Différences entre les versions de « Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l'émission du 26 mai 2020 »

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==Chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet, professeur de philosophie et vice-présidente de l'April, sur le thème « Quel niveau de surveillance la démocratie peut-elle endurer ? » ==
 
==Chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet, professeur de philosophie et vice-présidente de l'April, sur le thème « Quel niveau de surveillance la démocratie peut-elle endurer ? » ==
  
<b>Frédéric Couchet : </b>Une lecture d’informations
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<b>Frédéric Couchet : </b>Une lecture d’informations et de mise en perspective de la philosophie GNU, c’est la chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet, professeur de philosophie et vice-présidente de l’April. Véronique bonnet va nous parler aujourd’hui du thème « Quel niveau de surveillance la démocratie peut-elle endurer ? »<br/>
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Bonjour Véronique. Je te laisse la parole.
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<b>Véronique Bonnet : </b>Bonjour Fred.<br/>
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En effet, c’est un texte de Richard Stallman qui a été publié il y a déjà sept ans, c’était à l’automne 2013, dans la revue <em>Wired</em>, qui a été repris, traduit depuis sur le Framablog. Il se trouve que j’ ai donné ce texte, « Quel niveau de surveillance la démocratie peut-elle endurer ? », en travail à mes deux classes de Maths spé puisque cette année le thème est la démocratie. Il se trouve que ce texte de Richard Stallman qui est très argumenté, qui est un repère puissant pour nourrir les réflexions sur la démocratie, a été une façon de prolonger ce qui, dans le programme de mes élèves, avait déjà fait émerger des thématiques qui regardent directement le rapport entre la démocratie et le logiciel libre.<br/>
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Je vais donner trois exemples avant de passer au commentaire du texte de Richard Stallman.<br/>
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Par exemple nous avons au programme une pièce d’un Grec qui s’appelle Aristophane. Aristophane qui, alors que la Grèce a inventé la démocratie, en 424 – on retourne un petit peu en arrière – se demande ce qui se passe quand, par exemple Athènes, démocratie, est en guerre. Lorsque Athènes est en guerre nécessairement l’Assemblée ba donner les pleins pouvoirs aux généraux et peut-être que l’exercice de la parole, le libre exercice de la parole autonome sur l’agora, sur la place publique va se trouver affecté.<br/>
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Autre thématique qui rapport un direct avec une des questions abordées par Richard Stallman dans ce texte, il y a chez Tocqueville, là on va avancer un petit peu dans l’histoire, 1840, un texte qui est très important, qui s’appelle <em>De la démocratie en Amérique</em>. La thèse de Tocqueville consiste à se demander ce qui se passe lorsque l’État central se mêle de plus en plus de la vie privée des individus sans que ceux-ci se révoltent parce qu’on est dans une logique de <em>soft power</em> et il y a une porosité de plus en plus grande entre vie publique et vie privée, c’est-à-dire que le pouvoir central a de plus en plus d’informations sur les citoyens. Je pense que là un lien très essentiel peut être articulé avec le texte de Richard.<br/>
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Enfin, dernière référence, il y a au programme un ouvrage de Philippe Roth, là on est en 2004, <em>Le Complot contre l'Amérique</em>, la thématique du totalitarisme. Il se trouve que ce texte va être un brûlot aux États-Unis en 2004. C’est une dystopie, c’est-à-dire Philippe Roth se demande ce qui se serait passé si Lindbergh avait été élu à la place de Roosevelt président de États-Unis et s’il avait eu des ententes avec Hitler, on est dans une dystopie. La question du totalitarisme, la question de l’emprise d’une puissance sur les vies privées, sur les vies intimes des individus émerge et peut également nourrir la réflexion sur la démocratie.
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On va retrouver ces trois thématiques abondamment dans le texte de Richard. J’avais proposé à mes élèves de Maths spé de disserter à partir du sujet suivant : « Mettre la démocratie en sécurité exige une réduction de la collecte des données privées, écrit Richard Stallman. Vous vous demanderez de manière ordonnée si une dissociation entre la vie publique et la vie privée des citoyens est requise pour que la démocratie soit effectivement une démocratie. »
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Nous entrons dans le texte de Richard Stallman, je vais me focaliser sur son argumentation et je vais montrer que cet article est non seulement très équilibré, il est dans un pragmatisme très respectueux du droit aussi bien des citoyens pour se protéger que de l’impératif pour la démocratie de pouvoir se défendre contre ce qui la menace. Je dirais qu’il y a dans ce texte deux volets. Il y a un volet préventif, c’est-à-dire que le logiciel libre relève d’une logique de prévention et, en même temps, il y a un versant curatif : que se passe-t-il lorsqu‘il y a excès dans la récolte des métadonnées et qu’elles sont très prosaïquement les outils numériques qui permettent de se protéger, de faire marche arrière.
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Au tout début de son texte, Richard Stallman fait d’abord référence à Edward Snowden, le lanceur d’alerte et, au tout début, il dit : « Grâce à Edward Snowden nous comprenons aujourd’hui que le niveau de surveillance dans nos sociétés est incompatible avec les droits de l’homme ». Idéalisme pragmatique de Richard Matthew Stallman, idéalisme, c’est-à-dire qu’il y a des valeurs non négociables, les droits de l’homme, mais, en même temps, pragmatisme puisqu’il est à la recherche d’un seuil.<br/>
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Dans ce texte il n’y a pas un refus radical de surveillance, puisque la démocratie, pour fonctionner, doit se protéger, il ne s’agit pas de supprimer la surveillance, il s’agit de la réduire. Je cite le texte : « Nous devons réduire le niveau de surveillance mais jusqu’où ? Quel seuil tolérable à ne pas dépasser pour ne pas interférer avec la démocratie. »<br/>
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Il semblerait qu’il y ait dans cette recherche de seuil, ??? de chercher un seuil – où est le trop ? Où est le suffisamment ? Le pas assez ? – il y a dans le texte immédiatement une première proposition. À savoir peut-être y a-t-il excès de surveillance lorsque des lanceurs d’alerte comme Snowden sont susceptibles d’être attrapés.<br/>
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Là on voit tout de suite qu’il y a un paradoxe, parce que plus il y a de collecte de données plus il faut réagir, plus il faut lancer des alertes, mais, en même temps, moins on le peut, plus ceci devient délicat. Il se trouve qu’Edward Snowden, pour lancer son alerte, a dû s’entourer de précautions très précises pour contacter les journalistes et de façon à pouvoir le faire en sécurité.<br/>
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Conséquence de cela, vous avez deux axes qui sont proposés par richard Stallman : il faut d’une part que le peuple sache ce qui se passe dans la démocratie, il faut qu’il y ait une lisibilité de la démocratie et il faut que les lanceurs d’alerte puissent faire leur travail et pour faire leur travail il ne faut pas qu’il y ait de porosité entre la vie privée et la vie publique, il faut qu’on puisse disposer d’un espace intime ne serait-ce que l’espace intime du recul, de la réflexion et de la critique.
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Quelles préconisations ? Vous avez deviné, les logiciels libres. Je vous ai dit que ce texte était de 2013, c’est-à-dire que c’est un texte qui est écrit juste 30 ans après l’automne 1983 où le projet GNU a été lancé par Richard Stallman, donc un appel à coder, un appel à protéger le code de toute appropriation qui irait à l’encontre des idéaux de la communauté libriste. Vous avez donc de la part de Richard Stallman le rappel qu’il y a eu une anticipation, qu’il y a bien eu une démarche préventive puisque, grâce au Libre, le contrôle est effectif sur les ordinateurs personnels de qui a besoin d’éléments pour se protéger, il le peut sur son ordinateur personnel, mais nous ne sommes pas protégés sur Internet.<br/>
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Cette dissociation est d’un extrême intérêt, puisqu’en effet si nous faisons usage des outils libres qui ont été réalisés depuis 30 ans par la communauté alors en 2013 nous sommes protégés, nous le peuple – vous avez souvent dans ce texte, de la part de Richard Stallman, un « nous le peuple » – nous sommes protégés dans notre informatique, à ceci près que sur l’Internet, non, nous ne sommes pas pleinement autonomes, il y a une part de risque pour nos données. Il se trouve que cette part qui est non maîtrisée, fait qu’il est important de tenter de se protéger et il y est important que les lanceurs d’alerte se protègent et que les groupes dissidents, pacifistes se protègent.<br/>
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Certes, rappelle Richard Stallman, l’État a la tentation de les infiltrer pour savoir s’il n’y a pas un risque d’attentat, de complot, de terrorisme, mais là on voit bien que l’éventualité d’un tel complot peut servir de prétexte et d’alibi. Vous avez dans le dispositif législatif américain, ceci est une information donnée dans la suite, le rappel que soupçonner un délit est un motif suffisant pour accéder aux données.<br/>
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L’accumulation des données est une emprise et certaines lois permettent une campagne de pêche à grande échelle. Ici il est fait référence aux filets dérivants qui ne trient pas dans un premier temps et qui ont été désignés par Edward Snowden.
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C’est pourquoi la deuxième du texte est ce que j’appellerais un volet curatif. Après le préventif le curatif et il y a une énumération de différents points qui sont des appels à la prudence et, en même temps, des appels à ce pouvoir technique qui est celui de l’informatique, qui peut parfois servir d’antidote à des dispositifs informatiques qui portent atteinte à la vie privée.<br/>
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Premier point, une protection solide de la vie privée doit être technique. Pourquoi ? Elle ne peut pas être simplement juridique puisque les lois sont trop floues soit ignorées, donc les remèdes sont des remèdes logiciels. Ceci est le premier point, des remèdes logiciels qui visent l’autonomie de l’utilisateur.<br/>
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Deuxième point., il faut être soi-même prudent. Il faut soi-même être un acteur de la protection de sa propre vie privée, le premier acteur c’est soi-même et là vous avez le rappel que sur Internet on peut faire usage de Tor, on peut usage de logiciels qui bloquent le traçage, de GPG. Autrement dit, il y a des démarches qui sont elles-mêmes techniques, qui résistent à la technicité de certains dispositifs de collecte de données. Vous avez des éléments qui ont l’air plus anecdotiques mais qui ne le sont pas. En 2013, Richard Stallman recommande encore de payer en liquide. Il recommande encore de garder l’anonymat sur les réseaux sociaux, il rappelle aussi qu’il est important de protéger ses corresponds, ses amis. Autrement dit il faut appel à l’autonomie.
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Viennent ensuite quelques points qui rappellent qu’il est important d’intégrer à chaque système le respect de la vie privée et vous avez une mise en garde concernant ce qu’on appelle les téléphones intelligents ou les objets intelligents, on dit maintenant les objets connectés, qui peuvent être des pièges desquels on ne se méfie pas.<br/>
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Il est conseillé, toujours dans le registre de cette autonomie, de cette préservation dont on est le premier acteur, de garder ses propres données dispersées, de ne pas faciliter les choses.<br/>
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Il est proposé d’utiliser des remèdes à la surveillance du commerce sur Internet, également d’utiliser certains remèdes concernant les dossiers sur les communications téléphoniques, toujours la fameuse protection de ce qu’on appelle le sociographe, parce que même si on ne déchiffre le message on pourra toujours savoir qu’on a appelé celui-là après celui-là. Et brusquement, après ce travail de rappel de la prudence autonome à avoir et des outils techniques à déployer, vous avez, d’une façon totalement responsable, le rappel par Richard Stallman qu’un minimum de surveillance est néanmoins nécessaire. L’approche est équilibrée. Il s’agit de pouvoir rechercher les auteurs de crimes et de délits. Certes il peut y avoir des abus. Les entreprises, par exemple, ne sont pas des personnes relevant des droits de l’homme, elles doivent rendre compte elles-mêmes à des personnes. La phrase finale et la suivante : « La technologie numérique a connu un extrême accroissement, plus que dans les années 90, plus que dans les années 80 pour les personnes qui étaient derrière le rideau de fer, et cet accroissement a accentué la récolte de données d’où une invitation à inverser la tendance par le logiciel libre. C’est-à-dire non seulement être armé technologiquement, mais être armé humainement et là, Fred, je me tourne vers toi, je pense que tu en seras d’accord, il me semble que prudence et vigilance sont des mots clés à l’April.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Tout à fait et je pense que ça devait être le cas partout ailleurs et on pensera à certains projets de loi qui sont en cours ou à certains projets actuellement en cours au vu du contexte.<br/>
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Merci Véronique. On va conclure rapidement parce que le temps a filé plus vite que d’habitude pour cette chronique. Je vais juste rappeler le titre de l’article de Richard Stallman c’est « Quel niveau de surveillance la démocratie peut-elle endurer ? » Vous le retrouvez sur le site de gnu.org en version anglaise et française traduit d’ailleurs par notre groupe de traduction de la philosophie GNU que vous pouvez rejoindre si vous voulez participer. Toutes les informations sont sur le site de l’April, april.org.<br/>
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Véronique, on se retrouve en juin pour la prochaine chronique « Partager est bon ». Ça te va ?
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<b>Véronique Bonnet : </b>Avec grand plaisir Fred. Bonne journée.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Bonne journée Véronique.<br/>
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On va faire la pause musicale. On va enchaîner. On va écouter <em>Reality</em> par Niwel. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, 93.1 FM, la voix des possibles.
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<b>Pause musicale : </b><em>Reality</em> par Niwel.
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<b>Voix off : </b> Cause Commune, cause-commune.fm, 93.1.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Nous venons d’écouter <em>Reality</em> par Niwel, disponible sous licence libre Creative Commons, Partage dans les mêmes conditions, CC By SA. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org, sur le site de la radio, causecommune.fm et sur le site de l’artiste, il a une page, soundcloud.com/niwel, n, i, w, e, l. Je vais préciser que Niwel a été une découverte via le site auboutdufil.com, qui propose de faire découvrir des artistes dont les œuvres sont sous licence libre. Niwel est en fait un Parisien de 22 ans, étudiant en médecine, et qui produit de la musique un petit peu de manière indépendante. Il m’a indiqué que le choix des licences libres c’était parce qu’il trouvait que c’était un plus de laisser la chance aux autres de pouvoir l’utiliser et, en plus, ça peut lui apporter de la crédibilité si les gens qui l’utilisent ont la gentillesse de le créditer lors de l’utilisation. Non seulement ils doivent avoir la gentillesse mais c’est une obligation de la licence CC By SA.<br/>
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Sur le site auboutdufil.com, on trouve quelques informations. Niwel a une préférence pour l’électro, on retrouve ses principaux modèles Avicii, Madeon et Diplo. Il a appris très jeune le piano, le violon ou encore la mandoline. Actuellement il compose principalement sa musique avec un ordinateur. N’hésitez pas à aller sur le site auboutdufil.com, vous en apprendrez plus sur Niwel. On aura l’occasion de rediffuser des morceaux de cet artiste talentueux.
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Vous êtes toujours sur la radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 FM en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm. Vous écoutez toujours l’émission <em>Libre à vous !</em> consacrée aux libertés informatiques.<br/>
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On va passer au sujet principal.
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==Framabook : les Framabooks sont dits « livres libres » parce qu’ils sont placés sous une licence qui permet au lecteur de disposer des mêmes libertés qu’une personne utilisatrice de logiciels libres.==
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<b>Frédéric Couchet : </b>Le pari du livre libre, c’est-à-dire la collection Framabook, avec nos invités aujourd’hui, Magali Garnero, Yann Kervran et Stéphane Crozat. On va essayer de présenter un petit peu ce pari des livres libres, donc la collection Framabook. Je vérifie, ils sont tous là, donc on va peut-être commencer par une présentation personnelle rapide. On va commencer par Magali Garnero, en une petite phrase, Magali.

Version du 28 mai 2020 à 13:50


Titre : Émission Libre à vous ! diffusée mardi 26 mai 2020 sur radio Cause Commune

Intervenant·e·s : Véronique Bonnet - Yann Kervran - Stéphane Crozat - jums - Magali Garnero - Frédéric Couchet - William Agasvari à la régie

Lieu : Radio Cause Commune

Date : 26 mai 2020

Durée : 1 h 30 min

[ Écouter ou enregistrer le podcast]

Page des références utiles concernant cette émission

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration :

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.

Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcrit MO

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
La collection Framabook c’est-à-dire des livres libres, ce sera le sujet principal de l’émission du jour. Avec également au programme une chronique sur le thème « Quel niveau de surveillance la démocratie peut-elle endurer ? » et également l’interview autour de inventaire.io, une application web libre permettant de faire l’inventaire de ses livres, de le partager avec ses amis, groupes ou même publiquement. Nous allons parler de tout ça dans l’émission du jour.

Vous êtes sur la radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 FM en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm. La radio dispose également d’une application Cause Commune pour téléphone mobile et elle diffuse désormais 24 heures sur 24 en DAB+ c’est-à-dire la radio numérique terrestre.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Je suis Frédéric Couchet, le délégué général l’April.
Le site web de l’April c’est april.org. Vous y trouvez déjà une page consacrée à cette émission avec les liens et références utiles, les détails sur les pauses musicales et toute autre information utile en complément de l’émission, et également les moyens de contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration

Nous sommes mardi 26 mai 2020, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast et je fais un petit coucou à notre réalisateur du jour, William Agasvari qui adore que je dise cette phrase.

Si vous souhaitez réagir, poser une question pendant ce direct, n’hésitez pas à vous connecter sur le salon web de la radio. Pour cela rendez-vous sur le site de la radio, causecommune.fm, cliquez sur l bouton « chat » et retrouvez-nous sur le salon dédié à l’émission #libreavous.
Nous vous souhaitons une excellente écoute.

Nous allons passer directement au premier sujet.

Chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet, professeur de philosophie et vice-présidente de l'April, sur le thème « Quel niveau de surveillance la démocratie peut-elle endurer ? »

Frédéric Couchet : Une lecture d’informations et de mise en perspective de la philosophie GNU, c’est la chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet, professeur de philosophie et vice-présidente de l’April. Véronique bonnet va nous parler aujourd’hui du thème « Quel niveau de surveillance la démocratie peut-elle endurer ? »
Bonjour Véronique. Je te laisse la parole.

Véronique Bonnet : Bonjour Fred.
En effet, c’est un texte de Richard Stallman qui a été publié il y a déjà sept ans, c’était à l’automne 2013, dans la revue Wired, qui a été repris, traduit depuis sur le Framablog. Il se trouve que j’ ai donné ce texte, « Quel niveau de surveillance la démocratie peut-elle endurer ? », en travail à mes deux classes de Maths spé puisque cette année le thème est la démocratie. Il se trouve que ce texte de Richard Stallman qui est très argumenté, qui est un repère puissant pour nourrir les réflexions sur la démocratie, a été une façon de prolonger ce qui, dans le programme de mes élèves, avait déjà fait émerger des thématiques qui regardent directement le rapport entre la démocratie et le logiciel libre.
Je vais donner trois exemples avant de passer au commentaire du texte de Richard Stallman.
Par exemple nous avons au programme une pièce d’un Grec qui s’appelle Aristophane. Aristophane qui, alors que la Grèce a inventé la démocratie, en 424 – on retourne un petit peu en arrière – se demande ce qui se passe quand, par exemple Athènes, démocratie, est en guerre. Lorsque Athènes est en guerre nécessairement l’Assemblée ba donner les pleins pouvoirs aux généraux et peut-être que l’exercice de la parole, le libre exercice de la parole autonome sur l’agora, sur la place publique va se trouver affecté.
Autre thématique qui rapport un direct avec une des questions abordées par Richard Stallman dans ce texte, il y a chez Tocqueville, là on va avancer un petit peu dans l’histoire, 1840, un texte qui est très important, qui s’appelle De la démocratie en Amérique. La thèse de Tocqueville consiste à se demander ce qui se passe lorsque l’État central se mêle de plus en plus de la vie privée des individus sans que ceux-ci se révoltent parce qu’on est dans une logique de soft power et il y a une porosité de plus en plus grande entre vie publique et vie privée, c’est-à-dire que le pouvoir central a de plus en plus d’informations sur les citoyens. Je pense que là un lien très essentiel peut être articulé avec le texte de Richard.
Enfin, dernière référence, il y a au programme un ouvrage de Philippe Roth, là on est en 2004, Le Complot contre l'Amérique, la thématique du totalitarisme. Il se trouve que ce texte va être un brûlot aux États-Unis en 2004. C’est une dystopie, c’est-à-dire Philippe Roth se demande ce qui se serait passé si Lindbergh avait été élu à la place de Roosevelt président de États-Unis et s’il avait eu des ententes avec Hitler, on est dans une dystopie. La question du totalitarisme, la question de l’emprise d’une puissance sur les vies privées, sur les vies intimes des individus émerge et peut également nourrir la réflexion sur la démocratie.

On va retrouver ces trois thématiques abondamment dans le texte de Richard. J’avais proposé à mes élèves de Maths spé de disserter à partir du sujet suivant : « Mettre la démocratie en sécurité exige une réduction de la collecte des données privées, écrit Richard Stallman. Vous vous demanderez de manière ordonnée si une dissociation entre la vie publique et la vie privée des citoyens est requise pour que la démocratie soit effectivement une démocratie. »

Nous entrons dans le texte de Richard Stallman, je vais me focaliser sur son argumentation et je vais montrer que cet article est non seulement très équilibré, il est dans un pragmatisme très respectueux du droit aussi bien des citoyens pour se protéger que de l’impératif pour la démocratie de pouvoir se défendre contre ce qui la menace. Je dirais qu’il y a dans ce texte deux volets. Il y a un volet préventif, c’est-à-dire que le logiciel libre relève d’une logique de prévention et, en même temps, il y a un versant curatif : que se passe-t-il lorsqu‘il y a excès dans la récolte des métadonnées et qu’elles sont très prosaïquement les outils numériques qui permettent de se protéger, de faire marche arrière.

Au tout début de son texte, Richard Stallman fait d’abord référence à Edward Snowden, le lanceur d’alerte et, au tout début, il dit : « Grâce à Edward Snowden nous comprenons aujourd’hui que le niveau de surveillance dans nos sociétés est incompatible avec les droits de l’homme ». Idéalisme pragmatique de Richard Matthew Stallman, idéalisme, c’est-à-dire qu’il y a des valeurs non négociables, les droits de l’homme, mais, en même temps, pragmatisme puisqu’il est à la recherche d’un seuil.
Dans ce texte il n’y a pas un refus radical de surveillance, puisque la démocratie, pour fonctionner, doit se protéger, il ne s’agit pas de supprimer la surveillance, il s’agit de la réduire. Je cite le texte : « Nous devons réduire le niveau de surveillance mais jusqu’où ? Quel seuil tolérable à ne pas dépasser pour ne pas interférer avec la démocratie. »
Il semblerait qu’il y ait dans cette recherche de seuil, ??? de chercher un seuil – où est le trop ? Où est le suffisamment ? Le pas assez ? – il y a dans le texte immédiatement une première proposition. À savoir peut-être y a-t-il excès de surveillance lorsque des lanceurs d’alerte comme Snowden sont susceptibles d’être attrapés.
Là on voit tout de suite qu’il y a un paradoxe, parce que plus il y a de collecte de données plus il faut réagir, plus il faut lancer des alertes, mais, en même temps, moins on le peut, plus ceci devient délicat. Il se trouve qu’Edward Snowden, pour lancer son alerte, a dû s’entourer de précautions très précises pour contacter les journalistes et de façon à pouvoir le faire en sécurité.
Conséquence de cela, vous avez deux axes qui sont proposés par richard Stallman : il faut d’une part que le peuple sache ce qui se passe dans la démocratie, il faut qu’il y ait une lisibilité de la démocratie et il faut que les lanceurs d’alerte puissent faire leur travail et pour faire leur travail il ne faut pas qu’il y ait de porosité entre la vie privée et la vie publique, il faut qu’on puisse disposer d’un espace intime ne serait-ce que l’espace intime du recul, de la réflexion et de la critique.

Quelles préconisations ? Vous avez deviné, les logiciels libres. Je vous ai dit que ce texte était de 2013, c’est-à-dire que c’est un texte qui est écrit juste 30 ans après l’automne 1983 où le projet GNU a été lancé par Richard Stallman, donc un appel à coder, un appel à protéger le code de toute appropriation qui irait à l’encontre des idéaux de la communauté libriste. Vous avez donc de la part de Richard Stallman le rappel qu’il y a eu une anticipation, qu’il y a bien eu une démarche préventive puisque, grâce au Libre, le contrôle est effectif sur les ordinateurs personnels de qui a besoin d’éléments pour se protéger, il le peut sur son ordinateur personnel, mais nous ne sommes pas protégés sur Internet.
Cette dissociation est d’un extrême intérêt, puisqu’en effet si nous faisons usage des outils libres qui ont été réalisés depuis 30 ans par la communauté alors en 2013 nous sommes protégés, nous le peuple – vous avez souvent dans ce texte, de la part de Richard Stallman, un « nous le peuple » – nous sommes protégés dans notre informatique, à ceci près que sur l’Internet, non, nous ne sommes pas pleinement autonomes, il y a une part de risque pour nos données. Il se trouve que cette part qui est non maîtrisée, fait qu’il est important de tenter de se protéger et il y est important que les lanceurs d’alerte se protègent et que les groupes dissidents, pacifistes se protègent.
Certes, rappelle Richard Stallman, l’État a la tentation de les infiltrer pour savoir s’il n’y a pas un risque d’attentat, de complot, de terrorisme, mais là on voit bien que l’éventualité d’un tel complot peut servir de prétexte et d’alibi. Vous avez dans le dispositif législatif américain, ceci est une information donnée dans la suite, le rappel que soupçonner un délit est un motif suffisant pour accéder aux données.
L’accumulation des données est une emprise et certaines lois permettent une campagne de pêche à grande échelle. Ici il est fait référence aux filets dérivants qui ne trient pas dans un premier temps et qui ont été désignés par Edward Snowden.

C’est pourquoi la deuxième du texte est ce que j’appellerais un volet curatif. Après le préventif le curatif et il y a une énumération de différents points qui sont des appels à la prudence et, en même temps, des appels à ce pouvoir technique qui est celui de l’informatique, qui peut parfois servir d’antidote à des dispositifs informatiques qui portent atteinte à la vie privée.
Premier point, une protection solide de la vie privée doit être technique. Pourquoi ? Elle ne peut pas être simplement juridique puisque les lois sont trop floues soit ignorées, donc les remèdes sont des remèdes logiciels. Ceci est le premier point, des remèdes logiciels qui visent l’autonomie de l’utilisateur.
Deuxième point., il faut être soi-même prudent. Il faut soi-même être un acteur de la protection de sa propre vie privée, le premier acteur c’est soi-même et là vous avez le rappel que sur Internet on peut faire usage de Tor, on peut usage de logiciels qui bloquent le traçage, de GPG. Autrement dit, il y a des démarches qui sont elles-mêmes techniques, qui résistent à la technicité de certains dispositifs de collecte de données. Vous avez des éléments qui ont l’air plus anecdotiques mais qui ne le sont pas. En 2013, Richard Stallman recommande encore de payer en liquide. Il recommande encore de garder l’anonymat sur les réseaux sociaux, il rappelle aussi qu’il est important de protéger ses corresponds, ses amis. Autrement dit il faut appel à l’autonomie.

Viennent ensuite quelques points qui rappellent qu’il est important d’intégrer à chaque système le respect de la vie privée et vous avez une mise en garde concernant ce qu’on appelle les téléphones intelligents ou les objets intelligents, on dit maintenant les objets connectés, qui peuvent être des pièges desquels on ne se méfie pas.
Il est conseillé, toujours dans le registre de cette autonomie, de cette préservation dont on est le premier acteur, de garder ses propres données dispersées, de ne pas faciliter les choses.
Il est proposé d’utiliser des remèdes à la surveillance du commerce sur Internet, également d’utiliser certains remèdes concernant les dossiers sur les communications téléphoniques, toujours la fameuse protection de ce qu’on appelle le sociographe, parce que même si on ne déchiffre le message on pourra toujours savoir qu’on a appelé celui-là après celui-là. Et brusquement, après ce travail de rappel de la prudence autonome à avoir et des outils techniques à déployer, vous avez, d’une façon totalement responsable, le rappel par Richard Stallman qu’un minimum de surveillance est néanmoins nécessaire. L’approche est équilibrée. Il s’agit de pouvoir rechercher les auteurs de crimes et de délits. Certes il peut y avoir des abus. Les entreprises, par exemple, ne sont pas des personnes relevant des droits de l’homme, elles doivent rendre compte elles-mêmes à des personnes. La phrase finale et la suivante : « La technologie numérique a connu un extrême accroissement, plus que dans les années 90, plus que dans les années 80 pour les personnes qui étaient derrière le rideau de fer, et cet accroissement a accentué la récolte de données d’où une invitation à inverser la tendance par le logiciel libre. C’est-à-dire non seulement être armé technologiquement, mais être armé humainement et là, Fred, je me tourne vers toi, je pense que tu en seras d’accord, il me semble que prudence et vigilance sont des mots clés à l’April.

Frédéric Couchet : Tout à fait et je pense que ça devait être le cas partout ailleurs et on pensera à certains projets de loi qui sont en cours ou à certains projets actuellement en cours au vu du contexte.
Merci Véronique. On va conclure rapidement parce que le temps a filé plus vite que d’habitude pour cette chronique. Je vais juste rappeler le titre de l’article de Richard Stallman c’est « Quel niveau de surveillance la démocratie peut-elle endurer ? » Vous le retrouvez sur le site de gnu.org en version anglaise et française traduit d’ailleurs par notre groupe de traduction de la philosophie GNU que vous pouvez rejoindre si vous voulez participer. Toutes les informations sont sur le site de l’April, april.org.
Véronique, on se retrouve en juin pour la prochaine chronique « Partager est bon ». Ça te va ?

Véronique Bonnet : Avec grand plaisir Fred. Bonne journée.

Frédéric Couchet : Bonne journée Véronique.
On va faire la pause musicale. On va enchaîner. On va écouter Reality par Niwel. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, 93.1 FM, la voix des possibles.

Pause musicale : Reality par Niwel.

Voix off : Cause Commune, cause-commune.fm, 93.1.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Reality par Niwel, disponible sous licence libre Creative Commons, Partage dans les mêmes conditions, CC By SA. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org, sur le site de la radio, causecommune.fm et sur le site de l’artiste, il a une page, soundcloud.com/niwel, n, i, w, e, l. Je vais préciser que Niwel a été une découverte via le site auboutdufil.com, qui propose de faire découvrir des artistes dont les œuvres sont sous licence libre. Niwel est en fait un Parisien de 22 ans, étudiant en médecine, et qui produit de la musique un petit peu de manière indépendante. Il m’a indiqué que le choix des licences libres c’était parce qu’il trouvait que c’était un plus de laisser la chance aux autres de pouvoir l’utiliser et, en plus, ça peut lui apporter de la crédibilité si les gens qui l’utilisent ont la gentillesse de le créditer lors de l’utilisation. Non seulement ils doivent avoir la gentillesse mais c’est une obligation de la licence CC By SA.
Sur le site auboutdufil.com, on trouve quelques informations. Niwel a une préférence pour l’électro, on retrouve ses principaux modèles Avicii, Madeon et Diplo. Il a appris très jeune le piano, le violon ou encore la mandoline. Actuellement il compose principalement sa musique avec un ordinateur. N’hésitez pas à aller sur le site auboutdufil.com, vous en apprendrez plus sur Niwel. On aura l’occasion de rediffuser des morceaux de cet artiste talentueux.

Vous êtes toujours sur la radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 FM en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm. Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! consacrée aux libertés informatiques.
On va passer au sujet principal.

Framabook : les Framabooks sont dits « livres libres » parce qu’ils sont placés sous une licence qui permet au lecteur de disposer des mêmes libertés qu’une personne utilisatrice de logiciels libres.

Frédéric Couchet : Le pari du livre libre, c’est-à-dire la collection Framabook, avec nos invités aujourd’hui, Magali Garnero, Yann Kervran et Stéphane Crozat. On va essayer de présenter un petit peu ce pari des livres libres, donc la collection Framabook. Je vérifie, ils sont tous là, donc on va peut-être commencer par une présentation personnelle rapide. On va commencer par Magali Garnero, en une petite phrase, Magali.