Différences entre les versions de « Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l'émission du 5 mars 2019 »

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<b>Xavier Berne : </b>Absolument.
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<b>Xavier Berne : </b>Absolument. Effectivement le 4 février dernier, le tribunal administratif de Guadeloupe a ordonné à l’université des Antilles de communiquer à l’UNEF, le syndicat étudiant, son algorithme local de sélection des étudiants. Algorithme, en fait, c’est quand même un bien grand mot parce qu’en réalité les universités recourent à des tableurs excel qui leur permettent, tout simplement, d’opérer un pré-classement des candidats notamment par exemple à partir de leurs notes, avant que se tienne un jury où là seront sélectionnés les candidats retenus pour des formations, ensuite, de type licence, BTS, etc.<br/>
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Donc sur le fondement de la fameuse loi CADA, dont on a déjà parlé dans cette émission, relative aux documents administratifs, l’UNEF avait demandé l’année dernière à plusieurs universités de rendre publics leurs algorithmes locaux afin, tout simplement, que les candidats sachent sur quels critères leurs dossiers allaient être examinés.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Pourquoi ce jugement est important ?
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<b>Xavier Berne : </b>Il s’agit d’un jugement qui est hautement symbolique parce que c’est le premier qui a été rendu sur ce sujet et surtout le tribunal va à rebours de la position du ministère de l’Enseignement supérieur mais aussi des universités. En fait le juge, dans le détail, a retenu que la divulgation de cet algorithme local ne portait pas atteinte à ce qu’on appelle le secret des délibérations du jury, une notion qui, en fait, avait été introduite l’année dernière par le gouvernement sans que celui-ci, d’ailleurs, n’avoue réellement pourquoi il a voulu introduire cette notion lors des débats sur le projet de loi Parcoursup. Le juge a donc ordonné la communisation des procédés algorithmiques utilisés par l’université des Antilles ainsi que les codes sources afférents, sous un mois, avec instance(???). Ce qu’il est important de retenir aussi c’est que le tribunal a clairement suivi l’analyse du Défenseur des droits qui, au mois de janvier, avait estimé que se plier à cet effort de transparence, en fait, n’obligeait pas les universités à dévoiler le contenu de l’appréciation portée sur chaque candidature mais, en fait, des critères pris en compte pour l’appréciation des candidatures.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Oui. D’ailleurs tu précises que c’est important parce que ça va à l’encontre de la position du gouvernement mais aussi de la CADA, la Commission d’accès aux documents administratifs, qui avait pris position pour dire qu’il y avait une non-communicabilité, si je me souviens bien, justement parce que ça pouvait apporter des éléments d’identification, en tout cas d’explications sur des décisions particulières individuelles, alors qu’en fait, la publication qui était demandée, c’est vraiment les règles générales, ce qu’on appelle un peu les algorithmes qui sont, quelque part, une suite finie d’opérations qui permettent d’arriver à une décision ou à mettre en place une procédure. Donc ce jugement est important parce qu’il va à l’encontre de ce qu’affirmait le gouvernement, la CADA.<br/>
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Tout à l’heure, tu parlais d’un amendement en 2018, si je me souviens bien, et je crois que c’est bien indiqué dans un de tes articles, le gouvernement avait bien dit que ça ne remettrait pas en cause, justement, l’accès à ces documents administratifs, à ces algorithmes locaux, et pourtant, de facto, la réalité est contraire. C’est pour ça que ce jugement est très important. Et pourtant, il semblait que le gouvernement avait promis la transparence sur Parcoursup, justement pour mettre un terme aux critiques qui avaient concerné Admission Post-Bac.
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<b>Xavier Berne : </b>Effectivement. Sur ce dossier on peut vraiment parler d’un bal des faux-culs. J’ai exhumé quelques citations intéressantes lors de la préparation de cette émission. L’année dernière devant le Sénat, lors de l’examen du projet de loi sur Parcoursup, Frédérique Vidal, la ministre de l’Enseignement supérieur, avait par exemple assuré que les codes sources de tous les algorithmes de Parcoursup seraient rendus publics. Promesse à nouveau formulée quelques semaines plus tard, en avril 2018, sur Public Sénat, je cite : « La totalité des algorithmes sera publiée ». Même Mounir Mahjoubi, son collègue secrétaire d’État chargé du numérique, s’y était engagé cette fois dans les colonnes de <em>L’étudiant</em>, voilà ce qu’il disait, je cite : « Le code source de l’algorithme national de Parcoursup sera rendu public. L’algorithme d’affectation utilisé par chacun des établissements le sera également. »<br/>
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On voit clairement, aujourd’hui, que ce n’est pas le cas vu que les algorithmes utilisés par chacun des établissements n’ont pas été rendus publics. En revanche, il faut quand même souligner que le code source de la plateforme nationale de Parcoursup a, lui, été rendu public, mais pas les fameux algorithmes locaux et c’est un petit peu le problème, parce qu’en fait, pour de nombreux observateurs il s’agit du cœur de la machine Parcoursup, là où se joue en grande partie la sélection des étudiants.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Oui. Parce qu’il faut expliquer que l’accès au code source ne suffit pas. Le code source peut-être accompagné des documents externes, de documentation externe ou de procédures externes et c’est un peu ce dont on parle avec ces algorithmes. Et puis il y a la partie nationale et puis il y a, évidemment, la partie locale, donc les algorithmes locaux. Par rapport à ce jugement, c’est un jugement en première instance, est-ce que ça signifie que désormais toutes les universités vont devoir divulguer leurs algorithmes locaux ?
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<b>Xavier Berne : </b>Non effectivement. Déjà il faut savoir que seules certaines universités ont recours à ces outils d’aide à la décision.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Ces fameux tableurs.
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<b>Xavier Berne : </b>Oui. Il y a environ une université sur quatre qui y a eu recours. Et surtout, comme tu l’as déjà dit il me semble, l’université des Antilles veut se pourvoir en cassation
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<b>Frédéric Couchet : </b>Je ne l’avais pas dit.
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<b>Xavier Berne : </b>OK, pardon il me semblait. Autant dire que les universités, les étudiants et le gouvernement vont scruter cette décision du Conseil d’État avec la plus grande attention et la bataille s’annonce vraiment rude parce qu’il y a des positions très fermes de la part du ministère mais aussi de la technicité, en fait, de cette matière. Les pièces (???) sur lesquelles cette bataille est lancée sont très peu intelligibles et j’ai l’impression qu’il y a une confusion de certains acteurs, justement, entre ce que tu disais : algorithme, code source et il y a aussi une nouvelle notion qui a été introduite par la loi numérique de 2016 c’est sur les principales règles de fonctionnement, en fait, des algorithmes qui ressemblent un peu plus, comment dire, à une sorte de notice, de mode d’emploi de fonctionnement des algorithmes utilisés par les administrations.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Tu veux dire qu’au-delà du code source de la plateforme, il y a des algorithmes locaux et ensuite il y a des documents qui permettent de mieux comprendre le fonctionnement de l’algorithme. En fait il y a trois types de document quelque part.
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<b>Xavier Berne : </b>Exactement, c’est tout à fait ça. Depuis la loi numérique de 2016 – alors c’est une mesure qui est entrée en vigueur en septembre 2017 – toutes les administrations, donc ça ne concerne pas uniquement Parcoursup, même si c’est là que c’est intéressant parce que, ironie de l’histoire, ces documents avaient été taillés pour APB, le prédécesseur de Parcoursup, donc toutes les administrations, à partir du moment où il y a une décision individuelle qui est prise à l’égard d’un citoyen, elles doivent être capables d’expliquer comment elles en sont arrivées à ce résultat, en décrivant, par exemple, quelles données ont été traitées, quelles opérations ont été effectuées par le traitement.
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<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. Est-ce que ces réticences sont surprenantes ? Je parle par rapport aux deux types d’acteurs, on va dire les universités et le gouvernement. Est-ce que c’est vraiment si surprenant que ça ? Je vais prendre un exemple par rapport au gouvernement, et tu es bien placé pour le savoir, la première version du code source réclamée, je crois que c’était APB ou Parcoursup, mais tu me corrigeras, avait été envoyée en format papier. C’était quand même montrer une certaine !
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<b>Xavier Berne : </b>C’était APB.
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<b>Frédéric Couchet : </b>C’était APB ?
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<b>Xavier Berne : </b>Oui, c’était sur APB, c’était l’association Droits des lycéens qui avait à l’époque saisi la justice (???).
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<b>Frédéric Couchet : </b>Donc quand même ça ne montre pas forcément une volonté de contribuer parce qu’envoyer un code source par papier c’est quand même un peu absurde ou, en tout cas, c’est une volonté de ne pas vraiment contribuer. Est-ce que vraiment ces réticences sont les mêmes côté gouvernement et côté université d’après toi ?
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<b>Xavier Berne : </b>Oui. J’ai quand même l’impression que c’est le ministère de l’Enseignement supérieur qui a remonté (???), d’une certaine manière, les craintes des universités. Moi je vois ça un peu comme une caisse résonance.
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<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. Donc c’est un relais du gouvernement qui, finalement, contraint les universités. On peut peut-être supposer que le fait que l’université des Antilles aille devant le Conseil d’État a été formellement encouragé par le ministère. On peut le supposer.
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<b>Xavier Berne : </b>Oui, en tout cas c’est ce que m’ont indiqué certaines sources. D’ailleurs j’ai été très surpris parce que quand j’ai contacté l’université, le lendemain du jugement, ils avaient déjà un communiqué de presse prêt, vraiment bien taillé, expliquant qu’ils allaient former leur pourvoi en cassation. Donc je pense qu’il y avait pas mal de préparation derrière tout ça.
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<b>Frédéric Couchet : </b>De tout point de vue, si on a compris, on va rappeler, peut-être, qu’en 2016 il y a la fameuse loi pour une République numérique qui avait fait un certain nombrer d’avancées. L’an dernier, en 2018, il y a un amendement, dont tu as parlé au départ, qui finalement vise à vider d’une partie de sa substance la loi Lemaire, en tout cas en ce qui concerne Parcoursup. On va attendre, évidemment, ce que va dire le Conseil d’État parce que je suppose que l’UNEF va poursuivre devant le Conseil d’État et va défendre cette position.<br/>
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Toi, tu attends quoi ? Des clarifications, par exemple, législatives dans le cadre d’un nouveau projet de loi que pourrait porter le ministre Mounir Mahjoubi ? Est-ce que tu crois que c’est la CADA dont il me semble, on a déjà parlé dans notre émission, justement avec le président de la CADA, Marc Dandelot, de certains reculs quand même de la CADA récemment, parce que visiblement la CADA soutient la position du gouvernement et des universités. D’après toi, la solution est plutôt législative ? Elle est plutôt autour de la CADA ? Ou finalement c’est le Conseil d’État qui va trancher ?
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<b>Xavier Berne : </b>Ça dépend si on veut avancer à droit constant ou pas. Le législateur s’est prononcé, il y a eu le vote de certaines dispositions. Il faut aussi rappeler que cet amendement a été voté dans un contexte un petit peu particulier.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Lequel ?
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<b>Xavier Berne : </b>Le gouvernement a attendu, en fait, la dernière ligne droite des débats, c’est-à-dire l’examen en séance publique au Sénat, juste avant ce qu’on appelle la commission mixte paritaire, à un moment où, une fois que ça a été voté, après derrière on ne pouvait plus changer grand-chose.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Donc c’était bien volontaire du gouvernement. Une pratique habituelle on va dire !
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<b>Xavier Berne : </b>On va dire que ce n’était pas la première fois et je pense que les sénateurs qui n’étaient pas forcément très avertis, très alertes sur ce sujet, se sont fait enfumer. Derrière ils ont essayé de reprendre la main sur ce sujet, mais ils n’ont jamais réussi. Les députés ont toujours soutenu le gouvernement dans cette entreprise. Les sénateurs avaient essayé de revenir, en fait, sur cet amendement lors du projet de loi sur le RGPD, dans les mois qui ont suivi, mais les députés ont toujours suivi l’initiative du gouvernement donc ça n’a pas été modifié.
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<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord.
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<b>Xavier Berne : </b>Je pense que le Conseil d’État, pour répondre à ta question, je vois que le temps passe, le conseil d’État pourrait faire une précision, pourrait peut-être clarifier un petit peu les choses. C’est ce qu’on peut attendre en tout cas dans l’immédiat et sinon, effectivement, il faudra plutôt à mon avis repasser par la case Parlement.
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<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. Juste avant de terminer on a une petite question sur le salon web dont j’avais donné les références tout à l’heure : vous allez sur causecommune.fm, vous cliquez sur « chat », la question : y a-t-il aussi des acteurs privés qui contribuent à créer les algorithmes de Parcoursup ? Est-ce qu’à ta connaissance il y en a ?
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<b>Xavier Berne : </b>À ma connaissance non, mais j’avoue que je ne suis pas forcément bien au fait de point de détail-là.
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<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. OK. De toute façon on vérifiera. Moi non plus ; ça me paraît non, mais on vérifiera, en tout cas il y avait cette question-là. Est-ce que tu souhaites ajouter quelque chose en conclusion ?
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<b>Xavier Berne : </b>Non, je pense qu’on a à peu près fait le tour du sujet sur les principaux éléments. Merci.
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<b>Frédéric Couchet : </b>En tout cas je renvoie les personnes qui nous écoutent aux deux articles qu’a publiés Xavier Berne sur nextinpact.com récemment. Les titres c’est « Transparence de Parcoursup, un an de mensonges », notamment du gouvernement ; le deuxième article c’est « Retour sur le jugement imposant à une université de divulguer son « algorithme local » Parcoursup ». Ces deux références sont sur le site de l’April, sinon vous allez sur nextinpact.com et vous les trouverez. Xavier Berne, écoute je te remercie pour cette première chronique et je te souhaite de passer une belle fin journée.
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<b>Xavier Berne : </b>C’est moi qui remercie. Au revoir.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Nous allons passer à une pause musicale. C’est un groupe français qu’on a déjà écouté. Le groupe s’appelle Demi-sel et le titre s’appelle <em>Polka du père Frédéric/Kubipolka</em>.
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Pause musicale : <em>Polka du père Frédéric/Kubipolka</em> par le groupe Demi-sel.
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<b>Voix off : </b>Cause Commune 93.1
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<b>Frédéric Couchet : </b>Nous venons d’écouter Demi-sel,

Version du 8 mars 2019 à 15:40


Titre : Émission Libre à vous ! diffusée mardi 5 mars 2019 sur radio Cause Commune

Intervenants : Xavier Berne - Pierre-Yves Beaudouin - Nadine Le Lirzin - Noémie Bergez - Frédéric Couchet

Lieu : Radio Cause commune

Date : 5 mars 2019

Durée : 1 h 30 min

Écouter ou télécharger le podcast

Page des références utiles concernant cette émission

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration :

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Statut : Transcrit MO

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous. Vous êtes sur la radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm. La radio dispose d’un webchat, donc utilisez votre navigateur web, rendez-vous sur le site de la radio et cliquez sur « chat » pour nous rejoindre.
Nous sommes mardi 5 mars 2019, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April. Le site web de l’association c’est april.org, a, p, r, i, l point org et vous trouvez déjà sur le site une page qui indique les références de ce dont on va parler au cours de l’émission ; elle sera mise à jour après l’émission, évidemment, en fonction de nos échanges. Je vous souhaite une excellente écoute.

On va passer maintenant au programme de cette émission. Nous allons commencer dans quelques secondes par un échange avec Xavier Berne journaliste pour Next INpact, site d’actualité et d’enquêtes qui traite d’informatique mais aussi de l’actualité politique liée à l’informatique libre. Normalement Xavier est avec nous au téléphone.

Xavier Berne : Absolument. Je suis là. Bonjour.

Frédéric Couchet : Bonjour à toi, on se retrouve dans quelques secondes. D’ici une quinzaine de minutes notre sujet principal portera sur Wikipédia, l’encyclopédie libre ; nos invités aujourd’hui Nadine Le Lirzin, secrétaire de Wikimédia France.

Nadine Le Lirzin : Bonjour.

Frédéric Couchet : Bonjour Nadine. Et Pierre-Yves Beaudouin, président de Wikimédia France. Bonjour Pierre-Yves.

Pierre-Yves Beaudouin : Bonjour Frédéric.

Frédéric Couchet : Nous expliquerons évidemment en détail ce qu’est Wikipédia et ce qu’est Wikimédia France. En fin d’émission nous aurons la première chronique juridique de Noémie Bergez, avocate au cabinet Dune, qui nous parlera du concept d’originalité dans le droit d’auteur.
À la réalisation aujourd’hui Patrick Creusot, bénévole à l’April. Bonjour Patrick. Je salue également Charlotte Boulanger, bénévole à Cause Commune, qui l’aide dans cette mission de régie.

Tout de suite nous allons passer au premier sujet, un échange avec Xavier Berne. Je rappelle que Xavier Berne est journaliste pour Next INpact, donc nextinpact.com et Xavier souhaite nous parler de Parcoursup. Parcoursup est une application web destinée à recueillir et gérer les vœux d’affectation des futurs étudiants de l’enseignement supérieur public français, mise en place par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation en 2018 dans le cadre de la loi orientation et réussite des étudiants. Elle remplace l’ancien système d’Admission Post-Bac (APB), qui avait été vivement critiqué en 2017. Je précise que cette source c’est Wikipédia, pour faire le lien avec le sujet d’après. Xavier, tu vas nous parler notamment d’un jugement récent concernant Parcoursup. Xavier on t’écoute.

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Xavier Berne : Absolument. Effectivement le 4 février dernier, le tribunal administratif de Guadeloupe a ordonné à l’université des Antilles de communiquer à l’UNEF, le syndicat étudiant, son algorithme local de sélection des étudiants. Algorithme, en fait, c’est quand même un bien grand mot parce qu’en réalité les universités recourent à des tableurs excel qui leur permettent, tout simplement, d’opérer un pré-classement des candidats notamment par exemple à partir de leurs notes, avant que se tienne un jury où là seront sélectionnés les candidats retenus pour des formations, ensuite, de type licence, BTS, etc.
Donc sur le fondement de la fameuse loi CADA, dont on a déjà parlé dans cette émission, relative aux documents administratifs, l’UNEF avait demandé l’année dernière à plusieurs universités de rendre publics leurs algorithmes locaux afin, tout simplement, que les candidats sachent sur quels critères leurs dossiers allaient être examinés.

Frédéric Couchet : Pourquoi ce jugement est important ?

Xavier Berne : Il s’agit d’un jugement qui est hautement symbolique parce que c’est le premier qui a été rendu sur ce sujet et surtout le tribunal va à rebours de la position du ministère de l’Enseignement supérieur mais aussi des universités. En fait le juge, dans le détail, a retenu que la divulgation de cet algorithme local ne portait pas atteinte à ce qu’on appelle le secret des délibérations du jury, une notion qui, en fait, avait été introduite l’année dernière par le gouvernement sans que celui-ci, d’ailleurs, n’avoue réellement pourquoi il a voulu introduire cette notion lors des débats sur le projet de loi Parcoursup. Le juge a donc ordonné la communisation des procédés algorithmiques utilisés par l’université des Antilles ainsi que les codes sources afférents, sous un mois, avec instance(???). Ce qu’il est important de retenir aussi c’est que le tribunal a clairement suivi l’analyse du Défenseur des droits qui, au mois de janvier, avait estimé que se plier à cet effort de transparence, en fait, n’obligeait pas les universités à dévoiler le contenu de l’appréciation portée sur chaque candidature mais, en fait, des critères pris en compte pour l’appréciation des candidatures.

Frédéric Couchet : Oui. D’ailleurs tu précises que c’est important parce que ça va à l’encontre de la position du gouvernement mais aussi de la CADA, la Commission d’accès aux documents administratifs, qui avait pris position pour dire qu’il y avait une non-communicabilité, si je me souviens bien, justement parce que ça pouvait apporter des éléments d’identification, en tout cas d’explications sur des décisions particulières individuelles, alors qu’en fait, la publication qui était demandée, c’est vraiment les règles générales, ce qu’on appelle un peu les algorithmes qui sont, quelque part, une suite finie d’opérations qui permettent d’arriver à une décision ou à mettre en place une procédure. Donc ce jugement est important parce qu’il va à l’encontre de ce qu’affirmait le gouvernement, la CADA.
Tout à l’heure, tu parlais d’un amendement en 2018, si je me souviens bien, et je crois que c’est bien indiqué dans un de tes articles, le gouvernement avait bien dit que ça ne remettrait pas en cause, justement, l’accès à ces documents administratifs, à ces algorithmes locaux, et pourtant, de facto, la réalité est contraire. C’est pour ça que ce jugement est très important. Et pourtant, il semblait que le gouvernement avait promis la transparence sur Parcoursup, justement pour mettre un terme aux critiques qui avaient concerné Admission Post-Bac.

Xavier Berne : Effectivement. Sur ce dossier on peut vraiment parler d’un bal des faux-culs. J’ai exhumé quelques citations intéressantes lors de la préparation de cette émission. L’année dernière devant le Sénat, lors de l’examen du projet de loi sur Parcoursup, Frédérique Vidal, la ministre de l’Enseignement supérieur, avait par exemple assuré que les codes sources de tous les algorithmes de Parcoursup seraient rendus publics. Promesse à nouveau formulée quelques semaines plus tard, en avril 2018, sur Public Sénat, je cite : « La totalité des algorithmes sera publiée ». Même Mounir Mahjoubi, son collègue secrétaire d’État chargé du numérique, s’y était engagé cette fois dans les colonnes de L’étudiant, voilà ce qu’il disait, je cite : « Le code source de l’algorithme national de Parcoursup sera rendu public. L’algorithme d’affectation utilisé par chacun des établissements le sera également. »
On voit clairement, aujourd’hui, que ce n’est pas le cas vu que les algorithmes utilisés par chacun des établissements n’ont pas été rendus publics. En revanche, il faut quand même souligner que le code source de la plateforme nationale de Parcoursup a, lui, été rendu public, mais pas les fameux algorithmes locaux et c’est un petit peu le problème, parce qu’en fait, pour de nombreux observateurs il s’agit du cœur de la machine Parcoursup, là où se joue en grande partie la sélection des étudiants.

Frédéric Couchet : Oui. Parce qu’il faut expliquer que l’accès au code source ne suffit pas. Le code source peut-être accompagné des documents externes, de documentation externe ou de procédures externes et c’est un peu ce dont on parle avec ces algorithmes. Et puis il y a la partie nationale et puis il y a, évidemment, la partie locale, donc les algorithmes locaux. Par rapport à ce jugement, c’est un jugement en première instance, est-ce que ça signifie que désormais toutes les universités vont devoir divulguer leurs algorithmes locaux ?

Xavier Berne : Non effectivement. Déjà il faut savoir que seules certaines universités ont recours à ces outils d’aide à la décision.

Frédéric Couchet : Ces fameux tableurs.

Xavier Berne : Oui. Il y a environ une université sur quatre qui y a eu recours. Et surtout, comme tu l’as déjà dit il me semble, l’université des Antilles veut se pourvoir en cassation

Frédéric Couchet : Je ne l’avais pas dit.

Xavier Berne : OK, pardon il me semblait. Autant dire que les universités, les étudiants et le gouvernement vont scruter cette décision du Conseil d’État avec la plus grande attention et la bataille s’annonce vraiment rude parce qu’il y a des positions très fermes de la part du ministère mais aussi de la technicité, en fait, de cette matière. Les pièces (???) sur lesquelles cette bataille est lancée sont très peu intelligibles et j’ai l’impression qu’il y a une confusion de certains acteurs, justement, entre ce que tu disais : algorithme, code source et il y a aussi une nouvelle notion qui a été introduite par la loi numérique de 2016 c’est sur les principales règles de fonctionnement, en fait, des algorithmes qui ressemblent un peu plus, comment dire, à une sorte de notice, de mode d’emploi de fonctionnement des algorithmes utilisés par les administrations.

Frédéric Couchet : Tu veux dire qu’au-delà du code source de la plateforme, il y a des algorithmes locaux et ensuite il y a des documents qui permettent de mieux comprendre le fonctionnement de l’algorithme. En fait il y a trois types de document quelque part.

Xavier Berne : Exactement, c’est tout à fait ça. Depuis la loi numérique de 2016 – alors c’est une mesure qui est entrée en vigueur en septembre 2017 – toutes les administrations, donc ça ne concerne pas uniquement Parcoursup, même si c’est là que c’est intéressant parce que, ironie de l’histoire, ces documents avaient été taillés pour APB, le prédécesseur de Parcoursup, donc toutes les administrations, à partir du moment où il y a une décision individuelle qui est prise à l’égard d’un citoyen, elles doivent être capables d’expliquer comment elles en sont arrivées à ce résultat, en décrivant, par exemple, quelles données ont été traitées, quelles opérations ont été effectuées par le traitement.

Frédéric Couchet : D’accord. Est-ce que ces réticences sont surprenantes ? Je parle par rapport aux deux types d’acteurs, on va dire les universités et le gouvernement. Est-ce que c’est vraiment si surprenant que ça ? Je vais prendre un exemple par rapport au gouvernement, et tu es bien placé pour le savoir, la première version du code source réclamée, je crois que c’était APB ou Parcoursup, mais tu me corrigeras, avait été envoyée en format papier. C’était quand même montrer une certaine !

Xavier Berne : C’était APB.

Frédéric Couchet : C’était APB ?

Xavier Berne : Oui, c’était sur APB, c’était l’association Droits des lycéens qui avait à l’époque saisi la justice (???).

Frédéric Couchet : Donc quand même ça ne montre pas forcément une volonté de contribuer parce qu’envoyer un code source par papier c’est quand même un peu absurde ou, en tout cas, c’est une volonté de ne pas vraiment contribuer. Est-ce que vraiment ces réticences sont les mêmes côté gouvernement et côté université d’après toi ?

Xavier Berne : Oui. J’ai quand même l’impression que c’est le ministère de l’Enseignement supérieur qui a remonté (???), d’une certaine manière, les craintes des universités. Moi je vois ça un peu comme une caisse résonance.

Frédéric Couchet : D’accord. Donc c’est un relais du gouvernement qui, finalement, contraint les universités. On peut peut-être supposer que le fait que l’université des Antilles aille devant le Conseil d’État a été formellement encouragé par le ministère. On peut le supposer.

Xavier Berne : Oui, en tout cas c’est ce que m’ont indiqué certaines sources. D’ailleurs j’ai été très surpris parce que quand j’ai contacté l’université, le lendemain du jugement, ils avaient déjà un communiqué de presse prêt, vraiment bien taillé, expliquant qu’ils allaient former leur pourvoi en cassation. Donc je pense qu’il y avait pas mal de préparation derrière tout ça.

Frédéric Couchet : De tout point de vue, si on a compris, on va rappeler, peut-être, qu’en 2016 il y a la fameuse loi pour une République numérique qui avait fait un certain nombrer d’avancées. L’an dernier, en 2018, il y a un amendement, dont tu as parlé au départ, qui finalement vise à vider d’une partie de sa substance la loi Lemaire, en tout cas en ce qui concerne Parcoursup. On va attendre, évidemment, ce que va dire le Conseil d’État parce que je suppose que l’UNEF va poursuivre devant le Conseil d’État et va défendre cette position.
Toi, tu attends quoi ? Des clarifications, par exemple, législatives dans le cadre d’un nouveau projet de loi que pourrait porter le ministre Mounir Mahjoubi ? Est-ce que tu crois que c’est la CADA dont il me semble, on a déjà parlé dans notre émission, justement avec le président de la CADA, Marc Dandelot, de certains reculs quand même de la CADA récemment, parce que visiblement la CADA soutient la position du gouvernement et des universités. D’après toi, la solution est plutôt législative ? Elle est plutôt autour de la CADA ? Ou finalement c’est le Conseil d’État qui va trancher ?

Xavier Berne : Ça dépend si on veut avancer à droit constant ou pas. Le législateur s’est prononcé, il y a eu le vote de certaines dispositions. Il faut aussi rappeler que cet amendement a été voté dans un contexte un petit peu particulier.

Frédéric Couchet : Lequel ?

Xavier Berne : Le gouvernement a attendu, en fait, la dernière ligne droite des débats, c’est-à-dire l’examen en séance publique au Sénat, juste avant ce qu’on appelle la commission mixte paritaire, à un moment où, une fois que ça a été voté, après derrière on ne pouvait plus changer grand-chose.

Frédéric Couchet : Donc c’était bien volontaire du gouvernement. Une pratique habituelle on va dire !

Xavier Berne : On va dire que ce n’était pas la première fois et je pense que les sénateurs qui n’étaient pas forcément très avertis, très alertes sur ce sujet, se sont fait enfumer. Derrière ils ont essayé de reprendre la main sur ce sujet, mais ils n’ont jamais réussi. Les députés ont toujours soutenu le gouvernement dans cette entreprise. Les sénateurs avaient essayé de revenir, en fait, sur cet amendement lors du projet de loi sur le RGPD, dans les mois qui ont suivi, mais les députés ont toujours suivi l’initiative du gouvernement donc ça n’a pas été modifié.

Frédéric Couchet : D’accord.

Xavier Berne : Je pense que le Conseil d’État, pour répondre à ta question, je vois que le temps passe, le conseil d’État pourrait faire une précision, pourrait peut-être clarifier un petit peu les choses. C’est ce qu’on peut attendre en tout cas dans l’immédiat et sinon, effectivement, il faudra plutôt à mon avis repasser par la case Parlement.

Frédéric Couchet : D’accord. Juste avant de terminer on a une petite question sur le salon web dont j’avais donné les références tout à l’heure : vous allez sur causecommune.fm, vous cliquez sur « chat », la question : y a-t-il aussi des acteurs privés qui contribuent à créer les algorithmes de Parcoursup ? Est-ce qu’à ta connaissance il y en a ?

Xavier Berne : À ma connaissance non, mais j’avoue que je ne suis pas forcément bien au fait de point de détail-là.

Frédéric Couchet : D’accord. OK. De toute façon on vérifiera. Moi non plus ; ça me paraît non, mais on vérifiera, en tout cas il y avait cette question-là. Est-ce que tu souhaites ajouter quelque chose en conclusion ?

Xavier Berne : Non, je pense qu’on a à peu près fait le tour du sujet sur les principaux éléments. Merci.

Frédéric Couchet : En tout cas je renvoie les personnes qui nous écoutent aux deux articles qu’a publiés Xavier Berne sur nextinpact.com récemment. Les titres c’est « Transparence de Parcoursup, un an de mensonges », notamment du gouvernement ; le deuxième article c’est « Retour sur le jugement imposant à une université de divulguer son « algorithme local » Parcoursup ». Ces deux références sont sur le site de l’April, sinon vous allez sur nextinpact.com et vous les trouverez. Xavier Berne, écoute je te remercie pour cette première chronique et je te souhaite de passer une belle fin journée.

Xavier Berne : C’est moi qui remercie. Au revoir.

Frédéric Couchet : Nous allons passer à une pause musicale. C’est un groupe français qu’on a déjà écouté. Le groupe s’appelle Demi-sel et le titre s’appelle Polka du père Frédéric/Kubipolka.

Pause musicale : Polka du père Frédéric/Kubipolka par le groupe Demi-sel.

Voix off : Cause Commune 93.1

16’ 00

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Demi-sel,