Différences entre les versions de « Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l'émission du 5 janvier 2021 »

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==Discussion avec Henri Verdier, Ambassadeur pour le numérique==
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==Discussion avec Henri Verdier, ambassadeur pour le numérique==
  
<b>Frédéric Couchet : </b>Nous allons
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<b>Frédéric Couchet : </b>Nous allons poursuivre par notre sujet principal. Nous avons aujourd’hui l’honneur de recevoir Henri Verdier, ambassadeur pour le numérique. Bonjour Henri.
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<b>Henri Verdier : </b>Bonjour.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Si vous souhaitez participer à cette conversation, réagir, poser une question, rendez-vous sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat » et salon #libreavous. Je surveille le salon, je relaierai les questions éventuellement ou vos remarques.<br/>
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Ambassadeur pour le numérique. Selon Wikipédia, un ambassadeur est un représentant d’un État auprès d’un autre, parfois auprès d’une organisation internationale. C’est le rôle le plus haut au sein de la hiérarchie diplomatique. On connaît depuis longtemps cette fonction auprès des États étrangers, mais un ambassadeur pour le numérique c’est plus récent et sans doute que ses missions ne vous sont pas connues, chers auditeurs et auditrices. Notre invité Henri Verdier va vous faire connaître son ce d’ambassadeur, ses missions, mais on va parler aussi, et beaucoup, de logiciel libre, de données publiques car Henri Verdier, dans son parcours, a été notamment directeur interministériel du numérique et du système d’information et de communication de l’État, donc beaucoup de choses.<br/>
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Première question, pour en savoir un peu plus sur vous, Henri, petite présentation de votre parcours personnel.
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<b>Henri Verdier : </b>C’est un parcours qui suit un peu l’histoire du numérique, puisque, en 1995, je menais des études qui me prédisposaient à enseigner, je suis tombé un peu par hasard sur Internet et on a créé avec des amis, dont Xavier Lazarus qui est devenu le fondateur d’Elaia Partners, un bon VC français.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Un VC c’est un <em>venture capital</em>, un capital risque.
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<b>Henri Verdier : </b>Dont Fred Potter qui a contribué largement à la conception de la Freebox et qui a créé Netatmo plus tard. On a créé une sorte de WebAgency en 1995 ; il y avait 15 000 internautes en France, c’était un peu confiant dans le futur. En 1999, on l’a transformée en entreprise qui faisait de l’éducation au numérique, avec Odile Jacob qui a pris le contrôle de la boîte et qui nous a financés. On a travaillé avec Charpak sur une magnifique pédagogie qui s’appelle La Main à la pâte ; c’était passionnant la tentative d’amener de l’innovation numérique, de la personnalisation, de l’interactivité, de l’ouverture vers l’extérieur dans l’école. Le marché de l’éducation au numérique dans l’école n’a beaucoup décollé pendant ces années-là, donc on a arrêté en 2007.<br/>
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J’ai créé quelques autres boîtes, à l’époque on appelait ça les <em>big data</em>, en 2010. J’avais quand même un goût de l’action collective, donc, avec des amis, on a créé un pôle de compétitivité qui s’appelle Cap Digital, qui est une belle partie de ma vie.
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<b>Frédéric Couchet : </b>En Île-de-France.
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<b>Henri Verdier : </b>C’était le pôle des industries de création culturelle en Île-de-France, il y avait des robots, il y avait des jeux vidéos, il y avait des effets spéciaux pour cinéma, il y avait des Web services dans tous les sens. Aujourd’hui Cap Digital a plus de 1000 startups, 250 labos publics et privés de recherche et 25 grands groupes. On avait lancé un très beau festival qui s’appelait Futur en Seine qui a eu un peu plus de mal quand il a dû faire face, j’oublie même le nom, à celui de Publicis.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Je ne me souviens pas.
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<b>Henri Verdier : </b>Qui a lieu tous les ans en juillet, qui existe encore un peu dans un format un peu plus réduit.<br/>
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En 2013 on m’a proposé de rejoindre l’État, ce qui était un moment de grand bonheur, d’abord pour conduire la politique d’ouverture des données publiques, d’<em>open data</em>, à la tête de la mission Etalab. Très vite on a ouvert les données publiques, puis le code, puis le code source des modèles avec OpenFisca et des choses comme ça.<br/>
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En 2015 on m’a proposé de diriger la Direction interministérielle du numérique et du SI de l’État. Là j’ai essayé de porter à la fois le Libre, les méthodes agiles, les stratégies fondées sur la donnée, l’ouverture aux écosystèmes.<br/>
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Il y a deux ans on m’a proposé de conduire la diplomatie numérique française en devenant ambassadeur pour les affaires numériques.
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<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. C’est effectivement une présentation parfaite. On voit bien ce passage de rôle d’entrepreneur à haut fonctionnaire de l’État. Vous avez parlé de la DINSIC, la Direction interministérielle des systèmes d'information et de communication de l'État, et de votre rôle autour des logiciels libres, des méthodes agiles. On va y revenir dans la deuxième de l’émission parce que, évidement, c’est ce qui nous intéresse le plus. En même temps, ce qui nous intéresse aussi c’est ce rôle d’ambassadeur pour le numérique parce que c’est sans doute relativement récent, vous allez nous le dire. Mais surtout la question, quand on a évoqué ce sujet, les gens nous ont dit « pourquoi un ambassadeur pour le numérique et c’est quoi un ambassadeur pour le numérique? Quelles sont les missions ? »
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<b>Henri Verdier : </b>Peut-être que la deuxième vous intéresse plus parce que vous ne connaissez pas encore la première !<br/>
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Les gens ne réalisent peut-être pas à quel point le destin des États, donc le destin des relations internationales est maintenant déterminé par la révolution numérique et à quel point, en retour, les États s’emploient à déterminer l’avenir du numérique. On ne réalise pas mais dès qu’on pense cinq minutes on réalise que la prochaine guerre commencera peut-être par une cyberattaque, que la maîtrise de l’intelligence artificielle est clairement devenue un enjeu dans des rapports de puissance, que le conflit, la <em>tech war</em> entre la Chine et les États-Unis…
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<b>Frédéric Couchet : </b>La guerre technologique.
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<b>Henri Verdier : </b>Je les cite parce que, justement, la France récuse l’idée qu’il y aurait une guerre technologique. Cette guerre technologique entre la Chine et les États-Unis détermine largement le futur de l’Europe. Qu’on ne peut pas envisager l’aide au développement de l’Afrique sans penser à ces infrastructures logicielles. Qu’on ne peut pas défendre sérieusement la francophonie si on n’a pas un regard sur ce qui se passe sur la toile. Donc vous voyez qu’il y a des très nombreux enjeux de géopolitique qui sont du ressort de la diplomatie, qui ont un rapport avec le numérique.<br/>
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Il y avait une diplomatie numérique bien avant qu’on la formalise dans le rôle d’un ambassadeur pour le numérique puisque la France a un siège à l’Internet Governace Forum, a un siège à l’ICANN, plaide à l’OCDE pour une fiscalité pour le numérique.<br/>
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Pour commencer, je pourrais dire que l’ambassadeur pour les affaires numériques est celui qui représente la France dans ces négociations-là.
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<b>Frédéric Couchet : </b>C’est-à-dire qu’l y avait déjà des négociations et des personnes qui agissaient, mais il y a eu besoin d’un rôle spécifique d’ambassadeur avec un statut d’ambassadeur ?
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<b>Henri Verdier : </b>Voilà. À la fois pour deux raisons.<br/>
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Vous avez rappelé qu’ambassadeur c’est aussi le titre de celui qui est souvent est plénipotentiaire ; il vient représenter son pays avec le mandat de négocier, et si vous n’êtes pas ambassadeur en général vous n’êtes pas plénipotentiaire.<br/>
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Et puis il y avait le fait que, au fond, ces sujets étaient éparpillés au sein du ministère des Affaires étrangères. Quand je suis arrivé j’ai commencé par faire une sorte de cartes des gens qui traitaient de sujets numériques au Quai d’Orsay et j’en ai trouvé plus de 50 un peu partout. Il y a ceux qui ont inventé les visas startups pour les entrepreneurs qui venaient investir en France, il y a ceux qui travaillaient sur la fiscalité, tout ce que je viens d’énumérer. Donc le fait que ce soit maintenant porté par un ambassadeur permet d’unifier toutes ces forces dispersées, puisque ce ne sont pas mes équipes, mais je peux leur donner des mandats ou les inter-opérer parce j’ai le titre d’ambassadeur.
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<b>Frédéric Couchet : </b>J’ai une petite question à vous poser avant que vous ne reveniez sur les missions. Vous parlez du Quai d’Orsay parce que, évidemment, en tant qu’ambassadeur vous dépendez du Quoi d’Orsay. Mais dans les négociations internationales autour du numérique, de l’informatique, depuis très longtemps il y a un autre ministère qui joue un rôle important et souvent, on va dire, en défaveur des libertés et des droits des personnes, c’est le ministère de la Culture. Est-ce que vous unifiez aussi ces personnes qui travaillent au ministère de la Culture ou c’est vraiment spécifique Quai d’Orsay ?
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<b>Henri Verdier : </b>L’État est sérieux. La France est d’ailleurs assez solide sur l’interministériel. On part avec de mandats. Quand on touche aux intérêts d’autres ministères, je ne m’attendais pas à ce que vous disiez la Culture.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Historiquement en France, la Culture a toujours poussé pour l’extension…
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<b>Henri Verdier : </b>Absolument. Comme beaucoup de gens je me suis éveillé à la conscience, comment dire, de la techno-politique dans les controverses autour d’HADOPI.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Et la loi droit d’auteur en 2006 avant, dans les années 2000.
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<b>Henri Verdier : </b>Il a changé. Franchement sur un certain nombre de sujets on peut considérer que le ministère de la Culture se vit comme le ministère de la liberté d’expression, qu’il a quelque chose à dire sur la liberté d’expression et qu’il le fait.<br/>
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En général quand on part, il y a des questions qui sont clairement Quai d’Orsay et des questions qui sont arbitrées par exemple avec le ministère de l’Intérieur, par exemple avec le ministère de l’Économie et des Finances ou avec le ministère de la Culture et d’autres.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Donc l’interministériel.
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<b>Henri Verdier : </b>Souvent on a d’abord une phase d’organisation interministérielle, bien sûr.
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<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. Question de date. Est-ce que vous êtes le premier ambassadeur pour le numérique ? Est-ce qu’il y en a eu d’autres avant ? De quand date cette fonction ?
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<b>Henri Verdier : </b>Je crois que l’apparition de l’expression, ils avaient dit <em>Tech Ambassador</em>, effectivement ce sont les Danois qui n’avaient pas pensé tout à fait à la même chose que nous. Ils avaient dit les <em>big tech</em>, les GAFA comme on dit souvent en France, ont un tel poids sur notre destin que nous allons ouvrir une représentation permanente à San Francisco et nous aurons un ambassadeur, en tout c’était un vrai diplomate, pour parler avec ces entreprises.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Casper Klynge
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<b>Henri Verdier : </b>Casper Klynge, qui a rejoint Microsoft il y a quelques mois.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Mince ! J’allais vous faire un quiz. On voit quand même le professionnel qui a bien préparé !
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<b>Henri Verdier : </b>J’ai bien connu Casper.
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<b>Frédéric Couchet : </b>On va juste préciser, pour que les gens comprennent bien, que là c’est de l’inverse dont on parle. En 2017, le Danemark nomme un ambassadeur auprès de ce l’on appelle les GAFAM, les géants du Net.
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<b>Henri Verdier : </b>Non, pas « auprès » parce qu’il n’y a pas de lettre de créance.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Non, il n’y a pas de lettre. Aujourd’hui, depuis mars 2020, il est vice-président en charge des affaires publiques pour Microsoft Europe, dont il a rejoint le « M » des GAFAM.
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<b>Henri Verdier : </b>Ce qui est amusant c’est que quand j’ai rejoint le Quai d’Orsay j’ai découvert que les gens restaient ambassadeur trois ans puis changeaient de pays. On disait « si tu restes plus de trois ans dans le même poste, tu vas devenir trop proche du pays avec lequel tu es chargé de traiter ». Peut-être que Casper est resté top longtemps en poste !>br/>
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Six mois plus tard la France a créé l’ambassadeur pour le numérique, le premier c’était David Martinon.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Donc en 2017, David Martinon.
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<b>Henri Verdier : </b>La même année mais six mois plus tard et nous on ne l’a jamais positionné comme quelqu’un qui représenterait l’État vers une puissance que seraient des entreprises. C’était pour aller à l’ICANN.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Dans les organismes internationaux. Ce n’est pas du tout la même chose que le Danemark.
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<b>Henri Verdier : </b>Peut-être ce que je ne vous ai pas dit. Je vous ai expliqué à quel point il y a du numérique dans la géopolitique et vice-versa. Globalement, aujourd’hui, je présente souvent le périmètre de l’ambassadeur pour le numérique comme une espèce de boussole avec quatre flèches : on a des grands sujets autour de la sécurité. Autour de la sécurité il y a la cybersécurité et là c’est clairement un sujet de droit de la guerre – nous on dit droits humanitaires, mais c’est droit de la guerre –, donc ce qui est permis, ce qui n’est pas permis, comment on contrôle, c’est du droit international. Et puis il y a des sujets de sécurité sur les contenus et là, la discussion internationale sur comment faire face. Il y a un vaste spectre.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Vous parlez de la régulation des contenus ?
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<b>Henri Verdier : </b>On a un mot à dire sur la régulation des contenus quand ça touche les ingérences étrangères dans les élections, quand ça touche la régulation de la haine. Souvent le quai d’Orsay se retrouve, finalement, quand même dans les dossiers, parce que tant qu’ils sont en France on n’a rien à dire, mais ensuite on essaye d’en faire des textes européens et on arrive là dans le dialogue européen.
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<b>Frédéric Couchet : </b>D’ailleurs ça n’a pas très bien réussi à ce gouvernement récemment, mais on ne va pas aborder ce sujet en détail.
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<b>Henri Verdier : </b>On ne va pas aborder ce sujet-là. Ou ça lui a bien réussi, je ne sais pas !<br/>
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Donc on a des sujets de sécurité, des infrastructures et des contenus, souvent avec des gens très régaliens qui sont là, dans lesquels on croise des militaires, des services, etc.<br/>
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On a des sujets de gouvernance d’Internet, donc on tient le siège à l’ICANN par exemple.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Parlez juste ce qu’est l’ICANN pour les gens qui nous écoutent.
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<b>Henri Verdier : </b>L’ICANN c’est l’<em>Internet Corporation for Assigned Names and Numbers</em>.
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<b>Frédéric Couchet : </b>C’est là qu’ils gèrent notamment les noms de domaines.
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<b>Henri Verdier : </b>Les attributions des noms de domaines, etc. L’an dernier, par exemple, on a mené un combat dont je suis assez fier pour tout dire. On a failli assister à la privatisation subreptice du point org.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Oui, la vente du point org.
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<b>Henri Verdier : </b>Qui aurait été à un fonds d’investissement, Ethos Capital, lui-même fondé par l’ancien directeur général de l’ICANN qui venait de faire voter par son <em>board</em>, malgré l’avis négatif de tous les adhérents, le fait qu’il allait se vendre à lui-même le point org.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Donc vous avez agi là-dessus.
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<b>Henri Verdier : </b>Plus que ça. Nous sommes clairement le premier pays, en tant que pays, puisqu’avant nous, bien sûr, l’Electronic Frontier Foundation avait manifesté son désaccord.
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<b>Frédéric Couchet : </b>L’April avait cosigné la lettre de l’Electronic Frontier Foundation.
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<b>Henri Verdier : </b>Mais le premier pays qui avait battu le premier le rappel en disant nous n’acceptons pas, c’est inacceptable, etc., c’est la France qui a ensuite entraîné l’Allemagne, l’Europe. La vérité qui est vexante pour vous et pour moi c’est que c’est probablement l’<em>Attorney General</em> de Californie qui a réglé la querelle en disant « si vous faites ça, je vous ferai payer les 20 ans d’impôts auxquels vous avez échappé parce que vous étiez <em>nonprofit</em>. Cela dit, on a au moins l’honneur d’avoir sonné la charge et que les États se préoccupent de l’intérêt général sur la gouvernance de l’Internet. Donc sécurité.
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<b>Frédéric Couchet : </b>C’était déjà ça, sur la gouvernance de l’Internet. Deuxième point ?
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<b>Henri Verdier : </b>De la diplomatie économique comme la question de la fiscalité pour les affaires numériques qui est, bien sûr, d’abord portée par Bercy, mais on suit de très près et dans un dialogue constant avec Bercy.<br/>
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Et puis, ne l’oubliez pas, la France a quand même une vraie grande diplomatie de valeurs, la France défend l’accès à l’éducation, l’accès à la culture, le développement des pays émergents, la liberté d’expression, la liberté de la presse.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Y compris Gérald Darmanin ?
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<b>Henri Verdier : </b>Puisque je vous sens taquin, vous allez me dire au moins à l’étranger nous les défendons. Aujourd’hui on ne peut plus penser tout ça sans penser à travers le numérique. En fait, il y a énormément de sujets numériques dans l’accompagnement de la transition numérique de ces politiques publiques-là. Donc l’ambassadeur pour les affaires numériques supervise tout ça, il harmonise tout ça et il met en mouvement des forces qui sont un peu partout au sein du Quai d’Orsay.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Et il y a la langue française dont vous avez parlé en introduction.
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<b>Henri Verdier : </b>Par exemple cet hiver, j’ai été très fier, on a donné un coup de pouce, pour le coup bête et méchant, on s’est retroussé les manches et on a aidé avec l’OIF.
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<b>Frédéric Couchet : </b>L’OIF ?
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<b>Henri Verdier : </b>L’Organisation internationale de la francophonie. Vous avez, vous aussi, vos sigles !
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<b>Frédéric Couchet : </b>Oui, mais les personnes qui écoutent ne connaissent pas forcément tous les sigles !
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<b>Henri Verdier : </b>D’accord. On s’est rendu compte que l’Afrique aussi allait devoir faire face à sa crise du Covid et qu’elle avait des États parfois moins structurés avec des systèmes de santé encore plus à plaindre que les nôtres et qu’elle a quand même des innovateurs, des entrepreneurs, des <em>fab labs</em>, etc. On a fait naître un mouvement, tout bêtement en utilisant Slack.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Slack est un environnement propriétaire de travail collaboratif, on va dire. Un truc moins bien que les outils libres qui existent.
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<b>Henri Verdier : </b>Il se trouve qu’ils sont partis sur Slack. À la fin, on a fait vivre ce réseau de plus de 6000 innovateurs africains qui, un peu partout, fabriquaient des masques, des respirateurs artificiels, des petits guides de bonnes pratiques sanitaires, qui s’entraidaient, qui se passaient des <em>tips</em>, des tuyaux et des ressources. Et là on a vu ces services de véhicules pour aider à cristalliser un mouvement dont l’énergie venait d’Afrique et c’était un très beau moment de travail diplomatique.
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<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord.<br/>
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Sur le salon web, je vois une question. Je vais la lire telle quelle parce qu’elle est assez longue : on semble noter à travers différents projets législatifs une tendance à déléguer une partie des pouvoirs régaliens aux grandes plateformes. On peut ainsi penser à la tentative de la proposition de loi Avia sur la régulation de la haine de déléguer la sanction des propos haineux, ou la directive droit d'auteur, donc ministère de la Culture, le contrôle de la licéité des partages d’œuvres par les internautes aux GAFAM. Partagez-vous ce constat ? Quelle est votre lecture de cet enjeu ?
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<b>Henri Verdier : </b>Ma lecture de cet enjeu c’est qu’on a plutôt été toujours défavorable à ce genre de logique puisque l’état de droit ça commence par des règles de base de l’état de droit et c’est dans la démocratie que doivent se prendre les sanctions.<br/>
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Cela étant rappelé, pour répondre à la question en la montant à une certaine portée théorique, premièrement il y a 15 ans, 20 ans, je ne sais plus, on a eu des batailles homériques qui ont permis d’établir l’idée qu’il y avait un statut de l’hébergeur avec sa neutralité.
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<b>Frédéric Couchet : </b>C’est la directive européenne de 2000 et la loi pour la confiance dans l’économie numérique de 2004.
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<b>Henri Verdier : </b>Bravo ! Vous êtes plus calé que moi !
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<b>Frédéric Couchet : </b>Qui va bientôt être revue, sans doute.
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<b>Henri Verdier : </b>Donc on avait l’hébergeur et heureusement, sinon on n’aurait sans doute pas eu la révolution internet, dont on a rappelé qu’il était neutre aux contenus et neutre sur la responsabilité des contenus, et l’éditeur qui prenait la responsabilité sur les contenus. On a vu arriver un business qui s’est faufilé entre les deux, qui dit « ce n’est pas moi qui ai écrit les contenus », mais qui vit réellement de la nature des contenus puisque son placement publicitaire dépend de la nature des contenus.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Là vous parlez de Facebook et compagnie.
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<b>Henri Verdier : </b>C’est le business de la plupart des réseaux sociaux qui, en plus, par la publicité personnalisée, la personnalisation des contenus et le croisement des deux a quand même un rôle de curateur, vous l’appelez comme voulez, et, quelque part, je pense qu’on ne tranchera cette querelle que quand on aura solidement construit le tiers statut.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Entre hébergeur et éditeur ?
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<b>Henri Verdier : </b>Oui. Quand on aura compris quelle est la responsabilité précise et jusqu’où elle va de celui qui certes n’a ni financé ni écrit les contenus, mais en a mis certains en avant, d’autres non, et a quand même joué un rôle dans leur présentation. Aujourd’hui on n’a pas encore clairement ce statut. On a commencé à le préparer dans la directive sur les retraits de contenus terroristes qui est aussi un des sujets qu’on suit, mais ce n’est pas encore un consensus général.<br/>
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On a un deuxième problème. Vous voyez bien, par exemple Facebook qui se gargarise d’avoir mis 36 000 modérateurs juste pour enlever ce qui contrevient à ses CGU.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Conditions générales d’utilisation.
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<b>Henri Verdier : </b>Même si vous dites que la France c’est 1 % de la population mondiale, on ne va mettre 360 gendarmes juste pour lire Facebook toute la journée et autant sur Twitter et autant sur Tik Tok et autant sur Snap ! Tout le monde cherche, en fait, une solution « scalable », qui passe l’échelle. À titre personnel, je trouve que ces approches, j’ai un devoir de réserve comme vous le savez…
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<b>Frédéric Couchet : </b>Oh !
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<b>Henri Verdier : </b>Montrent, en tout cas, une pensée pas assez numérique, notamment une absence de réflexion sur les dimensions systémiques, sur le fait, justement, d’un combat sur la transparence des algorithmes de propagation des contenus, un débat public et collectif sur ce qu’on permet ou pas à ces algorithmes de sélection des contenus. Je pense qu’on voit des réponses par exemple dans la stratégie de Twitter qui commence à chercher des petits trucs qui vont freiner la viralité. Vous avez remarqué ?
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<b>Frédéric Couchet : </b>Oui, ils avaient changé notamment sur les retweets, par défaut il fallait mettre un commentaire.
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<b>Henri Verdier : </b>Depuis quelques semaines ils vous disent « est-ce que tu es sûr que tu veux partager ce truc, tu ne l’as pas lu ! »
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<b>Frédéric Couchet : </b>Ils ajoutent de la friction, quelque part.
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<b>Henri Verdier : </b>Ils mettent de la friction, absolument. Ça avait commencé avec WhatsApp qui empêchait qu’on « forwarde » à plus de dix personnes à la fois un message reçu sur WhatsApp.<br/>
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Je pense que tout ça marque une insuffisance de pensée d’ingénieur, en fait de pensée systémique. Pour conclure, parce que c’est une question et je suis sûr que vous en avez d’autres, il y a quand même un point très important. Ce que cherche quand même, en vérité, le secrétaire d’État au numérique.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Cédric O.
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<b>Henri Verdier : </b>C’est quelque chose qui rappellerait un peu la régulation des banques. Qu’est-ce qui se passe avec les banques ? On ne leur demande pas d’attraper tous les mafieux. Elles ont des obligations de diligence. Elles doivent avoir suffisamment de <em>data</em>, prendre certaines sécurités elles-mêmes et être capables de transmettre les données aux autorités en cas de besoin. Et elles ne passent les mêmes à un juge d’instruction qui cherche un criminel, à Tracfin.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Tracfin c’est la partie financière, la fraude fiscale.
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<b>Henri Verdier : </b>Tracfin qui cherche de la grosse délinquance ou à l’administration fiscale. Donc tout le monde cherche, en ce moment, à définir quel sera le devoir de diligence qui sera imposé à ces entreprises pour que les autorités puissent faire leur travail.<br/>
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Je fais partie de ceux qui pensent qu’on leur avait délégué trop de pouvoir d’appréciation plus une incitation à sur-censurer, donc je n’étais pas confortable avec la loi Avia et je l’avais dit. Il faut bien comprendre que tant qu’on n’aura pas ce tiers statut, une pensée d’un système qui ne soit pas intrinsèquement pervers et une claire idée de diligence de ces entreprises, on n’aura pas de bonne solution.
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<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. On reviendra sans doute sur ce sujet, pas aujourd’hui mais peut-être dans une autre émission avec d’autres personnes parce que c’est un sujet complexe, qui va occuper au niveau européen et au niveau français. Peut-être qu’on aura prochainement une loi numérique de ce gouvernement ou des prochains, je ne sais pas !
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Je reviens sur l’ambassadeur pour le numérique, j’ai une question : quand vous êtes nommé, vous n’êtes pas nommé pour une durée précise ?
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<b>Henri Verdier : </b>Non, c’est comme un directeur interministériel, c’est nommé en Conseil des ministres et révocable tous les mercredis.
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<b>Frédéric Couchet : </b>C’est-à-dire que si le secrétaire d’État au numérique change, vous pouvez changer.
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<b>Henri Verdier : </b>Non !
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<b>Frédéric Couchet : </b>C’était une blague !
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<b>Henri Verdier : </b>Moi je dépends et je réponds au ministre des Affaires étrangères. Vous faisiez référence à autre chose, mais bon !
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<b>Frédéric Couchet : </b>Oui, je sais.<br/>
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Il y a des gens qui sont très taquins sur le salon web, Je rappelle que vous pouvez nous rejoindre en direct causecommune.fm, bouton « chat », salon #libreavous. Marie-Odile qui dit « tirons au sort 35 citoyens qui vont décider ». C’est très taquin, mais cette solution du tirage au sort n’est pas sans démérite dans d’autres contextes.<br/>
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On va revenir à notre sujet parce que le temps file vite. On a bien compris le rôle d’ambassadeur pour le numérique. Vous avez parlé un peu de certaines choses que vous avez faites. Est-ce que vous voudriez rapidement citer, on ne l’a pas encore fait, un ou deux résultats que vous avez obtenus depuis 2018 ? On a parlé du point org, on a parlé de ce qui s’est passé en Afrique, est-ce que vous pouvez citer un autre exemple ou deux ?
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<b>Henri Verdier : </b>Oui. Après, la diplomatie est un sport collectif et d’influence donc les résultats spectaculaires, à la limite on pourrait presque dire que c’est la preuve d’un échec diplomatique.<br/>
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On a quand même réussi, malgré une opposition très forte de la précédente administration américaine, à construire le Partenariat mondial pour l’intelligence artificielle, pour créer un cadre international de réflexion sur la régulation et l’éthique de l’intelligence artificielle.
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<b>Frédéric Couchet : </b>La précédente administration, celle de Donald Trump ?
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<b>Henri Verdier : </b>Oui. Moi je trouve effectivement que le plus important c’est qu’on imbibe à la fois les diplomates d’une certaine pensée du numérique. J’ai dû faire lire l’article de Lessig,<em>Code is Law</em>.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Lawrence Lessig, l’article préféré de mon collègue Étienne Gonnu qui est en régie.
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<b>Henri Verdier : </b>En général on tombe sur le Framablog quand on le recommande, donc j’ai dû le faire lire des centaines de fois. C’est important de dire qu’il y a des batailles qui se jouent dans les infrastructures. Vous avez peut-être vu qu’en ce moment Huawei propose à l’Union internationale des télécommunications un nouveau protocole TCP/IP beaucoup mieux parce que beaucoup stable, beaucoup plus centralisé et beaucoup plus facile à réparer si jamais des gens en abusent.<br/>
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Je pense que le plus important c’est qu’on est en train de diffuser l’idée qu’il y a de la tech dans la diplomatie et, en retour, essayer de diffuser que dans la régulation de la tech, les communs, l’ouverture, la société civile, etc., ça fait partie de la solution et qu’on ne doit pas penser la régulation de la tech comme celle de l’aérospatiale.
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<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. Dernière question sur cette partie. Tout à l’heure vous avez parlé d’une équipe. Vous êtes secondé part une équipe de combien de personnes ?
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<b>Henri Verdier : </b>On a une petite équipe de trois personnes qui fonctionnent un peu comme un cabinet autour d’un ministre, qui m’aident, du coup, à mettre en mouvement la cinquantaine de personnes dont j’ai parlé qui ont chacune leur propre directeur. Et j’ai pu quand même ramasser trois francs six sous et lancer une de ces startups d’État, format que j’avais inventé à la DINSIC. Donc il y aune petite équipe de devs.
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<b>Frédéric Couchet : </b>De développeurs et de développeuses.
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<b>Henri Verdier : </b>De développeurs agiles et <em>full stack</em>.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Expliquez <em>full stack</em>.
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<b>Henri Verdier : </b>Ce n’est pas à moi d’expliquer, c’est à vous !
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<b>Frédéric Couchet : </b>C’est vous l’intervenant. Mo je ne connais rien à ces sujets-là.
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<b>Henri Verdier : </b>Une petite équipe de développeurs comme on les aime, qui travaillent notamment, par exemple pour citer une des choses qu’on a faites, vous pouvez les retrouver sur le disinfo.quaidorsay.fr/fr, on fait un outil qui aspire toutes les CGU d’une cinquantaine de grandes entreprises du numérique et qui traque les différences.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Les différences.
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<b>Henri Verdier : </b>Vous avez remarqué que non seulement ces conditions générales d’utilisation sont plus longues que <em>Cyrano de Bergerac</em> en nombre de mots mais, en plus, elles changent tous les 15 jours et sans qu’on vous notifie qu’elles viennent de changer. Ça nous permet d’historiciser ces changements et de voir si elles nous ont pipeauté dans la négociation ou pas, de voir comment elles réagissent à une crise comme la covid, à une nouvelle loi qu’on vient de passer, etc., et de mieux négocier avec elles, parce qu’on les met devant leurs responsabilités. Naturellement c’est un logiciel libre, vous pouvez en prendre le code source sur GitHub.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Ah !
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<b>Henri Verdier : </b>Oui, je sais !
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<b>Frédéric Couchet : </b>Ce n’est pas grave, on va en parler après.
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<b>Henri Verdier : </b>On avait notre compte avant que ce soit Microsoft et, bien sûr, on essaie de faire naître une communauté de contributeurs qui, eux-mêmes, ramènent leurs archives, leurs observations et tout ce qu’ils ont pu aspirer depuis le temps dans d’innombrables entreprises du numérique.
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 +
<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. GitHub ce n’est pas le problème, ce n’est pas que ça appartient à Microsoft. C’était déjà un environnement privateur sur Git. On va justement en parler après.<br/>
 +
On va faire une petite pause après cette première partie, donc la découverte de ce rôle d’ambassadeur du numérique et de Henri Verdier. J’ai bien vu les questions sur le salon web, notamment ce qu’est la définition des communs. On va en parler après la pause musicale.<br/>
 +
On va faire une petite pause musicale. On va continuer la découverte de cet artiste Guifrog. On va écouter <em>Tormenta</em>. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
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<b>Pause musicale : </b><em>Tormenta</em> par Guifrog.
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<b>Voix off : </b>
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==Deuxième partie==
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<b>Frédéric Couchet : </b>Nous venons d’écouter <em>Tormenta</em> par Guifrog
  
 
==Discussion avec Henri Verdier, Ambassadeur pour le numérique==
 
==Discussion avec Henri Verdier, Ambassadeur pour le numérique==

Version du 7 janvier 2021 à 09:12


Titre :' Émission Libre à vous ! diffusée mardi 5 janvier 2021 sur radio Cause Commune

Intervenant·e·s : Marie-Odile Morandi - Henri Verdier - Isabella Vanni - Frédéric Couchet- Étienne Gonnu à la régie

Lieu : Radio Cause Commune

Date : 5 janvier 2021

Durée : 1 h 30 min

[ Écouter ou enregistrer le podcast PROVISOIRE]

Page des références utiles concernant cette émission

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration :

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
J’espère que vous avez passé de belles fêtes de fin d’année aussi joyeuses et chaleureuses que possible malgré le contexte sanitaire.
Libre à vous ! est retour sur radio Cause Commune. Notre invité principal aujourd’hui est Henri verdier, ambassadeur pour le numérique. Avec également au programme la chronique de Marie-Odile Morandi qui va nous parler de collectivités locales et logiciel libre, la chronique d’Isabella Vanni sur l’association ARCAF, Autodéfense et Ressources pour le Choix et l'Autonomie des Femmes et leur rapport au logiciel libre. Nous allons parler de tout cela dans l’émission Libre à vous ! du jour.

Vous êtes sur la radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 FM en Île-de-France et en DAB+ et partout dans le monde sur le site causecommune.fm.

Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.
Le site web de l’April c’est april.org, vous y trouverez une page avec les références utiles et les moyens de nous contacter.

Nous sommes mardi 5 janvier 2021, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

À la réalisation de l’émission mon collègue Étienne Gonnu. Bonjour Étienne.

Étienne Gonnu : Salut Fred.

Frédéric Couchet : Si vous souhaitez réagir, poser une question pendant ce direct, n’hésitez pas à vous connecter sur le salon web de la radio. Pour cela rendez-vous sur le site de la radio, causecommune.fm, cliquez sur le bouton « chat » et rejoignez-nous sur le salon dédié à l’émission, #libreavous.
Nous vous souhaitons une excellente écoute.

Tout de suite place au premier sujet.

[Virgule musicale]

Chronique « Les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture » de Marie-Odile Morandi sur le thème « Une résolution de début d'année pour chacune de nos 36 000 communes »

Frédéric Couchet : Les choix, voire les coups de cœur de Marie-Odile Morandi, qui met en valeur deux ou trois transcriptions dont elle conseille la lecture, c’est la chronique « Les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture » de Marie-Odile Morandi, animatrice du groupe transcriptions de l’April.
Bonjour Marie-Odile.

Marie-Odile Morandi : Bonjour Frédéric. Bonjour à tous les auditeurs et auditrices.

Frédéric Couchet : Aujourd’hui, thème de début d’année, les résolutions. Le thème de ton intervention « Une résolution de début d’année pour chacune de nos 36 000 communes ». Nous t’écoutons.

Marie-Odile Morandi : Tout à fait.
Au cours de l’année 2020, diverses personnes représentants des communes ou des collectivités locales sont intervenues dans l’émission Libre à vous ! pour présenter l’engagement de leur entité en faveur du logiciel libre. Nous avons ainsi pu écouter le directeur de Nancy Ville numérique qui représente un bassin de 280 000 habitants, mais aussi l’adjointe au maire de Saint-Martin d’Uriage, petite commune de 5600 habitants, preuve qu’il n’est pas nécessaire d’être une grande commune, une grande collectivité, pour s’engager. Dans les propos tenus par les intervenants et intervenantes, j’avais remarqué beaucoup de similitudes que j’ai souhaité rassembler dans la chronique d’aujourd’hui. Vous retrouverez les liens vers les diverses transcriptions sur le site de l’April, sur la page des références concernant l’émission d’aujourd’hui. Sachant qu’il y a un peu plus de 36 000 communes en France qui ont les mêmes missions, un vœu en ce début de nouvelle année serait d’inciter chacune à se lancer dans un projet de migration vers le Libre. Qui sait !

Les garanties de transparence, d’interopérabilité et d’indépendance permises par le logiciel libre sont vantées avec la possibilité de faire des modifications, de développer des usages spécifiques du fait de son code source ouvert et accessible. Le mot « mutualisation » est aussi à l’honneur avec la possibilité de partager un service informatique entre différentes communes qui travaillent effectivement de concert à développer des usages et des outils communs.

Pour bien démarrer son projet, il faut de bonnes bases. Il faut un élu qui ait compris les bienfaits du logiciel libre pour sa collectivité. Cet élu doit être soutenu par le maire et les responsables du service d’information, une équipe ou une seule personne, qui partagent ces mêmes valeurs, qui seront curieux, voudront comprendre comment tout fonctionne avec la volonté de répondre effectivement aux besoins des utilisateurs. Il faut alors planifier ce qu’on va renouveler ou ce qu’on va mettre en place et qui sera du logiciel libre.

Les méthodes utilisées se ressemblent. Pratiquement partout le projet de migration commence avec la bureautique libre suivie de la messagerie électronique. Pour réussir il faut préparer une bonne communication autour du projet : organiser des réunions d’information avec l’ensemble des futurs utilisateurs et utilisatrices, les écouter, expliquer pourquoi on désire s’orienter vers tel logiciel de bureautique. Il faut ensuite mener la conduite du changement avec, si possible, une personne interne qui fait de l’accompagnement personnalisé au quotidien, prend en compte les réalités et les pratiques de chacun et chacune afin de rassurer et de donner envie de changer. Dans cet accompagnement, il faut prendre son temps, ne pas avoir d’objectif chiffré ou daté, ne rien imposer.

En forme de clin d’œil, la ville de Fontaine a décidé de faire migrer en premier les décideurs, les élus, le maire. En effet, ce sont des utilisateurs exigeants, ce sont eux qui ont pris la décision, c’est donc une façon de montrer qu’ils l’assument.

Souvent on commence par installer des outils libres autant que possible sur l’ensemble des postes Windows. Le remplacement de Windows par un système d’exploitation libre, phase ultime d’un projet de migration vers le Libre, est alors facilité par le fait que les utilisateurs retrouvent l’ensemble des logiciels auxquels ils sont habitués, avec une interface un peu différente, mais les outils n’ont pas changé.

Des freins sont signalés. Le manque de culture informatique concernant le logiciel libre est dénoncé. Les stéréotypes ont la vie dure dans l’inconscient. Les personnes pensent encore que le logiciel est moins bien puisqu’il est gratuit. Au cours des réunions d’information, il faut tordre le cou à cette idée reçue, expliquer que le Libre a aussi un coût, au minimum celui du premier développement. Les réticences au changement sont humaines. Quand on s’est accoutumé à un outil, il est compliqué de modifier ses habitudes et cela peut engendrer de l’inquiétude.

Pour pallier ces freins, l’importance de la formation a été soulignée par tous les intervenants. Cette formation est l’occasion de remettre à niveau l’organisation par chacun de son travail quotidien. Une meilleure utilisation des fonctionnalités offertes par les logiciels libres permet une montée en compétence de toutes et tous. Le logiciel libre est alors vécu comme vecteur d’émancipation dans la relation à l’informatique. Il permet aussi de gagner en autonomie et en indépendance sur la gestion des logiciels vis-à-vis des éditeurs du marché. Les avantages remarqués sont considérables.

Le souci des dépenses donc des coûts est primordial dans une collectivité puisque les budgets sont à la baisse. En déployant des logiciels libres, l’économie du coût des licences est un fait. L’argent ainsi économisé est investi dans la formation des agents, dans l’acquisition de prestations d’accompagnement, dans la personnalisation des outils. C’est donc plus un déplacement des coûts. La dépense devient une démarche d’investissement pour se réapproprier son système d’information. Centraliser tous les achats informatiques au niveau d’un seul service informatique, mutualiser entre communes réduit encore les dépenses.

Ce souci d’optimisation de la dépense des deniers publics avec cette façon de dépenser autrement fait partie de l’éthique de l’élu politique d’une ville. C’est pour tous et toutes un enjeu déontologique. Les revenus des grands acteurs américains qui vendent du logiciel privateur partent en Irlande, aux États-Unis et ces sociétés sont bien souvent championnes de l’optimisation fiscale. Or, participer à la société, c’est aussi payer l’impôt. Il s’agit de faire en sorte que les sociétés avec lesquelles la collectivité travaille soient fiscalisées en Europe et en France de préférence. Trouver des compétences locales, faire travailler les écosystèmes locaux relève de la responsabilité d’un élu. Les prestataires locaux seront des habitants du territoire qui bénéficient de l’ensemble des infrastructures de la commune, qui sont inscrits dans le tissu économique local. Ces prestataires qui deviennent des partenaires sont tournés vers l’utilisateur et non vers leur chiffre d’affaires. On recrée ainsi de l’emploi au niveau local et on participe à l’animation économique du territoire.

Un autre aspect souvent mentionné de cette éthique concerne la vie privée et les données personnelles des utilisateurs. Les systèmes libres ne demandent pas nos données personnelles pour en faire commerce. Ce sont des systèmes d’information loyaux dans lesquels on peut avoir confiance. Ne plus être tributaires du monopole exercé par les GAFAM, ne plus subir les contraintes de ces acteurs, reprendre la maîtrise des logiciels et des données permet d’acquérir une indépendance au niveau technique, au niveau sociétal, au niveau politique.

La similarité qui existe entre les valeurs du Libre et les valeurs du service public a été régulièrement relevée. « Le logiciel libre permet d’injecter toujours plus de liberté, toujours plus d’égalité, toujours plus de fraternité dans ce qui est fait, dans tous les projets que nous portons », nous affirme le représentant de Fleury-les-Aubrais.

Les collectivités qui sont intervenues sont tournées vers l’avenir, avec l’objectif d’installer, in fine, un système d’exploitation libre GNU/Linux. Elles souhaitent aussi ne pas rester uniquement au stade utilisateur, mais développer ou augmenter leur contribution au Libre : les fonctionnalités ajoutées aux logiciels seront déposées sur les forges, ces plateformes où sont stockés les codes à disposition de tous. Puisqu’ils sont libres, ces logiciels pourront être réutilisés à titre individuel par les citoyens, par des entreprises et par d’autres collectivités. Ce commun logiciel pourra bénéficier à toutes et tous avec réappropriation collective d’une informatique responsable et libre dont nous sommes tous dépendants dans nos relations sociales et dans nos relations avec les administrations.

Il a été remarqué que l’écosystème du Libre est très riche aujourd’hui avec des communautés qui s’entraident, de nombreuses entreprises du Libre, le Conseil national du logiciel libre, sans oublier les associations souvent citées comme l’ADULLACT [Association des Développeurs et Utilisateurs de Logiciels Libres pour les Administrations et les Collectivités Territoriales] et l’April.

Migrer vers le logiciel libre, n’est-ce pas à la portée de nos 36 000 communes ? Il faut oser. Nos collectivités ont un rôle à jouer pour promouvoir, grâce au Libre, les valeurs de partage et de solidarité. C’est le souhait que nous faisons en ce début d’année 2021.

Frédéric Couchet : Merci pour ce souhait. J’y rajouterais la migration de l’État, dont on va peut-être parler tout à l’heure, vers le logiciel libre.
Je tenais profiter de ce début d’année pour te féliciter, Marie-Odile, notamment pour les 149 transcriptions effectuées en 2020, ce qui représente 115 heures d’audio et de vidéos, ainsi que les personnes qui t’ont aidée à relire. N’hésitez pas à aider Marie-Odile et ces personnes, vous allez sur april.org et vous trouverez les références pour contribuer.
Tout à l’heure tu parlais de forge. Je précise que le Chapril, qui est notre service libre, loyal et éthique, vous propose actuellement une forge. Vous allez sur chapril.org. Peut-être que tout à l’heure, dans le sujet suivant, on parlera d’une forge de l’État, peut-être un jour. On va voir avec notre intervenant Henri Verdier que tu as très souvent transcrit, Marie-Odile.

Marie-Odile Morandi : Tout à fait.

Frédéric Couchet : Je te souhaite une bonne fin de journée. À bientôt.

Marie-Odile Morandi : Merci. Bonne émission. Au revoir.

Frédéric Couchet : Au revoir. Nous allons faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Frédéric Couchet : Aujourd’hui notre programmateur musical Éric Fraudain, du site auboutdufil.com, nous fait découvrir l’artiste brésilien du nom de Guilherme Arcoverde qui se fait connaître sur le Web sous le pseudonyme de Guifrog. Depuis 2009, cet artiste enregistre des remix, des morceaux originaux chez lui, dans sa chambre, qu’il partage librement sur Internet.
Nous allons écouter Beyond The Warriors qui est un bel exemple de musique composé à notre à notre époque, mais qui sonne comme un morceau instrumental du Moyen Âge.
On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Beyond The Warriors par Guifrog.

Voix off :

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Beyond The Warriors par l’artiste Guifrog, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC By. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org, sur le site de la radio causecommune.fm et l’artiste a son site sur le site bandcamp.com. Beaucoup de sites, mais vous allez sur april.org ou causecommune.fm et vous aurez les références.

Vous écoutez toujours Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 FM et en DAB+ et en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm.

Nous allons passer à notre sujet principal.

[Virgule musicale]

Discussion avec Henri Verdier, ambassadeur pour le numérique

Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre par notre sujet principal. Nous avons aujourd’hui l’honneur de recevoir Henri Verdier, ambassadeur pour le numérique. Bonjour Henri.

Henri Verdier : Bonjour.

Frédéric Couchet : Si vous souhaitez participer à cette conversation, réagir, poser une question, rendez-vous sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat » et salon #libreavous. Je surveille le salon, je relaierai les questions éventuellement ou vos remarques.
Ambassadeur pour le numérique. Selon Wikipédia, un ambassadeur est un représentant d’un État auprès d’un autre, parfois auprès d’une organisation internationale. C’est le rôle le plus haut au sein de la hiérarchie diplomatique. On connaît depuis longtemps cette fonction auprès des États étrangers, mais un ambassadeur pour le numérique c’est plus récent et sans doute que ses missions ne vous sont pas connues, chers auditeurs et auditrices. Notre invité Henri Verdier va vous faire connaître son ce d’ambassadeur, ses missions, mais on va parler aussi, et beaucoup, de logiciel libre, de données publiques car Henri Verdier, dans son parcours, a été notamment directeur interministériel du numérique et du système d’information et de communication de l’État, donc beaucoup de choses.
Première question, pour en savoir un peu plus sur vous, Henri, petite présentation de votre parcours personnel.

Henri Verdier : C’est un parcours qui suit un peu l’histoire du numérique, puisque, en 1995, je menais des études qui me prédisposaient à enseigner, je suis tombé un peu par hasard sur Internet et on a créé avec des amis, dont Xavier Lazarus qui est devenu le fondateur d’Elaia Partners, un bon VC français.

Frédéric Couchet : Un VC c’est un venture capital, un capital risque.

Henri Verdier : Dont Fred Potter qui a contribué largement à la conception de la Freebox et qui a créé Netatmo plus tard. On a créé une sorte de WebAgency en 1995 ; il y avait 15 000 internautes en France, c’était un peu confiant dans le futur. En 1999, on l’a transformée en entreprise qui faisait de l’éducation au numérique, avec Odile Jacob qui a pris le contrôle de la boîte et qui nous a financés. On a travaillé avec Charpak sur une magnifique pédagogie qui s’appelle La Main à la pâte ; c’était passionnant la tentative d’amener de l’innovation numérique, de la personnalisation, de l’interactivité, de l’ouverture vers l’extérieur dans l’école. Le marché de l’éducation au numérique dans l’école n’a beaucoup décollé pendant ces années-là, donc on a arrêté en 2007.
J’ai créé quelques autres boîtes, à l’époque on appelait ça les big data, en 2010. J’avais quand même un goût de l’action collective, donc, avec des amis, on a créé un pôle de compétitivité qui s’appelle Cap Digital, qui est une belle partie de ma vie.

Frédéric Couchet : En Île-de-France.

Henri Verdier : C’était le pôle des industries de création culturelle en Île-de-France, il y avait des robots, il y avait des jeux vidéos, il y avait des effets spéciaux pour cinéma, il y avait des Web services dans tous les sens. Aujourd’hui Cap Digital a plus de 1000 startups, 250 labos publics et privés de recherche et 25 grands groupes. On avait lancé un très beau festival qui s’appelait Futur en Seine qui a eu un peu plus de mal quand il a dû faire face, j’oublie même le nom, à celui de Publicis.

Frédéric Couchet : Je ne me souviens pas.

Henri Verdier : Qui a lieu tous les ans en juillet, qui existe encore un peu dans un format un peu plus réduit.
En 2013 on m’a proposé de rejoindre l’État, ce qui était un moment de grand bonheur, d’abord pour conduire la politique d’ouverture des données publiques, d’open data, à la tête de la mission Etalab. Très vite on a ouvert les données publiques, puis le code, puis le code source des modèles avec OpenFisca et des choses comme ça.
En 2015 on m’a proposé de diriger la Direction interministérielle du numérique et du SI de l’État. Là j’ai essayé de porter à la fois le Libre, les méthodes agiles, les stratégies fondées sur la donnée, l’ouverture aux écosystèmes.
Il y a deux ans on m’a proposé de conduire la diplomatie numérique française en devenant ambassadeur pour les affaires numériques.

Frédéric Couchet : D’accord. C’est effectivement une présentation parfaite. On voit bien ce passage de rôle d’entrepreneur à haut fonctionnaire de l’État. Vous avez parlé de la DINSIC, la Direction interministérielle des systèmes d'information et de communication de l'État, et de votre rôle autour des logiciels libres, des méthodes agiles. On va y revenir dans la deuxième de l’émission parce que, évidement, c’est ce qui nous intéresse le plus. En même temps, ce qui nous intéresse aussi c’est ce rôle d’ambassadeur pour le numérique parce que c’est sans doute relativement récent, vous allez nous le dire. Mais surtout la question, quand on a évoqué ce sujet, les gens nous ont dit « pourquoi un ambassadeur pour le numérique et c’est quoi un ambassadeur pour le numérique? Quelles sont les missions ? »

Henri Verdier : Peut-être que la deuxième vous intéresse plus parce que vous ne connaissez pas encore la première !
Les gens ne réalisent peut-être pas à quel point le destin des États, donc le destin des relations internationales est maintenant déterminé par la révolution numérique et à quel point, en retour, les États s’emploient à déterminer l’avenir du numérique. On ne réalise pas mais dès qu’on pense cinq minutes on réalise que la prochaine guerre commencera peut-être par une cyberattaque, que la maîtrise de l’intelligence artificielle est clairement devenue un enjeu dans des rapports de puissance, que le conflit, la tech war entre la Chine et les États-Unis…

Frédéric Couchet : La guerre technologique.

Henri Verdier : Je les cite parce que, justement, la France récuse l’idée qu’il y aurait une guerre technologique. Cette guerre technologique entre la Chine et les États-Unis détermine largement le futur de l’Europe. Qu’on ne peut pas envisager l’aide au développement de l’Afrique sans penser à ces infrastructures logicielles. Qu’on ne peut pas défendre sérieusement la francophonie si on n’a pas un regard sur ce qui se passe sur la toile. Donc vous voyez qu’il y a des très nombreux enjeux de géopolitique qui sont du ressort de la diplomatie, qui ont un rapport avec le numérique.
Il y avait une diplomatie numérique bien avant qu’on la formalise dans le rôle d’un ambassadeur pour le numérique puisque la France a un siège à l’Internet Governace Forum, a un siège à l’ICANN, plaide à l’OCDE pour une fiscalité pour le numérique.
Pour commencer, je pourrais dire que l’ambassadeur pour les affaires numériques est celui qui représente la France dans ces négociations-là.

Frédéric Couchet : C’est-à-dire qu’l y avait déjà des négociations et des personnes qui agissaient, mais il y a eu besoin d’un rôle spécifique d’ambassadeur avec un statut d’ambassadeur ?

Henri Verdier : Voilà. À la fois pour deux raisons.
Vous avez rappelé qu’ambassadeur c’est aussi le titre de celui qui est souvent est plénipotentiaire ; il vient représenter son pays avec le mandat de négocier, et si vous n’êtes pas ambassadeur en général vous n’êtes pas plénipotentiaire.
Et puis il y avait le fait que, au fond, ces sujets étaient éparpillés au sein du ministère des Affaires étrangères. Quand je suis arrivé j’ai commencé par faire une sorte de cartes des gens qui traitaient de sujets numériques au Quai d’Orsay et j’en ai trouvé plus de 50 un peu partout. Il y a ceux qui ont inventé les visas startups pour les entrepreneurs qui venaient investir en France, il y a ceux qui travaillaient sur la fiscalité, tout ce que je viens d’énumérer. Donc le fait que ce soit maintenant porté par un ambassadeur permet d’unifier toutes ces forces dispersées, puisque ce ne sont pas mes équipes, mais je peux leur donner des mandats ou les inter-opérer parce j’ai le titre d’ambassadeur.

Frédéric Couchet : J’ai une petite question à vous poser avant que vous ne reveniez sur les missions. Vous parlez du Quai d’Orsay parce que, évidemment, en tant qu’ambassadeur vous dépendez du Quoi d’Orsay. Mais dans les négociations internationales autour du numérique, de l’informatique, depuis très longtemps il y a un autre ministère qui joue un rôle important et souvent, on va dire, en défaveur des libertés et des droits des personnes, c’est le ministère de la Culture. Est-ce que vous unifiez aussi ces personnes qui travaillent au ministère de la Culture ou c’est vraiment spécifique Quai d’Orsay ?

Henri Verdier : L’État est sérieux. La France est d’ailleurs assez solide sur l’interministériel. On part avec de mandats. Quand on touche aux intérêts d’autres ministères, je ne m’attendais pas à ce que vous disiez la Culture.

Frédéric Couchet : Historiquement en France, la Culture a toujours poussé pour l’extension…

Henri Verdier : Absolument. Comme beaucoup de gens je me suis éveillé à la conscience, comment dire, de la techno-politique dans les controverses autour d’HADOPI.

Frédéric Couchet : Et la loi droit d’auteur en 2006 avant, dans les années 2000.

Henri Verdier : Il a changé. Franchement sur un certain nombre de sujets on peut considérer que le ministère de la Culture se vit comme le ministère de la liberté d’expression, qu’il a quelque chose à dire sur la liberté d’expression et qu’il le fait.
En général quand on part, il y a des questions qui sont clairement Quai d’Orsay et des questions qui sont arbitrées par exemple avec le ministère de l’Intérieur, par exemple avec le ministère de l’Économie et des Finances ou avec le ministère de la Culture et d’autres.

Frédéric Couchet : Donc l’interministériel.

Henri Verdier : Souvent on a d’abord une phase d’organisation interministérielle, bien sûr.

Frédéric Couchet : D’accord. Question de date. Est-ce que vous êtes le premier ambassadeur pour le numérique ? Est-ce qu’il y en a eu d’autres avant ? De quand date cette fonction ?

Henri Verdier : Je crois que l’apparition de l’expression, ils avaient dit Tech Ambassador, effectivement ce sont les Danois qui n’avaient pas pensé tout à fait à la même chose que nous. Ils avaient dit les big tech, les GAFA comme on dit souvent en France, ont un tel poids sur notre destin que nous allons ouvrir une représentation permanente à San Francisco et nous aurons un ambassadeur, en tout c’était un vrai diplomate, pour parler avec ces entreprises.

Frédéric Couchet : Casper Klynge

Henri Verdier : Casper Klynge, qui a rejoint Microsoft il y a quelques mois.

Frédéric Couchet : Mince ! J’allais vous faire un quiz. On voit quand même le professionnel qui a bien préparé !

Henri Verdier : J’ai bien connu Casper.

Frédéric Couchet : On va juste préciser, pour que les gens comprennent bien, que là c’est de l’inverse dont on parle. En 2017, le Danemark nomme un ambassadeur auprès de ce l’on appelle les GAFAM, les géants du Net.

Henri Verdier : Non, pas « auprès » parce qu’il n’y a pas de lettre de créance.

Frédéric Couchet : Non, il n’y a pas de lettre. Aujourd’hui, depuis mars 2020, il est vice-président en charge des affaires publiques pour Microsoft Europe, dont il a rejoint le « M » des GAFAM.

Henri Verdier : Ce qui est amusant c’est que quand j’ai rejoint le Quai d’Orsay j’ai découvert que les gens restaient ambassadeur trois ans puis changeaient de pays. On disait « si tu restes plus de trois ans dans le même poste, tu vas devenir trop proche du pays avec lequel tu es chargé de traiter ». Peut-être que Casper est resté top longtemps en poste !>br/> Six mois plus tard la France a créé l’ambassadeur pour le numérique, le premier c’était David Martinon.

Frédéric Couchet : Donc en 2017, David Martinon.

Henri Verdier : La même année mais six mois plus tard et nous on ne l’a jamais positionné comme quelqu’un qui représenterait l’État vers une puissance que seraient des entreprises. C’était pour aller à l’ICANN.

Frédéric Couchet : Dans les organismes internationaux. Ce n’est pas du tout la même chose que le Danemark.

Henri Verdier : Peut-être ce que je ne vous ai pas dit. Je vous ai expliqué à quel point il y a du numérique dans la géopolitique et vice-versa. Globalement, aujourd’hui, je présente souvent le périmètre de l’ambassadeur pour le numérique comme une espèce de boussole avec quatre flèches : on a des grands sujets autour de la sécurité. Autour de la sécurité il y a la cybersécurité et là c’est clairement un sujet de droit de la guerre – nous on dit droits humanitaires, mais c’est droit de la guerre –, donc ce qui est permis, ce qui n’est pas permis, comment on contrôle, c’est du droit international. Et puis il y a des sujets de sécurité sur les contenus et là, la discussion internationale sur comment faire face. Il y a un vaste spectre.

Frédéric Couchet : Vous parlez de la régulation des contenus ?

Henri Verdier : On a un mot à dire sur la régulation des contenus quand ça touche les ingérences étrangères dans les élections, quand ça touche la régulation de la haine. Souvent le quai d’Orsay se retrouve, finalement, quand même dans les dossiers, parce que tant qu’ils sont en France on n’a rien à dire, mais ensuite on essaye d’en faire des textes européens et on arrive là dans le dialogue européen.

Frédéric Couchet : D’ailleurs ça n’a pas très bien réussi à ce gouvernement récemment, mais on ne va pas aborder ce sujet en détail.

Henri Verdier : On ne va pas aborder ce sujet-là. Ou ça lui a bien réussi, je ne sais pas !
Donc on a des sujets de sécurité, des infrastructures et des contenus, souvent avec des gens très régaliens qui sont là, dans lesquels on croise des militaires, des services, etc.
On a des sujets de gouvernance d’Internet, donc on tient le siège à l’ICANN par exemple.

Frédéric Couchet : Parlez juste ce qu’est l’ICANN pour les gens qui nous écoutent.

Henri Verdier : L’ICANN c’est l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers.

Frédéric Couchet : C’est là qu’ils gèrent notamment les noms de domaines.

Henri Verdier : Les attributions des noms de domaines, etc. L’an dernier, par exemple, on a mené un combat dont je suis assez fier pour tout dire. On a failli assister à la privatisation subreptice du point org.

Frédéric Couchet : Oui, la vente du point org.

Henri Verdier : Qui aurait été à un fonds d’investissement, Ethos Capital, lui-même fondé par l’ancien directeur général de l’ICANN qui venait de faire voter par son board, malgré l’avis négatif de tous les adhérents, le fait qu’il allait se vendre à lui-même le point org.

Frédéric Couchet : Donc vous avez agi là-dessus.

Henri Verdier : Plus que ça. Nous sommes clairement le premier pays, en tant que pays, puisqu’avant nous, bien sûr, l’Electronic Frontier Foundation avait manifesté son désaccord.

Frédéric Couchet : L’April avait cosigné la lettre de l’Electronic Frontier Foundation.

Henri Verdier : Mais le premier pays qui avait battu le premier le rappel en disant nous n’acceptons pas, c’est inacceptable, etc., c’est la France qui a ensuite entraîné l’Allemagne, l’Europe. La vérité qui est vexante pour vous et pour moi c’est que c’est probablement l’Attorney General de Californie qui a réglé la querelle en disant « si vous faites ça, je vous ferai payer les 20 ans d’impôts auxquels vous avez échappé parce que vous étiez nonprofit. Cela dit, on a au moins l’honneur d’avoir sonné la charge et que les États se préoccupent de l’intérêt général sur la gouvernance de l’Internet. Donc sécurité.

Frédéric Couchet : C’était déjà ça, sur la gouvernance de l’Internet. Deuxième point ?

Henri Verdier : De la diplomatie économique comme la question de la fiscalité pour les affaires numériques qui est, bien sûr, d’abord portée par Bercy, mais on suit de très près et dans un dialogue constant avec Bercy.
Et puis, ne l’oubliez pas, la France a quand même une vraie grande diplomatie de valeurs, la France défend l’accès à l’éducation, l’accès à la culture, le développement des pays émergents, la liberté d’expression, la liberté de la presse.

Frédéric Couchet : Y compris Gérald Darmanin ?

Henri Verdier : Puisque je vous sens taquin, vous allez me dire au moins à l’étranger nous les défendons. Aujourd’hui on ne peut plus penser tout ça sans penser à travers le numérique. En fait, il y a énormément de sujets numériques dans l’accompagnement de la transition numérique de ces politiques publiques-là. Donc l’ambassadeur pour les affaires numériques supervise tout ça, il harmonise tout ça et il met en mouvement des forces qui sont un peu partout au sein du Quai d’Orsay.

Frédéric Couchet : Et il y a la langue française dont vous avez parlé en introduction.

Henri Verdier : Par exemple cet hiver, j’ai été très fier, on a donné un coup de pouce, pour le coup bête et méchant, on s’est retroussé les manches et on a aidé avec l’OIF.

Frédéric Couchet : L’OIF ?

Henri Verdier : L’Organisation internationale de la francophonie. Vous avez, vous aussi, vos sigles !

Frédéric Couchet : Oui, mais les personnes qui écoutent ne connaissent pas forcément tous les sigles !

Henri Verdier : D’accord. On s’est rendu compte que l’Afrique aussi allait devoir faire face à sa crise du Covid et qu’elle avait des États parfois moins structurés avec des systèmes de santé encore plus à plaindre que les nôtres et qu’elle a quand même des innovateurs, des entrepreneurs, des fab labs, etc. On a fait naître un mouvement, tout bêtement en utilisant Slack.

Frédéric Couchet : Slack est un environnement propriétaire de travail collaboratif, on va dire. Un truc moins bien que les outils libres qui existent.

Henri Verdier : Il se trouve qu’ils sont partis sur Slack. À la fin, on a fait vivre ce réseau de plus de 6000 innovateurs africains qui, un peu partout, fabriquaient des masques, des respirateurs artificiels, des petits guides de bonnes pratiques sanitaires, qui s’entraidaient, qui se passaient des tips, des tuyaux et des ressources. Et là on a vu ces services de véhicules pour aider à cristalliser un mouvement dont l’énergie venait d’Afrique et c’était un très beau moment de travail diplomatique.

Frédéric Couchet : D’accord.
Sur le salon web, je vois une question. Je vais la lire telle quelle parce qu’elle est assez longue : on semble noter à travers différents projets législatifs une tendance à déléguer une partie des pouvoirs régaliens aux grandes plateformes. On peut ainsi penser à la tentative de la proposition de loi Avia sur la régulation de la haine de déléguer la sanction des propos haineux, ou la directive droit d'auteur, donc ministère de la Culture, le contrôle de la licéité des partages d’œuvres par les internautes aux GAFAM. Partagez-vous ce constat ? Quelle est votre lecture de cet enjeu ?

Henri Verdier : Ma lecture de cet enjeu c’est qu’on a plutôt été toujours défavorable à ce genre de logique puisque l’état de droit ça commence par des règles de base de l’état de droit et c’est dans la démocratie que doivent se prendre les sanctions.
Cela étant rappelé, pour répondre à la question en la montant à une certaine portée théorique, premièrement il y a 15 ans, 20 ans, je ne sais plus, on a eu des batailles homériques qui ont permis d’établir l’idée qu’il y avait un statut de l’hébergeur avec sa neutralité.

Frédéric Couchet : C’est la directive européenne de 2000 et la loi pour la confiance dans l’économie numérique de 2004.

Henri Verdier : Bravo ! Vous êtes plus calé que moi !

Frédéric Couchet : Qui va bientôt être revue, sans doute.

Henri Verdier : Donc on avait l’hébergeur et heureusement, sinon on n’aurait sans doute pas eu la révolution internet, dont on a rappelé qu’il était neutre aux contenus et neutre sur la responsabilité des contenus, et l’éditeur qui prenait la responsabilité sur les contenus. On a vu arriver un business qui s’est faufilé entre les deux, qui dit « ce n’est pas moi qui ai écrit les contenus », mais qui vit réellement de la nature des contenus puisque son placement publicitaire dépend de la nature des contenus.

Frédéric Couchet : Là vous parlez de Facebook et compagnie.

Henri Verdier : C’est le business de la plupart des réseaux sociaux qui, en plus, par la publicité personnalisée, la personnalisation des contenus et le croisement des deux a quand même un rôle de curateur, vous l’appelez comme voulez, et, quelque part, je pense qu’on ne tranchera cette querelle que quand on aura solidement construit le tiers statut.

Frédéric Couchet : Entre hébergeur et éditeur ?

Henri Verdier : Oui. Quand on aura compris quelle est la responsabilité précise et jusqu’où elle va de celui qui certes n’a ni financé ni écrit les contenus, mais en a mis certains en avant, d’autres non, et a quand même joué un rôle dans leur présentation. Aujourd’hui on n’a pas encore clairement ce statut. On a commencé à le préparer dans la directive sur les retraits de contenus terroristes qui est aussi un des sujets qu’on suit, mais ce n’est pas encore un consensus général.
On a un deuxième problème. Vous voyez bien, par exemple Facebook qui se gargarise d’avoir mis 36 000 modérateurs juste pour enlever ce qui contrevient à ses CGU.

Frédéric Couchet : Conditions générales d’utilisation.

Henri Verdier : Même si vous dites que la France c’est 1 % de la population mondiale, on ne va mettre 360 gendarmes juste pour lire Facebook toute la journée et autant sur Twitter et autant sur Tik Tok et autant sur Snap ! Tout le monde cherche, en fait, une solution « scalable », qui passe l’échelle. À titre personnel, je trouve que ces approches, j’ai un devoir de réserve comme vous le savez…

Frédéric Couchet : Oh !

Henri Verdier : Montrent, en tout cas, une pensée pas assez numérique, notamment une absence de réflexion sur les dimensions systémiques, sur le fait, justement, d’un combat sur la transparence des algorithmes de propagation des contenus, un débat public et collectif sur ce qu’on permet ou pas à ces algorithmes de sélection des contenus. Je pense qu’on voit des réponses par exemple dans la stratégie de Twitter qui commence à chercher des petits trucs qui vont freiner la viralité. Vous avez remarqué ?

Frédéric Couchet : Oui, ils avaient changé notamment sur les retweets, par défaut il fallait mettre un commentaire.

Henri Verdier : Depuis quelques semaines ils vous disent « est-ce que tu es sûr que tu veux partager ce truc, tu ne l’as pas lu ! »

Frédéric Couchet : Ils ajoutent de la friction, quelque part.

Henri Verdier : Ils mettent de la friction, absolument. Ça avait commencé avec WhatsApp qui empêchait qu’on « forwarde » à plus de dix personnes à la fois un message reçu sur WhatsApp.
Je pense que tout ça marque une insuffisance de pensée d’ingénieur, en fait de pensée systémique. Pour conclure, parce que c’est une question et je suis sûr que vous en avez d’autres, il y a quand même un point très important. Ce que cherche quand même, en vérité, le secrétaire d’État au numérique.

Frédéric Couchet : Cédric O.

Henri Verdier : C’est quelque chose qui rappellerait un peu la régulation des banques. Qu’est-ce qui se passe avec les banques ? On ne leur demande pas d’attraper tous les mafieux. Elles ont des obligations de diligence. Elles doivent avoir suffisamment de data, prendre certaines sécurités elles-mêmes et être capables de transmettre les données aux autorités en cas de besoin. Et elles ne passent les mêmes à un juge d’instruction qui cherche un criminel, à Tracfin.

Frédéric Couchet : Tracfin c’est la partie financière, la fraude fiscale.

Henri Verdier : Tracfin qui cherche de la grosse délinquance ou à l’administration fiscale. Donc tout le monde cherche, en ce moment, à définir quel sera le devoir de diligence qui sera imposé à ces entreprises pour que les autorités puissent faire leur travail.
Je fais partie de ceux qui pensent qu’on leur avait délégué trop de pouvoir d’appréciation plus une incitation à sur-censurer, donc je n’étais pas confortable avec la loi Avia et je l’avais dit. Il faut bien comprendre que tant qu’on n’aura pas ce tiers statut, une pensée d’un système qui ne soit pas intrinsèquement pervers et une claire idée de diligence de ces entreprises, on n’aura pas de bonne solution.

Frédéric Couchet : D’accord. On reviendra sans doute sur ce sujet, pas aujourd’hui mais peut-être dans une autre émission avec d’autres personnes parce que c’est un sujet complexe, qui va occuper au niveau européen et au niveau français. Peut-être qu’on aura prochainement une loi numérique de ce gouvernement ou des prochains, je ne sais pas ! Je reviens sur l’ambassadeur pour le numérique, j’ai une question : quand vous êtes nommé, vous n’êtes pas nommé pour une durée précise ?

Henri Verdier : Non, c’est comme un directeur interministériel, c’est nommé en Conseil des ministres et révocable tous les mercredis.

Frédéric Couchet : C’est-à-dire que si le secrétaire d’État au numérique change, vous pouvez changer.

Henri Verdier : Non !

Frédéric Couchet : C’était une blague !

Henri Verdier : Moi je dépends et je réponds au ministre des Affaires étrangères. Vous faisiez référence à autre chose, mais bon !

Frédéric Couchet : Oui, je sais.
Il y a des gens qui sont très taquins sur le salon web, Je rappelle que vous pouvez nous rejoindre en direct causecommune.fm, bouton « chat », salon #libreavous. Marie-Odile qui dit « tirons au sort 35 citoyens qui vont décider ». C’est très taquin, mais cette solution du tirage au sort n’est pas sans démérite dans d’autres contextes.
On va revenir à notre sujet parce que le temps file vite. On a bien compris le rôle d’ambassadeur pour le numérique. Vous avez parlé un peu de certaines choses que vous avez faites. Est-ce que vous voudriez rapidement citer, on ne l’a pas encore fait, un ou deux résultats que vous avez obtenus depuis 2018 ? On a parlé du point org, on a parlé de ce qui s’est passé en Afrique, est-ce que vous pouvez citer un autre exemple ou deux ?

Henri Verdier : Oui. Après, la diplomatie est un sport collectif et d’influence donc les résultats spectaculaires, à la limite on pourrait presque dire que c’est la preuve d’un échec diplomatique.
On a quand même réussi, malgré une opposition très forte de la précédente administration américaine, à construire le Partenariat mondial pour l’intelligence artificielle, pour créer un cadre international de réflexion sur la régulation et l’éthique de l’intelligence artificielle.

Frédéric Couchet : La précédente administration, celle de Donald Trump ?

Henri Verdier : Oui. Moi je trouve effectivement que le plus important c’est qu’on imbibe à la fois les diplomates d’une certaine pensée du numérique. J’ai dû faire lire l’article de Lessig,Code is Law.

Frédéric Couchet : Lawrence Lessig, l’article préféré de mon collègue Étienne Gonnu qui est en régie.

Henri Verdier : En général on tombe sur le Framablog quand on le recommande, donc j’ai dû le faire lire des centaines de fois. C’est important de dire qu’il y a des batailles qui se jouent dans les infrastructures. Vous avez peut-être vu qu’en ce moment Huawei propose à l’Union internationale des télécommunications un nouveau protocole TCP/IP beaucoup mieux parce que beaucoup stable, beaucoup plus centralisé et beaucoup plus facile à réparer si jamais des gens en abusent.
Je pense que le plus important c’est qu’on est en train de diffuser l’idée qu’il y a de la tech dans la diplomatie et, en retour, essayer de diffuser que dans la régulation de la tech, les communs, l’ouverture, la société civile, etc., ça fait partie de la solution et qu’on ne doit pas penser la régulation de la tech comme celle de l’aérospatiale.

Frédéric Couchet : D’accord. Dernière question sur cette partie. Tout à l’heure vous avez parlé d’une équipe. Vous êtes secondé part une équipe de combien de personnes ?

Henri Verdier : On a une petite équipe de trois personnes qui fonctionnent un peu comme un cabinet autour d’un ministre, qui m’aident, du coup, à mettre en mouvement la cinquantaine de personnes dont j’ai parlé qui ont chacune leur propre directeur. Et j’ai pu quand même ramasser trois francs six sous et lancer une de ces startups d’État, format que j’avais inventé à la DINSIC. Donc il y aune petite équipe de devs.

Frédéric Couchet : De développeurs et de développeuses.

Henri Verdier : De développeurs agiles et full stack.

Frédéric Couchet : Expliquez full stack.

Henri Verdier : Ce n’est pas à moi d’expliquer, c’est à vous !

Frédéric Couchet : C’est vous l’intervenant. Mo je ne connais rien à ces sujets-là.

Henri Verdier : Une petite équipe de développeurs comme on les aime, qui travaillent notamment, par exemple pour citer une des choses qu’on a faites, vous pouvez les retrouver sur le disinfo.quaidorsay.fr/fr, on fait un outil qui aspire toutes les CGU d’une cinquantaine de grandes entreprises du numérique et qui traque les différences.

Frédéric Couchet : Les différences.

Henri Verdier : Vous avez remarqué que non seulement ces conditions générales d’utilisation sont plus longues que Cyrano de Bergerac en nombre de mots mais, en plus, elles changent tous les 15 jours et sans qu’on vous notifie qu’elles viennent de changer. Ça nous permet d’historiciser ces changements et de voir si elles nous ont pipeauté dans la négociation ou pas, de voir comment elles réagissent à une crise comme la covid, à une nouvelle loi qu’on vient de passer, etc., et de mieux négocier avec elles, parce qu’on les met devant leurs responsabilités. Naturellement c’est un logiciel libre, vous pouvez en prendre le code source sur GitHub.

Frédéric Couchet : Ah !

Henri Verdier : Oui, je sais !

Frédéric Couchet : Ce n’est pas grave, on va en parler après.

Henri Verdier : On avait notre compte avant que ce soit Microsoft et, bien sûr, on essaie de faire naître une communauté de contributeurs qui, eux-mêmes, ramènent leurs archives, leurs observations et tout ce qu’ils ont pu aspirer depuis le temps dans d’innombrables entreprises du numérique.

Frédéric Couchet : D’accord. GitHub ce n’est pas le problème, ce n’est pas que ça appartient à Microsoft. C’était déjà un environnement privateur sur Git. On va justement en parler après.
On va faire une petite pause après cette première partie, donc la découverte de ce rôle d’ambassadeur du numérique et de Henri Verdier. J’ai bien vu les questions sur le salon web, notamment ce qu’est la définition des communs. On va en parler après la pause musicale.
On va faire une petite pause musicale. On va continuer la découverte de cet artiste Guifrog. On va écouter Tormenta. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Tormenta par Guifrog.

Voix off :

Deuxième partie

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Tormenta par Guifrog

Discussion avec Henri Verdier, Ambassadeur pour le numérique