bortzmeyer : </b>Peut-être ajouter que si on définit la souveraineté comme la liberté de prendre les décisions qu’on souhaite dans la mesure du possible, il y a plusieurs acteurs qui peuvent revendiquer cette souveraineté. Souvent c’est effectivement réduit à la souveraineté de l’État. Le problème, c'est que les différents acteurs peuvent avoir des intérêts différents, ne pas être d’accord sur ce qu’est la souveraineté. On peut imaginer des cas où il y aurait une souveraineté qui serait d’un acteur à un autre sans que les autres acteurs soient concernés. On a parlé de Twitter, c’est clair que grâce à Elon Musk des tas de gens ont vu que le réseau social dirigé par une seule personne qui pouvait, sur un caprice, tout casser c’est mal. D’un autre côté la question est maintenant complètement ouverte : qu’est-ce qui serait bien ? Si ce n’est pas Elon Musk, à qui faudrait-il transférer, par exemple, le pouvoir de décider pour des réseaux sociaux comme Twitter. Faut-il le transférer à la Commission européenne, à l’Arcom, à tel ou tel groupe, à Framasoft, ou à plusieurs ? Il y a tout un tas de débats ouverts. Une fois qu’on a vu les inconvénients de ne pas être souverain, il y a tout un débat ouvert sur comment faire mieux et comment laisser des possibilités. Gaël Duval parle de la liberté de la souveraineté pour un individu, mais un individu tout seul est aussi vulnérable et des fois la souveraineté est mieux assurée au sein d’un collectif. Après, le problème c’est que ce collectif peut lui-même confisquer la souveraineté. Bref ! On a des problèmes qui sont aussi anciens que la politique, qui n’ont pas été inventés par le numérique, mais qu’il faudrait se réapproprier maintenant.
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<b>Étienne Gonnu : </b>Je pense que c’est important de rappeler ce côté collectif surtout quand on est libriste, quand on s’intéresse à cette éthique de partage. Je pense que le logiciel libre, finalement, est avant tout une logique de contrôle collectif, de contrôle populaire sur les technologies et, clairement, la démocratie c’est compliqué, mais on peut difficilement en faire, voire pas, sans logiciel libre. Du coup une question. Je pense qu’on sera tous d’accord ici : peut-on faire de la souveraineté, peut-on parler de souveraineté numérique sans logiciel libre, pourquoi non ? Oui mais, non mais, finalement. Qu’elles seront limites ? Quand on en a parlé avant on disait que c’est une condition nécessaire mais pas suffisante. Stéphane, si tu veux compléter.
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<b>Stéphane Bortzmeyer : </b>Je pense surtout qu’ici on ne prend pas beaucoup de risques en disant que le logiciel libre c’est bien ou en disant que le logiciel libre c’est indispensable. Je pense que le risque que la salle se dresse contre nous et nous lance des tomates est assez faible. Il faudrait surtout discuter : une fois qu’on a cette précondition de logiciel libre, comment utilise-t-on et qu’est-ce qu’on en fait. On pourrait déployer des systèmes tout à fait négatifs du point de vue de la souveraineté avec uniquement du logiciel libre ; ça ne suffit pas en soi. Il faut donc insister sur le caractère effectivement central et stratégique du logiciel libre, mais aussi sur ce qu’on va en faire et comment on va l’utiliser, ce qui ne va pas de soi. Là, par contre, il y aura moins d’unanimité à Capitole du Libre.
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<b>Étienne Gonnu : </b>Est-ce que c’est partagé sur ce panel ?

Version du 25 février 2023 à 08:03


Titre : Table ronde : Logiciel Libre et Souveraineté numérique

Intervenant·e·s : Gaël Duval - Stéphane Bortzmeyer - Philippe Latombe - Amandine Le Pape - Étienne Gonnu

Lieu : Toulouse - Capitole du Libre

Date : 19 novembre 2022

Durée : 1 h 21 min 23

Vidéo

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : à prévoir

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Guillaume Gasnier : Bonsoir à tous. On va démarrer la table ronde un petit en retard. On va la démarrer.
Notre première intervenante est Amandine Le Pape, cofondatrice de la fondation matrix.org et directrice d’exploitation d'Element.
Deuxième intervenant Philippe Latombe, député et rapporteur pour la mission d’information sur le thème « Bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne ».
Notre troisième intervenant Gaël Duval, à l’origine de l’initiative de l’OS « dégooglisé » Android, créateur de la fondation /e/ et également responsable de Murena. On peut dire ça comme ça ?
Notre quatrième intervenant, est-ce qu’on le présente ? Oui. Stéphane Bortzmeyer qui, aujourd’hui et pour ce week-end, est ingénieur spécialisé dans les réseaux informatiques.
Et, pour animer cette table ronde, Étienne Gonnu, qui est chargé affaires publiques à l’April.
Bonne table ronde à tous.

Étienne Gonnu : Bonjour à toutes. Bonjour à tous. Merci à l’organisation d’organiser cette très belle table ronde. Merci à nos invités d’être là pour échanger sur cette question de la souveraineté numérique, un terme à la mode qui recoupe différentes réalités. Je pense qu’on va essayer de clarifier, de proposer des grilles de lecture sur cette question.
Est-ce que vous souhaitez compléter le tour de présentation ? Ça vous a semblé complet ? On plonge direct dans le sujet ? Très bien.

Pour commencer je vous propose déjà de nous proposer votre lecture, votre vision de ce qu’est cette souveraineté numérique. Je propose peut-être à Philippe Latombe de commencer. Comme l’a dit Guillaume, vous avez rédigé un rapport parlementaire sur cette souveraineté numérique, où vous avez, on peut quand même le dire, recommandé la systématisation du recours au logiciel libre en faisant des logiciels privateurs, propriétaires, une exception dûment justifiée. Je tenais quand même à saluer ce rapport. Pour vous, que veut dire la souveraineté numérique ? Quelle réalité ça regroupe ?

Philippe Latombe : Dans la mission qu’on a conduite, la définition même de la souveraineté nous a pris un temps infini et nous ne sommes pas arrivés à une définition la plus exhaustive possible. La définition qu’on a proposée dans le rapport était insuffisante pour les juristes, insuffisante pour le monde économique, insuffisante pour tout le monde parce que, en fait, elle n’était pas totalement spécialisée.
Je laisserai les autres intervenants donner une partie de la définition, ce que je sens quand même, et vous l’avez dit dans votre introduction, c’est que le mot souveraineté a aujourd’hui le vent dans le dos, est à la mode. On en parle aussi et surtout, c’est ça qui est important, dans le cadre des décisions publiques. Le ministre de l’Économie et des Finances est aussi en charge de la souveraineté numérique. Le ministre de l’Agriculture est en charge de la souveraineté alimentaire. Il y a quand même une acception du mot souveraineté qui rentre dans le domaine des choix publics et il recouvre une sorte de concept qui est l’autonomie stratégique. C’est la capacité à pouvoir être autonome et à faire des choix en fonction de la situation dans laquelle on est. Et c'est d’autant plus vrai dans le contexte international d’aujourd’hui avec tout ce qui se passe, avec les conséquences de la guerre en Ukraine. Je pense que c’est peut-être comme ça que je poserais la définition de prime abord. C’est vraiment recourir à ce terme d’autonomie stratégique qui, lui, recouvre à la fois des champs à la fois juridiques et économiques.

Étienne Gonnu : Merci. Avant de proposer aussi des compléments de lecture à nos autres intervenants et vous pourrez compléter avec cette question complémentaire qui, je pense, pourrait être intéressante dans le cadre du Capitole du Libre : dans un cadre politique qui se veut démocratique, est-ce qu’on peut faire l’économie de la question de la place des libertés informatiques des citoyennes et citoyens quand on parle de politique publique, de souveraineté numérique ? J’ai l’impression que c’est parfois un angle mort dans les politiques publiques. J’aimerais déjà avoir votre lecture, Philippe Latombe, et peut-être également celle des autres intervenants et intervenante.

Philippe Latombe : Oui, c’est clairement un angle mort. Tout ce qui touche au numérique a toujours été vu de façon parcellaire jusqu’à présent. Chaque ministère aujourd’hui a sa vision du numérique, sa vision des libertés dans le numérique, sa façon de fonctionner et il n’y a pas de transversalité. On avait essayé de faire de la transversalité à une époque, il y a très longtemps, ça existe encore, mais ça fonctionne de façon un peu différente, par exemple avec la CNIL pour essayer de les protéger, mais on voit bien que l’accélération du numérique dans la société et dans les politiques publiques a pris le pas sur un certain nombre de considérations concernant les utilisateurs eux-mêmes. C’est-à-dire que dans les politiques publiques aujourd’hui ce sont essentiellement les ministères qui décident de comment on fait la numérisation du ministère pour eux et absolument pas pour nos concitoyens, donc le contrôle citoyen sur cette numérisation est insuffisant à bien des égards. Et renverser, aujourd’hui, le rapport de forces est très compliqué. On le voit bien avec la crise Covid, par exemple, le ministère de la Santé a absolument voulu tout numériser, tout digitaliser comme ils disent, sans vraiment s’intéresser à ce que pensaient nos concitoyens de l’utilisation du numérique en santé. Aujourd’hui c’est vraiment un angle mort et, pour me battre assez régulièrement contre la façon de fonctionner, la gouvernance du HDH [Health Data Hub] par exemple, c’est une muraille, c’est vraiment compliqué.
J’attends beaucoup notamment de décisions juridiques, judiciaires, du Conseil d’État qui a pris du poids, depuis quelques années, dans la défense des libertés et s’est emparé du domaine du numérique de plus en plus ce qui est vraiment un bon signe.

Étienne Gonnu : Merci à vous. Amandine, si vous souhaitez compléter, chacun pourra intervenir sur la question.

Amandine Le Pape : Quand on parle souveraineté on pense souvent au gouvernement, au secteur public, etc., on ne pense pas forcément à l’utilisateur lui-même, aux entreprises, aux organisations et, pour moi, c’est vraiment une autre approche. Pouvoir faire cette éducation auprès des utilisateurs aujourd’hui qui sont tellement habitués au numérique sous toutes ses formes sans nécessairement réussir à réfléchir à ce qu’il y a derrière. Le fait qu’ils puissent avoir ce choix, ce contrôle, c’est bien, comme disait Philippe c’est le vent dans le dos, qu’on ait des évènements dans le monde comme le rachat de Twitter, ce genre de choses, même la guerre en Ukraine qui montrent, qui font réaliser aux gens qui ne sont pas forcément très techniques, qu’il y a une possibilité de contrôle et que c’est notre devoir en tant que technologistes de la mettre à portée des gens, des citoyens.

Étienne Gonnu : J’aime bien cette expression de « technologistes », c’est intéressant.
Gaël ou Stéphane souhaitez-vous compléter sur cette question ? Gaël.

Gaël Duval: Compléter, oui. Je pense que la question de la souveraineté numérique, j’aime bien aussi l’autonomie stratégique, parce que le mot souveraineté est parfois connoté, il a été connoté, il l’est peut-être un petit moins, mais je pense que parler d’autonomie stratégique ou d’indépendance stratégique ça met un peu tout le monde d’accord sur ce petit problème de vocabulaire. C’est à tous les étages en fait. Je pense que la définition est ultra-vaste. Je pense que c'est vraiment une question de contrôle de nos outils, de nos données.
Je défends la notion de souveraineté numérique vraiment du matériel, des couches très basses, jusqu’aux données et, entre les deux, il y a toute la partie logicielle, évidemment système d’exploitation, tout ce qui est infrastructure, les réseaux et aussi tout ce qui peur tourner autour des applicatifs. C’est vraiment pouvoir contrôler comme on le souhaite un logiciel, ses données, et surtout sans dépendre d’un tiers, je pense que c’est un point fondamental. Aujourd’hui la question, on le voit bien pour le gaz, on n’est pas dans e le numérique, mais quand on dépend d’un tiers étranger pour se chauffer l‘hiver ou pour faire tourner les industries et les usines on se rend compte que parfois ça peut poser un problème. Je pense qu’on est en plein dedans et, pour le numérique, on est aussi en plein dedans.

Étienne Gonnu : Stéphane.

Stéphane Bortzmeyer : Peut-être ajouter que si on définit la souveraineté comme la liberté de prendre les décisions qu’on souhaite dans la mesure du possible, il y a plusieurs acteurs qui peuvent revendiquer cette souveraineté. Souvent c’est effectivement réduit à la souveraineté de l’État. Le problème, c'est que les différents acteurs peuvent avoir des intérêts différents, ne pas être d’accord sur ce qu’est la souveraineté. On peut imaginer des cas où il y aurait une souveraineté qui serait d’un acteur à un autre sans que les autres acteurs soient concernés. On a parlé de Twitter, c’est clair que grâce à Elon Musk des tas de gens ont vu que le réseau social dirigé par une seule personne qui pouvait, sur un caprice, tout casser c’est mal. D’un autre côté la question est maintenant complètement ouverte : qu’est-ce qui serait bien ? Si ce n’est pas Elon Musk, à qui faudrait-il transférer, par exemple, le pouvoir de décider pour des réseaux sociaux comme Twitter. Faut-il le transférer à la Commission européenne, à l’Arcom, à tel ou tel groupe, à Framasoft, ou à plusieurs ? Il y a tout un tas de débats ouverts. Une fois qu’on a vu les inconvénients de ne pas être souverain, il y a tout un débat ouvert sur comment faire mieux et comment laisser des possibilités. Gaël Duval parle de la liberté de la souveraineté pour un individu, mais un individu tout seul est aussi vulnérable et des fois la souveraineté est mieux assurée au sein d’un collectif. Après, le problème c’est que ce collectif peut lui-même confisquer la souveraineté. Bref ! On a des problèmes qui sont aussi anciens que la politique, qui n’ont pas été inventés par le numérique, mais qu’il faudrait se réapproprier maintenant.

Étienne Gonnu : Je pense que c’est important de rappeler ce côté collectif surtout quand on est libriste, quand on s’intéresse à cette éthique de partage. Je pense que le logiciel libre, finalement, est avant tout une logique de contrôle collectif, de contrôle populaire sur les technologies et, clairement, la démocratie c’est compliqué, mais on peut difficilement en faire, voire pas, sans logiciel libre. Du coup une question. Je pense qu’on sera tous d’accord ici : peut-on faire de la souveraineté, peut-on parler de souveraineté numérique sans logiciel libre, pourquoi non ? Oui mais, non mais, finalement. Qu’elles seront limites ? Quand on en a parlé avant on disait que c’est une condition nécessaire mais pas suffisante. Stéphane, si tu veux compléter.

Stéphane Bortzmeyer : Je pense surtout qu’ici on ne prend pas beaucoup de risques en disant que le logiciel libre c’est bien ou en disant que le logiciel libre c’est indispensable. Je pense que le risque que la salle se dresse contre nous et nous lance des tomates est assez faible. Il faudrait surtout discuter : une fois qu’on a cette précondition de logiciel libre, comment utilise-t-on et qu’est-ce qu’on en fait. On pourrait déployer des systèmes tout à fait négatifs du point de vue de la souveraineté avec uniquement du logiciel libre ; ça ne suffit pas en soi. Il faut donc insister sur le caractère effectivement central et stratégique du logiciel libre, mais aussi sur ce qu’on va en faire et comment on va l’utiliser, ce qui ne va pas de soi. Là, par contre, il y aura moins d’unanimité à Capitole du Libre.

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Étienne Gonnu : Est-ce que c’est partagé sur ce panel ?