Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l'émission du 26 mai 2020

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Titre : Émission Libre à vous ! diffusée mardi 26 mai 2020 sur radio Cause Commune

Intervenant·e·s : Véronique Bonnet - Yann Kervran - Stéphane Crozat - jums - Magali Garnero - Frédéric Couchet - William Agasvari à la régie

Lieu : Radio Cause Commune

Date : 26 mai 2020

Durée : 1 h 30 min

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Page des références utiles concernant cette émission

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration :

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.

Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcrit MO

Transcription (relu avec audio par véro)

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
La collection Framabook c’est-à-dire des livres libres, ce sera le sujet principal de l’émission du jour. Avec également au programme une chronique sur le thème « Quel niveau de surveillance la démocratie peut-elle endurer ? » et également l’interview autour de inventaire.io, une application web libre permettant de faire l’inventaire de ses livres, de le partager avec ses amis, groupes ou même publiquement. Nous allons parler de tout ça dans l’émission du jour.

Vous êtes sur la radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 FM en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm. La radio dispose également d’une application Cause Commune pour téléphone mobile et elle diffuse désormais 24 heures sur 24 en DAB+ c’est-à-dire la radio numérique terrestre.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.
Le site web de l’April c’est april.org. Vous y trouvez déjà une page consacrée à cette émission avec les liens et références utiles, les détails sur les pauses musicales et toute autre information utile en complément de l’émission, et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration

Nous sommes mardi 26 mai 2020, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast et je fais un petit coucou à notre réalisateur du jour, William Agasvari qui adore que je dise cette phrase.

Si vous souhaitez réagir, poser une question pendant ce direct, n’hésitez pas à vous connecter sur le salon web de la radio. Pour cela rendez-vous sur le site de la radio, causecommune.fm, cliquez sur le bouton « chat » et retrouvez-nous sur le salon dédié à l’émission #libreavous.
Nous vous souhaitons une excellente écoute.

Nous allons passer directement au premier sujet.

Chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet, professeur de philosophie et vice-présidente de l'April, sur le thème « Quel niveau de surveillance la démocratie peut-elle endurer ? » (relu avec audio par véro)

Frédéric Couchet : Une lecture d’informations et de mise en perspective de la philosophie GNU, c’est la chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet, professeur de philosophie et vice-présidente de l’April. Véronique bonnet va nous parler aujourd’hui du thème « Quel niveau de surveillance la démocratie peut-elle endurer ? »
Bonjour Véronique. Je te laisse la parole.

Véronique Bonnet : Bonjour Fred.
En effet, c’est un texte de Richard Stallman qui a été publié il y a déjà sept ans, c’était à l’automne 2013, dans la revue Wired, qui a été repris, traduit depuis sur le Framablog. Il se trouve que j’ai donné ce texte, « Quel niveau de surveillance la démocratie peut-elle endurer ? », en travail à mes deux classes de Maths spé puisque cette année le thème est la démocratie. Il se trouve que ce texte de Richard Stallman qui est très argumenté, qui est un repère puissant pour nourrir les réflexions sur la démocratie, a été une façon de prolonger ce qui, dans le programme de mes élèves, avait déjà fait émerger des thématiques qui regardent directement le rapport entre la démocratie et le logiciel libre.
Je vais donner trois exemples avant de passer au commentaire du texte de Richard Stallman.
Par exemple nous avons au programme une pièce d’un Grec qui s’appelle Aristophane. Aristophane qui, alors que la Grèce a inventé la démocratie, en -424 – on retourne un petit peu en arrière – se demande ce qui se passe quand par exemple Athènes, démocratie, est en guerre. Lorsque Athènes est en guerre, nécessairement l’Assemblée va donner les pleins pouvoirs aux généraux et peut-être que l’exercice de la parole, le libre exercice de la parole autonome sur l’agora, sur la place publique va se trouver affecté.
Autre thématique qui rapport un direct avec une des questions abordées par Richard Stallman dans ce texte, il y a chez Tocqueville, là on va avancer un petit peu dans l’histoire, 1840, un texte qui est très important, qui s’appelle De la démocratie en Amérique. La thèse de Tocqueville consiste à se demander ce qui se passe lorsque l’État central se mêle de plus en plus de la vie privée des individus sans que ceux-ci se révoltent parce qu’on est dans une logique de soft power et il y a une porosité de plus en plus grande entre vie publique et vie privée, c’est-à-dire que le pouvoir central a de plus en plus d’informations sur les citoyens. Je pense que là un lien très essentiel peut être articulé avec le texte de Richard.
Enfin, dernière référence, il y a au programme un ouvrage de Philippe Roth, là on est en 2004, Le Complot contre l'Amérique, sur la thématique du totalitarisme. Il se trouve que ce texte va être un brûlot aux États-Unis en 2004. C’est une dystopie, c’est-à-dire Philippe Roth se demande ce qui se serait passé si Lindbergh avait été élu à la place de Roosevelt président de États-Unis et s’il avait eu des ententes avec Hitler, on est dans une dystopie. La question du totalitarisme, la question de l’emprise d’une puissance sur les vies privées, sur les vies intimes des individus émerge et peut également nourrir la réflexion sur la démocratie.

On va retrouver ces trois thématiques abondamment dans le texte de Richard Stallman. J’avais proposé à mes élèves de Maths spé de disserter à partir du sujet suivant : « Mettre la démocratie en sécurité exige une réduction de la collecte des données privées, écrit Richard Stallman. Vous vous demanderez de manière ordonnée si une dissociation entre la vie publique et la vie privée des citoyens est requise pour que la démocratie soit effectivement une démocratie. »

Nous entrons dans le texte de Richard Stallman, je vais me focaliser sur son argumentation et je vais montrer que cet article est non seulement très équilibré, il est dans un pragmatisme très respectueux du droit aussi bien des citoyens à se protéger que de l’impératif pour la démocratie de pouvoir se défendre contre ce qui la menace. Je dirais qu’il y a dans ce texte deux volets. Il y a un volet préventif, c’est-à-dire que le logiciel libre relève d’une logique de prévention et, en même temps, il y a un versant curatif : que se passe-t-il lorsqu‘il y a excès dans la récolte des métadonnées et quels sont très prosaïquement les outils numériques qui permettent de se protéger, de faire marche arrière.

Au tout début de son texte, Richard Stallman fait d’abord référence à Edward Snowden, le lanceur d’alerte et, au tout début, il dit : « Grâce à Edward Snowden nous comprenons aujourd’hui que le niveau de surveillance dans nos sociétés est incompatible avec les droits de l’homme ». Idéalisme pragmatique de Richard Matthew Stallman, idéalisme, c’est-à-dire qu’il y a des valeurs non négociables, les droits de l’homme, mais, en même temps, pragmatisme puisqu’il est à la recherche d’un seuil.
Dans ce texte il n’y a pas un refus radical de surveillance, puisque la démocratie, pour fonctionner, doit se protéger, il ne s’agit pas de supprimer la surveillance, il s’agit de la réduire. Je cite le texte : « Nous devons réduire le niveau de surveillance mais jusqu’où ? Quel seuil tolérable à ne pas dépasser pour ne pas interférer avec la démocratie. »

Il semblerait qu’il y ait dans cette recherche de seuil une difficulté – où est le trop ? Où est le suffisamment ? Le pas assez ? – il y a dans le texte immédiatement une première proposition. À savoir peut-être y a-t-il excès de surveillance lorsque des lanceurs d’alerte comme Snowden sont susceptibles d’être attrapés.
Là on voit tout de suite qu’il y a un paradoxe, parce que plus il y a de collecte de données, plus il faut réagir, plus il faut lancer des alertes, mais, en même temps, moins on le peut, plus ceci devient délicat. Il se trouve qu’Edward Snowden, pour lancer son alerte, a dû s’entourer de précautions très précises pour contacter les journalistes et de façon à pouvoir le faire en sécurité.
Conséquence de cela, vous avez deux axes qui sont proposés par Richard Stallman : il faut d’une part que le peuple sache ce qui se passe dans la démocratie, il faut qu’il y ait une lisibilité de la démocratie et il faut que les lanceurs d’alerte puissent faire leur travail. Et pour qu'ils puissent faire leur travail il ne faut pas qu’il y ait de porosité entre la vie privée et la vie publique, il faut qu’on puisse disposer d’un espace intime, ne serait-ce que l’espace intime du recul, de la réflexion et de la critique.

Quelles préconisations ? Vous avez deviné, les logiciels libres. Je vous ai dit que ce texte était de 2013, c’est-à-dire que c’est un texte qui est écrit juste 30 ans après l’automne 1983 où le projet GNU a été lancé par Richard Stallman, donc un appel à coder, un appel à protéger le code de toute appropriation qui irait à l’encontre des idéaux de la communauté libriste. Vous avez donc de la part de Richard Stallman le rappel qu’il y a eu une anticipation, qu’il y a bien eu une démarche préventive puisque, grâce au Libre, le contrôle est effectif sur les ordinateurs personnels, celui qui a besoin d’éléments pour se protéger, il le peut sur son ordinateur personnel, mais nous ne sommes pas protégés sur Internet.

Cette dissociation est d’un extrême intérêt, puisqu’en effet si nous faisons usage des outils libres qui ont été réalisés depuis 30 ans par la communauté alors en 2013 nous sommes protégés, nous le peuple – vous avez souvent dans ce texte, de la part de Richard Stallman, un « nous le peuple » – nous sommes protégés dans notre informatique, à ceci près que sur l’Internet, non, nous ne sommes pas pleinement autonomes, il y a une part de risque pour nos données. Il se trouve que cette part qui est non maîtrisée, fait qu’il est important de tenter de se protéger et il est important que les lanceurs d’alerte se protègent et que les groupes dissidents, pacifistes se protègent.
Certes, rappelle Richard Stallman, l’État a la tentation de les infiltrer pour savoir s’il n’y a pas un risque d’attentat, de complot, de terrorisme, mais là on voit bien que l’éventualité d’un tel complot peut servir de prétexte et d’alibi. Vous avez dans le dispositif législatif américain, ceci est une information donnée dans la suite, le rappel que soupçonner un délit est un motif suffisant pour accéder aux données.
L’accumulation des données est une emprise et certaines lois permettent une campagne de pêche à grande échelle. Ici il est fait référence aux filets dérivants qui ne trient pas dans un premier temps et qui ont été désignés par Edward Snowden.

C’est pourquoi la deuxième partie du texte est ce que j’appellerais un volet curatif. Après le préventif, le curatif. Et il y a une énumération de différents points qui sont des appels à la prudence et, en même temps, des appels à ce pouvoir technique qui est celui de l’informatique, qui peut parfois servir d’antidote à des dispositifs informatiques qui portent atteinte à la vie privée.
Premier point, une protection solide de la vie privée doit être technique. Pourquoi ? Elle ne peut pas être simplement juridique puisque les lois sont soit trop floues soit ignorées, donc les remèdes sont des remèdes logiciels. Ceci est le premier point : des remèdes logiciels qui visent l’autonomie de l’utilisateur.
Deuxième point, il faut être soi-même prudent. Il faut soi-même être un acteur de la protection de sa propre vie privée, le premier acteur c’est soi-même et là vous avez le rappel que sur Internet on peut faire usage de Tor, on peut faire usage de logiciels qui bloquent le traçage, de GPG. Autrement dit, il y a des démarches qui sont elles-mêmes techniques, qui résistent à la technicité de certains dispositifs de collecte de données. Vous avez des éléments qui ont l’air plus anecdotiques mais qui ne le sont pas. En 2013, Richard Stallman recommande encore de payer en liquide. Il recommande encore de garder l’anonymat sur les réseaux sociaux, il rappelle aussi qu’il est important de protéger ses correspondants, ses amis. Autrement dit il fait appel à l’autonomie.

Viennent ensuite quelques points qui rappellent qu’il est important d’intégrer à chaque système le respect de la vie privée. Et vous avez une mise en garde concernant ce qu’on appelle les téléphones intelligents ou les objets intelligents, on dit maintenant les objets connectés, qui peuvent être des pièges desquels on ne se méfie pas.
Il est conseillé, toujours dans le registre de cette autonomie, de cette préservation dont on est le premier acteur, de garder ses propres données dispersées, de ne pas faciliter les choses.
Il est proposé d’utiliser des remèdes à la surveillance du commerce sur Internet, également d’utiliser certains remèdes concernant les dossiers sur les communications téléphoniques, toujours la fameuse protection de ce qu’on appelle le sociographe, parce que même si on ne déchiffre le message on pourra toujours savoir qu’on a appelé celui-ci après celui-là. Et brusquement, après ce travail de rappel de la prudence autonome à avoir et des outils techniques à déployer, vous avez, d’une façon totalement responsable, le rappel par Richard Stallman qu’un minimum de surveillance est néanmoins nécessaire. L’approche est équilibrée. Il s’agit de pouvoir rechercher les auteurs de crimes et de délits. Certes il peut y avoir des abus. Les entreprises, par exemple, ne sont pas des personnes relevant des droits de l’homme, elles doivent rendre compte elles-mêmes à des personnes. La phrase finale est la suivante : « La technologie numérique a connu un extrême accroissement, plus que dans les années 90, plus que dans les années 80 pour les personnes qui étaient derrière le rideau de fer, et cet accroissement a accentué la récolte de données, d’où une invitation à inverser la tendance par le logiciel libre. C’est-à-dire non seulement être armé technologiquement, mais être armé humainement et là, Fred, je me tourne vers toi, je pense que tu en seras d’accord, il me semble que prudence et vigilance sont des mots clés à l’April.

Frédéric Couchet : Tout à fait et je pense que ça devait être le cas partout ailleurs et on pensera à certains projets de loi qui sont en cours ou à certains projets actuellement en cours au vu du contexte.
Merci Véronique. On va conclure rapidement parce que le temps a filé plus vite que d’habitude pour cette chronique. Je vais juste rappeler le titre de l’article de Richard Stallman, c’est « Quel niveau de surveillance la démocratie peut-elle endurer ? » Vous le retrouvez sur le site de gnu.org en version anglaise et française, traduit d’ailleurs par notre groupe de traduction de la philosophie GNU que vous pouvez rejoindre si vous voulez participer. Toutes les informations sont sur le site de l’April, april.org.
Véronique, on se retrouve en juin pour la prochaine chronique « Partager est bon ». Ça te va ?

Véronique Bonnet : Avec grand plaisir Fred. Bonne journée.

Frédéric Couchet : Bonne journée Véronique.
On va faire la pause musicale. On va enchaîner. On va écouter Reality par Niwel. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, 93.1 FM, la voix des possibles.

Pause musicale : Reality par Niwel.

Voix off : Cause Commune, cause-commune.fm, 93.1.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Reality par Niwel, disponible sous licence libre Creative Commons, Partage dans les mêmes conditions, CC By SA. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org, sur le site de la radio, causecommune.fm et sur le site de l’artiste, il a une page, soundcloud.com/niwel, n, i, w, e, l. Je vais préciser que Niwel a été une découverte via le site auboutdufil.com, qui propose de faire découvrir des artistes dont les œuvres sont sous licence libre. Niwel est en fait un Parisien de 22 ans, étudiant en médecine, et qui produit de la musique un petit peu de manière indépendante. Il m’a indiqué que le choix des licences libres c’était parce qu’il trouvait que c’était un plus de laisser la chance aux autres de pouvoir l’utiliser et, en plus, ça peut lui apporter de la crédibilité si les gens qui l’utilisent ont la gentillesse de le créditer lors de l’utilisation. Non seulement ils doivent avoir la gentillesse mais c’est une obligation de la licence CC By SA.
Sur le site auboutdufil.com, on trouve quelques informations. Niwel a une préférence pour l’électro, on retrouve ses principaux modèles Avicii, Madeon et Diplo. Il a appris très jeune le piano, le violon ou encore la mandoline. Actuellement il compose principalement sa musique avec un ordinateur. N’hésitez pas à aller sur le site auboutdufil.com, vous en apprendrez plus sur Niwel. On aura l’occasion de rediffuser des morceaux de cet artiste talentueux.

Vous êtes toujours sur la radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 FM en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm. Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! consacrée aux libertés informatiques.
On va passer au sujet principal.

Framabook : les Framabooks sont dits « livres libres » parce qu’ils sont placés sous une licence qui permet au lecteur de disposer des mêmes libertés qu’une personne utilisatrice de logiciels libres. (relu avec audio par véro)

Frédéric Couchet : Le pari du livre libre, c’est-à-dire la collection Framabook, avec nos invités aujourd’hui, Magali Garnero, Yann Kervran et Stéphane Crozat. On va essayer de vous présenter un petit peu ce pari des livres libres, donc la collection Framabook. Je vérifie, ils sont tous là, donc on va peut-être commencer par une présentation personnelle rapide. On va commencer par Magali Garnero, en une petite phrase, Magali.

Magali Garnero : Je gère sur Paris À Livr’Ouvert. Je suis aussi administratrice à l’April et membre de Framasoft.

Frédéric Couchet : On va préciser qu’À Livr’Ouvert c’est dans le 11e arrondissement de Paris et le site c’est alivreouvert.fr.
Stéphane Crozat.

Stéphane Crozat : Bonjour. Donc Stéphane Crozat. Je suis membre de Framasoft, je suis prof à l’Université de Technologie de Compiègne, je suis également membre du chaton Picasoft et de l’association Scenari, un logiciel libre de création documentaire.

Frédéric Couchet : Merci Stéphane. On va préciser que Picasoft propose une émission de radio hebdomadaire La voix est libre, du côté de Compiègne sur Graf'hit 94.9 FM et sur Internet, sur radio.picasoft.net, donc on vous encourage à écouter nos collègues.
On va finir par Yann Kervran.

Yann Kervran : Bonjour à toutes et à tous. Je suis écrivain, je ne fais que ça. Je suis membre de Framasoft maintenant depuis quelques années où je m’occupe surtout de culture.

Frédéric Couchet : D’accord. Justement la première question va être pour toi Yann, pareil, assez rapidement, en quelques mots, c’est quoi Framasoft pour les personnes qui ne connaîtraient pas encore Framasoft ?

Yann Kervran : Framasoft c’est une association d’éducation populaire aux enjeux du numérique, souvent on s’arrête là, mais moi je rajoute et j’aime qu’on n’oublie pas, aux enjeux des communs culturels également.
L’association a eu un gros coup de projecteur depuis quelques années puisqu’on avait lancé l’opération « Dégooglisons Internet » suite aux révélations de Snowden, où on proposait des alternatives basées sur des logiciels libres aux principaux services proposés par les GAFAM. Ceci a entraîné la mise en place de plusieurs dizaines de services en ligne qui sont très utilisés, genre les pads, le partage vidéo, le partage de liens, le partage d’images, etc., pour pouvoir travailler en ligne. Depuis quelques années on a lancé une autre feuille de route qui s’appelle Contributopia. L’idée c’est de passer à, de faciliter, d’outiller la société de la contribution.

Frédéric Couchet : Très bien, merci Yann. Pour en savoir plus d’ailleurs par rapport au format podcast, vous pouvez réécouter l’émission du 7 avril 2020, nous avions pris des nouvelles de Framasoft avec Angie Gaudion qui travaille à Framasoft et, un peu plus ancien, nous avions Pierre-Yves Gosset, c’était dans l’émission du 4 juin 2019 ; les podcasts sont sur causecommune.fm et sur april.org.
Le sujet du jour c’est donc Framabook, les framabooks sont dits « des livres libres » parce qu’ils sont placés sous une licence qui permet aux personnes qui lisent de disposer des mêmes libertés qu’une personne utilisatrice de logiciels libres.
Première question : quand et comment est né le projet ? C’est-à-dire à quelle période et quelle est l’idée initiale ? Comment ce projet a-t-il germé ? Peut-être Yann et ensuite Magali qui, je crois, a participé un petit peu ou, en tout cas, a suivi un petit peu le démarrage. Yann.

Yann Kervran : En fait la collection, on parle de collection mais je préfère parler de maison d’édition puisque, à l’intérieur de Framabook, on a plusieurs collections puisqu’on peut faire aussi bien des manuels, des essais, du roman et même de la BD, de la BD noir et blanc uniquement mais de la BD tout de même.
À la base c’est né de l’envie de publier justement du contenu livresque sous format papier, donc il y a des collaborations qui ont été mises en place au début avec d’autres éditeurs pour pouvoir créer les objets papier, puisque c’est quand même un métier à part entière. L’idée c’était d’assister en faisant de la curation de contenus un petit peu et, petit à petit, je dirais que Framabook a pris son indépendance et désormais on « fabrique nous-mêmes » entre guillemets le papier, c’est-à-dire qu’on fabrique les fichiers qui permettent d’imprimer le papier et on se sert d’un prestataire extérieur pour faire de l’impression à la demande, pour pouvoir diffuser les versions papier en plus des versions électroniques qui sont sur le site.

Frédéric Couchet : D’accord. C’était à peu près en quelle année le démarrage ?

Yann Kervran : Je n’y étais pas encore. Je crois que c’est 2006/2007, quelque chose comme ça, vraiment pour les touts débuts. Magali pourra confirmer.

Frédéric Couchet : Justement, Magali Garnero, toi qui étais au démarrage, en tout cas tu as vu le démarrage, notamment aussi de ton côté libraire.

Magali Garnero : Au tout début, en 2006, ça a été les premiers framabooks mais avec un autre éditeur. Ce n’est qu’en 2011 qu’on est vraiment devenus éditeur papier, où on a commencé à diffuser des livres qui pouvaient, d’autre part, être téléchargés gratuitement en PDF ou en EPUB.

Frédéric Couchet : D’accord. Donc, à partir de 2011, Framasoft est devenu une maison d’édition de livres libres, on va y revenir un petit peu dans les détails.
Le premier point c’est quand j’ai lu l’introduction que j’ai trouvée sur le site, donc « donner les mêmes libertés qu’à un personne utilisatrice de logiciels libres », les personnes utilisatrices de logiciels libres se référent à des licences de logiciels libres qui sont bien connues. Dans le monde on va dire du contenu non logiciel, il y a d’autres licences type les licences Art libre, Creative Commons avec leurs différentes variances. Quelles licences libres ont été utilisées, sont choisies et pour quelles raisons ? J’ai vu que ce sont vraiment des licences qui, notamment, n’interdisent pas la réutilisation commerciale ni même les modifications. Ce sont donc les licences qu’on considère comme les plus libres permettant de réutiliser, y compris pour des questions commerciales ou même en modifiant, les œuvres qui sont produites dans le cadre de Framabook. Pourquoi le choix de ces licences libres à ce niveau-là ? Yann peut-être.

Yann Kervran : C‘est-à-dire que nous on différencie vraiment ce qu’on appelle les licences libres et les licences de libre circulation. Les licences de libre circulation c’est en particulier, dans les Creative Commons, celles qui incluent le NC, donc non-commercial, et NoDerivatives donc pas de modifications. Ça, ça permet de diffuser largement mais l’utilisateur ne peut pas vraiment se réapproprier le contenu parce qu’il ne peut pas en faire ce qu’il veut, il ne peut pas réécrire la fin du livre ou faire une pièce de théâtre d’un roman ou, par exemple, le traduire. Nous on n’accepte que les travaux qui sont sous licence libre, tu as évoqué la licence Art libre. Dans les Creative Commons, il y a la CC By, la CC By SA, il y a la CC zero , donc le domaine public volontaire, c’est absolument compatible aussi avec la maison d’édition. On veut justement garantir, comme tu le disais, aux utilisateurs les mêmes droits qu’aux utilisateurs de logiciels libres, c’est-à-dire que les gens puissent utiliser le contenu pour en faire ce dont ils ont envie d’un point de vue culturel.
On essaye de fournir également ce qui pourrait être des sources, c’est-à-dire qu’on donne les fichiers LaTeX qui nous permettent de générer en particulier le PDF et certains auteurs, dont moi, moi je donne carrément mes fichiers Markdown qui sont les fichiers texte les plus simples qui soient pour que les gens puissent le manipuler facilement. Je crois que Stéphane fait également la même chose, il y a Gee, qui fait les BD, qui essaie de mettre à disposition le maximum de sources pour que les gens puissent ensuite créer à partir de la matière culturelle qu’on a proposée.

Frédéric Couchet : C’est-à-die que ce qui est mis à disposition n’est pas simplement le produit fini, que ce soit en format PDF ou EPUB pour des liseuses, mais c’est le format source original. On va rappeler que LaTeX c’est un langage et un système de composition de document ; Markdown c’est un formatage de document. Ce sont de choses qui sont textuelles et assez simples, enfin, qu’on peut apprendre et, en tout cas, qui permettent de modifier. Je vais préciser que sur les choix des licences libres, pour les licences de libre diffusion, on a fait exactement le même choix dans l’émission Libre à vous !. On a le même type de licence pour les musiques, donc des licences CC By, CC By SA ou la licence Art libre qui est née en France, je le rappelle, peut-être en 2010 ou en 2011, mais je dis peut-être des bêtises.
Stéphane Crozat, toi tu ne fais pas partie de Framabook mais tu es auteur. Tu as dit tout à l’heure que tu es enseignant-chercheur à l’Université de Technologie de Compiègne et par ailleurs tu écris aussi des livres. Ça va nous permettre d’aborder un petit peu la politique éditoriale de Framabook, Yann va la détailler, mais toi, en tant qu’auteur qui a écrit un livre – évidemment tu nous expliqueras le titre du livre et le sujet – pourquoi avoir choisi la maison d’édition Framabook et pas avoir choisi une maison d’édition autre ?

Stéphane Crozat : Le livre s’appelle Traces et pourquoi avoir choisi Framabook ? J’avais déjà évidemment une attirance, on va dire assez forte, pour la culture libre par mon parcours, je suivais également l’ensemble des travaux de Framasoft, mais je dirais que le premier point c’est effectivement de maximiser la diffusion et je pense qu’on retrouvera aussi des choses que l’on connaît dans les logiciels libres. En fait, on se rend compte que le fait de diffuser le roman sous licence libre à travers une maison d’édition, eh bien ça va lui permettrein fine de toucher plus de personnes. Je crois que c’est vraiment le premier élément. Ce que je ne savais pas à l’époque et que j’ai découvert depuis – je ne sais pas si on pourra l’approfondir un petit peu, du coup ça ferait un autre argument – c’est qu’en fait on peut considérer que le droit d’auteur ne fonctionne pas aujourd’hui en termes économiques , c’est-à-dire que, de toutes façons, il ne permet pas de rémunérer ou il permet extrêmement mal de rémunérer les gens qui produisent du contenu.
D’une certaine façon, il n’y a rien à perdre pour ceux qui pensent qu’on pourrait perdre avec les licences libres et il y a tout à gagner en termes de diffusion.

Frédéric Couchet : D’accord. On va parler du modèle économique. On peut en parler tout de suite, on est en mode discussion.
On va quand même finir un petit peu sur la politique éditoriale, tu nous as expliqué que tu t’es dit que finalement tu n’as rien à perdre, tu as quelque part beaucoup de choses à gagner en proposant ton livre chez Framabook. Mais ton livre Traces n’est pas un livre qui parle de logiciel libre directement, si je me souviens bien, ni de culture libre, on peut dire que c’est un livre d’anticipation, c’est ça ?

Stéphane Crozat : Oui, tout à fait .

Frédéric Couchet : À ce moment-là, côté Framabook, donc plutôt Yann et Magali, comment se fait le choix des livres que vous allez choisir d’éditer ? Par exemple est-ce que vous avez une catégorie de livres dont vous avez envie, des thématiques ? Est-ce que vous proposez des livres en cherchant des auteurs ou est-ce que, quand les gens vous contactent, eh bien vous décidez par rapport à une politique éditoriale que vous auriez fixée ? Est-ce qu’il y a une politique éditoriale vraiment fixée au niveau de Framabook ou, finalement, beaucoup de choses peuvent être faites ?

Magali Garnero : Le cœur. Le coup de cœur.

Frédéric Couchet : Le coup de cœur. Ça c’est la libraire qui parle.

Magali Garnero : En fait, pour la plupart des livres, ce sont des auteurs qui vont être en contact avec des bénévoles. Ce ne sont vraiment que des bénévoles du côté de Framasoft. Si un bénévole a un coup de cœur pour un livre, il va accompagner l’auteur jusqu’à la publication.

Frédéric Couchet : D’accord. Là c’est le coup effectivement, mais Yann est-ce qu’il y a quand même des limites ? Tout à l’heure tu parlais de bande dessinée, donc finalement tout livre peut être édité par Framabook à partir du moment où ça doit correspondre à un coup de cœur, sans doute par rapport à ce que vous avez comme comité éditorial, et ça doit être, évidemment, sous licence libre ?

Yann Kervran : Oui. Effectivement, c’est important de le dire,c’est une partie de Framasoft où il n’y a que des bénévoles, il n’y a pas de salariés qui s’occupent des éditions Framabook.
Il faut qu’il y ait une rencontre de la part d’un des bénévoles pour le projet qui est proposé, comme le dit Magali, parce que c’est lui qui va faire le travail d’éditeur, donc il faut avoir le temps et l’énergie de s’investir sur le projet.
Après, d’un point de vue très prosaïque, effectivement on a une ligne éditoriale qui est de s’intéresser justement aux communs culturels, à la culture libre de façon générale. C’est très plastique comme définition de ligne éditoriale, c’est-à-dire qu’on a envie que les gens qui viennent proposer des livres, soit réfléchissent sur des problématiques qui gravitent autour des questions des communs culturels et du Libre ou que ce soit des ouvrages techniques sur des logiciels libres par exemple ; si c’est de la fiction, qu’il y ait une réflexion de la part de l’auteur, sur la forme ou sur le fond, qui concerne quand même le Libre.
J’en suis un exemple, Framabook est aussi un bon terrain de recrutement pour Framasoft, puisque je suis entré à Framasoft par Framabook comme Stéphane, moi j’écris des romans policiers qui se passent pendant les croisades. Ça a l’air extrêmement éloigné, sauf que j’avais été publié chez un éditeur traditionnel, j’avais déjà deux romans publiés, et je voulais récupérer les droits sur mes romans pour les mettre sous licence libre. J’avais envie de le faire avec un éditeur parce que je pense, comme Stéphane, que c’est important de travailler avec un éditeur, quand on est auteur, on a petit peu le nez dans le guidon, on est un petit peu tout seul, donc je cherchais quelqu’un qui puisse m’assister. C’est là où j’ai rencontré Framabook et, ce qui a intéressé Framabook au début, c’est que j’étais un auteur qui venait de l’édition traditionnelle et qui avait envie de passer ses textes sous licence libre pour, comme disait Stéphane, augmenter la diffusion, etc. Maintenant l’intégralité de mon œuvre, en tout cas romanesque, est publiée par Framabook puisque c’est dans la continuité. Effectivement, à priori on peut se poser la question de quel est le rapport entre le Moyen-Orient des croisades et le monde du Libre. Il y a vraiment eu une volonté politique de ma part et d’expliquer aussi pourquoi je fais ce choix, etc., de quitter l’édition traditionnelle pour faire de la culture libre.

Frédéric Couchet : D’accord. Je vais juste te poser une question et après je vais poser une question collective. Tu as employé plusieurs fois le mot "commun culturel". Est-ce que tu pourrais nous expliquer, en une petite phrase ou deux, ce qu’est un commun culturel ?

Yann Kervran : En une phrase ou deux, c’est un peu dur !
Je pars du principe que la culture n’est pas un produit, que la culture c’est quelque chose qui est le résultat d’une interaction au sein de la société et que ça appartient donc à tout le monde et à personne en particulier, qu’on n’en a qu’un droit d’usage. Je suis donc pour promouvoir la culture comme quelque chose qui n’appartient à personne, sur lequel il ne doit pas y avoir des enclosures, que tout le monde puisse se l’approprier pour ensuite s’en servir pour faire son propre langage. Donc qu’il n’y ait pas de propriété lucrative, qu’il n’y ait qu’une propriété d’usage, pour faire extrêmement rapide et court.

Frédéric Couchet : D’accord. De toute façon, je pense qu’on consacrera un jour une émission complète à cette thématique des communs parce que c’est quelque chose qui n’est effectivement pas simple à résumer même si tu l’as bien fait, mais il y a plein d’implications derrière.
Ma question collective. On a parlé d’éditeur, est-ce que vous pourriez nous expliquer le rôle que joue un éditeur entre l’auteur ou l’autrice et la maison d’édition ?, parce que ce n’est pas uniquement le fait de recevoir un bouquin et de dire c’est bien ou pas. Qu’est-ce qu’apporte la maison d’édition ?
On va commencer par Magali, parce que de son expérience de libraire, elle va avoir un point de vue, ensuite Stéphane, lui en tant qu’auteur, et Yann après, le côté maison d’édition Framabook.

Magali Garnero : Un éditeur c’est celui qui va choisir les livres. Il en reçoit énormément, il y a souvent un comité de lecture. Après on choisit le livre, on rencontre l’auteur, on va retravailler l’œuvre avec lui. On va la mettre en page. On va la rendre accessible, on va la mettre dans différents formats, puis on va contacter un diffuseur-distributeur ou directement des libraires pour pouvoir les mettre en vente. Après on va gérer les stocks de livres qui ont été imprimés et récupérer ce qu’on appelle des retours, ce sont les livres invendus. Et là j’ai résumé en une phrase !

Frédéric Couchet : Super Magali. On peut le faire, autrefois j’étais très fort pour faire des phrases super longues, la phrase se terminant juste par un point à la fin.
Stéphane, toi dans ton expérience justement dans ton processus éditorial, avec qui as-tu été en contact côté Framabook et comment ça s’est passé ?

Stéphane Crozat : Mon éditeur c’était Goofy, je vais y revenir un petit peu. Je me permets juste de revenir sur la question que tu as posée avant qui est directement en lien. Dans les critères, en fait, pour éditer un livre chez Framabook, il y a le fait de rechercher un éditeur, c’est quelque chose que j’ai aussi vu chemin faisant, c’est qu’il y a pas mal de gens qui ont juste envie, quelque part, d’avoir un petit peu une caisse de résonance ou d’avoir un livre qui est diffusé et ce qu’on m’a dit dès le début, et on va voir que c’est la vraie valeur ajoutée, c’est que l’enjeu c’est aussi de rechercher un regard critique, une volonté de voir son travail modifié, amélioré, etc. Ça c’est vraiment un point super important, il y a cette volonté de rentrer dans un processus éditorial et pas juste, en quelque sorte, de faire valoir son écriture.
Par rapport à mon expérience avec Goofy, je vous en touche justement deux mots. En fait, ça a commencé quand j’ai pris contact avec Framabook. Il faut envoyer un petit projet d’une ou deux pages qui décrit un peu l’ouvrage en plus de qu’on a écrit et, pour moi, c’était une première version. À partir de ce moment-là, la première chose qui se passe c’est qu’on reçoit un gros mail, c’était Christophe Masutti qui me l’avait envoyé, qui reprend la synthèse de plusieurs lectures, ça veut dire que j’avais déjà été lu je ne sais pas exactement par qui, mais par quatre/cinq personnes, je crois me souvenir qu’il y avait Yann dans le lot. Christophe avait pas mal insisté, justement, sur ce que je viens de dire, c’est-à-dire le fait d’accepter la critique, des modifications et de rentrer dans un processus éditorial. Et ensuite je suis rentré dans un cycle infernal ou vertueux avec Goofy et, en fait, c’étaient des échanges quasiment tous les jours ; tous les deux/trois jours, on s’envoyait des mails, je lui envoyais des versions, il me renvoyait des propositions de correction, je renvoyais des choses, etc.
Donc le travail de l’éditeur, pour moi concrètement, ça a été à peu près 30 % d’ajouts à ce que j’avais envoyé, ça a été des modifications assez importantes, des personnages qui ont été améliorés, des trames qui ont été un peu mieux ciselées, etc. Et c’est là-dessus que je conclus, pour moi, du coup, il y a un vrai boulot d’éditeur, c’est-à-dire que ce que j’ai publié à la fin, est, je pense, bien mieux que ce que j’ai envoyé au début.

Frédéric Couchet : Super. Je vais laisser Yann finir sur la partie rôle de l’édition et ensuite on fera une pause musicale. Après la pause on reviendra un petit peu sur les aspects économiques. Yann, sur ce rôle d’éditeur, est-ce que tu veux ajouter quelque chose ?

Yann Kervran : Oui, juste un détail. Les gens ont tendance à prendre Framabook pour l’éditeur DU Libre, mais on est un éditeur DE Libre. C’est-à-dire qu’on fait du Libre, malheureusement il y a presque que nous ; il y en a d’autres qui le font. On n’a pas vocation à publier tout ce qui est sous licence libre. On essaye vraiment d’accompagner, comme le disait Stéphane, et comme ça ne repose que sur des énergies bénévoles, parfois il n’y en a pas beaucoup. Du coup, on refuse quand même énormément de projets parce que, comme je le disais, il faut qu’un éditeur se propose même si le livre nous parait intéressant. En ce moment on est en train de discuter sur un projet qui nous a été proposé, le projet a l’air intéressant. Mais il s’avère que personne, parmi les gens disponibles, ne se sent les compétences pour l’accompagner suffisamment, donc ça va sûrement se terminer en refus parce qu’on a envie d’accompagner et de faire ce que, dans beaucoup de maisons d’édition traditionnelle, les éditeurs ne peuvent pas faire parce qu’ils ont la culture du chiffre, malheureusement, on les oblige ce n’est pas par choix. Donc quand ils ont des dizaines d’auteurs à suivre, eh bien ils n’ont pas le temps de faire le suivi éditorial. Nous on a le luxe de pouvoir se le permettre parce qu’on est bénévoles au sein d’une structure associative.

Frédéric Couchet : D’accord. Super.
On va faire une petite pause musicale. Nous allons écouter Une étincelle par Law. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune 93.1 FM, la voix des possibles.

Pause musicale : Une étincelle par Law.

Voix off : Cause Commune, cause-commune.fm, 93.1.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Une étincelle par Law, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By SA. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org, et sur le site de la radio, causecommune.fm.
Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause commune, la voix des possibles, 93.1 FM en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm.
Nous allons poursuivre notre discussion sur le pari du livre libre avec la collection Framabook, avec nos invités, Stéphane Crozat, Magali Garnero et Yann Kervran.
Juste avant la pause musicale nous parlions un petit peu du rôle de la maison d’édition et de la personne qui accompagne l’auteur ou l’autrice pour arriver à produire un livre. En tout début d’émission on a évoqué très rapidement la notion de droit d’auteur et autre, on va y revenir un petit peu, parce que j’ai lu sur le site je crois, « le pari du livre libre c’est non seulement réussir à créer une collection de qualité mais aussi arriver à rendre le modèle économique viable ». Déjà, première question toute simple : c’est quoi le modèle économique de la maison d’édition Framabook ? Peut-être que Yann veut commencer.

Yann Kervran : C’est très simple, pour l’instant on ne cherche pas à générer de l’argent avec la structure, la maison d’édition, parce qu‘on a la chance de faire partie d’une association qui est financée par le don. Donc on ne cherche pas la rentabilité sur chacun des titres, ce qui nous permet de passer du temps puisqu’on est des bénévoles, on n’a pas de temps de salarié non plus qui est affecté sur le projet. L’idée c’était d’arriver à trouver des outils qui soient pratiques, efficaces, pertinents.
Le problème c’est qu’on a un peu tout testé et ça change absolument régulièrement. On aurait aimé, dans l’absolu, pouvoir proposer des sets d’outils qui puissent servir à des petits éditeurs, par exemple des petits éditeurs indépendants. Finalement, on se rend que les pipelines de production sont tellement spécifiques selon les individus, les besoins, les auteurs, les autrices, qu’on a été obligé régulièrement de modifier en fonction des contributeurs et des contributrices parce qu’il y en a qui sont à l’aise avec l’informatique d’autres qui ne le sont pas. Du coup on n’a pas vraiment réussi, justement, cet aspect-là de l’envie qu’il y avait. Je pense que finalement on est en train d’assumer ça et de se dire qu’on est plus une maison d’édition d’expérimentation, de test, de proposition, et profiter du statut associatif pour justement expliquer qu’on a le luxe de pouvoir tester des choses qui, peut-être, ne fonctionneront pas mais qui, peut-être, déboucheront sur des possibilités qui pourront être offertes à d’autres, parce que, bien sûr, tout est toujours diffusé de façon transparente et ouverte.

Frédéric Couchet : D’accord. Ça c’est le point de vue, on va dire, de la maison d’édition. Du point de vue de l’auteur ou l’autrice, toi Yann tu es aussi auteur, mais on va commencer par Stéphane. Je ne sais plus quelle expression tu as employé tout à l’heure quand tu parlais des droits d’auteur, mais tu vas sans doute la retrouver, mais je crois me souvenir, Stéphane, que tu n’avais pas l’air d’y croire beaucoup. D’ailleurs, ça va me permettre une question, je prends mes notes. En préparant l’émission, j’ai reçu des propositions de questions, il y en a une qui est en lien avec le sujet, le modèle économique et la rémunération : comment est gérée la question des droits d’auteur en termes juridiques, notamment s’il y a plusieurs personnes à être intervenues sur le livre mais avec un travail inégal ?
Déjà première question, Stéphane, au niveau de la gestion des droits d’auteurs comment ça se passe ? Et question plus générale, s’il y a plusieurs personnes qui interviennent sur un livre, comment se passe la gestion des droits d’auteur ? C’est une question qu’on a reçue avant, en préparation de l’émission. Stéphane Crozat.

Stéphane Crozat : Concernant les droits d’auteur, ce que j’ai dû dire tout à l’heure c’était que ça ne marchait pas !

Frédéric Couchet : Oui, je crois, un truc comme ça.

Stéphane Crozat : En gros, aujourd’hui il y a un principe de départ qui est que c’est censé protéger les gens qui créent pour ensuite amener à les rémunérer, ce n’est pas le sujet de cette émission d’approfondir ça, mais on se rend compte qu’à peu près dans tous les domaines, c’est particulièrement vrai en littérature, dans la musique également, en fait il y a quelques stars qui en vivent et une grande majorité des gens qui ne touchent presque rien. Yann pourra nous redonner ça ou peut-être Magali plus en détail, mais je crois que les revenus moyens d’un auteur c’est 100 euros ou 200 euros par an de droits d’auteur. De ce point de vue-là Framabook ne fait pas mieux du tout !

Du coup, le modèle de rémunération, eh bien aujourd’hui il ne fonctionne pas, il n’y a aucun auteur chez Framabook qui est en mesure de gagner sa vie avec ça. En revanche, l’idée c’est justement d’aller explorer, comme le disait Yann, des choses. Parmi ces choses il pourrait y avoir, effectivement, le fait de financer en quelque sorte à priori, peut-être d’explorer des crowdfundings. Une autre piste qu’on a également évoquée, pas encore concrétisée, mais que j’aimerais bien à nouveau réactiver pour mon prochain roman, ce sont des idées de coédition avec des maisons d’édition qui, disons, ont un peu plus de notoriété, de la présence en librairie, pour essayer de combiner la logique de la diffusion libre par exemple sur les versions électroniques et essayer de trouver des modèles un petit peu plus rémunérateurs sur le papier.

Frédéric Couchet : Avant de passer la parole à Magali, je voudrais lui demander son avis sur ce sujet-là. Si je me souviens bien, quand j’ai préparé l’émission, les contrats de diffusion du framabook ne sont pas exclusifs, c’est-à-dire que, justement, ils laissent la possibilité à l’auteur ou l’autrice l’entière maîtrise des modes de diffusion, donc de choisir de générer différents contrats, donc de traiter différents contrats avec différentes maisons d’édition. C’est bien de ça dont tu parles ?

Stéphane Crozat : Exactement. J’aurais pu préciser avant. Framabook reverse 15 % des revenus des ventes des livres papier aux auteurs, ce qui est plus que les maisons d’édition traditionnelles. On a, effectivement, la possibilité de mettre en place une logique de dons pour essayer d’avoir des revenus complémentaires. Et, comme tu l’as dit, on peut et ça fait aussi partie des objectifs de Framabook, essayer de se faire éditer par ailleurs dans une logique non exclusive.

Frédéric Couchet : D’accord. Bookynette, c’est quoi ton avis à la fois en tant que libriste et aussi libraire ?

Magali Garnero : Il faut déjà savoir qu’il n’y a que les livres sous format papier qui sont vendus. Si vous les voulez sous les autres formats numériques, PDF ou EPUB, c’est gratuit. Déjà, rien que là-dessus, les auteurs ne touchent rien. C’est bien aussi de le signaler parce que notre cible, la plupart des acheteurs de framabooks sont des informaticiens qui lisent plus sous numérique que sous format papier. Après, c’est aussi difficile de vendre des framabooks parce qu’on ne les trouve pas forcément en librairie. Ce n’est pas pour rien qu’en 2011, quand l’éditeur Framabook est né, j’ai dit « moi je les vends en librairie » parce que je les achetais par En Vente Libre et, à l’époque déjà, les frais de port étaient assez importants. Donc je me suis dit « si je les ai en stock je pourrais inonder toute l’Île-de-France et permettre aux libraires de ne pas payer de frais de port ».

Frédéric Couchet : C’est bien que tu dises ça parce que j’avais justement une question sur comment on accède aux framabooks en version numérique, c’est-à-dire PDF, EPUB, donc pour les liseuses, comme tu l’as dit c’est sur framabook.org. Je crois qu’on n’a même pas cité le nom du site, excusez-moi, c’est framabook.org, sur lequel les versions des framabooks sont disponibles. Je crois me souvenir qu’il y a une page où on peut faire un don, mais je ne suis pas sûr, vous me corrigerez.
Pour la version papier aujourd’hui c’est principalement via le site dont tu as parlé tout à l’heure, enventelibre.org, sur lequel on peut commander des versions papier et on les trouve dans quelques librairies dont la tienne à Paris, on va rappeler le nom, c’est À Livr’Ouvert et l’adresse c’est 171b boulevard Voltaire. C’est ça Magali ?

Magali Garnero : C’est exactement ça. On peut aussi les commander chez lulu.com qui est, en fait, notre imprimeur.

Frédéric Couchet : D’accord. D’un point technique, tout à l’heure quand Yann parlait de l‘impression à la demande avec des prestataires si je me souviens bien, votre prestataire c’est donc lulu.com qui vous permet, quand vous venez sur Framabook ou sur enventelibre pour une version papier, en fait c’est l’impression à la demande et c’est lulu.com qui imprime le document et l’envoie. C’est bien ça Yann ?

Yann Kervran : Oui, c’est ça. En fait, sur le site Framabook vous avez des liens pour télécharger les fichiers de livres électroniques, le fichier PDF, les sources LaTeX dont je parlais tout à l’heure, et un lien vers notre boutique Lulu où vous pouvez commander la version papier en sachant qu’après tout est pris en charge par Lulu : l’impression, l’acheminement, la livraison et tout ça, c’est le prestataire extérieur qui s’en occupe. En tant qu’association, on n’avait pas les moyens humains de gérer du stock, de faire de l’impression et tout ça, c’est pour ça qu’on a préféré faire de l’impression à la demande.

Frédéric Couchet : D’accord. J’ai une petite question technique : tu viens de parler de LaTeX qui est un langage et un système de composition de documents. Au moment de la préparation de l’émission j’ai reçu une question technique sur les livres multilingues, donc dans plusieurs langues. Est-ce que dans l’équipe de Framabook il y a des personnes qui maîtrisent LaTeX , qui sont capables de faire des livres multilingues ? Je ne sais pas si l’un de vous est capable de répondre.

Yann Kervran : Moi, non. On a des gens qui sont relativement compétents en LaTeX, je ne pourrai pas répondre comme ça. En tout cas, on n’a jamais été confrontés au cas. Il faudrait que la personne nous envoie un message par le biais de contact.framasoft.org, par le formulaire, en disant pour Framabook et on pourra lui répondre, parce que là, à froid, je ne pourrai pas répondre.
Par contre j’aimerais bien revenir sur la question de droit d’auteur s’il y a le temps.

Frédéric Couchet : En fait j’ai vu, dans tes dernières publications, qu’il y a un billet de blog sur Framablog – on mettra évidemment les références sur le site de la radio, causecommune.fm, et sur le site de l’April, april.org – où tu expliques ton choix pour tes dernières publications justement sur cette question du droit d’auteur. Tu as dit tout à l’heure, pareil, je ne sais plus quelle expression tu as employé par rapport à ça et je voudrais bien connaître ta position en tant que Yann Kervran et si cette position que tu as expliquée en préparant est la position officielle de Framasoft, en tout cas de Framabook ?

Yann Kervran : Quand on a parlé tout à l’heure, j’ai peut-être utilisé le mot « imposture », c’est peut-être celui-là.

Frédéric Couchet : C‘est possible oui.

Yann Kervran : Ce qui pourrait paraître un petit peu déconcertant vu que je suis écrivain, je suis farouchement contre le droit d’auteur qui, pour moi, relève justement d’une imposture intellectuelle et qui, pour moi, infuse finalement de façon très sournoise des concepts capitalistes dans la façon de voir le monde en tant qu’auteur, en le faisant comme une espèce d’horizon indépassable. C’est-à-dire que si je veux pouvoir vivre de mes écrits, il faut que j’aie une vision de capitaliste, ce n’est pas moi que le dis, c’est Warren Buffett, pour lui les écrivains sont les meilleurs capitalistes qui soient. Personnellement je cite souvent Jean Zay qui, dans les années 30, a préconisé de faire une loi qui considère l’écrivain comme un ouvrier, un prolétaire, dont le règlement est seulement différé, avec des contrats d’édition extrêmement stricts.
Moi je suis farouchement contre le droit d’auteur, donc j’ai proposé que pour mes quatre derniers livres qui sont sortis il y a 15 jours chez Framabook, eh bien qu’il n’y ait pas de contrat d’édition. Justement, comme ce sont des ouvrages sous licence libre, à priori il n’y a pas besoin de contrat d’édition. Je ne suis pas le premier à le faire, David Revoy l’a fait pour une BD avec Glénat il y a déjà quelques années. Donc il n’y a pas besoin de faire de contrat d’édition pour que Framabook puisse légalement imprimer les ouvrages. Vu qu’il n’y a pas de contrat d’édition il n’y a pas besoin de rémunérer sur les ventes que Framabook va faire. Moi ça ne me regarde pas : j’ai mis mes œuvres sous licence et il se trouve que Framabook qui m’a aidé à les mettre en forme les édite aussi, donc c’est tout.
L’idée c’est justement d’essayer de décorréler le revenu des gens qui essaient de faire du contenu culturel de la vente, selon des principes capitalistes, des supports de cette culture. Je trouve que ça pose vraiment un problème de vision du monde, donc j’essaye de proposer de le décorréler et le seul moyen c’est de supprimer le droit d’auteur.
J’en parlais au début, peut-être de voir comment on peut mettre en place des formes de mécénat. Stéphane parlait un petit peu tout à l’heure de crowdfunding, d’appel au don. Ça marche très mal en littérature, d’expérience, de ce que j’ai pu voir. Moi j’ai un appel au don ouvert depuis des années. Je dois gagner à peu près 12 euros par mois de dons réguliers, pour vous donner un ordre d’idées, donc ça marche extrêmement mal parce qu’on n’est pas, pour la littérature, dans le cadre d’une culture qui est facilement diffusée sur les médias sociaux, etc., donc on n’est pas du tout dans l’instantanéité : lire un bouquin ça pend du temps, en faire la critique, en parler, etc., donc on est vraiment sur un temps long qui ne correspond pas du tout aux habitudes actuelles. Finalement c’est très compliqué d’arriver à mettre en place un revenu de ce type-là. Mais je trouve intéressant de dire que la vente de livre papier ne rapporte rien à l’auteur et on essaye de trouver une autre solution. C’est peut-être à la société, ce n’est peut-être pas à Framabook de trouver la solution de comment me rémunérer, c’est peut-être à la société d’y penser.

Frédéric Couchet : Stéphane, je vois que tu veux réagir, vas-y.

Stéphane Crozat : Juste pour rebondir sur ce que disait Yann, sur la vision capitaliste. C’est-à-dire qu’à un moment on est quand même dans un truc un peu bizarre à la base, je trouve, dans la culture. On fait d’abord ça, je pense pour l’immense majorité, par plaisir et par envie d’être lu, écouté, vu, etc., selon ce que l’on fait. Et, en fait, on se retrouve avec un espoir un peu absurde de se dire qu’on fera peut-être partie des 1 pour 1000 ou des 1 pour 10 000 qui arriveront à en vivre parce qu’il y aura de la chance, on se peut se faire croire, du talent mais peu importe. Du coup c’est quand même un contrat un peu absurde ! On part avec juste une envie et puis on arrive avec ce désir de faire partie d’une toute petite élite et, du coup, il y a effectivement un truc assez malsain là-dedans.
Évidemment moi j’ai un métier, j’ai un salaire par ailleurs donc c’est assez facile de ne pas trop me préoccuper de ça, mais, comme le dit Yann, il y a vraiment un enjeu à se préoccuper et il est vrai qu’aujourd’hui on n’a pas les réponses.

Yann Kervran : Pour finir de répondre à ta question, ça c’est ma position personnelle que je pousse quand même un petit peu à Framabook depuis quelque temps, donc on a convenu de le faire pour mes bouquins qui viennent de sortir. On envisage, on en a parlé à l’AG en début d’année et on devait en parler lors du Framacamp qui, malheureusement à cause du covid, a été annulé, mais l’idée ça va être certainement de systématiser ça, de le proposer pour essayer vraiment qu’il y ait cette rupture finalement entre le fait de vendre un objet physique et de le lier à la rémunération du créateur de contenu culturel.

Frédéric Couchet : D’accord. Il nous reste même pas trois minutes. Magali est-ce que tu voulais ajouter quelque chose sur ce point-là avant, peut-être, ma dernière question ?

Magali Garnero : Je ne crois pas, non.

Frédéric Couchet : D’accord. Je précise que sur le Framablog Yann détaille encore plus ce qu’il vient dire et il renvoie notamment dans les exemples possibles d’inspiration aux travaux de Bernard Friot et du Réseau Salariat. En tout cas, je vous encourage à aller lire ce billet de blog et je pense qu’on consacrera une émission sur ce thème-là qui est effectivement plus large que celui qu’on aborde aujourd’hui.
Là il va nous rester deux minutes 30. J’aurais voulu vous demander si vous avez des conseils de lecture de livres framabooks actuels en dehors, évidemment, du livre Traces de Stéphane Crozat, des quatre livres qui viennent d’être publiés par Yann, Qit’a, des textes courts dont l’univers Hexagora, est autour, si j’ai bien compris, du monde médiéval, et du fameux évidemment framabook Guide Libre Association coédition April et Framasoft autour des logiciels libres pour le monde associatif. Est-ce que vous avez un ou deux conseils de lecture ou simplement quelque chose à rajouter, en 30 secondes chacun ?

Stéphane Crozat : Aller, je me lance. Du coup évidemment, si on donne des conseils, ça fera des jaloux. Moi j’aime beaucoup les Grise Bouille et j’ai beaucoup aimé également le premier roman de Pouhiou. Donc voilà ! Deux conseils, mais ça n’exclut pas les autres, le polar de Fred Urbain, le Working Class Heroic Fantasy. de Gee, etc.

Frédéric Couchet : Le titre du polar de Fred Urbain était Vieux Flic et Vieux Voyou, je crois, de mémoire, quelque chose comme ça, j’ai beaucoup aimé.
Yann, est-ce que tu as un conseil de lecture ou autre chose à ajouter ?

Yann Kervran : Dans les framabooks je dis « lisez Pouhiou » comme ça, ça va peut-être le motiver à revenir à l’écriture. Il avait promis huit volumes et il s’est arrêté en cours.

Frédéric Couchet : OK ! Merci. Magali, tu es la dernière.

Magali Garnero : Vous avez cité Pouhiou, vous avez cité Fred Urbain, du coup je voudrais parler de Lydie Bouriot, qui est une jeune autrice, qui avait écrit un livre qui s’appelait Dormir debout dont on n’entend pas beaucoup parler mais qui est vraiment pas mal. Et les framabooks ce ne sont pas que des romans, il y a aussi des essais et dans les derniers essais qu’on vend bien il y a Libertés numériques pour avoir les bons gestes numériques sur Internet et sur son ordinateur et puis il y a LibreOffice, c’est stylé ! qui est quand même une de mes meilleures ventes de Framabook, qui ne décortique que la partie Writer, donc la partie traitement de texte, mais qui est vraiment très bien fait, qui a été traduit par Christophe qui n’est pas là avec nous aujourd’hui.

Frédéric Couchet : Christophe Masutti.
Merci pour ces conseils de lecture. Merci pour votre participation à l’émission du jour, Stéphane Crozat, Magali Garnero et Yann Kervran autour de Framabook, dont je rappelle le site web, framabook.org. J’espère qu’on aura l’occasion et le plaisir de se retrouver bientôt dans la « vie réelle » entre guillemets, évidemment avec les distances de sécurité.
Je vous souhaite une belle fin de journée.

Yann Kervran : Bye, bye Fred. Merci beaucoup .

Magali Garnero : À toi aussi.

Stéphane Crozat : Merci de ton accueil. Au revoir.

Frédéric Couchet : Merci à vous.
Nous allons faire une pause musicale. Nous allons écouter A pink Petal par Loik Brédolèse. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause commune 93.1 FM, la voix des possibles.

Pause musicale : A pink Petal par Loik Brédolèse.

Voix off : Cause Commune, cause-commune.fm, 93.1.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter A pink Petal par Loik Brédolèse, disponible sous licence Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, donc CC By SA. Je précise que c’est aussi une découverte du site auboutdufil.com et je salue Éric Fraudin créateur de ce site. On trouve quelques informations sur Loik Brédolèse qui est un compositeur d’origine néocalédonienne. Sa musique est un mélange d’influences variées notamment française, kanak et australienne. Loik Brédolèse est un touche-à-tout, il a composé plusieurs bandes originales destinées à l’univers des jeux vidéo ainsi que la musique de Terre de Métal , un documentaire sur la Nouvelle-Calédonie qui a été primé. Il a également composé des bandes originales de films. Suite à une rencontre avec un autre artiste français, Meydän, dont on a déjà diffusé la musique ici, Loik Brédolèse a commencé à partager ses compositions sous licence libre.

Nous allons passer maintenant à notre dernier sujet. Nous allons rester dans l’univers de la lecture, nous allons rester avec Magali Garnero mais en version enregistrée. Nous allons écouter l’interview de présentation du site inventaire.io, interview de Jums par Magali Garnero et on se retrouve après.

Inventaire : une application web libre permettant de faire l’inventaire de ses livres et de le partager avec ses amis et groupes, ou même publiquement. (relu avec audio par véro)

Magali Garnero : Jums, tu es avec nous aujourd’hui parce que j’avais envie de parler de ton application, réseau social, plateforme, inventaire.io, sur laquelle on peut créer des bibliothèques de livres. Est-ce que tu peux nous en dire plus ?

jums : Oui, tout à fait. L’idée c’est de cartographier les ressources qu’on a chez soi avec des données ouvertes et du logiciel libre. L’idée c’était de commencer par les livres et chacun peut aller sur la plateforme et cartographier, entrer souvent l’ISBN, pour pouvoir avoir sa propre bibliothèque, faire l’inventaire de sa bibliothèque en ligne et le partager, puisque c’est un réseau social, avec ses amis qui sont aussi sur cette plateforme.

Magali Garnero : J’ai vu différents niveaux de partage : juste avec ses amis, juste en mode privé ou alors totalement public.

jums : C’est ça. Sur chaque élément de chaque livre on peut déterminer si on veut le faire voir seulement à ses amis, publiquement, ou juste pour soi-même, en fait pour avoir une trace en ligne, quelque part, de ce qu’on a dans sa bibliothèque. Donc on a la capacité de pouvoir gérer la visibilité de ses livres, puisqu’avoir un livre ça dit beaucoup sur soi et cartographier le fait qu’on a ce livre dit beaucoup sur soi, donc c’est important de pouvoir gérer ces niveaux de visibilité.

Magali Garnero : Une fois qu’on a cartographié, on peut faire autre chose, puisque vous nous donnez la possibilité de dire si un livre est en mode prêt, en mode vente ou si c’est juste une information. Comment vous est venue cette idée de prêt ou de vente entre particuliers ?

jums : L’idée c’était de pouvoir faire en sorte que des gens aient accès à des ressources, donc de connaître l’information sur ces ressources et de pouvoir en faire ce qu’ils en veulent ensuite. C’est-à-dire qu’on est juste pour de la mise en information, donc on peut se géolocaliser si on veut, à 200 mètres près, une précision possible, et ensuite voir si d’autres gens se sont localisés dans le coin, savoir si les livres sont des livres disponibles et à combien de kilomètres ils sont.

Magali Garnero : C’est là où vient le côté le réseau social, puisqu’on peut communiquer entre participants si on est intéressé par le livre de quelqu’un d’autre ?

jums : On peut demander, on peut faire une requête pour savoir s’il est dispo, à quel moment il est dispo, et du coup tout peut se faire directement sur le réseau, mais ensuite les gens s’échangent, il n’y a pas de vente ou de prestation, c’est juste de l’échange d’information, c’est une autre manière de communiquer, ils peuvent prendre rendez-vous pour s’échanger le livre.
Ça a été fait d’abord entre particuliers avec l’idée de faire l’inventaire de sa bibliothèque personnelle, mais, petit à petit, on aimerait bien aussi pouvoir associer les bibliothèques du coin, du quartier, les librairies indépendantes, ce genre d’acteurs qui sont plus en relation avec le monde du livre et pas uniquement les geeks/individus, puisqu’on s’adresse aux amateurs de livres. C’est une précision à apporter aussi, ce dont des échanges d’objets physiques.

Magali Garnero : Je sais de source sûre que vous avez au moins une bibliothèque et une librairie.

jums : C’est assez nouveau pour nous. On est ravis que tu aies pu essayer l’outil. Tu utilises inventaire, donc maintenant même les bibliothèques le font ! Donc comment est-ce que tu t’en sors ?

Magali Garnero : Moi j’ai fait un import de mon inventaire, c’est vrai que c’était un gros inventaire puisque la librairie A Livr'Ouvert a mis 6000 bouquins sur inventaire.io et, du coup, vous êtes allés récupérer les données des livres dont je vous avais donné les ISBN. Où êtes-vous allés récupérer toutes ces données ?

jums : Les données sur les livres sont assez répandues sur le Web. Il n’est pas très difficile d’aller chercher le titre du livre et le nom de l’auteur. Pour un ISBN particulier, en recoupant quelques sources, on arrive à contribuer, à faire de la donnée ouverte, qui l'était puisqu'il suffit d’une recherche dans n’importe quel moteur de recherche pour pouvoir accéder au titre et à l’auteur.

Magali Garnero : Oui, mais les couvertures de livres, c’est particulier quand même !

jums : Les couvertures de livres c’est particulier et il faut savoir que c’est compliqué d’avoir une application comme celle-là sans image.

Magali Garnero : C’est impossible !

jums : C’est attractif d’avoir la visualisation de ce que représente l’objet que vous possédez, puisque vous cartographiez ce que vous avez déjà en propriété, l’outil est construit comme ça. Du coup on se débrouille pour avoir les images et on table sur un fair-use qui est pour une association qui fait du logiciel libre si on vient nous chercher des noises, mais ce n’est jamais arrivé.

Magali Garnero : Mon petit doigt m’a dit que vous utilisiez aussi beaucoup Wikidata.

jums : Il y a beaucoup Wikidata. Oui. En fait il y a deux faces. Là on a parlé d’une face de l’application qui est le client web, pour s’échanger des livres, mais, du coup, pour faire en sorte que le livre soit reconnu, qu’on puisse dire que tel ouvrage physique c’est bien tel auteur et pas tel autre, les homonymes d’auteurs, par exemple, sont assez difficiles à départager, puisque ce sont deux humains différents qui ont le même nom, donc c’est un peu compliqué. Pour ça, on utilise une base de données d’autorité, en tout cas c’est comme ça que ça s’appelle, où Victor Hugo s’appelle bien Victor Hugo, Ada Lovelace s’appelle bien Ada Lovelace, ce qui permet de fixer les choses, mais de manière partagée.
Wikidata est un projet sœur de Wikipédia qui essaye de faire une base de données libre où tout le monde peut contribuer à la Wikipédia et dont Inventaire.io se charge lourdement d’aller chercher de la donnée chez eux, mais aussi de contribuer en étant une forme d’antichambre. On le stocke sur inventaire dans notre propre base de données en attendant que quelqu’un passe dessus et dise « ce bouquin peut-être sur Wikidata ». Donc à la fois on participe à Wikidata et on utilise cette base de données du domaine public libre et ouvert.

Magali Garnero : Quand tu dis nous, nous c’est qui ?

jums : Principalement c’est Maxime et moi-même qui sommes les deux contributeurs réguliers et ayant inventé la plateforme. Ensuite il y a plein de gens autour qui nous aident à contribuer aux données, aux traductions qui sont principalement le fruit de la communauté Wikipédia et Wikidata. Inventaire est traduit en 15 langues.
Du coup, on est deux, on est une association, on s’est monté en association de droit français établie à Lyon l’année dernière. On espère pouvoir financer l’association pour pouvoir se financer aussi dessus, puisque là on fait plus de la prestation pour des institutions publiques, c’était le cas l’année dernière, pour pouvoir se financer, pour pouvoir faire en sorte qu’on travaille à temps plein sur inventaire. Mais l’idée et le développement futur ça serait de pouvoir vivre décemment de ce boulot et de rester dans la forme associative non capitalistique pour pouvoir durer. On voit beaucoup passer, ça nous fait un peu rigoler,d’applications qui peuvent faire en sorte que des gens s’échangent des bouquins, mais souvent ça s’arrête quand, en fait, ils découvrent qu’on ne peut pas trop faire d’argent avec ça.
Nous on voit passer les trains et on essaye d’avoir le nôtre pour essayer de faire en sorte que les gens puissent s’échanger des informations et participent à la donnée sur Wikidata.

Magali Garnero : Du coup, si on veut vous donner des sous, ça se passe où ?

jums : C’est sur le site, en bas, dans les informations, on peut lire un donate, Pour l’instant c’est encore très rudimentaire. On n’a pas forcément encore passé l’étape d’avoir des cotisations et des fonds, c’est encore en cours. C’est gentil de tendre la perche. Il va falloir qu’on trouve de l’argent au bout d’un moment, mais là on essaye de développer notre truc, et le côté administratif de gérer l’association, à deux c’est quand même assez lourd, enfin pas lourd, mais c’est moins sympa que le code.

Magali Garnero : C’est pour ça que dans les associations de geeks, il faut toujours qu’il y ait des non-geeks qui s’occupent de cette partie-là que vous n’aimez pas trop.

jums : On essaye d’être polyvalents.

Magali Garnero : Quelles sont les fonctionnalités que vous avez prévues dans les mois voire années qui arrivent ?

jums : On a déjà bien changé l’interface d’utilisation d’inventaire, maintenant on peut faire du multi édit, on peut faire des choses un peu plus sympas avec la nouvelle interface qui vient de sortir ces derniers mois.
On travaille sur le côté faire des listes, donc des listes d’éléments qu’on a, pour pouvoir dire « je les ai lus » ou « je les conseille » ou « je les conseille à tel groupe ». Ça, ça serait peut-être un petit peu plus avancé. Ce qui va sortir d’abord c’est de pouvoir rassembler, parce que là, typiquement, en plus toi par exemple, tu as 6000 choses, ça serait sympa de les arranger en rayons par exemple.

Magali Garnero : J’adorerais.

jums : Du coup on travaille là-dessus. L’idée c’est aussi de faire d’autres formes de listes, des bibliographies cette fois-ci, un peu compatibles avec les formats de Zotero, enfin qui utilisent Zotero, ce serait intéressant de pouvoir faire en sorte de proposer à des chercheurs, par exemple, de faire des bibliographies à base de données à l’intérieur de Wikidata. C’est aussi un des trucs sur lequel on table. Après, il y a des plans à plus long terme en termes de fonctionnalités, de pouvoir avoir d’autres types de choses que des livres. On pense aux jeux de plateau, aux DVD, aux vinyles, des choses de ce style-là. Mais bon, on n’est que deux, donc on a peu de ressources. Mais c’est Libre donc quelqu’un peut venir, forker le truc et partir avec, c’est fait pour, et on sera ravis de voir les résultats qui reviennent.

Magali Garnero : Comme votre appli est libre, ça peut être fait par n’importe qui.

jums : C’est du logiciel libre, tout le monde peut le reprendre, tout le monde peut le modifier et le publier. C’est de la donnée libre aussi accessible via des dumps ou via des demandes, des requêtes. On a une API, donc tout est accessible et tout est modifiable. Donc allez-y et dites-nous ce que vous en pensez.

Magali Garnero : Quelle est la technique qui se cache derrière ?

jums : La technique c’est du pur Javascript, des deux côtés. Node coté serveur qui sert principalement l’API et côté client du Backbone, donc ça fait un petit moment, c’est un framework, un ancêtre de React et des choses qui marchent bien en ce moment côté front et qui permettent de faire du full JS, alors pas de la Progressive Web App, mais presque. En tout cas on y travaille pour pouvoir faire en sorte qu’on soit conforme aux standards et à l’exigence de rapidité et de flexibilité des nouvelles applications d’aujourd’hui, malgré le fait que ça soit du Web. C’est important d’avoir un service qui puisse faire tourner toutes les requêtes qui peuvent être assez poussées du côté utilisateur pour rechercher un livre.

Magali Garnero : Ma petite dernière question quelle est la licence que vous avez choisie et pourquoi ?

jums : La licence sur le logiciel c’est de l’AGPL, parce que c'est des gens gentils, les gens sous AGPL. Côté données c’est du CC0, comme tout Wikidata, assimilé domaine public, qui permet d’être le plus ouvert possible.

Magali Garnero : Est-ce que tu as envie d’ajouter une dernière chose, à part que inventaire.io c’est super sympa et que tout le monde soit l’utiliser ?

jums : On aimerait avoir tes retours sur l’outil et comment ça se passe.

Magali Garnero : Il faut savoir que pensant la période de confinement toutes les plateformes de vente en ligne ont fermé leur stock sous prétexte que les libraires étaient fermés. J’ai fait appel à inventaire.io pour que mon stock reste accessible à mes clients. Effectivement, j’ai balancé un csv de 6000 références qu’ils ont eu la gentillesse de mettre sur leur site. Mes clients vont voir, ils vont piocher, ils trouvent des livres, ils ne trouvent pas les livres - je ne peux pas tout avoir non plus - et c’est vrai que c’est assez facile d’utilisation. La seule fonctionnalité qui manque, mais tu l’as déjà dit donc ce n’est pas la peine d’insister dessus, c’est de pouvoir classer par genre, par catégorie ou par rayon, mais je crois que vous travaillez déjà dessus. Moi je trouve ça très simple d’utilisation et j’ai hâte que d’autres l’utilisent aussi.
Moi je l’utilise à titre informatif avec un stock public, tout le monde peut y accéder, mais je ne prête pas et je ne vends pas sur la plateforme, puisque je préfère que les gens viennent à la librairie. Je vois très bien ce qu’on pourrait faire ailleurs où, justement, on pourrait se prêter des livres les uns les autres. On saurait à qui on a prêté le fameux livre qu’on ne trouve pas.
Je voulais vous remercier d’avoir mis ça en place et d’être aussi réactifs.

jums : Merci beaucoup de l’invitation à l’interview. Je précise simplement qu’on ne peut pas vendre de livres, on ne s’occupe pas des paiements.

Magali Garnero : Merci beaucoup jums pour avoir répondu à mes questions. À Bientôt.

jums : Pareillement, c’était très sympa, à bientôt.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter l’interview de jums qui est donc un des développeurs du site inventaire.io, une application web libre permettant de faire l’inventaire de ses livres, de le partager avec ses amis, groupes et même publiquement. Interview réalisée par Magali Garnero de la librairie À Livr’Ouvert à Paris dans le 11e.

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Frédéric Couchet : Nous approchons de la fin de l’émission.