Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l'émission du 29 octobre 2019

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Titre : Émission Libre à vous ! diffusée mardi 29 octobre 2019 sur radio Cause Commune

Intervenant·e·s : Marie-Odile Morandi - Jean-Baptiste Kempf - Jean-Christophe Becquet - Frédéric Couchet - à la régie

Lieu : Radio Cause Commune

Date : 29 octobre 2019

Durée : 1 h 30 min

Écouter ou télécharger le podcast

Page des références utiles concernant cette émission

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration :

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.


Transcrit

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous. Vous êtes sur la radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm. La radio dispose également d’une application Cause Commune pour téléphone mobile.
Merci à vous d’être avec nous aujourd’hui.
La radio dispose également d’un salon web, utilisez votre navigateur web, rendez-vous sur le site de la radio, causecommune.fm, cliquez sur « chat » et retrouvez-nous ainsi sur le salon dédié à l’émission.
Nous sommes mardi 29 octobre 2019, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast. [prononcé p-o-d cast]. Je repends mes vieilles habitudes de prononciation !

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.

Aujourd’hui c’est une émission exceptionnelle, car c’est la 42ᵉ émission de Libre à vous ! et 42 est un nombre fétiche dans la culture geek, informatique, la culture de l’imaginaire. C’est issu de l’œuvre de science-fiction de Douglas Adams qui était originellement un feuilleton radiophonique sur la BBC, totalement déjanté, et ensuite une série de livres Le guide du voyageur galactique. Imaginez un peuple extraterrestre, intelligent, qui construit le plus puissant ordinateur de tous les temps pour trouver la réponse à la question sur la vie, l’univers et le reste. Après 7,5 millions d’années de calcul et de réflexion, l’ordinateur propose la réponse : 42. Le problème, c’est que personne n’a jamais su vraiment la question précise.
Pour connaître la suite de l’histoire, je vous invite à lire l’œuvre de Douglas Adams et nous allons faire dans l’émission quelques clins d’œil à cette œuvre de Douglas Adams.
Déjà pour les personnes qui partent en vacances ou autre, n’oubliez pas, évidemment, de prendre avec vous des podcasts de Cause Commune pour accompagner votre voyage et n’oubliez pas, surtout, votre serviette c’est en effet l’outil indispensable pour tout voyageur galactique qu’il doit avoir ou qu’elle doit avoir en permanence.

Le site web de l’April c’est april.org et vous y trouvez d’ores et déjà une page consacrée à l’émission avec toutes les références utiles, les détails sur les pauses musicales et les moyens de nous contacter.

Si vous souhaitez réagir, poser une question pendant ce direct, n’hésitez pas à vous connecter sur le salon web de la radio, donc sur causecommune.fm, et vous pouvez également nous appeler 09 50 39 67 59 ; je répète 09 50 39 67 59.

Nous vous souhaitons une excellente écoute.

Voici maintenant le programme de l’émission.
Dans quelques secondes nous allons commencer par la chronique de Marie-Odile Morandi, animatrice du groupe Transcriptions, qui va nous parler de communs numériques.
D’ici dix à quinze minutes nous aborderons notre sujet principal qui portera sur le fameux lecteur multimédia libre VLC avec notre invité Jean-Baptiste Kempf.
En fin d’émission nous aurons la chronique de Jean-Christophe Becquet, président de l’April, sur Wikidata, relier tous les serveurs du monde.
À la réalisation de l’émission aujourd’hui Étienne Gonnu. Bonjour Étienne.

Étienne Gonnu  : Salut Fred.

Frédéric Couchet : Comme à chaque émission on va vous proposer un petit quiz. Vous pouvez proposer des réponses soit sur le salon web, soit sur les réseaux sociaux.
Première question : lors de l’émission du 15 octobre 2019, nous avons parlé de Google et des assistants personnels connectés. Par quel prénom et pourquoi on a proposé de renommer les assistants personnels connectés ? Deuxième question : nous allons parler du lecteur multimédia libre VLC au cours de cette émission. Savez-vous pourquoi l’icône de VLC est un cône de chantier ?

Tout de suite place au premier sujet.

[Virgule musicale]

[Chronique « Les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture » de Marie-Odile Morandi]

Frédéric Couchet : Les choix voire les coups de cœur de Marie-Odile Morandi qui met en valeur deux ou trois transcriptions dont elle conseille la lecture, c’est la chronique « Les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture » de Marie-Odile Morandi, animatrice du groupe Transcriptions. Bonjour Marie-Odile.

Marie-Odile Morandi : Bonjour.

Frédéric Couchet : Le sujet du jour dont tu souhaites nous parler aujourd’hui : les communs numériques. Nous t’écoutons.

Marie-Odile Morandi : Effectivement ce mois-ci dans la chronique j’ai souhaité faire une rétrospective des transcriptions de conférences et interventions de Lionel Maurel, publiées par notre groupe, de « La dictature du copyright » à « Faire atterrir les communs numériques » sur le sol terrestre. Les transcriptions auxquelles je vais me référer sont listées à l’onglet références de la page relative à l’émission d’aujourd’hui sur le site april.org, mais il y en a aussi d’autres que vous pouvez retrouver sur la partie consacrée aux transcriptions, toujours sur le site de l’April.

Pour savoir qui est Lionel Maurel et quels sont ses sujets de prédilection, je vais m’appuyer sur la transcription de l’émission 13 du Vinvinteur qui date de 2013, d’une durée d’une quarantaine de minutes ; à noter que cette émission n’existe plus. Lionel Maurel y était interviewé par Jean-Marc Manach. Il nous explique que le pseudo qu’il a choisi, Calimaq, fait référence à un certain Callimaque de Cyrène, un des premiers bibliothécaires de la bibliothèque d'Alexandrie dans l’Antiquité. En effet, Lionel est à la fois bibliothécaire et juriste d’où aussi le nom de son blog : lex, la loi et SI sciences de l’information donc SI.Lex. Avec cette double casquette, Lionel s’intéresse aux problèmes juridiques liés au droit d’auteur et aux licences libres qui, dit-il, « mettent le droit d'auteur sens dessus dessous en laissant l’auteur au centre du dispositif ». Dans cet entretien il explique ce que sont les biens communs avec la nécessaire prise de conscience qu'il y a un écosystème numérique dans lequel il faut défendre la neutralité du Net et préserver certaines libertés essentielles avec des références au logiciel libre et à l’intelligence collective.

Je vous laisse lire cette transcription avec en bonus les explications que donne Lionel Maurel concernant la compilation hebdomadaire qu’il réalise, le Copyright Madness, c’est-à-dire les dérives de la propriété intellectuelle, du droit des marques et du droit des brevets, ce qui, généralement, ne manque pas de sel.

Concernant le droit d’auteur, nous avions transcrit une intervention de Lionel Maurel à l’université de Compiègne en 2016 intitulée « Contenus numériques : droit d'auteur et licences libres » qui dure une heure et 40 minutes. Cette intervention est un cours complet et j’invite toutes les personnes qui sont intéressées par ce sujet, soit personnellement, soit dans un cadre professionnel, à écouter ce cours et à relire sa transcription : les thèmes abordés vont des notions de base du droit d’auteur, son fonctionnement, sa gestion, ses exceptions, pour arriver à l’application de ce droit sur Internet et terminer par les licences Creative Commons auxquelles est faite une large part. C’est un ensemble très complet qui mérite vraiment d’être relu régulièrement.

Toujours concernant les licences libres, Lionel Maurel avait fait une intervention d’une dizaine de minutes au Paris Open Source Summit de 2017 intitulée : « Creative Commons. Où en est-on en 2017 ? » Il rappelle l’origine de ces licences, c’est-à-dire la façon dont Lawrence Lessig aux États-Unis, suite à sa défaite en tant qu’avocat pour empêcher l’allongement de 50 à 70 ans du copyright après la mort de l’auteur, souhaite « redonner directement aux créateurs le pouvoir de changer les choses et d’ouvrir leurs œuvres directement à la base en utilisant leur droit d’auteur non pas pour mettre des restrictions, mais pour donner des autorisations ». Il rappelle que certaines de ces licences ne le sont pas au sens classique des termes des licences pour les logiciels libres dont elles s’inspirent. Je mentionne que les musiques qui sont diffusées durant les émissions Libre à vous ! sont réellement libres, c’est-à-dire Attribution et Partage à l’identique si elles sont publiées sous une licence Creative Commons.
Je vous laisse lire les conclusions de cette intervention, somme toutes optimistes, ce qui est de bonne augure, avec la présentation de belles réussites d’œuvres placées sous ces licences Creative Commons.

Lionel Maurel s’intéresse aussi au matériel et il avait tenu une conférence d’environ une heure au festival Pas Sage En Seine de 2016 intitulée : « Que manque-t-il pour avoir des licences Open Hardware qui fonctionnent ». Avoir du matériel vraiment libre est un enjeu fort, mais difficile parce qu’on entre dans le champ de la propriété industrielle qui comporte d’autres droits, les dessins et modèles, les marques, les brevets. Le droit d’auteur et la propriété industrielle ne fonctionnent pas du tout de la même manière, les règles sont différentes : pour obtenir un droit de propriété industrielle il faut notamment faire un dépôt.
Actuellement ce mouvement se développe. Une fondation s’est montée, donne des instructions sur comment on doit faire pour être dans une démarche d’open source hardware et propose une définition : « conceptions réalisées publiquement et disponibles de manière à ce que n’importe qui puisse étudier, modifier, distribuer, créer et vendre un design ou un produit basé sur ce design », ce qui ressemble beaucoup à la définition du logiciel libre.

Lionel Maurel estime qu’il y a trois stratégies possibles pour libérer le matériel :

  • la première serait de publier la documentation de ce qu’on a produit et verser directement l’invention dans le domaine public. Sauf qu’il existe aux États-Unis les patent trolls qui pourraient s’en servir. Ce sont ces sociétés qui ne fabriquent rien, déposent le plus de brevets possibles et vivent de la menace des procès qu’elles peuvent faire ;
  • deuxième pratique : documenter le projet : expliquer la démarche, le processus de fabrication, publier les plans, les fichiers de conception, préparer un maximum de documentation et tout publier sous licence libre. Sauf que la seule chose qui peut être protégée par le droit d’auteur c’est le texte de la documentation et absolument pas l’objet réalisé à partir de cette documentation ;
  • la dernière stratégie c’est de se dire, puisqu’il faut un brevet, eh bien déposons des brevets et ensuite ouvrons-les. Sauf qu’il faudra engager la procédure de dépôt, payer les coûts et, pour un petit constructeur, un petit inventeur, ce n’est certainement pas possible.

Lionel Maurel propose des solutions que je laisse découvrir aux auditeurs qui liront la transcription. Pour lui il y a là un champ sur lequel faire de la recherche. Il appelle les personnes intéressées à participer car, dit-il, c’est un peu sous-estimé par le monde du Libre qui devrait être beaucoup plus présent sur le sujet.

La dernière conférence en date qui a été transcrite est son intervention au Colloque « Territoires solidaires en commun : controverses à l'horizon du translocalisme », de juin 2019 et qui dure environ une heure.

Là encore, il nous propose quelque chose de très complet, très documenté, avec des références à de nombreux auteurs ce qui permettra aux personnes qui le souhaitent d’approfondir leurs connaissances.

Habituellement, dans notre esprit, nous distinguons les communs matériels, tangibles, des communs de la connaissance, des communs informationnels qui vont être des communs immatériels, intangibles.

Charlotte Hess, qui a travaillé avec Elinor Ostrom, se pose la question : « C’est quoi Internet ? C’est la machine que j’ai devant moi. Il y a un fil. Le fil va à un serveur. Le serveur va à d’autres fils. D’autres ordinateurs sont reliés à ce serveur qui est relié à un système d’information. Ce réseau est relié par des câbles au réseau des réseaux qu’est Internet », et elle fait ainsi une description qui n’a absolument rien d’immatériel : Internet est indissociable d'un certain nombre d'objets – ordinateurs, câbles, serveurs. Donc, nous dit-elle : « On peut penser Internet comme un commun local et global », montrant que les communs de la connaissance ont une dimension matérielle. Sur Internet, tout ce que vous allez échanger va laisser une trace quelque part et cette trace n’est pas du tout virtuelle, elle est matérielle parce qu’elle est inscrite dans une infrastructure physique. Nos données ne sont pas du tout stockées dans un nuage, elles sont stockées dans des datacenters, ces immenses hangars extrêmement matériels ; c’est la fameuse phrase « le cloud, le nuage, c’est toujours l’ordinateur de quelqu’un d’autre. »
Donc le fait de nous présenter Internet comme quelque chose d’immatériel est extrêmement faux. L’idée selon laquelle le numérique allait nous permettre de produire les choses avec moins de matière est elle aussi fausse. On lit régulièrement que la consommation électrique due à Internet est préoccupante, à laquelle il faut ajouter les coûts de production des machines, sans oublier les déchets en fin de course qui sont difficilement recyclables. D’où les problèmes sur l’environnement. On en revient à des sujets d’actualité.

Selon un des auteurs cités, une réelle émancipation « impliquera de se réapproprier toute cette chaîne logistique numérique aujourd’hui intégralement privatisée et aliénée ». Il faut qu’on fasse des centres de stockage des données autogérés et contrôlés par nous-mêmes.

Lionel Maurel nous rappelle alors l’existence des fournisseurs d’accès à Internet associatifs, c’est-à-dire ces associations qui disent : « L’accès à Internet est un droit fondamental, donc nous allons tirer des câbles et nous gérerons nous-mêmes la couche physique du réseau. » Lionel Maurel nous rappelle les projets de l’association Framasoft et l’excellente idée du collectif d’hébergeurs CHATONS. Nos données se trouveront à un niveau local, sur les serveurs d’une entreprise ou d’une association proche de chez nous, qui a signé une charte avec notamment la clause de ne pas utiliser nos données personnelles, donc respect de la vie privée. Ainsi Internet redevient « translocal », thème de cette conférence.
Actuellement de nombreux penseurs s’interrogent sur la matérialité d’Internet et sur son coût écologique que nous avons sans doute négligé.

Cette dernière conférence m’a particulièrement intéressée, avec, il me semble, une évolution de la pensée, et j’ai souhaité partager. Transcrire les conférences de Lionel Maurel, défenseur de longue date des logiciels libres, est toujours un plaisir. N’hésitez pas à rejoindre notre groupe Transcriptions, vous ne le regretterez pas.

Frédéric Couchet : Merci Marie-Odile. Tu nous a donné envie de lire ces conférences de Lionel Maurel.
Je précise que le collectif CHATONS est le Collectif des Hébergeurs Alternatifs Transparents Ouverts Neutres et Solidaires dont nous avons déjà parlé dans les émissions Libre à vous! du 18 juin et du 16 avril 2019. Vous retrouverez les podcasts sur april.org et causecommune.fm. Je précise également que tu as parlé des patent trolls, de ces trolls de brevets. On en reparlera rapidement en fin d’émission parce que c’est dans l’actualité.
Marie-Odile je te remercie et je te souhaite de passer une belle journée.

Marie-Odile Morandi : À vous de même. Bonne soirée.

[Virgule musicale]

Frédéric Couchet : On va passer une pause musicale. Nous allons écouter La fin de Saint Valéry par Ehma. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune.

Pause musicale : < em>La fin de Saint Valéry par Ehma.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter La fin de Saint Valéry par Ehma, disponible en licence Art libre. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org et sur le site de Cause Commune, causecommune.fm.

Ne paniquez pas, vous êtes toujours sur l’émission Libre à vous ! sur radio Cause commune 93.1 FM en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm.

Nous allons passer à notre sujet principal.

[Virgule musicale]


[Le lecteur multimédia libre VLC - Jean-Baptiste Kempf]

Frédéric Couchet : Nous allons donc poursuivre par notre sujet principal qui porte aujourd’hui sur le célèbre lecteur multimédia libre VLC dont l’icône est un cône de chantier et nous allons bientôt apprendre les raisons de ce choix. Notre invité est donc Jean-Baptiste Kempf président de VideoLAN, l’association qui gère VLC, et fondateur de la société Videolabs qui crée des services autour de VLC et plus généralement des nouveautés autour de la vidéo. Bonjour Jean-Baptiste.

Jean-Baptiste Kempf : Bonjour.

Frédéric Couchet : On a déjà eu l’occasion d’avoir Jean-Baptiste dans l’émission en octobre 2018 pour nous parler de DRM, les fameuses menottes numériques sur lesquelles on reviendra très rapidement au cours de l’émission ; vous pouvez écouter évidemment le podcast. Déjà une première petite question, une présentation personnelle. Jean-Baptiste, d’où viens-tu ? Qui es-tu ? Quel est ton parcours ?

Jean-Baptiste Kempf : Je m’appelle Jean-Baptiste. Je suis un geek, j’ai 36 ans, je suis Parisien, j’ai vécu la plupart de ma vie à Paris. Ça fait un bout de temps, à peu près 13 ou 14 ans, que je fais du VLC et que ça a pris de plus en plus de temps dans ma vie jusqu’à être mon métier principal.

Frédéric Couchet : C’est quoi un geek ? Tu as employé ce mot-là au début.

Jean-Baptiste Kempf : Oui. Quelqu’un qui adore coder et être sur son ordinateur. Moi j’ai toujours été dans le logiciel libre dès que je me suis mis à l’informatique, pendant que j’étais en école.

Frédéric Couchet : Donc un passionné notamment d’informatique.

Jean-Baptiste Kempf : Principalement.

Frédéric Couchet : Principalement.

Jean-Baptiste Kempf : Mais aussi de bons bouquins de fantaisie comme le Le Guide du voyageur galactique ??? de l’espace.

[Rires]

Frédéric Couchet : En plus c’est un grand honneur de te recevoir car, depuis le 15 novembre 2018, tu as eu le grade de chevalier de l’ordre national du Mérite, c’est l’une des plus importantes décorations françaises. Ça a l’air de te faire soupirer mais en même temps ça récompense une dizaine d’années de contribution à la fois dans ta société et dans la communauté du Libre.

Jean-Baptiste Kempf : Ça va te faire rigoler parce je suis un gros boulet : je n’ai toujours pas récupéré cette décoration parce qu’il faut organiser une cérémonie, avoir quelqu’un qui te la remet, et je dois avouer que ce n’était pas vraiment dans mes priorités, notamment personnelles, cette année. Il faut absolument que je m’en occupe parce que sinon je ne vais jamais avoir le droit de la porter. C’est génial ; c’est clair, c’est génial parce que ça montre notamment qu’on a eu des gens dans l’État qui commencent à comprendre ce qu’est le logiciel libre et pourquoi c’est important pour l’État et pour la France. Ça c’est vraiment très cool. C’était Mounir, à l’époque, qui m’avait proposé.

Frédéric Couchet : Mahjoubi, ministre du numérique [secrétaire d’État chargé du numérique].

Jean-Baptiste Kempf : Maintenant c’est Cédric O, je crois, qui l’a remplacé. Donc c’est très cool. Par contre, ce que je n’aime pas, c’est que c’est une décoration personnelle pour un projet qui est un projet commun. C’est sûr que je suis la personne qui a passé le plus de temps autour de VLC et d’autres projets autour de VideoLAN, mais je suis toujours un peu mal à l’aise avec ça.

Frédéric Couchet : C’est le côté starisation qui ne te plaît pas.

Jean-Baptiste Kempf : Ouais. Il y a beaucoup trop de starisation dans tout ce qui est tech, tout ce qui est startup, on parle plus souvent, on voit plus souvent à propos de startups des photos des fondateurs que de leurs produits. Ça me gêne un peu ; ce n’est pas très grave, mais ça me gêne un peu.

Frédéric Couchet : OK. Avant d’oublier je précise que si des personnes qui écoutent veulent appeler pour faire une intervention et notamment poser une question à Jean-Baptiste, vous pouvez appeler le 09 50 39 67 59 et Étienne Gonnu, en régie, attend vos appels.
Déjà une petite première question. En fait de très nombreuses personnes utilisent VLC souvent sans savoir que c’est un logiciel libre et ça permet à ces personnes de lire des vidéos. Mais toi, quand tu présentes par exemple peut-être en soirée ce que tu fais, comment tu présentes VLC, en une ou deux phrases ? Petit résumé.

Jean-Baptiste Kempf : Ça dépend de qui est en face, du public, et ça dépend de si je veux troller ou pas. En général, ce que je dis, c’est que c’est un lecteur multimédia qui est capable de lire tous les formats de fichiers audio, vidéo et qui marche partout. Ça c’est l’accroche et après, surtout, je dis que c’est un logiciel libre, développé par une communauté, pour le bien commun.

Frédéric Couchet : D’accord. C’est intéressant parce qu’une des forces, effectivement, de VLC c’est de lire à peu près tous les formats de fichiers et on va y revenir dans la partie plus technique, présentation des fonctionnalités. Tu dis que c’est une communauté qui développe ça, justement on va parler de l’histoire de ce projet. Comment c’est né ? Parce que c’est un projet très ancien, il y a de nombreuses années. Est-ce que tu peux nous raconter comment est né ce projet à l’École centrale de Paris, si j’ai bien suivi.

Jean-Baptiste Kempf : En fait, ce qui est marrant dans VLC, c’est qu’il n’y a pas eu de créateur de VLC et surtout il n’y a personne qui a voulu faire VLC. Souvent les gens, quand je leur raconte ça, ça les déçoit un peu, il n’y a personne qui s’est dit « Je vais faire un nouveau lecteur vidéo, ça va être mieux que le reste ». En fait c’est une succession de projets qui commence il y a très longtemps, et une partie du projet du projet est devenu VLC. Je vais m’expliquer un petit peu parce sinon c’est un peu flou.

Frédéric Couchet : Avec des dates.

Jean-Baptiste Kempf : Le projet originel date du fait que dans les années 60 du fait que l’École centrale Paris a déménagé de la gare de Lyon à Châtenay-Malabry dans le sud de Paris, pour des raisons un peu bizarres, mais notamment parce que l’Éducation nationale n’avait pas l’argent pour le faire. On s’est retrouvé avec une grande école française qi était sur un campus géré par des anciens élèves, donc privé. Et tout dans l’organisation du campus était fait par des étudiants : le téléphone, la télé, la radio, la cafeteria et le réseau informatique. Dans les années 80 ils mettent un réseau informatique et c’est un réseau informatique qui était basé sur token ring, donc un réseau très lent. Vers le milieu des années 90, ils veulent avoir un réseau plus rapide et quand ils vont voir l’École pour dire « on a besoin d’un nouveau réseau plus rapide », en particulier pour jouer, il ne faut pas mentir.

Frédéric Couchet : Pour jouer en réseau au début.

Jean-Baptiste Kempf : Pour jouer en réseau et l’École leur dit : « Écoutez, vous allez être gentils, vous allez l’utiliser pour jouer en réseau et pas du tout pour travailler » et surtout la raison principale de l’École c’est « vous comprenez, le campus est privé, nous on ne peut rien y faire » ; ils disent : « Allez voir les partenaires ». C’est là que le projet qui s’appelle Network 2000 – à l’époque, on est en 1995, évidemment tout projet s’appelle 2000 sinon ce n’est pas un vrai projet – ils vont voir des partenaires, ils vont voir notamment TF1 qui dit : « Le futur de la vidéo c’est le satellite — aujourd’hui c’est facile de rigoler mais en 1995 c’était important — et pour 1500 étudiants s’il faut mettre 1500 décodeurs et 1500 antennes ça va coûter une fortune. Ce qu’on vous propose, c’est de mettre juste un réseau très rapide, numérique – ce sont les débuts de la vidéo numérique – on met une grosse antenne et on diffuse la vidéo sur tout le réseau hyper-rapide. Évidemment on est en 1994/95, les ordinateurs les plus puissants ce sont des 486DX-33, DX-66 ou des Pentium 60, c’est absolument impossible sans avoir des grosses machines pour faire du décodage vidéo SD en taille DVD à l’époque, sans matériel, mais ils le font quand même et c’est comme ça qu’ils justifient l’achat d’un nouveau réseau pour ce projet dans l’association des étudiants qui gérait le réseau informatique. À ce moment-là il n’y a pas du tout de VLC. Ça finit, il y a une démo qui marche, ça crashe au bout de 50 secondes ; on fait une démo de 42 secondes, comme ça c’est nickel, c’était cross-platform, ça marchait grosso modo sous BeOS et Linux, rien d’autre, mais on montrait que c’était possible. Pendant un an il ne se passe plus rien. Il y a des étudiants en 98 qui disent : «C’est un projet qui est marrant, de diffusion de vidéos sur un réseau, il y a peut-être d’autres campus ou des réseaux d’entreprise qui sont intéressés ». Donc ils remontent un projet qui, à ce moment-là, s’appelle VideoLAN, LAN qui veut dire réseau local en anglais. Donc ils montent le projet VideolAN. Ils sont en 98, ils ont comme objectif de devenir open source et d’être cross-platform. Mais dans VideoLAN, il y avait une partie serveur, une partie réseau, une autre partie un truc un peu compliqué, et il y avait une partie cliente. Mais la partie cliente ce n’était pas forcément le focus, parce que ce n’était pas forcément l’endroit le plus compliqué. La partie cliente s’appelle VideoLAN client.

Frédéric Couchet : Donc VLC.

Jean-Baptiste Kempf : À ce moment-là tout le monde l’appelle VideoLAN client. Ça ne va s’appeler VLC que trois ou quatre ans plus tard. Au moment où en 2001, après une bataille de longue haleine l’École autorise le changement de licence pour que ça passe d’une licence propriétaire vers une licence open source

Frédéric Couchet : Une licence libre, en l’occurrence la licence GNU GPL, General Public License.

Jean-Baptiste Kempf : Exactement. Ils ne précisent pas la version, ils disent GNU General Public License et ils ne précisent pas VLC, ils précisent pour l’ensemble des logiciels du projet VideoLAN. Donc c’est en fait comme ça que naît le projet. VLC c’est une petite partie du projet VideoLAN, qui est projet dont le but a été d’être libre, mais qui, au début ne l’était pas, basé sur un projet qui était originellement de faire un nouveau réseau parce qu’il y avait un réseau informatique lent à l’époque. À ce moment-là, quand ça passe en logiciel libre, c’est à ce moment-là qu’il y a des contributions extérieures importantes qui font que ça passe sous Windows et sous Mac OS rapidement et pas à l’initiative des élèves et que ça commence à démarrer à l’extérieur.
En fait il n’y a personne qui s’est dit « je vais faire un nouveau lecteur, je vais le porter partout ». Ce sont vraiment des étudiants, plusieurs générations d’étudiants parce qu’on parle de 1994 à 2002 pour le début de l’explosion et il n’y a personne qui s’est dit « je vais créer VLC ! »

Frédéric Couchet : D’accord. L’École centrale de Paris c’est une école d’ingénieur. Toi tu intègres l’École centrale à quelle date ?

Jean-Baptiste Kempf : En 2003.

Frédéric Couchet : En 2003. Je suppose, comme tu l’as dit en introduction tu es un geek et tu es là pour apprendre, tout de suite le projet te plaît. Est-ce que tu contribues tout de suite ?

Jean-Baptiste Kempf : C’est pire que ça. Moi j’ai choisi l’École centrale Paris parce que je savais que c’était une école où il y avait une association informatique qui faisait du Libre.

Frédéric Couchet : Tu as choisi l’école pour ça ! D’accord !

Jean-Baptiste Kempf : J’avais rencontré en vacances quelqu’un ; j’ai eu le choix entre plusieurs grandes écoles et je suis allé à Centrale parce que je savais que un, il n’y avait pas beaucoup de cours et deux, parce qu’il y avait une association qui faisait du réseau qui était sous Linux. Je n’y connaissais rien, c’était clair à l’époque. Donc ça a été mon choix, c’est pour ça que ça que je suis allé à Centrale.

Frédéric Couchet : C’est marrant parce que ça me rappelle ma propre histoire à Paris 8, mais des années avant parce que je suis un peu plus vieux que toi. Donc tu arrives à Centrale en 2003. À l’époque il n’y a pas d’association qui porte ce projet et, si j’ai bien suivi, c’est toi qui vas initier l’idée de créer une association qui va s’appeler VideoLAN.

Jean-Baptiste Kempf : En fait ça arrive bien plus tard parce qu’à l’époque les gens du réseau ??? et les gens VideoLAN c’était très interconnecté. Je deviens vice-président de l’association du réseau et c’est moi, avec notamment un autre développeur qui s’appelle Rémi, qui portons pendant une année cette association, donc on fait des choses sur VideoLAN. La première chose que je fais sur VideoLAN c’est gérer la diffusion interne de la télévision pour le campus de Centrale. Et ça, ça doit être fin 2003/début 2004 que je commence à toucher au projet VideolAN, mais pas du tout par la partie code, vraiment par la partie infrastructure. En fait, je fais un stage plus tard en 2005/2006 et je m’emmerde pendant ce stage.

Frédéric Couchet : C’est aux États-Unis, ce stage ?

Jean-Baptiste Kempf : Pas du tout. J’étais au CEA [Commissariat à l'énergie atomique], à la direction des applications militaires. Le stage était génial, mais j’avais beaucoup trop de temps. Je me suis vraiment amusé sur le stage, mais c’est juste que ça n’allait pas assez vite pour moi. Donc j’ai fait deux choses : j’ai fait pas mal de documentation et j’ai commencé à aider sur VLC. En fait on s’est retrouvé un peu avec le problème que le projet était trop gros pour l’école, trop gros pour des étudiants, trop d’utilisateurs et c’était très difficile de faire quoi que ce soit, surtout parce qu’en 2006/2007/2008 la nouvelle génération d’étudiants n’est vraiment pas intéressée par le projet. C’est à ce moment-là, fin 2007 et début 2008, que je lance l’idée de se séparer de l’école. Je crée l’association au VideoLAN Dev Days en décembre 2008, hébergée chez, Free et c’est là où on fait un vote, où on décide de créer une association. Début 2007 il n’y avait plus que deux personnes et demie active sur le projet. Quand j’étais dans mon stage, comme tu l’as dit aux États-Unis, j’ai passé beaucoup de temps à retrouver des mondes, des anciens et des nouveaux, pour se remotiver autour de projet et ça va prendre quelques années pour qu’on arrive à la version 1.0 de VLC.

Frédéric Couchet : D’accord. On va y arriver. Petite question : le choix du cône chantier comme icône, c’était à cette époque-là ou pas ?

Jean-Baptiste Kempf : Quand je suis arrivé, le cône de chantier était déjà là.

Frédéric Couchet : Est-ce que tu sais pourquoi le cône de chantier a été choisi ?

Jean-Baptiste Kempf : Oui, je sais, évidemment !

Frédéric Couchet : Vas-y.

Jean-Baptiste Kempf : Il faut savoir et je suis désolé pour les auditeurs, qu’il y a une bataille d’anciens pour expliquer quelle est la raison du cône, mais quand moi je suis arrivé à Centrale, c’est sûr, on avait des étages de 24 étudiants et sur l’étage du 2H, l’étage du réseau, il y avait à peu près une centaine de cônes, il y avait une armoire à cônes.

Frédéric Couchet : Le culte du cône !

Jean-Baptiste Kempf : Le culte avec des jeux physiques comme le cône acrobatique, le « côneball », des batailles , des montages de batailles moitié laser moitié cône. Il y avait vraiment un culte sur le cône qui était très drôle, pas du tout malsain, attention pour ceux qui ont peur, très marrant et hyper deuxième ou troisième degré. À l’origine ils avaient besoin de parler à un étudiant qui ne voulait pas leur ouvrir la porte. En fait, après une soirée probablement un peu arrosée, ils ont utilisé le cône comme porte-voix pour l’appeler et l’alpaguer depuis sa fenêtre. Plutôt que d’avoir une petite mandoline pour chanter une sérénade, ils ont pris un cône qui était là. Ça c’était des gens autour du réseau et, en fait, dans la première sortie sous Linux X11.

Frédéric Couchet : X11 c’est l’environnement de fenêtrage graphique, on va dire.

Jean-Baptiste Kempf : Avant, la première version était en framebuffer, c’est encore au niveau plus bas. Ça passe à la première version. En fait tout le monde se tirait un peu la bourre dans VLC à l’origine, ce qui est normal, parce qu’il y avait toujours plein de choses à faire, c’est super marrant, donc celui qui met la première version X11, en fait il commit à quatre heures du matin, même si ce n’est pas fini, mais juste parce qu’il a quand même fait le plus gros du boulot, il envoie sa version et, pour montrer que ce n’est pas fini, il met comme icône le petit cône de chantier pour dire que c’est en travaux.
Ensuite Sam Hocevar, qui est un des génies qu’il y a eu autour du projet, dessine la première icône et ça reste. C’est une idée absolument pas réfléchie, c’est complètement débile d’utiliser un cône de chantier pour un lecteur multimédia, mais c’est un coup marketing absolument génial parce que c’est hyper-reconnaissable. Là, maintenant, je vais partout dans le monde, quand je parle de VLC les gens connaissent déjà beaucoup plus que l’École centrale Paris ou des choses comme ça, mais, surtout, il y a plein de gens qui font : « Je ne sais pas trop » et tu dis : « Mais si le cône qui lit des vidéos » et là, c’est universel.

Frédéric Couchet : Le cône de chantier. C’était un excellent souhait et on salue Samuel Hocevar qui a aussi été le responsable du projet Debian, qui est aussi un grand fan de cinéma et notamment de La Classe américaine dont on parlera peut-être un jour. En tout cas allez chercher sur un moteur de recherche Samuel Hocevar, c’est un génie.

Jean-Baptiste Kempf : Et qui a été un des premiers à introduire Wikipédia en France.

Frédéric Couchet : Exactement. C’est aussi un des fondateurs de Wikipédia France, Wikimedia France aussi.
J’ai une petite question sur le salon web de la radio, je rappelle que c’est sur causecommune.fm, une réponse rapide, Marie-Odile qui demande : « Est-ce que cette école est toujours aussi sympa afin de la conseiller aux jeunes qui vont prochainement passer des concours ? » L’ECP ? Est-ce que tu conseillerais d’aller à l’ECP aujourd’hui ?

Jean-Baptiste Kempf : Désolé, je n’en sais rien du tout. Maintenant elle s’appelle CentraleSupélec, ça a fusionné avec Supélec. J’y vais de temps en temps parce que je suis toujours administrateur de l’association du réseau, je trouve que les gens sont toujours aussi cools, par contre je trouve que leur campus est quand même moins marrant que le nôtre.

Frédéric Couchet : D’accord. Voilà la réponse par rapport à ça. On a bien compris qu’au départ il y a pas mal d’étudiants et d’étudiantes qui ont contribué. On va revenir tout à l’heure sur la contribution concrète, aujourd’hui, à VLC, parce que les gens doivent se dire qu’il doit y avoir des centaines de personnes qui contribuent tous les jours à VLC. On va aussi parler du financement, mais dans une deuxième partie. On va revenir un petit peu, une fois passé cet historique, on remarque que c’est un logiciel libre qui existe depuis très longtemps, qui se développe. Aujourd’hui c‘est la version 3.0, c’est ça ?

Jean-Baptiste Kempf : C’est ça.

Frédéric Couchet : 3.0. Tu l’as dit tout à l’heure, l’un des grands atouts de VLC en termes de fonctionnalité, c’est que ça intègre les codecs nécessaires à la lecture de la plupart des formats audio et vidéo et que VLC peut lire aussi à peu près tous les flux réseau. Donc le choix de VLC, pour beaucoup de gens, c’est aussi la qualité et la capacité d’accéder à peu près à tous les contenus. Une autre caractéristique c’est la capacité de lire des flux un petit peu endommagés et de les réparer à la volée, c’est assez magique ! Un autre avantage, et là j’aimerais bien que tu expliques comment vous faites, c’est le côté multiplateforme, parce que souvent les logiciels libres sont disponibles sur environnement, on va dire, Windows, Mac, GNU/Linux, mais vous allez encore plus loin, c’est de l’Android, c’est de l’iPhone, c’est OS2. C’est intégré dans certaines box et ça serait intéressant d’en reparler tout à l’heure. Comment vous faites pour ce côté multiplateforme ?

Jean-Baptiste Kempf : Il y a plusieurs raisons. La première raison c’est que VLC est hyper-modulaire, contrairement par exemple à un autre lecteur multimédia qui est sur Linux qui s’appelle MPlayer, qui était là avant. Le cœur de VLC est tout petit, ça doit être un dixième du code, un vingtième du code, et après on a plein de modules. La raison pour laquelle VLC est passé en modules, ça n’est pas du tout une idée, une grande idée en disant « il faut absolument faire ça », c’était, je suis désolé pour le terme technique, pour raccourcir les temps de compilation à l’époque. Quand on faisait une modification on modifiat juste un module et on compilait, c’était beaucoup plus rapide que de tout compiler.

Frédéric Couchet : La compilation c’est partir du code source pour arriver à la version compréhensible par l’ordinateur.

Jean-Baptiste Kempf : C’est ça. En fait, pour faire plus simple, c’était juste plus facile de développer, mais ça n’était pas dans le but d’être plus cross platform, c’était vraiment Sam qui voulait coder plus rapidement, donc pour aller plus rapidement dans son développement il est passé en modules. Et ce passage en modules, en fait c’est vraiment un coup de génie, qui n’était peut-être pas forcément vu à l’époque, c’est que ça a permis d’être justement sur plein de plateformes, parce que quand tu vas sur une autre plateforme tu fais juste une nouvelle sortie audio, une sortie vidéo et une nouvelle interface et puis c’est tout ; tu n’as pas à modifier tout le reste. Et, deuxième effet cool qui est très bien, c’est que ça permet aux gens qui rentrent dans le projet de commencer à contribuer sans être capables de comprendre ce qui se passe au cœur. Moi pendant quasiment deux ans, depuis le premier moment où j’ai codé sur VLC, je n’ai jamais rien fait dans le cœur de VLC parce que c’est compliqué, mais ce n’est pas grave, comme ce sont des modules, tu rajoutes juste une fonctionnalité. Tu veux un nouveau format, tu rajoutes juste un module. Et quand tu veux placer sur d’autres plateformes, que tu as mentionnées, mais on est aussi sur Apple TV, sur Android TV, on a une version sur la PS4 – elle n’est pas publique parce que, pour des raisons de liberté, on ne peut pas la publier. En fait, ce que je dis, c’est que VLC est un des logiciels le plus porté sur plein d’autres plateformes, en tout cas interfaces. On est sur plus de plateformes que Chrome, on est sur plus de plateformes que Firefox, que LibreOffice et je ne parle même pas, évidemment, de logiciels propriétaires comme Office ou Apple. Il faut comprendre que, évidemment, ça prend beaucoup de temps, mais, en fait, le cœur de VLC est géré par cinq personnes. C’est important. Ce sont des gens très bons et je suis poli, à part moi ce sont vraiment des gens exceptionnels au niveau code, qui sont vraiment de classe internationale, qui sont hyper-bons, qui savent ce qu’ils font et c’est ça qui permet de supporter plein de plateformes. Ensuite on est très conservateurs sur notre approche du code. On écrit tout en C, un petit peu de C ++.

Frédéric Couchet : C, c’est un langage de programmation.

Jean-Baptiste Kempf : En langage de programmation C, donc vraiment du bas niveau, parce que c’est un langage qui est très limité mais qui est relativement simple, dont on connaît très bien les limites, donc ça permet à VLC de garder cette qualité. Et un truc important aussi pour VLC, la marque, c’est que les gens normaux, c’est-à-dire pas les gens qui passent leurs journées à recompiler leur VLC sur Linux, font confiance au code. Et ça c’est hyper-important. La deuxième raison c’est que dans VLC il y a des gens comme moi qui ont été hyper-embêtants sur la qualité du produit. J’ai emmerdé les autres développeurs des centaines de fois en disant « non, ça ce n’est pas possible, ça casse ce problème pour l’utilisateur ». J’ai passé des heures et des heures sur les forums, sur Twitter, etc., à écouter ce que voulaient nos utilisateurs, c’est hyper-important, ce n’est pas la partie la plus marrante. Pour moi c’est important d’avoir du produit qui fonctionne.

Frédéric Couchet : Justement sur la partie support j’ai une question : est-ce que globalement l’équipe reçoit plus d’encouragements ou de remerciements que de plaintes, ou traditionnellement… ?

Jean-Baptiste Kempf : Non !On n’entend que des plaintes, voire des insultes ou des menaces de mort.

Frédéric Couchet : À ce point-là !

Jean-Baptiste Kempf : Oui. Des gens ont envoyé des lettres anonymes que j’ai reçues chez mes parents. Il y a des tarés partout ! Par rapport aux centaines de millions d’utilisateurs, en fait c’est ridicule les plaintes. Évidemment, quand tu es de l’autre côté, tu ne vois que la partie négative et c’est vrai que de temps en temps tu as des mecs qui te dises : « C’est trop bien ! » Il y a des mecs qui m’ont envoyé de la bière parce que sur un thread reddit j’ai dû raconter qu’une des bières que j’adore c’est la Kasteel Rouge et il y a quelqu’un qui m’a envoyé chez mes parents une caisse de Kasteel Rouge, que j’ai bue.

Frédéric Couchet : Est-ce que tu es invité au Dernier Restaurant avant la fin du monde ?

Jean-Baptiste Kempf : Non, on ne m’a pas encore invité au Dernier Restaurant avant la fin du monde, mais on m’a déjà invité pas mal de fois au Dernier bar avant la fin du monde soit celui de Paris soit dans d’autres endroits.

Frédéric Couchet : Il y en a dans d’autres endroits ?

Jean-Baptiste Kempf : Oui. Il y en a dans d’autres endroits.

Frédéric Couchet : D’accord. OK. Tu parlais à l’instant de la qualité notamment par rapport à l’expérience utilisateur et utilisatrice, il y a un autre sujet qui doit sans doute te faire stresser c’est la sécurité. D’ailleurs je ne sais pas sur combien de machines , si c’est estimable, VLC est installé, mais le problème de sécurité soit par un bug soit par une injection de code malveillant ça doit te faire flipper !

Jean-Baptiste Kempf : C’est clair que c’est un vrai sujet qui est très compliqué. Je vais d’abord répondre à ta première question qui est combien il y a de VLC installés. On ne fait pas de télémétrie – moi j’appelle ça de l’espionnage, certains appellent ça de la télémétrie, ça s’appelle de l’espionnage même quand c’est Mozilla qui le fait, nous on ne fait pas d’espionnage –, par contre c’est vrai qu’on peut savoir des choses. On peut savoir le nombre de téléchargements sur notre site web, sachant qu’il y a évidemment plein d’autres sites de téléchargement comme Download.com, Telecharger.fr et toutes les distributions Linux qui redistribuent sans passer pas nous, donc on n’a pas cette information. Mais là, déjà, on voit qu’on est à peu près à 25 millions, 30 millions de téléchargement par mois. Deux tiers, en fait, ce sont les updates, mais le reste ça ne l’est pas. Déjà le fait qu’il y ait pas mal d’updates ça nous donne des informations.

Frédéric Couchet : Les updates ce sont les mises à jour.

Jean-Baptiste Kempf : Les mises à jour. Après, on a des informations de Microsoft, du nombre d’utilisateurs, notamment pour les crash report. En fait, on n’a pas d’infos fiables, mais on a une estimation. En nombre d’utilisateurs actifs, ce que tu définis comme une personne qui utilise VLC une fois dans le mois, sous Windows on a 300 millions d’utilisateurs actifs.

Frédéric Couchet : Waouh !

Jean-Baptiste Kempf : Donc tu peux considérer qu’en nombre d’installations on doit être au moins au double, en nombre d’installations !

Frédéric Couchet : Sous les environnements Linux, FreebSD et autres, libres, on n’a pas d’estimations.

Jean-Baptiste Kempf : Si. J’avais fait des estimations à une époque. Grosso modo on prend le nombre sur Windows, on divise par dix et on a la part de marché qu’on a sous Mac OS et on prend exactement la même chose sous Linux, donc ça fait 30 millions. Sur les machines bureau on pense qu’on a 350 millions d’actifs, donc en nombre d’installés c’est peut-être 600 millions, 700 millions. Après il y a les mobiles. On a eu, par exemple sur Android 250 millions de téléchargements, de compte qui l’ont téléchargé et 60 millions d’actifs et sur iOS quelque chose de similaires. Ça donne un ordre d’idée.

Frédéric Couchet : C’est une grosse masse.

Jean-Baptiste Kempf : C’est une grosse masse.

Frédéric Couchet : La partie sécurité soit être stressante.

Jean-Baptiste Kempf : En particulier parce que nous on fait du C, on est vraiment en bas niveau, on n’a pas un langage qui nous aide parce que dans le multimédia, on n’a pas le choix, il faut être hyper-performant. On va le plus proche du matériel, donc on a accès au bas niveau, donc on a accès, en fait, vraiment à tout. Pour ceux qui comprennent, quand on est dans VLC on est vraiment en mode kernel quasiment partout.

Frédéric Couchet : C’est-à-dire qu’on est au plus proche du matériel, donc on peut quasiment tout faire.

Jean-Baptiste Kempf : Et surtout j’ai accès à tout, j’ai accès à tous tes fichiers, si tu crashes VLC, normalement. C’est le même problème qu’a Chrome, sauf que Chrome ils ont une approche, ils ont mis des millions pour améliorer ça. On a vu, par exemple, la CIA qui a utilisé une fausse version de VLC et, en même temps que tu regardais ton film, il y avait un petit plugin qu’ils avaient rajouté, un petit module de VLC qu’ils avaient rajouté qui, en fait, chiffrait tous tes documents dans ton dossier Mes documents sous Windows et les envoyait quelque part. Ce n’était pas notre version de VLC mais c’était une version récupérée quelque part qu’ils redistribuaient et tu ne t’en rends pas compte : tu regardes un film, ça dure deux heures ou trois heures quand c’est Avengers games, donc ton PC travaille, il y a un peu de bruit, ça ne t’étonne pas.
Ça c’est un vrai problème et puis il y a des failles de sécurité, comme pour tous les logiciels, mais les gens font un peu moins les mises à jour que pour Chrome ; pour ton navigateur, tu passes ton temps à faire ça. On a une approche, notamment depuis trois ans, qui est très proactive, où on va notamment analyser le code et faire des choses comme ça pour, justement, trouver des bugs en amont. On a eu un bug bounty par la Commission européenne qui payait des hackers pour essayer de trouver des problèmes dans VLC et ensuite nous on allait réparer.

Frédéric Couchet : C’est le projet FOSSA [Free and Open Source Software Audit] ?

Jean-Baptiste Kempf : Sur le projet FOSSA.

Frédéric Couchet : Le projet FOSSA de la Commission européenne.

Jean-Baptiste Kempf : Évidemment c’est grâce à Julia Reda.

Frédéric Couchet : L’ancienne eurodéputée du Parti pirate.

Jean-Baptiste Kempf : Évidemment il n’y a qu’elle qui est intéressée par ce genre de truc. Cétait vraiment très cool et ça permet de faire remonter des problèmes, mais ça ne règle pas le problème fondamental. Pour régler le problème fondamental on a une idée avec un système de sandboxing, c’est très compliqué et surtout ce sont des choses qui n’ont jamais été faites.

Frédéric Couchet : Est-ce que tu peux expliquer en une phrase ce qu’est le sandboxing ? Ou après la pause musicale si tu veux.

Jean-Baptiste Kempf : L’idée du sandboxing et je ne pourrai pas faire plus technique que ça…

Frédéric Couchet : Moins technique que ça.

Jean-Baptiste Kempf : Ouais, pardon, c’est que quand VLC a un problème, en fait, il est dans son petit environnement et donc il n’a accès à rien sur ta machine, donc ça n’est pas grave.

Frédéric Couchet : C’est un bac à sable juste pour VLC.

Jean-Baptiste Kempf : C’est ça. En fait ça c‘est la théorie. En pratique il va falloir mettre une dizaine de bacs à sable à l’intérieur de VLC et c’est très compliqué.

Frédéric Couchet : On va permettre aux gens de réfléchir en écoutant une pause musicale. Nous allons écouter Jack’s Playing Ball par Jono Bacon. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune.

Pause musicale : Jack’s Playing Ball par Jono Bacon.

45’ 23

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Jack’s Playing Ball par Jono Bacon, disponible sous licence Creative Commons BY SA, c’est-à-dire Partage dans les mêmes conditions. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org et sur le site de la radio, causecommune.fm.

Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 FM en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm. Je vous rappelle que vous pouvez nous appeler si vous voulez poser une question en direct au 09 50 39 67 59.

Nous allons poursuivre notre discussion sur VLC, le lecteur multimédia libre, avec Jean-Baptiste Kempf du projet VideoLAN et de la société Videolabs dont on parlera tout à l’heure.
Juste avant on parlait de technique et notamment de sandboxing, bac à sable, et pendant la pause musicale Jean-Baptiste m’expliquait un petit peu les projets pour la version à priori 5, ça a l’air d’être quand même un sacré enjeu technique. Là on va parler un petit peu des problématiques juridiques. On va les aborder rapidement parce que chacune de ces problématiques juridiques est complexe en tant que telle. Déjà j’ai une première question parce que tu es connu pour avoir reçu des propositions, parait-il de plusieurs dizaines de millions d’euros, en l’échange de l’insertion de publicité et de logiciels malicieux dans VLC et tu as refusé. Pourquoi ?

Jean-Baptiste Kempf : C’est tout à fait exact. Ça m’est arrivé au moins trois fois, des mecs qui voulaient : en même temps que ça installe VLC, il t’installe un antivirus Avast ou Avira, changer ta page de démarrage ou d’installer des ???. Ça c’est hostile à l’utilisateur donc pour moi c’est no way, quel que soit le montant.
J’ai des gens qui m’ont proposé de racheter le nom de domaine videolan.org, ils étaient déjà un peu plus malins parce que c’est un peu plus malin que d’essayer de mettre de la merde dans VLC, mais pareil, ça ne correspond pas à quelque chose qui est bien pour mes utilisateurs ni à la philosophie que j’ai autour du projet. Je ne suis pas contre l’argent en soi, mais l’argent ça doit être fait de façon morale.

Frédéric Couchet : D’accord. Au niveau des problématiques juridiques, on va parler de deux problématiques juridiques précises assez rapidement, les DRM, les menottes numériques et ensuite brevets.
Les DRM, les menottes numériques, on en a déjà parlé avec toi et Marie Duponchelle dans l’émission d’octobre 2018, vous retrouverez le podcast évidemment en ligne, donc les menottes numériques qui empêchent un certain nombre d’usages. Il y a quelques années VLC avait saisi l’Hadopi parce que beaucoup de gens ignorent que l’Hadopi, au-delà de son activité bien connue, a normalement la régulation de ce qu’on appelle les mesures techniques de protection, ce que nous on appelle les menottes numériques, et notamment vous l’aviez saisie concernant les Blu-ray, le format des Blu-ray : est-ce que VLC avait les capacités juridiques – non pas techniques parce que techniquement vous saviez le faire, évidemment, mais juridiques – pour lire ces fameux Blu-ray. Première question : pourquoi vous avez dû saisir l’Hadopi ? Quelle était la réponse de l’Hadopi et quelle est la situation aujourd’hui par rapport à la lecture notamment de ces Blu-ray ?

Jean-Baptiste Kempf : VLC est capable de lire des CD depuis 2001 et, en fait, c’était avant les lois LCEN, EUCD...

Frédéric Couchet : LCEN : loi pour la confiance dans l’économie numérique et EUCD c’est la version française de la directive droit d’auteur.

Jean-Baptiste Kempf : C’était des lois qui avaient été faites. On était passé avant ça. Quand on veut mettre la lecture du Blu-ray dans VLC on est après ça et il y a notamment une agence de régulation des mesures techniques de protection qui avait été créée et qui n’avait jamais rien foutu. Ils n’avaient même pas rendu le rapport annuel qu’ils devaient rendre, donc on a mergé ça dans Hadopi au moment de la loi Hadopi. En théorie, c’était à eux de nous aider parce qu’en fait il y a un problème fondamental qui est l’interopérabilité et les mesures techniques de protection. Grosso modo, ce sont deux concepts qui sont impossibles et puis la loi était hyper peu claire, donc on est allé poser des questions, puisqu’en théorie c’était eux le régulateur. On n’a rien compris à la réponse, en particulier parce qu’ils n’ont rien compris à la question. Ils ont fait ça avec une mauvaise foi absolument forte. Ils n’ont jamais réussi à comprendre, ça a mis deux ans avant qu’on réussisse à avoir une question au gouvernement par un député et c’est à ce moment-là qu’ils ont commencé à se bouger. Grosso modo ils n’ont rien compris à la question, ils ne nous ont même pas posé la question. En fait ils étaient dans un mode complètement politique avec Franck Riester.

Frédéric Couchet : Actuellement ministre de la Culture et anciennement rapporteur du projet de loi Hadopi.

Jean-Baptiste Kempf : À la fin il s’est rendu compte qu’en fait qu’il y avait quelque chose à faire et qu’on n’était pas là juste pour les emmerder, qu’on posait vraiment une question ! Et puis il y avait le secrétaire général de la Hadopi dont j’ai oublié le nom.

Frédéric Couchet : Éric Walter.

Jean-Baptiste Kempf : Éric Walter, qui a essayé de bouger, mais c’était trop tard. J’ai dit publiquement que c’était des gros nuls. Je le redirai publiquement.

Frédéric Couchet : Tu es en train de le dire publiquement.

Jean-Baptiste Kempf : Je peux le redire une fois de plus, ça ne me dérange pas. Jacques Toubon qui, évidemment, ne se souvient pas de moi parce que c’était mon maire quand j’habitais dans le 13e arrondissement de Paris, qui a écrit dans la presse que j’étais un méchant, grosso modo.

Frédéric Couchet : Jacques Toubon qui est aussi un ancien ministre de la Culture et qui, à l’époque, devait être député européen, je pense.

Jean-Baptiste Kempf : Peut-être. Ce qui est bizarre c’est qu’aujourd’hui il fait un travail qui est plutôt bien en tant que médiateur civique de la République [Défenseur des droits], je crois que ce qu’il fait est plutôt pas mal. Il m’avait gonflé. Une fois je l’ai croisé, je lui ai dit qu’il n’avait rien compris au sujet et je crois qu’il m’a dit : « C’est possible, je n’ai rien compris ! »

Frédéric Couchet : Donc l’Hadopi a répondu à côté ou n’a pas compris le sujet, aujourd’hui, légalement, comment ça se passe ?

Jean-Baptiste Kempf : Je ne sais pas. Tu peux lire les Blu-ray qui ne sont pas chiffrés, qui n’ont pas de DRM, c’est peut-être 1 % des Blu-ray, notamment pas mal d’imports japonais, ensuite il faut que tu trouves une façon de contourner la protection. Par exemple, sur le site de VideoLAN, tu peux télécharger une bibliothèque qui peut te permettre ça, mais elle n’a pas les clefs. Donc ensuite il faut aller trouver des clefs sur Internet. Ce n’est pas très compliqué, ça marche très bien, mais en tout cas, légalement, je n’ai pas le droit de le diffuser ; peut-être un jour ! Peut-être qu’aujourd’hui j’ai le droit de diffuser la bibliothèque, mais les clefs je ne pense pas. Mais je n’en sais rien.

Frédéric Couchet : On ne sait pas. Et l’autorité qui est en charge de donner la réponse ne sait pas.

Jean-Baptiste Kempf : Non. Ce sont des gros nuls aussi bien l’ARMT [Autorité de régulation des mesures techniques] que Hadopi et maintenant ils ne savent tellement pas quoi faire de ce gouffre financier, de cette connerie du début jusqu’à la fin qu’ils vont essayer de la merger dans le CSA. Le CSA est quand même un petit peu plus compétent, mais, pour avoir déjà discuté avec sur les questions de TNT numérique, c’est absolument noyauté par des lobbies, c’est absolument une catastrophe.

Frédéric Couchet : D’accord. Ça ce sont les DRM, la base juridique c’est le droit d’auteur. On va passer aux brevets et notamment aux formats des fameux codecs audio ou vidéo. Il y a des codecs libres, des formats qui sont libres, mais, dans la vidéo et dans l’audio, il y a des formats qui ont des brevets. Comment VLC gère cette situation ?

Jean-Baptiste Kempf : Il y a deux endroits, les deux pires endroits au monde pour les brevets, c’est le multimédia et la 3G, grosso modo. Ce sont ce qu’on appelle des minefields, c’est-à-dire des champs de mines au niveau brevet. Tout est breveté. Le concept de base est breveté. Philips a attaqué plein de boîtes jusqu’à il y a trois ans sur les sous-titres parce que le concept de sous-titre était breveté.

Frédéric Couchet : Sérieusement ?

Jean-Baptiste Kempf : Oui, sérieusement. Et ce n’est que des trucs comme ça. C’est pour ça que beaucoup de gens n’aiment pas trop le multimédia parce qu’ils ont très peur. Notamment il y a pas mal de distributions Linux qui sont basées aux États-Unis et qui ont très peur de ça parce qu’il y a beaucoup d’attaques qui se font et on parle de grosses sommes. Donc c‘est pour ça que c’est un peu l’enfer. Nous, VLC, on n’est pas à supporter un ou deux formats, on supporte tous les formats.

Frédéric Couchet : Donc les formats brevetés.

Jean-Baptiste Kempf : Si je devais payer les prix de toutes les licences, je pense que pour chaque VLC on serait à peu près à une centaine, cent cinquantaine d’euros par VLC distribué. Évidemment ça n’a aucun sens. Là on a la chance d’être en France et la France est un des derniers pays occidentaux à avoir une législation sur les brevets logiciels à peu près saine. Je dis « à peu près saine » parce que ça bouge beaucoup, en fait on est les moins pires, on peut déjà dire ça. En théorie les brevets logiciels ne sont pas valables au niveau européen, ça a été rejeté plusieurs fois par le Parlement. Malgré tout, notamment les Allemands et l’Office européen des brevets acceptent des brevets logiciels s’ils apportent vraiment une innovation donc ce n’est pas très clair. En tout cas, en France, c’est assez clair et surtout personne n’a envie de savoir la vérité, parce qu’ils savent que s’ils se mettent à nous attaquer, d’abord il n’y a pas d’argent à récupérer chez VideoLAN, mais surtout ils savent qu’on va les faire chier et qu’on ira jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme ; on va faire tout le process, ça prendra dix ans, mais à la fin, le risque, c’est que tous les brevets logiciels seront invalidés et ça, ils ne veulent pas. Donc leur statu quo ne les arrange pas mal. Pour le moment on n’a pas ce problème-là. Ensuite moi, en fait, non seulement je suis technique, mais je comprends le droit. Je reçois souvent des lettres d’avocat qui me disent « Oh la, la, tu violes ce brevet ». Moi je lis le brevet je dis « non ». Ils font : « Si ». Je fais « Eh bien non, parce que je ne fais pas le claim, comme ça, etc. »

Frédéric Couchet : Le quoi ? Le claim ?

Jean-Baptiste Kempf : Les brevets c’est très compliqué.

Frédéric Couchet : Ah oui, le claim, c, l, a, i, m. Comment on dit en français ? La prétention.

Jean-Baptiste Kempf : Ouais, tu prétends plein de choses, tu en as une centaine et, à partir du moment où tu montres que la prétention est fausse, tu ne valides pas le brevet. Sauf que moi je suis suffisamment bête pour passer une heure à aller lire le brevet, à essayer de comprendre ce qui se passe et dire « en fait vote brevet n’est pas vraiment valide parce que... » Ça m’est arrivé plusieurs fois de leur montrer que ce qu’ils brevetaient été déjà dans VLC et que j’avais l’historique git, donc je pouvais savoir quand ça avait été commité. Là déjà tu sens que les mecs ??? et qu’on ne va pas trop t’embêter et surtout je leur dis « votre brevet parce qu’il y a déjà quelqu’un qui a déjà fait ou alors moi je peux le contourner ». Et ils ne sont pas habitués parce que c’est un système mafieux. En fait, ils arrivent, ils te font peur, ils te disent : « Si jamais je t’attaque ça va te coûter un million d’euros ou alors tu peux me payer la licence de 50 000 » ; donc tu ne prends pas le risques, tu payes. Moi je n’ai pas d’argent et surtout je n’ai rien à perdre. Donc je leur réponds et, résultat, ça fait partir la plupart de ces gens-là.

Frédéric Couchet : D’accord. C’est excellent parce que, comme j’ai dit tout à l’heure, en fin d’émission on va reparler de ce sujet, notamment avec un brevet dans un autre domaine qui est celui des images avec GNOME qui a exactement la même réaction, qui se fait attaquer et qui réagit.
Comme le temps fil et tout à l’heure tu as dit qu’aujourd’hui VLC était développé principalement, enfin en tout cas le cœur, par cinq personnes, en fait qui paye ces gens-là ? Comment est financé le développement de VLC ? Et je te demanderai aussi de faire le lien avec ta société, Videolabs, qui contribue au financement de VLC.

Jean-Baptiste Kempf : Sur la plupart de l’histoire de VLC, ce n’était que des gens qui travaillaient sur leur temps libre, des étudiants, c’est comme ça que j’ai fait jusqu’en 2012, j’avais une deuxième vie le soir, le week-end, en vacances. On a eu un petit problème qui a commencé et que j’avais vu, notamment en discutant avec GNOME et les gens de KDE, de se rendre compte qu’en fait que le pic du logiciel libre desktop c‘était 2009/2012, tous les cadors c’étaient les mecs qui faisaient ça et après on a vu les contributions commencer à se réduire, notamment parce que les étudiants veulent faire une nouvelle start-up, ils veulent faire un nouveau jeu vidéo ; maintenant grâce aux plateformes ça n’a jamais été aussi facile de publier sur Android, sur iOS ou faire Flappy Bird que bosser sur VLC.
Et il y a eu une professionnalisation autour de l’open source c’est-à-dire vraiment la partie non libre, c’est-à-dire la partie Google, Facebook, etc., qui est surtout la partie serveur side.

Frédéric Couchet : Le côté serveur.

Jean-Baptiste Kempf : Oui, côté serveur. La partie vraiment logiciel libre sur le bureau c’est quelque chose qui se raréfie, en tout cas en proportion, donc c’est de plus en plus difficile d’avoir des gens qui veulent bien travailler là-dessus et sur leur temps libre, parce que sur leur temps libre ils préfèrent faire des apps et, surtout, ils se sont tous fait rafler par Google, Facebook et autres. Le deuxième truc c’est qu’on s’est rendu compte que pour travailler pour le futur VLC il fallait passer par les Smart TV et les smartphones, qui sont tout sauf smart, mais en tout cas c’est beaucoup plus contraignant de travailler dans ces environnements, de développer pour ces environnements-là. Tu ne peux pas demander aux gens sur le temps libre d’avoir une version professionnelle de VLC là-dessus.
Je voulais créer une sous-société de VideoLAN, comme fait Mozilla, Mozilla org et Mozilla Foundation. L’association m’a dit que ce n’était pas une bonne idée, donc j’ai créé une société à côté et j’ai embauché des gens de la communauté pour faire avancer VLC. Maintenant j’ai une boîte qui s’appelle Videolabs, qui ne produit quasiment exclusivement que du logiciel libre. On fait un peu de conseil, mais on fait surtout du logiciel libre et ça permet d’accélérer VLC et une grosse partie du travail de l’entreprise, c’est-à-dire plus de 50 %, n’a pas de clients, c’est juste améliorer VLC. Il y a encore des gros développeurs qui ne sont pas dans la société et c’est comme ça. Malheureusement il y a un problème, tu parlais de problème de financement, c’est qu’aujourd’hui il n’existe pas de business modèle B2C [ business to consumer] open source.

Frédéric Couchet : B2C ?

Jean-Baptiste Kempf : Pour le grand public, donc c’est très difficile de trouver de l’argent pour payer les gens pour continuer à faire développer VLC. Les gens me disent : « Pourquoi tu continues à faire développer VLC ? » En fait, c’est justement parce que tu ne t’en rends pas compte que ça marche. Il y a toujours de nouveaux formats, H.264, H.265, HEVC, on parle de 4k, on parle de HDR et nous on travaille énormément derrière pour que VLC suive les évolutions en même temps, comme ça les utilisateurs ne se rendent pas compte ils disent : « Ça marche toujours ! » Ça marche toujours justement parce qu’on fait cet effort. Et ça, ça coûte de l’argent !

Frédéric Couchet : En parlant d’argent, rapidement, pendant la pause musicale, tu me parlais techniquement du <em<sandboxing, donc le bac à sable pour la partie sécurisation et tu m’as dit un chiffre…

Jean-Baptiste Kempf : Un million d’euros. Pour améliorer énormément la sécurité de VLC, il faut le faire, il faut un million d’euros et je vais aller demander un peu d’argent au ministère de la Défense pour une subvention, je vais utiliser les techniques de start-up pour aller vérifier si ça ne peut pas intéresser le ministère de la Défense.

Frédéric Couchet : D’accord. Il nous reste peu de temps. Je vais relayer une question que j’ai eue en préparant l’émission sur le salon web et qui concerne une façon de contribuer à VLC qui est moins technique, qui concerne la documentation, même si la documentation ça reste quand même un petit peu technique mais moins que coder en langage C. La question portait sur l’opération Google Season of Docs, donc la saison de la documentation, qui est une manière pour des rédacteurs et des rédactrices techniques d’être rémunérés par Google pour travailler sur des projets libres et améliorer la documentation. Visiblement VLC a eu recours à cette opération. Est-ce que tu as un retour d’expérience ?

Jean-Baptiste Kempf : Oui, On a toujours fait partie de Summer of Code. Là il y avait Season of Docs qui était quelque chose de nouveau. On l’a fait. On a une étudiante qui s’appelle Edi, en fait son nom est un peu long j’ai un peu de mal à le prononcer, on l’appelle Edi ; c’est une femme qui habite à Lagos au Nigéria et elle en train de refaire la documentation utilisateur de VLC qui est un sujet dont on parle depuis dix ans. C’est vrai que la documentation de VLC est vraiment honteuse par rapport à la qualité du logiciel. Je ne dirais que c’est moins technique je pense que c’est plus difficile que coder. Moi je ne suis pas capable de coder (???), je serais incapable de faire une documentation, c‘est vraiment très long, très difficile et je pense que c’est quasiment aussi difficile que les transcriptions de Marie-Odile.

Frédéric Couchet : C’est vrai. Tu as tout à fait raison. Deux petites question, pareil, que j’ai reçues en préparant. À quand une vidéothèque où on pourra classer, chercher films et séries ?

Jean-Baptiste Kempf : 4.0. C’est en bêta. Tu prends les nightly builds de VLC, il y a tout ça.

Frédéric Couchet : Les nightly builds. les compilations de tous les soirs. Mais pour quelqu’un qui veut installer sur sa distribution GNU/Linux ?

Jean-Baptiste Kempf : Fin de l’année.

Frédéric Couchet : Fin de l’année, 2019 donc. Pour Noël.

Jean-Baptiste Kempf : Fin de l’année 2019 plus quelques mois de retard, mais c’est à peu près ça. C’est quasiment fini. On a justement tout ça, justement une sorte de iTunes mais beaucoup plus simple, beaucoup plus rapide et sans avoir un média center complet comme ???, un truc un peu simple et absolument optionnel. Si les gens veulent juste garder le VLC, ils ont juste le VLC.

Frédéric Couchet : D’accord. Autre question qu’on m’a relayée ou une suggestion : ce serait bien que les devs de VLC, donc les personnes qui développent VLC, y ajoutent un coupeur de vidéo intégré pour couper des longues vidéos en plusieurs petites séquences de trois à cinq minutes. Est-ce que c’est prévu ?

Jean-Baptiste Kempf : Techniquement tu peux déjà le faire dans VLC, c’est juste hyper-compliqué à faire parce que tu as le bouton « record » qui permet de le faire. La fonctionnalité, si je comprends bien, c’est la fonctionnalité qui ressemble à celle que QuickTime avait, qui permet de couper. En fait, ça met juste des marqueurs dans la vidéo et ce n’est pas très compliqué à faire. Ce qui est plus compliqué c’est de trouver une interface correcte pour le faire, je ne sais pas comment on pourrait faire ça dans une interface. Je vais y réfléchir. Il faut que je démarre mon Mac pour voir comment fait QuickTime et je pourrai faire ça.

Frédéric Couchet : D’accord. Dernière question. Je te laisse le mot de la fin. On a beaucoup parlé de vidéos et j’ai une petite question personnelle parce que j’ai cru comprendre que tu appréciais les séries, les films, est-ce que tu as des conseils de séries ou de films pour les personnes qui nous écoutent ?

Jean-Baptiste Kempf : De séries ou de films ? Moi j’ai plutôt des conseils de bouquins en fait.

Frédéric Couchet : Bouquins, vas-y.

Jean-Baptiste Kempf : Le meilleur livre au monde s’appelle Le Nom du vent de Patrick Rothfuss. Je suis désolé, je vais vous le conseiller, vous allez me détester après quelques mois. En fait il n’y a que deux volumes qui sont sortis et c’est absolument addictif. Dans le même style je vous conseille à peu près tous les Brandon Sanderson mais pareil, il ne faut pas commencer son grand chef-d’œuvre, parce qu’il n’a que trois bouquins de 1200 pages et il y en 14 qui sont prêts. En tout cas, il a fait plein de nouvelles et c’est absolument génial. Donc Brandon Sanderson et Patrick Rothfuss, ce sont mes grands coups de cœur dernièrement de bouquins.

Frédéric Couchet : Super. Est-ce que tu as quelque chose à ajouter ou une annonce à faire en cette fin de sujet ?

Jean-Baptiste Kempf : Rien de spécial. Utilisez VLC. Continuez à soutenir VLC. Bizarrement VLC est très connu à l’étranger et, en France, il y a parfois un petit désamour ; je pense qu’on n’est jamais prophète en son pays ! En tout cas continuez à parler de VLC parce qu’on en a besoin même si on a l’impression que tout le monde connaît. Vu l’émergence des plateformes qui arrivent avec Netflix et des plateformes qui ne sont pas très ouvertes, par très loyales, c’est important plus que jamais de libérer la vidéo.

Frédéric Couchet : En tout cas merci Jean-Batiste. C’était jean-Baptiste Kempf de VLC, du projet VideoLAN, de Videolabs. En tout cas merci pour ce que vous faites et je te souhaite une belle journée.

Jean-Baptiste Kempf : Je te remercie.

[Virgule musicale]

Frédéric Couchet : Nous allons faire une pause musicale. Avant ça je vais répondre à la première question du quiz. Lors de l’émission du 22 octobre 2019 nous avons parlé de Google et des assistants personnels connectés. La question c’est : par quel prénom et pourquoi on avait proposé de renommer les assistants personnels connectés ? La réponse c’est le prénom Harry en référence au film Harry, un ami qui vous veut du bien, un film de 2000 où Michel retrouve par hasard un ami d’enfance prénommé Harry. Harry va s’insinuer progressivement dans la vie de Michel et va se mettre à éliminer toutes les personnes qui, selon lui, peuvent nuire à l’épanouissement de Michel. C’est pour ça qu’on avait proposé de renommer les assistants personnels par Harry.

La pause musicale. Nous allons écouter For Such a Thing to Land par Mela. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune.

Pause musicale : For Such a Thing to Land par Mela.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter For Such a Thing to Land par Mela, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions.

Vous êtes toujours avec l’April pour l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 FM en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm.
Nous allons passer au sujet suivant.

[Virgule musicale]

[Chronique de Jean-Christophe Becquet, président de l'April, sur Wikidata (relier tous les savoirs du monde)]

Frédéric Couchet : Textes, images, vidéos ou bases de données, sélectionnés pour leur intérêt artistique, pédagogique, insolite, utile, Jean-Christophe Becquet, président de l’April, nous présente une ressource sous une licence libre. Les auteurs de ces pépites ont choisi de mettre l’accent sur les libertés accordées à leur public, parfois avec la complicité du chroniqueur. C’est donc la chronique « Pépites libres ».Bonjour Jean-Christophe.

Jean-Christophe Becquet : Bonjour. Bonjour à tous et à toutes. Wikipédia est le projet le plus connu parmi les projets libres portés par la Fondation Wikimedia mais c'est loin d'être le seul. Je pense par exemple à la médiathèque Wikimedia Commons sur laquelle s'appuie le concours mondial de photos libres Wiki Loves Monuments dont je parlais dans ma dernière chronique. On peut citer également sans prétendre à l'exhaustivité : Wikiquote, le répertoire libre de citations, Wikispecies, le catalogue libre des espèces vivantes ou encore MediaWiki, le logiciel libre qui sert de socle technique à l'ensemble de ces travaux.

Wikidata qui fête aujourd'hui son septième anniversaire est beaucoup moins connu et beaucoup moins visible. Il vise pourtant à relever un défi impressionnant que je résumerai par cette maxime : « relier tous les savoirs du monde ».

Un des principes fondamentaux de l'open data défini par la Sunlight Foundation en 2007 est que les données doivent être « lisibles par une machine ». Les articles Wikipédia, même s'ils sont souvent disponibles dans plusieurs dizaines de langues, sont rédigés à destination de lecteurs humains. Ils ne répondent pas à ce critère. Il faut en effet accéder à la compréhension du texte pour extraire les informations pertinentes et surtout les liens entre les concepts. Par exemple, la page Wikipédia de la ville de Digne-les-Bains dans sa section « Personnalités liées à la commune » mentionne le scientifique Pierre Gassendi. Mais il faut savoir que sa commune de naissance, Champtercier est un village voisin de la cité préfectorale pour comprendre le lien avec le personnage. Quant à l'exploratrice Alexandra David-Néel, on doit analyser une phrase complexe qui croise diverses informations pour comprendre qu'elle est morte à Digne en 1969.

Wikidata offre un accès à l'information un peu moins convivial mais plus structuré que Wikipédia. Pour chaque objet qui peut être une ville, un personnage, une œuvre d'art… il énonce des faits comme sa population, sa date de naissance ou son lieu d'exposition. Et surtout il décrit de manière extrêmement précise les relations entre ces éléments. On pourra ainsi par exemple retrouver la liste des œuvres réalisées par un artiste né dans une ville donnée. De nombreux autres champs de connaissances sont couverts par Wikidata comme la politique, la philosophie, la biologie, l'anatomie, l'astronomie… Wikidata a dépassé récemment les 70 millions d'éléments, c'est vraiment impressionnant !

Un langage de requête dénommé SPARQL permet de poser toutes sortes de questions sur la base Wikidata. C'est un peu compliqué au début, mais on trouve plein d'exemples en ligne et il existe un assistant visuel pour écrire ses premières requêtes. Il devient alors absolument fascinant de parcourir les liens entre toutes ces graines de savoir.

Cette énorme base de données est sous licence Creative Commons Zéro. Cette licence très permissive cherche à se rapprocher le plus possible du domaine public selon les lois en vigueur dans chaque pays. En effet, en droit français par exemple, il n'est pas possible de verser volontairement une œuvre dans le domaine public. Il faut attendre 70 ans après la mort de l'auteur.

Pour terminer, j'ai demandé à Wikidata de rechercher tous les éléments qui ont la valeur 42 pour une de leurs propriétés. La requête donne 38 407 résultats. Il peut s'agir de l'altitude d'un aéroport en Inde, le nombre de mariages pour l'année 2016 d'une commune belge, de la longueur d'une voie expresse en Corée du Sud, de nombre de matchs joués par un joueur de football brésilien, de la pression de vapeur d'un composé chimique ou de la durée de gestation du lièvre de Californie… Vous l'aurez compris, ça donne le vertige. Et bien sûr, l'item numéroté Q42 décrit Douglas Adams, l'écrivain britannique auteur du célèbre Guide du voyageur galactique.

Frédéric Couchet : Merci Jean-Christophe. Tu indiques dans ta chronique donc que la licence donc c'est la Creative Common Zéro. En préparant l'émission, j'ai vu que la page Wikipédia consacrée à Wikidata évoque un risque possible. Je lis. Le risque c'est que le fait que les données de wikidata sous licence Creative Common CC0 puissent être réutilisées par Google ou tout autre moteur de recherche pourrait alors amener moins de consultations de Wikipedia du fait que les quelques 20 % de requêtes de web sémentiques pourraient être directement résolues par le moteur de Google. Quel est ton sentiment sur cette question ?

Jean-Christophe Becquet : Alors effectivement, c'est un sujet délicat lorsqu'on doit choisir une licence libre. C'est la question de la clause copyleft en fait. Les autres projets dont j'ai parlé dans les chroniques précédentes Wikipédia, Wikimedia commons, sont des projets qui ont fait le choix d'une licence copyleft. C'est le cas aussi d'Openstreet map dont on a déjà parlé dans Libre à vous !. C'est-à-dire que toute base dérivée de la base initialement sous licence libre, si elle fait l'objet d'une publication doit à son tour être partagée sous licence libre. Dans le cas de Wikidata, on a une licence qui est non copyleft. C'est-à-dire qu'il est permis de rééutiliser cette base de données sans obligation de publier les versions dérivées, de partager les versions dérivées sous licence libre. L'inconvénient c'est qu'effectivement, ça permet à des acteurs du monde propriétaire de récupérer ces données et d'en faire usage sans reverser au libre leurs éventuelles améliorations. L'avantage par contre, c'est plus d'opportunités d'utlisation. C'est-à-dire qu'on ne se prive pas des rééutilisateurs qui seraient gênés par la clause copyleft et qui iraient voir ailleurs. Donc voilà, je pense que c'est ce qui a porté en fait en 2012 lorsque les fondateurs, des membres de la communauté wikimedia allemande ont initié le projet wikidata. Je pense qu'ils ont choisi cette licence Creative Commons Zero pour son ouverture et en renoncant du coup à la clause copyleft qui fait obligation aux rééutilisateurs de partager leurs modifications à leur tour sous licence libre.

Frédéric Couchet :