Différences entre les versions de « Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l'émission du 8 décembre 2020 »

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==Chronique « Que libérer d'autre que du logiciel » avec Antanak sur le thème « libérer aussi des pratiques »==
 
==Chronique « Que libérer d'autre que du logiciel » avec Antanak sur le thème « libérer aussi des pratiques »==
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<b>Frédéric Couchet : </b>« Que libérer d'autre que du logiciel », c’est la chronique d’Antanak. Isabelle Carrère et d’autres personnes actives de l’association Antanak se proposent de partager des situations très concrètes et/ou des pensées de mise en acte et en pratique au sein du collectif — reconditionnement, baisse des déchets, l’entraide sur les logiciels libres, l’appropriation du numérique par tous et toutes.<br/>
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La chronique du jour par Isabelle sera sur le thème « libérer aussi des pratiques ».<br/>
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Isabelle, nous t’écoutons.
  
<b>Frédéric Couchet : </b>« Que libérer d'autre que du logiciel »
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<b>Isabelle Carrère : </b>Bonjour Fred. Bonjour à tout le monde.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Bonjour.
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<b>Isabelle Carrère : </b>Merci. J’avais pensé parler, en ce second mardi de décembre, de nos essais à Antanak de libérer des pratiques en effet. Je pensais aborder la question des liens et des relations entre des structures qui font du reconditionnement. En fait, je vous en parlerai de ça une prochaine fois et comme ça, ça aura avancé encore un peu plus. <br/>
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En fait, je voulais faire le lien avec la dernière émission, la numéro 82 de <em>Libre à vous !</em> du 10 novembre, au cours de laquelle on avait entendu Chloé, Laïla et Sonia qui avaient évoqué des pratiques de femmes dans l’informatique et aussi des actions de formation qui sont initiées et soutenues par des collectifs ou des associations. J’ai surtout eu envie de parler de ça parce que, quand j’ai vu les réactions de personnes sur ces questions, je me suis dit qu’il fallait plutôt que j’aborde ça là, maintenant, d’autant plus, et vous allez voir, ça fait aussi un lien avec des problématiques qu’on a au sein d’Antanak.<br/>
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En effet, j’ai lu ici ou là que plusieurs personnes n’étaient pas très d’accord avec la nécessité de former des groupes non mixtes pour que des femmes ensemble se lancent dans des sujets ou dans des choses qui ne leur ont pas été données de s’approprier dans l’éducation, la culture ou même la formation. Il y a même des personnes qui se sont dites choquées par cela, par ce besoin de non mixité. C’est d’ailleurs très fréquent quel que soit le sujet, informatique ou autre chose, ce rejet des groupes non mixtes, sans doute parce que ça doit résonner comme rétrograde ou bien excluant tout simplement, parce qu’on peut y voir aussi un empêchement pour certains.
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Je voulais en parler parce que, au-delà de ce que ça implique de la fermeture à ce que les gens invités dans <em>Libre à vous !</em> ont évoqué et très bien expliqué, ça signifie aussi une autre nature de fermeture d’esprit. En fait, comment peut-on imaginer que des filles, des femmes, des personnes qui ont été sommées de se comporter comme telles, d’aimer ce qui est attendu qu’elles aiment, de faire ce qui est convenu qu’elles fassent, pourraient se lancer du jour au lendemain, toute seule chacune, dans d’autres approches ?<br/>
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En fait, quand on continue dans l’éducation, à l’école ou dans les maisons, dans les structures familiales ou ailleurs, de demander à des filles d’être plutôt sur le champ du soin, du bien-être, familial ou autre, de l’attention aux autres et surtout d’être utiles aux autres, notamment aux hommes, quand on met encore sur un piédestal, parfois, les questions relatives aux choses naturelles, la fragilité ou la faiblesse émotionnelle ou, etc., bref !, comment est-ce que des femmes pourraient aller vers la technique aussi simplement ? D’ailleurs les chiffres sont là, malheureusement, les statistiques indiquent qu’actuellement encore, en Occident, en 2020, on a bien un état des lieux ancré dans les mentalités, on avait vu l’autre fois la figure du geek qui se décline très souvent surtout au masculin.<br/>
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Je ne vais pas refaire ici l’histoire des femmes et de l’informatique. On sait dans les débuts de ces sciences il y avait beaucoup de femmes, sans doute trop, et qu’on les en a délogées. Les besoins en personnel informatique étaient croissants, les salaires étaient élevés. Il a été considéré qu’il était anormal que des codeuses à l’époque, je parle des années 1960, aient une rémunération aussi confortable et qu’il était peu concevable qu’elles encadrent des équipes mixtes. Du coup on a bloqué la carrière de femmes programmeuses qui étaient tout à fait compétentes, expérimentées et motivées. Les nouveaux recrutements vont conduire, après, à masculiniser beaucoup la profession.<br/>
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Du coup, l’importance du logiciel dans les esprits et dans le développement de la société a poussé à masculiniser les profils et on s’est mis à créer des postes et des emplois d’ingénieurs, au masculin !<br/>
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En fait on voit que souvent, pas toujours mais souvent, quand des groupes mixtes sont sur des champs techniques, il y a comme une espèce empêchement de faire ou une suprématie, de fait, des esprits dits masculins. Oser démonter des ordinateurs, trouver des astuces, aller vite dans des réflexes acquis alors que plusieurs autres formes et formats d’apprentissage sont possibles.<br/>
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La démasculinisation des pratiques dans le reconditionnement n’est donc pas encore aboutie. Il y a eu d’autres tentatives, là aussi on appelle ça de l’inclusion, ça a été mené depuis les années 1980, mais ce n’est pas un succès global. On voit bien qu’il y a encore, si mes chiffres sont bons, à peu près 30 % des personnes qui sont employées dans le secteur du numérique qui sont des femmes.
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J’en veux pas pour preuve mais en tout cas pour exemple, la propre difficulté à Antanak. En fait, la grande majorité des personnes du noyau – ce qu’on appelle le noyau ce sont les membres actifs de l’association – et surtout sur le champ de la réparation, du reconditionnement, de l’installation des postes avec des systèmes GNU/Linux, eh bien cette grande majorité là est masculine. Je ne parle même pas des personnes qui viennent et qui demandent un ordinateur, majoritairement, souvent, pour des fils, alors qu’il y a derrière une ou plusieurs filles qui regardent en attendant, en se disant que peut-être, elles aussi, elles vont pouvoir avoir un ordinateur, bon ! Les personnes qui viennent pour apprendre et devenir des acteurs bénévoles pour mettre à disposition des ordinateurs sont majoritairement des hommes. Les jeunes volontaires du service civique qui viennent vers nous sont aussi des jeunes garçons.<br/>
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Donc la représentation qui est faite, même chez nous à Antanak, du coup, visiblement, n’est pas attractive pour des femmes. Alors qu’est-ce qui se passe ? Quelle serait une vision féministe de l’informatique et ici du travail de reconditionnement d’installation et de diffusion concrète du Libre ?<br/>
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Est-ce qu’on ne démontre pas, y compris chez Antanak, l’absence de compétition dans le modèle ? Est-ce qu’on ne dit pas assez que tout ce qu’on fait à Antanak, en fait, rien n’est inaccessible à quiconque ? Je me pose cette question.
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On a cette expérience, on a organisé à Antanak des formations, on les a appelées les chemins numériques. C’est sur quatre semaines et la première semaine est consacrée au démontage d’une tour, d’une unité centrale. Ces formations sont destinées à des groupes de femmes. La moitié d’entre elles, quand elles arrivent, n’ont pas encore tenu un tournevis entre leurs mains. La perspective de démonter, le fait qu’on leur demande ça, ça les intrigue, mais, en fait, ça les intéresse, bien évidemment. Quand elles s’y mettent elles le font ensemble avec beaucoup d’entraide, d’attention les unes aux autres, et elles sont évidemment hyper-fières et elles arrivent généralement bien à tout comprendre et à remonter l’ordinateur pour que tout fonctionne très normalement.<br/>
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Mais à priori, si on leur pose la question, elles ne s’en pensent pas capables et au début elles disent « non, non, ce n’est pas pour moi, non je ne saurai jamais faire ça ». Et je dois dire que je continue à ne pas comprendre pourquoi.<br/>
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Ceci dit il semble, d’après une étude de la Commission européenne, que les femmes ont une vision moins positive des effets et des conséquences du numérique dans la société que les hommes. Peut-être que ça a une incidence sur leurs choix d’activités à privilégier, que ce soit des activités professionnelles ou des activités non rémunérées, bénévoles.
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Une majorité de femmes a bien accès, désormais, au numérique, à l’utilisation d’ordinateurs, mais juste comme utilisatrices. La réparation, l’installation, l’entretien, la maintenance, semblent rester des activités masculines ou encore comme réservées aux hommes. J’espère qu’on va arriver à changer cela, changer les visions, mais ça ne se fait pas en un jour, visiblement, ni même en six ans, l’âge d’Antanak.
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Il y a beaucoup de femmes qui viennent dans la salle où on met à disposition des ordinateurs, ça c’est sûr, beaucoup de femmes auxquelles nous donnons du matériel, ça oui, et d’autres qui viennent pour d’autres activités de l’association. Il y a des femmes qui sont dans le projet des chroniques numériques, qui sont des petits films qu’on fait sur les rapports au numérique, oui, il y a des femmes dans les formations qu’elles dispensent sur l’un ou l’autre des logiciels, mais nous ne sommes que trois femmes à régulièrement réparer, démonter, installer alors qu’il y a plus de dix hommes.<br/>
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Si quelqu’un, quelqu’une a une idée à nous soumettre pour contribuer à changer ça on sera vraiment ravies. Une personne m’a proposé l’autre jour m’a proposé de lancer une journée non mixte dans l’association, d’ouvrir une journée au cours de laquelle seules des femmes viendraient pour contribuer au reconditionnement. Je ne sais pas si c’est une bonne idée ! Une autre, en entendant cette proposition, m’a dit : « Oh là, là, tu vas te retrouver toute seule ! ». C’est à tenter. En tout cas si on veut libérer aussi les pratiques autour du numérique et de l’informatique, il faut sans doute qu’on trouve des choses un peu mieux là-dessus au sein d’Antanak. Voilà.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Merci Isabelle pour cette chronique. Je vais préciser que quand tu faisais référence aux années 70, je suppose que tu faisais référence aux études notamment d’Isabelle Collet qui est un peu la spécialiste sur le sujet de la place des femmes dans l’informatique.
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<b>Isabelle Carrère : </b>Exact.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Je vais rappeler qu’il y a le numéro national Violences Femmes info, le 3919. Il ne faut pas hésiter à appeler, surtout en ce moment de confinement ou non confinement, où les violences conjugales ont augmenté. Rappelle-nous, parce que j’ai un trou de mémoire, le numéro de la rue, Antanalk c’est rue Bernard Dimey dans le 18e, mais à quel numéro ?
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<b>Isabelle Carrère : </b>Nous on est au 18. La radio au 22 et Antanak au 18.
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<b>Frédéric Couchet : </b>J’avais un doute. Si vous avez une réponse, en tout cas si vous voulez discuter avec Isabelle et les autres personnes d’Antanak ou simplement découvrir Antanak, qui est juste à côté du studio, vous allez au 18 rue Bernard Dimey dans le 18e arrondissement de Paris. Nous, effectivement, nous sommes au 22.<br/>
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Isabelle, je te remercie pour cette chronique et je te souhaite de passer une belle fin de journée puis une belle fin d’année. On se retrouve en 2021 qui sera sans aucun doute une meilleure année que 2020.
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<b>Isabelle Carrère : </b>On espère tous. Merci beaucoup. À bientôt.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Merci à toi. À bientôt.
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Nous allons passer quelques annonces de fin.
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==Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l'April et le monde du Libre==
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<b>Frédéric Couchet : </b>Je surveille l’heure. Dans les annonces de fin

Version du 10 décembre 2020 à 16:03


Titre : Émission Libre à vous ! diffusée mardi 8 décembre 2020 sur radio Cause Commune

Intervenant·e·s : Noémie Bergez - Camille Monchicourt - Amandine Sahl - Jean-Christophe Becquet - Isabelle Carrère - Frédéric Couchet- Étienne Gonnu à la régie

Lieu : Radio Cause Commune

Date : 8 décembre 2020

Durée : 1 h 30 min

Écouter ou enregistrer le podcast PROVISOIRE

Page des références utiles concernant cette émission

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration :

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Geotrek, suite logicielle libre pour gérer et valoriser sentiers et activités touristiques c’est le sujet principal de l’émission du jour. Avec également au programme « La CNIL force Carrefour à positiver sur la protection des données » et aussi la chronique d’Antanak sur le thème « libérer aussi des pratiques ». Nous allons parler de tout cela dans l’émission du jour.

Vous êtes sur la radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 en Île-de-France et en DAB+ et partout dans le monde sur le site causecommune.fm.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.
Le site web de l’association c’est april.org, vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission avec les liens et références utiles et aussi les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou nous poser toute question.

Nous sommes mardi 8 décembre 2020, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

À la réalisation de l’émission aujourd’hui mon collègue Étienne Gonnu. Bonjour Étienne.

Étienne Gonnu : Salut Fred.

Frédéric Couchet : Si vous voulez réagir, poser une question pendant ce direct, n’hésitez pas à vous connecter sur le salon web de la radio. Pour cela rendez-vous sur le site de la radio, causecommune.fm, cliquez sur le bouton « chat » et retrouvez-nous sur le salon dédié à l’émission.

Nous vous souhaitons une excellente écoute.

Nous allons passer directement au premier sujet de l’après-midi.

[Virgule musicale]

Chronique « In code we trust » de Noémie Bergez, avocate au cabinet Dune : « La CNIL force Carrefour à positiver sur la protection des données »

Frédéric Couchet : Évoquer, le code à la main, une règle de droit ou un procès en lien avec les œuvres, les données, les logiciels ou les technologies, c’est la chronique « In code we trust », « Dans le code nous croyons », de Noémie Bergez, avocate au cabinet Dune. Le thème du jour : la CNIL force Carrefour à positiver sur la protection des données .
Bonjour Noémie.

Noémie Bergez : Bonjour Fred. Bonjour à toutes et à tous.

Frédéric Couchet : Nous t’écoutons.

Noémie Bergez : La chronique du jour est consacrée aux deux récentes décisions de la Commission nationale de l’informatique et des libertés qui ont lourdement sanctionné les sociétés Carrefour France et Carrefour Banque, filiales du groupe Carrefour, pour des manquements au Règlement général sur la protection des données.

Ce qu’il faut comprendre c’est pourquoi les deux filiales du groupe Carrefour ont été condamnées.

En réalité, ce qui s’était passé, c’est que la CNIL avait été saisie de plusieurs plaintes de particuliers. À la suite de ces plaintes, elle a organisé des enquêtes puis, à l’issue de ces enquêtes, elle a sanctionné ces deux sociétés du groupe Carrefour pour des manquements au RGPD. Lorsqu’elle a effectué ces contrôles, elle a permis à la société Carrefour, dans le cadre de ces contrôles, de faire part de ses observations. À l’issue de toute cette lourde procédure, elle a rendu ces deux décisions le 18 novembre 2020.

Ces deux sociétés : la société Carrefour France exerce dans le secteur de la grande distribution, la société Carrefour Banque exerce, quant à elle, dans le secteur bancaire traitent énormément de données à caractère personnel et la CNIL est allée rechercher si les traitements qu’elles opéraient toutes les deux étaient conformes à la réglementation applicable.

Ces deux décisions dont on parle sont marquantes parce que les enjeux financiers sont, pour le coup, sans commune mesure avec le passé. En effet, les décisions font état d’une condamnation de Carrefour France à une amende de 2 250 000 euros et pour Carrefour Banque à une amende de 800 000 euros, outre la publication des deux décisions.
En revanche, la CNIL n’ordonne pas d’injonction à ces deux sociétés de mettre en place des nouveaux modes de traitement ou de corriger ce qui était mal fait puisque la CNIL relève, dans ses décisions, que les deux sociétés ont fait des efforts importants pendant toute la procédure d’investigation et que finalement, elles ont fait leur mise en conformité à ce moment-là.

Sur les manquements qui leur ont été reprochés, il y a tout d’abord un manquement à l’obligation d’informer les personnes. On a considéré que les personnes dont les données étaient traitées n’étaient pas suffisamment informées.
On a aussi des manquements qui concernent les cookies, les petits fichiers qui sont déposés lorsqu’on consulte le site internet par exemple de Carrefour, eh bien les règles quant au consentement des personnes n’étaient pas respectées.
On a également un manquement qui a été relevé par la CNIL en ce qui concerne la durée de conservation des données.
On a aussi des manquements en ce qui concerne les droits d’exercice des personnes et le respect des droits des personnes, qui sont directement prévus par le Réglement général sur la protection des données.
Enfin, on a un manquement à l’obligation de traiter les données de manière loyale.

Il faut se plonger dans la lecture de ces deux décisions pour comprendre un petit peu ce qui s’est passé. En fait, il y a deux décisions, une qui concerne Carrefour France et une qui concerne Carrefour Banque.

Pour la société Carrefour France, entre 2018 et 2019, CNIL a reçu 15 plaintes de particuliers qui se plaignaient par exemple de prospection commerciale qui était faite malgré leur opposition, de refus de faire droit à des demandes d’effacement de leurs données ou encore des demandes qu’ils avaient formulées auprès de Carrefour France dont ils n’avaient pas eu de suite.
À la suite de ces 15 plaintes, la CNIL décide d’organiser des contrôles. Elle fait des contrôles en ligne, directement sur les sites internet de Carrefour, mais également sur place, là elle se rend sur place et elle vient étudier la manière dont les données sont traitées.
À l’issue de ces contrôles un certain nombre de manquements sont relevés. Comme je disais tout à l’heure, il y avait un manquement à l’obligation de conserver les données pour une durée qui n’excède pas celle nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles ont été collectées. C’est le principe sur les durées de conservation : quand on collecte des données, il faut prévoir des durées de conservation, on ne peut pas les conserver de manière illimitée. Là, la CNIL relève que la société carrefour ne respectait même pas les durées de conservation qu’elle avait elle-même fixées. Ce qui signifie que de nombreuses données de clients qu’on appelait des clients inactifs étaient collectées et conservées depuis entre cinq et dix ans, ce qui était évidemment beaucoup trop puisque la société Carrefour avait elle-même indiqué que la durée de conservation était de quatre années. Là on était au-delà des quatre années.
Ce qui est intéressant dans la décision et ça, ça intéressera quand même un grand nombre de sociétés, c’est que la CNIL va considérer que la durée de quatre ans pour de la prospection commerciale, donc que la durée de quatre ans pour conserver les données pour de la prospection commerciale est une durée qui est excessive. Ça nous permet, en fait, de nous donner une petite référence sur les durées de conservation. Ça c’était pour le premier point sur la durée de conservation.

Ensuite on avait également des reproches qui concernaient les modalités d’exercice des droits, puisque quand nos données à caractère personnel sont traitées on a la possibilité, dans certains cas, de pouvoir demander à accéder à des informations sur les données qui sont collectées. Évidemment ce n’est pas dans tous les cas, mais dans certains cas cela s’applique. Quand la société Carrefour France recevait une telle demande, systématiquement elle demandait un justificatif d’identité pour toutes les demandes d’exercice de droit, qui n’est d’ailleurs pas prévu tel quel dans le RGPD. Il est prévu que lorsqu’il existe un doute sur l’identité des personnes, on a la possibilité de demander un justificatif, mais cette demande ne doit pas se faire de manière systématique. Ici la CNIL reproche à la société Carrefour d’avoir utilisé ce moyen de contrainte systématique pour, finalement, entraver un peu l’exercice de ces droits. Donc là-dessus, elle considère qu’il y a une violation.
Ce qu’elle note également, d’ailleurs pour chacun des manquements, dans ses décisions elle relève que la société Carrefour a engagé d’importants moyens pour faire les modifications nécessaires pour sa mise en conformité en cours de la procédure. Là-dessus elle le relève également.
Ce qu’elle reproche aussi concernant les modalités d’exercice des droits, c’est que normalement lorsqu’on fait une demande de l’exercice d’un droit et que, légitimement on a le droit à avoir notre réponse, il est souvent prévu dans le RGPD un délai dans lequel le responsable de traitement doit nous répondre. Ici, en fait ce que la CNIL a relevé, c’est que des demandes qui avaient été formulées n’avaient pas encore eu de réponse et étaient au-delà du délai qui est prévu par le RGPD qui est normalement d’un mois et qui peut être prolongé de deux mois supplémentaires dans certaines conditions. Là-dessus, évidemment la CNIL sanctionne.

Un autre manquement concerne l’information des personnes. Là, la CNIL a considéré que la politique de confidentialité sur les sites internet et que toutes les mentions d’information pour justement expliquer aux personnes ce qui était fait de leurs données, ce qui se passait avec leurs données, n’étaient pas suffisamment compréhensibles et accessibles. Elle considère donc sur ce point-là que Carrefour France a manqué à une information des personnes qui soit conforme au RGPD. Elle retient donc une faute, tout en relevant toujours qu’en cours de procédure la société a fait des modifications nécessaires pour rendre plus accessibles les informations qui concernaient les personnes.

Sur le droit d’accès, elle constate également un manquement puisqu’elle a constaté qu’effectivement beaucoup de personnes avaient exercé leur faculté de droit d’accès et qu’elles n’avaient pas reçu de réponse.

Un autre point important, c’est le droit à l’effacement. Indépendamment du droit d’accès, indépendamment du droit d’opposition, on a ce qu’on appelle le droit à l’effacement qui permet, dans certains cas, de demander à ce que les données qui sont collectées sur nous soient ensuite effacées. Là, elle a relevé également que la société n’avait fait droit à certaines demandes de droit d’effacement. Dans ce cadre-là, elle constate que depuis la société a rectifié son erreur, mais elle relève tout de même qu’il y a eu un manquement à cet égard.

Ensuite, il y a également des manquements qui concernaient l’opposition. Dans certains cas on peut s’opposer au traitement de ses données à caractère personnel, notamment, par exemple, à des fins de prospection commerciale. Là-dessus la CNIL a relevé que la société Carrefour avait reçu des demandes d’opposition de personnes qui ne voulaient plus recevoir de publicité par SMS par exemple et, pour le coup, ça n’avait pas été pris en compte en raison, notamment, d’erreurs techniques ponctuelles. Ce qu’a relevé la CNIL, c’est que la société Carrefour avait fait la mise en conformité nécessaire pendant la procédure, mais évidemment c’était tardif puisque l’enquête était déjà en cours. Donc ces manquements apparaissent dans la décision.

Il y avait également d’autres manquements qui concernaient la sécurité des données. Sur ce point-là, elle considérait que la société Carrefour France n’avait pas respecté son obligation de sécurité.

Autre point important, la société avait fait l’objet d’une attaque informatique en juillet 2019 et n’avait pas jugé utile de faire ce qu’on appelle la notification de la violation auprès de la CNIL. En effet, le RGPD prévoit que dans certains cas, lorsqu’un responsable de traitement, voire un sous-traitant, subit une attaque informatique, il doit normalement faire une notification auprès de la CNIL pour informer la CNIL qu’il y a eu une violation des données. Il ne doit le faire que dans le cas où la violation est susceptible d’engendrer un risque pour les droits et les libertés des personnes physiques. En fait, la formulation est assez large et elle encadre quand même un grand nombre de violations. Sur ce point-là, la CNIL relève qu’il y avait eu 4000 authentifications qui avaient été obtenues à la suite de ce piratage informatique et que, dans ce cadre-là, il aurait dû y avoir une notification auprès de la CNIL, ce qui n’a pas été le cas. Là-dessus la CNIL sanctionne également la société Carrefour France.

Il y avait également des manquements à l’utilisation des cookies. La société utilisait des cookies sur son site carrefour.fr et également sur le site carrefour-banque.fr. La CNIL a constaté qu’il y avait des cookies qui étaient déposés de manière automatique, sans recueil du consentement de l’utilisateur, ce qui est une violation ; cette fois-ci ce n’est pas dans le RGPD, mais c’est dans la loi informatique et libertés, c’est l’article 82. On en a déjà parlé en septembre sur les cookies. La CNIL relève que la société Carrefour aurait dû demander le consentement avant de déposer les cookies, donc il y a également une violation de la réglementation applicable.

C’est vrai que les décisions sont assez intéressantes en termes de mesure. Pour la Société Carrefour France on a une amende qui s’élève à 2 250 000 euros. Pourquoi une telle amende ? La CNIL, pour prononcer cette amende, va d’abord regarder le chiffre d’affaires de la société qui s’élève en 2019 à 14, 9 milliards d’euros. Donc elle considère, au regard de cette activité et au regard du nombre et de la gravité des manquements qui ont été constatés, qu’une telle amende est proportionnée et justifiée. C’est pour ça qu’elle la prononce.
Ensuite, elle va également s’attacher à vérifier s’il est nécessaire de publier la décision ou pas. Elle considère, encore une fois au regard de la situation, que la publication pendant une durée de deux ans est justifiée et nécessaire.

Ça c’était pour la première décision.

Sur la seconde décision pour Carrefour Banque, c’est à peu près le même raisonnement. Il y a juste une chose en plus, c’est qu’elle a constaté un manquement à l’obligation de traiter les données de manière loyale. En fait, là elle reproche à la société Carrefour Banque d’avoir collecté des données et d’avoir informé les personnes qu’elle allait transférer une partie de leurs données à une autre entité. En réalité, lors de son contrôle, la CNIL s’est rendu compte qu’elle transférait plus de données que ce qu’elle avait indiqué. Pour elle, ça constitue un manquement à l’obligation de traiter les données de manière loyale. Et pour d’autres manquements, au total la société Carrefour Banque est condamnée, quant à elle, à une sanction de 800 000 euros d’amende et pareil, publication de la décision que la CNIL considère comme juste et proportionnée.

Ces deux décisions nous rappellent quand même que le sujet de la protection des données est essentiel et qu’il faut le traiter, qu’il faut veiller à sa conformité parce que dans le cas d’un contrôle, la CNIL va aller vérifier que chacune des obligations est correctement respectée.
C’est une décision qui apporte beaucoup d’éléments intéressants sur, justement, chacun des manquements. On s’aperçoit que la CNIL prend quand même en considération que la mise en conformité peut se faire aussi, quand on n’a pas le choix, au moment du contrôle. Il n’empêche que même si à l’issue du contrôle la mise en conformité est faite, elle sanctionne quand même les manquements passés. C’est pour ça que c’est un sujet qui est à traiter et on s’aperçoit que les amendes commencent aujourd’hui à devenir quand même assez importantes. On verra ce que sera la suite des contrôles et des décisions qui seront rendues en la matière, mais il est sûr, au fur et à mesure, qu’on va pouvoir mieux affiner nos recommandations sur la matière grâce aux décisions qui nous éclairent bien.
J’en aurais terminé pour cette présentation de ces deux décisions.

Frédéric Couchet : Merci de la présentation de ces deux décisions, Noémie. La transcription de ton intervention sera bientôt disponible sur le site de l’April pour les gens qui voudront se plonger dedans, avec les références qui sont déjà sur april.org et sur causecommune.fm.
Je te souhaite de passer une belle fin d’année et on se retrouve en 2021 pour une plus belle année si possible, ce ne sera pas difficile !

Noémie Bergez : Oui. Espérons-le.

Frédéric Couchet : Bonne fin de journée. À bientôt Noémie.

Noémie Bergez : Merci. Au revoir à tous.

Frédéric Couchet : Au revoir. C’était la chronique « In code we trust » de Noémie Bergez. Comme on vient de parler de Carrefour, on va quand même faire un grand remerciement aux personnes qui bossent chez Carrefour, notamment pendant les périodes de confinement et déconfinement et si Carrefour voulait vraiment positiver, elle augmenterait ces personnes de façon substantielle. Voilà !

Nous allons passer à une pause musicale.

[Virgule musicale]

Aujourd’hui notre programmateur musical Éric Fraudain, du site Au Bout Du Fil, auboutdufil.com, nous fait découvrir l’artiste américain Michael Hernandez, originaire de Zephyrhills en Floride, qui est un passionné de musique électronique et de jeux vidéo. Son nom d’artiste c’est Blue Navi.
On va écouter Starcade par Blue Navi. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Starcade par Blue Navi.

Voix off :

Frédéric Couchet : Nous avons écouté partiellement parce qu’elle est assez longue et nous souhaitons laisser le maximum de temps aux interventions suivantes Starcade par Blue Navi, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By SA. Vous retrouverez les références sur causecommune.fm et sur april.org et vous trouverez sur le site auboutdufilm.com une présentation de cet artiste.

Vous écoutez l’émission Libre à vous ! sur radio Cause commune, la voix de possibles, 93.1 FM en Île-de-France et en DAB+ et partout dans le monde sur le site causecommune.fm.

Nous allons passer au sujet suivant.

[Virgule musicale]

Geotrek, suite logicielle libre pour gérer et valoriser sentiers et activités touristiques, avec Camille Monchicourt, responsable du pôle Système d'informations au Parc national des Écrins et animateur du projet Geotrek, Amandine Sahl, administratrice du système d'informations Parc national des Cévennes, et Jean-Christophe Becquet vice-président de l'April

Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui va porter sur Geotrek, une suite logicielle libre pour gérer et valoriser sentiers et activités touristiques avec nos invités Camille Monchicourt, responsable du pôle système d'informations au Parc national des Écrins et animateur du projet Geotrek, Amandine Sahl, administratrice du système d'informations Parc national des Cévennes, et Jean-Christophe Becquet vice-président de l'April. Je vais d’ailleurs passer la parole à Jean-Christophe parce que Jean-Christophe va animer ce sujet long.
Jean-Christophe c’est à toi, mais je reste connecté, je vous écoute et j’interviendrai éventuellement s’il y a besoin. À vous.

Jean-Christophe Becquet : Bonjour Fred. Bonjour à tous. Bonjour à toutes.
Je vous propose pendant une petite heure, une randonnée dans l’univers des logiciels libres développés par le secteur public avec Camille et Amandine. Pour commencer, avant d’en dire un petit plus sur Geotrek, je vous propose de vous présenter brièvement. On commence par toi Camille, si tu veux bien.

Camille Monchicourt : Bonjour à tous. Je suis Camille Monchicourt, je suis responsable du système d'informations au Parc national des Écrins. Au niveau du système d’informations on est une petite équipe de quatre personnes, donc on s’occupe de tout ce qui est informatique, base de données, cartographie, sites web. J’anime aussi la communauté Geotrek, tout ça depuis le siège Parc national des Écrins qui est situé à Gap dans les Hautes-Alpes. Voilà. Amandine.

Amandine Sahl : Amandine Sahl. Je suis administratrice du système d'informations Parc national des Cévennes, c’est un peu équivalent à ce qu’il y a dans les Écrins. On est une petite équipe où on gère un peu tout ce qui est un projet informatique principalement autour des données, dont la donnée de randonnée, et de valorisation du territoire. On se situe à Florac en Lozère.

Jean-Christophe Becquet : Jean-Christophe Becquet. Je suis vice-président de l’April. J’ai plusieurs liens avec Geotrek. Le premier c’est que depuis l’âge de 12 ans je suis randonneur, passionné de montagne et de nature. Le deuxième, c’est que je vis dans les Alpes-de-Haute-Provence, territoire qui a choisi Geotrek pour promouvoir ses sentiers et itinéraires et, bien sûr, dans le cadre de mon activité et de mon engagement à l’April, je suis passionné par le logiciel libre et notamment, comme je le disais en introduction, par le logiciel libre dans le secteur public.
Pour commencer, j’ai envie de vous demander à quoi sert Geotrek ? Pourquoi avoir développé de logiciel ? Camille.

Camille Monchicourt : Geotrek est un logiciel qui permet de gérer tout ce qui concerne les sentiers d’un territoire. Il y a toute la partie aménagement, travaux, signalétique, entretien. C’est aussi un portail web et une application mobile qui permettent de valoriser et rendre accessibles au public des informations sur les randonnées d’un territoire et tous les patrimoines qu’on va pouvoir découvrir le long de ces randonnées. Voilà l’essentiel de ce que fait le logiciel. Il commence à avoir quelques années, on y reviendra, donc son périmètre s’étend, mais ça c’est son fonctionnement principal.

Jean-Christophe Becquet : OK. Merci. Amandine, tu souhaites ajouter quelque chose ?

Amandine Sahl : Non, c’est un bon résumé.

Jean-Christophe Becquet : OK. Du coup, Camille vient de dire que c’est un logiciel qui a déjà quelques années, est-ce que tu veux nous dire, Amandine, comment a démarré l’histoire ? D’où vient Geotrek et comment ça commence ?

Amandine Sahl : Geotrek a démarré il y a de très nombreuses années. C’était un projet, en fait, qui a été mené par le Parc national du Mercantour avec le Parc national des Alpi Marittime et le Parc national des Écrins qui souhaitaient se doter d’un outil de gestion de leurs sentiers et également de valorisation des itinéraires de randonnée. C’est un projet qui est né, je ne veux pas me tromper, Camille c’est 2012 ?

Camille Monchicourt : Oui, c’est ça. On a commencé en 2010, 2011. On a été vraiment été dans la phase opérationnelle à partir de 2012.

Amandine Sahl : C’est un projet qui est quand même très ancien et qui, progressivement, a été amendé par les différents besoins. Au niveau du parc national des Cévennes, on s’en est emparé réellement en 2014, on a commencé la réflexion et 2015 pour proposer une offre de randonnées, mais également, plus globalement, toute l’offre touristique sur le parc national des Cévennes.

Camille Monchicourt : Si je peux ajouter, on a parlé de nos équipes respectives qui travaillent sur les parties vraiment système d’information, mais dans un parc national il y a entre 60 et 90 agents dont une partie est au siège et une partie travaille sur le terrain, avec des missions diverses de surveillance, de protection de l’environnement, de connaissance de la biodiversité, mais aussi de tout ce qui concerne l’entretien des sentiers, c’est une activité assez importante. La randonnée est une des manières privilégiée de parcourir et de découvrir un parc national, donc c’est une mission assez importante pour les parcs nationaux, parmi d’autres. Donc on avait ce besoin, en effet, de mieux gérer l’information relative à tous ces sentiers, à toute l’activité autour des sentiers, mais aussi de mieux valoriser auprès grand public l’information et les randonnées à découvrir sur un territoire. Donc on a décidé de concevoir ce logiciel et de faire un appel d’offres pour faire réaliser les développements par un prestataire.

Jean-Christophe Becquet : Donc un logiciel qui est effectivement relativement transversal, avec à la fois des aspects très techniques sur la gestion et l’entretien des sentiers, un aspect plus promotion, communication et animation du territoire à travers la promotion des randonnées pour le grand public. En 2010, vous commencez à réfléchir à ce logiciel et vous décidez de le faire développer, vous lancez un appel d’offres pour développer ce logiciel sous licence libre. Est-ce que tu peux nous dire, Camille, pourquoi ce choix de faire développer Geotrek sous licence libre ?

Camille Monchicourt : Oui. Il y a deux raisons principales.
La première c’est que, comme Amandine l’évoquait, on est parti à deux parcs nationaux, même trois, parce qu’on avait aussi un parc italien qui s’était associé au projet, mais principalement le parc national des Écrins et le parc national du Mercantour. La thématique des sentiers et des randonnées est assez commune à tous les parcs nationaux, donc on avait souhaité que le logiciel soit sous licence libre pour qu’il puisse, potentiellement, être utilisé par les autres parcs nationaux, donc pour faciliter l’utilisation par d’autres parcs nationaux. Ça c’était le côté très pragmatique et concret.
Après, il y avait une volonté un peu plus globale qui est que nous sommes des utilisateurs de logiciels libres depuis pas mal d’années. On s’est engagé assez fortement dans la migration de pas mal d’outils vers des logiciels libres, pour tout ce qui est traitement de texte, navigateur web, notre site internet, nos outils de cartographie, puis des outils informatiques, donc on est beaucoup consommateurs. On bénéficie d’un peu tous les investissements qu’ont pu faire les uns et les autres avant nous et ça faisait déjà quelque temps qu’on se demandait comment nous pourrions contribuer à notre tour. On a réfléchi à des systèmes, des dons, etc., mais pour des administrations publiques ce n’est pas toujours évident et puis ce sont des choses un petit peu ponctuelles qui, finalement, ne nous semblaient pas les plus constructives et, en plus, assez lourdes à mettre en oeuvre. Donc on s’est que, peut-être, une manière de faire ce serait à notre tour de faire en sorte que les logiciels qu’on développe soient des logiciels libres et qu’ils puissent bénéficier à d’autres. Ça c’était une volonté un peu plus générale. Pour autant on avait ni vraiment de maîtrise ou de connaissance de comment faire, ni une volonté d’aller très loin. On s’était dit que si quelques parcs nationaux utilisent l’outil, ce serait déjà un bon point.
Donc on a fait appel à un prestataire avec ce souhait que la solution retenue s’appuie sur des logiciels libres, mais aussi soit un logiciel libre. Le prestataire qui a été retenu est un prestataire toulousain qui s’appelle Makina Corpus, qui est spécialisé dans le développement de logiciels libres, nous a accompagné justement sur toutes les bonnes pratiques qu’on a découvertes petit à petit, brique par brique : comment on construit réellement, on diffuse et on publie un logiciel libre avec toutes les questions de licence, de forge pour diffuser le code source, mais aussi les bonnes pratiques, la documentation, etc. Donc petit à petit on a appris et on s’est approprié un petit peu toutes ces pratiques qu’on découvrait.

Jean-Christophe Becquet : Merci. Question de Fred sur le chat : quelle est la licence libre qui a été choisie pour Geotrek ?

Amandine Sahl : De mémoire c’est une licence BSD [Berkeley Software Distribution License], peut-être que je dis une bêtise.

Camille Monchicourt : Non, c’est ça. On s’est posé beaucoup de questions et, en même temps, on a aussi mis un peu de côté, des fois, ces sujets qui peuvent tourner et retourner sans fin : est-ce qu’on fait les bons choix, les mauvais choix ?, on se pose encore ces questions. Oui, on avait pris une licence la plus ouverte possible sous conseil du prestataire qui disait « on va utiliser des briques qui sont sous cette licence » et aussi pour en avoir un usage le plus large possible. On s’est quelquefois reposé la question, d’autres ont des avis différents. On n’a pas d’avis tranché. Ça pourrait être amené à évoluer pour d’autres projets, des fois on prend la GPL v3 [GNU General Public License]. Là aussi, on a vraiment appris au fur et à mesure, avec parfois des choix un petit peu difficiles à faire et ça, ça en fait partie aussi. Pour l’instant, on est plutôt contents d’avoir une licence la plus ouverte possible, même si c’est de temps en temps rediscuté.

Jean-Christophe Becquet : OK. Merci. Frédéric demande la parole.

Frédéric Couchet : Juste pour préciser sur ces aspects de licences, on consacrera un jour un sujet long sur ces licences libres. Camille a parlé de licence BSD et aussi de GPL ; la licence BSD c’est ce qu’on appelle une licence permissive qui permet effectivement une réutilisation large, y compris ensuite dans les logiciels privateurs, alors que les licences de type GPL, c’est ce qu’on appelle des « gauches d’auteur », c’est-à-dire qu’il y a une obligation de réciprocité. Je vous annonce qu’on fera un sujet long sur ce sujet en 2021 pour entrer dans le détail. C’était juste un point d’intervention rapide.

Camille Monchicourt : OK.

Jean-Christophe Becquet : En tout cas, si je résume ton explication, Camille, il y avait à la fois le souhait, à travers la licence libre, de pouvoir mutualiser, partager des développements sur un logiciel à plusieurs parcs et aussi la volonté de contribuer au commun des logiciels libres dans la mesure où vous en étiez surtout utilisateurs et pas encore contributeurs.
On a dit que Geotrek a presque dix ans, j’ai envie de vous demander quels résultats aujourd’hui ? On en est où avec Geotrek en termes de fonctionnalités du logiciel, de maturité du logiciel et surtout d’adoption ? Camille.

Camille Monchicourt : Finalement la dynamique a pris assez vite et assez fort. Le logiciel est monté en puissance. On a rapidement des parcs régionaux qui se sont aussi appropriés l’outil, qui ont des contextes différents des parcs nationaux, mais aussi pas mal de points communs, ce même intérêt et volonté de valoriser la randonnée et tous les patrimoines de leur territoire, donc certains se le sont approprié et sont rentrés dans l’aventure.
Pour les parcs nationaux en majorité, petit à petit, ont rejoints le projet, certains encore très récemment. Après les pas de temps, les contextes, les calendriers sont différents selon les territoires. Et puis, plus récemment, des départements. Il y a une quinzaine de départements, je crois, une trentaine de parcs régionaux, des communautés de communes, des offices de tourisme, des communautés de la rando, tous les acteurs qui pouvaient être intéressés de près ou de loin à la randonnée se sont retrouvés dans cet outil et sont rentrés dans l’aventure. Donc c’est allé vite, c’est allé fort. Aujourd’hui on est un peu plus de 100 structures à l’utiliser en France, on ne s’attendait pas du tout à ça. C’est passé par des étapes de communication, de valorisation. On allait présenter le projet parce que le publier uniquement n’aurait pas suffi, en tout cas ça a pris bien au-delà de ce qu’on avait imaginé au début. Donc on a dû construire ça aussi, apprendre et réagit au fur et à mesure de la dynamique de l’outil.

Jean-Christophe Becquet : Des parcs naturels régionaux, des parcs nationaux, on comprend bien ce que ces types de structures ont à faire avec un logiciel de gestion des randonnées. Mais peut-être, pour nos auditeurs qui sont moins au fait des compétences des territoires et des collectivités, Amandine, est-ce que tu peux nous dire pourquoi des départements s’intéressent à Geotrek ?

Amandine Sahl : Je pense qu’ils s’intéressent à Geotrek pour deux aspects.
Il y a un, la valorisation puisque le département a aussi une mission de valorisation de son territoire, donc de promouvoir, notamment, les itinéraires de randonnée.
Il y a également une compétence qui est justement la compétence des sentiers qui est dévolue aux départements. Donc ils ont également toute cette problématique de gestion de la signalétique, de répartition entre les différents opérateurs, de faire les droits de passage, donc pour eux il y a aussi un enjeu en termes de gestion de leur ???, enfin des sentiers de leur département.

Jean-Christophe Becquet : OK. Effectivement, la gestion des sentiers et itinéraires fait partie des missions des départements, du coup eux utilisent peut-être plus particulièrement les fonctionnalités liées à l’entretien et à la maintenance du balisage des sentiers ?

Amandine Sahl : Il y a ça, mais l’aspect valorisation est également une mission du département, comme un parc national finalement, avec peut-être pas autant de missions de valorisation comme on l’imagine, parce qu’ils n’ont pas forcément un territoire d’exception, on va dire, comme ça peut être mis en avant sur les parcs nationaux. Mais tout ce qui est lié aux enjeux touristiques est aussi important pour les conseils départementaux.

Camille Monchicourt : Ce qui est assez intéressant c’est que ça faisait pas mal de temps que les départements, finalement, avaient des enjeux et des attentes fortes en termes de gestion, de structuration de tout ce qui concerne les sentiers, puisqu’ils ont une mission assez forte là-dessus, et ils étaient peu ou pas outillés donc ils ont trouvé un peu en Geotrek un outil pour pouvoir mieux gérer tout ce qui concerne la randonnée sur leur territoire et se l’approprier. Souvent, ils l’ont été dans un contexte de collaboration avec les différents échelons qu’il y a dans un département – les communautés de communes, les offices de tourisme – donc ils ont trouvé dans Geotrek une réponse à un besoin ou une attente qu’ils n’arrivaient pas à résoudre. Après, bien sûr, il y a tout le côté humain, organisationnel, structurel, etc., en tout cas on leur a apporté l’outil sans vraiment du tout le vouloir et sans le calculer, donc ils se sont rapidement retrouvés dans cet outil.

Jean-Christophe Becquet : Du coup, en termes d’acteurs, ça doit donner des scénarios intéressants parce que, effectivement, un sentier il peut être à la fois dans un parc naturel, il est en même temps dans un département, du coup des acteurs se retrouvent peut-être à travers Geotrek à collaborer plus, à travailler ensemble ?

Camille Monchicourt : Oui. Souvent c’était des structures qui avaient des données assez éclatées, comme on connaît dans beaucoup de thématiques, des fichiers un peu dans tous les sens, finalement peu d’outil réel de partage avec quand même une dimension forte, parce qu’on peut avoir des outils en ligne, génériques, de différents types, où on va retrouver des informations ; d’ailleurs on va aussi vraiment sur le côté métier, etc. Ça leur a permis de poser, déjà de remettre à plat leurs données, de commencer à pouvoir s’ouvrir à d’autres, aller échanger et collaborer avec une connaissance un peu plus fine et une structuration de leurs données plus opérationnelle.
Donc oui, ça a créé de belles collaborations au niveau de pas mal de territoires. C’est aussi ça qui est assez riche et encourageant dans ce projet parce que c’est un outil mais c’est aussi tout ce qui se décline derrière, toutes les dynamiques, tous les projets que ça entraîne qui est presque aussi riche, voire encore plus motivant à continuer dans ce sens.

Jean-Christophe Becquet : Je trouve ça très intéressant parce que, effectivement, c’est un projet qui démarre avec trois parcs, qui ont au départ un besoin commun, qui décident de le mutualiser, qui ont l’idée de le faire sous licence libre et, tu l’as dit, aujourd’hui plus d’une centaine d’utilisateurs. Ça me fait penser à un autre logiciel, la suite de logiciels métiers openMairie pour les collectivités, qui est née dans la petite mairie d’Arles en région PACA et puis qui est aujourd’hui utilisée par plusieurs centaines de mairies partout en France et même ailleurs en Europe, qui a été traduite dans cinq langues de la Communauté européenne. Effectivement, ça fait partie des effets quand on développe sous licence libre, le projet peut rallier des contributeurs et prendre de l’ampleur.
Peut-être, avant de prendre une petite pause musicale, le résultat est impressionnant mais ça ne s’est sans doute pas fait sans difficultés. Du coup, j’ai envie de vous demander quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées pour faire aboutir ce logiciel Geotrek ? Amandine, peut-être, des difficultés qui sont qui t’ont frappée pendant le développement de ce logiciel, pendant ces années à participer à cette communauté ?

Amandine Sahl : Je n’étais pas du tout là à la genèse du projet. Je suis arrivée après, justement en voulant rajouter des fonctionnalités, en voulant réadapter l’outil à notre situation locale, etc. Je pense qu’une des plus grandes « difficultés », entre guillemets, justement dans ce contexte-là et en plus de marché public où on est tous des structures assez éclatées, avec des petites enveloppes, c’est justement de garder cette cohérence et de ne pas qu’un besoin spécifique prenne le pas sur l’architecture. Je pense que la difficulté principale, pour moi, est là, c’est vraiment réussir tout le temps à généraliser le besoin et à dire « ce besoin c’est mon besoin, mais il peut servir à d’autres et comment est-ce que je vais le traduire pour, justement, qu’il puisse servir à d’autres et pas qu’il soit uniquement dévolu à ma situation personnelle. »

Jean-Christophe Becquet : Effectivement. Donc une difficulté de gouvernance et de pilotage, en fait, des évolutions du logiciel. Camille, sur les difficultés.

Amandine Sahl : Je veux juste dire que je pose ça comme étant une difficulté, mais, en même temps, je pense que c’est aussi un exercice qui est très intéressant et très enrichissant. Ce n’est pas du tout négatif, bien au contraire, comme difficulté.

Jean-Christophe Becquet : Oui, tout à fait. Ça permet, en fait, de monter en qualité sur le logiciel, ça demande un effort, mais, à la fin, ça fait un logiciel qui est meilleur, parce que, en quelque sorte, il est le plus petit commun dénominateur entre les besoins de tous les acteurs qu’il a rassemblés.
Camille, sur les difficultés pendant ces presque dix années de développement de Geotrek ?

Camille Monchicourt : Il y a cet élément assez central qu’a évoqué Amandine, tout cet équilibre, pouvoir bénéficier d’un logiciel que d’autres ont fait, sans le dénaturer mais en même temps l’enrichir parce qu’il ne faut pas non plus que ça reste sous une cloche ; il ne faut pas non plus tomber dans des systèmes de gouvernance trop centralisés où, à chaque fois qu’on veut rajouter un bouton il faut faire 15 comités ; garder quand même une certaine dynamique et que les structures puissent s’en emparer et avoir une dynamique qui leur est propre. Cet équilibre est toujours assez fin, mais il est très intéressant parce qu’il nécessite des mécanismes d’animation de la définition des besoins, de réflexion technique, donc le ou les prestataires ont aussi leur rôle à jouer là-dedans. Nous, en tant qu’animateurs plus de la communauté des utilisateurs, on essaye aussi de faire du lien entre les différents projets, leurs besoins, sans non plus vouloir centraliser tous les processus de décision pour rester ???.
Donc il y a cet équilibre qui est assez fin, mais c’est aussi assez riche, finalement, de se confronter à d’autres contextes, d’autres visions et des fois ça apporte des réponses à des choses qu’on pouvait ne pas voir ou voir différemment. Donc c’est vraiment un équilibre riche mais assez fin à avoir.
Après, dans les autres difficultés qu’on a pu avoir, c’est que cette démarche est très volontaire. On a fait de manière empirique, c’est un point, mais aussi, souvent, avec un engagement assez fort. Ce n’est pas toujours évident, au départ, de convaincre les décideurs, de convaincre les partenaires, parce que, quand on a commencé, le logiciel libre n’avait pas forcément la bonne image qu’il a aujourd’hui. Au début on était assez suspicieux par rapport à notre projet, voire un peu septiques dans les différents réseaux. Heureusement ça a pris et ça a fait ses preuves, maintenant c’est plutôt l’inverse, et tant mieux !, mais au début ça a été un peu difficile d’avoir de la crédibilité.
Après c’est maintenir la dynamique, garder une certaine généralité, comme l’a évoqué Amandine, même si on enrichit en permanence l’outil.
Et le fait que nos financements et nos projets soient assez éclatés c’est riche et dynamique, mais du coup c’est assez dispersé. Donc faire du lien entre tout ça mais aussi se poser à certains moments pour arriver à remettre à plat des aspects plus techniques, plus complexes ; faire de la maintenance technique a été un élément complexe. Le projet grossissant, on a réussi maintenant à un peu mieux grouper les financements et arriver à lever des sommes un peu plus conséquentes pour pouvoir faire de la maintenance un peu plus opérationnelle. D’ailleurs les entreprises privées ont dû aussi investir à leur tout, parce que nous, en tant qu’établissement public, on n’avait pas toujours la capacité ou la volonté, un peu des deux, à financer des trucs de maintenance technique moins sexy que les nouvelles que des nouvelles fonctionnalités.

Jean-Christophe Becquet : Voilà. Comment on assure la pérennité et l’évolution de ce logiciel, quels sont les ingrédients secrets d’animation de la communauté, ce sont les questions que je vous poserai après la pause musicale. À tout de suite.

Frédéric Couchet : Nous allons effectivement faire une pause musicale.
Tout à l’heure je vous disais qu’en 2021 nous allions consacrer une émission aux licences libres, en fait on en déjà fait une, j’ai un petit peu oublié, mais on n’était pas vraiment rentré dans tous les détails. Vous pouvez écouter le podcast, c’est l’émission du 7 mai 2019, l’émission 24, sur causecommune.fm ou sur april.org. Nous allons faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Nous allons écouter Ghibli Wave par Blue Navi. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Ghibli Wave par Blue Navi.

Voix off :

Deuxième partie

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Ghibli Wave par Blue Navi, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By SA.

Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 et en DAB+ en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm.

Nous allons poursuivre notre sujet long avec nos invités du jour. Le sujet long porte sur Gerotrek, logiciel libre pour gérer et valoriser sentiers et activités touristiques. Nos invités, Camille Monchicourt, responsable du pôle système d'informations au Parc national des Écrins et animateur du projet Geotrek, Amandine Sahl, administratrice du système d'informations du Parc national des Cévennes, et Jean-Christophe Becquet vice-président de l'April qui anime l’échange. Je vous repasse la parole. Je vais préciser, parce que je crois qu’on ne l’a pas encore dit, que le site de Geotrek c’est geotrek.fr. Jean-Christophe c’est à toi.

Jean-Christophe Becquet : Merci. On a parlé de la naissance de Geotrek au début des années 2010, du choix de l’adoption d’une licence libre, la licence BSD, et l’adoption aujourd’hui, dix ans après, de ce logiciel par plus d’une centaine de structures, parcs nationaux, régionaux, départements, etc. Avant la pause on a commencé à parler des difficultés qui se posent lorsqu’on développe un tel logiciel, notamment faire travailler ensemble une telle diversité d’acteurs. Du coup j’ai envie de vous demander, Camille, Amandine, quels sont les ingrédients secrets pour animer une communauté autour d’un logiciel qui rassemble plus d’une centaine d’acteurs aussi divers que ceux qui ont été cités ? Qu’est-ce qu’il faut faire ? Qu’est-ce que vous avez mis en place et qui fonctionne pour faire vivre ce logiciel ? Camille.

Camille Monchicourt : Je pense qu’il y a des éléments un peu fondamentaux qui ont été mis en place dès l’origine, c’est-à-dire qu’on était deux parcs nationaux au départ, mais on n’était pas 10, ni 20, ni 50, et le fait qu’on soit deux ça nous a obligé, déjà dès le début, à penser nos petits besoins spécifiques du parc des Écrins ou du Mercantour de manière un peu générique, de se confronter à un autre contexte, mais sans rentrer non plus dans des systèmes où on doit se mettre à 20 autour d’une table et discuter ???. Donc c’était finalement assez opérationnel parce qu’on n’était que deux, mais on n’était pas tout seul et, du coup, ça nous a obligé à prendre du recul. Du coup, le fait que a fonctionne pour deux, finalement on se rend compte que ça fonctionne pour 100 aujourd’hui. Ça a pu être généralisé à d’autres structures. C’est quelque chose qu’on a essayé de reproduire après, même quand le projet grandissait : à chaque fois qu’on a des besoins, éviter de les faire tout seul dans son coin, dans son tunnel, mais sans rentrer non plus dans des processus où se met à 50 autour d’une table, on décide de tout, on a des gros processus de décision centralisés.
Donc ce modèle décentralisé avec des petits groupes qui avancent sur un sujet, qui informent beaucoup le collectif. On n’est pas dans des gros processus de décision, par contre beaucoup d’information, je pense que c’est vraiment la clef du projet. On en serait resté juste là si on avait fait notre truc et qu’on l’avait déposé sur une forge, au-delà de la question de la licence, de la forge, quelle forge, etc., qui sont des débats intéressants, mais c’est aussi tout ce qu’il y a autour qui a vraiment fait qu’on est passé à l’étape suivante, c’est-à-dire aller voir les gens, faire un site internet, aller dans des rencontres avec les différents acteurs liés à la rando pour présenter le projet. Ça a été des éléments bien plus importants, je pense, que le simple fait de le mettre sur une forge et de mettre une licence, même si c’était aussi des éléments importants.
Faire des petits groupes, valoriser, animer et toujours partir du besoin des petits collectifs qui rendent compte au collectif, qui sont libres d’avancer, mais qui n’ont pas non plus une lourdeur décisionnelle trop forte.

Jean-Christophe Becquet : Merci Camille. Juste une précision de vocabulaire. Une forge c’est, en fait, un endroit en général sur un serveur, ça ressemble un peu à un site, c’est un endroit où on dépose le code source du logiciel et qui fournit tout un tas d’outils pour collaborer, pour contribuer autour du développement du logiciel, comme la possibilité d’aller modifier le code, signaler des bugs ou proposer des nouvelles fonctionnalités.
Du coup, tu as parlé de cet aspect essentiel de la communication entre les acteurs au sein du projet. D’une manière très concrète et pratique, quels sont les outils de communication que vous utilisez dans la communauté Geotrek ? Listes de diffusion, wikis ? Camille.

Camille Monchicourt : C’est parti d’outils plutôt techniques, les dépôts GitHub en l’occurrence pour avoir accès à la documentation, pour échanger, remonter des bugs ou discuter de fonctionnalités, donc plutôt avec les personnes les plus impliquées techniquement. On s’est rendu compte qu’il fallait aussi élargir, donc avoir une liste de diffusion plus générale pour des acteurs au sens large qui ne sont pas que techniques et impliquer aussi toutes les personnes plus liées à la thématique de la randonnée et des sentiers, etc.
Et puis rapidement, en fait, on a voulu se rencontrer physiquement, parce que nous on était un peu un nœud central, les gens passaient beaucoup par nous et on a voulu qu’on se connaisse plus généralement. Donc on a organisé, à partir de 2016, des rencontres et ça c’est un outil très demandé qui a vraiment permis de passer à la vitesse supérieure et de vraiment donner un élément fondateur à cette communauté qui n’était que virtuelle, beaucoup passant par nous ou le prestataire. Du coup, le fait de se rencontrer ça a vraiment assis le projet, ça l’a pérennisé, ça a permis aux gens de se connaître, d’échanger. Donc ce côté humain en rencontre a été essentiel, il est très demandé. C’est des fois un peu lourd à organiser chaque année, donc des fois c’est tous les deux ans, mais en tout cas c’est essentiel, les gens y sont attachés.
Après des petits groupes de travail. Un comité de pilotage mais qui reste assez consultatif, participatif, qui ne se veut pas centralisateur ni décideur, mais qui est plutôt là pour suivre un peu le projet dans les grandes lignes, organiser les rencontres, faire de l’information. Mais surtout beaucoup de petits groupes de travail, par projet, par thématique, selon les contextes qui se font et qui se défont au rythme des projets qui collaborent et qui font beaucoup d’information au collectif.

Jean-Christophe Becquet : Si je peux juste apporter un rapide témoignage. J’ai eu la chance d’intervenir dans une des rencontres Geotrek. J’avais été frappé, effectivement, sur le temps d’une journée, par l’énergie, la dynamique et la convivialité des participants. Il y avait quasiment une centaine de personnes réunies autour de Geotrek avec des minis présentations, ensuite des ateliers plus pointus sur des questions techniques ou thématiques autour du logiciel. C’était vraiment impressionnant et d’ailleurs c’est quelque chose qu’on pratique beaucoup dans le monde du logiciel libre. Pendant de nombreuses années, ont eu lieu chaque année les Rencontres Mondiales du Logiciel Libre, un évènement pendant lequel on se retrouvait pendant une semaine sur un campus pour discuter de logiciel libre, présenter les dernières évolutions et échanger, partager. Je pense vraiment que c’est effectivement un aspect très important dans le développement d’un logiciel libre.
Du coup, si on se projette un petit peu dans l’avenir, Amandine, selon toi, les prochains défis pour Geotrek, les prochains pas ?

Amandine Sahl : Actuellement, il faut savoir qu’on a lancé un gros marché pour bien faire évoluer le logiciel. C’est déjà le pas en cours qu’il faut qu’on fasse. Après, effectivement, je pense que le plus important c’est cet aspect communauté, relationnel, mettre en cohérence les gens pour qu’ils discutent de leurs besoins et que les choses se fassent spontanément pour, je dirais, décentraliser au maximum l’organisation.

Jean-Christophe Becquet : Camille, ta vision sur les trois prochaines années pour Geotrek ?

Amandine Sahl : Ce n’est pas moins important, mais justement aussi, en termes d’échange de données entre Geotrek. Pour l’instant les Geotrek sont très figés, on va dire qu’ils sont isolés, et on a commencé à réfléchir à mettre en place des passerelles, etc. Donc il y a eu le cas, c’était ??? 05. Du coup je pense que ça c’est aussi un gros pas en avant à faire de permettre plus facilement les échanges de données, justement pour les problèmes de, comment dire, structures qui peuvent être sur des territoires qui se chevauchent.

Jean-Christophe Becquet : Excellent. Ça va me permettre d’introduire la prochaine question. Juste avant, Camille, tu souhaites ajouter quelque chose sur les prochains défis à relever pour Geotrek ?

Camille Monchicourt : Oui, C’est vrai que c’est un projet qui est très décentralisé, on s’appuie beaucoup sur les dynamiques des uns et des autres et c’est la force, mais, du coup, comme disait Amandine, on a des enjeux de mieux de partager les données entre nous aussi, des fois de centraliser à nouveau les données. On a déjà différents outils et moyens de diffuser les données vers d’autres outils ou d’aller se connecter à d’autres outils. C’est quelque chose qu’on veut améliorer et renforcer.
Après, je dirais qu’on est passé par plusieurs étapes. Au départ, comme je disais, pas mal de scepticisme, « c’est quoi ce projet un peu utopique ? Ça ne marchera pas ! ». Après ça a pris, donc les gens ont commencé à regarder ça avec un peu plus d’intérêt, mais il y avait quand mal de questions sur la gouvernance, le fait que ça ne soit pas centralisé, c’était quoi les comités. Beaucoup d’interrogations sur ce truc qui est un petit peu mouvant, un peu incontrôlé, incontrôlable, et puis, finalement, cette gouvernance qui reste présente mais assez ouverte et collaborative a fait ses preuves, elle s’inscrit dans le temps. On a réussi, malgré tout, à consolider, des fois à grouper nos financements, etc., donc ça, ça fait ses forces et ça fait ses preuves petit à petit. Donc il y a beaucoup moins d’interrogations, de scepticisme, la confiance est beaucoup plus forte, c’est bien !, du fait du projet, mais aussi un peu de l’image des logiciels libres qui s’est améliorée ; malgré tout ça reste quelque chose à consolider, il faut toujours mettre beaucoup d’énergie pour trouver des moyens, des ressources qui ne sont jamais trop prévues dans les projets. Nos structures ne sont pas non plus très familières avec ce mode de fonctionnement. On a peu ou pas de ressources vraiment dédiées à ça. Voilà, on est toujours quand même dans cette énergie pour pérenniser et garantir que ce fonctionnement va continuer, parce que ce n’est pas un fonctionnement qui est bien ancré dans nos fonctionnements de base et la collaboration entre les structures, qu’elles soient publiques ou privées, dans notre cas publique, est beaucoup évoquée, mais, finalement, elle n’est pas si évidente que ça. Ça nécessite pas mal d’engagement et d’énergie qu’il faut maintenir et je pense, trouver des solutions pour demain pour mieux pérenniser le modèle de fonctionnement et de collaboration mais aussi des aspects plus techniques de maintenance ; vraiment pérenniser le projet sur ses contours techniques et aussi organisationnels.

Jean-Christophe Becquet : Effectivement. En tout cas, j’espère que cette émission contribuera à faire connaître votre démarche de développement de logiciel libre. J’ai mis dans les références de la page de l’émission également le lien vers une vidéo, un enregistrement, une présentation que tu as faite, Camille, dans le cadre des ateliers Blue Hats avec Bastien Guerry, donc plutôt à destination d’acteurs de l’administration et des collectivités, dans laquelle tu expliques de manière assez détaillée cette démarche de développement de logiciel libre et d’animation de la communauté.
Amandine m’a tendu la perche tout à l’heure en parlant de l’ouverture des Geotrek pour leur permettre de communiquer entre eux. Une question qui brûle les lèvres des auditeurs sur le chat, c’est la question des contenus de partage Geotrek, donc itinéraires de randonnée, on pense à la ??? et aux débats qu’il a pu y avoir à la Fédération française de la randonnée pédestre et la communauté OpenStreetMap sur les droits sur les sentiers et les itinéraires. Deux mots là-dessus Camille ?

Camille Monchicourt : C’est un logiciel libre, donc on le partage entre nous. Après, chacun le décline un peu comme il veut, comme il peut, avec ses contextes, ses enjeux. On ne met de contrainte ni d’obligation à faire quoi que ce soit. Après nous, au-delà du côté logiciel libre, on essaye d’avancer aussi sur la question des données. Finalement, c’est même presque aussi ce qui nous intéresse le plus au-delà du logiciel. On essaye que tout ça soit au service de la donnée, déjà qu’un outil permette de mieux la structurer, ensuite de mieux la diffuser, de la partager et potentiellement de l’ouvrir. Nous sommes assez engagés et convaincus par tout ça. On fait en sorte que l’outil le facilite, le permette. On fait aussi pas mal de communication, d’échanges où on montre ce que ça permet et plutôt les aspects positifs, donc on échange et à chaque rencontre Geotrek c’est d’ailleurs souvent un sujet qui est évoqué.
Après chacun avance à son rythme, avec son contexte, avec ses enjeux, qui sont parfois économiques. On a la chance de ne pas avoir d’enjeux économiques forts autour des données, donc c’est plus simple pour nous. Ça fait partie des échanges et nous on est là pour faciliter les choses. Après, libre à chacun de s’en emparer dans son contexte avec son pas de temps et son calendrier. En tout cas ça avance, pour la ??? plus particulièrement, ça nous a permis de mieux collaborer sur les contenus, les échanges au niveau de nos territoires, en tout cas de poser aussi les choses sur la table et d’avoir des contenus, encore une fois, mieux structurés et prêts à être partagés. Ensuite, les aspects politiques appartiennent à chacun. En tout cas, nous on fait en sorte que ça soit le plus simple possible, le plus encouragé possible. On fait aussi de la pédagogie en ce sens. Après tout le monde avance à son rythme.

Jean-Christophe Becquet : Effectivement. En tout cas, je pense que le fait que l’outil soit facilitateur pour ouvrir les données, c’est une contribution réelle à l’évolution des structures vers l’open data. L’obstacle technique est souvent un des premiers qui est invoqué par les collectivités, par les administrations pour ne pas ouvrir les données, c’est de dire que ça prend du temps, ça demande du travail. Je me souviens de rencontres autour de l’open data où on disait si, dans le logiciel, il y a un bouton open data qui permet, en quelques clics, d’exporter les données dans un format ouvert et de les mettre à disposition sur un portail open data, c’est déjà un premier pas, en tout cas c’est un frein qui est levé.

Camille Monchicourt : Il y a en effet des questions techniques et politiques, toujours, autour de ça. Nous on essaye de lever les questions techniques, faire de la pédagogie, de la sensibilisation.

Jean-Christophe Becquet : Absolument. Je pense que le sujet avance en partie grâce à vous. J’ai eu plusieurs fois l’occasion de saluer à quel point le Parc national des Écrins a été exemplaire dans sa démarche dopen data puisque vous avez publié plusieurs jeux de données majeurs sur les sentiers et itinéraires, mais aussi sur une autre application, un autre logiciel que vous développez, Camille, qui est GeoNature qui est un logiciel d’observation faunistique et floristique. Le Parc des Écrins avait publié un énorme jeu de données de 800 000 observations naturalistes. Du coup, effectivement, c’est en donnant l’exemple comme cela qu’on peut faire bouger les lignes, je pense.

Camille Monchicourt : C’est ça. Ça permet de démystifier les choses et, par des cas concrets, on essaye à notre niveau. On s’est rendu compte que quand on fait quelque chose, si ça marche, finalement ça permet de diaboliser, de démystifier et ça inspire ou pas, en tout cas c’est cette démarche qu’on essaye d’avoir.

Jean-Christophe Becquet : Merci.
Une dernière question de Christian sur le chat : puisque vous étés convaincus par les outils libres, pensez-vous reproduire la démarche en adoptant des outils libres comme support de développement. On a parlé de GitHub, les réseaux sociaux alternatifs, le fait de déposer le code, de basculer le code de Geotrek sur une forge libre. Est-ce que ça fait partie des évolutions qui sont envisagées ? Camille.

Camille Monchicourt : On s’est posé des questions aussi à ce niveau. Après, il y a le pragmatisme et aussi l’historique qui jouent des fois.

Jean-Christophe Becquet : Absolument.

Camille Monchicourt : On a pris nos habitudes, etc., sur GitHub, alors quand Microsoft est arrivé, on s’est tous posé des grandes questions, on en a pas mal discuté. On n’a pas réglé tous les sujets, celui-là en fait partie. On a aussi des outils de communication, on a essayé de privilégier des outils ouverts, mais on n’est pas parfaits. GitHub on ne sait pas. On a évoqué le sujet, mais ça nécessite aussi d’ouvrir des chantiers qu’on n’a pas ouverts aussi par manque de temps et de priorité. Ça fait partie des interrogations qu’on a mais qu’on n’a pas priorisées pour l’instant.

Jean-Christophe Becquet : OK. Merci. On approche de la fin du temps imparti. Amandine, quelques mots de conclusion, des choses sur lesquelles tu souhaiterais insister sur Geotrek ?

Amandine Sahl : C’est très bien. C’est une belle expérience. Après, malgré tout, je tiens quand même à signaler le rôle de Camille là-dedans, c’est quelqu’un qui est très réactif. Effectivement, avoir un animateur et quelqu’un qui est très impliqué dans l’animation, je pense que c’est fondamental et je pense que la réussite de Geotrek est particulièrement liée à ça. C’est quelque chose qu’on n’a pas du tout abordé, les aspects humains. Il ne faut pas le négliger ça.

Jean-Christophe Becquet : Merci. Bravo à tous les deux. Camille, il nous reste 30 secondes. Est-ce que tu souhaiterais ajouter quelque chose ?

Camille Monchicourt : Effectivement. C’est une démarche qui a été assez empirique, avec pas mal de scepticisme au début. On a eu une démarche, on a essayé d’être ouverts, de donner de la place aux différents acteurs. On voit que les gens sont en attente de tout ça, s’y retrouvent et, à chaque fois, les retours qu’on a des utilisateurs ou des structures c’est que ça fait du bien de voir un projet comme ça, apolitique, où on peut arriver avec son contexte, trouver une place et pouvoir échanger sur plein d’aspects. Donc ça fait vraiment du bien de voir ça.
Les questions qu’on se pose c’est comment passer à la vitesse supérieure. Toi tu es engagé là-dedans, tu as parlé de Bastien. On essaye d’avancer, mais on voit qu’il va falloir passer la vitesse supérieure si on veut monter une vraie marche.
On voit que la mutualisation avec un outil comme ça – on a 100 structures qui partagent un outil qui vaut plusieurs centaines de milliers d’euros – est conséquente. On pense à la bonne utilisation des fonds publics ; on nous a souvent salué que c’était un exemple vraiment réussi en ce sens. Maintenant, comment on confirme tout ça et on passe à la vitesse supérieure, je pense que c’est notre enjeu mais ça passe aussi par des moyens. Comme l’évoquait Amandine, on a fait l’animation de un peu manière volontaire, mais nos structures sont peu ou mal taillées pour ça. Donc c’est un de nos enjeux, je pense, pour passer à l’étape suivante.

Jean-Christophe Becquet : En tout c’est tout le meilleur que je vous souhaite, plein de dynamiques autour de Geotrek, une meilleure prise en compte par vos structures respectives de ce travail énorme que constitue l’animation d’une communauté de développement de logiciels libres. En tout cas continuez à être pionniers, à être exemplaires dans vos démarches, à essaimer Geotrek un petit peu partout et puis peut-être qu’on se reparlera dans quelques mois autour de GeoNature, autre logiciel libre dont tu t’occupes également Camille.
Encore un grand merci à tous les deux d’avoir répondu à notre invitation. Je crois qu’on va devoir rendre l’antenne pour la prochaine pause musicale.

Camille Monchicourt : Merci pour l’invitation et au plaisir d’une prochaine fois.

Amandine Sahl : Merci.

Frédéric Couchet : Merci. C’était Camille Monchicourt, responsable du pôle système d'informations au Parc national des Écrins, animateur du projet Geotrek, Amandine Sahl, administratrice du système d'informations du Parc national des Cévennes, et Jean-Christophe Becquet vice-président de l'April. On parlait de Geotrek, suite logicielle libre pour gérer et valoriser sentiers et activités touristiques. Je rappelle le site web, geotrek.fr, et on se donne rendez-vous en 2021 quand vous serez passés à la vitesse supérieure pour nous faire un point d’étape. Je vous souhaite une belle fin de journée.

Effectivement, nous allons faire une pause musicale.

[Virgule sonore]

Frédéric Couchet : Juste avant la pause musicale, Amandine parlait du rôle important des animateurs. Je précise au sujet de question posée par Christian, Christian est l’animateur de notre Chapril, contribution aux services libres, loyaux et éthiques que vous pouvez retrouver sur chapril.otrg avec de nouveaux services. Effectivement, le rôle de l’animateur est absolument essentiel.

La pause musicale. Nous allons écouter Purely Grey Extra Groovy Remix par Blue Navi. On se retrouve juste après. Une belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Purely Grey Extra Groovy Remix par Blue Navi.

Voix off :

Frédéric Couchet : Nous avons écouté partiellement Purely Grey Extra Groovy Remix par Blue Navi. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org et sur le site de la radio causesommune.fm, musique sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By SA.
Nous allons passer au sujet suivant.

[Virgule musicale]

Chronique « Que libérer d'autre que du logiciel » avec Antanak sur le thème « libérer aussi des pratiques »

Frédéric Couchet : « Que libérer d'autre que du logiciel », c’est la chronique d’Antanak. Isabelle Carrère et d’autres personnes actives de l’association Antanak se proposent de partager des situations très concrètes et/ou des pensées de mise en acte et en pratique au sein du collectif — reconditionnement, baisse des déchets, l’entraide sur les logiciels libres, l’appropriation du numérique par tous et toutes.
La chronique du jour par Isabelle sera sur le thème « libérer aussi des pratiques ».
Isabelle, nous t’écoutons.

Isabelle Carrère : Bonjour Fred. Bonjour à tout le monde.

Frédéric Couchet : Bonjour.

Isabelle Carrère : Merci. J’avais pensé parler, en ce second mardi de décembre, de nos essais à Antanak de libérer des pratiques en effet. Je pensais aborder la question des liens et des relations entre des structures qui font du reconditionnement. En fait, je vous en parlerai de ça une prochaine fois et comme ça, ça aura avancé encore un peu plus.
En fait, je voulais faire le lien avec la dernière émission, la numéro 82 de Libre à vous ! du 10 novembre, au cours de laquelle on avait entendu Chloé, Laïla et Sonia qui avaient évoqué des pratiques de femmes dans l’informatique et aussi des actions de formation qui sont initiées et soutenues par des collectifs ou des associations. J’ai surtout eu envie de parler de ça parce que, quand j’ai vu les réactions de personnes sur ces questions, je me suis dit qu’il fallait plutôt que j’aborde ça là, maintenant, d’autant plus, et vous allez voir, ça fait aussi un lien avec des problématiques qu’on a au sein d’Antanak.
En effet, j’ai lu ici ou là que plusieurs personnes n’étaient pas très d’accord avec la nécessité de former des groupes non mixtes pour que des femmes ensemble se lancent dans des sujets ou dans des choses qui ne leur ont pas été données de s’approprier dans l’éducation, la culture ou même la formation. Il y a même des personnes qui se sont dites choquées par cela, par ce besoin de non mixité. C’est d’ailleurs très fréquent quel que soit le sujet, informatique ou autre chose, ce rejet des groupes non mixtes, sans doute parce que ça doit résonner comme rétrograde ou bien excluant tout simplement, parce qu’on peut y voir aussi un empêchement pour certains.

Je voulais en parler parce que, au-delà de ce que ça implique de la fermeture à ce que les gens invités dans Libre à vous ! ont évoqué et très bien expliqué, ça signifie aussi une autre nature de fermeture d’esprit. En fait, comment peut-on imaginer que des filles, des femmes, des personnes qui ont été sommées de se comporter comme telles, d’aimer ce qui est attendu qu’elles aiment, de faire ce qui est convenu qu’elles fassent, pourraient se lancer du jour au lendemain, toute seule chacune, dans d’autres approches ?
En fait, quand on continue dans l’éducation, à l’école ou dans les maisons, dans les structures familiales ou ailleurs, de demander à des filles d’être plutôt sur le champ du soin, du bien-être, familial ou autre, de l’attention aux autres et surtout d’être utiles aux autres, notamment aux hommes, quand on met encore sur un piédestal, parfois, les questions relatives aux choses naturelles, la fragilité ou la faiblesse émotionnelle ou, etc., bref !, comment est-ce que des femmes pourraient aller vers la technique aussi simplement ? D’ailleurs les chiffres sont là, malheureusement, les statistiques indiquent qu’actuellement encore, en Occident, en 2020, on a bien un état des lieux ancré dans les mentalités, on avait vu l’autre fois la figure du geek qui se décline très souvent surtout au masculin.
Je ne vais pas refaire ici l’histoire des femmes et de l’informatique. On sait dans les débuts de ces sciences il y avait beaucoup de femmes, sans doute trop, et qu’on les en a délogées. Les besoins en personnel informatique étaient croissants, les salaires étaient élevés. Il a été considéré qu’il était anormal que des codeuses à l’époque, je parle des années 1960, aient une rémunération aussi confortable et qu’il était peu concevable qu’elles encadrent des équipes mixtes. Du coup on a bloqué la carrière de femmes programmeuses qui étaient tout à fait compétentes, expérimentées et motivées. Les nouveaux recrutements vont conduire, après, à masculiniser beaucoup la profession.
Du coup, l’importance du logiciel dans les esprits et dans le développement de la société a poussé à masculiniser les profils et on s’est mis à créer des postes et des emplois d’ingénieurs, au masculin !
En fait on voit que souvent, pas toujours mais souvent, quand des groupes mixtes sont sur des champs techniques, il y a comme une espèce empêchement de faire ou une suprématie, de fait, des esprits dits masculins. Oser démonter des ordinateurs, trouver des astuces, aller vite dans des réflexes acquis alors que plusieurs autres formes et formats d’apprentissage sont possibles.
La démasculinisation des pratiques dans le reconditionnement n’est donc pas encore aboutie. Il y a eu d’autres tentatives, là aussi on appelle ça de l’inclusion, ça a été mené depuis les années 1980, mais ce n’est pas un succès global. On voit bien qu’il y a encore, si mes chiffres sont bons, à peu près 30 % des personnes qui sont employées dans le secteur du numérique qui sont des femmes.

J’en veux pas pour preuve mais en tout cas pour exemple, la propre difficulté à Antanak. En fait, la grande majorité des personnes du noyau – ce qu’on appelle le noyau ce sont les membres actifs de l’association – et surtout sur le champ de la réparation, du reconditionnement, de l’installation des postes avec des systèmes GNU/Linux, eh bien cette grande majorité là est masculine. Je ne parle même pas des personnes qui viennent et qui demandent un ordinateur, majoritairement, souvent, pour des fils, alors qu’il y a derrière une ou plusieurs filles qui regardent en attendant, en se disant que peut-être, elles aussi, elles vont pouvoir avoir un ordinateur, bon ! Les personnes qui viennent pour apprendre et devenir des acteurs bénévoles pour mettre à disposition des ordinateurs sont majoritairement des hommes. Les jeunes volontaires du service civique qui viennent vers nous sont aussi des jeunes garçons.
Donc la représentation qui est faite, même chez nous à Antanak, du coup, visiblement, n’est pas attractive pour des femmes. Alors qu’est-ce qui se passe ? Quelle serait une vision féministe de l’informatique et ici du travail de reconditionnement d’installation et de diffusion concrète du Libre ?
Est-ce qu’on ne démontre pas, y compris chez Antanak, l’absence de compétition dans le modèle ? Est-ce qu’on ne dit pas assez que tout ce qu’on fait à Antanak, en fait, rien n’est inaccessible à quiconque ? Je me pose cette question.

On a cette expérience, on a organisé à Antanak des formations, on les a appelées les chemins numériques. C’est sur quatre semaines et la première semaine est consacrée au démontage d’une tour, d’une unité centrale. Ces formations sont destinées à des groupes de femmes. La moitié d’entre elles, quand elles arrivent, n’ont pas encore tenu un tournevis entre leurs mains. La perspective de démonter, le fait qu’on leur demande ça, ça les intrigue, mais, en fait, ça les intéresse, bien évidemment. Quand elles s’y mettent elles le font ensemble avec beaucoup d’entraide, d’attention les unes aux autres, et elles sont évidemment hyper-fières et elles arrivent généralement bien à tout comprendre et à remonter l’ordinateur pour que tout fonctionne très normalement.
Mais à priori, si on leur pose la question, elles ne s’en pensent pas capables et au début elles disent « non, non, ce n’est pas pour moi, non je ne saurai jamais faire ça ». Et je dois dire que je continue à ne pas comprendre pourquoi.
Ceci dit il semble, d’après une étude de la Commission européenne, que les femmes ont une vision moins positive des effets et des conséquences du numérique dans la société que les hommes. Peut-être que ça a une incidence sur leurs choix d’activités à privilégier, que ce soit des activités professionnelles ou des activités non rémunérées, bénévoles.

Une majorité de femmes a bien accès, désormais, au numérique, à l’utilisation d’ordinateurs, mais juste comme utilisatrices. La réparation, l’installation, l’entretien, la maintenance, semblent rester des activités masculines ou encore comme réservées aux hommes. J’espère qu’on va arriver à changer cela, changer les visions, mais ça ne se fait pas en un jour, visiblement, ni même en six ans, l’âge d’Antanak.

Il y a beaucoup de femmes qui viennent dans la salle où on met à disposition des ordinateurs, ça c’est sûr, beaucoup de femmes auxquelles nous donnons du matériel, ça oui, et d’autres qui viennent pour d’autres activités de l’association. Il y a des femmes qui sont dans le projet des chroniques numériques, qui sont des petits films qu’on fait sur les rapports au numérique, oui, il y a des femmes dans les formations qu’elles dispensent sur l’un ou l’autre des logiciels, mais nous ne sommes que trois femmes à régulièrement réparer, démonter, installer alors qu’il y a plus de dix hommes.
Si quelqu’un, quelqu’une a une idée à nous soumettre pour contribuer à changer ça on sera vraiment ravies. Une personne m’a proposé l’autre jour m’a proposé de lancer une journée non mixte dans l’association, d’ouvrir une journée au cours de laquelle seules des femmes viendraient pour contribuer au reconditionnement. Je ne sais pas si c’est une bonne idée ! Une autre, en entendant cette proposition, m’a dit : « Oh là, là, tu vas te retrouver toute seule ! ». C’est à tenter. En tout cas si on veut libérer aussi les pratiques autour du numérique et de l’informatique, il faut sans doute qu’on trouve des choses un peu mieux là-dessus au sein d’Antanak. Voilà.

Frédéric Couchet : Merci Isabelle pour cette chronique. Je vais préciser que quand tu faisais référence aux années 70, je suppose que tu faisais référence aux études notamment d’Isabelle Collet qui est un peu la spécialiste sur le sujet de la place des femmes dans l’informatique.

Isabelle Carrère : Exact.

Frédéric Couchet : Je vais rappeler qu’il y a le numéro national Violences Femmes info, le 3919. Il ne faut pas hésiter à appeler, surtout en ce moment de confinement ou non confinement, où les violences conjugales ont augmenté. Rappelle-nous, parce que j’ai un trou de mémoire, le numéro de la rue, Antanalk c’est rue Bernard Dimey dans le 18e, mais à quel numéro ?

Isabelle Carrère : Nous on est au 18. La radio au 22 et Antanak au 18.

Frédéric Couchet : J’avais un doute. Si vous avez une réponse, en tout cas si vous voulez discuter avec Isabelle et les autres personnes d’Antanak ou simplement découvrir Antanak, qui est juste à côté du studio, vous allez au 18 rue Bernard Dimey dans le 18e arrondissement de Paris. Nous, effectivement, nous sommes au 22.
Isabelle, je te remercie pour cette chronique et je te souhaite de passer une belle fin de journée puis une belle fin d’année. On se retrouve en 2021 qui sera sans aucun doute une meilleure année que 2020.

Isabelle Carrère : On espère tous. Merci beaucoup. À bientôt.

Frédéric Couchet : Merci à toi. À bientôt.

Nous allons passer quelques annonces de fin.

[Virgule musicale]

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