Différences entre les versions de « Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l'émission du 28 avril 2020 »

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'''Titre :''' Émission <em>Libre à vous !</em> diffusée mardi 28 avril 2020 sur radio Cause Commune
 
'''Titre :''' Émission <em>Libre à vous !</em> diffusée mardi 28 avril 2020 sur radio Cause Commune
  
'''Intervenant·e·s :'''  Frédéric Couchet - William Agasvari à la régie
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'''Intervenant·e·s :'''  Véronique Bonnet - Frédéric Couchet - Étienne Gonnu - William de cause Commune à la régie
  
 
'''Lieu :''' Radio Cause Commune
 
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Nous vous souhaitons une excellente écoute.  
 
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Voici maintenant le programme de cette émission :
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nous commencerons d’abord par la chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet qui nous parlera l'importance d'utiliser la dénomination GNU/Linux ;<br/>
<li>nous commencerons d’abord par la chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet qui nous parlera l'importance d'utiliser la dénomination GNU/Linux ;</li>
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nous prendrons ensuite des nouvelles des nouvelles de Julien Négros d’Enercoop que nous avions reçu lors du <em>Libre à vous !</em> du 26 novembre 2019 ;<br/>
<li>nous prendrons ensuite des nouvelles des nouvelles de Julien Négros d’Enercoop que nous avions reçu lors du <em>Libre à vous !</em> du 26 novembre 2019 ;</li>
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je passerai ensuite la parole à Frédéric Couchet qui échangera avec Cyrille Béraud et Christophe Villemer sur Jami un logiciel libre qui permet de passer des appels téléphoniques ou vidéo via Internet ;<br/>
<li>je passerai ensuite la parole à Frédéric Couchet qui échangera avec Cyrille Béraud et Christophe Villemer sur Jami un logiciel libre qui permet de passer des appels téléphoniques ou vidéo et Internet ;</li>
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enfin nous prendrons des nouvelles de François Poulain, trésorier de l’April et artisan du logiciel libre chez CLISS XXI.<br/>
<li>enfin nous prendrons des nouvelles de François Poulain, trésorier de l’April et artisan du logiciel libre chez CLISS XXI.</li>
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À la réalisation de l’émission William de la Cause Commune.
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À la réalisation de l’émission William Cause Commune.
 
  
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==Chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet, professeur de philosophie et vice-présidente de l'April, sur l'importance d'utiliser la dénomination GNU/Linux (à partir du texte « Qu’y a-t-il dans un nom ? » de Richard Stallman)==
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<b>Étienne Gonnu : </b>Nous allons commencer par la chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet, professeur de philosophie et vice-présidente de l'April, qui, à partir du texte « Qu’y a-t-il dans un nom ? » de Richard Stallman, va nous parler de l'importance d'utiliser la dénomination GNU/Linux. Bonjour Véronique. Je te laisse la parole.
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<b>Véronique Bonnet : </b>Bonjour Étienne. Effectivement, je vais commenter un texte de Richard Stallman qui a été publié en 2000. C’est dans la philosophie GNU, dans la section histoire de GNU/Linux et, comme tu l’as dit Étienne, le titre est « Qu’y a-t-il dans un nom ? », <em>What's in a Name?</em><br/>
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Si j’avais à résumer cet article, je dirais que Richard Stallman met les points sur les i au sens propre, c’est-à-dire qu’il propose d’adopter, pour parler de logiciel libre, les termes justes. Il est important d’éviter l’à-peu-près, comme si, en ce sens, Richard évoquait une éthique du lexique. En effet, parler fait intervenir des noms qui ne doivent surtout pas égarer, qui doivent atteindre leur cible et je dirais que Richard Stallman accorde une attention très particulière à la justesse de la dénomination. Il est important de choisir des termes qui reflètent fidèlement les idéaux du <em>free software</em>, sans les réduire à des dispositifs techniques.
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Comme j’enseigne la philosophie, avent d’entrer dans le texte de RMS, je vais rappeler que ce souci du mot juste est très important dans l’histoire de la philosophie. Par exemple, dans les dialogues du philosophe Platon, au 4e siècle avant notre ère, il y a souvent un personnage, Socrate, qui va demander aux sophistes qui jouent sur le sens des mots, de bien faire attention à ne pas abuser de ce pouvoir, essayer de ne pas employer un terme pour un autre.<br/>
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Entrons maintenant dans le texte de Richard Stallman.
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« Les noms véhiculent des significations. Le choix des noms détermine la signification de ce que nous disons. Un nom mal choisi donne aux gens une idée fausse. »<br/>
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En grand pédagogue qu’il est, Richard commence par une image, il commence par faire référence, d’une façon très élémentaire, à ce qui nous est déjà arrivé : « Une rose, quel que soit son nom, sentira toujours aussi bon, mais si vous l'appelez « stylo », les gens seront plutôt déçus quand ils essaieront d'écrire avec. Et si vous appelez les stylos « roses », les gens pourraient ne pas réaliser à quoi ils servent ». Autrement dit, ici Richard Stallman fait état d’une déception ou bien d’une incompréhension qui pourrait résulter d’une confusion du lexique. Donc un nom pour chaque chose devrait permettre de refléter sa fonction sans brouiller les idées.<br/>
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Après la métaphore, RMS applique à l’informatique cette enquête sur une confusion possible. « Si vous appelez notre système d'exploitation « Linux », cela véhicule une idée fausse de l'origine du système, de son histoire et de sa finalité. Si vous l'appelez GNU/Linux, cela véhicule (mais sans la détailler) une idée juste. »<br/>
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Nous allons nous arrêter ici, à cet endroit du texte : pourquoi faudrait-il avoir une idée juste de l’origine de GNU/Linux ? Après tout, pourquoi ne pas se contenter de la fonction, parce qu’on pourrait s’imaginer que l’utilisateur cherche avant tout à agir avec des lignes de code et obtenir des effets. La réponse de Richard, dans ce texte, est impérative à savoir, je lis : « Le monde du Libre qui s'est développé autour de GNU/Linux n'est pas en sécurité ; les problèmes qui nous ont amenés à développer GNU ne sont pas complètement éradiqués et ils menacent de revenir. »<br/>
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Pourquoi alors s’intéresser à l’histoire de GNU/Linux ? Retournons aux origines, parce que ceci rappelle l’exigence éthique du projet GNU lancé en 1983 qui, à un certain moment de son développement, a bien sûr utilisé le noyau Linux lorsque l’informaticien Linus Torvalds l’a libéré. Donc on voit que si on utilise la dénomination « Linux », alors on réduit l’informatique libre à un épisode qui sera seulement technique et on ne se réfère qu’à une partie du projet. GNU est un projet éthique, politique, humaniste : écrire du code pour rendre l’utilisateur autonome, alors que Linux, à un moment donné du développement de GNU, est un dispositif technique. Donc si on appelle « GNU/Linux » « Linux » – c’est un peu la même chose qu’appeler une rose un stylo – c’est réduire un projet existentiel à un détail matériel.<br/>
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Et ici Richard Stallman précise que pour certains cette confusion sur la dénomination est une tentative délibérée de ne garder qu’une dimension de l’histoire de GNU/Linux, à savoir l’épisode de Linux. Il le précise : Richard Stallman rapporte qu’un PDG a demandé à des utilisateurs de, je cite « laisser tomber l'objectif de la liberté pour travailler à la place en faveur de « la popularité de Linux » » et là, c’est la porte ouverte à l’ajout de logiciels non libres, à l’ajout de bibliothèques et d’outils non libres.
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Richard Stallman va ici utiliser le terme de « piège » et va analyser le piège qui résulte de cette confusion des noms : « Si notre communauté continue d'aller dans cette direction, cela peut rediriger l'avenir de GNU/Linux vers une mosaïque de composants libres et non libres. Dans cinq ans, nous aurons certainement toujours beaucoup de logiciels libres ; mais si nous ne faisons pas attention ils seront difficilement utilisables sans les logiciels non libres que les utilisateurs espèrent trouver avec. Si cela arrive, notre campagne pour la liberté aura échoué. » C’est pourquoi Richard Stallman fait ici une demande insistante qui se trouve motivée, qui se trouve légitimée, je cite à nouveau le texte : « Pour inciter les gens à faire le travail qui doit être fait, nous avons besoin d'être reconnus pour ce que nous avons déjà fait. S'il vous plaît, aidez-nous en appelant le système d'exploitation GNU/Linux. »<br/>
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Il faut éviter de nommer mal, il faut éviter de prendre la partie pour le tout, il faut éviter de prendre un épisode du développement de GNU pour GNU lui-même. Certains le font délibérément. Et là je pense à une philosophe du 20e siècle, je pense à Hannah Arendt, qui avait fait paraître en 1969 quatre essais politiques qu’elle avait appelés <em>Du mensonge à la violence</em> et, parmi ces essais politiques, il y en avait un, <em>Réflexions sur les documents du Pentagone</em>, où elle se référait à la violence symbolique qui consistait à jouer sur les mots, à fausser certaines dénominations à des fins soit de minoration de ce de quoi on ne voulait pas parler, de majoration de ce de quoi on voulait parler. Déjà en 1948, Orwell, dans <em>1984</em>, avait évoqué la novlangue, c’est-à-dire une ruse pour manipuler le langage et pour manipuler la réalité.
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En conclusion : logiciel libre j’écris ton nom, je dis ton nom correctement, sans oublier ta racine idéaliste, sans oublier ton principe. Donc, Étienne, je dirai non pas « Linux » mais « GNU/Linux ». GNU est ce qui donne direction et sens à la communauté du logiciel libre. Dire « GNU » ce n’est pas dire « je », c’est dire « nous ».
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<b>Étienne Gonnu : </b>Merci Véronique. Très intéressant et, comme dit justement cpm sur le salon de l’émission, c’est un texte ancien mais qui est toujours vraiment d’actualité. D’ailleurs cette réflexion pourrait très bien s’appliquer à la différence que nous faisons entre logiciel libre et <em>open source</em>. Un autre auditeur nous fait remarquer que c’est effectivement un vieux combat au moins depuis 1994 et publiquement depuis 1996. Il est toujours important de rappeler ces bases-là. Grand merci à Véronique.<br/>
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Je vous propose à présent de faire une courte pause musicale. Nous allons écouter <em>Neoteric</em> par Cloudkicker. On se retrouve juste après. Une belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
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<b>Pause musicale : </b><em>Neoteric</em> par Cloudkicker.
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<b>Voix off : </b> Cause Commune, cause-commune.fm, 93.1.
  
Tout de suite place au premier sujet.
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<b>Étienne Gonnu : </b>Nous venons d’écouter <em>Neoteric</em> par Cloudkicker, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org. Bien sûr, vous retrouverez également le texte mentionné dans la chronique précédente sur cette même page.
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Vous écoutez toujours l’émission <em>Libre à vous !</em> sur radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 FM en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm. Je suis Étienne Gonnu en charge des affaires publiques pour l’April.<br/>
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Nous allons maintenant passer au sujet suivant.  
  
==Chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet, professeur de philosophie et vice-présidente de l'April, sur l'importance d'utiliser la dénomination GNU/Linux (à partir du texte « Qu’y a-t-il dans un nom ? » de Richard Stallman).==
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==Échange avec Julien Négros pour prendre des nouvelles d’Enercoop==
  
<b>Étienne Gonnu : </b>Nous allons commencer par
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<b>Étienne Gonnu : </b>Nous allons poursuivre avec Julien Négros

Version du 30 avril 2020 à 08:23


Titre : Émission Libre à vous ! diffusée mardi 28 avril 2020 sur radio Cause Commune

Intervenant·e·s : Véronique Bonnet - Frédéric Couchet - Étienne Gonnu - William de cause Commune à la régie

Lieu : Radio Cause Commune

Date : 28 avril 2020

Durée : 1 h 30 min

Écouter ou enregistrer le podcast

Page des références utiles concernant cette émission

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration :

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcrit MO

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Étienne Gonnu : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
L’importance de la dénomination GNU/Linux, le logiciel libre Jami, des nouvelles de Julien Négros d’Enercoop et de François Poulain de l’April, c’est au programme de l’émission du jour sur Cause Commune.
Vous êtes bien sur la radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 FM en Île-de-France et en Dab+ et partout dans le monde sur le site causecommune.fm.
Cause Commune sur la bande FM c’est de midi à 17 heures, puis de 21 heures à 4 heures en semaine ; le vendredi de 21 heures au samedi 16 heures et le dimanche de 14 heures à 22 et sur Internet c’est 24 heures sur 24. La radio diffuse également en DAB+ en Île-de-France, c’est la radio numérique terrestre, 24 heures sur 24. La radio dispose également d’une application cause Commune pour téléphone mobile.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Je suis Étienne Gonnu en charge des affaires publique pour l’April.
Si vous êtes une auditrice ou un auditeur régulier, que vous avez manqué nos émissions du 31 mars et du 14 avril, ce changement de voix vous aura peut-être étonné. Rassurez-vous, Frédéric va bien et vous le retrouverez très rapidement. L’objectif est simplement de se répartir la charge et que Libre à vous ! soit aussi peu dépendante que possible d’une unique personne. Une pratique de pérennisation qui vaut aussi bien pour un projet logiciel que pour une émission de radio.
Le site web de l’April c’est april.org. Vous pouvez y retrouver une page consacrée à cette émission avec tous les liens et références utiles, les détails sur les pauses musicales et toutes les autres informations utiles en complément de l’émission et également les moyens de nous contacter.
N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration.

Nous sommes le mardi 28 avril 2020, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.
Je précise que depuis l’émission du 17 mars nous diffusons dans des conditions exceptionnelles suite au confinement. Toutes les personnes qui participent à l’émission le font de chez elle et d’un point de vue technique nous utilisons Mumble, un logiciel libre d’audioconférence. J’en profite d’ailleurs pour rappeler que vous pouvez tester et utiliser ce logiciel via le serveur Chapril en vous rendant tout simple sur c, h, a, p, r, i, l point org [chapril.org] où vous retrouvez ce service et d’autres.


Si vous souhaitez réagir, poser une question pendant ce direct, n’hésitez pas à vous connecter sur le salon web de la radio. Pour cela rendez-vous sur le site de la radio, causecommune.fm, cliquez sur « chat » et retrouvez-nous sur le salon dédié à l’émission.
Nous vous souhaitons une excellente écoute.

Voici maintenant le programme de cette émission :
nous commencerons d’abord par la chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet qui nous parlera l'importance d'utiliser la dénomination GNU/Linux ;
nous prendrons ensuite des nouvelles des nouvelles de Julien Négros d’Enercoop que nous avions reçu lors du Libre à vous ! du 26 novembre 2019 ;
je passerai ensuite la parole à Frédéric Couchet qui échangera avec Cyrille Béraud et Christophe Villemer sur Jami un logiciel libre qui permet de passer des appels téléphoniques ou vidéo via Internet ;
enfin nous prendrons des nouvelles de François Poulain, trésorier de l’April et artisan du logiciel libre chez CLISS XXI.
À la réalisation de l’émission William de la Cause Commune.

Tout de suite place au premier sujet.

Chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet, professeur de philosophie et vice-présidente de l'April, sur l'importance d'utiliser la dénomination GNU/Linux (à partir du texte « Qu’y a-t-il dans un nom ? » de Richard Stallman)

Étienne Gonnu : Nous allons commencer par la chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet, professeur de philosophie et vice-présidente de l'April, qui, à partir du texte « Qu’y a-t-il dans un nom ? » de Richard Stallman, va nous parler de l'importance d'utiliser la dénomination GNU/Linux. Bonjour Véronique. Je te laisse la parole.

Véronique Bonnet : Bonjour Étienne. Effectivement, je vais commenter un texte de Richard Stallman qui a été publié en 2000. C’est dans la philosophie GNU, dans la section histoire de GNU/Linux et, comme tu l’as dit Étienne, le titre est « Qu’y a-t-il dans un nom ? », What's in a Name?
Si j’avais à résumer cet article, je dirais que Richard Stallman met les points sur les i au sens propre, c’est-à-dire qu’il propose d’adopter, pour parler de logiciel libre, les termes justes. Il est important d’éviter l’à-peu-près, comme si, en ce sens, Richard évoquait une éthique du lexique. En effet, parler fait intervenir des noms qui ne doivent surtout pas égarer, qui doivent atteindre leur cible et je dirais que Richard Stallman accorde une attention très particulière à la justesse de la dénomination. Il est important de choisir des termes qui reflètent fidèlement les idéaux du free software, sans les réduire à des dispositifs techniques.

Comme j’enseigne la philosophie, avent d’entrer dans le texte de RMS, je vais rappeler que ce souci du mot juste est très important dans l’histoire de la philosophie. Par exemple, dans les dialogues du philosophe Platon, au 4e siècle avant notre ère, il y a souvent un personnage, Socrate, qui va demander aux sophistes qui jouent sur le sens des mots, de bien faire attention à ne pas abuser de ce pouvoir, essayer de ne pas employer un terme pour un autre.
Entrons maintenant dans le texte de Richard Stallman.

« Les noms véhiculent des significations. Le choix des noms détermine la signification de ce que nous disons. Un nom mal choisi donne aux gens une idée fausse. »
En grand pédagogue qu’il est, Richard commence par une image, il commence par faire référence, d’une façon très élémentaire, à ce qui nous est déjà arrivé : « Une rose, quel que soit son nom, sentira toujours aussi bon, mais si vous l'appelez « stylo », les gens seront plutôt déçus quand ils essaieront d'écrire avec. Et si vous appelez les stylos « roses », les gens pourraient ne pas réaliser à quoi ils servent ». Autrement dit, ici Richard Stallman fait état d’une déception ou bien d’une incompréhension qui pourrait résulter d’une confusion du lexique. Donc un nom pour chaque chose devrait permettre de refléter sa fonction sans brouiller les idées.
Après la métaphore, RMS applique à l’informatique cette enquête sur une confusion possible. « Si vous appelez notre système d'exploitation « Linux », cela véhicule une idée fausse de l'origine du système, de son histoire et de sa finalité. Si vous l'appelez GNU/Linux, cela véhicule (mais sans la détailler) une idée juste. »
Nous allons nous arrêter ici, à cet endroit du texte : pourquoi faudrait-il avoir une idée juste de l’origine de GNU/Linux ? Après tout, pourquoi ne pas se contenter de la fonction, parce qu’on pourrait s’imaginer que l’utilisateur cherche avant tout à agir avec des lignes de code et obtenir des effets. La réponse de Richard, dans ce texte, est impérative à savoir, je lis : « Le monde du Libre qui s'est développé autour de GNU/Linux n'est pas en sécurité ; les problèmes qui nous ont amenés à développer GNU ne sont pas complètement éradiqués et ils menacent de revenir. »
Pourquoi alors s’intéresser à l’histoire de GNU/Linux ? Retournons aux origines, parce que ceci rappelle l’exigence éthique du projet GNU lancé en 1983 qui, à un certain moment de son développement, a bien sûr utilisé le noyau Linux lorsque l’informaticien Linus Torvalds l’a libéré. Donc on voit que si on utilise la dénomination « Linux », alors on réduit l’informatique libre à un épisode qui sera seulement technique et on ne se réfère qu’à une partie du projet. GNU est un projet éthique, politique, humaniste : écrire du code pour rendre l’utilisateur autonome, alors que Linux, à un moment donné du développement de GNU, est un dispositif technique. Donc si on appelle « GNU/Linux » « Linux » – c’est un peu la même chose qu’appeler une rose un stylo – c’est réduire un projet existentiel à un détail matériel.
Et ici Richard Stallman précise que pour certains cette confusion sur la dénomination est une tentative délibérée de ne garder qu’une dimension de l’histoire de GNU/Linux, à savoir l’épisode de Linux. Il le précise : Richard Stallman rapporte qu’un PDG a demandé à des utilisateurs de, je cite « laisser tomber l'objectif de la liberté pour travailler à la place en faveur de « la popularité de Linux » » et là, c’est la porte ouverte à l’ajout de logiciels non libres, à l’ajout de bibliothèques et d’outils non libres. Richard Stallman va ici utiliser le terme de « piège » et va analyser le piège qui résulte de cette confusion des noms : « Si notre communauté continue d'aller dans cette direction, cela peut rediriger l'avenir de GNU/Linux vers une mosaïque de composants libres et non libres. Dans cinq ans, nous aurons certainement toujours beaucoup de logiciels libres ; mais si nous ne faisons pas attention ils seront difficilement utilisables sans les logiciels non libres que les utilisateurs espèrent trouver avec. Si cela arrive, notre campagne pour la liberté aura échoué. » C’est pourquoi Richard Stallman fait ici une demande insistante qui se trouve motivée, qui se trouve légitimée, je cite à nouveau le texte : « Pour inciter les gens à faire le travail qui doit être fait, nous avons besoin d'être reconnus pour ce que nous avons déjà fait. S'il vous plaît, aidez-nous en appelant le système d'exploitation GNU/Linux. »
Il faut éviter de nommer mal, il faut éviter de prendre la partie pour le tout, il faut éviter de prendre un épisode du développement de GNU pour GNU lui-même. Certains le font délibérément. Et là je pense à une philosophe du 20e siècle, je pense à Hannah Arendt, qui avait fait paraître en 1969 quatre essais politiques qu’elle avait appelés Du mensonge à la violence et, parmi ces essais politiques, il y en avait un, Réflexions sur les documents du Pentagone, où elle se référait à la violence symbolique qui consistait à jouer sur les mots, à fausser certaines dénominations à des fins soit de minoration de ce de quoi on ne voulait pas parler, de majoration de ce de quoi on voulait parler. Déjà en 1948, Orwell, dans 1984, avait évoqué la novlangue, c’est-à-dire une ruse pour manipuler le langage et pour manipuler la réalité.

En conclusion : logiciel libre j’écris ton nom, je dis ton nom correctement, sans oublier ta racine idéaliste, sans oublier ton principe. Donc, Étienne, je dirai non pas « Linux » mais « GNU/Linux ». GNU est ce qui donne direction et sens à la communauté du logiciel libre. Dire « GNU » ce n’est pas dire « je », c’est dire « nous ».

Étienne Gonnu : Merci Véronique. Très intéressant et, comme dit justement cpm sur le salon de l’émission, c’est un texte ancien mais qui est toujours vraiment d’actualité. D’ailleurs cette réflexion pourrait très bien s’appliquer à la différence que nous faisons entre logiciel libre et open source. Un autre auditeur nous fait remarquer que c’est effectivement un vieux combat au moins depuis 1994 et publiquement depuis 1996. Il est toujours important de rappeler ces bases-là. Grand merci à Véronique.
Je vous propose à présent de faire une courte pause musicale. Nous allons écouter Neoteric par Cloudkicker. On se retrouve juste après. Une belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Neoteric par Cloudkicker.

Voix off : Cause Commune, cause-commune.fm, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Neoteric par Cloudkicker, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org. Bien sûr, vous retrouverez également le texte mentionné dans la chronique précédente sur cette même page.

Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 FM en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm. Je suis Étienne Gonnu en charge des affaires publiques pour l’April.
Nous allons maintenant passer au sujet suivant.

Échange avec Julien Négros pour prendre des nouvelles d’Enercoop

Étienne Gonnu : Nous allons poursuivre avec Julien Négros